La révolution avant la guerre, brochure "Nouveau Prométhée" (1936)

La guerre et l'internationalisme...

...Si l'on veut la victoire militaire contre « l'Allemagne », il faudra appuyer toutes les mesures dictées à l'Etat-Major par le plus élémentaire souci d'assurer la sécurité de son « arrière ». D'où dictature de classe renforcée, censure, emprisonnement des hérétiques, mensonges et piqûres de morphine, mobilisation des consciences, domestication de tout un peuple. La guerre entraîne une tension sociale extrême. Pour la conduire, la classe dominante met tout le monde au pas. Cela veut dire que la lutte de classe sera mise en veilleuse et qu’on ira, de gré ou de force à l'union sacrée ; quelques héros resteront peut-être en équilibre sur la corde tendue, au seuil de la collaboration de classe, mais ils seront l'exception; lorsque l'Internationale aura proclamé « Il faut soutenir la guerre », les masses obéiront encore plus docilement aux campagnes de la presse impérialiste, échauffant tous les esprits en faveur du massacre…

Cette conception apparait donc comme une véritable désertion de l'internationalisme prolétarien. Dans la paix comme dans la guerre, seul le prolétariat dressé, dans une lutte violente, contre sa bourgeoisie, peut obtenu un résultat progressif. Croire que l'internationalisme prolétarien peut avoir pour véhicule la politique militaire et guerrière d'une bourgeoisie impérialiste revient à croire, par exemple, que des ouvriers pourraient, sur le plan économique, « soutenir » un groupe de patrons en lutte contre un autre groupe; c'est oublier le caractère de classe de l'Etat bourgeois, de l'armée bourgeoise, de la presse bourgeoisie, et de toutes les institutions « connectives » de l'Etat capitaliste. Le meilleur moyen de s'attaquer à la « puissance » du fascisme hitlérien c’est, au contraire, de mener la lutte la plus impitoyable contre notre propre impérialisme et d'appeler le prolétariat allemand à en faire autant.

 

La Révolution avant la Guerre, Marceau Pivert

1936

Avant-propos rétrospectif

Quelques réflexions sur la démocratie socialiste


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La publication des thèses de Bauer(1)-Dan(2)-Dunois-Zyromski(3) sur « l'Internationale et la Guerre » a le grand mérite de solliciter la « discussion internationale ».

Nous nous ferons donc un devoir de répondre à l'appel de Fritz Adler(4); avec l'automne 1935, le prolétariat mondial aborde une nouvelle période historique; les questions les plus dramatiques sont posées devant lui aussi bien par la croissance des antagonismes de classe que par la coexistence de l'économie soviétique ascendante et de l'économie capitaliste déclinante. Sans action prolétarienne sérieuse il est clair que la crise capitaliste conduit au fascisme et que le fascisme conduit à la guerre.

Comment rompre ce cercle infernal?
... Peut-être aurait-on avancé plus rapidement dans la recherche des solutions si la « démocratie socialiste » avait mieux fonctionné depuis 3 ou 4 ans. Mais notre SFIO a été gênée dans le processus de régénération révolutionnaire par des phénomènes de pression électoraliste et parlementaire. Cependant, en 1931, le Parti sait aborder, pour la première fois depuis 1914, la délicate question de la défense nationale. Il la traita presque exclusivement sous l'angle parlementaire, conformément à sa principale activité au cours de cette période « d'avant la crise ».

A ce moment, le plus grave danger nous paraissait résider dans la fraction social-patriote, représentée par Renaudel et Paul Boncour (5) qui prétendaient organiser la défense nationale plus rationnellement que la bourgeoisie elle-même (sans changer le régime capitaliste). D'où les fameux projets Boncour, le rapport du budget de l'Air confié à Renaudel, la participation au Conseil supérieur de la défense nationale, c'est-à-dire en fait, l'intégration du Groupe socialiste au parlement dans l'appareil militaire de la bourgeoisie.

Cette monstrueuse collaboration de classe fut liquidée par l'effort propre du Parti, de ses militants, de ses représentants du centre et de la gauche. Aussi, au lendemain du Congrès de Tours (1931) paraissait une singulière déclaration signée de 25 députés et sénateurs tous devenus depuis néos ou ministres bourgeois; « Puisque le Parti nie le principe de la défense nationale, nous faisons toutes réserves sur l'avenir... »

A la vérité, la motion adoptée par le Congrès à une très forte majorité n'approuvait ni ne niait « la défense nationale en régime capitaliste ». Elle donnait néanmoins un mandat précis au groupe parlementaire : « Ni vote de crédits militaires, ni rapports... Pas un homme, pas un sou » Et, pour donner satisfaction à beaucoup d'éléments du Parti qui ne voulaient pas apparaitre comme reniant un passé de majoritaires de guerre, on pria Léon Blum de faire une déclaration-synthèse précisant la physionomie du Parti. Cette déclaration fut un chef-d’œuvre de subtilité : « La défense nationale, c'est la paix; seul le socialisme peut assurer la paix; donc, seul le socialisme donnera son plein sens à la défense nationale »...

Mais le problème véritable, en style de classe, avait été éludé.

La résistance des militants aux compromissions, bientôt aux trahisons d'une forte fraction du groupe parlementaire s'était traduite par une définition concrète de l'attitude du Groupe; mais les divergences de conceptions renaissaient, dans le bloc de la majorité lorsqu'il fallait traduire l'opposition de classe à la guerre impérialiste dans le langage « action directe prolétarienne » Ici se retrouvaient deux grands courants, que la pression des événements devait séparer un jour ou l'autre.

I. Il y a des cas, en régime capitaliste, où le devoir de défense nationale peut avoir une vertu internationaliste (la thèse de Bauer-Dan-Dunois-Zyromski est précisément une analyse sérieuse de ces cas concrets actuels).

II. Il n'a a jamais de cas, en régime capitaliste, où le devoir de défense nationale ait un sens et une vertu internationaliste. En d'autres termes : collaboration avec la classe ennemie, jamais, et dans la guerre moins encore que dans la paix. Ce sera la thèse que nous apposerons à celle de nos quatre camarades.

Mais ces divergences pouvaient encore s’atténuer dans le jeu des tendances au sein de l'Internationale, en face des dangers renouvelés du social-patriotisme impénitent. Au printemps 1933, la fraction Renaudel-Marquet, violant les décisions de Congrès, en arrive à voter les crédits militaires!

Quoi qu'il en soit, I'IOS (6) avait précisément porté à son ordre du jour les trois sujets toujours posés à notre attention : Guerre-Unité-Pouvoir. Une conférence internationale devait se tenir à Paris en août et le Congrès du Parti fixé le 14 juillet 1933 devait préciser le mandat de ses délégués sur les trois points de l'ordre du jour.

A vrai dire, l'attention du Congrès était concentrée sur la menace de rébellion des néos et c’est à ce Congrès que les fameux discours de Déat (7), Marquet (8), Montagnon ( « ordre! autorité!! nation!!! ») révélèrent le divorce total entre la droite ministérialiste et le socialisme traditionnel.

Néanmoins, la Conférence internationale d'août 1933 (où les délégués n'avaient pas de mandat) fournit l'occasion à la gauche de l'IOS de lancer un vigoureux appel aux masses organisées.

Cet appel partait les signatures suivantes : V. Alter (Bound de Pologne), N. Andresen (PS d'Estonie), Z. Bianco (PS d'Italie), A. Bocconi (PS d'Italie), H. Erlich (Bound de Pologne). O. Félix (PS d'Amérique), M. Krüger (PS d'Amérique), E. Levinson (PS d'Amérique), M. Pivert (PS de France), C. Senior (PS d'Amérique), P. H. Spaak (Parti ouvrier belge), Jean Zyromski (PS de France).

Il était précédé d'une déclaration qui fut commentée à la tribune par Jean Zyromski :

« Les membres soussignés de la « Conférence d'Information » considèrent que les divergences doctrinales et tactiques mises en évidence par la discussion générale doivent porter d'urgence à la connaissance de tous les militants de l'internationale, afin que, loyalement consultés, ceux-ci déterminent eux-mêmes, par le libre jeu de la démocratie intérieure, les principes de l'action à engager sur tout le front international de classe.

C'est en vue d'aider à la clarification rapide d'une situation périlleuse qu'ils proposent à l'examen des masses organisées les thèses ci-dessous en faisant confiance à leur instinct de classe, à leur volonté de lutte, à leur besoin impérieux de démocratie réelle. »

La déclaration de Staline vint ajouter à la confusion. Elle détermina une sorte de stupeur immédiatement exprimée par Blum dans « Le Populaire ». Puis, un effort de résistance collective aux menaces d'union sacrée qui semblaient en être la conséquence. Le malaise n’est pas encore dissipé au sein du prolétariat et plus particulièrement dans nos sections socialistes.

