Une entreprise de noyautage de l’enseignement public : les Davidées (1932)

(publication de La Libre Pensée)

Les Davidées...

Davidée Birot est un personnage de René Bazin. Institutrice publique, fille d’un franc-maçon, elle prend en horreur les idées de son père et, au contact d’âmes pieuses, devient une fervente militante cléricale. « Point d’éducation sans foi catholique ». Telle est la révélation qui s’impose à elle, et qu’elle défend « la courageuse, la brave, la crâne petite qu’elle est », devant son inspecteur primaire. On comprend ainsi immédiatement l’objectif de l’association...


Pdf Word

 

Davidée Birot est un personnage de René Bazin. Institutrice publique, fille d’un franc-maçon, elle prend en horreur les idées de son père et, au contact d’âmes pieuses, devient une fervente militante cléricale. « Point d’éducation sans foi catholique ». Telle est la révélation qui s’impose à elle, et qu’elle défend « la courageuse, la brave, la crâne petite qu’elle est », devant son inspecteur primaire. On comprend ainsi immédiatement l’objectif de l’association.

1 - Historique :

Créé en 1916-17, le groupe des Davidées a pris naissance dans les Basses Alpes. Quatre élèves maîtresses de la promotion sortante de 1913, Mlles B…, G…, L…, S…, issues de familles catholiques très pratiquantes se trouvaient dans le voisinage immédiat d’une normalienne plus ancienne, sœur d’un prêtre, elle-même d’une piété ardente : Mlle H… (tous deux sont morts tuberculeux). Dans la région de Barcelonnette, ces cinq institutrices se réunissaient souvent dès 1914 (1) et pendant 3 ans, elles entreprirent, (très probablement avec l’appui du clergé ou du quartier général jésuite de la rue d’Assas) de faire rayonner leur groupement. Rapidement, les plus hautes autorités de l’Eglise soutinrent le mouvement : Jean Guiraud, Monseigneur Baudrillard, René Bazin, l’archevêque de Lyon, puis dans la région, Mgr Guibergues, évêque de Valence. Celui-ci avait choisi une sorte de zélatrice major, aujourd’hui décédée, Mlle T…, institutrice publique retraitée à Valence et l’avait chargée de la besogne matérielle pour la publication du Bulletin. C’est maintenant Mlle S…, institutrice à St-P…, par S… (B.-A.) qui publie celui-ci : tandis que Mlle G.., institutrice à D .., s’occupe de la Bibliothèque et que Mlle L …, institutrice à La R…, (Basses Alpes) s’occupe de la correspondance.

Les départements de la Drôme, de Vaucluse (2), des Hautes-Alpes et des Bouches-du-Rhône ont été touchés les premiers par la propagande des Davidées. Aujourd’hui, bien rares sont les département qui n’ont pas d’affiliées.

2 – Organisation

Plusieurs témoignages permettent d’affirmer que l’association est constituée comme une société secrète. Une profane est d’abord une « violette ». Son admission donne lieu à une cérémonie d’initiation religieuse (3). Le mot d’ordre est celui d’Ernest Psichari: « Prendre contre son père le parti de ses pères ». Lorsqu’une «  possible » est découverte, on commence par lui envoyer le roman de René Bazin. Puis on lui écrit, on lui rend visite, on lui fournit le Bulletin des Davidées. Enfin après l’initiation, les affiliées reçoivent paraît-il, une publication spéciale dont nous n’avons pas eu un exemplaire en main.
Les présomptions sont assez fortes cependant pour que cette affirmation soit retenue comme très probable ; en effet, de l’avis de plusieurs inspecteurs primaires ayant eu à enquêter pour des faits de violation de la neutralité confessionnelle, l’attitude et les réponses des Davidées sont parfaitement clichées sur des directives communes, « lorsqu’on en a interrogé une, on a interrogé les autres ».

