La révolution espagnole

La révolution espagnole et nous...

...Nous dénonçons, plus que jamais, la sinistre comédie de la non-intervention. Nous exigeons de nos délégués au gouvernement l’application des décisions unanimes du Parti et de l’Internationale Ouvrière, c’est-à-dire le retour immédiat à la liberté du commerce avec l’Espagne républicaine. Et ce n’est pas seulement au plan gouvernemental que nous demandons au Parti d’agir. Nous pensons qu’il doit « faire pression par tous les moyens »; qu’il doit, en liaison intime avec la C.G.T., empêcher effectivement le ravitaillement des rebelles et favoriser le ravitaillement des républicains.

Mais d’autre part, nous ne pouvons taire les inquiétudes croissantes, le sentiment de révolte que nous inspirent une série d’événements à caractère contre-révolutionnaire dont l’Espagne républicaine est, depuis quelques mois, le théâtre. En mai, on tente de désarmer le prolétariat de Barcelone et de lui enlever certaines positions stratégiques; le sang ouvrier coule. Un parti révolutionnaire, le P.O.U.M., est dissous, sa presse supprimée. Un de ses animateurs, Andrès Nin, ancien conseiller pour la Justice de la Généralité de Catalogne, est arrêté et disparaît dans des circonstances plus que troublantes.

 

Fascisme, Guerre… ou Révolution ! par Marceau Pivert

Août 1936

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)


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Pour que la révolution prolétarienne espagnole triomphe du fascisme international, il nous faut évidemment fournir à nos frères de classe tous les moyens matériels et techniques dont ils ont besoin.

Mais leur victoire, comme la nôtre, exige également une stratégie politique clairvoyante.

Premier écueil à éviter : favoriser le passage de la guerre civile en Espagne à la guerre internationale. Une pression formidable des impérialismes exaspérés s’exerce dans ce sens. En apparence, on peut croire que la guerre que le monde capitaliste porte en son sein est celle des « démocraties » contre « le fascisme ». Mais, en fait, c’est d’un nouveau partage du monde qu’il s’agit. La haute banque, l’industrie lourde, les trusts se disputent âprement les débouchés, les zones d’influence, les colonies. Ils font et défont les accords internationaux. Ils commandent et déterminent les coalitions d’appétits. Ils financent, dans tous les pays, les formations fascistes destinées à briser la résistance prolétarienne. Le régime capitaliste ne peut plus se prolonger que par la guerre et le fascisme : abattre le fascisme doit être un moyen de faire reculer la guerre impérialiste en laissant aux travailleurs la libre disposition de leurs pensées, de leurs bras, de leurs vies… Il n’y a pas de pire aberration que de consentir à la guerre pour se délivrer du fascisme.

- Cependant, diront certains, l’intervention de Hitler et de Mussolini et de nos propres fascistes aux côtés des rebelles espagnols est bien évidente et nous devons en tenir compte.
- Sans aucun doute ! Nous n’avons pas attendu, nous, cette « révélation » pour dénoncer le mensonge de la « défense nationale ». Nous savons, pour l’avoir découverte dans l’expérience historique autant que dans la doctrine, cette vérité socialiste élémentaire : les intérêts de classe du capitalisme passent désormais avant toute considération de solidarité nationale.
Et c’est pourquoi nous ne confondons pas la nécessaire lutte révolutionnaire pour le renversement du capitalisme avec la criminelle guerre « de défense nationale » destinée à renforcer la domination capitaliste grâce à des millions de cadavres de prolétaires.

C’est pourquoi, en face des tentations monstrueuses de retour à l’union sacrée « des Français », nous lançons notre cri d’alarme ! Mais il ne suffit pas de mettre en garde ; et nous avons toujours préconisé une action directe autonome de classe comme unique moyen de conquérir le pain, la liberté, la paix. Nous rencontrons ici les formules jetées dans la discussion au dernier congrès du Syndicat des instituteurs : elles semblent nettement insuffisantes pour traduire une tactique de classe.

« plutôt la servitude que la mort » n’est pas une formule dépourvue de contenu pour l’individu, quoi de pire que la mort ? Mais une classe comme le prolétariat ne meurt pas. Elle est plus ou moins asservie (plus avec le fascisme – moins avec la démocratie bourgeoise). Ce qui importe, c’est qu’elle lutte et ne se résigne point. En ce sens, l’exemple admirable des travailleurs espagnols dément avec raison la formule trop simpliste : ils conduisent, les armes à la main, la lutte émancipatrice par excellence, celle qui mettra fin à leur servitude, par la mort du capitalisme en tant que classe.

Mais l’autre formule : « plutôt la mort que la servitude », est peut-être plus insidieuse.

Quoi de plus « asservi » qu’un cadavre, même glorieux ! Ce genre de formule a conduit des millions d’hommes aux charniers de la guerre impérialiste ; ils croyaient mourir pour en finir avec la servitude… et ils renforçaient celle-ci, dans la victoire autant que dans la défaite !

La seule lutte acceptable est donc celle qui dresse une classe opprimée contre la poignée de puissants parasites qui l’exploite.

Il faut donc, plus que jamais, refuser l’hypothèse de la guerre impérialiste, derrière laquelle se profilent les appétits des Krupp et des Schneider, des Montécatini et des Vickers.
Il faut donc se consacrer uniquement à une implacable lutte de classe internationale, au lieu de se laisser chloroformer par les constructions juridiques internationales du capitalisme.
Cette lutte de classe internationale nous l’avons appelée lors de la conquête de l’Ethiopie. Elle apparaît encore plus nécessaire pour desserrer l’étreinte du fascisme qui cherche à broyer les travailleurs d’Espagne. La puissance syndicale doit s’engager à fond : faire passer par tous les moyens tout ce qui manque à nos frères de combat ; arrêter par tous les moyens tout ce qui va dans le camp ennemi. Inutile de demander quelque permission que ce soit à qui que ce soit… Réseaux, routes, bateaux, douanes, arsenaux, usines, télégraphes, transports sont à la merci de la force prolétarienne. Tout ce que doit exiger du gouvernement, de notre gouvernement, c’est qu’il laisse agir les masses qui l’ont porté au pouvoir.
On peut le lui dire, en toute cordialité, mais avec impatience. Il cède trop à la pression de classe de l’ennemi dans certains domaines. Tout se paie ! Et l’expérience espagnole est cruelle à ce sujet : au moment du péril, les généraux, les diplomates, les hauts fonctionnaires obéissent à leur caste et trahissent le peuple. Trop de généraux, trop de diplomates, trop de hauts fonctionnaires sont encore en place, chez nous. Et l’on n’est même pas capables de remplacer à la radio tel « collaborateur » fasciste, casé par Mandel…
Cela ne peut pas durer…

Nous ne voulons pas attendre l’heure des combats décisifs pour sonder le degré de fidélité au peuple de certains complices de l’ennemi bien connus. Nous voulons traquer, dans les services publics, les amis de Franco, de Hitler et de Mussolini avant d’entrer en lutte directe avec leurs bailleurs de fonds, nos Juan March et autres Schneider.
Enfin, face aux bandes qu’ils constituent, avec leurs Dorgères, Doriot, Sabiani et de la Rocque, nous appelons les travailleurs conscients du péril à la constitution des milices de défense populaire. Ce n’est pas en masquant les antagonismes de classe, c’est en les accusant ; ce n’est pas en protestant platoniquement, c’est en luttant qu’on restera fidèle aux leçons de l’Histoire.