...Mais voilà l'Italie qui marche à la conquête de l'Abyssinie. Branle-bas diplomatique général. L'Internationale sera t’elle prête à faire face à tous les événements? Elle renvoie à une date ultérieur la réalisation du front unique international ( avec la IIIème ). Pourtant, le temps presse. Qui sait jusqu’où le conflit peut s’étendre? Osera-t-on décider du sort de millions et de millions de travailleurs organisés sans les consulter? Ce n'est pas possible.

La discussion est ouverte.

L'étude critique de la brochure de nos quatre camarades nous permet d'y apporter notre contribution; en présence de l'insuffisance et du danger des thèses que nous allons analyser, nous ferons apparaître, brièvement, nos propres conceptions.

Après quoi, si les événements le leur permettent, les travailleurs décideront eux-mêmes...

Du moins nous voulons espérer qu’on le leur permettra, à bref délai.

Jamais, en effet, les règles de la démocratie intérieure n' auront eu plus de prix qu'à la veille d'une nouvelle période de guerres, de dictatures et de révolutions dont les prolétaires seront en définitive, ou les victimes pitoyables, ou les acteurs victorieux

1er septembre 1935.       
M. P.

I. « Si la guerre éclate, il sera trop tard »

La préface de Fritz Adler, comme les articles de Léon Blum ont évoqué une question préalable, pour nous essentielle :

C'est avant la guerre que nous devons agir, c’est-à-dire en ce moment même.

Le véritable « fatalisme désespéré » c’est à nos yeux celui qui semble porter l’effort principal sur la fixation des tâches internationales pendant la guerre. Oui, une politique internationaliste pendant la guerre doit être définie. Mais c'est mettre la charrue devant les bœufs que de ne pas examiner d'abord la tâche internationale immédiate! Au fait, y a-t-il, en 1935, une véritable Internationale?

Cette question n'est pas une sorte de blasphème; elle vient à l'esprit lorsqu’on regarde la carte d'Europe et du monde et l'état de division et de confusion du mouvement ouvrier. Comment peut-on imaginer une réalité internationale sérieuse pendant la guerre, si dès maintenant, il y a encore des fractions du prolétariat organisé qui collaborent avec leur bourgeoisie à l'organisation de l'appareil militaire de celle-ci?

Oui, il est peut-être déjà trop tard, mais la tâche essentielle ne pourra pas être toujours reculée : créer une véritable Internationale.

Si nous avons entrepris une étude critique des thèses de nos quatre camarades, c'est parce que nous sommes d'accord avec l'objectif fixé par Fritz Adler : définir « la position d'un internationalisme inconditionnel et viril ».

Et c'est parce que, comme nous allons le montrer, l'attitude qui nous est proposée s’écarte considérablement de cet objectif difficile à atteindre.

II. Le premier postulat

« L'Allemagne hitlérienne est la plus puissante forteresse du fascisme… la défaite militaire de l'Allemagne hitlérienne déclencherait la révolution prolétarienne. »(Page 11.)
Ce point de départ, d'où découlent tontes les thèses, est précisément le plus discutable.

La plus puissante forteresse? l'Allemagne hitlérienne? Dans quel sens?
Au sens militaire? Elle aurait reconstitué en moins d'un an une puissance militaire supérieure à celles de la Russie, de la France, de l'Angleterre réunies? Impossible.

Au sens économique? C'est nier la crise inextricable de l'économie allemande.

Au sens social? C'est nier les contradictions inouïes qui travaillent et sapent le troisième Reich.

Mais il y a un ciment, c’est exact, pour souder toutes les énergies nationales allemandes : c’est la crainte de l'encerclement, de l'étouffement économique, de la guerre d'extermination. La mystique hitlérienne est alimentée par toutes les fautes, tous les crimes des signataires du traité de Versailles, par tous les mensonges pseudo-pacifistes de notre impérialisme qui a refusé de désarmer après l'avoir promis. Hitler bloque autour de lui son peuple parce qu'il a su prendre un masque pacifiste. Son jeu consiste à proclamer son amour de la paix devant un monde surarmé qui l'oblige à en faire autant. Oui, une telle situation conduit à la guerre, mais parce que l'effort du prolétariat international n’apparait pas, en tant que tel, sur son propre terrain, s’exerçant directement, par des manifestations, des grèves, des boycotts, des luttes combinées internationalement en vue de marquer une solidarité de classe envers les prolétaires allemands et une volonté de lutte commune contre les impérialismes de tous les pays.

La propagande hitlérienne a beau jeu pour tromper et décourager les prolétaires allemands si elle peut invoquer les directives d'une pseudo-internationale appuyant la guerre impérialiste contre leur pays. Certes, nos camarades proposent d'éviter la confusion entre les buts propres de la classe ouvrière et les buts de l'impérialisme franco-anglais! Mais comment distinguer ces buts, autrement qu'en manifestations verbales qui ne changeront rien au caractère essentiel du soutien accordé? Ce qui compte c’est qu'une organisation internationale aura pris position dans une guerre entre deux impérialismes; elle aura donc, pratiquement, abandonné son terrain de classe. Car il n'est pas vrai qu’on puisse à la fois s'engager dans la politique de guerre de sa bourgeoisie et demeurer fidèle aux exigences de la lutte de classe. Il faut choisir.

Si l'on veut la victoire militaire contre « l'Allemagne », il faudra appuyer toutes les mesures dictées à l'Etat-Major par le plus élémentaire souci d'assurer la sécurité de son « arrière ». D'où dictature de classe renforcée, censure, emprisonnement des hérétiques, mensonges et piqûres de morphine, mobilisation des consciences, domestication de tout un peuple. La guerre entraîne une tension sociale extrême. Pour la conduire, la classe dominante met tout le monde au pas. Cela veut dire que la lutte de classe sera mise en veilleuse et qu’on ira, de gré ou de force à l'union sacrée ; quelques héros resteront peut-être en équilibre sur la corde tendue, au seuil de la collaboration de classe, mais ils seront l'exception; lorsque l'Internationale aura proclamé « Il faut soutenir la guerre », les masses obéiront encore plus docilement aux campagnes de la presse impérialiste, échauffant tous les esprits en faveur du massacre…

Cette conception apparait donc comme une véritable désertion de l'internationalisme prolétarien. Dans la paix comme dans la guerre, seul le prolétariat dressé, dans une lutte violente, contre sa bourgeoisie, peut obtenu un résultat progressif. Croire que l'internationalisme prolétarien peut avoir pour véhicule la politique militaire et guerrière d'une bourgeoisie impérialiste revient à croire, par exemple, que des ouvriers pourraient, sur le plan économique, « soutenir » un groupe de patrons en lutte contre un autre groupe; c'est oublier le caractère de classe de l'Etat bourgeois, de l'armée bourgeoise, de la presse bourgeoisie, et de toutes les institutions « connectives » de l'Etat capitaliste. Le meilleur moyen de s'attaquer à la « puissance » du fascisme hitlérien c’est, au contraire, de mener la lutte la plus impitoyable contre notre propre impérialisme et d'appeler le prolétariat allemand à en faire autant.

Toute l'action internationale actuelle semble se limiter à un appel humiliant aux gouvernements capitalistes. Des meetings, des pétitions, des ordres du jour... Mais la moindre organisation internationale d'un boycott (qui serait particulièrement efficace en période d'agression colonialiste comme celle de l'Italie) aurait une autre portée que les meetings ou les manifestations oratoires. Au moment où les diplomaties se demandent à quelle sauce il est possible d'accommoder le partage de l'Ethiopie pour que la SDN puisse éviter la mort, l'Italie continue à développer ses commandes de minerai et de charbon au pays de Galles, de chaussures en Ecosse, de viande en Hongrie, de bois en Autriche, de seigle en Russie, de nickel en France, d'étain en Allemagne, de citrons en Californie, etc. Cependant l'armée prolétarienne internationale existe, sur les trains, sur les camions, sur les paquebots, dans les mines, dans les banques, dans les ports, dans les usines. Mais il lui manque un état-major révolutionnaire, une stratégie révolutionnaire. Au lieu de se consacrer, de toute urgence, à cette tâche nécessaire, nos quatre camarades semblent admettre, par la nature même de leur travail, ou bien qu'elle est impossible, ou bien qu'elle est inutile. Ils se placent dans le cadre des réalités capitalistes. « L'Allemagne hitlérienne attaque, la France démocratique et « pacifique » riposte, et pour assurer la défense de l'URSS, il faut soutenir la guerre engagée contre l'Allemagne hitlérienne ». Ainsi toute l'action spécifique du prolétariat se limite, à leurs yeux, au soutien d'une bourgeoisie « moins dangereuse » qu'une autre?

