Marceau Pivert (1895-1958), une vie au service du socialisme

 

 

Le prolétariat et la laïcité...

 

...Car si les événements historiques ont été vus sous un angle suffisamment grand, si leur processus a laissé découvrir une sorte de loi générale d'interprétation, alors, dans l'action individuelle et collective, l'efficacité de nos efforts sera maximum. Et nous démontrerons par là même aux antimarxistes qui s'obstinent à ne pas vouloir comprendre, qu'il nous est possible de faire l'histoire dans la mesure où nous avons su insérer notre influence dans la direction où l'histoire s'engage.


Dans la société où le capitalisme se révèle pourvoyeur de guerre et de chômage, à une époque où des millions et des millions d'êtres humains sont jetés dans la misère ou massacrés sur les champs de bataille par le seul jeu d'un monstrueux régime d'exploitation, les principes essentiels d'une laïcité telle que nous l'avons définie apparaissent bien comme une sorte de « catégorie mentale » du prolétariat révolutionnaire. En elle se retrouve l'esprit d'indépendance, la réaction contre l'autorité, le besoin de justice et de raison de la vieille civilisation grecque. En elle se symbolise tout l'effort des travailleurs en lutte continuelle contre les forces de la nature et les iniquités sociales. En elle se réfugie le véritable optimisme humain, réaliste et scientifique, diamétralement opposé au pessimisme chrétien qui ne peut pas imaginer l'homme en dehors d'un gendarme pour le punir ou d'un prêtre pour l'absoudre. En face d'une société corrompue, d'une classe bourgeoise qui revient à la religiosité et au mysticisme, qui n'a plus confiance dans la valeur de l'intelligence humaine et qui se blottit peureusement, abdiquant toute dignité, à l'ombre des églises et des hiérarchies ecclésiastiques, oui, la classe ouvrière demeure le seul support de la laïcité, la seule sauvegarde du libre examen.
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Sommaire


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Un milieu familial pauvre marqué par le radicalisme

Marceau Pivert est né le 2 octobre 1895 à Montmachoux, petit village aux confins de la Brie dans une famille pauvre : son père, Maximin est journalier agricole et sa mère Julie fait des ménages chez l’instituteur du village. La famille s’élève quelque peu socialement en ouvrant près de Montereau une boutique qui fait office dans un village d’épicerie, de mercerie, de graineterie, de café et de bazar. Parents et grands-parents sont issus de souche paysanne, hostiles à la fois au « château » et au curé. Si on est anticléricaux en revanche on respecte rigoureusement la propriété privée, milieu social naturellement rallié au radical-socialisme. Du reste le grand-père maternel  fut libre penseur et le grand-père paternel fut  militant radical, participant régulièrement aux réunions de Provins et aux campagnes électorales. Son père Maximin est aussi militant de la Libre Pensée, radical, puis évoluera vers la SFIO en 1914.

Brillant élève de l’école primaire, le système scolaire de l’époque n’offre aucune passerelle entre le lycée, réservé aux enfants de la bourgeoisie, et les écoles primaires supérieures : les enfants du peuple sont bloqué au niveau du certificat d’études primaire. La seule manière de tourner la difficulté c’est  l’école normale d’instituteurs. Malgré un concours très sélectif, Marceau est admis à l’école normale de la Seine à 17 ans.

Issu d’un milieu laïque mais social-chauvin, élève d’une institution qui nourrit elle aussi depuis Jules Ferry la nostalgie de la revanche, Marceau, comme beaucoup d’instituteurs de sa génération, partira en guerre la fleur au fusil. Il dira lui-même : « … le crâne encore bourré de chauvinisme par un professeur d'histoire qui ne rêvait que de reprendre l'Alsace-Lorraine ». La première lettre à sa mère se termine par : « Ton fils, soldat des armées de la République.» Blessé au front et hospitalisé plusieurs mois, il gardera sur son engagement de soldat un point de vue social-chauvin.

Les débuts du militantisme

Après l’armistice on le retrouve à l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud, où commence son militantisme : il crée avec un collègue mutilé, Blanchin, un « Groupe d'action des instituteurs anciens combattants de la Seine », l’objectif étant d’œuvrer à la réinsertion professionnelle des mutilés, puis plus largement se consacrer à la défense des instituteurs anciens combattants. Il crée à cette fin l’AGIFAC (Association de défense des instituteurs anciens combattants). Bientôt il s’agira de regrouper l’ensemble des enseignants victimes de guerre. Le contact avec « les compagnons de l’université nouvelle », qui organise les anciens combattants du secondaire et du supérieur, donne la Fédération des anciens combattants de l’enseignement, dont Emile Borel sera le président et Marceau le secrétaire général. La défense corporative débouchera bientôt sur un questionnement sur la première guerre mondiale : dans le milieu des instituteurs se développera bientôt un fort courant pacifiste. Mais les conséquences de la guerre l’échelle internationale pour l’instant le touchent peu : la révolution d’octobre 1917 en Russie et l’évolution antiguerre de la majorité de la SFIO autour de Longuet. Toutefois il discute avec son ami Louis Caput, qui vient d’adhérer à la section du 14ème de la SFIO ? Marceau dira : « Je lui opposais des objections médiocres, celle du petit bourgeois individualiste, encore mal nettoyé de ses croyances patriotiques. »

Laïque, franc-maçon, libre penseur, républicain radicalisé

Il devient franc-maçon en 1919 : les racines familiales ainsi que l’influence de ses amis anciens combattants instituteurs l’inclinent vers ce choix. Il est attiré par les valeurs défendues par la maçonnerie, l’esprit de tolérance, de libre examen, de recherche de l’émancipation morale de l’individu. Marceau est particulièrement attaché à la connaissance rationnelle et  scientifique, donc à l’organisation qui se donne pour objectif de faire rayonner  ce cheminement intellectuel, d’apporter la lumière de la vérité. Il rejoint « l’Etoile polaire », loge qui est par ailleurs en avance sur les questions sociales. Il rencontre un vieux syndicaliste, Henri, grâce auquel il est initié à Marx, Lafargue, et les ouvrages de Gabriel Deville de vulgarisation du marxisme. Il dira à propos de ce militant : « cet ouvrier terrassier à pantalon de velours, plus cultivé que bien des professionnels de la politique ». Il rencontre Germaine Boulleau, qui se destine au métier d’institutrice, et qui deviendra la compagne de sa vie. Il est affecté, ainsi que son épouse, dans l’Yonne à l’école primaire supérieure de Sens.

Après la honteuse participation, particulièrement celle de Jules Guesdes,  porte-parole de la gauche prétendument marxiste du parti,  aux cabinets d’union nationale en 1916, la social-démocratie fait ce qu’elle a toujours fait lorsqu’elle est écartée du pouvoir : son électorat se radicalisant à gauche après la saignée de la grande guerre, l’appareil suit le mouvement de l’électorat et évolue à gauche. Marceau, de par ses origines et ses premiers engagements se définit comme un républicain radicalisé. Ce qui explique son adhésion à un courant social-chauvin se dégageant à la droite du parti socialiste, l’éphémère PSF (Parti Socialiste Français). Les réseaux francs-maçons jouent un rôle prépondérant dans l’apparition de cette formation : André Lebey, haut dignitaire du Grand Orient de France, socialiste connu, quitte la SFIO en 1919 et fondent le PSF. A Sens, le PSF est représenté par un franc-maçon, Aristide Jobert, personnalité locale de gauche. Stratégiquement il s’agit de promouvoir des candidatures de rassemblement soutenant le « cartel des gauches », mais en rupture naturellement avec le nouveau courant communiste, mais aussi avec les socialistes qui viennent de voter la « motion Bracke » radicalisant le parti sur une orientation de rupture avec le parti radical.

Dès la création d’une section senonaise  de la « ligue de la république », Marceau en devient le secrétaire. Il rédige la « chronique du père Charles » dans le journal radical « l’avenir de l’Yonne ». Elles sont teintées de  laïcisme et d’anticléricalisme et il s’en prend violemment aux jésuites ; on est en pleine bataille des laïques contre le retour de l’enseignement congréganiste. « Le Père Charles » fait une propagande favorable au « cartel des gauches », tout en dénonçant les «  diviseurs ».

Les relations avec le courant communiste

On sort à peine des polémiques qui avaient mené en 1920 à l’éclatement du mouvement ouvrier.  Marceau considère les responsables communistes français comme des utopistes, qu’il juge plus proche du républicanisme que du bolchévisme russe. Il considère que les divergences qui séparent les communistes des républicains ne sont pas insurmontables, alors que l’appareil de la 3ème Internationale naissante insuffle au parti français ce qu’il considère comme une ligne « sectaire ». Dans le rapport au communisme surgit pour la première la question de l’apartenance à la franc-maçonnerie. Deux des principaux dirigeants de la SFIC (Section Française de l’Internationale Communiste), Frossard et Cachin, sont francs-maçons. Marceau s’en prend à Léon Trotsky  qui a joué un rôle décisif à la direction de l’Internationale dans la rédaction des 21ème conditions d’adhésion à l’Internationale Communiste. A ces conditions publiques s’ajoute une 22ème condition secrète, concernant l’appartenance à la franc-maçonnerie. L’Internationale, et au  sein de sa direction Trotsky, manœuvre pour interdire aux cadres politiques  venus de la SFIO, qui apportent dans leurs bagages leur appartenance à la franc-maçonnerie, de jouer un rôle dirigeant dans le nouveau parti. Dans une « chronique du père Charles » Marceau écrira à propos des militants communistes : « Nous nous retrouverons autour d'un verre, à moins encore que cet animal de Trotsky ne t'interdise de trinquer avec moi. »

Ce qu'écrivait Léon Trotsky en 1922 sur l'appartenance à la Franc Maçonnerie

La bataille laïque et l’engagement dans la SFIO

Toutefois des évolutions politiques significatives apparaissent. Comme de nombreux instituteurs qui exercent leur activité professionnelle aux lendemains de la guerre, Marceau devient résolument pacifiste et antimilitariste.

Les activités de Marceau commencent à gêner les ambitions électorales de la droite locale, celle-ci fait pression pour une sanction administrative. Manœuvres difficiles à faire aboutir car Marceau est apprécié non seulement pour ses qualités professionnelles et pour ses engagements de républicain intègre. Après une campagne contre ses adversaires, la proposition diplomatique de la part de sa hiérarchie d’un déplacement dans la Seine en fait va lui convenir.  Le 22 avril 1924 il adhère à la SFIO. C’est comme républicain radicalisé qu’il débarque dans un parti qui évolue à gauche et il se retrouve dans la sensibilité pro-cartel de Renaudel.

Très vite il prend ses distances compte tenu de la politique du cartel. Il constate que rien n’est fait pour répondre à la revendication de l’école unique. Il refuse la « capitulation sur la question du Vatican ». C’est le régime fasciste de Mussolini qui était à l’avant-garde pourrait-on dire de la reconnaissance du Vatican comme un Etat, avec lequel l’Etat italien parlait d’égal à égal. Les républicains et le mouvement laïque en France ont toujours refusé de considérer le Vatican comme un Etat ; aux yeux des laïques le pape est le représentant d’une religion, à ce titre il n’a aucun statut public. Les catholiques français sont d’abord des citoyens à égalité de droit et de devoir avec les autres citoyens. La religion est une affaire privée. La république est indifférente vis-à-vis des opinions et des engagements privés de ses citoyens. Après la première guerre mondiale, la bourgeoisie commence un long cheminement de reniement de son propre passé révolutionnaire, c’est du reste le fasciste Mussolini qui ouvre le bal en reconnaissant le Vatican comme un Etat.

Il faut souligner ce point car l’engagement de Marceau, son fondement est d’abord dans la question laïque. Il habite désormais dans le 15ème arrondissement de Paris un modeste 3 pièces. S’il est membre de la SFIO, c’est d’abord la question de la bataille laïque qui requiert toute son énergie. Il milite pour l’école unique qui abolit les filières de sélection sociale et permet le même cheminement pour tous de la maternelle à l’université. II est ainsi membre du Comité directeur des Compagnons de l'Université nouvelle, membre du Bureau national du syndicat national des instituteurs, membre de la Ligue des droits de l'homme, membre de la Fédération Nationale de la Libre Pensée, qui publiera un certain nombre de ses écrits, membre du conseil général de la Ligue de l'enseignement et c'est à ce dernier titre qu'il crée aussi dès 1925, le « Comité pour l'école unique » qui regroupe 43 organisations démocratiques. Il est pour la nationalisation laïque de l’enseignement et c’est au congrès du SNI en 1927 qu’il défend avec succès son point de vue. Il pense que la nationalisation n’est pas le contrôle de la classe capitaliste sur la classe ouvrière, mais l’enseignement public et laïque que la nation garantit à tous les enfants du peuple. Il dit ceci :

«L'État n'est pas autre chose que l'instrument de coercition d'une classe, et la classe ouvrière opprimée ne peut s'en remettre du soin de l'émanciper à ceux qui seraient évidemment les premières victimes de son émancipation. Si le monopole a un sens, c'est celui de la nation. La nation ce sont des forces sociales les plus diverses, c'est la poussée de tout ce qui dans les pays, se contrebat, se contredit, ce sont des équilibres de forces qui peuvent être renversées d'un moment à l'autre. C'est dans ce pouvoir qui se transforme sans cesse que nous avons le devoir et le droit d'installer le pouvoir sur l'école »

La bourgeoisie n’a nulle besoin de l’égalité scolaire, en revanche la classe ouvrière a besoin de l’école unique et de la défense laïque pour s’approprier le savoir et se renforcer comme classe politique opposée à l’exploitation capitaliste. Le SNI  adoptera la revendication de la nationalisation de l'enseignement, en y ajoutant la gestion « tripartite » ; à côté du ministère de l'Éducation nationale, il y aurait un « conseil central d'éducation », composé par tiers de représentants de l'État, de techniciens de l'école et d'usagers. Ferdinand Buisson, républicain dans la tradition de Jules Ferry et protestant, s’opposera à la nationalisation.

Le dernier segment de la lutte de Marceau portera sur la nécessité d’en convaincre son parti. On peut dire que sa politique sur la laïcité et la question scolaire va influencer durablement les orientations de la SFIO. La motion laïque du congrès de Nancy en 1929 en sera un des plus beaux fleurons.

Extraits de la motion laïque du congrès de Nancy de la SFIO (9-12 juin 1929)

Premières divergences avec le guesdisme

On se rappellera que Guesdes refusera que le parti soutienne Jaurès dans la campagne menée pour la réhabilitation de Dreyfus, sous prétexte que ce dernier était un officier d’une armée impérialiste. Le refus de soutenir Dreyfus n’empêchera pas le même Guesdes d’entrer dans un cabinet d’union nationale en pleine guerre impérialiste, aux côtés de la bourgeoisie et d’un état-major alors largement  antisémite. Sur la question scolaire, les guesdistes voient dans la nationalisation une mainmise de la bourgeoisie sur l’enseignement, donc sur les consciences. Ils y opposent le contrôle de l’école par les organisations syndicales ouvrières. Finalement la position de Marceau est assez proche de celle de Condorcet et de son projet pour l’instruction publique qui considère que ce sont ceux qui transmettent le savoir qui auront à charge d’orienter tout ce qui relève de la pédagogie, y compris le contrôle de maîtres sur d’autres maîtres.  Celle de Jaurès, qui a par ailleurs été très impressionné par le plan Condorcet.