Qu’on le veuille ou non, avec l’avant-garde espagnole, l’Europe entre dans un nouveau cycle de révolution… ou de guerre. Il faut hâter l’heure de la Révolution prolétarienne internationale si l’on veut éviter la plus effroyables des guerres…

Il faut se souvenir aussi que le fascisme n’est pas autre chose que « le châtiment terrible qui s’abat sur les prolétariats lorsqu’ils ont laissé passer l’heure de la Révolution… » (1)
P.-S. – Je suis obligé de constater que plus d’un mois après la décision unanime prise au Comité national de Coordination (P.S. P.C.) une lettre de rectification que j’avais adressée à l’Humanité n’a pas encore été insérée. (Pas plus d’ailleurs qu’une autre lettre, datant de trois semaines, émanant de l’unanimité de la C.E. de la Seine.)
1 Cf. le beau livre de notre mai Daniel Guérin, Fascisme et grand capital (NRF, Gallimard), 18 fr., qui constitue une analyse pénétrante de cette vérité.

 


La Révolution espagnole et nous, par Marceau Pivert et Daniel Guérin.

Tribunes libres parues dans Le Populaire des 31 août et 7 septembre 1937. (Extraits cités dans Révolutionnaires du Front populaire, choix de documents par J.-P. Rioux.)

Repris par le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)

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Le drame espagnol continue. Impossible aux socialistes révolutionnaires d’éluder les cas de conscience chaque jour plus nombreux et plus redoutables qu’il pose. Il faut prendre parti. Et, ayant pris parti, il faut parler clair. Fuir devant la vérité serait, aujourd’hui, plus encore qu’hier, une lâcheté.

Deux erreurs également graves ont été commises, en toute sincérité, par les militants de notre Parti. En écrivant cela nous ne prétendons certes pas avoir eu raison contre tous. Loin de là. Mais ce qui, peut-être, nous distingue aujourd’hui des uns et des autres, c’est la conscience nette des carences, c’est la volonté d’y mettre fin.

Les uns, dans le Parti, se sont laissés prendre au mirage de la non-intervention. Faisant violence aux sentiments d’internationalisme prolétarien qui sont - ou qui devraient être - ancrés au cœur de tout socialiste, ils ont abandonné à eux-mêmes nos frères d’Espagne. Ils ont cru que c’était pour ceux-ci la moins mauvaise solution, et ils ont cru de bonne foi « sauver la paix ». On sait à qui la « non-intervention » a profité. Quant à la paix, elle est plus menacée qu’il y a un an. Si nos camarades s’entêtent aujourd’hui dans leur erreur, c’est, nous l’espérons pour eux, sans la moindre illusion.
Les autres ont eu le courage de se dresser contre la politique de « non-intervention », d’en dénoncer la duperie. Mais, ce faisant, ils sont tombés, croyons-nous, dans une autre erreur, également funeste: dans leur ardeur à dénoncer le blocus de l’Espagne républicaine, ces camarades ont trop négligé le contenu de classe de la République espagnole. Ils n’ont pensé qu’aux armes nécessaires pour vaincre le fascisme, ne voulant pas se poser la question: entre les mains de qui sont ou vont tomber les armes? Or, provisoirement, les armes sont en train de changer de mains. En juillet 1936, elles étaient entre les mains du prolétariat. Et c’est pourquoi l’on a pu parler d’une Révolution espagnole. Aujourd’hui, elles sont arrachées des mains du prolétariat et de l’avant-garde révolutionnaire.

[...] Notre position est claire:

D’une part nous dénonçons, plus que jamais, la sinistre comédie de la non-intervention. Nous exigeons de nos délégués au gouvernement l’application des décisions unanimes du Parti et de l’Internationale Ouvrière, c’est-à-dire le retour immédiat à la liberté du commerce avec l’Espagne républicaine. Et ce n’est pas seulement au plan gouvernemental que nous demandons au Parti d’agir. Nous pensons qu’il doit « faire pression par tous les moyens »; qu’il doit, en liaison intime avec la C.G.T., empêcher effectivement le ravitaillement des rebelles et favoriser le ravitaillement des républicains.

Mais d’autre part, nous ne pouvons taire les inquiétudes croissantes, le sentiment de révolte que nous inspirent une série d’événements à caractère contre-révolutionnaire dont l’Espagne républicaine est, depuis quelques mois, le théâtre. En mai, on tente de désarmer le prolétariat de Barcelone et de lui enlever certaines positions stratégiques; le sang ouvrier coule. Un parti révolutionnaire, le P.O.U.M., est dissous, sa presse supprimée. Un de ses animateurs, Andrès Nin, ancien conseiller pour la Justice de la Généralité de Catalogne, est arrêté et disparaît dans des circonstances plus que troublantes.

[...] En conclusion, nous demandons à notre Parti qu’une délégation permanente de la C.A.P. soit envoyée auprès du Parti Socialiste espagnol afin d’assurer plus étroitement:

- D’une part, notre solidarité fraternelle dans la conduite des opérations militaires et révolutionnaires, l’organisation directe de l’aide effective du prolétariat français à l’Espagne socialiste;
- D’autre part, le respect des garanties dues à tous les travailleurs antifascistes; la cessation immédiate des mesures répressives contre le prolétariat et l’avant-garde révolutionnaire.
[7-09-37]

[...] La Délégation [internationale du comité de défense des révolutionnaires antifascistes en Espagne] dit avoir eu la nette impression que le ministre faisait allusion aux compensations politiques exigées par Moscou en échange de son soutien… Ces paroles confirment qu’il existe une liaison étroite entre la politique de non-intervention et la répression de l’avant-garde révolutionnaire.

Le jour où le blocus sera levé, le jour où l’U.R.S.S. ne sera plus seule à soutenir nos frères d’Espagne, ce jour-là, non seulement leur République mais aussi leur Révolution sera sauvée.


Entretien de Maurice Jaquier avec Léon Blum en 1936 lors de son retour d’Espagne

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)


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Publié dans « Simple Militant », Denoël, 1974.

Dès mon retour, j’ai vu Marceau Pivert pour l’entretenir des affaires d’Espagne. Mes informations m’ont appris la tragique pénurie en armes de l’Espagne, que l’on disait républicaine et qui est, pour moi, l’Espagne révolutionnaire.

Blum venait de proposer, pour les piquer d’honneur, aux puissances fascistes qui risquaient d’aider Franco, un pacte de non-intervention. la France ne livrerait pas d’armes à l’Espagne à condition que les autres prennent le même engagement. Il s’engageait dans un jeu subtil et dangereux, bien dans sa manière, qui allait le lier, alors que les Etats fascistes ne manqueraient pas d’intervenir. Son leitmotiv : éviter la guerre ; mais son mobile était de rassurer la City qui possédait, en Espagne, des investissements considérables. Marceau me fit part de son embarras. La GR était beaucoup plus pacifiste que révolutionnaire. Michel Collinet, partisan de l’aide à la Révolution espagnole, voulait constituer un Comité que j’appelai le Comité méli-mélo parce qu’on y retrouvait des bellicistes et des réformistes, des petits-bourgeois timorés comme d’ardents révolutionnaires. Il avait été question, après l’appel angoissé de Giral, le nouveau premier ministre espagnol, le 19 juillet au soir, que la France livre, avec les pilotes pour les conduire, trente avions Potez, plusieurs milliers de bombes et un nombre considérable de canons de 75. Pierre Cot, qui était ministre de l’Air, se démenait pour faire taire les opposants. Il fut le seul ministre conséquent du premier gouvernement de Front Populaire, et pourtant il était radical et bien que son audience fût grande, il ne pouvait s’appuyer sur les masses comme auraient pu le faire la CGT, le PCF et la SFIO.