Nous croyons reconnaitre les traits fondamentaux de cette tactique : c’est celle qui a été condamnée par la SFIO en politique intérieure. Va-t-elle reparaître en politique extérieure? Non! Nous nous en tenons, quant à nous, à la règle de conduite, excellente dans tous les domaines, que nous défendions avec « la Bataille Socialiste » dès 1927 au Congrès de Lyon. « Il n'est pas possible de solidariser, même pour une période limitée, la politique de classe du Parti socialiste avec l'ensemble d'une politique bourgeoise même de gauche ».

III. Le deuxième postulat

« Il faut défendre l'URSS ».
Nous sommes tout à fait d'accord.
Mais pas sur les moyens à employer!

Défendre l'URSS par la guerre en soutenant notre impérialisme, c'est courir le risque terrible d'un effondrement général du mouvement ouvrier pendant de nombreuses années, c'est livrer aux Etats-majors capitalistes et contre-révolutionnaires le sort des peuples; c’est risquer de renforcer soit le fascisme en cas de défaite, soit le militarisme en cas de victoire.

Pour nous, la véritable défense de l'URSS a pour moyen, non pas la guerre, mais la révolution en Europe occidentale. Elle doit dégager le premier Etat prolétarien de la pression capitaliste croissante qui l'a amené à contracter avec les gouvernements bourgeois. La courbe des relations extérieures de l'URSS avec les pays capitalistes est peut-être le signe d'une évolution inquiétante du rapport des forces. Seule, une reprise du mouvement révolutionnaire en Europe peut donner à l'URSS le temps, les moyens d'action, les liaisons économiques, les points d'appui politiques qui lui permettraient de se libérer de certaines servitudes très discordantes avec les farouches déclarations d'indépendance et d'opposition au vieux monde qui ont marqué les premières années de la Révolution russe.

Oui, défendre l'URSS, en faisant repartir une nouvelle vague révolutionnaire qui fécondera et récompensera les sacrifices consentis par les peuples soviétiques depuis octobre 1917. Et qui seule, par ailleurs, permettra à la « dictature terroriste » de desserrer son étreinte. Que nos quatre camarades y songent! la collaboration de guerre entre notre Etat-major et celui de l'Armée Rouge ne facilitera pas le passage de la dictature terroriste à la démocratie ouvrière en URSS. La préparation intensive de la guerre qui est pour l'URSS une douloureuse nécessité de l'heure n'est-elle pas, d'autre part, une cause certaine de ralentissement dans le rythme de l'édification socialiste? Raison de plus pour que le prolétariat occidental se hâte de briser la dictature capitaliste : la révolution socialiste en France, en Espagne, en Belgique, en Angleterre peut-être, inverserait formidablement le rapport des forces en ébranlant le fascisme hitlérien et le fascisme mussolinien et en assurant, mieux que tous les Pactes, la sécurité de l'URSS.

IV. Le troisième postulat

« Utiliser la guerre pour conquérir le pouvoir ». (Page 12.)

Ici, un nouveau désaccord sur l'analyse, sinon sur le but.
Nous lisons : « La victoire des démocraties bourgeoises a renversé les puissances autocratiques en Allemagne et en Autriche-Hongrie… ». (II n’y parait plus guère, 16 ans après!). « …Elle a donné le pouvoir à la démocratie dans toute l'Europe centrale ».

Oui, à la démocratie bourgeoise, c'est-à-dire que le capitalisme pour conserver le pouvoir économique réel, a consenti à laisser la classe ouvrière « décomprimer » sur le plan politique jusqu'au moment où les hobereaux et la haute finance furent assez forts pour démolir le décor « démocratique ».

« Les gouvernements bourgeois des trois Etats vainqueurs ont empêché la Révolution eu Europe centrale en 1918 de franchir les limites de la démocratie bourgeoise ».

Certes! et c’est un exemple à retenir pour la thèse de la Révolution après la guerre! Mais les gouvernements bourgeois vainqueurs n’ont pas été seuls sur la scène politique. II y a aussi la social-démocratie allemande, qui porte la responsabilité de l'échec de la révolution prolétarienne en Allemagne en 1918 et le Parti communiste qui a raté la révolution prolétarienne en 1923. Dans les deux cas, c'est le prolétariat, en tant que classe, sa mauvaise stratégie, ses divisions mortelles, ses fausses perspectives, ses illusions, qui ont permis aux gouvernements bourgeois de jouer leur partie.

La manière dont cette analyse est conduite nous entraine à poser, la question : est-ce qu'on va recommencer?
Tel est le drame, en effet! On nous propose d'utiliser la prochaine guerre pour renverser le régime capitaliste?
Et pourquoi pas maintenant?
L'erreur des Allemands et des Autrichiens a été de toujours reculer, systématiquement, l'échéance: « plus tard ! Attendez encore! Pas maintenant! Nous serons plus forts! » Et l'on refusait l'action directe de masse pour canaliser les volontés ouvrières vers les consultations électorales.

Ne retrouve-t-on pas des traces du même état d'esprit « défaitiste » dans ce troisième postulat? :
« La démocratie a perdu tout le terrain gagné par elle, avec la victoire du fascisme sur la démocratie a surgi un nouveau danger de guerre ».

Oui! Mais qu'est-ce que « la démocratie » « in abstracto »? Lorsque le prolétariat a laissé l'adversaire reprendre des forces c'était « la démocratie ».

Lorsque le prolétariat a quitté son terrain de classe pour défendre « la démocratie », ce fut « le fascisme ».

Ces reculs successifs marquent tout simplement la défaite inévitable d'une classe révolutionnaire qui n’a pas confiance en elle, qui ne se bat pas pour elle, et qui ne mérite pas de vaincre pour avoir abandonné les principes essentiels de la doctrine socialiste…

Aujourd'hui encore, si nous ne restaurons pas ces principes, si nous refusons d'utiliser les événements pour monter à l'assaut du régime, si nous ne savons pas lire dans le processus de décomposition capitaliste qui va de la crise économique au fascisme et du fascisme à la guerre, nous portons en nous, dès maintenant, notre défaite irrémédiable.

Notre désaccord fondamental avec nos quatre camarades réside peut-être là : nous affirmons qu'il y a maintenant suffisamment de facteurs objectifs de succès : des masses énormes se mettent en mouvement, des exemples de faillites et de déceptions du fascisme se multiplient, le spectre de la guerre hante le monde, la ruine et la paralysie s'étendent sur toutes les branches de l'économie mondiale en détresse, une immense vague de révolte commence à soulever les jeunes générations… La tâche décisive d'une Internationale révolutionnaire consiste à envisager délibérément la préparation concrète de l'offensive prolétarienne dans les mois qui viennent. Toutes les armes de classe dont dispose le prolétariat : la grève, la rue, l'armement général, l'insurrection, phase ultime, doivent être mises au service de cette tâche décisive ; écraser dans l'œuf la menace de fascisme et faire reculer la guerre impérialiste par la conquête du pouvoir.

Les masses, inquiètes, sentent obscurément toutes les possibilités du moment; elles sont prêtes à tous les sacrifices, comme l'ont montré les épisodes de Brest et de Toulon… mais où les cadres, le tacticiens et les stratèges pour les conduire au succès ?

V. Quelques conséquences

Les trois postulats sur lesquels reposent les thèses de nos quatre camarades étant ainsi passés en revue, nous pouvons limiter nos appréciations relatives à quelques conséquences caractéristiques.

D'une manière générale, avec d'excellentes analyses et des vues fort justes sur « les illusions à ne pas encourager » : leur position initiale entraine des conséquences absolument inadmissibles.

Ce qui importe, c'est l'action concrète recommandée au prolétariat; or, la mise en garde coutre les illusions qu'on dénonce risque le plus souvent d'être vaine par le fait même de l'action proposée.

Quelques exemples:
« Le socialisme doit soutenir les gouvernements des pays agressés » (p. 15) ... sans se faire d'illusion sur leurs buts.

Est-ce à dire que le prolétariat français doit soutenir les armements français? « La France » a « gagné la guerre ». Elle aurait donc « intérêt à la paix ». Il faudrait par suite « la soutenir ». Mais comme elle tient à garder une certaine « marge de sécurité » par rapport à l'Allemagne elle accroît son armement, tout en désarmant son adversaire. Celui-ci s'impatiente, au nom de « la sécurité » lui aussi, réclame l'égalité des armements, et son nationalisme flambe, bien alimenté par les munitionnaires. La « France » continue cependant à augmenter ses armements. Alors « l'Allemagne » viole à son tour le traité de Versailles et rétablit le service militaire obligatoire. Aussitôt, « la France » rétablit le service de deux ans… et la course continue.