Ce qui sera confié à l’Etat c’est la gestion administrative du service public. En ce qui concerne la matière même de l'enseignement :

« L'organisme d'exécution que nous entendons créer, quelle que soit la forme de la gestion, c'est le conseil des maîtres (...) seul qualifié pour régler le fonctionnement pédagogique de l'école, fixer les méthodes, coordonner les effectifs, introduire dans la communauté scolaire le ferment des initiatives individuelles et le ciment des disciplines collectives ».

Au congrès de la Ligue de l'enseignement, qui se tient le 5 juin 1930 à Clermont-Ferrand, il présente ainsi un long rapport intitulé : « Le noyautage de l'enseignement par les Davidées ». Ce rapport fera l’objet d’une publication de la Libre Pensée. Il détaille comment la hiérarchie catholique défend à l’époque la construction dans l’enseignement primaire public d’une réseau d’institutrices  exerçant  une activité de prosélytisme religieux en violation de leur obligation de réserve, comme fonctionnaires de l’enseignement public.

La brochure de Marceau Pivert sur les Davidées publiée par la Fédération Nationale de la Libre Pensée (1930)

La laïcité prolétarienne

L’ensemble de ses positions sur le combat laïque seront rédigées dans un livre publié en 1932, intitulé, « L’église et l’école, perspectives prolétarienne ». Cet ouvrage sera republié par les éditions Démopolis en 2011 mais préfacée par un intellectuel et militant, Eddy Khaldi, partisan de l’Unification laïque et qui en 1982-1984 sera au cœur du dispositif de discussion du pouvoir mitterandiste avec la hiérarchie catholique et les syndicats de l’enseignement privé catholique. Une préface en violation des positions qui furent constamment défendues par Marceau. Il analyse dans son ouvrage la politique de l’Eglise sur l’école dans sa continuité historique de l’antiquité jusqu’à la période moderne. Il dénonce la doctrine sociale de l’Eglise, comme la pointe avancée sur la question scolaire, de l’offensive d’une bourgeoisie devenue décadente contre le prolétariat. Il critique les limites de la laïcité républicaine bourgeoise de Jules Ferry, tout autant que la prétendue laïcité « ouverte », pourrait-on dire de l’abbé Desgranges, député du Morbihan, qui, s’appuyant sur les limites de la laïcité bourgeoise, revendique ce que l’église catholique a toujours revendiquée : «  L'éducation étant la tâche la plus noble de la vie terrestre de l'homme, il est nécessaire de fonder cette éducation sur le principe suprême de l'existence. Dieu gouverne le monde ; Dieu doit donc aussi gouverner l'éducation ; Toute éducation qui nie Dieu est objectivement un mensonge, une duperie de l'humanité... » Marceau oppose, tant à la laïcité de Jules Ferry, qu’aux prétentions cléricales la laïcité prolétarienne :

« Dans la société où le capitalisme se révèle pourvoyeur de guerre et de chômage, à une époque où des millions et des millions d'êtres humains sont jetés dans la misère ou massacrés sur les champs de bataille par le seul jeu d'un monstrueux régime d'exploitation, les principes essentiels d'une laïcité telle que nous l'avons définie apparaissent bien comme une sorte de « catégorie mentale » du prolétariat révolutionnaire. En elle se retrouve l'esprit d'indépendance, la réaction contre l'autorité, le besoin de justice et de raison de la vieille civilisation grecque. En elle se symbolise tout l'effort des travailleurs en lutte continuelle contre les forces de la nature et les iniquités sociales. En elle se réfugie le véritable optimisme humain, réaliste et scientifique, diamétralement opposé au pessimisme chrétien qui ne peut pas imaginer l'homme en dehors d'un gendarme pour le punir ou d'un prêtre pour l'absoudre. En face d'une société corrompue, d'une classe bourgeoise qui revient à la religiosité et au mysticisme, qui n'a plus confiance dans la valeur de l'intelligence humaine et qui se blottit peureusement, abdiquant toute dignité, à l'ombre des églises et des hiérarchies ecclésiastiques, oui, la classe ouvrière demeure le seul support de la laïcité, la seule sauvegarde du libre examen. »

L'église et l'école, perspectives prolétariennes, éditions Figuières (1932)

Le 27 décembre 1931, il a été en effet élu membre du Bureau national du syndicat national des instituteurs. Il participe à la commission « d'éducation nationale », ainsi qu'à la commission de rédaction de L'École libératrice.

Le combat contre l’alliance avec le radicalisme et la construction de l’aile gauche de la SFIO

A l’infléchissement à gauche du parti après le congrès de Tours, les résultats du congrès de 1924 inquiètent Marceau. Abandonnant la position traditionnelle de rupture avec les partis bourgeois, essentiellement le parti radical, Blum a fait adopter un texte selon lequel  le budget est votable chaque fois qu'il comprend « une portion suffisante  des réformes voulues par les socialistes ». Dans la gauche du parti, on estime que le temps est venu d’élaborer une réponse. Maurin et Zyromski éditent dès 1924 « l’Etincelle » puis « Correspondance Socialiste » cogéré par les guesdistes et les partisans de Paul Faure. En 1927 les guesdistes créent « la Bataille Socialiste » et présentent une motion au congrès de Lyon.

Par rapport à la position de Blum qui garde un pied dans le radicalisme, l’aile gauche défend que les réformes  ne peuvent aboutir à la transformation socialiste : c’est une action révolutionnaire, donc sortant du cadre du parlementarisme, qui doit être engagée par le Parti socialiste. Elle trouve un point d’appui naturel sur les positions que la classe ouvrière a conquis dans la société, syndicats, coopératives et municipalités. Enfin le texte prend ses distances avec la tactique sectaire « classe contre classe » de l’Internationale Communiste et défend la nécessité de l’unité ouvrière contre « les ennemis de classe ». Marceau Pivert se prononce  pour la fusion de la motion A (Paul Faure-Séverac) et de la motion C (Bracke-Zyromski), mais en réalité la motion C représente pour l’heure ses propres positions. Il est pour une action autonome du Parti Socialiste  s’appuyant sur ce qui se passe réellement dans la classe ouvrière. Il faut l’unité de la classe ouvrière mais dans l’action.

Marceau quitte la fédération de l'Yonne et rejoint la fédération de la Seine où sont concentrées les forces de la Bataille socialiste. Il adhère à la section du 15e. Le rapport qu'il publie, en qualité de secrétaire administratif de la fédération de la Seine, donne une idée assez précise de sa conception du parti :

« Nous appelons joyeusement nos camarades, dans toutes les sections, à un effort obstiné vers une véritable organisation moderne. (...) Il faut que le prolétariat révolutionnaire de la région parisienne, pour rester fidèle à ses traditions, puisse manier facilement un organisme souple, docile aux exigences de la base, adapté aux conditions économiques et géographiques de la lutte, soucieux de la culture socialiste des militants et capable d'initiatives hardies. »

La Bataille Socialiste et le combat contre les néo-socialistes

D’abord œuvrer à la réunification des confédérations syndicales ; derrière cette position il y a chez Zyromski une constante, que Marceau reprendra au point de départ à son compte, c’est la volonté d’effacer la scission de Tours et de réunifier le PS et le PC dans une seule organisation. Le 9 novembre 1930 est lancé l’appel dit des 22 regroupant des syndicalistes (7 autonomes, 3 CGTU, et 7 CGT). L’un des initiateurs est Georges Dumoulin, militant de la Bataille Socialiste. Zyromski et Pivert sont parmi les 500 signataires de l’Appel. Sur la nature de l’URSS ensuite, Pivert opte « pour le caractère socialiste de l’expérience russe ». En revanche sur la victoire de Hitler la Bataille Socialiste désigne les capitulations de la social-démocratie allemande comme l’élément central expliquant cette défaite mondiale du mouvement ouvrier. Face à la nécessité de réaliser une coalition, sinon une réunification du mouvement ouvrier dans un parti unique, la direction de la SFIO et particulièrement Léon Blum sous-estime de manière systématique la montée en puissance du fascisme allemand et les menaces de déflagration mondiale. Enfin dans la bataille interne du parti, ce courant se définit d’abord par la nécessité de rompre avec le radicalisme, aile centrale dans la 3ème république du parlementarisme bourgeois. Le ralliement de Pivert à la Bataille Socialiste va toutefois le confronter progressivement à des positions qui ne seront  pas les siennes : le fil rouge des positions de la continuité du guesdisme, c’est tout de même de conférer au PCF une place qu’il n’a pas : sectaire et bureaucratique certes, mais à sa manière il marche au socialisme. L’histoire va en décider autrement. Les positions de la Bataille Socialiste, et la biographie de Serge Kergoat est quelque peu ambiguë sur ce point, vont amener Zyromski sur des positions crypto-PC, sinon crypto-stalinienne, notamment dans la question de la responsabilité du KPD et de la direction de l’Internationale stalinisée dans la victoire de Hitler.

Pivert engage la bataille dans sa section du 15ème en demandant que les parlementaires soutenant l’alliance avec le parti radical soient exclus. Zyromski plie devant l’appareil tandis qu’un vif échange a lieu avec Jules Moch au niveau de la direction nationale.

La direction nationale avec la complicité de Blum donne suite aux exigences des parlementaires favorables à l’accord avec le radicalisme, ce qui donne un espace à l’offensive des néo-socialistes : Marquet, de la fédération de Gironde, expose son orientation politique : ordre, autorité, nation. Cette fois-ci face à l’exposé de cette politique qui survient aux lendemains d’une victoire décisive du fascisme, Blum lui-même se déclare « épouvanté ». Marceau vient d’être élu à la direction du parti, la CAP (Commission Administrative Paritaire). Il saisit toutes les occasions pour aller à la scission. Il déclare : « il vaut mieux que ceux de ses élus qui sont disposés à faire leur politique à eux soient décrochés du convoi qu'ils alourdissent dangereusement, avant que les événements ne nous surprennent ». Le 8 novembre 1933, la scission est actée.

Le pacifisme et la question de la défense nationale

Un militant de la gauche, Lagorgette, présente au conseil fédéral de la Seine une motion, défendant des positions pacifistes et l’opposition à toutes les guerres, s’opposant à toute politique de défense nationale et demandant que la France prenne l’initiative du désarmement. Pivert soutiendra ce texte.

Zyromski prend ses distances et déclare :

« Non, Lagorgette, l'indépendance nationale n'est pas une invention de l'idéologie bourgeoise que le socialiste doit rejeter. Une nation n'est ni un fait artificiel, ni un fait réactionnaire c'est le produit d'une évolution historique et Fions ne sommes pas au stade dans lequel les nations doivent disparaître. Nous sommes au contraire au stade où elles se constituent et s'affranchissent. »

En août 1933 se tient à Paris une conférence socialiste internationale ; à cette occasion le courant de gauche de l’Internationale Ouvrière Socialiste se tient avec la minorité belge de Spaak et de Pietro Nenni pour le PS italien. Pivert vote la motion Zyromski sur l’unité d’action avec le PC, position qui ménage la direction du PC, alors que le texte de la motion que Pivert voulait défendre était beaucoup plus radical, se prononçant pour l’unité révolutionnaire du prolétariat par la réalisation d’un « front unique loyal ».Le deuxième point de désaccord sur l’unité d’action porte sur la participation à un congrès mondial contre la guerre, convoqué en France par Henri Barbusse et Romain Rolland

Deuxième terrain de désaccord, l'unité d'action. La divergence apparait à l'occasion de la convocation par Henri Barbusse et Romain Rolland d'un Congrès mondial contre la guerre qui se tient le 27 août 1932 à Amsterdam. Pivert, malgré la politique de l’Internationale Communiste, est pour y participer.

Ni élu, ni permanent, un militant ouvrier et un brillant pédagogue

Il faut souligner que Marceau a une morale militante intransigeante : pas question d’être un permanent à plein temps. Non seulement il continue d’exercer son métier d’enseignant, mais de plus il s’investit dans son métier, il s’intéresse aux nouvelles méthodes pédagogiques et son travail est salué par son administration de tutelle. Ses élèves aussi. Un de ses anciens élèves, Lucien Weitz écrira :

« Marceau était entré dans notre classe d'adolescents d'un cours complémentaire d'un pas décidé, le regard sévère, le geste large et péremptoire, mais souriant à pleines dents. (...) Vite, nous devions découvrir que, chez ce maître, ce qui dominait, c'était le sourire, expression de sa bonté, de son équité, de son souci profond de nous connaître, de nous comprendre, de nous aider. Sévère et exigeant pour le travail, Marceau était le frère aîné de ses élèves : il aimait avec passion son métier, c'était un grand pédagogue. »

Le combat pour le front unique

Avec le 6 février 1934, et l’assaut des ligues contre la République, une période décisive va s’ouvrir pour l’avenir du socialisme. Marceau avait bien analysé les rapports de forces qui se développaient au sein du corps social : montée de l’antiparlementarisme, affrontement entre les militants ouvriers et les fascistes, développement de la corruption dans le système radical. D’emblée Marceau s’investit dans le combat pour le front unique. Dès le 5 février les fédérations de la Seine et de la Seine et Oise multiplie les démarches auprès du PC et la CGT pour l’unité d’action. Il faut une riposte ouvrière et une manifestation nationale.

La bataille pour l’unité sort des limites étroites de l’appareil SFIO : Marceau multiplie les réunions avec les trotskystes de la Ligue Communiste Internationaliste et tend la main à  Jacques Doriot, maire de Saint Denis, qui mène le combat au sein du PC pour l’unité d’action. Les démarches aboutissent à la création d’un Comité de Vigilance antifasciste qui pose la question de constituer des comités d’action dans  chaque entreprise et de convoquer localement une conférence des organisations ouvrières. Le comité de vigilance met de fait à l’ordre du jour la nécessité de protéger le mouvement ouvrier contre le fascisme. Malgré une audience de masse développée par ces actions, le PC reste fidèle à sa ligne de dénoncer la social-démocratie comme la sœur jumelle du fascisme. Toutefois dans les sommets de l’Internationale Communiste, Staline a commencé à tourner, de la politique de refus du front unique Thorez va passer progressivement  à une entente avec les dirigeants socialistes. Le 27 juillet, les directions de la SFIO et du PCF signent un pacte d’unité d’action. Marceau Pivert, qui s’est centralement engagé pour  l'unité d'action, est mis à l’écart de  la délégation socialiste.

Dans la bataille contre les ligues, la gauche du parti a construit un organisme de défense, les TPPS (Toujours Prêts Pour Servir), qui regroupent plusieurs centaines de militants radicalisés. La direction de la SFIO contrainte d’accepter leur constitution, fait tout pour en limiter le champs d’action à une protection des réunions, diffusions et manifestations de la SFIO.  Pas question d’une milice ouvrière ! D’autant que le virage de l’Internationale Communiste ne vise pas la constitution d’un gouvernement de l’Alliance Ouvrière mais un accord de front populaire avec le radicalisme.