L’attitude des communistes était, elle, pour le moins équivoque. En Espagne, le parti communiste était faible, il ne devait pas avoir plus de vingt-cinq mille adhérents. Sa participation à la guerre civile fut, à ce moment, plus verbale qu’effective. Le POUM comptait 59 000 adhérents, dont la plus grande part en Catalogne, à Valence, à Lerida, à Madrid. Face à eux, près d’un million de syndicalistes à l’UGT, pas loin de deux à la CNT, où la FAI puisait le grand nombre de ses militants. L’UGT était tenue dans le reste de l’Espagne – en dehors de la Catalogne – par la gauche socialiste de Largo Caballero. Ni le PCE ni le POUM ne faisaient le poids devant ces géants. Mais la position révolutionnaire du POUM pouvait faire basculer les ouvriers socialistes et anarchistes dans le camp de ceux qui voulaient mener de pair la guerre et la révolution. Qui voulaient affermir le pouvoir des ouvriers, créer les bases du socialisme, afin d’entraîner l’échec de Franco et du franquisme. Le parti communiste espagnol, nous le verrons, ne défendait pas du tout de telles positions. Marceau, chargé de mission auprès de Blum remplissait, sans en avoir le titre, une tâche de ministre de l’Information. Il décide que je verrai Blum pour lui faire part de mes impressions. Deux jours plus tard, je suis reçu à Matignon. Marceau, qui me connaît bien, me prévient : « Tu seras bref et concis. Pas de violence verbale, mais de la fermeté, cela l’impressionnera. Va et fais du bon travail ! »

C’est l’inévitable Jules Moch qui m’introduit auprès du président du Conseil. Blum, en face de moi, me fait signe d’approcher, les yeux perdus dans le lointain. Il les porte sur moi comme pour percer mes intentions. Ma tenue, volontairement négligée, ne lui plaît pas. Il me fait asseoir, tandis que Moch prend place dans un fauteuil à la droite du mien. « Exposez-moi votre affaire, camarade. »

Blum tutoie tous les parlementaires, qu’ils soient de droite ou de gauche, mais n’accorde pas facilement la faveur de son tutoiement à ceux de son parti. Il me vouvoie. Je contre-attaque fermement : « Écoute, camarade Blum, tu as en face de toi un militant de la base de ton parti. Je reviens d’Espagne où un mandat dérisoire, celui que m’avait donné la République Internationale des Faucons Rouges, m’a servi de caution. J’ai vu le dénuement des troupes, leur courage. Les prolétaires affrontent une armée de métier, des mercenaires. Et eux ils sont nus. Ils n’ont même pas la chance d’être instruits de l’art militaire puisqu’il n’y a pas de conscription chez eux. Mais ils sont pleins de courage. Il me semble impensable que toi, en tant que chef d’un gouvernement de Front populaire, tu puisses ne pas livrer d’armes à ce peuple ; une masse considérable de socialistes là-bas attendent tout de toi… Je suis trop peu théoricien pour te faire une théorie mais je suis sûr qu’Hitler et Mussolini vont intervenir, eux, en Espagne; on ne pique pas d’honneur des bandits. Je veux seulement te dire combien tous attendent de toi une décision conforme à tes fonctions et à ton honneur de socialiste. »

Ma diatribe a jeté un froid. Elle a manifestement irrité Blum et mon tutoiement bien davantage encore. Sa main serre nerveusement son mouchoir… c’est un tic familier. Il me regarde longuement avant de me prodiguer son eau bénite de cour. Je ne sais même plus les phrases qu’il a prononcées… Il est posé, maniéré, doucereux. Ce n’est pas un chef d’État que j’ai en face de moi, mais un équilibriste, un jongleur… Il parle cinq minutes et attend. Je me suis levé… trop brusquement, Jules Moch sursaute et me regarde avec méfiance. Je me penche sur le bureau de Blum de façon à rapprocher mon visage du sien et je dis, en le vouvoyant cette fois, mais par mépris:

« Camarade Léon Blum, je ne sais pas quel sera l’avenir de la Révolution espagnole, mais si elle échoue, toute ma vie je vous considérerai comme un des principaux responsables de son échec.»

Il a eu un soubresaut, s’est levé avec dignité et a tourné les talons. Jules Moch m’a empoigné par le bras et m’a jeté à la porte : « On ne parle pas comme vous venez de le faire au camarade Léon Blum ! » Je n’ai eu que le temps de répondre : « Léon Blum n’est pas un camarade ! » La porte m’a claqué au nez. Un huissier m’a prié de sortir rapidement. Quand j’ai revu Marceau, le soir et que je lui ai raconté mon entrevue, il était consterné. Il est vrai que je n’ai aucune des qualités requises pour faire un diplomate.

 


Qu’est-ce que le POUM ? Qui sont les accusés ? par Marceau Pivert

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)


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Le P.O.U.M. est un parti marxiste espagnol créé par des militants communistes qui se sont séparés de la III° Internationale. Les accusés sont tous des révolutionnaires éprouvés, ayant rempli des fonctions dirigeantes dans le mouvement ouvrier et subi maintes fois la répression de la monarchie ou de la dictature Primo de Rivera. Tous étaient à leur poste de combat le 19 juillet 1936 lorsque les militaires factieux de la Péninsule se sont soulevés.

L’accusation

D’après l’acte d’accusation lui-même, la police de Madrid découvrit en juin 1937 chez un espion fasciste, l’architecte Javier-Fernandez Golfin, « un plan de Madrid millimétré qui devait être remis au camp factieux. Derrière ce plan on découvrit des inscriptions à l’encre sympathique en langage chiffré, interprété par l’Etat-major, parmi lesquelles la suivante : « Votre ordre sur l’infiltration de nos hommes dans les rangs extrémistes, anarchistes et du P.O.U.M. s’accomplit avec succès… exécutant vos ordres je fus moi-même à Barcelone pour rencontrer le membre dirigeant du P.O.U.M. « N ». « N » vous demande avec insistance, ainsi qu’aux amis étrangers, que ce soit moi qui sois désigné uniquement et exclusivement pour communiquer avec lui. »
L’acte d’accusation estime que « cet important document » a dû être écrit entre le 24 et le 28 avril 1937 et « prouve [»] [2] que le P.O.U.M. est « en intime contact avec les organisations fascistes de l’Espagne rebelle et également en relation directe avec les organisations internationales connues sous le dénominatif général de « trotskystes » et dont l’activité chez une déterminée puissance amie de la République espagnole met en relief qu’elles se trouvent au service du fascisme européen et asiatique. » (sic)
Enfin, le mystérieux « N » est plus ou moins ouvertement identifié à Nin, « inculpé arrêté à Barcelone le 16 juin 1937 lorsque fut découvert à Madrid le plan millimétré qui provoqua le procès actuel ». (sic)
En résumé, toutes les accusations articulées contre le P.O.U.M. proviennent de ce système d’explication : il y a des liaisons entre le P.O.U.M. et les fascistes ; la preuve : le document « N ».
En conséquence, les divergences politiques du P.O.U.M. avec les organisations staliniennes sur la conduite simultanée de la guerre et de la révolution sont le résultat de l’influence fasciste.
« Le P.O.U.M. attaque le parlement et préconise la dictature du prolétariat exercée par les ouvriers et les paysans, fascisme ![»] [2]
Il injurie et diffame la Russie soviétique : fascisme !
Il critique l’armée populaire : fascisme [!] [3]
Il publie de fausses nouvelles : fascisme !
Bref, il se comporte en toutes circonstances « comme les fascistes ».
Il distribue des « papillons fascistes ».
Il travaille avec les espions fascistes.
Il héberge des agents de la Gestapo.
Il abandonne le front et fraternise avec les fascistes…
Enfin, il provoque le [«]soulèvement insurrectionnel de mai 37 à Barcelone pour favoriser le fascisme[»].
Tels sont les points principaux de l’acte d’accusation et le système de déduction qui les a reliés entre eux ainsi qu’au document « N » qui constitue la clef de voûte de l’édifice.

Le procès

Une étrange discrétion de la presse espagnole censurée et muette jusqu’au 25 octobre, un peu plus ouverte, mais bien modestement depuis cette date, nous prive des informations complète qu’aurait pu obtenir une publicité complète des débats.

Mais nous en savons assez aujourd’hui, (grâce surtout à « Solidaredad Obrera [4] » pour nous faire une opinion : la machination policière a raté son coup : L’affaire était assez habilement montée : On met tout sur le dos de Nin… après l’avoir assassiné… puis on raconte qu’il est enfin chez les fascistes ! Il n’est plus là pour se défendre et les documents, du moins en apparence, sont accablants !