A partir de quel moment « le socialisme » doit-il « soutenir » « le pays agressé » ? Sans doute on comprend bien que la politique du gouvernement impérialiste n'est pas celle du socialisme; mais que signifie « force nous est de soutenir l'action de ces gouvernements »?

Ne voit-on pas le péril extrême qu'il y aurait à prostituer si (le mot n'est pas trop fort!) une fraction du prolétariat international pour l'utiliser dans les conflits, au service d'un impérialisme contre un autre impérialisme?

Cette attitude ne peut avoir comme conséquence pratique qu’une absence de réaction sérieuse contre le militarisme de notre pays. Une contradiction insoluble éclate dans cette double affirmation : « Nous sommes contre votre appareil militaire, mais nous vous aiderons au moment voulu à le mettre en action, sans essayer de vous affaiblir ».

N'est-ce pas également une autre conséquence de cette attitude, sur le plan parlementaire, que le vote des accords de Rome?

Mussolini et Laval se mettent d'accord : « laisse-moi faire en Ethiopie et je t'aiderai contre Hitler. - Entendu, je t'abandonne ma zone d'influence sur ce pays colonisable, mais je compte sur toi pour empêcher l'Anschluss  (c’est-à-dire, en langage capitaliste, pour empêcher que les capitaux de l'Europe centrale actuellement drainés à Vienne, par les succursales des banques françaises ne soient entraînés dans le système bancaire de Berlin!) ». Et sur une affirmation audacieuse de Laval, pour soutenir le pays agressé, le groupe parlementaire vote les accords de Rome!

Si la position de nos quatre camarades, était adoptée par l'IOS, à quelles autres conséquences, n'aboutirait-on pas dans cette voie ?

Autre exemple : « Le socialisme International doit soutenir la SDN… mais naturellement sans S'abandonner à de dangereuses illusions ».

Alors il serait préférable peut-être de ne pas les cultiver soi-même ces illusions…
Par exemple, peut-on considérer comme conforme à l'esprit de la SDN la mobilisation et le transport de centaines de milliers d'Italiens au voisinage de l'Abyssinie, à qui on refuse des armes?

Si l'on « soutient la SDN » (en se bornant à cette seule activité) on va laisser tranquillement l'Italie préparer son agression pour la fin de la saison des pluies et toute la lutte contre la guerre reposera sur la réunion des fondés de pouvoir des impérialismes et des trusts. On n'entend même plus la voix du représentant de l'URSS, qui devrait parler fort, au nom du prolétariat international et bousculer violemment tous les sales marchandages. On ne l'entend plus parce qu'il est lié par un système d'alliance, et parce que l'Italie est provisoirement dans son camp. D'ailleurs il doit être très prudent aussi pour éviter à tout prix que se forme contre l'État ouvrier le bloc de tous les Etats capitalistes.

Il est donc utopique et périlleux de subordonner l'action du socialisme international aux décisions de la SDN. Il faut organiser et déclencher l'action autonome de l'Internationale. Si, dès les premiers symptômes de l'agression italienne, l'Internationale avait lancé le mot d'ordre de boycott et de grève pour tous les transports à destination d'Italie ou de Massaouah, le retentissement aurait été énorme, et l'efficacité très supérieure à toutes les pétitions du monde.

Comme toujours, l'action autonome du prolétariat est le moyen le plus efficace de faire pression sur les gouvernements bourgeois et d'obtenir des résultats!

Il est excellent de s'appliquer à détruire les illusions que les travailleurs pourraient avoir encore sur la SDN… mais peut-être pourrait-on commencer par chasser soi-même ses propres illusions?

Troisième exemple, à propos des pactes.
« Appuyer la SDN sur des pactes destinés à créer un système de sécurité collective… mais sans se tromper sur leur caractère et leur efficacité. »

Alors pourquoi en faire un chapitre d'une action prolétarienne ? l'Internationale a autre chose à faire qu'à s'occuper de la signature des « chiffons de papier » qui sont déchirés au gré des intérêts impérialistes... Où en est l'alliance franco-polonaise? Où en est le Pacte Briand-Kellog? (9) La pactomanie est une manifestation de cette politique de collaboration qui a fait tant de mal au prolétariat : on habitue celui-ci à se mettre à la place (par la pensée seulement!) de sa bourgeoisie et à gérer les « intérêts généraux » (c'est-à-dire bourgeois) mieux que la bourgeoisie elle-même!

Quatrième exemple :
« L'Europe est divisée en deux camps.., l'équilibre dépend de l'Angleterre... Nous soutenons l'impérialisme britannique comme facteur de paix… mais sans laisser naître d'illusions dans les masses à cet égard. »

Cependant, les illusions naissent néanmoins du fait de l'inexistence d'une politique internationale spécifiquement prolétarienne. Une Internationale véritable doit avoir une autre fonction que le soutien d'un impérialisme quel qu'il soit.

Cinquième exemple :
« Il faut aussi soutenir Les Pactes régionaux, sans se dissimuler qu'ils sont des Pactes de guerre. »

L'illustration propose par nos camarades est ici très suggestive.
« Pour obtenir l'alliance du fascisme italien contre le fascisme allemand, la France lui a laissé les mains libres en Autriche et s'est faite le complice de la répression sanglante dirigée contre les ouvriers autrichiens » (p. 18).

Tout à fait juste. Mais cette répression sanglante n a-t-elle pas été financée par un certain emprunt de Dollfüss (10) à la France, emprunt voté par le groupe socialiste? Nos camarades comme Jean Longuet n'ont-ils pas affirmé à ce moment que le vote des crédits avait été conseillé par Otto Bauer, lui-même? De sorte que la plus cruelle des expériences n’avait pas encore servi? On nous proposerait des marchés de dupes aussi absurdes? Un soutien même héroïque et toujours stérile à un impérialisme quelconque n'a rien de commun avec une politique internationale de classe.

Comment définir, pour conclure, une telle position?
« Tout en soutenant, au nom de la paix, des pactes régionaux, le socialisme international ne peut et ne doit pas renoncer à dire aux masses populaires que ces pactes, entre les mains des gouvernements capitalistes, servent de moyen à une politique d'asservissement et de conquête » (p. 18).

Ainsi on s’associe aux pactes des gouvernements impérialistes : cela c’est l’action réelle. Et aux peuples ont dit : « Vous savez, entre leurs mains c’est le moyen de préparer la guerre. » Et l'on appelle cela une politique de l'Internationale? Disons plutôt que cette position définit assez bien ce qu'on appelle dans le mouvement ouvrier, le « centrisme ».

VI. Quelques autres problèmes

a. Le désarmement.

Il n'est pas exact de dire que, seul « le réarmement arbitraire de l'Allemagne hitlérienne est à l'origine du danger de guerre ». Il y a aussi le refus de désarmement, non moins « arbitraire » des impérialismes vainqueurs.

Mais il est certain que, dans le régime actuel, le « désarmement simultané » est de plus en plus une utopie.

Par suite « le socialisme international ne peut demander le désarmement unilatéral des pays que menace l'agression hitlérienne » (p. 19).

Oui sans doute, demander à qui ? à la bourgeoisie? C’est parfaitement utopique.

Mais voici une hypothèse qu'il conviendrait d'examiner de près. Une section importante de l'Internationale, la SFIO, par exemple, monte au pouvoir : le rapport de forces entre le prolétariat et la bourgeoisie serait-il suffisamment inversé dans le monde pour que soit envisagée l'initiative la plus risqué et la plus séduisante qui soit? le désarmement unilatéral? Nous le pensons! Dès maintenant, on peut affirmer que le devoir du prolétariat socialiste arrivé au pouvoir, après avoir brisé les résistances et réduit à l'impuissance la classe ennemie, serait de proposer le désarmement général et, pour mettre Hitler au pied du mur, de commencer à réduire progressivement budgets, temps de service, armements, etc. Le choc psychologique serait énorme dans le monde capitaliste et fasciste et les crédits immédiatement libérés, permettrait la mise en route très rapide de l'édification socialiste; celle-ci, élevant le niveau d'existence de tous, accentuerait très vite le renversement du rapport des force en faveur du socialisme...