Intervention au congrès de mai 1934 sur la formation des milices d'autodéfense

Contre le social-chauvinisme, la rupture avec la Bataille Socialiste

En mai 1935 Staline et Laval signent un pacte qui fait dire à ce dernier, futur pétainiste,  « Mr Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité ». Tandis que Pivert refuse « la guerre sous la direction de notre bourgeoisie », Zyromski, dans la filiation du guesdisme, glisse progressivement vers le social-chauvinisme. Zyromski, Théodore Dan, Amédée Dunois et Otto Bauer signent une brochure internationale sur le fascisme et renvoient pour « après la guerre » la révolution sociale. Pivert répond dans les termes suivants : « ceux qui désespèrent, ceux qui attendent la révolution pour "après la guerre" nous entraînent à un nouveau 1914. (...) Non, pas de défense en régime capitaliste. Contre la guerre, révolution partout ! »

La révolution avant la guerre, brochure publiée par la revue "Nouveau Prométhée"

Contre l'union sacrée, article dans le Populaire

De plus, lorsque la direction de la SFIO s’attaque à la gauche des jeunesses socialistes, Zyromski capitule devant Blum et approuve l’exclusion.  Zeller, Rous, Molinier et Rousset, militants trotskystes de la gauche des jeunesses, rencontrent Pivert durant l’été ; ce dernier s’engage à rompre avec la Bataille Socialiste et à créer sa propre tendance.  Son soutien à l’appel de la Conférence nationale contre la guerre et l’union sacrée, qui se tient à Saint Denis les 10 et 11 août 1935, soutenue par les doriotistes, les anarchistes, les trotskystes et diverses organisations pacifistes, aggrave les relations avec Zyromski. Cet appel stipule : « Ce n'est pas d'une guerre impérialiste, mais de luttes sociales que nous attendons la chute du régime hitlérien. ». Le 20 septembre 1935, au café Augé, rue des Archives, se tient la réunion de constitution de la Gauche révolutionnaire.

La scission de la Bataille Socialiste, contribution de Richard Gombin (1970)

Sur la constitution de la Gauche Révolutionaire

La discussion avec Trotsky

Avec la situation que les émeutes du  6 février ont ouverte, les trotskystes se sont investis dans le combat pour l’unité ouvrière. Considérant le rôle particulièrement réactionnaire que joue le parti stalinien, les leçons de l’Allemagne sont toutes proches, considérant par ailleurs que la parti socialiste évolue sur la gauche et que la démocratie s’y développe en son sein, Léon Trotsky convainc ses  camarades d’entrer dans la SFIO ; ils le font « drapeau déployé » et musique en tête, en constituant un courant qui se proclame bolchévik-léniniste. Au sein d’un parti ouvrier parlementaire, ce qu’est la SFIO, ils s’affirment comme ayant un autre modèle de parti. Le groupe BL (Bolchévik-Léniniste) explique :

«  La tendance représentée par Marceau Pivert incline fortement à gauche. Constituée par une large base ouvrière et par la plupart des jeunes de la Bataille, elle est beaucoup plus sensible aux réactions de la classe ouvrière. Elle fait dans le 15ème le premier comité d'alliance avec la Ligue, elle avoue franchement la faillite de la 2ème Internationale, elle combat la politique allemande et autrichienne, elle est absolument contre toute défense nationale en régime capitaliste, elle combat la politique syndicale de Jouhaux, elle préconise, au moins en paroles, l'action directe ».

Le « au moins en paroles » est de trop. Le combat engagé, entre autres par Pivert, pour le front unique exprime le mouvement de la génération ouvrière de 1936. Il vient d’en bas. Cette petite phrase instruit un procès à l’encontre de Pivert qui sera constant de la part de Trotsky et des trotskystes. Plus loin dans le texte ils disent que le caractère relativement démocratique de la Gauche Révolutionnaire leur a permis d’obliger Pivert à prendre « une attitude beaucoup plus radicale ». Pauvre pêcheur que Marceau Pivert, dont la pensée est si peu autonome, qu’il soit sans cesse obligé de faire appel aux trotskystes pour savoir où aller !

Texte de Trotsky à propos de la référence à la construction d'une IVème Internationale

Intervention de Marceau Pivert au congrès de Moulhouse (juin 1935)

Les trotskystes sont naturellement en désaccord sur la question du parti. Pivert et ses camarades ne sont pas léninistes. Pivert connaît bien la divergence qui les sépare, néanmoins sur la question de l’autodéfense de la classe ouvrière, il se félicite des accords passés dans l’organisation des TPPS. Marceau rendra visite à Trotsky en mars 1935 à Domène dans l’Isère, alors que ce dernier venait d’être chassé de Barbizon par le gouvernement Sarraut, après une campagne de presse où l’Humanité et Jacques Duclos ont joué un rôle non négligeable. Trotsky note alors :                                                                     

« Marceau Pivert, grâce à ses interventions de plus en plus claires et résolues, est devenu l'une des figures les plus populaires à la base. »

« Personne ne peut aujourd'hui nier qu'en France, le milieu favorable à la formation de cette avant-garde est constitué par la gauche socialiste. C'est d'elle que proviennent désormais les mots d'ordre révolutionnaires. Il n'y a qu'à lire les articles de Marceau Pivert le dirigeant de cette gauche. Sur la question de la guerre et celle de la milice, il combat aussi bien le point de vue des sociaux-démocrates que ceux des staliniens, et soutient nos mots d'ordre. Il n'est pas seulement un homme de bonne volonté, mais le représentant d'une tendance profondément militante qui se développe vigoureusement vers nos positions. » 

Les deux courants marchent séparément mais frappent ensemble. Incontestablement l’intervention des trotskystes joue un rôle positif dans le développement de la Gauche Révolutionnaire. Toutefois au moment des grandes grèves de Brest et de Toulon le 5 août 1936, Trotsky fait le forcing pour que ses camarades sortent de la SFIO, alors qu’il y a à peine 1 an qu’ils y sont rentrés et qu’ils se sont impliqués dans la construction du courant gauche. Il déclare :

« Nous devons nous dire à nous-mêmes : la période transitoire de l'adaptation au régime de la SFIO est en train d'approcher de sa fin naturelle. Nous devons nous orienter dans la pratique vers le parti révolutionnaire dans les délais les plus brefs ».

Pivert, pas plus que les cadres de son courant, n’envisagent de quitter la SFIO : il se bat pour la réintégration des exclus et considère que la référence à une IVème Internationale et que le sigle bolchévik-léniniste place les pivertistes en difficulté dans la SFIO. Ils sont sur la ligne du développement d’un courant anticapitaliste en son sein et considèrent que cette radicalisation politique, l’arrivée d’une génération de jeunes militants poussés vers ce parti traditionnel du mouvement ouvrier, est loin d’avoir épuisé toutes ses potentialités.

 

Marceau Pivert répond à Léon Trotsky le 20 août 1936

Soit les trotskystes considèrent que la IIème Internationale est un cadavre politique dont il n’y a plus rien à tirer, auquel cas Pivert ne s’associera pas à ce point de vue qui est manifestement faux, soit ils considèrent que la génération qui monte en politique au sein de L’Internationale Ouvrière Socialiste, est capable d’évoluer et participera « à la constitution d’une avant-garde révolutionnaire », auquel cas c’est une lourde erreur que de sortir maintenant. En réalité le groupe trotskyste qui s’est investi loyalement dans la SFIO est loin de partager l’analyse de Trotsky. Par discipline d’organisation ils suivront. Sortis de la SFIO, ils ne sont plus de ce fait à la GR. Pour les pivertistes se pose alors la question d’une collaboration à l’extérieur de la social-démocratie. Pivert est échaudé par la stratégie de Trotsky, il sera dorénavant vis-à-vis de lui sur « une prudente réserve ». La conséquence politique négative de mon point de vue, c’est que la Gauche Révolutionnaire se fera sans eux.

Naissance de la Gauche Révolutionnaire

Jacques Kergoat écrit : « L’organisation de Pivert est pour le moins hétéroclite… ». C’est le point qui est souligné aussi bien par Kergoat, qui outre ses qualités d’historien, était un dirigeant historique de la LCR. C’est aussi souligné par Joubert dans son « Révolutionnaires de la SFIO ». Dans un parti de masse qui va faire à peu près 100 000 nouveaux adhérents dans la crise révolutionnaire de 1934-1937, comment en peut-il être autrement ? Au niveau des cadres politiques il y a des anciens de la Bataille Socialiste, de nombreux militants de la Seine et de la Seine et Oise, il y a le luxembourgiste René Lefeuvre qui anime le groupe Spartacus, Maurice Jaquier du Comité d’Action, socialiste révolutionnaire, Claude Beaurepaire et Raymond Abellio de Révolution constructive, Daniel Guérin, venu du syndicalisme révolutionnaire, les anciens de l'Action socialiste, Malarte et Périgaud, Lucien Hérard qui vient du Parti communiste et de l’éphémère Fédération communiste indépendante du Doubs, Boris Goldenberg, qui vient d'un groupe allemand regroupant des dissidents socialistes et communistes, le SAP, Michel Collinet qui a été trotskyste puis souvarinien. Le problème n’est pas à mon sens de souligner le caractère hétéroclite, mais comment le courant trotskyste, qui bénéficiait des qualités et de l’expérience du grand dirigeant révolutionnaire qu’était Léon Trotsky, pouvait féconder l’aile gauche de la social-démocratie et poser la question de la construction d’un parti de type nouveau. Trotsky a lâché la proie pour l’ombre : jamais les organisations de la IVème Internationale dans la période récente et les historiens issus de cette tradition n’ont fourni sur cette période de réponse satisfaisante.

Le programme de la Gauche Révolutionnaire, rédigé pour l’essentiel par Boris Goldenberg, peut être résumé comme suit :

1. En rappelant que le programme de la SFIO reste formellement celui de la dictature du prolétariat, la GR est pour un gouvernement ouvrier et paysan issu d’un processus révolutionnaire. Il faut substituer à l’appareil d’Etat bourgeois, y compris sous sa forme démocratique et parlementaire, des organes construits par les masses laborieuses, pour le socialisme.

2. Engagée dans la SFIO, la GR se prononce pour infléchir le gouvernement de front populaire sur la gauche, c’est ce qu’elle appelle le front populaire de combat.

3. La GR est pour une milice populaire et pour des comités de salut public, dont les TPPS sont un embryon. Elle veut fédérer ces comités dans des « États généraux des masses travailleuses ».

4. En cas de conflit, elle reprend le mot d’ordre « transformer la guerre impérialiste en guerre civile »,  la défense nationale en régime capitaliste étant une « duperie ».

5. Pour donner aux peuples coloniaux les moyens de leur émancipation nationale.

6. Reprise de la vieille revendication guesdiste de l'unité organique du courant socialiste et communiste à l’échelle nationale et internationale.

7. Pour engager la bataille dans le parti socialiste sur ce programme afin de gagner la majorité des militants SFIO.

Dans les semaines qui suivent la constitution de la Gauche révolutionnaire, elle annonce quelques 700 adhérents, les forces vives étant concentrées sur la région parisienne, quelques 200 militants dispersés sur 32 départements de province.

On note la reprise de la vieille aspiration zyromskiste de l'unité organique des forces prolétarienne dans une seule organisation, et d'effacer la scission de Tours.

Pour l'unité organique, motion Zyromski-Pivert

Les calomnies staliniennes et la lutte pour un front populaire de combat

Le 13 février 1936, Léon Blum est sérieusement agressé et blessé par des fascistes. Pivert se prononce pour que les TPPS   « prennent en charge l'application du décret de dissolution de l'Action française » en interdisant physiquement leurs réunions. La direction de la SFIO, alors que leur leader est à l’hôpital, refuse. Le stalinien Duclos écrit dans l’Humanité :

« Nous ne suivrons pas le porte-parole des trotskystes, Marceau Pivert, dans ses rodomontades (...). D'ailleurs, il faut bien dire que les phrases révolutionnaires ne peuvent malheureusement faire. oublier de récents rapports politiques entre Marceau Pivert et le traître Doriot, serviteur de Laval. »

Les calomnies staliniennes contre Pivert

Au moment où ont lieux les abominables procès de Moscou contre les anciens dirigeants révolutionnaires d’Octobre 1917, Duclos pratique l’amalgame en caractérisant Pivert comme un trotskyste-doriotiste, hitléro-trotskyste en quelque sorte. Au moment où la direction du PCF s’oriente vers une politique d’union nationale, Pivert incarne une autre orientation, il faut donc le calomnier.

Le programme du Front populaire de combat se heurte directement au programme du Front Populaire du 10 janvier 1936, tel qu’il résulte de l’accord des partis ouvriers avec le parti radical. Son analyse de l’alliance avec les radicaux n’est guère différente de celle de Léon Trotsky et des trotskystes : le parti radical n’est pas l’expression des intérêts des gens de la classe moyenne, mais l’agent démocratique du grand capital pour en contrôler et en limiter les aspirations. Les pivertistes opposent à l’alliance avec les radicaux, un accord de désistement réciproque entre les partis ouvriers, en concédant un soutien éventuel à un « candidat non-prolétarien », lorsque celui-ci « n'a pas participé à l'union nationale et s'il s'engage à briser toutes les résistances des oligarchies économiques et financières ». La motion de la GR est très minoritaire sur cette orientation, une large majorité se ralliant au désistement mutuel des trois partis de l’alliance Front Populaire.

Tout est possible ?

Il y a en fait deux fronts populaires : celui des appareils qui, selon l’expression de Daniel Guérin est une « mésalliance sur le plan parlementaire et électoraliste du radicalisme bourgeois et du stalinisme, sous le signe de la défense nationale, mésalliance à laquelle la SFIO ne s'était que trop aisément prêtée. » L’autre c’est l’unité d’action, c’est le puissant mouvement social dont les organisations partis et syndicats ont pris l’initiative. Pour les pivertistes il faut traduire ces aspirations dans le parti socialiste et en prendre la direction. L e 25 février 1936 il s’adresse aux trotskystes dans les termes suivants :

«  Nous n'avons jamais compris cette sorte de résignation désespérée des minorités BL et JSR qui n'ont pas cru suffisamment à leur capacité de transformation et qui ont fourni aux bureaucrates réformistes les armes de leur exclusion. Vouloir conquérir les masses et ne pas être capable de conquérir le parti, n'est-ce pas une gageure ? »

Le 27 mai, à la veille du congrès, Marceau Pivert publie dans Le Populaire, une tribune libre intitulée « Tout est possible », au moment où se développent dans le pays des grèves avec occupation d’usines. Immédiatement l’appareil stalinien, par la voix de Marcel Gitton, prend l’offensive dans un éditorial de l’Humanité contre lui :

« Non, non, il ne s'agit aucunement "d'un changement radical, à brève échéance, de la situation économique et politique", comme l'écrit le camarade Pivert. Non, non, Marceau Pivert, il n'est pas question pour le gouvernement de demain "d'opérations chirurgicales".

Lors du congrès Blum expliquera clairement la position constante qui sera la sienne et celle de la majorité de la SFIO : « nous agirons à l'intérieur du régime social actuel ». Il introduit une distinction entre l’expérience actuelle, c'est-à-dire l’exercice du pouvoir, et la « conquête » du pouvoir renvoyée aux calendes grecques.

Tout est possible! Tribune du Populaire, 27 mai 1936

Parallèlement 12 142 usines se sont mises en grève, on comptabilise près de deux millions de grévistes. Aucune organisation n’a déclenché ce mouvement, c’est le mouvement propre de la classe ouvrière qui considère le gouvernement de Front Populaire comme son gouvernement et qui veut l’aider à sa manière.