Malheureusement, « a beau mentir qui vient de loin » le document « N » se révèle comme un faux grossier, la clef de voûte de l’édifice s’effondre : les experts en écriture ne peuvent pas affirmer que le texte incriminé est écrit par Nin. Les documents produits sont déclarés « n’avoir aucune valeur militaire » par l’Etat-major lui-même. Mieux, l’avocat démontre que le fameux plan millimétré a été pris chez Jolfin le 23 mars et qu’à ce moment-là il n’y avait rien d’écrit au dos.
Restent les conditions dans lesquelles Nin a disparu. Ici, l’accusation raconte que « une fois arrêté, Andres Nin fut transféré le 16 juillet 37 à une prison de Madrid et de là à un hôtel aménagé en prison situé dans la rue Alcala de Henarès d’où le 22 juillet 37, à 21 h30, il parvint à s’évader (!) grâce à l’appui d’un groupe d’individus en uniforme qui réduisirent à l’impuissance la garde de l’hôtel ( !) et avec lesquels Andres NIN s’en alla… (!) »

Mais le ministre de la Justice de cette époque Manuel Irujo (dirigeant du parti nationaliste basque-catholique de droite) « affirme que le juge spécial qui tentait d’éclaircir l’affaire Nin fut sur le point d’être arrêté et que la police arriva à des méthodes complètement abusives.[»]
« La police, ajoute-t-il) a pratiqué des arrestations sans que le ministre de l’Intérieur en fût averti ! Elle transportait les détenus d’un endroit à un autre, dans des lieux inconnus d’où il arrivait que les gens disparaissent comme dans le cas de Nin, sans que l’on puisse prouver ces faits… »

Conclusion : il est invraisemblable que les policiers staliniens qui ont disposé de NIN sans aviser le ministre de l’Intérieur, l’aient laissé s’évader ! L’ancien secrétaire de l’Internationale syndicale rouge était trop précieux pour eux ; en se débarrassant de lui et en montant l’affaire du document « N » ils espéraient faire coup double.

Maintenant les accusateurs de Nin sont et resteront, pour nous, des accusés et leur procès devra se faire tôt ou tard devant le prolétariat international.

Examinons néanmoins les griefs portés contre la 29° division [5]. L’acte d’accusation et les témoins à charge (staliniens) affirment que cette division composée de militants du P.O.U.M. et commandée par Rovira [6] (avec pour commissaire politique Arquer) avait abandonné le front d’Aragon au moment des journées de mai.

Voici sur ce point le témoignage de José Guarner Vivancos, chef d’Etat-major du gouvernement de Catalogne, chef de la 28° division (C.N.T.) : « Je connais parfaitement la 29° division qui ne donna jamais lieu à aucun trouble de caractère militaire. Je n’ai jamais entendu parler d’un pacte de non-agression entre elle et les factieux. Mais tout le contraire. »
D’après Solidaridad Obrera, Vicancos exposa devant le tribunal les brillantes actions de cette division. Il avait bonne impression du P.O.U.M. Il déclare ne pas savoir au juste si la 29° division abandonna le front au moment des événements de mai, mais il aurait entendu dire qu’elle en était partie et qu’elle y était retournée ensuite. Et que plusieurs divisions avaient également abandonné le front pour avoir entendu dire qu’on assassinait leurs frères à Barcelone.

« Il affirme catégoriquement que jamais le gouvernement central n’a envoyé un seul homme pour prendre les positions abandonnées sur ce front. »
Là encore, les accusations se révèlent sans base sérieuse. Un immense danger a frôlé incontestablement la République espagnole en ces jours tragiques : mais comment imaginer s’il y avait eu des liaisons directes entre le P.O.U.M. et Franco, que celui-ci ne l’aurait pas mis à profit. Comment imaginer, si le front avait été abandonné – puisque aucune troupe n’a été envoyée en ligne – que les fascistes n’en auraient pas profité pour attaquer ?

Le trouble qui s’est emparé des combattants à la nouvelle de ce qui se passait à Barcelone au début de mai est trop explicable, hélas ! il a atteint de larges secteurs antifascistes (et pas seulement le P.O.U.M. !)

Que s’est-il donc passé au début de mai 37 ?
Là est le nœud du problème que les historiens résoudront sans peine.

Ecoutons quelques témoins :
Martin Rouret (sous-secrétaire à la généralité, dirigeant de la Esquerra republicana de Catalunya [7]).
« A [son] avis, les forces publiques, par leur action dans l’affaire de la téléphonique, provoquèrent les événements de mai. »
Andreu Abello, président du Tribunal de Cassation, déclare qu’il « ne peut préciser qui participa à la lutte des journées de mai. Mais [il] croit que le P.O.U.M. eut la plus petite part parce que les forces de la C.N.T.-F.A.I. sont supérieures à celles du P.O.U.M. et ces dernières n’auraient rien pu faire sans l’appui de la C.N.T.-F.A.I. »
Federica Montseny (ex-ministre de la Santé du gouvernement Caballero) (C.N.T.-F.A.I.) fut « envoyée par le gouvernement central pour régler les troubles de mai et lorsqu’on pourra faire la lumière sur ces événements, dit-elle, l’on comprendra certaines choses qui, à l’heure actuelle, paraissent obscures, que ni le P.O.U.M., ni la C.N.T.-F.A.I. n’ont aucune responsabilité dans lesdits événements. [»] Elle ajoute que la préparation de ces événements a été faite dans l’ombre, [«] dans le but de renverser le gouvernement Caballero et chasser le prolétariat du pouvoir au préjudice des travailleurs. »

Elle demande d’ailleurs l’acquittement pur et simple des accusés qui sont, à ses yeux, de bons militants antifascistes.
Enfin, Francisco Largo Caballero (ex-président du Conseil, dirigeant de la gauche du Parti socialiste et de l’U.G.T.), déclare que les événements de mai furent provoqués par la lutte qui existait entre les partis politiques. Il affirme qu’il a été l’objet de très fortes pressions pour dissoudre le P.O.U.M. par décret gouvernemental, ce qu’il a refusé catégoriquement.
En résumé, s’il faut condamner le P.O.U.M. pour les événements de mai, aux côtés des accusés doivent comparaître également les organisations suivantes : la C.N.T., la F.A.I., la gauche du Parti socialiste. Cependant, c’est exclusivement en raison de leur rôle dans les journées de mai que les dirigeants viennent d’être condamnés !

La sentence

« Des membres du P.O.U.M. se sont joints au mouvement subversif provoqué par des éléments rebelles à Barcelone en mai 1937, dans le but d’imposer leurs conceptions sociales… délit de rébellion, art. 238 n°4 du Code pénal, de droit commun « pour avoir tenté de soustraire la nation à l’autorité du Gouvernement…
« En conséquence : quinze ans d’internement à :
Julian Gorkin
Juan Andrade
Enrique Adroher (Gironella)
Petro Bonet
Onze ans à José Arquer.
Acquittés : José Escuder et Daniel Rebull.
« Le tribunal ordonne en outre la dissolution du P.O.U.M. et de la J.C.I. »
(Soli. 29 oct.)
(Rovira, que les staliniens accusaient d’être passé chez Franco alors qu’il assurait la direction politique illégale du P.O.U.M., s’est spontanément présenté à la police le 30 octobre.)