Mais cette hypothèse n'est pas envisagée par nos quatre camarades, qui sont amenés en vertu de leurs postulats, à souhaiter « le meilleur armement possible » de certaines bourgeoisies. Mais c’est encore une autre illusion terrible, qui considère l'armée en dehors de sa fonction véritable, constitutive, pourrait-on dire de la capacité de domination de la classe bourgeoise. Dans l'époque où nous sommes, toute croyance à la possibilité de « démocratiser » l’armée est illusoire. La classe dominante accentuera de plus en plus ses tentatives de fascisation, des administrations publiques et de l'éducation. Certains discours du maréchal Pétain ne laissent aucun doute à ce sujet. Au lieu de se reposer sur l'action parlementaire du soin d'empêcher la fascisation de l'armée, il faut donc, résolument, organiser le travail antimilitariste sur le front international, élément essentiel de la conquête du pouvoir.

b. La guerre entre Hitler et l’URSS

C'est là un dispositif que les événements italo-éthiopiens sont peut-être en train de modifier. Mais le procédé de raisonnement de nos camarades est si périlleux que si on l'appliquait à la lettre à ce conflit armé, on souhaiterait, comme toute notre bourgeoisie, (sans compter les journaux vendus à l'ambassade d'Italie) la victoire italienne puisqu'elle est adversaire de Hitler.

La politique internationale qui nous est proposée n’a rien de spécifiquement prolétarien puisqu'elle a confond avec celle de notre impérialisme. « Mais ajoutent nos camarades, il y a une différence entre ce que nous proposons et l’union sacrée : pour nous le prolétariat devra utiliser l’ébranlement du capitalisme pour conquérir le pouvoir politique ».
Ainsi, après avoir livré le prolétariat aux Etats-majors capitalistes, aux mensonges de la presse pourrie, aux ivresses malsaines du nationalisme sous-jacent, on demandera au prolétariat au lendemain de la victoire militaire de conquérir le pouvoir ?

Après s’être battu pour le triomphe de son impérialisme, on lui demandera de se battre pour lui-même? Après l'avoir entrainé à penser que sa tâche historique pourrait être accomplie par un état-major capitaliste, on ira le persuader qu'il lui faut se débarrasser de ceux qui l'auront conduit à la victoire et à ses prébendes? On l'aura muselé, grisé, domestiqué; on aura dissimulé, comblé le fossé qui sépare les deux classes et brusquement, on le fera réapparaitre avec ses dures exigences? Craignons, hélas, qu'il s’agisse d’un complet Abrami (11), de quelques rubans et médailles et d'une paire de pantoufles d'honneur, pour refaire le coup de 1919. Non ! C'est avant la guerre, alors que chacun est décidé à défendre sa peau pour quelque chose, que l’Internationale doit dresser la revendication intransigeante du pouvoir pour les ouvriers et les paysans. Voilà pour ce qui concerne notre prolétariat.

Quant à l'URSS, nos camarades, demandent « qu'elle fasse la guerre comme guerre révolutionnaire ».

Ici, nous ne pouvons que partager les appréhensions de nos camarades. Nous souhaiterions de retrouver dans la littérature officielle de la diplomatie soviétique la tonalité et l'âpreté des proclamations de Lénine et Trotsky.

De même pour le développement de la démocratie intérieure en URSS et l'amnistie aux oppositionnels prolétariens.

Mais nous craignons que ces vœux ne reçoivent vraiment satisfaction que sous la poussée d'une nouvelle vague révolutionnaire en occident.

En somme, l'attitude du socialisme international pour tous les travailleurs des pays alliés à l'URSS serait conforme à quelques nuances près, au socialisme de guerre. La conséquence la plus claire des postulats posés par nos camarades est définie par ces ligues : « Le socialisme international doit exhorter les prolétaires à faire leurs devoirs comme soldats sur les champs de bataille et comme ouvriers dans les industries de guerre ».

Là encore, cette position est atténuée par la définition de « buts de guerre » (spécifiquement prolétariens). Mais la faute cruciale rend stériles et utopiques ces précautions : une fois la servitude acceptée (car la bourgeoisie mènera sa guerre à sa manière, c’est-à-dire avec le maximum de dictature!); une fois abandonné le terrain de classe; une fois obtenue la « victoire militaire », les obstacles sur la voie de la révolution seront beaucoup plus difficiles à surmonter! Nous retrouvons ici la grande hérésie de 1792, contre laquelle s’est dressé Robespierre: la croyance en une guerre « libératrice ». Les alliées ont cru aussi qu'ils libéreraient la Russie des « hordes bolcheviks ». Ils ont réussi tout simplement à consolider le pouvoir fragile de ceux-ci en galvanisant tout un peuple contre les envahisseurs.

L'instinct de conservation que traduit le besoin élémentaire de « défense nationales » dans les masses non éduquées renforce toujours, en temps de guerre, la domination de la classe au pouvoir. Ce « besoin de défense nationale » est naturellement exploité et cultivé par les cliques militaristes et capitalistes pour leurs fins impérialistes, de même que le sentiment religieux est exploité par les cliques cléricales; mais pour un prolétariat conscient, il n'y a pas de contenu à la « défense nationale » tant que le prolétariat n’est pas au pouvoir, le véritable « internationalisme inconditionnel et viril » dresse dans chaque pays, le prolétariat contre sa propre bourgeoisie, livrant sans trêve sa bataille de classe, sans jamais se laisser prendre aux séductions, aux rêveries, aux prétextes, ou aux promesses fallacieuses de l'ennemi.

La même illusion mortelle conduit nos camarades à croire qu'il est possible de conduire une guerre révolutionnaire par le canal de l'armée bourgeoise: c'est en opposition avec l’Etat bourgeois que le prolétariat doit chercher la voie de sa libération. Il y a autant d'illusion à compter sur l'armée bourgeoise pour frayer le chemin de la révolution prolétarienne qu'à compter sur un gouvernement bourgeois auquel participeraient des socialistes pour favoriser la montée au pouvoir de la classe ouvrière. C'est pourquoi la position « internationale » des quatre signataires est surprenante puisque, sur ce point de politique intérieure leur position est bien connue.

c. La grève générale internationale.

Le mot d'ordre de grève générale internationale est écarté par nos camarades parce qu'il ne serait pas suivi en Allemagne... C'est là un argument souvent développé par Jules Guesde; il s'appuie sur le risque que les pays les plus socialistes courraient d'être livrés aux pays les plus arriérés...

Non, repoussons cette explication et cet argument : le prolétariat international est aujourd'hui une réalité beaucoup plus vivante que les apparences capitalistes ne le laissent penser : qu'on le veuille ou non c’est vers la grève générale internationale qu'il faut diriger l'opinion universelle. Cette menace suspendue sur les calculs des chancelleries, cette action directe, même partiellement réussie, contre les pirateries impérialistes peuvent avoir des répercussions considérables. Les peuples comme celui d'Allemagne ne sont entraînés à la guerre que parce qu'on les persuade qu'ils sont attaqués et qu'ils doivent se défendre ou bien, comme celui d'Italie, ils ne se laissent intoxiquer que par un effort inouï de propagande qui laisse croire à un consentement universel en faveur des pires brigandages. Qu'une véritable Internationale, même sans base sérieuse en Allemagne ou en Italie, déclare au monde qu'à toute menace de guerre, elle répondra par le déclenchement de la grève générale insurrectionnelle, dans tous les pays capitalistes, et déjà le rapport de forces sera modifié entre les deux camps…

« - Oui, mais hélas! cette Internationale n’existe pas », dira-t-on.
« - Si elle n'existe pas, qu'attendez-vous, camarades, qui avez une responsabilisé dans le mouvement ouvrier, pour la créer vraiment? Les matériaux existent dans la IIème et la IIIème… et en dehors des deux. Mais on ne créera l'instrument véritable de la lutte contre la guerre, inséparable de la lutte contre le régime capitaliste qu'en se plaçant résolument et exclusivement sur le terrain même de l'action prolétarienne. Et comment trouver un objectif plus prestigieux, pour l'internationale que celui-ci. Nous voulons préparer l'instrument d'action directe capable de déclencher la grève générale internationale pour empêcher la guerre? ».

Nous trouvons d'ailleurs une excellente confirmation de notre thèse sous la plume de nos camarades : « Plus vite le socialisme renversera les classes capitalistes dans les pays en guerre avec l'Allemagne, plus vite il y prendra le pouvoir ».

Cette affirmation n'est-elle pas encore plus vraie dans la période actuelle, chargée de bouleversements sociaux et internationaux? Ce n'est pas seulement au cas où la révolution éclaterait en Allemagne qu'il faudrait conquérir le pouvoir chez nous. Ce n'est pas seulement dans nos pays en guerre avec l'Allemagne, que nous devions faire la révolution pour la hâter en Allemagne. C'est maintenant, avant même que les impérialismes exaspérés n'aient entamé une lutte effroyable. C'est maintenant que, chez nous, nous portons sur nos épaules les tâches les plus lourdes et aussi les plus décisives pour la révolution mondiale et la paix entre les peuples.

d. Le sang versé...