Une institutrice a-t-elle des chagrins intimes ? Si elle est dans la zone d’influence d’une Davidée fervente, cette circonstance déclenche l’entreprise d’annexion : on l’invite à venir à une réunion où elle rencontrera des amies qui lui feront oublier sa peine, où elle entendra des conférences très intéressantes; on ne lui dit rien de l’objectif essentiel. Peu à peu, si les résistances ne se manifestent pas, on l’invite à remplir ses devoirs religieux (on commence par l’inviter à se confesser). Aussi longtemps qu’il est nécessaire on fait gratuitement le service du Bulletin, on prête des livres tendancieux : on fait un siège en règle, et dans l’isolement intellectuel où se trouvent les jeunes institutrices, dans l’état d’impréparation et d’ « indifférence laïque » où l’on maintient trop souvent les normaliennes débutantes, la victoire cléricale est singulièrement facilitée (4). Au moment de l’initiation, la nouvelle Davidée souscrit 4 abonnements dont trois sont destinés à des profanes susceptibles d’être gagnées par la même propagande opiniâtre et méthodique (5).
Voici, pour préciser la méthode, deux documents qui nous viennent du Pas-de-Calais : ce sont deux lettres adressées par Mlle H…, directrice d’Ecole publique à A… (environs d’Arras), à une jeune normalienne sortante :

Le 11 septembre 1929.

Chère petite collègue,
Je désirais vivement vous écrire depuis le début des vacances, je serais si heureuse de vous connaître, mais j’avais égaré votre adresse donnée par Marcelle.
Vous savez sans doute que nous avons chaque année une réunion de notre cercle d’études qui dure plusieurs jours. Elle se fait à Arras, 16, rue des Teinturiers, et le programme de chaque journée comporte des instructions religieuses ainsi qu’une conférence sur un sujet approprié à notre mission d’éducatrice.
Je suis persuadée que vous trouverez parmi nos collègues du Cercle un accueil tout à fait fraternel et, dans les exercices de chaque année, une source de lumière et de joie. C’est pourquoi je me fais un plaisir de vous inviter et me permets d’insister pour que vous soyez des nôtres. Evidemment, s’il ne vous était pas possible de venir du lundi 1er au soir au vendredi matin, vous pourrez toujours prendre part à une ou deux journées. D’A…, c’est si facile.
Ne soyez pas intimidée, vous trouverez parmi nous beaucoup de ce jeunes », c’est l’élément qui domine. Si vous désirez des renseignements plus précis, je suis à votre entière disposition et vous prie d’agréer, chère petite collègue, l’assurance de ma vive sympathie.

A…, 28 septembre.

Chère petite,

J’ai bien reçu votre lettre, mais je ne puis me résoudre à la laisser sans réponse : votre âme m’est trop chère. Vous allez vous trouver dans un milieu nouveau, je vous en prie, cherchez encore la lumière et, comprenez, chère petite, que celle qui vous vient de vous-même n’est point suffisante.
Qu’elle soit alimentée par vos lectures ou vos réflexions personnelles, très sincères d ailleurs, à votre insu, elle subit l’influence de vos propres passions. J’emploie ici le mot passion dans son sens littéral et non pas le sens péjoratif que le langage courant lui prête.
Cherchez loyalement la vérité, chère petite, ne manquez aucune occasion d’en pénétrer votre âme. Dans l’état du doute où vous vous trouvez, il faut donner à votre intelligence, par votre raison, toutes les possibilités de croire auxquelles elle a droit, étant facultés perceptibles.
Je me permets de vous envoyer quelques imprimés susceptibles de vous intéresser, mais, je vous en prie, chère petite, ne voyez, dans ma démarche, qu’une profonde et très sincère sympathie.
Signé: L. H…
Pour vous, chaque jour, je prie afin de vous obtenir ce don si beau de la foi recouvrée.

3 – La situation en juin 1930

Les effectifs exacts du groupe des Davidées sont difficiles à saisir avec certitude. Même après une enquête, on doit tenir compte des divergences d’appréciation des faits de la part de nos camarades. Pour certains, une institutrice qui va à la messe est une Davidée. Pour d’autres, une institutrice qui appartient à l’Association des catholiques, membres de l’Enseignement public est aussi classée comme Davidée. Le terme de Davidée s’applique, pour les uns ou les autres, à la généralité des membres de l’Enseignement public plus ou moins cléricaux. Nous devons donc établir cette distinction préalable : il y a toute une gamme d’activités antilaïques et les Davidées constituent le noyau de militantes éprouvées, probablement moins nombreuses qu’on ne pense, mais appliquant la méthode « des minorités agissantes » avec un réel succès.
La Fédération Varoise des Amis de l’Ecole laïque nous fournit à ce sujet des observations très judicieuses :