Nos conclusions

1° D’abord l’accusation d’espionnage n’a pas été retenue : La flétrissure se porte donc sur ceux qui ont essayé de salir ignoblement leurs adversaires politiques, et qui ont été jusqu’à l’assassinat sans réussir, d’ailleurs, à abattre de fiers combattants révolutionnaires ;
2° Ensuite, la machination policière contre le P.O.U.M. et contre la révolution espagnole est maintenant très évidente : le procès a mis en lumière les monstrueux procédés employés pour essayer de déshonorer les militants du P.O.U.M. : documents fabriqués, perquisitions préparées, utilisation d’indicateurs tarés (comme l’espion Roca), etc… Aucun agent de la Gestapo parmi les militants fréquentant le P.O.U.M. n’a jamais pu être découvert.
Il faut donc faire un contre-procès pour reconstituer les circonstances et les responsabilités de la disparition de Nin (comme d’ailleurs de Kurt Landau). Il faudra bien clouer au pilori les inspirateurs et les auteurs de ces attentats fascistes.
Il faudra réhabiliter les militants du P.O.U.M. injustement condamnés par des événements provoqués par d’autres. Il faut, immédiatement, développer la campagne en faveur de l’amnistie qui les arrachera au risque d’assassinat toujours possible ;
3° Il faut enfin que le prolétariat international, dans toutes ses organisations politiques et syndicales sérieuses, s’empare du problème posé par les événements de mai : La C.N.T. n’a pas hésité à l’écrire dans sa brochure : « Les journées de mai ont été assassinées par le P.S.U.C. et le Parti Communiste. La provocation partit de la force publique : des ouvriers de la C.N.T. et d’autres organisations […] [8] . »
Nous considérons quant à nous que les journées de mai prendront un relief saisissant avec le recul de l’histoire : Des ouvriers syndicalistes conquièrent, les armes à la main, en juillet 1936, leur centrale téléphonique à Barcelone. Et pour des raisons diplomatiques transparentes, la police, aux ordres de Rodriguez Salos et du Parti Communiste, les déloge à coups de fusil de leur position stratégique ! Aucune falsification, aucun truquage n’effacera cela ;
4° Nous nous abstiendrons de tirer des conclusions politiques, elles appartiennent au domaine de la conscience des militants. Nous faisons confiance aux travailleurs espagnols pour qu’ils lèvent l’équivoque redoutable dans laquelle la condamnation et la dissolution du P.O.U.M. place leurs mandataires. En juin 36, le Front populaire espagnol n’osait pas dissoudre la « falanga espanola de la J.O.N.S. » ! Est-ce que ce simple rapprochement n’est pas un signe inquiétant.
5° Enfin, notre S.I.A. a joué courageusement son rôle, en dépit de toutes les pressions exercées sur elle pour étouffer sa voix. Des militants et des organisations osent considérer que la défense des accusés du P.O.U.M. contribue à « discréditer la cause de la République espagnole » Quelle erreur ! C’est au contraire grandir la République espagnole que faire la preuve de son amour de la justice. Un crime odieux a été évité, mais une faute vient d’être commise : il faut la réparer : il faut amnistier les militants antifascistes irréprochables qu’on voulait faire disparaître. S.I.A. a eu raison de répondre : « Nous ne sommes sous le contrôle d’aucun parti ni d’aucun drapeau d’aucune sorte. S.I.A. vient en aide à tous les secteurs antifascistes chaque fois qu’elle croit nécessaire et juste d’intervenir en leur faveur [»].
Voilà la bonne route. Nous aurons besoin de plus en plus de ce langage fraternel, désintéressé et indépendant comme doit l’être le mouvement même du prolétariat. Aussi, nous développerons S.I.A. malgré les insensés qui continuent à salir le P.O.U.M. et ses défenseurs « comme des traîtres et des agents de la 5° colonne à la solde du fascisme international » (Huma, 6 nov. 38), et nous rassemblerons dans ses rangs, au service de notre cause commune, tous les travailleurs « demeurés fidèles à ces valeurs révolutionnaires par excellence : la liberté – la vérité – la justice. »

Notes


[1] Regroupant jusqu’à 15 000 adhérents, SIA organisait des meetings et des livraisons alimentaires à la Catalogne. L’hebdomadaire comprenait des pages en espagnol et en italien.
[2] La distribution des guillemets semble à plusieurs reprises assez accidentée dans l’article. Nous rajoutons entre crochets les guillemets manifestement supposés disparus .
[3] L’article met ici un tiret, il doit vraisemblablement s’agir d’une faute de frappe pour un point d’exclamation.
[4] Il s’agit, mal orthographié, de Solidaridad Obrera [Solidarité ouvrière], quotidien de la CNT à Barcelone
[5] La 29 ° division, formée par la Colonne Lénine du P.O.U.M., et ayant fait preuve d’héroïsme sur le front d’Aragon, a été dissoute en juin 1937
[6] Josep Rovira (1902-1968) et Jordi Arquer (1907-1981) participaient par ailleurs à la direction (Comité exécutif) du P.O.U.M.
[7] Mauvaise orthographe corrigée. Il s’agit de la Gauche républicaine catalane, parti petit-bourgeois participant au Front populaire.
[8] L’article est ici tronqué : une ligne est répétée et la dernière phrase est coupée.

 


 

Le procès du POUM

7 novembre 1938

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)

 

 

 


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A l’annonce de l’inique procès que les responsables (?) de la République espagnole veulent intenter aux dirigeants du P.O.U.M., l’émotion a gagné les rangs de la classe ouvrière. Dans la C.G.T., dans le Parti socialiste, des protestations s’élèvent.
Le Populaire écrit que « le seul document sur lequel est fondée l’accusation est un faux ». Il rappelle que le propriétaire de ce document, le fasciste Golfin, après avoir nié qu’il eût jamais une quelconque relation avec le P.O.U.M., a été fusillé pour que son témoignage ne fût pas apporté devant le Tribunal.

Très justement le Populaire signale que les faits reprochés au P.O.U.M. sont antérieurs à la promulgation de la loi instituant le Tribunal d’Espionnage et par conséquent ne peuvent légalement être jugés devant un tel tribunal. Mais il est évident que la justice n’a rien à voir dans cette affaire. C’est un procès politique que les étranges « défenseurs » de la République espagnole veulent faire contre des militants intègres et qui ont donné des milliers de preuves de leur dévouement à la classe ouvrière et à la révolution. La preuve que le procès est monté de toute pièces par les staliniens qui veulent se débarrasser d’adversaires de tendance nous est fournie par l’Humanité du 17 juillet. Georges Dimitrov dans une lettre adressée au P.C. espagnol écrit:
« L’extermination complète de la bande d’espions trotskistes du P.O.U.M. est une des conditions les plus importantes pour la victoire sur les bandes meurtrières fascistes (1) ». L’ordre d’exécution vient donc de Moscou; il est signé de Staline. Le gouvernement de Barcelone voudra-t-il se déshonorer en obéissant servilement aux ukases de Staline? Donnera-t-il au monde cette preuve - fatale pour lui - qu’il n’est pas un gouvernement libre ?

Nous attendons la réponse!

Tout le monde sait la situation angoissante de la République espagnole isolée par la politique de MM. Chamberlain et Bonnet, à laquelle l’U.R.S.S. a donné son adhésion: les franquistes avancent sur Sagonte et la famine sévit durement dans le camp républicain. Pour masquer leurs responsabilités dans les défaites militaires et l’absence de ravitaillement, les journaux communistes espagnols sont remplis d’attaques et de provocations au meurtre contre les courageux militants du P.O.U.M. Ce sont eux qui, en prison depuis un an, sont évidemment responsables de la perte de l’Euzkadi, des Asturies, de l’Aragon, de la chute de Lerida et de Castellon. Comme « preuve de la trahison du P.O.U.M. » le Frente Roja (13 juillet), organe officiel du P.C., cite le voyage à Saint-Sébastien du « poumiste Doriot » (sic) et les discours fascistes du renégat de Saint-Denis.
A ce flot d’infamies aussi absurdes que criminelles, les travailleurs doivent répliquer en exigeant la libération des militants du P.O.U.M.

Il y va du salut de la République espagnole et de l’honneur du prolétariat international.

Note :


(1) Le P.C. français plus prudent ne lance pas d’appel au meurtre; il se contente de « féliciter le peuple espagnol pour sa vigoureuse défense contre les trotskistes du P.O.U.M., agents directs de Franco et de Hitler » (Humanité du 18 juillet).