Le 11 juin Maurice Thorez s’adresse à l'assemblée des militants communistes de la région parisienne et donne la ligne de l’appareil stalinien : en fait poussant la SFIO sur la droite, il désigne la cible à combattre, la gauche révolutionnaire :

« Si le but maintenant est d'obtenir satisfaction pour les revendications de caractère économique tout en élevant progressivement le mouvement des masses dans sa conscience et dans son organisation, alors il faut savoir terminer dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir aux compromis si toutes les revendications n'ont pas été acceptées, mais que l'on a obtenu la victoire sur les plus essentielles et les plus importantes des revendications. Il faut savoir organiser, préparer l'avenir, il faut savoir reprendre cette riposte que nous avons faite à Pivert quand il écrit dans un article du Populaire : « Tout est maintenant possible » ; nous et nous seuls, nous avons répondu : « Non, tout n'est pas possible maintenant. »

Chargé de mission à la présidence du conseil

Pivert était un passionné des techniques modernes de propagande. Il avait fondé dans le 15e arrondissement la première radio libre de la capitale. Avec des techniciens du cinéma, il monte des petits films présentés dans le cadre de réunions militantes. Il cherchera par le biais de la maitrise de ces nouvelles techniques de communication à gagner les militants aux points de vue de la GR. La direction de la SFIO lui propose un poste de chargé de mission à la présidence du Conseil. Sous la responsabilité de Jules Moch, il est chargé de la presse, de la radio et du cinéma. La majorité de la GR consultée sur cette proposition donne son accord, à l’exception de Daniel Guérin.

La guerre d’Espagne et la non-intervention de la France

Espagne, fascisme, guerre ou révolution

Le 18 juillet 1936, suite au coup d’Etat de Franco, éclate la guerre civile en Espagne. Pivert utilise immédiatement les moyens que ses responsabilités gouvernementales lui donnent pour aider le POUM.  Julian Gorkin, dans sa préface au livre de Pivert « Où va la France », rédigé au Mexique en 1941, écrit :

« Tous les jours, à quatre heures, nous communiquions à la Présidence du Conseil, à partir de la Capitania General de Barcelone où siégeait le comité central des milices, les nouvelles que nous voulions diffuser aux quatre vents. Elles étaient transmises par Pivert à toutes les stations de radio de France. Il surveillait en plus les sombres manœuvres des agents franquistes en France et au Maroc français. (...) Pivert a profité d'autre part de son poste à la présidence pour nous faciliter l'acquisition d'armes. »

Toutefois, s’il aide les antifascistes espagnols, il continue d’approuver la politique de non-intervention préconisée par Blum.

Le 7 septembre, le POUM donne un avis contraire, celui d’une organisation révolutionnaire plongé dans la résistance armée :

« Dans « l’aventure espagnole » , Blum ne discerne rien d’autre que l’intérêt national et l’intérêt impérialiste de la France dont il s’est érigé le fidèle gardien (... ). Il s’effraie à l’idée de la victoire socialiste en France et de son irradiation en France, où les masses travailleuses qui se radicalisent de jour en jour voient dans la révolution espagnole le début de leur propre révolution.»

Pivert pense que s’engager dans une intervention de la France, outre qu’elle verrait la coalition de Front Populaire éclater, pourrait précipiter l’entrée en guerre.

La  Gauche révolutionnaire entérine pour l’instant la position de Marceau Pivert. Avec la complicité de Blum, les militants autour du Comité de Perpignan font passer des camions d’armes vers Barcelone et Madrid. Jaquier en est le responsable. Je souligne au passage que les armes françaises étaient en état de marche, contrairement à la prétendue aide apportée par l’Union Soviétique. Staline, tout en s’emparant de l’or de la République espagnole, a fait livrer des armes inutilisables. Ceci s’ajoutant à sa politique sur le sol espagnol, par l’entremise des tueurs de sa police, de liquidation des courants révolutionnaires.

Collinet est parti en Espagne, du front de la guerre civile il adjure la direction de la Gauche Révolutionnaire et Pivert de quitter le gouvernement. Ce que Pivert fera : la nouvelle revue du courant « Les Cahiers Rouges » publie un texte de Collinet qui dénonce la non-intervention.

Dans le numéro de janvier 1937, Pivert constate que le parti n’a plus d’autonomie par rapport au gouvernement. « Le Populaire » censure, pour la première fois, sa « tribune libre ». Il opposait les positions de principe du parti et celles du gouvernement sur les occupations d’usine, sur le service de deux ans et le surarmement.

La direction socialiste censure une tribune libre dans le populaire, 12 janvier 1937

Maurice Thorez, la question laïque et le début de la politique de la main tendue

Le 17 avril 1936, Maurice Thorez, secrétaire du Parti Communiste, faisait à la radio un appel à la collaboration « entre travailleurs communistes et catholiques », troublant le romancier catholique François Mauriac dans sa paisible retraite littéraire de Bordeaux et trouvant la proposition pour le moins incongrue. Le 27 octobre 1937, dans une assemblée d'information des militants communistes de la Région parisienne, il développait ce thème et annonçait la résolution du Parti Communiste de « persévérer dans cette politique de la main tendue aux catholiques ». Marceau mettait le doigt sur une évolution du PCF sur la question laïque, qu'il allait dans une brochure SFIO démonter point par point. Dans la période ultragauche de la 3ème Internationale, dite "classe contre classe", Maurice Thorez s'était singularisé par des positions que les gauchistes LCR, maoîstes et autres PSU d'après 1968 n'auraient pas renié, à savoir que l'école privée confessionnelle et l'école publique sont des institutions bourgeoises oppressives et reproduisant le modèle idéologique dominant. Dans la polémique contre Thorez, Marceau démontre que la position du secrétaire général est totalement étrangère à la conception du matérialisme historique, qu'il s'agit non pas d'une ouverture aux travailleurs chrétiens, qui s'étend du reste jusqu'aux travailleurs membres des Croix de Feu, mais d'une ouverture à l'Eglise et aux organisations qu'elle promeut dans le mouvement ouvrier, les tenants de sa doctrine sociale s'inspirant du pape Léon XIII et de "rerum novarum". Nous sommes en face d'une évolution du PCF qui va bien aiu delà de la stricte question laïque, il s'agit d'un glissement qui va concerner toute la politique stalinienne dans la période de la guerre ("Celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas") et ensuite des débuts de la IV ème République avec les accords avec le MRP.

Tendre la main aux catholiques ? Réponse et réflexion d’un socialiste

L’offensive de la direction SFIO contre la Gauche Révolutionnaire

La lutte pour liquider la GR a commencé. Paul Faure en donne la vraie raison: 

« Il ne faut pas croire que la Gauche révolutionnaire n'est pas dangereuse, qu'une écrasante majorité se dégagera toujours contre elle. Il y a cent mille hommes nouveaux dans le parti qui peuvent être la proie d'une démagogie facile ».

Blum confirme que l'heure est à la pause dans les réformes, tandis que se profile de plus en plus clairement la question du social-chauvinisme.

Les « crimes » de la Gauche révolutionnaire, discours prononce par Marceau Pivert au Conseil National extraordinaire du 18 avril 1937 à Puteaux


Le 1er mars, Marceau démissionne du gouvernement, en expliquant :

« Non, je ne serai pas un complice silencieux et prudent. Non, je n'accepte pas de capituler devant le capitalisme et les banques. Non, je ne consens ni à la paix sociale, ni à l'union sacrée. Et je continuerai à le dire, quoi qu'il puisse m'en coûter. »

La Gauche révolutionnaire s’inscrit alors dans un rassemblement politique extérieur au parti socialiste avec d’autres courants, des syndicalistes de la CGT, la Ligue des Droits de l’Homme, des militants pacifistes et laïques. Les travailleurs doivent s’engager sans hésiter dans l’action autonome de classe, l’appel dit ceci :  « ne vous laissez pas paralyser par la crainte de « gêner » le gouvernement. »

La fusillade de Clichy

Par la franc-maçonnerie, Marceau Pivert est au courant des sympathies d’extrême droite qui se développent dans la police. Le gouvernement de Front Populaire, malgré les mises en garde, n’a rien fait et, à la veille de la fusillade Clichy, la police parisienne est la même qu'avant le Front populaire. Le 16 mars, le PSF du colonel de La Rocque prend l’initiative de tenir un meeting à Clichy, ville de gauche depuis 1923. Le comité local du Front populaire appelle à une contre-manifestation devant la mairie. Il y a environ 10 000 manifestants et la police tire : il y aura six morts, dont une militante de la Gauche révolutionnaire du 18e arrondissement, Solange Demangel.

La direction de la SFIO saisit l’occasion pour instruire le procès de la GR. Elle se saisit du fait que dans l’exclusion de 21 dirigeants des jeunesses socialistes, Marceau s’était engagé à leurs côtés pour leur réintégration dans le parti. De plus Dormoy, ministre de l’intérieur, avance ce qui était complètement faux qu’il y avait « 200 membres de la Gauche révolutionnaire organisés en TPPS et participant à l'attaque du barrage de police. »

La direction le place devant l’alternative suivante : ou il accepte la dissolution de la Gauche révolutionnaire, ou c'est l'exclusion. Marceau accepte, ce qui lui sera lourdement reproché, en particulier par le POUM. Ce qui n’empêche nullement le courant de rebondir autrement : paraissent « les Cahiers rouges » et la section du 15ème son propre bulletin qui n’est pas autre chose que celui de la GR. 

La manifestation contre le sénat

Le Sénat vient de refuser les pleins pouvoirs financiers à Blum, celui-ci s’incline et passe la main au radical Chautemps. Devant le conseil national du PS qui se tient le 22 juin 1937, Marceau interpelle Blum en l’adjurant de résister au sénat. Celui-ci répond : « Mais ce serait la guerre civile, comme en Espagne. (...) Ne me demandez pas cela ». Une majorité accepte la participation socialiste au gouvernement Chautemps. La tension s’accroit avec la direction d’autant plus que la minorité est passée 13,5 % en mai 1936 à 16,5 %.

Cette fois-ci, toutes illusions perdues, la Gauche révolutionnaire est réellement divisée sur son avenir. Marceau Pivert lui-même signale qu'une question précise est de plus en plus fréquemment posée : « Que faisons-nous dans ce parti dont l'action et les complaisances à l'égard du capital financier et du militarisme n'ont plus rien de commun avec les principes et la charte constitutive que nous nous sommes engagés à respecter »

Au conseil national de novembre 1936, la Gauche révolutionnaire est majoritaire dans quatorze fédérations. Au conseil national de janvier 1937, elle représente plus de 17 % des voix. Et elle conquiert le 23 janvier 1937 la direction de la Fédération de la Seine, malgré le poids de la Bataille Socialiste.

Chautemps démissionne le 10 mars 1938. Le lendemain, c'est l'Anschluss : Hitler occupe l'Autriche et l'incorpore au Reich. Le président Lebrun se tourne de nouveau vers Blum et, dans le contexte de l'émotion provoquée par l'Anschluss, celui-ci tente la constitution d'un gouvernement d'union nationale. La droite refuse, mais le CN vote pour l'union nationale, y compris, Zyromski. Marceau Pivert lit à la tribune une déclaration qui condamne l'union nationale « sous quelque forme qu'elle se présente », qui, signée par 14 responsables de  la Gauche révolutionnaire, est interdite de publication dans « le Populaire »

La grève est déclenchée chez Citroën. Les amicales socialistes d’entreprises sont sommées de désavouer le mouvement. La GR diffuse un tract : « Salut aux métallos en grève. En défendant leur pain, ils protègent nos libertés et la paix »

A nouveau le sénat refuse les pouvoirs à Blum. En quelques heures à l’initiative des pivertistes un appel est lancé à la population ouvrière :

« Une poignée de vieillards au cœur sec, installés dans leur Bastille sénatoriale pour la défense de 200 familles, s'opposent systématiquement, depuis 18 mois, aux volontés du peuple. Aux ordres d'un patronat de combat qui veut en finir avec le mouvement syndicaliste et les lois sociales, leur sabotage a considérablement aggravé le désordre financier, la crise économique et la situation internationale (...), Il faut en finir. »

Le texte d'appel à la manifestation devant le sénat du 7 avril 1937

Les affiches sont collées en une seule nuit. Le jeudi 7 avril au matin, 120 000 tracts sont distribués, pour appeler à manifester au Luxembourg à 18h30. Dormoy interdit la manifestation. Ce sont 25 000 personnes qui répondent à l’appel et Pivert s’adresse à la foule juché sur une vespasienne. Il en tirera la leçon : « l'esprit de juin 36 vivait toujours au sein des masses populaires et que leur cause aurait triomphé si les dirigeants l'avaient voulu » Blum démissionne et cède la place à Daladier.

La rupture et la constitution du PSOP

Le 11 avril 1938, la CAP dissout la Fédération de la Seine : la Gauche révolutionnaire, forte de sa majorité, s’institue fédération « régulière ». Un numéro spécial de Juin 36 est aussitôt publié : « Ils veulent la dissolution pour mieux trahir, nous répondons, la Fédération continue ». Puis le 26, c'est une réunion publique qui est organisée au Moulin de la Galette : plus de 3 000 personnes s'y présentent. Le 29 mai, c'est la manifestation au Mur des Fédérés contre l'Union sacrée, dont l'appel précise : « Il s'agit de savoir si les descendants des communards vont conclure une alliance monstrueuse avec ceux des Versaillais, la Fédération de la Seine a choisi. »

La Gauche Révolutionnaire est divisée : les militants francs-maçons le conjurent de rester dans le PS. Daniel Guérin pousse à la rupture. Il choisit de se ranger à la détermination des jeunes et il est maintenant convaincu que les mesures prises contre la GR faisaient partie d’un plan plus général visant à amener le parti à l’Union sacrée. Le soir du congrès de Royan, l’annonce est faite de la constitution du PSOP.

La constitution du PSOP

Les premiers pas d’un parti mal préparé à l’autonomie

Le PSOP est donc constitué. Le manque de préparation à la constitution d’un nouveau parti va peser d’emblée. C’est d’abord  Maurice Deixonne, représentant du Cantal, qui décide de rester à la SFIO.

A la veille de la scission, la GR détenait  30 000 soutiens : seuls 7 à 8 000 vont rejoindre le PSOP. La conférence constitutive compte 171 délégués représentant chacun une section constituée, et 46 délégués « auditeurs ». Le tout représente 56 départements et 40 fédérations déjà constituées. Quelque temps plus tard, Juin 36 annoncera 280 sections (75 dans la région parisienne, 205 en province). La composition est ouvrière, une majorité d'employés et d'ouvriers du secteur public et une forte minorité de travailleurs du privé.

Le PSOP est très marqué par les courants pacifistes,  pacifisme intégral d’une part, rejetant la guerre en tant que telle, pacifisme révolutionnaire d’autre part, qui refuse la direction de la bourgeoisie nationale. Pivert est rallié au deuxième courant.