Nous recueillons, sous la plume de nos camarades, une autre affirmation précieuse, relative aux pays neutres, dans lesquels le socialisme devrait lutter pour empêcher leur entrée dans la guerre.
« S'il le faisait (si le socialisme poussait à la guerre) la responsabilité de tout le sang versé et toute la misère engendrée par la guerre pèserait sur lui, il se mettrait en contradiction avec les couches laborieuses, s’isolerait d’elles et se priverait de toute influence sur les événements. »(p. 29).

Ces lignes traduisent en termes excellents la condamnation de toute politique socialiste de guerre dans quelque pays que ce soit : le rôle du socialisme n'est pas, ne peut jamais être d'endosser la responsabilité, même apparente, de la plus cruelle des conséquences de l'économie capitaliste. N'importe quelle section de l'Internationale entrainant la classe ouvrière dans la guerre sous la direction de sa bourgeoisie capitaliste mériterait cette condamnation. Le seul moyen de n'avoir aucune responsabilité dans le sang versé et dans la misère engendrée, le seul moyen d'obéir à l'instinct profondément antiguerrier de nos ouvriers et paysans français, particulièrement, le seul moyen d’exercer vraiment une influence sur les événements est de s’en tenir au mot d'ordre impératif : Contre la guerre impérialiste qui monte à l'horizon. Révolution partout!

e. L'agresseur.

Avec cette dernière question, nos divergences prennent un relief saisissant. Le point de départ de nos camarades, révèle le défaut de leur analyse: ils ne discutent pas de l’origine de la guerre à l'époque impérialiste; ils affirment tout simplement : « l'Allemagne hitlérienne sera nécessairement l'agresseur ». Toute la conduite de l'Internationale est commandée par cette certitude! N'est-ce pas démontrer qu'on a adopté délibérément la manière de voir de l'Entente? Et fermer les yeux sur les effroyables responsabilités des hommes d'État français qui ont surarmé cyniquement tout en imposant le désarmement (reconnu en 1927 par Foch) à leur ex-ennemi? Où commence l'agression? Hitler proclame sa volonté de paix et propose au monde le désarmement. Il affirme qu'il a été contraint d'armer que parce qu’autour de lui, tout le monde s’arme jusqu'aux dents! A son tour, il exploite l'argument de la « sécurité » dont les nationalistes français ont tant usé. Il ment autant qu’eux, sans aucun doute; oui, il prépare la guerre et il saisira l'occasion si elle se présente. Mais peut-on affirmer à l'avance qu'il n'aura pas l'habileté de se la faire déclarer comme Bismarck en 1870 et Guillaume en 1914 (si l'agresseur est celui qui mobilise le premier, en 1914, ce fut la Russie tsariste, et le faux grossier de la dépêche 118 rédigée de toutes pièces par le Quai-d’Orsay par le Livre Jaune n'a pas réussi à dissimuler cette vérité historique). Mais nos hommes politiques bourgeois d'aujourd'hui mentent-ils moins qu’hier, pour le service de leurs intérêts de classe? On l'a vu par l'attitude de Laval dans l'affaire d'Ethiopie. Reste le critérium idéal de la définition de l'agresseur par l'arbitrage... L'arbitrage de qui? des fondés de pouvoirs, tous plus ou moins intéressés ou complices, de l'impérialisme déchaîné. L'attitude de la SDN répondra su ce point.

Mais pour nous socialistes, pour nous internationalistes, le pire danger est de suspendre notre action pour laisser se dérouler la comédie diplomatique. Dans le cas du conflit italo-abyssin, y a-t-il une seule fraction de la classe internationale qui hésite à désigner l'agresseur? et ses complices? La décision prolétarienne aurait donc dû être prise dès le mois de juin. Alors, oui, elle aurait influé considérablement sur la marche des événements. Ce qui parait le plus déprimant dans les thèses de nos camarades, c'est cette sorte de docilité à l'égard des institutions viciées à l'origine par leur milieu capitaliste : parlement et SDN. Tout en les utilisant comme des appareils d'enregistrement des pressions de classe, il faut marquer plus de confiance dans l'internationalisme prolétarien; il faut mettre la classe en garde contre les duplicités des différentes bourgeoisies. C'est contre le monde capitaliste lui-même qu'elle est dressée.

Dès maintenant elle doit dénoncer avec clairvoyance les calculs et les intérêts grossiers de ses castes dirigeantes; elle doit prédire, avec enthousiasme et assurance qu'elle mettra bientôt à jour, comme l'ont fait les travailleurs de Russie, les secrets diplomatiques dont elle devine le caractère mercantile sordide. Elle doit dénoncer à l'avance les contrats, les accords, les engagements pris en son nom à l'égard des puissances économiques qui sont à l'origine de la guerre : banques, trusts, agences de presse, industries lourdes, munitionnaires...

Dès maintenant, elle doit revendiquer hautement le pouvoir, tout le pouvoir et l'Internationale doit ajuster ses perspectives, ses décisions, ses organisations aux immenses possibilités qui se dessinent à proche échéance.

En somme, le travail de nos quatre camarades contient des choses excellentes en ce qui touche aux illusions à combattre, mais, leurs conclusions pratiques sont viciées, par ce qu'ils n'ont pas su éliminer l'illusion maîtresse : croire que le prolétariat peut attendre quelque chose d'utile en dehors de son effort propre, obstiné, autonome, acharné pour briser l'oppression capitaliste. Cette illusion les a conduits à s’éloigner du front international de classe. Nous avons voulu faire un effort, quant à nous, pour définir le contenu « d'un véritable internationalisme prolétarien, inconditionnel et viril ».

« Les nationalistes de tous pays », certes, considéreront cet effort avec « haine » et « colère ». Mais nous avons confiance que les travailleurs révolutionnaires de tous les pays peuvent y trouver leur patrimoine commun et l'expression de leur fraternité dans les combats de classe et dans la grande espérance qui se lève sur le monde.

VII. Brèves conclusions

1. Lutte impitoyable contre les impérialismes capitalistes, non seulement par le refus de collaboration avec leurs appareils militaires, mais par la critique la plus rigoureuse de leur politique d'alliances et de rapines, de conquêtes coloniales et de pseudo-pacifisme.

2. Préparation d'une action internationale contre la guerre avec pour dernier terme, la grève générale insurrectionnelle. Pour préciser : une véritable Internationale aurait dû déclencher un mouvement dans tous les pays dès les premiers envois de troupes de l'Italie vers la Mer Rouge.

3. Cohésion et uniformisation des mots d'ordre et des principes généraux de la propagande socialiste internationale dans tous les pays, ce qui implique la dénonciation des mensonges que dissimule la notion de défense nationale en régime capitaliste. Règle absolue : sous aucun prétexte un prolétariat quelconque ne doit se laisser entraîner à soutenir, directement ou indirectement, la politique de sa bourgeoisie surtout en matière internationale.

4. Action directe des masses, armement général du peuple, et dans la phase ultime, lutte à main armée pour la conquête du pouvoir dans chaque pays capitaliste ou fasciste entrant dans la guerre, sans jamais accepter de perdre la liberté d'initiative en tombant dans le piège de la définition de l'agresseur.

5. En cas d'échec, la guerre étant déclarée, défaitisme révolutionnaire dans tous les pays capitalistes.

6. En cas de conquête du pouvoir, et dès que le front international des pays socialistes est suffisamment solide, ceux-ci commenceront le désarmement général pour accélérer le rythme d'édification socialiste et hâter la révolution dans les pays demeurés sous le joug capitaliste.

7. Il faut une volonté révolutionnaire vigilante.
Il faut une organisation révolutionnaire minutieuse, internationale, forgeant une stratégie souple et hardie et utilisant les leçons expérimentales de ces vingt dernières années.

Il faut faire la révolution avant que la guerre ne passe à nouveau sur l'humanité.
Il faut comprendre la rigueur de cet impératif.
Contre la crise! Contre le fascisme! Contre la Guerre! Socialisme partout!
Le comprendre et se mettre au travail, sans perdre un instant, sans regarder derrière soi, sans fléchir dans la tempête.
En un mot, pour mériter la paix , se livrer au suprême combat de classe.


Annexe 1

La motion qui fixe la position du Parti S.F.I.O.

Tours - Mai 1931

A la veille de la Conférence générale du désarmement qui doit réunir, dans quelques mois, les délégués des nations, les socialistes français réunis à Tours en Congrès national, tiennent à rappeler, très fermement, la doctrine qui les guide en matière de défense nationale et de relations extérieures.