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Le procès du POUM (1936)

L’Internationale n°39 (26 octobre 1938)

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)

Le procès des dirigeants du POUM est terminé, mais nous ne connaissons pas encore les peines infligées aux accusés. Après le réquisitoire du procureur, il faut s’attendre à des dizaines d’années de prison.

Remis plusieurs fois, ce procès s’est tenu à la veille du règlement de la question espagnole qu’annoncent et préparent les impérialismes. Le gouvernement du socialiste Negrin vient de donner à ses amis de Paris et Moscou un gage de son autorité. Ce procès aura en effet montré qu’il n’existe plus en Espagne « républicaine » aucune force ouvrière capable de s’opposer à la contre-révolution triomphante.

Il faut bien souligner l’absence totale de réaction contre ce scandaleux procès, même de la part des anarchistes et syndicalistes de la C.N.T. et de la F.A.I., complètement domestiqués maintenant. Certes, Federica Montseny et Largo Caballero ont fait quelques déclarations en faveur des accusés. Mais nous ne pouvons pas oublier que ces deux leaders étaient précisément ministres lors de la répression qui suivit les journées de mai 1937. Leurs protestations viennent donc un peu tard, lorsqu’eux-mêmes se sentent menacés, après avoir été éliminés du gouvernement.

Que les staliniens, qui ont monté le procès et mené la répugnante campagne que l’on sait, soient les principaux responsables de la répression qui frappe les militants du POUM, c’est un fait qui ne doit pas nous faire passer sous silence le rôle des chefs socialistes, réformistes, anarchistes et syndicalistes. Qu’ont fait la C.N.T., la F.A.I. et le parti socialiste, contre le procès? Rien.

Ce sont donc les complices plus ou moins honteux ou avoués des bourreaux stalino-bourgeois du gouvernement Negrin.
A l’étranger, le procès du POUM a soulevé de nombreuses protestations. Les organisations adhérentes au Bureau de Londres ont soutenu les dirigeants du POUM en organisant des meetings, en envoyant des télégrammes, en faisant démarches sur démarches auprès de leurs gouvernements respectifs. Mais nous savons ce que valent de telles manifestations. Par exemple, faire appel, en France, à un Belin et à d’autres personnalités du mouvement ouvrier ou libéral, c’est ne rien faire de sérieux pour le POUM, mais cela permet à ces Messieurs de redorer leur blason auprès de quelques milliers de militants. Si Belin était annoncé au meeting de la Mutualité du 22 octobre, « Le Peuple », lui, n’a rien publié contre la sinistre comédie de Barcelone. Comme toute la presse « ouvrière », « Le peuple » s’est tu, et c’est normal. Ceux qui trahissent en France les intérêts ouvriers ne peuvent avoir d’autre attitude au sujet du sort de révolutionnaires étrangers. Et ce n’est pas le télégramme hypocrite de l’I.O.S. qui peut modifier notre appréciation.

Ce procès du POUM a une signification que nous tenons à rappeler à nos camarades qui luttent contre les traîtres du mouvement ouvrier. Des militants révolutionnaires espagnols ont été accusés d’espionnage et de trahison de la « patrie ». Les révolutionnaires en France seront aussi accusés d’être les agents d’Hitler et des membres de la 5° colonne. Les staliniens ont d’ailleurs déjà commencé à proférer des menaces contre les militants syndicaux Lutte de classe. Apprêtons-nous donc à réagir de toutes nos forces.

Quant à la solidarité envers les militants du POUM condamnés, continuons à l’organiser, mais en restant sur le terrain de la lutte des classes, et non en faisant appel aux âmes charitables. Les révolutionnaires doivent se défendre par leurs propres moyens, en s’adressant à leurs camarades de classe et non aux leaders à double face.


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Document : Déclaration sur le procès du P.O.U.M.

Secrétariat de la IV° Internationale, 11 octobre 1938.
Publié dans le B. O., n° 71, novembre 1938, p. 16. Cité par P. Broué en annexe de Trotsky : La Révolution espagnole (1975)

Les journaux viennent d’annoncer l’ouverture à Barcelone du procès du P.O.U.M., accusé de complicité avec le fascisme et de complot contre les institutions républicaines. La IV° Internationale, à laquelle le P.O.U.M. n’est pas affilié, a toujours élevé la protestation la plus énergique contre la répétition de procès de Moscou sur le sol de l’Espagne républicaine. Elle souligne que c’est après plus d’un an d’atermoiements, au cours duquel il a été amplement démontré que seuls des faux et des provocations caractérisées, œuvres de MM. Iagoda et Ejov, ont été la base de l’accusation mensongère de complicité du P.O.U.M. avec le fascisme, que le gouvernement Negrin se décide à faire un procès.

Le gouvernement Negrin a accepté de se placer sur le terrain du compromis avec le fascisme (médiation) voulu par M. Chamberlain. Il a rejeté les courageuses phalanges internationales qui se sont, les premières, dressées contre Franco et ses séides, et dont le P.O.U.M. avait, le premier, en 1936, rassemblé les éléments. C’est au moment où ce compromis des « démocraties » s’apprête à livrer l’Espagne à la réaction et à la dictature que le gouvernement met en scène un procès, fondé sur des faux patents, contre un parti ouvrier socialiste. C’est un alibi monstrueux, comme l’ont été les procès de Moscou qui ont soulevé l’indignation de la conscience avancée du monde.

Aucune garantie sérieuse n’a été offerte aux accusés, calomniés quotidiennement au cours de la préparation du procès. Seule la protestation ouvrière internationale a imposé des débats publics. Mais le gouvernement a refusé jusqu’au bout l’accès à la défense d’avocats étrangers et d’une commission internationale ouvrière indépendante.

Le procès de Barcelone ne peut être qu’une vengeance politique. Mais les calomnies et les provocations misérables des agents staliniens y seront démasquées avec l’aide de la classe ouvrière internationale. Déjà le G.P.U. a assassiné Andrés Nin, l’un des leaders du P.O.U.M. En même temps a été « instruite », également sur la base de divers faux, une action contre le groupe bolchevique léniniste espagnol (Munis, Carlini, Rodriguez et autres).

Au moment où N. Ejov s’effondre sous le poids de la répression intérieure qu’il a dirigée, le procès du P.O.U.M. doit marquer un arrêt décisif du gangstérisme dans le mouvement ouvrier.

Toutes les consciences ouvrières honnêtes seront aux côtés des accusés de Barcelone, coupables seulement d’avoir maintenue vivante la foi socialiste au cœur du prolétariat catalan.


Le crime d’être proscrit 

Article de Marceau Pivert publié dans SIA [organe de Solidarité Internationale Antifasciste] N°2 (24 novembre 1938)

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)


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Nos apprentis-Führer développent leur malfaisance dans des proportions véritablement inimaginables!
Voici, en ce qui concerne la « répression » contre les « étrangers » un paragraphe des décrets-lois qui mérite une citation particulière:
« En outre, à l’égard des étrangers expulsés qui, ayant parfaitement la possibilité de quitter la France, s’obstinent à enfreindre les ordres de départ, la peine de la relégation est la seule sanction efficace pour éviter la violation répétée des mesures d’éloignement prises par les autorités françaises. »

Les étrangers expulsés « ayant la possibilité »?… Qu’est-ce que cela signifie?
Cela signifie que de malheureux réfugiés antifascistes chassés de leur pays par la dictature sont priés de retourner se livrer aux vengeances, aux persécutions et aux assassinats des bourreaux de la classe ouvrière.

Jamais notre bourgeoisie n’a montré sous un angle aussi hideux son véritable visage de haine de classe et d’hypocrisie à la fois.

Jamais des mesures ayant quelque analogie avec cette proscription n’ont été envisagée à l’égard de la racaille franquiste, des agents de la Gestapo ou des Russes blancs qui infestent certains centres et sont protégés automatiquement parce qu’ils sont riches, tiennent pignon sur rue et se présentent sous le patronage de puissants protecteurs politiques.