« …Dans les renseignements recueillis, il y a lieu de faire une discrimination. Par exemple, il m’est indiqué que dans la promotion de l’école normale de filles de Draguignan de juillet 1928, sur 23, huit seulement ne sont pas Davidées. Je ne doute pas de la bonne foi, ni de la sincérité de la personne m’ayant fourni ces renseignements, mais je ne peux, pour ma part, accepter cette proportion. Les faits que la majeure partie des institutrices de cette promotion ne soient pas syndiquées ou qu’elles puissent peut-être assister à la messe ou à des offices religieux, ne permettent pas de présumer que ces institutrices combattent à l’école la laïcité et qu’elles n’y gardent pas la neutralité qui doit être leur règle. Un travail de patiente documentation, à ce sujet, serait excessivement utile ; mais ce serait un travail de longue haleine. Il faudrait que dans chaque commune et, si impossible, dans chaque canton, nous puissions avoir des militants au jugement sûr qui s’appliqueraient à dresser la carte des postes d’enseignement aux mains des adversaires de la laïcité (6).
Ce n’est que lorsque le mal sera repéré partout qu’on pourra agir au mieux. I1 faudrait que les Davidées, reconnues telles, fussent surveillées de près, qu’elles ne fussent jamais nommées à la direction d’une école ou à une école à classe unique et jamais dans un pays clérical où leur influence est facile et où elles gênent l’action des laïques. »

Notre collègue fournit alors les précisions suivantes pour son département :

A l’école de filles de B… : 2 Davidées;
A l’école de filles de C… : 1 Davidée, secrétaire du groupe, la plus militante du groupement ;
A l’école maternelle de B… : 1 Davidée, directrice ;
A l’école du PL… d’A… : 1 Davidée;
A l’école de St-Z… : 1 Davidée.
A l’école de St-M… ; 1 Davidée.
Les Bouches-du-Rhône ont le nom de 25 Davidées ; les effectifs cotisants ont été : en 1926 de 109, en 1927 de 88, en 1928 de 111 :

« Un inspecteur primaire aurait été membre du Comité Régional du Sud-est jusqu’en 1925. Il aurait présidé, aux vacances de Pâques 1925, une retraite des Davidées du Var, des Bouches-du-Rhône et des Alpes-Maritimes, à Challes-les-eaux. »

Nous saisissons par ce texte l’importance du rôle des cadres supérieurs de l’enseignement public, d’autant plus que cet exemple n’est pas malheureusement unique :

« M. F…, inspecteur primaire adjoint à l’inspecteur d’académie, à la retraite depuis 1927, était appelé par les Davidées ” le bon papa F… ».


Notes :

[1] Bulletin n° 7 de 1917, p. 12 et 13 : « Nous étions cinq bien unies dans le Christ. »

[2] Il n’y a qu’une seule école normale de jeunes filles pour les Basses Alpes et le Vaucluse.

[3] « Ma vie aurait été très pleine si j’avais eu le bonheur de connaître les Davidées et de profiter de leur aide pour tirer parti de mes loisirs. Mais « appelée », je n’étais pas encore « élue ». Bull, nov. 29, p. 114.

[4] De plusieurs rapports des extraits concordants pourraient être cités : « L’organisation des Davidées possède un service de renseignements fort bien organisé puisque toutes les fois qu’une institutrice a une déception, soit sentimentale, soit de carrière, même si elle ne fréquente jamais les offices, au bout de quelque temps, elle reçoit le bulletin… Afin de savoir si la lecture du Bulletin a porté ses fruits, il est envoyé à l’institutrice des émissaires qui ne se présentent pas généralement comme affiliées.
Elles parlent incidemment du Bulletin, demandent des renseignements sur cette publication, et à l’occasion, se la font prêter. Suivant les réponses elles se rendent compte s’il convient de poursuivre la tentative ou de renoncer… » (Calvados.)

[5] « Vous savez qu’il est de notre devoir immédiat de travailler intellectuellement… Une autre de mes occupations est la correspondance… J’écris à mes anciennes compagnes d’école normale, lettres parfois assez banales au début mais où les choses plus sérieuses peu à peu se font place : lectures, groupements, discussions… et tout cela produit parfois des changements de vie… Il me semble que c’est une charité d’atteindre dans un isolement où elles souffrent, mes jeunes collègues qui s’ennuient. J’en sais qui, le soir, à côté d’une broderie commencée, pleurent sur leur jeunesse perdue dans un trou (B., 1-29, p. 44.)

[6] Nous sommes absolument de cet avis, aucun militant des œuvres laïques ne devrait négliger d’apporter son effort personnel pour dresser cette carte et c’est pourquoi nous ne considérons la présente enquête que comme un début.