Sur l'affiliation internationale, le PSOP refuse de prendre position, y compris vis-à-vis du Bureau de Londres :

« Les Internationales existantes : la IIème vidée de tout esprit de classe et de tout internationalisme, la IIIème, au service exclusif d'un État et de sa diplomatie, la IVème caractérisée par son absence de démocratie, ne correspondent pas à l'idée qu'il se fait d'une véritable Internationale. Il réserve l'avenir et n'adhère à aucune d'entre elles. »

Le 11 juin 1938, sort Juin 36 qui devient de fait l’hebdomadaire du PSOP. Le 17 juin se tient la conférence constitutive des Jeunesses.

Le Parti Socialiste fait silence sur le PSOP. La répression gouvernementale s’abat,  Juin 36 saisi, meetings interdits, des militants inculpés pour  « incitation de militaires à la désobéissance ». Le PCF joue sa partition favorite : les militants du PSOP sont des « agents de la réaction fasciste », manipulés par les trotskystes.

Le PCF recourt aux agressions physiques : Pivert et Jacquier sont blessés alors qu’ils animent des réunions ouvrières. Les TPPS, constitués à l’origine contre le fascisme, doivent veiller à la protection des réunions du PSOP contre les staliniens.

Sur le plan syndical, le PSOP se tourne vers le « Cercle syndicaliste lutte de classe », fondé en janvier 1937. Ce qui permet d’établir des contacts en particulier avec Gilbert Serret, ancien secrétaire de la Fédération unitaire de l'enseignement et porte-parole au congrès CGT de Nantes de toute l'opposition « Lutte de classe », qui écrira régulièrement dans Juin 36.

Les accords de Munich sont diversement appréciés dans le PSOP par les deux courants pacifistes. Marceau et Collinet sont d’accord sur le fond, ils vont conforter les positions diplomatiques de Hitler en Europe. Mais il ne prendra pas le risque de déstabiliser le parti sur cette question.

Le 12 novembre, Paul Reynaud remet en cause les 40 heures, des grèves éclatent et la CGT décide la grève générale pour  le 30 novembre. Le PSOP soutient contre les hésitations des pacifistes. La grève est un échec, et elle est suivie de licenciements massifs. C’est un tournant dans la situation politique, la fin du mouvement révolutionnaire ouvert par la grève de 1936. Les effectifs du PSOP décroissent, 5 à 6000 à la fin de 1938. En septembre et octobre nait à Genève un nouvel organisme international, le FOI (Front Ouvrier International contre la guerre). Collinet, soutenu par Pivert, demande un adaptation des positions du défaitisme révolutionnaire à la situation, à savoir la nature des états impérialistes rivaux, démocratiques et fascistes, ne permet pas de les renvoyer dos à dos. Si tous les représentants considèrent qu’une nouvelle internationale est désormais nécessaire, aucun rapprochement ne sera proposé en direction de la IVème internationale qui vient d’être constituée en septembre.

Les relations avec Trotsky et les trotskystes face à « la guerre qui vient »

Le POI (Parti Ouvrier Internationaliste), section française, avait proposé au PSOP la fusion. Le conseil national du PSOP des 17 et 18 décembre, décline. En particulier Marceau. Trotsky écrit à Pivert. Il constate la concordance des analyses. Le 26 janvier 1939, Pivert répond à Trotsky. Sur l'analyse de la période et sur les tâches - la formation d'une avant-garde révolutionnaire- il constate l'accord. Mais il est en désaccord sur les méthodes d’organisation et le fonctionnement du parti. Il propose  l'entrée individuelle des trotskystes dans le PSOP.

Lettre de Marceau Pivert à Léon Trotsky, janvier 1939

Trotsky s’offusque du ton employé par Pivert dans sa réponse, tout en conseillant à ses camarades d’entrer dans le PSOP aux conditions posées par sa direction. Après avoir écrit qu’il partageait les mêmes analyses que Marceau dans sa première lettre, il poursuit en écrivant à Guérin pour souligner cette fois des divergences de fond.  En fait Trotsky n’accepte pas la position qui est celle de Pivert et aussi d’une certain nombre de courants et organisations à l’échelle internationale, qui se dégagent sur la gauche de la social-démocratie mais qui déclinent ou déclineront l’offre de Trotsky d’une nouvelle internationale. Non que celle-ci ne soit pas une nécessité mais la fraction trotskyste qui proclame en septembre 1938 la IVème Internationale à Périgny sur Yerres en région parisienne, Pivert la considère comme une internationale autoproclamée. Et Trotsky va revenir à nouveau sur la question de l’appartenance à la franc-maçonnerie, qui est pour lui ce qui le sépare objectivement  de la révolution prolétarienne. On ne peut à la fois combattre la politique de collaboration de classe du Front Populaire et en même temps « demeurer dans un bloc "moral" avec les chefs de la bourgeoisie radicale ».

Lettre de Trotsky à Daniel Guérin, 10 mars 1939

En fait le PSOP s’est constitué à la fin de la crise révolutionnaire de 1936, désormais c’est la guerre qui se profile et la politique des directions ouvrières sombre dans le social-chauvinisme : ce n’est pas une situation particulièrement idéale pour construire une organisation révolutionnaire, la situation est plus propice à mettre en avant ce qui divise plus que ce qui unit. Juin 36 vient de titrer : « La guerre qui vient ».

A nouveau la question de la franc-maçonnerie

La fraction trotskyste pousse pour mettre à l’ordre du congrès la question de l’appartenance à la franc-maçonnerie. Etais-ce la meilleure manière de faire avancer le PSOP ? Les cadres politiques qui ont fondé le PSOP sont issus d’un parti ouvrier parlementaire, à l’époque la franc-maçonnerie est particulièrement influente, cela fait partie de la complexité du problème. L’offensive vise surtout Pivert qui était un dignitaire de l’ordre. C’est l’hôpital qui se fout de la charité, car si les trotskystes intervenant dans une organisation qu’elle soit politique, associative ou syndicale, sont soudés par une discipline de fraction, une solidarité secrète s’exercent aussi le plus souvent entre eux.

Si le groupe Rous-Craipeau rédige un rapport de quarante et une pages contre la compatibilité entre l'appartenance au PSOP et l'affiliation à la franc-maçonnerie, le groupe Frank-Molinier est un peu plus raisonnable en expliquant :

 « Je l'ai dit à Rous : je ne comprends pas, vous êtes entrés de manière très tactique dans le PSOP, avec l'idée de constituer une gauche un peu large, de constituer un bloc avec Guérin, avec Weitz, avec quelques autres, jusqu 'à la femme de Hérard je crois, et vous vous saisissez d'emblée de l'élément le plus explosif et qui exacerbe le plus les autres (...). Si vous rentrez là-dedans, vous définissez (...) les sujets les plus à même de sensibiliser les gens, (...) Pourquoi sauter à pieds joints, d'entrée de jeu, sur cette affaire de franc-maçonnerie, qui aboutit plus ou moins à faire exclure Pivert du mouvement ? »

Et Daniel Guérin qui était à l’époque plus proche de Trotsky que Pivert ajoute : « En des temps d'extrême tension internationale, un tel débat était-il opportun ? »

La manière dont la question de l’appartenance à la franc-maçonnerie est posée risquait de faire tout simplement exploser le PSOP. De plus cette offensive, qui était dirigée par Trotsky lui-même, par ailleurs auteur de la 22ème condition secrète d’adhésion à l’Internationale Communiste en 1920, ne prend absolument en compte un aspect non seulement de la personnalité de Pivert, mais de la façon dont une génération de cadres politiques, dans le mouvement ouvrier occidental, sont venus à l’engagement révolutionnaire. Au début de sa vie militante Pivert se construit comme un républicain radicalisé, conjointement dans la maçonnerie et la Libre Pensée puis dans le mouvement ouvrier. Suite à cette expérience il considère que les valeurs laïques et républicaine, édifiées par une bourgeoisie progressiste, ne peuvent être défendues jusqu’au bout que par le prolétariat révolutionnaire. C’est le sens de son évolution vers des positions révolutionnaires, à la faveur de la crise de 1936. Mais il intègre dans cet engagement révolutionnaire la défense des positions humanistes léguées par la maçonnerie progressiste et l’héritage du XVIIIème siècle. Pour Pivert ce sont deux lumières qui se complètent. Pivert répondra lors du congrès du PSOP sur la question de son engagement maçonnique dans les termes suivants :

« C'est aussi parce que je crois servir au maximum les intérêts du prolétariat et de l'humanité toute entière en poursuivant ma tâche sur deux plans, comme je le fais librement depuis vingt ans faire comprendre aux franc-maçons que leur idéal de fraternité universelle ne peut prendre une forme concrète à notre époque qu'à travers le processus d'une révolution prolétarienne internationale, à laquelle ils doivent participer pour détruire le système capitaliste et construire le socialisme. Faire comprendre aux travailleurs organisés que leurs aspirations révolutionnaires ne peuvent atteindre définitivement leur but qu'à la faveur d'un effort permanent d'observation scientifique des faits, d'autocritique, c'est-à-dire de laïcité philosophique ou de libre examen. »

Réponse sur l'appartenance à la maçonnerie

Contre l’Europe brune mais avec les méthodes du mouvement ouvrier.

Le deuxième point en discussion sera la question de la guerre. Pivert va prendre ses distances avec le pacifisme intégral. Il faut aussi comprendre que la question du pacifisme dans la SFIO s’est développée de manière tout à fait significative aux lendemains de la grande boucherie de 1914-1918 et qu’elle fait partie de l’identité d’une génération venue à l’engagement politique sur la base de l’expérience de la guerre. Pivert reconnaît dans la situation de 1938 que le mot d’ordre de « révolution d'abord (...) n'aurait pas aujourd'hui l'efficacité souhaitée ». Il rejoint Collinet qui rejette l’union sacrée et maintient la lutte révolutionnaire dans la guerre impérialiste. Mais il fait la différence entre fascisme et démocratie bourgeoise : « L'axe est non seulement impérialiste, mais destructeur du mouvement ouvrier ». Il faut entrer dans la guerre contre le fascisme, mais avec les méthodes de la lutte des classes, et en préservant l'indépendance des organisations ouvrières : « il faudra au besoin construire un cartel avec les démocrates bourgeois, s'ils luttent vraiment avec nous, pour ce qui nous reste de libertés démocratiques et syndicales. »

La position de Pivert s’était manifestée lors de la réunion du FOI du 30 octobre 1938 et dès l'assemblée parisienne d'information du 27 mars 1939. C’est un tournant significatif, l’heure est à lutter contre l’Europe brune mais avec les méthodes du mouvement ouvrier.

Le PSOP et le trotskysme

Il reprend la plume pour écrire à Trotsky pour expliquer que dans une période d’effondrement du mouvement ouvrier, l’objectif est de regrouper avec souplesse toutes les forces ouvrières opposées à l’union sacrée.

L’exil aux USA puis à Mexico

Dès lors le PSOP se prépare à la guerre et à la clandestinité. Au moment où Pivert s’embarque le 23 août 1939 pour New York, sur mandat du PSOP, il apprend la signature du pacte germano-soviétique et rédige un article où il met en garde contre une vague de répression qui ne manquera pas de venir avec cette nouvelle trahison des staliniens. Il demande au général de Gaulle de reproduire l'appel du FOI et de « le diffuser largement, surtout en allemand et en français, par tous les moyens dont vous disposez ». Sans réponse à son courrier, Il réitère sa proposition Le 18 août. Il ajoute : « Ne pouvez-vous pas tout au moins autoriser les aviateurs socialistes (il y en a) à emporter notre matériel politique en même temps que vos bombes ? » Le général se contentera de faire lire quelques extraits de l’appel du FOI à la BBC.

Son séjour à New York prend fin. Le 8 avril 1940, Pivert est à la tribune d’un meeting du Parti socialiste américain, avec Angélica Balabanoff. Le gouvernement américaine lui signifie que son permis de séjour ne peut lui être renouvelé. Lazare Cardenas, président du Mexique, lui accorde l'asile politique. Le Mexique est alors le refuge de beaucoup de militants antistaliniens, dont Gorkin du POUM et bien sûr Trotsky. Ni l’un, ni l’autre, malgré leurs appréciations assez similaires sur la guerre et sur ce qu’il convient de faire, ne feront le premier pas pour se rencontrer. Le 20 août au soir, un voisin journaliste vient lui annoncer l'assassinat de Trotsky. Il ne reverra pas « le vieux ». Il fera partie de la garde d'honneur auprès du cercueil.

Il écrira :

« Trotsky : le plus grand révolutionnaire de notre époque. Visite au corps embaumé, découvert, paisible. Défilé lent et silencieux, ininterrompu. Quelques rares drapeaux, celui du syndicat du bâtiment, rouge et noir, anar. L'après-midi, nous assurons une garde d'honneur avec Julian. Puis interminable défilé de voitures. A la levée du corps, Nathalie, misérable silhouette noire, affaissée et pleureuse. Des photos, des caméras, la foule. Une Internationale. Des cris en faveur de la IVème Internationale. Une population ouvrière curieuse et morne. (...) Au cimetière, trois discours médiocres, Goldmann, un intellectuel trotskyste mexicain et un de Munis, sonore et vide. On avait demandé à J. (Julian), mais sans doute « la fraction » s'y est opposée. L.D. est encore plus mort qu'on ne l'imagine et ses dernières paroles en faveur de la IVème ne donneront pas vie à ce petit groupe sectaire. »

L’assassin  s’appelle Ramon Mercader. Il est le fils de Caridad Mercader, qui fut longtemps membre de la SFIO, dans la section du 15e arrondissement, celle de Pivert. Caridad joua le rôle d'une pivertiste convaincue, alors qu'elle était un agent du GPU en France. Comme quoi Staline, et son émissaire français Jacques Duclos, avaient un œil très attentionné sur Marceau.

Marceau maintient le lien avec Daniel Guérin ; ce dernier installé à Oslo, continue l’activité du FOI et fait des efforts pour avancer avec les militants de la IVème internationale, jusqu’à son arrestation et celle de Modiano fin 1940.

« Où va la France ?»

A peine arrivé au Mexique Marceau écrit un livre intitulé « Où va la France ? » et qu’il termine le 28 juillet 1940. Le titre est significatif ; au moment où commence la grande crise ouverte par les événements du 6 février 1934, Trotsky avait rédigé un livre portant ce même titre.

Sur l’URSS, Marceau écrira :

 «  Nous voulons préciser notre désaccord avec l'interprétation trotskyste du phénomène soviétique. Certes, la propriété privée capitaliste a disparu. (...) Le prolétariat russe n'est pas exploité de la même manière que le prolétariat britannique, mais il est exploité. (...) La bureaucratie stalinienne confisque à son profit toute la plus-value collective. (...) Nous classerons donc résolument l'URSS dans le deuxième camp, celui des États totalitaires. Le pacte Hitler-Staline n'a fait que mettre en lumière les convergences des intérêts des deux bureaucraties spoliatrices. »

Un certain nombre de marxistes français, notamment le courant « Socialisme ou Barbarie » de Castoriadis, considère le régime économique et social de l’URSS comme un capitalisme d’Etat. Trotsky et les trotskystes défendront la caractérisation d’un état ouvrier bureaucratiquement déformé ou dégénéré ; la révolution politique pourra réinvestir les conquêtes d’Octobre 17 et chasser la bureaucratie.