Mais pour les pauvres bougres, tout est bon! Ceux qui refusent de retourner dans les camps de concentration, ceux qui n’exécutent pas les ordres de refoulement parce qu’ « ils ne peuvent pas faire autrement t », parce que pour eux, cela équivaudrait à un véritable suicide, ceux-là sont traqués comme des chiens, recensés, parqués, emprisonnés, meurtris. La solidarité de classe des travailleurs a pu les protéger provisoirement; la bourgeoisie, féroce, ne veut plus les voir. Elle acquitte et libère ses cagoulards, mais elle veut en finir avec les véritables antifascistes.

Et voici ce qu’elle a imaginé dans cette débauche de décrets dictatoriaux pris sous prétexte de « redressement financier » en vertu des pleins pouvoirs:

Les étrangers assez obstinés pour refuser de se laisser livrer à Hitler ou à Mussolini seront envoyés  au bagne comme des criminels, comme ces déchets de la société en faveur desquels, d’ailleurs, le « Front populaire » devait prendre des mesures d’adoucissement.

Ainsi, les condamnés aux travaux forcés demeureront en France, dans les prisons centrales. Seuls parmi les condamnés de droit commun seront envoyés au bagne les souteneurs invétérés après trois ou quatre condamnations. Mais, en outre, les malheureux émigrés antifascistes, des hommes propres, fidèles à leurs idées, des travailleurs honnêtes eux, seront immédiatement « relégués » comme des criminels endurcis vers la Guyane ou dans les Iles.

Quel est le citoyen qui n’a pas senti le rouge lui monter au front à la lecture d’un tel document?

Quel est le sauvage qui a rédigé ce texte superscélérat?

N’a-t-il donc pas de compagne, d’enfants, de famille, d’amis, celui qui ose traiter aussi cruellement, comme un rebut social, des hommes dont le seul crime est d’être malheureux, accablés et loyaux à l’égard de la grande cause de l’émancipation de l’humanité.

Quelle différence y-a-t-il entre le cerveau qui a conçu cette monstruosité, et le cerveau d’une brute fasciste, ou le cerveau d’un gorille à peine supérieur?

… En voilà assez!

Assez de trahisons et de lâchetés! Assez de « démocrates » à faux nez qui préparent chez nous le lit de la dictature. Assez de servilité à l’égard des trusts et des banques qui ne peuvent plus considérer les travailleurs que comme chair à profit, chair à souffrance, chair à canon.

Ici, à « S.I.A. », en élevant notre protestation révoltée contre l’infâme décret nous ajouterons un mot à l’adresse des misérables politiciens qui font ce triste métier comme pour mieux justifier les prébendes des financiers dont ils exécutent les ordres: Le peuple a plus de mémoire que ces messieurs ne l’imaginent. On peut sans doute abuser de sa faiblesse passagère, écraser férocement les plus faibles et les plus déshérités dans ses rangs. Mais le jour viendra, c’est pour nous une certitude! Ceux qui ont pris la triste responsabilité des décrets scélérats devraient bien y penser un peu dans leur ivresse d’autorité usurpée et de coercition fragile. Car ils auront besoin de beaucoup de cette humanité qu’ils refusent à leurs adversaires lorsque passera sur leur tête le souffle de la justice souveraine des masses populaires enfin délivrées de leurs chaînes!


Pour la révision du procès du P.O.U.M.

Déclaration pour la révision du procès du P.O.U.M. de novembre 1938, publié dans la Révolution prolétarienne n°286 (janvier 1939)

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)


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Le procès contre le comité exécutif du POUM a eu, en Espagne et à l’étranger, une résonance extraordinaire. Le gouvernement de la République en connaît sans aucun doute tous les détails, c’est pourquoi nous ne croyons pas nécessaire d’en retracer ici l’histoire. Il nous suffira de rappeler que, accusés d’avoir commis les délits les plus monstrueux d’espionnage et haute trahison, Juan Andrade Rodriguez, Julián Gómez Gorkin, Pedro Bonet Cuito, Enrique Adroher Pascual et Jordi Arquer Saltó furent traduits devant le tribunal d’exception chargé d’instruire ces soéprouvés des condamnés est reconnue, de même que leur constante participation à la dure bataille que le peuple espagnol mène contre le fascisme. Il est également reconnu que ce n’est pas eux qui organisèrent ou provoquèrent les événements de mai 1937. L’accusation consiste seulement dans le fait qu’ils voulurent profiter de ces événements pour implanter en Catalogne un régime en accord avec les idées socialistes qui figurent dans le programme de leur parti. Cette responsabilité subsidiaire, si elle existe, rend cette sentence d’autant plus injuste, puisqu’il n’y a pas eu d’autres procès ni d’autres accusés pour lesdits événements. Les soussignés ne peuvent approuver en toute conscience cette sentence, même si elle est sans appel, car elle contient, entre autres, une grave faute de droit, ainsi le fait que le tribunal central d’espionnage s’attribue toute compétence pour un cas de rébellion (c’est ainsi que le délit est qualifié dans la sentence), court-circuitant les dispositions légales en vigueur, qui réservent le jugement de ce type de délits aux tribunaux populaires de justice (DD du 7 mai 1937 et 24 mars 1938).Mais de plus, outre la raison citée ci-dessus, d’ordre juridique, nous avons d’autres raisons d’ordre politique. Les condamnés, tous vieux militants du mouvement ouvrier, ont pris une part active aux luttes de 1930 et d’avril 1931, qui amenèrent la République, et aux luttes d’octobre 1934, février 1936 et juillet de la même année, qui ont empêché la réaction fasciste de s’installer au pouvoir. Aux yeux des masses populaires, ces hommes apparaissent comme condamnés pour leurs idées révolutionnaires de toujours, comme des victimes d’une persécution politique. À l’étranger - et le gouvernement de la République le sait mieux que nous-mêmes - l’émotion a été énorme autour de cette affaire et elle le sera davantage lorsque la sentence sera connue. II est question de faire un contre procès à Paris, avec le concours d’avocats français, anglais et américains connus. La cause de l’Espagne antifasciste peut-elle bénéficier de cela, surtout en de pareils moments ? Évidemment, non. Un sentiment de solidarité antifasciste envers les condamnés et la conviction qu’ainsi nous servons l’intérêt général de la cause pour laquelle le prolétariat espagnol lutte si vaillamment nous conduisent à demander au gouvernement qu’il permette la révision par les voies légales de ce procès et la réparation des erreurs que, à notre point de vue, contient la sentence édictée. Et par-dessus tout, nous désirons que ces vieux militants antifascistes, qui, en Espagne et à l’étranger, jouissent d’une certaine sympathie, ne voient pas leur énergie se consumer stérilement dans les prisons, alors que l’effort de tous est nécessaire pour vaincre l’ennemi et sauvegarder les droits de l’héroïque peuple espagnol. En conséquence, nous sollicitons du Conseil des ministres la révision du procès et que s’ouvre une nouvelle instruction du procès des condamnés à cette sentence ou, à défaut, en attendant le moment de cette révision, une amnistie immédiate.rtes de délits. Les quatre premiers accusés ont été condamnés à quinze ans de travaux forcés, le dernier à onze ans de la même peine. Dans la sentence, la qualité d’antifascistes


Caballero, président du Conseil des ministres et dirigeant du Parti socialiste ;
Luis ArLargoaquistain, ex-ambax-présissadeur d’Espagne à Paris, dirigeant du Parti socialiste;
Rodolfo Llopis, ex-directeur généraFe
Nicolau D’Olwer, intellectuel catalan, ex-ministre et actuellement gouverneur de la Banque d’Espagne et président d’Accio Catalana Republicana ;
Juan Peiró, ex-ministre de l’Industrie, dirigeant de la CNT;derica Montseny, dirigeante de la CNT-FAI, ex-ministre de la Santé publique;
Franciscol de l’Enseignement;
José Tarradellas, chef du gouvernement de la Généralité, dirigeant de la Esquerra Republicana de Catalunya (ERC);
Jaime Miravitlles, commissaire à la propagande de la Généralité de Catalogne, membre de l'ERC.