Pas plus aujourd'hui qu'hier, leur parti n'entend confondre respect de l'indépendance nationale et son attachement au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes avec le patriotisme tapageur des classes dirigeantes qui, dans les domaines du militarisme, du colonialisme, de l'impérialisme, de la diplomatie, traduit le plus souvent des intérêts privés de castes ou d'affaires, en même temps qu'il entretient et développe par toute une littérature grossière, les rivalités, les malentendus et les haines entre les peuples.

Plus que jamais, les socialistes dénoncent le régime capitaliste, qui fait naitre sans cesse des sources de conflits économiques et, en conséquence directe, une atmosphère politique et morale chargée de menaces qui rend constamment la paix incertaine.

Ils flétrissent et vouent au mépris public ceux qui, sous prétexte de défense nationale, livrent le budget de l'Etat à la cupidité des riches fournisseurs, notamment à ces fabricants d'armes, qui, déjà internationalement avant 1914, subventionnent aujourd'hui encore la presse chauvine et les partis nationaliste, pour exalter en tous pays cette politique des armements qui conduit tout droit à la ruine d'abord, à la guerre ensuite.

Le Congrès de Tours proclame très haut et très fièrement que c’est le socialisme seul qui peut donner à la défense nationale son plein sens historique et humain; parce qu'il veut non opprimer, mais libérer toutes les races tout en favorisant leur tendances vers l'unité et l'harmonie; parce qu'il ne poursuit la conquête d'aucun territoire ;

Parce qu'il fera disparaître les compétitions économiques, qui, aux frontières douanières et sur les marchés coloniaux, suscitent des conflits toujours périlleux;

Parce qu'à la production capitaliste, anarchique et désordonnée, qui engendre de plus en plus la surproduction et le chômage, plongeant dans la misère ceux-là qui, de la peine de leurs bras et de l'effort de leur intelligence, ont accumulé des montagnes de richesses inemployées, il substituera la production sociale, dont le but sera de garantir et d'améliorer la vie matérielle de tous les hommes, d'embellir et d'enrichir toujours davantage leur vie morale et intellectuelle;

Parce qu'ainsi faisant disparaître peu à peu de la surface du globe les haines de races, les protestations des peuples opprimés, les rivalités économiques, il tarira, à leur source rénovée, les éléments juridiques et humains de la paix sociale, de la fraternité internationale, de ce rêve tutélaire de grande paix humaine, enfin réalisé.

La poursuite de ces buts, raison d'être de son existence, conduit tout naturellement le Parti socialiste à être partout au premier rang dans la lutte contre la guerre.

Le Parti socialiste affirme sa volonté de se conformer aux prescriptions de l'IOS prises à Bruxelles en 1928, en vertu desquelles l'action prolétarienne contre l'éventualité des conflits armés, quels qu'ils soient, doit comporter une action solidaire et concertée allant jusqu'aux actions de masse révolutionnaires, afin d'exercer la pression la plus efficace sur les gouvernements, en vue du maintien de la paix.

Le Parti socialiste proclame que, pas plus pendant la guerre que pendant la paix, il ne saurait exister collaboration ou solidarité entre la politique des gouvernements capitalistes et celle des Partis socialistes qui doit toujours avoir pour objectif la cessation immédiate des hostilités et le retour immédiat à la paix. Mais il estime, éclairé par l'expérience, qu'il ne faut pas attendre les heures de tension internationale pour agir. C'est dès aujourd'hui, dans la grande cité comme au village, dans les ateliers comme aux champs, que sa propagande doit forger les armes de la paix et dresser l'âme et la conscience des foules à refuser d'adhérer en aucune circonstance à l'hypothèse d'un conflit.

C'est ainsi que, convaincu que les risques de guerre résident non seulement dans l'augmentation, mais la permanence des armements, il réclame le désarmement général, total, simultané et contrôlé, atteignant à la fois les armements visibles, mais aussi les autres, telles certaines formes redoutables de l'industrie chimique.

Cette action doit être conduite en même temps sur le plan international et sur le plan national.

Sur le plan international :

Action collective et concertée pour une réduction immédiate et massive des armements résultant d'engagements contractuels et imprimant ainsi un rythme accéléré à l'action pour le désarmement intégral.

Ce qui implique :

1. L'application à tous les Etats du principe de l'égalité dans le désarmement, au triple point de vue des méthodes techniques, des procédures et des contrôles;
2. La généralisation des réglementations spéciales imposées jusqu'à maintenant à certains Etats sortis vaincus de la guerre;
3. Le refus par les Partis socialistes des budgets de guerre aux gouvernements bourgeois;
4. L'obligation pour les gouvernements dont les socialistes ont la charge, de prendre, dans le problème du désarmement, les initiatives les plus hardies afin de soutenir l'action des autres sections nationales dans leur opposition à la politique d'armement.
L'Exécutif de l'IOS est chargé de coordonner cette action collective.

Sur le plan national :

L'action du Parti vers le désarmement intégral qui constitue le but à atteindre s'exercera conformément aux règles suivantes et avec d'autant plus de vigueur que, dans l'état actuel de l'Europe et du monde, et dans la situation créée par les traités, c'est à la France de prendre l'initiative des mesures de désarmement.

1. Lutte constante et opiniâtre pour l'abolition de l'appareil militaire de la bourgeoisie, caractérisé par une combinaison de l'armée de métier et de l'armée de conscription, et qui cumule ainsi les vices et les dangers de l'un et de l'autre système.

En conséquence toutes les prescriptions concernant le refus par les élus du Parti des budgets spécialement affectés à l'entretien et au fonctionnement du statut militariste sont expressément maintenues. En aucun cas et sous aucun prétexte, les élus du Parti ne pourront rapporter les dits budgets, ni participer à l'élaboration des délégations à des comités d'études dépendant des ministères intéressés.

Pas un sou pas un homme pour l'appareil militaire de la bourgeoisie.

2. Lutte pour la démilitarisation d'une zone frontière en bordure des territoires allemands soumis au même régime et tel qu'il résulte des accords internationaux.

Ces règles d'action précisent les objectifs immédiats poursuivis par le Parti et elles ne dispensent point les élus de continuer comme par le passé à lutter dans le sens de la réduction des dépenses militaires qui figurent aux chapitres des divers budgets, de manière à alléger le plus possible le fardeau du militarisme qui pèse lourdement sur les peuples.

Le Parti socialiste doit sans cesse traquer et poursuivre l'esprit de guerre ; appeler les cœurs et les esprits à condamner l'idée seule d'un conflit armé qui, cette fois, étant donné les progrès et les applications monstrueuses de la science, détruirait des villes entières avec leurs populations et leurs richesses, laisserait sans espoir les nations belligérantes et anéantirait pour longtemps les bases de la civilisation moderne elle-même.

En poursuivant ces tâches et toutes celles qui pourraient s'y trouver adjointes, le Parti Socialiste n'oubliera pas que le plus clair des résultats qu'il pourra atteindre sans doute, de mettre en lumière la mauvaise volonté ou l'impuissance des pouvoirs publics ligotés dans leur action par le régime qu'ils ont mission de perpétuer et de défendre et par conséquent l'obligation, pour réaliser pleinement la paix et mettre réellement fin aux armements des peuples les uns contre les autres, de renverser l'ordre actuel des choses et de lui substituer un ordre nouveau.

Sur ce terrain comme sur les autres, la poursuite par le Parti socialiste de conquêtes partielles a, entre autres avantages, de mieux montrer, que l'abolition du régime capitaliste est le seul événement qui soit de nature à apporter la solution complète et définitive des difficultés, à surmonter.


 

Annexe 2

Projet de résolution en vue du Congrès National ordinaire des 14,15 et16 juillet l933.

(Le Congrès ne s’est pas prononcé.)

Le Congrès National du Parti Socialiste (SFIO) demande que la Conférence internationale de l'IOS examine solidairement tous les aspects concrets de la situation dans laquelle se trouve la classe ouvrière et définisse les règles d'action que cette situation impose d'une manière pressante aux socialistes de tous les pays.

Le Congrès constate que les événements vérifient la doctrine socialiste et que la condamnation du régime capitaliste s'impose de plus en plus aux masses laborieuses universellement menacées dans leur existence. La crise actuelle, par son ampleur et ses répercussions de tout ordre, marque la fin d'une époque où le système capitaliste, malgré ses injustices, accroissait la production et élevait le niveau de la civilisation industrielle.

Avec la concentration croissante et l'impossibilité de trouver des marchés nouveaux, les contradictions internes du système sont parvenues à un degré d'acuité tel qu'elles ne peuvent plus trouver d'autre solution que par la disparition du capitalisme lui-même.