Les forces de ce troisième camp, explique-t-il, ne peuvent que croître de semaine en semaine. La victoire finale se jouera entre le deuxième et le troisième camp, tant la victoire du premier - le camp « impérialiste-démocratique » - semble improbable. Que faire, donc ? D'abord, il faut que les « antifascistes prolétariens » s'organisent de manière autonome et que se regroupent les minorités révolutionnaires.

Il revient sur l’expérience du Front Populaire et dresse un état des représentations du mouvement ouvrier français très caustique, sauf pour Blum. Les qualités intellectuelles et humaines de l’homme continuent à exercer sur Marceau une influence, même si in fine, il mérite de comparaître devant un tribunal populaire pour trahison.

Sur les chefs du mouvement ouvrier français

L’heure est à regrouper les courants ouvriers, sur quelles bases ? les masses « revendiquent d'abord et avant toute chose la disparition des « agents de l'étranger ». D’abord œuvrer pour reconquérir l’indépendance nationale, sans pour autant que le PSOP se fonde dans les FFI. Toutefois il faut reconnaître que « le général de Gaulle joue un rôle objectivement révolutionnaire » Il estime « extrêmement irresponsable » de « parler de collaboration avec de Gaulle avant d'avoir reconstitué le parti et le mouvement syndical indépendant ». Il faut constituer des « groupements de résistance » (« Alliance ouvrière et paysanne, Cercle de résistance républicaine, Comité de lutte pour la libération nationale et sociale : l'étiquette importe peu »), on n’évitera pas le fait que la majorité se reconnaîtra dans ce que dit le général De Gaulle. Marceau fixe pour la libération les contours d’un gouvernement d’alliance ouvrière et paysanne.  Le pacte germano-soviétique s’applique, Marceau rejette toute alliance avec les communistes ainsi qu'avec les néo-socialistes, partisans du collaborateur Marcel Déat et les pétainistes. Quant aux gaullistes, elle réaffirme que, malgré la frontière de classe, sur la question de la libération nationale, « des actions communes peuvent et doivent être envisagées ».

Le déclenchement de l’opération Barbarossa et l’entrée des troupes allemandes sur le territoire de l’URSS va changer la situation.

Dans la pensée de Marceau on va passer de la caractérisation de l’URSS comme Etat totalitaire à la défense des conquêtes de la révolution d’octobre, qui est plutôt une position proche de Trotsky. Cela ne veut pas dire défendre la politique de Staline qui engage les PC dans un soutien à l’Union sacrée avec leur propre bourgeoisie, mais œuvrer pour le rassemblement des organisations prolétariennes contre Hitler et avec les méthodes du mouvement ouvrier. « Je referais, explique Marceau, les démarches que j'ai faites et provoquées le soir du 6 février ».

Les exilés au Mexique , calomnies et agressions staliniennes

Parallèlement à ce travail sur la situation française, Marceau participe à la constitution d'un Comité d'aide aux victimes du fascisme, promu par les exilés politiques à Mexico, particulièrement ceux du POUM. Ils ne cessent de débarquer. Le 5 septembre c’est l’arrivée de Victor Serge. Militant antistalinien, déporté 3 ans à Orenbourg pour son soutien à l’opposition de gauche de Trotsky. Libéré d’URSS en 1936 après une campagne de solidarité internationale, il rejoint Trotsky quelques mois, rompt avec lui et se rapproche du POUM. Il fait la connaissance de Pivert. Lors de sa première conférence de presse, les staliniens agressent physiquement la réunion. Les staliniens mexicains écrivent :

« Le deuxième personnage (...) est le disciple préféré de Jacques Doriot (...) : M. Marceau Pivert. Cet agent hitlérien français, qui a organisé à Paris une petite scission dans le parti socialiste, est le pacifiste intégral qui s'est félicité de l'accord de Munich et (...) a inventé la formule "Mieux vaut la servitude que la mort" (...) Formule inspirée par Doriot, de la Légion française qui lutte contre la Russie, et par Marcel Déat, auteur du célèbre article "Mourir pour Dantzig". Marceau Pivert est l'organisateur d'un syndicat d'enseignants et du syndicat des PTT qui sont les deux piliers sur lesquels s'appuie en France la propagande de Hitler (...), collaborateur assidu du journal de Doriot, et au service des Croix-de-Feu. »

Le 4 janvier 1942, le plénum du Parti communiste mexicain appelle à la « suppression » de Pivert, Serge et Gorkin. Sept députés communistes demandent qu'ils soient internés dans un camp de concentration ou expulsés. Et le 31, les staliniens interdisent à Pivert l'entrée au congrès antifasciste se tenant à Mexico. Ils s'en prennent alors à la maison d'édition fondée par Gorkin et Pivert et organisent un meeting « contre la maison d'édition nazie Quetzal », alors que tous les ouvrages de cette petite maison d’édition sont consacrés à l’antifascisme.

Les conquêtes d'Octobre

Retour à la situation française, le travail du groupe de « l’Insurgé » dans la résistance

Marceau est resté en contact avec l'ouvrier électromécanicien Marie Fugère, qui était secrétaire départemental du PSOP, et responsable des groupes d'entreprise du Rhône.  En mars 1942 commence une expérience réelle d'insertion dans la Résistance menée par des pivertistes avec le journal « l’Insurgé ». Le comité de rédaction du journal est animé par deux militants du PSOP et trois de la SFIO. Il propose d’écrire un appel, « quelque chose de politique sur la situation, les suggestions, les perspectives. Les trotskystes l'ont fait, pour une poignée de militants, ils tiennent et ils ont envoyé une thèse qui se discute. » A propos du PCF, il ajoute : « il faut pratiquer le front unique antifasciste, même avec le diable, mais il faut se protéger comme de la peste des illusions qui nous ont déjà coûté cher, au sujet de ce que l'on peut attendre des staliniens 100 % (...). Il faut d'abord constituer le front unique des militants honnêtes. » Lyon est alors un centre politique de la résistance organisée, à la demande que font les militants lyonnais de le voir rentrer en France, il répond que ce n’est pour l’instant pas possible. Quelques semaines après, il écrit au PSOP : « Est-ce que les contacts avec Lyon ont été établis ? Il faut aider ces braves copains et surtout les conseiller pour qu'ils soient prudents. » Avec la ligne éditoriale du journal il y a un accord assez large sur la liaison entre la libération nationale et la libération sociale, et sur la nécessité d'accords ponctuels avec la résistance « bourgeoise ». Par contre sur l’URSS, Marceau perçoit mal ce que va signifier l’engagement des militants communistes après la rupture du pacte germano-soviétique, et sur l’image que la résistance FTP va donner et sur la place de l’URSS. « L’insurgé » écrit :

« La Russie, quoiqu'on en dise et quelles qu'aient pu être ses erreurs, est un des piliers de la civilisation nouvelle. Aujourd'hui elle est plus, elle est le pivot de la révolution sociale. Foin de toutes les querelles de tendances. Peut-être, un jour, certains ont-ils médit de la Russie. Le peuple ouvrier est prêt à tout donner pour elle, pour le triomphe du socialisme, et ce jour viendra, nous le préparons. »

Pivert est réservé sur les opérations armées, le journal défend la jonction entre les luttes sociales d’entreprise avec les maquis, qui regroupent les réfractaires du STO. Les maquis, dit-il « représentent un potentiel révolutionnaire considérable. Il dépend du mouvement ouvrier d'en faire une avant-garde de la révolution montante. »

Le petit groupe de l’Insurgé diffuse des tracts appelant à la grève générale contre le départ des ouvriers en Allemagne, incendie le fichier de l'inspection du travail, se spécialise dans les faux papiers grâce à un graveur du PSOP de Clermont-Ferrand et organise des sabotages, notamment à l'usine LMT sur du matériel radio, aux établissements Zénith sur des carburateurs. Le mouvement Combat propose d'intégrer « L'insurgé », en lui confiant la rédaction, dans son propre journal, de la page syndicale, et lui verse 25 000 F pour financer leurs activités. Mais il faut souscrire à la devise à laquelle s’est rallié Combat : « Un seul chef: de Gaulle ». A l'unanimité, la direction de L'Insurgé refuse et rend les sous. Le réseau se développe : on note des liens à Trévoux, avec Alamercery, le Père de Suzanne Nicolitch, à Montpellier avec Trégaro et l'instituteur syndicaliste Marcel Valière, à Clermont-Ferrand avec Gilles Martinet, à Toulon avec Lucien Vaillant, dans une dizaine d'autres villes encore.

Dans sa correspondance Pivert souligne de meilleures relations avec les trotskystes, rejette la résistance stalinienne, notamment les actions exemplaires aboutissant aux prises d’otages, engage à entrer avec les éléments actifs du Comité d'action socialiste (CAS), que vient de fonder Daniel Mayer, mais  « sans céder à leur idéologie nationaliste ».

« L'Insurgé », quant à lui, a mis sur pied un centre à Annecy organisant tous les soirs l'acheminement vers les maquis de Haute-Savoie. Quelques semaines après l’arrestation des principaux responsables de la résistance à Lyon, particulièrement celle de Jean Moulin, la répression s’abat sur l’Insurgé. Fugère est arrêté, en compagnie de plusieurs responsables méridionaux, et déporté à Buchenwald.

Regrouper les courants révolutionnaires émigrés à Mexico

Marceau s’occupe à nourrir le débat politique entre réfugiés à Mexico, de dépasser les divergences présentes et élaborer pour anticiper l’après-guerre. C’est alors que surgit l’affaire des deux socialistes de gauche, Alter et Ehrlich, dirigeants du Bund polonais qui avaient été les organisateurs de l’insurrection de Varsovie. Venant de trouver refuge auprès de l’Armée rouge, ils sont assassinés sur ordre de Staline. Les exilés de Mexico organisent un meeting de protestation et ils sont violemment attaqués par les staliniens locaux. Marceau écrira : « Nous sommes arrivés à la conclusion aujourd’hui définitive qu’il n’y a rien à faire avec les stalino-fascistes, absolument rien »

Les exilés créent une « Commission des groupes socialistes indépendants », « Socialisme et liberté » regroupant une douzaine d’organisations, de tonalité assez libertaire et très remontée contre les forfaits du stalinisme au Mexique.  

Quand sonne l’heure de la Libération, Marceau est favorable à la reconstitution du PSOP. Beaucoup de choses se passent au sein des organisations traditionnelles, les jeunes hommes issus des mouvements de résistance sont à l’œuvre. Ainsi Henri Barré, ex-pivertiste, est élu à la constituante. La fédération de la Seine de la SFIO est reconquise par un groupe d’anciens du PSOP. Marceau se pose alors le problème de lier le combat des exilés de « Socialisme et Liberté », l’Insurgé lyonnais avec le développement dans la SFIO d’une aile gauche, visiblement à l’initiative d’anciens de la Gauche Révolutionnaire ou du PSOP. Il faut garder un œil aussi sur ce qui se passe dans le PCF.

Marceau rentre très fatigué du Mexique, il consulte et le verdict tombe, il est malade du cœur et doit se reposer et avoir moins de responsabilités.

L’impossibilité actuelle d’une nouvelle internationale et le retour à « la vieille maison »

Il va se rendre compte assez vite que la situation en France et en Europe n’est pas exactement conforme à la représentation qu’en donnaient les exilés mexicains. L’ILP (Parti travailliste indépendant), cheville ouvrière du bureau de Londres, rejoint le parti travailliste, c’est la fin du projet de constituer une nouvelle internationale. Il se rend compte que « l’Insurgé », malgré des positions méritoires, représente une toute petite force. De Mexico avec ceux du POUM, Marceau pensait que le régime franquiste s’effondrerait. Enfin le parti communiste représente une force considérable, des solidarités profondes se sont nouées dans la résistance. Pivert demande sa réintégration dans la SFIO. Après bien des péripéties, ce sont les fédérations qui ont combattu les positions de Daniel Mayer, l’aile droite du parti, qui voteront la réintégration.

La fédération de la Seine

Pivert tire du 38ème congrès un bilan positif, il est de nouveau sur la ligne du courant gauche dans la SFIO alors que Fugère de « l’Insurgé » n’est pas convaincu de l’utilité de ce travail ; il est plus favorable à rassembler les forces révolutionnaires qui sont éparpillées dans plusieurs organisations. Dans les mois qui suivent la libération, il y a effectivement une effervescence politique à gauche et à l’extrême gauche. Les éditoriaux de Combat ne titrent-ils pas pour une révolution sociale ? Pour Marceau il faut renforcer la base ouvrière du parti. En revanche Fugère écrit :

« Il n’est plus possible, à la plupart d’entre nous, de suivre le PS dans son révisionnisme de fait, dans sa participation au pouvoir, dans ses hésitations et ses concessions, dans la confusion qu’il fait entre sa cause et celle de la bourgeoisie. Quelles que soient nos différences, nos divergences même avec le PCI, avec les groupes libertaires, comme avec l’Action socialiste révolutionnaire et le Rassemblement démocratique révolutionnaire, dont nous sommes plus proches, notre devoir (…) est (…) d’essayer d’arriver à une entente. »

Marceau crée en janvier 1947 Correspondance socialiste, dont l’objectif est clair : « Faire circuler à l'intérieur du parti des informations et des précisions destinées à rendre plus fructueuse la discussion préparatoire du congrès national ». Cette publication deviendra Correspondance socialiste internationale et paraîtra durant onze ans. Il entre au Comité directeur le 17 août 1947, et s’il se défend de vouloir reconstituer une tendance, il organise de fait ses amis en fraction.

Les tentations de la guerre froide

Le retour à la « vieille maison » représente en fait un infléchissement sur la droite, notamment par la rupture des relations avec le PCF : rappelons qu’en 1947 ce dernier, après les législatives de 1946, est au sommet de sa puissance ; il représente, poussé par le rôle joué dans la résistance, un tiers du corps électoral et rassemble officiellement 800 000 adhérents. Pivert défend pour les municipales une tactique dite autonome. Lorsque les socialistes sont minoritaires au sein d’un conseil municipal, ils ne votent ni pour le PC, ni pour les gaullistes et se maintiennent. En conséquence les gaullistes appelleront dans un certain nombre de ville à voter pour les minoritaires du PS, afin de mettre le PC en minorité.

La fédération de la Seine soutiendra la grève Renault de 1947, en raison du fait que la présence des ministres communistes au gouvernement les conduit à condamner le mouvement. Mais, après le départ du PCF, sous le gouvernement de Ramadier, Marceau condamne la grève et Jules Moch envoie les CRS et l’armée. L’antistalinisme de Marceau prend cette fois une dimension anticommuniste. Cette politique ne permettra pas à la fédération de la Seine de se renforcer, au contraire elle perdra de plus en plus d’effectifs. Jusqu’en 1949, il va se tenir aux côtés de Guy Mollet. Les jeunesses socialistes qui avaient soutenu la grève Renault contre Ramadier et la politique coloniale sur l’Indochine sont exclus. Il approuvera. La conséquence c’est qu’il perdra toute audience dans la jeunesse, car 80% des JS suivront son principal dirigeant Dunoyer exclu pour collusion avec les trotskystes du PCI. L’hémorragie continue. Dechezelles, le secrétaire général adjoint qui avait soutenu les Jeunesses, quitte la SFIO en décembre 1947, et constitue l'Alliance socialiste révolutionnaire. Les anciens de la Bataille Socialiste n’approuvent pas la ligne d’autonomie contre le PCF, il sont exclus ou s’en vont : en septembre 1948, ils créent le Parti Socialiste Unitaire.