Trotsky et l'assassinat de Nin, par Wilebaldo Solano

(Note)

Extrait du message de Wilebaldo Solano en février 1989 dont le titre est « Andreu Nin y Léon Trotsky » sur le site de la fondation Andreu Nin. Il est disponible en totalité, mais en espagnol, sur le site de cette fondation.

http://www.fundanin.org/solano10.htm

 


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Entre le 25 Août 1936, isolé dans sa prison norvégienne, et le 9 Janvier 1937, date de son arrivée au Mexique, Trotsky avait peu de possibilités de se renseigner sur la révolution espagnole, qui vivait six mois décisifs. Les premières informations sérieuses venaient de la délégation du POUM animée par David King et Costa Amic, qui a été très bien reçue par Trotsky. Ces camarades constataient que, en dépit de toutes ses préoccupations, son intérêt pour le POUM était très grand. Mais à cette époque, le Mexique était beaucoup plus loin de l'Espagne qu’aujourd'hui. Trotsky les recevait trop tard, leurs informations étaient mauvaises et, parfois, venant de groupes trotskistes en conflit avec leurs problèmes internes, elles ajoutaient à la confusion. Nous ne nous expliquons pas le ton de certains de ses articles nous reprochant d’avoir organisé notre propre milice alors que toutes les organisations avaient fait la même chose et que nous étions pour la création d'une armée révolutionnaire.

Certaines critiques, comme par exemple les critiques contre la participation de Nin dans le conseil du gouvernement de Catalogne et son implication dans les événements de mai, ont également été faites à l’intérieur du POUM, mais le ton général de Trotsky a été fortement influencé par la crise ouverte dans le mouvement pour la Quatrième Internationale autour du POUM et de sa politique. Le parti hollandais de Sneevliet, la tendance belge de Vereecken, ses vieux amis Victor Serge et Alfred Rosmer, entre autres, avaient critiqué sa nouvelle attitude envers le POUM, l'accusant de sectarisme. Tout cela était trop pour Trotsky dans ces circonstances.

En effet, les polémiques qui ont été ouvertes ont été d’autant plus douloureuses pour Nin qui attendait une autre attitude de Trotsky. Il est vrai que, loin de l'Europe à Coyoacán, il vivait un des moments les plus dramatiques de sa vie. La répression stalinienne avait atteint sa propre famille, ses meilleurs amis russes avaient capitulé ou avaient été éliminés par Staline. Il était de plus en plus seul et savait que Staline ferait tout pour l'éliminer. Il savait que le GPU infiltrait le mouvement trotskyste. Mais il sous estimait peut-être l'importance de cette action.

Maintenant, vous pouvez enfin avoir accès à des archives soviétiques et, bien sûr, nous voyons que l'une des tâches du GPU à cette époque était d'ouvrir une crise entre le POUM et le mouvement trotskyste, entre Trotsky et Nin. Nous l'avons dit plusieurs fois et je le répète aujourd'hui, c'était très important d'isoler et de discréditer un parti révolutionnaire qui jouait un rôle important dans l’Espagne combattante et qui était un espoir pour les socialistes révolutionnaires dans le monde entier.

Lors de la conférence de Paris dont j'ai parlé au début de mon discours, il a été de nouveau soulevé la question de l'absence du POUM dans la conférence de fondation de la Quatrième Internationale (il avait été invité en tant qu'observateur et l'observateur devait être Molins i Fabrega, le représentant à Paris du comité exécutif du POUM). Eh bien, Yvan Craipeau et Michel Pablo expliquaient à mon grand étonnement que Molins n’avait pas pu assister à la réunion à cause de la personne qui devait l'emmener à l' endroit de la réunion. Et cette personne n'était autre que le camarade Etienne, membre du Secrétariat International de la Quatrième Internationale, dont le véritable nom était Marc Zborowski et qui était un agent du GPU spécifiquement chargé de la surveillance de Léon Sedov, le fils de Trotsky. En 1955, dans son témoignage devant une commission du Sénat des États-Unis, Zborovski reconnaissait son implication dans le vol des archives de Trotsky, dans la mort suspecte de Léon Sedov dans une clinique à Paris et dans l'assassinat d’Ignacio Reiss. Les autorités américaines lui ont pardonné pour services rendus.

Le POUM ne pouvait pas rejoindre la Quatrième Internationale parce qu’il avait un point de vue différent et estimait qu'il était prématuré de créer une nouvelle internationale. Mais la collaboration de toutes les forces socialistes et communistes indépendantes du Kremlin, à l'époque, était particulièrement importante sous toutes ses formes possibles pour combattre la répression stalinienne en Espagne et ses conséquences lamentables dans la lutte armée contre Franco. C’est la raison pour laquelle le POUM, malgré les attaques et les objections de Trotsky et de certains trotskystes, avait décidé de participer en tant qu'observateur à la conférence de la Quatrième Internationale. Dans un document inédit et publié récemment (une information des délégués britanniques à la conférence de 1938) il affirme textuellement, « le fait de ne pas avoir de contact avec le POUM et le PSOP est une grosse erreur. Demain, nous devons avoir une commission pour les rencontrer et leur dire ce qui s'est passé lors de la conférence, pour planifier un travail en commun. La proposition de la commission pour la rencontre avec le POUM était adoptée par Lesoil, James, Cannon, Shachtman, Lebrun (Mario Pedrosa), Buson, Clart (Rous) et Stefan ». Autrement dit, les principaux dirigeants du mouvement, ce qui explique l’importance pour eux des relations avec le POUM.

Evidemment, la situation s'est aggravée en Espagne et en Europe. Les problèmes de la révolution en Espagne ont facilité les offensives de Franco. Le POUM était dans la clandestinité. Staline préparait l'alliance avec Hitler et organisait la répression contre la vieille garde bolchévique, les purges et le processus de déportation. La menace de guerre était plus claire que jamais après l'annexion de l'Autriche par Hitler. Les révolutionnaires d'Europe et, en particulier, ceux de l'Espagne et de l'URSS, étaient dans une situation réellement dramatique et commençaient à comprendre l’aspect le plus réactionnaire et terroriste du stalinisme.

 Je me souviens qu’en 1938, dans la prison d’état de Barcelone, où nous étions détenus, les dirigeants du POUM, Andrade, Rey et d'autres camarades, nous avons été surpris du silence de Trotsky relatif à la répression contre le POUM et à l’assassinat de Nin. En fait, nous étions nous mêmes mal informés. Le 8 août 1937, Trotsky avait publié un communiqué au Mexique dans lequel il disait, « Nin est un vieux révolutionnaire incorruptible. Il défendait les intérêts du peuple espagnol contre les agents de la bureaucratie soviétique. Il s'efforçait de défendre l'indépendance du prolétariat espagnol contre les machinations bureaucratiques de la bande au pouvoir à Moscou. Il refusait la collaboration avec le GPU pour la ruine des intérêts du prolétariat espagnol. C'est son seul crime. Et il l’a payé de sa vie ». Le ton de cette déclaration suggère que nous devons regretter l'absence d'un dialogue efficace avec Nin et le manque de coopération efficace avec le POUM, un parti qui a combattu en Espagne pour la vérité contre le stalinisme et pour ceux qui sont morts en URSS pour la défense des principes fondamentaux du socialisme contre Staline. Trotsky a déclaré à plusieurs reprises que Nin était « son ami » et cela avait beaucoup d’importance pour lui, même si ce n'était pas toujours vrai pour tous ses amis et camarades. Tous les hommes, et en particulier les plus éminents, ont leurs passions et leurs faiblesses. Mais laissez-moi finir en rappelant que Trotski disait aussi que le POUM « était le parti le plus honnête d’Espagne ».