C’est donc aujourd'hui le problème entier de la Révolution qui se trouve posé devant les Partis socialistes. C'est dans la mesure où ils montreront assez de clairvoyance et de volonté dans l'accomplissement de leur mission historique que pourra bientôt s'organiser la civilisation nouvelle dont tous les éléments techniques, machinisme, capitaux, richesses naturelles, sont à la disposition de l'humanité, ou que le capitalisme prolongera longtemps une agonie marquée par une régression générale de la civilisation, par l'aggravation de la détresse matérielle, la pire réaction politique et le déchaînement d'une nouvelle guerre mondiale.

C'est dans cet esprit que le Congrès entend examiner, le problème de la lutte contre la guerre, la plus terrible des catastrophes que peut entraîner la crise du capitalisme et le problème de l'Unité, facteur primordial du succès de l'offensive révolutionnaire. L'un et l'autre de ces problèmes ne peuvent être séparés du problème de la conquête du Pouvoir en vue de l'instauration du Socialisme.

La guerre

Pour la lutte contre la guerre, qu'il ne sépare pas de la lutte contre le régime, le Congrès se déclare résolu à organiser la résistance collective la plus acharnée.

Dès maintenant, il dénonce la duperie criminelle qui en entrainerait les prolétaires dans une effroyable destruction mutuelle.

Sous aucun prétexte, il n'accepte l'idée de guerre; en particulier, ce n'est pas une guerre conduite par la classe capitaliste qui peut défendre « la démocratie » contre le « fascisme » : les répercussions politiques de la guerre sont, en effet, imprévisibles. Tel prolétariat croyant défendre la démocratie, même victorieux, pourrait fort bien demeurer asservi à la dictature militaire.

En outre la « démocratie » et le « fascisme » sont l'expression de certains rapports entre les classes en lutte : c'est donc exclusivement à une action internationale de classe, solidaire et concertée, que doit se préparer le prolétariat.

Aussi, les élus socialistes refuseront, plus que jamais, tout crédit, et les membres du Parti, toute collaboration à l'appareil militaire la bourgeoisie.

Au contraire, le Parti dirigera vers le socialisme la révolte instinctive des masses ouvrières et paysannes qui refusent de se laisse exterminer pour des appétits capitalistes et il préparera les esprits à l'idée d'une action révolutionnaire en cas de danger de guerre.

En même temps, le Congrès demande à l'IOS de constituer immédiatement, en accord avec les organisations syndicales, le mécanisme de lutte directe du prolétariat international contre la guerre. Un Comité de vigilance rassemblera et coordonnera tous les éléments de résistance dont disposent dès maintenant les travailleurs.

Chaque section de l’IOS devra s'efforcer de créer une garde prolétarienne disciplinée et entraînée en vue d'accomplir les missions rendues nécessaires par la sauvegarde de la Paix.

En ce qui la concerne, la SFIO se mettra d'urgence au travail dans ce sens.

Enfin, si la tension internationale s'accentue, les premières mesures dirigées contre les organisations : arrestations de militants, dissolution de syndicats, interdiction des journaux ouvriers, au même titre que l'ordre de mobilisation, devront être le signal de la grève générale portant à son degré le plus élevé la résistance révolutionnaire. Le Congrès proclame solennellement sa volonté d'utiliser l'émotion profonde qui résulterait du danger de guerre pour conquérir le pouvoir et sauver l'humanité du désastre.

D'ailleurs, quelle que soit la marche des événements, l'objectif permanent du prolétariat demeurera la prise révolutionnaire du pouvoir.

Marceau Pivert, Babinger, Malemont, Marchioni, Cne Marck, Mourlon, Sella, Cne Poli, Floutard (15ème Section); Ch. Pivert, Kokoczynski, Bellet (14ème) ; Bouscayrol, Jack Enock (5ème ); Bizet (10ème ); Max Lejeune (8ème ); Joblot (18ème ); Chabrier, Daniel Mayer (20ème ); Jean Costa (Villemonble); Bert, Stéphan (Suresnes); Marcel Jarry (Levallois); R. et H. Modiano (Sceaux); Decourt (Montgeron).
Dubosc (Gers); Aubert (Vaucluse); Séret (Seine-Inf.); Maillard (Eure); Garçonnet (Marne); N. Pinelli et Seigouffin (Corse); Jean Ponchet (Nord); Malroux (Tarn); Heurtaux (Deux-Sèvres); B. Fouchère (Oise); Benoît (Vosges); Toesca (Var); Gaston Plateau (Kasba Tadla- Maroc).


 

Annexe 3

Motion présentée par la minorité de l'IOS  à la Conférence internationale d'août 1933

La victoire de l'hitlérisme a provoqué aussi bien en Allemagne que - par réaction - dans le monde entier une montée de l'esprit nationaliste et chauvin, laquelle augmente considérablement les dangers d'une nouvelle guerre. La victoire d'Hitler a été le coup mortel porté à la Conférence du Désarmement qui était d'ailleurs condamnée à la stérilité complète le jour même de son ouverture. La course aux armements ne s'est pas ralentie un seul moment et ne peut actuellement qu'augmenter en intensité. L'impuissance absolue dont la Société des Nations a fait preuve à l'occasion de l'agression impérialiste du Japon contre la Chine montre bien le caractère de cet organisme, composé des représentants des gouvernements capitalistes, et aussi la vanité des pactes ou ententes conclus entre ces gouvernements.

Jamais depuis 1914 les politiciens et journalistes capitalistes n’ont encore parlé avec un tel cynisme de la guerre qui s'approche. On évoque à nouveau la guerre libératrice de la « démocratie » contre le « fascisme ». La classe ouvrière internationale peut se trouver demain de nouveau engagée dans une guerre mondiale, qui surpassera en horreur toutes les guerres précédentes et dont le premier objectif, de l'aveu même de la réaction fasciste, serait la destruction de l'URSS.

Considérant :

Que la guerre est pour le prolétariat et l'humanité laborieuse tout entière, un des plus grands malheurs;

Qu’en présence des accords internationaux et combinaisons diplomatiques existant - et ainsi que l'expérience de la guerre mondiale l'a révélé - une distinction entre ce qu'on appelle une guerre d'agression et une guerre de défense ne peut pas être faite;

Que toute guerre effectuée dans le cadre du régime actuel a pour but la défense des intérêts capitalistes et de la domination de la classe bourgeoise;

Qu'ainsi non seulement en temps de paix, mais aussi en temps de guerre, l'union nationale avec la bourgeoisie du pays, préconisée par les partis bourgeois, n'est que fiction et mensonge,

La Conférence invite tous les partis socialistes à organiser une lutte énergique et systématique contre les menaces de guerre imminente, et à utiliser tous les moyens, y compris la grève générale pour exercer sur leurs gouvernements respectifs la plus forte pression possible et empêcher toute menace de guerre ce se réaliser. Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, la Conférence engage les partis socialistes à mobiliser les masses sous le mot d'ordre : « Fin de la guerre par le renversement du régime capitaliste! » selon les résolutions de l'Internationale au Congrès de Stuttgart et de Copenhague, ainsi formulées :
« Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, ils ont le devoir de s'entremettre pour la faire cesser, promptement et d'utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. »

Le Congrès constate qu'aussi bien en temps de paix qu'en temps de guerre, les Partis socialistes ne pourront lutter efficacement pour la paix que s’ils ne pratiquent aucune politique de collaboration avec les partis qui se tiennent sur le terrain du capitalisme, c'est-à-dire nécessairement sur le terrain du militarisme et de la guerre.

Le Congrès met les Partis socialistes particulièrement en garde contre la politique funeste de « l'union sacrée » en temps de guerre. Il leur fait un devoir de voter conte tous les crédits militaires aussi bien en temps de paix que pendant la guerre et de combattre inlassablement toutes les aventures coloniales.

Aussi longtemps qu'existera le capitalisme avec ses inévitables conflits entre les groupes économiques dominantes, il sera impossible de supprimer complètement les dangers de guerre. La lutte contre la guerre n'est donc pas autre chose que la lutte contre le régime capitaliste et pour l'édification socialiste. Seul l'ordre socialiste, qui supprimera la lutte des classes au sein des différentes nations et qui abolira les frontières économiques, et politiques entre les Etats, peut assurer, à l'humanité une paix durable.

Consciente du danger continuel de guerre, la Conférence invite les Partis affiliés à alerter la classe ouvrière en vue d'une action collective concertée et sans attendre que l'initiative capitaliste ait déclenché le conflit. Il charge l'Exécutif de l'Internationale d'entrer en relations avec la Fédération Syndicale Internationale, et d'élaborer un plan international de résistance à la guerre et d'entreprendre une action commune pour amener la classe ouvrière de tous les pays à en préparer l'application.

Le Congrès constate que la garantie suprême de l'efficacité de la lutte prolétarienne contre les guerres capitalistes réside dans l'attitude décidée de la classe ouvrière à transformer la guerre en une révolution prolétarienne.