Le 26 février 1948 lors de la création du Comité pour le rassemblement démocratique et révolutionnaire, soutenu par Sartre, Camus, Bourdet et Rousset, huit dirigeants socialistes sont signataires. Marceau obtient du Comité Directeur la condamnation de la double  appartenance et fait pression pour que la SFIO ne réponde pas à la proposition du RDR de tenir un meeting commun.

En collant à la direction molletiste, Marceau revient à la tradition guesdiste de la SFIO : tenir un discours gauche et agir à droite. Dans les conférences qu’il donne alors, l’approfondissement des questions théoriques et le ralliement au matérialisme dialectique contre les positions que Blum avait développé dans la crise de 1936 ne doit pas faire illusion.

La question coloniale

Mais l’histoire, à travers la question coloniale, va une nouvelle fois lui mordre la nuque. Comme Yves Dechezelles, il combattra pour que Ho Chi Minh soit reconnu comme interlocuteur du gouvernement français, sa qualité de stalinien ne changeant rien à la réalité de ce qu’il représente. Son ami Caput, instituteur, mandataire d’une mission culturelle en Indochine, et militant anticolonialiste, jouera un rôle dans l’évolution de Marceau. Malgré les mises en garde de Caput, le gouvernement s’engagera dans l’offensive guerrière mais le Viet Minh commencera une offensive victorieuse. Caput écrira à Marceau :

«  Inutile de te dire que j'ai renoncé définitivement à toute action politique au sein de ce parti qui, depuis longtemps, ne garde de PS-SFIO que le nom (...). Affreusement écœuré, et impuissant devant tarit de trahisons et de lâchetés, j'abandonne un parti que ses chefs ont tellement disqualifié qu'il n'a même plus la chance de renaître (...). Je ne t'engage pas (...) à les sacrifier (tes forces) à un parti qui ne vaut plus qu'on s'attache tant à lui. »

Suite à l l'insurrection de 1947 la répression s'abat sur la gauche malgache. Marceau demande la levée des inculpations, mais la SFIO s’abstiendra au parlement sur cette demande.

Lors du « Congrès des peuples d'Europe, d'Asie et d'Afrique contre l'impérialisme », qui se tient du 18 au 22 juin 1948, à Puteaux, Marceau et Jean Rous en sont les principaux animateurs. Trente-huit organisations sont représentées, dont dix-huit appartenant au courant socialiste. La SFIO quittera la réunion lors de la première session. La réunion fonde le « Congrès des peuples contre l'impérialisme ».

Sur la question de l’Algérie il soutient au départ le « statut », comme Camus et d’autres intellectuels.  Progressivement  ses sympathies vont aller vers le courant messaliste, du nom de son dirigeant Messali Hadj.

La question de l’Europe 

Pour une Europe socialiste

Les difficultés de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier

Globalement sa position se réfère à  la perspective des Etats-Unis Socialistes d’Europe : 

« L'unité de l'Europe doit être basée sur le socialisme libertaire (...). Mais il est également indispensable que l'évolution économique donne issue à une économie planifiée. (...) Les États Unis socialistes d'Europe (...) seront un instrument efficace pour assurer l'amitié avec et entre les peuples des USA et de l'URSS. »

Les 21 et 22 juin à Montrouge, sur initiative de la Fédération de la Seine, un vaste réseau international se constitue où l’on compte les représentants du PSI de Nenni, d’Angelina Balabanoff de l’Espagne, de Solano du POUM, des militants de Grèce, de Yougoslavie, de Grande Bretagne, des éléments extérieurs au courant socialiste, Charles Hernu, Maurice Joyeux, les trotskystes, Emmanuel Mounier. Ainsi nait le Mouvement pour les États Unis socialistes d'Europe (MEUSE), dont Marceau est le président. En réponse à cette initiative Guy Mollet annonce la couleur: « Notre solution est de faire les États Unis d'Europe, avec l'espoir de faire les États Unis socialistes d'Europe ». Et Marceau écrira :

« Si (...) l'économie européenne reste dans le cadre capitaliste, il est évident que les classes européennes revitalisées se mettront au service du grand capitalisme américain (...) un complexe américain d'Europe sera créé. »

Depuis Mexico Marceau était favorable à une troisième force, qu’il voulait orienter dans le sens d’une Europe socialiste, mais les rapports de forces mondiaux vont s’imposer et Marceau écrira fort justement après les législatives de 1946:

«  Le réflexe de beaucoup d'électeurs MRP (...) c'est l'évasion vers une position intermédiaire entre le bloc anglo-saxon et le bloc soviétique, entre le bloc de la dictature du capitalisme financier et la dictature de la bureaucratie stalinienne. Il y a tout de même beaucoup de gens qui ne veulent ni de l'un, ni de l'autre, et dans toute l'Europe. Mais comme les socialistes n'ont pas su et les communistes pas pu proposer une politique claire de troisième front, c'est le christianisme social qui a gagné. »

Contre ce qui se décide au sommet de l’Etat, Marceau oppose la nécessité de structurer la troisième force en comités locaux. Deux appels qu’il cosigne sont  lancés, l’un avec une centaine de politiques, de syndicalistes et d’intellectuel pour une troisième force, l’autre avec Sartre, Camus, Bourdet et Merleau-Ponty qui fixe l’objectif d’ « une révolution socialiste et le remplacement de la propriété privée des moyens de production et d'échange par la propriété collective réelle » Mais la politique menée par le gouvernement, tant sur la question coloniale que sur la question laïque, nous sommes au début de l’offensive visant à financer l’école catholique, vont donner à cette troisième force des contours inacceptables : l’ouverture au RPF, soutenue par le MRP, va mettre fin à l’initiative.

De ce fait les rapports avec Guy Mollet vont se dégrader. De plus, Marceau demande un surcroît de vigilance quant aux influences staliniennes qui s'exercent sur différents partis socialistes, en particulier dans les pays du bloc de l’Est, où les gouvernements mettent en place des PS officiels, que l’internationale socialiste a le tort de reconnaître. Autre point de divergence, Marceau est hostile au pacte atlantique qui va privilégier la course aux armements, sortir l’Espagne franquiste de son isolement et compromettre la reconquête socialiste dans les pays sous domination stalinienne. Sur cette orientation il est totalement isolé dans la direction de la SFIO.

A propos des relations avec les militants communistes pendant la guerre

Je veux bien prendre en compte la situation spécifique de la résistance et les solidarités nées entre militants d’organisations différentes dans la lutte contre le nazisme, les camarades qui tombent au combat ou qui sont déportés dans les camps de la mort (Nuit et brouillard) pour être passés à la résistance armée. Marceau n’a connu au Mexique que la répression stalinienne, les agressions physiques, l’assassinat de Trotsky, les exactions et les méthodes de voyous du Parti Communiste mexicain et de Siqueiros. Ce point est souligné à plusieurs reprises par Jacques Kergoat. Certes. Mais les solidarités que le PCF a soutenu dans les maquis concernent l’alliance entre les partis ouvriers et les partis bourgeois, les démocrates-chrétiens et l’appareil clandestin de l’armée secrète dirigée par les gaullistes. Le PCF a combattu les  internationalistes ; la faiblesse de ces courants a fait que les choses n’ont pas pris la proportion de ce qui s’est passé dans la guerre d’Espagne. Néanmoins les enquêtes de Pierre Brouée et Raymond Vacheron (« Meutres au maquis ») ont révélé que dans la région de Clermont Ferrand, cinq militants de la IVème Internationale, libérés avec des résistants du PCF, lors d’une opération montée par les FTP, seront fusillés sur ordre des sbires de Staline. Concernant les fusillés de Chateaubriant, la version donnée par les films et autres émissions télévisées sur cet épisode, passent sous silence que dans les 27 il y avait un responsable syndical national de l’enseignement, le trotskyste Bourhis, et le maire de Concarneau en rupture avec le PCF et sympathisant de la IVème Internationale. Ces deux camarades ont été, durant toute la durée de leur détention, mis en quarantaine sur ordre du PCF. Et on pourrait aussi parler de la troublante affaire du groupe Manouchian et renvoyer nos lecteurs au chapitre qui lui est consacré dans la biographie que Pierre Juquin a consacré à Aragon. Comme chacun le sait, l’auteur  n’a pas fait école chez les trotskystes. Et bien des faits troublants concernant la direction clandestine du PCF : Charles Tillon qui était responsable militaire des FTP a toujours refusé de transmettre le fichier des résistants communistes à Jacques Duclos. On sait aujourd’hui que ce dernier était lié à l’appareil international des tueurs de Staline dans le PCF français et qu’il avait joué un rôle de transmission dans le montage de l’assassinat de Trotsky. Le petit courant représentant les positions de Pivert durant la période de la guerre, notamment le groupe de l’Insurgé, tout en tenant compte de la question nationale et de la libération du territoire, s’est inscrit dans une orientation internationaliste et de refus de la tutelle gaulliste, défendue bec et ongles par la direction du PCF.

Des problèmes de santé qui le contraignent à réduire ses activités

A partir de 1950 l’aggravation de son état de santé le contraint à abandonner beaucoup de ses responsabilités. C’est Mireille Osmin, militante pivertiste, qui assumera de 1950 à 1954 en liaison permanente avec Marceau la direction de la fédération de la Seine. Le 3 juillet 1951 l'Internationale socialiste est reconstituée, essentiellement comme organe d’échange sur des points de vue étroitement nationaux. Nouvelle déception de Pivert qui considère que ce mode de fonctionnement, par ailleurs antidémocratique, ne permettra pas une discussion  internationale.

Néanmoins cette reconstruction ouvre la possibilité de développer une gauche de l’internationale, suite aux positions du dirigeant de l’aile gauche du Lapour Party, Aneurin Bevan .

La Tunisie

En Tunisie, le mouvement socialiste entretient de bonnes relations avec le Néo-Destour à travers une fédération locale qui a pris des positions intéressantes : elle se prononce le 11 décembre 1949 pour un « statut d'État associé l'amenant par étapes rapides vers l'indépendance au sein d'un ensemble constitué autour de la France ». La direction de la SFIO reprend à son compte cette position, mais le MRP qui contrôle le ministère de l’union française, prend des mesures répressives : le congrès du Néo-Destour  est interdit et Bourguiba est placé en résidence surveillée. Marceau propose au parti d’écrire une lettre ouverte contre ces mesures et se heurte à la direction qui préfère les négociations secrètes. Le 5 décembre, Le secrétaire de l'Union générale des travailleurs tunisiens Fehrat Hached,  est assassiné. Il s’en suit des remous sociaux qui peuvent conduire à une guerre civile. C’est l'investiture le 18 juin 1954de Pierre Mendès France qui permet d’ouvrir une discussion avec le Néo-Destour et Bourguiba. Compte tenu des positions des fédérations de la SFIO, la progression de l’anticolonialisme va se faire en France en dehors du mouvement socialiste. La question de la lutte pour l’indépendance nationale va gagner des secteurs à la gauche de l’Eglise catholique. Marceau est isolé au sein de la SFIO sur la politique coloniale. Mendès France, s’il ne partage pas par ailleurs ses positions sur le plan économique et social, représente un appel d’air incontestable. Pivert constate que « le test Mendès France a polarisé une gauche », et que quelque chose se développe à gauche de la SFIO, « analogue à ce que nous avons contribué à faire mûrir de 1933 à 1936 ». L'investiture de Mendès France « est l'expression de la volonté de paix en Indochine des masses populaires françaises ».

Retour de la question laïque

A la politique du MRP favorable au grand colonat, s’ajoute l’offensive antilaïque. S’il n’avait pas été très actif sur la bataille laïque, en raison des impératifs de la dernière période, cette fois il est vent debout contre les premières mesures d’aide à l’enseignement privé confessionnel.

Le député socialiste Paul-Boncour  qui préside une commission d’étude suggère une aide éventuelle à l’enseignement catholique. Pivert demande la dissolution de cette commission mais personne au sein du comité directeur ne le soutient.

Le 21 septembre, les lois Marie-Barangé sont votées : elles concède des bourses aux élèves de l’enseignement privé et des allocations d’études aux élèves que l’école soit publique ou privée.

Du côté des laïques la riposte est faible : alors que les APEL (Associations de Parents d’Elèves de l’Enseignement Libre) mobilisent, la politique des partis ouvriers ne va pas permettre de donner une réponse au début d’une offensive qui sera un point d’appui pour la politique scolaire qui sera imposée par la 5ème République et la loi Debré. La SFIO est engluée dans ses accords avec le MRP tandis que le PCF est sur une orientation, initiée dès 1937 par la stratégie de la main tendue, et condamnée à l’époque par Marceau dans une brochure SFIO, dite de la main tendue.

Le début de la déstalinisation

Pour Marceau, la mort de Staline, survenue le 9 mars 1953, marque le début du dégel avec le mouvement communiste. Des émeutes éclatent à Berlin-Est trois mois après la mort du dictateur. C’est le moment que Jean-Paul Sartre choisit pour écrire qu’ « un ouvrier en France et aujourd'hui, ne peut s'exprimer que dans une action de classe dirigée par le PC » et que « refuser la politique du Parti communiste, c'est faire celle du gouvernement ». Marceau répond : « Nous voyons autour de nous une Europe et un monde où, précisément, la liquidation du stalinisme par la classe ouvrière elle-même continue à ouvrir enfin de nouvelles perspectives révolutionnaires. Dommage que par sa position équivoque, J.P. Sartre soit, au cours de ce travail difficile, dans l'autre camp. »

« La forme que prendra, en Russie, la lutte de classe, dépendra de la manière dont les héritiers de Staline persévéreront dans les crimes du régime contre les libertés ouvrières, ou, au contraire, dont ils entreprendront une démocratisation : l'exemple de la Yougoslavie montre que cette évolution est à la fois possible, mais très lente et périlleuse pour le régime.»

Marceau propose à Guy Mollet un rapprochement avec le PCF.

La Communauté Européenne de Défense

L’impossibilité d’un accord entre les quatre puissances occupantes fin 1949 sur l’avenir de l’Allemagne débouche sur la création de deux Etats, la RDA sous le protectorat soviétique, la RFA relié aux états capitalistes et sous influence américaine. L’Alliance Atlantique avait déjà permis la reconnaissance du franquisme, cette fois c’est la partition de l’Allemagne. Pivert écrira : «  Les forces les plus réactionnaires, les plus contre-révolutionnaires de l'Europe, les miliciens et gestapistes, les franquistes et les nazis se trouvent peu à peu réhabilités sous prétexte de combattre le communisme. »

Dans l'hostilité socialiste à la CED, trois courants cohabitent : les nationalistes qui ne veulent pas voir disparaître la souveraineté en matière de défense, les ex-blumistes derrière Daniel Mayer, marqués par la lutte contre le nazisme dans la résistance et qui restent germanophobes, enfin un courant pro-européen, internationaliste et pacifiste auquel se rattache Pivert. Les conditions d’une Allemagne démocratiquement réunifiée, rejetant à la fois la domination américaine et le stalinisme, n’étant pas réunie, la défense européenne s’avère impossible. La direction de la SFIO fait les premiers pas en direction de cette Europe, et lors d’une commission exécutive du parti Marceau dira :

« Vous avez cru devoir céder aux sollicitations de la guerre froide. Vous êtes entré dans l'un des camps, non pas avec votre idéologie socialiste démocratique, mais avec des mobiles, un langage, une stratégie politique et militaire qui font partie de l'arsenal impérialiste. (...) Et c'est ce qui vous portera à la collaboration avec des éléments politiques qui, tout en parlant de faire l'Europe, et qui se réclament des Droits de l'Homme, trouvent en même temps tout naturel de priver des libertés élémentaires les peuples coloniaux. »

Et cette autre citation pour le moins prophétique :

« Vous croyez qu'il est possible de « faire l'Europe » sans tenir compte de son contenu. (...) Mais, en attendant, ce sont des forces sociales bien définies qui se préparent à construire des institutions nouvelles ; la réaction américaine et la réaction allemande, en particulier, travaillent en accord étroit, mais pour elles, et non pour le socialisme. Tôt ou tard, vous devrez vous rendre à l'évidence. »

La démocratie dans la SFIO et la question algérienne

Progressivement Pivert est mis sur la touche au sein de son parti. Il n’est pas réélu au Comité Directeur.

Lorsque éclate l'insurrection le 1er novembre 1954 en Algérie, le gouvernement dissout le MTLD de Messaji Hadj. Pivert participe alors  au « Comité pour la libération de Messali Hadj et des victimes de la répression ». Il intervient le 16 janvier 1955 à un meeting de ce regroupement et déclare : « que l'activité du comité conduise à la formation d'un vaste mouvement anticolonialiste et remette le mouvement ouvrier français sur la voie de l'internationalisme ». Il est désormais sur la ligne du « droit du peuple algérien à disposer de lui-même ».  En juillet, il signe, avec Barrat, Camus, Domenach, Hébert, Merleau-Ponty, Pierre Lambert et l'abbé Pierre, un appel pour que Ben Boulaïd et Ahmed Bonchenal, deux militants algériens, ne soient pas exécutés. Dans Correspondance socialiste internationale, il se prononce pour le cessez-le-feu, la négociation, les élections libres, l'amnistie.

Il fonde le 30 octobre le Mouvement pour la justice et les libertés Outre-mer (MJLOM) et soutient la formation du Front Républicain, rassemblement électoral qui rejette à la fois le MRP et le PCF. Rappelons qu’à l’époque le PCF est loin d’avoir une ligne anticolonialiste claire et qu’il votera les pleins pouvoirs à Guy Mollet. Le soutien de Marceau au Front Républicain est aussi déterminé parce qu’il pense que Mendès France peut postuler au poste de président du conseil et qu’il est à ses yeux le seul homme d’Etat capable d’avancer dans le bon sens en ce qui concerne la question coloniale. La SFIO imposera Guy Mollet  qui , après l’épisode des tomates d’Alger que lui jette les pieds noirs, va intensifier la répression. Le 12 mars le vote des pouvoirs spéciaux débouche sur l’envoi du contingent et un service militaire de 27 mois et le rappel des réservistes.

Le voyage en URSS

Les dirigeants soviétiques avaient à plusieurs reprises proposé qu'une délégation socialiste se rende en URSS à l'invitation du PCUS. La direction de la SFIO était réservée quand en février le rapport  Khrouchtchev  sur les crimes du stalinisme est rendu public par le XXème congrès. La délégation socialiste est mise en place et dans un premier temps Marceau est mis sur la touche.

Les discussions sur les problèmes de fonctionnement du système collectiviste se passent relativement calmement. Marceau était chargé d’intervenir sur les questions idéologiques et sur les libertés. Pour la délégation soviétique Chepilov répond froidement que le pluripartisme est inutile et il défend la « collaboration » entre les socialistes et les communistes en Pologne. Pivert répond : « Nous avons été conduits à classer les socialistes en deux catégories : ceux qui sont au gouvernement et ceux qui sont en prison : c'est le sort de ces derniers qui nous préoccupe le plus.» C’est alors Khrouchtchev, qui s'engage à poser le problème des sociaux-démocrates emprisonnés aux dirigeants des démocraties populaires, mais il ajoute toutefois dans la plus belle tradition stalinienne :

« Nous avons liquidé les classes. (...) Nous avons ici une société monolithique. Nous n'avons pas besoin d'un autre parti. Pourquoi voulez-vous nous mettra une puce dans notre chemise? »

Marceau  qui avait promis d’éviter les esclandres ne pourra pas cependant ce retenir lors du défilé du 1er mai : un accompagnateur expliqua à la délégation socialiste que l'Armée rouge avait été fondée par... Jdanov. Il ne supportera pas ce mensonge monstrueux occultant le rôle de Trotsky. Il écrira :

« Incident avec les anges gardiens qui nous entourent sur l'origine et le fondateur de l'Armée rouge. Je ne permets pas que l'on traite de contre-révolutionnaires les premiers compagnons de Lénine et un certain Léon Davidovitch. Mon explosion, la seule du voyage, se termine par un silence général.»

Il  note la disparition du culte de la personnalité, la volonté d’œuvrer à la paix mondiale et un effort dans le domaine de la scolarisation : « On juge un gouvernement par son attitude envers l'instruction du peuple. » L’ensemble des membres de la délégation tireront les mêmes conclusions ; il avait été convenu que chacun transmettrait ses notes à la direction du parti qui mettrait en forme une synthèse. Ce qui n’a jamais été fait.

Problèmes du socialisme quelques aspects théoriques des entretiens du Kremlin

De la démission de Mendès à celle de Savary

Mendès France démissionne du gouvernement en raison de ses divergences sur la question algérienne.

Lors du congrès de Lille qui suit, une opposition se constitue autour de deux textes : les blumistes avec Daniel Mayer, Rosenfeld et Verdier, se prononce pour la cessation immédiate des hostilités et pour négocier avec les organisations algériennes ; le deuxième est celui des pivertistes pour l’indépendance, on peut y lire : « Le temps des périphrases est révolu. Il n'y a qu'une issue à la crise algérienne : reconnaître loyalement le droit des Algériens à disposer d'eux-mêmes, c'est-à-dire, pratiquement, proclamer leur indépendance. (. ..) Négocier, pendant qu'il en est encore temps, avec les interlocuteurs valables, qui sont aussi bien Ferhat Abbas et le FLN que Messali Hadj et le MNA. » Les deux courants fusionnent et réalisent 10% des mandats.

Dans la fédération de la Seine les affrontements entre trois courants, dont deux sont favorables à l’Algérie française, aboutissent au fait que Marceau est minoritaire. Le Comité Directeur en profite pour empêcher sa réélection, puis démis de son poste de secrétaire fédéral.

En réalité la direction cherche en secret un accord avec le FLN. La situation est plus compliquée que ne la perçoit Pivert. Que des secteurs du parti, à commencer par Lacoste, soient hostiles à l'application des textes de Lille c'est bien sûr exact. Mais la direction a commencé, quant à elle, à explorer en sous-main la possibilité d'un accord avec le FLN. L’avion marocain qui transporte Ben Bella et trois chefs de la résistance algérienne est détourné. Guy Mollet couvre l’opération de police et Savary démissionne aussitôt du gouvernement. Les négociations s’arrêtent.

L'opération Mousquetaire à Suez

Lorsque le colonel Nasser nationalise le 26 juillet 1956 le canal de Suez, les travaillistes anglais puis le gouvernement socialiste de Guy Mollet et la SFIO s’y opposent.. Pivert réplique :

« Tout socialiste un peu au courant de ce qui se passe dans le monde devrait comprendre que la nationalisation du canal de Suez va dans le sens de la révolution anticapitaliste permanente. (...) La justice exige que les profiteurs capitalistes, un jour ou l'autre, soient expropriés du bénéfice de la communauté de ceux qui ont faim. Aujourd'hui Suez, demain le pétrole du Moyen-Orient : telle est la ligne de l'évolution mondiale. Les peuples ont le droit de disposer des richesses de leur sol et de leur sous-sol. (...) les socialistes sont justement les interprètes, depuis un siècle de cette revendication internationale. Reste la nécessité de libre circulation dans le canal. Nasser déclare qu'il la respectera ! Mais on peut prendre des précautions. Qui doit les prendre ? Eh bien, mais l'ONU, qui est faite pour cela. »

Et encore :

« L'Égypte vient de découvrir que l'indépendance politique n'est qu'une phase nécessaire, mais insuffisante dans le processus historique actuel. Il faut aller très vite au-delà de la destruction de la féodalité et entamer l'étape de la révolution sociale, c'est-à-dire de l'appropriation collective de l'économie. »

Rosenfeld et lui s’expriment dans Correspondance socialiste internationale en ce sens, ainsi que publiquement dans un certain nombre de périodiques. Ils sont tous deux traduits en commission des conflits. Pivert proteste en avançant que l’intervention militaire a été prise en dehors de tout mandat et de toute consultation du parti.

Lors du Conseil National des 15 et le 16 décembre Guy Mollet, en l’absence de Marceau qui n’a plus de mandat, s’en prend à lui en faisant allusion à son exil à Mexico pendant la guerre : « Des leçons de courage sur la façon de faire la guerre venant de… Mexico, ça ne m'émeut pas trop, mais enfin... » 

Marceau remet le 18 décembre sa lettre de démission du parti, et la confirme le 20 au Bureau fédéral de la Seine. Ses camarades  le convainquent de revenir sur sa décision.

Au congrès de Lille,  il avait souligné l’importance de ce qui se passait en URSS et n’avait pas approuvé l’inaction de la direction. Le 28 juin 1956 éclate les émeutes de Poznan, et le début de l’insurrection de Budapest le 23 octobre. La contagion va-t-elle gagner l’URSS ?

Le regroupement contre l’intervention de Suez et contre l’écrasement de la Commune de Budapest

Ces situations vont avoir des conséquences dans le mouvement ouvrier français : Sartre rompt avec le Mouvement de la paix, dix intellectuels communistes connus exigent un congrès, Pierre Hervé, responsable communiste, qui vient de publier son livre « La révolution et les fétiches », vient de se faire exclure.

Marceau sent qu’il est possible d’intervenir dans cette crise, il réalise en décembre 1956, un projet de bulletin « Libres dialogues » ouvrant une discussion entre oppositionnels du PCF et de la SFIO. Le groupe Lambert s’inscrit dans la même démarche : ainsi va naître  le « Comité de liaison et d'action pour la démocratie ouvrière » et son journal La Commune.  Les fondateurs venus des trois composantes politiques refusent à la fois l’écrasement de la commune de Budapest et l’opération de Suez. On trouvera dans ce regroupement Pierre Lambert et Pierre Broué, des responsables du syndicalisme enseignant, Letonturier et Chéramy, du côté des confédérés Paul Ruff et Alexandre Hébert, chez les dissidents communistes Edgar Morin et Jean Duvignaud, et du côté socialiste, Marceau Pivert et un jeune dirigeant des Étudiants socialistes, Michel Rocard. La Commune publiera six numéros, jusqu'en février 1958.

Algérie : la minorité s'organise

Dès janvier, les blumistes créent le « Comité socialiste d'étude et d'action pour la paix en Algérie ». Les pivertistes se rallient l'initiative et Marceau participe aux réunions publiques.

Marceau est à nouveau entouré d'une équipe de jeunes militants, dont Jean-Jacques Marie, futur responsable enseignant de l’OCI et historien du trotskysme. Ce dernier écrit participe à Correspondance socialiste internationale, s'affirme comme un dirigeant des Jeunesses socialistes de la Seine. Marceau veut lui confier le poste de secrétaire de Correspondance socialiste internationale.

En France les hostilités sont ouvertes entre le FLN et le MNA, suite  au massacre en Algérie de trois cents adultes du village messaliste de Melouza.  Marceau se rend à Athènes au congrès anticolonial des pays européens et du Moyen Orient. Un responsable du MNA a été invité, mais le FLN menace de quitter la réunion, et les autres délégations du Moyen-Orient font savoir qu'elles feront de même, si le MNA reste. Pivert et Dechezelles signent un texte qui fait de la présence du MNA une question de principe.

Les jeunesses socialistes sont désormais dans le collimateur de la SFIO : la direction des étudiants socialistes est dissoute, officiellement pour cause de contact avec le PC, mais bien sûr en raison des positions sur l’Algérie.    Le Bureau des JS, dont Jean Jacques Marie est le secrétaire, publie, le 4 février, avec les Jeunesses communistes et avec les jeunes de l'UGS, un communiqué qui exige, le retrait des troupes françaises d'Algérie et le retrait des troupes soviétiques de Hongrie. L’organisation est dissoute et les locaux occupés manu militari.

Vers la rupture définitive

Par la force des choses, Pivert passe de la position qui était la sienne en 1946 « hors de la SFIO point de salut », à un travail de regroupement en dehors du mouvement socialiste qui pose la question de la construction d’une force nouvelle, même s’il s’en défend en appelant à renforcer la base prolétarienne du parti :

 « Prospecter des abonnés possibles dans tous les milieux anti-staliniens et anti-néos, c'est notre fonction : là se trouve le noyau (dispersé encore) de la future avant-garde unifiée. Savoir qu'il y a et qu'il y aura : les influences catholiques de gauche, mendesistes, titistes et gomulkistes, trotskystes, nennistes etc., etc.

Mais tout cela ne doit pas nous inquiéter. Seul critère : nous travaillons avec X ou Y ou Z dans l'intérêt du renouvellement, de la renaissance du mouvement ouvrier, donc avec comme référence l'axe de marche de l'ensemble de la classe ouvrière internationale (par ex. avec les chrétiens anti-impérialistes contre les "laiques" bellicistes et colonialistes, avec la politique internationale de Tito… »

 Guy Mollet se rallie au général De Gaulle en mai 1958, c’est désormais la rupture : « Il n'est plus possible de coexister avec celui qui a choisi de servir aussi cyniquement la classe bourgeoise (...). » C’est quatre mois après la mort de Marceau que la totalité des pivertistes et l’équipe de Correspondance socialiste internationale quittera la SFIO et s’associera à la fondation du PSA.

Dans la nuit du 2 au 3 juin, Marceau s'éteint. Depuis longtemps il avait réglé la manière dont ses funérailles devaient se dérouler, il avait écrit :

« Je désire que seuls ceux de mes camarades et amis qui ont compris et encouragé mon effort pour une société meilleure - ceux dont j'ai essayé d'être l'interprète fidèle - en même temps que j'étais fidèle aux exigences de ma propre conscience - c'est-à-dire ceux qui ont travaillé à mes côtés à maintenir Correspondance socialiste internationale, décident, en accord avec les miens comment devra se faire la séparation, et ce qu'il conviendra de faire de ma dépouille, en tout cas le minimum de cérémonie. (...) Mais surtout, pas d'hypocrisie : j'interdis à quiconque a manqué à mon égard du minimum de fraternité (...) de venir prononcer des paroles que je sais à l'avance mensongères. (...) Si quelqu'un pouvait témoigner de l'existence réelle de notre avant-garde internationaliste, ce serait Fenner. Mais le silence est encore préférable : les jeunes, j'en suis certain, réaliseront les rêves que nous avons portés, parfois avec tant de peine, mais sans jamais désespérer. »