1933-1935

 

Debout travailleurs du monde, brisez toute solidarité, toute apparence complice à l’égard de votre propre impérialisme.  Parlez partout le même langage internationaliste. Ne faites jamais chorus sous aucun prétexte avec votre bourgeoisie. Solidarité avec le peuple éthiopien, solidarité avec nos frères antifascistes italiens, dont la position est juste et peut devenir décisive. Faites sauter le maillon le plus faible de la chaîne. La défense des conquêtes d’Octobre passent par la révolution en Italie, en Allemagne, en France, bien plus sûrement que par la guerre. Il est encore temps. Nous pouvons encore parler. Mères, jeunes gens, camarades, futures victimes, dressez-vous contre votre propre capitalisme. Exigez par votre action directe de masse de plus en plus vigoureuse, que les poings tendus et les muscles d’acier des ouvriers et des paysans français se saisissent des manettes de commande à une heure grave qui rappelle 1914. Défendre votre pain, assurer les libertés, sauvegarder la paix, c’est la même tâche sacrée qui vous appelle. Plus que jamais dans vos clameurs et votre action méthodique, marchez au combat sous un seul drapeau : « tout le pouvoir aux travailleurs ».

(Le Populaire : 26 août 1935.)

 

Contre le fascisme! Contre la guerre ! l’Unité révolutionnaire!

Tribune dans le Populaire du 14 mars 1933.

 


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Nous non plus, nous ne voulons pas connaîtra le sort tragique de nos frères d’Allemagne. Leur expérience du « moindre mal », du soutien de Bruning, et de l’élection de Hindenburg doit nous servir : 0n ne peut pas ruser avec le cours implacable de la lutte des classes. Et la meilleure manière, aujourd’hui, de marquer notre solidarité avec les ouvriers socialistes et communistes écrasés par le fascisme assassin, c’est de protéger notre rayonnement de toute compromission et de hâter l’heure de l’unité. Leur défaite nous affaiblit. Notre victoire les relèvera ! C’est une bataille de classe internationale qui se développe. Nos ennemis ont des atouts en mains : nous en avons également et l’attitude admirable du prolétariat de Vienne-la-Rouge en est la manifestation la plus concrète à l’heure où j’écris.

Mais cette bataille a des exigences ; l’idée d’une guerre avec l’Allemagne de Hitler hante quelques esprits dangereusement impressionnés. Disons tout net que toute complaisance de notre part, à l’égard de cette idée, serait un crime contre le prolétariat international. Sous aucun prétexte, nous n’acceptons la guerre ! Sous aucun prétexte, nous ne consentirons à livrer de plein gré, à l’appareil militaire de notre bourgeoisie, les forces vives de notre classe. C’est avec nos armes, spécifiquement ouvrières, que nous devons envisager la résistance la plus acharnée. Nos armes s’appellent : la grève générale, le refus collectif de répondre à tout appel de mobilisation. Si le prolétariat ne sait pas, à temps, les mettre au point, et s’en servir, qu’il n’espère pas échapper au destin le plus cruel et aux catastrophes les plus irréparables.

Pour notre part, nous sommes décidés à proposer un certain nombre de décisions concrètes et immédiates à nos organisations internationales. Nous serons compris par les travailleurs. Nous savons déjà que dans tous les pays, même les plus opprimés, cette idée-force fait son chemin tomme la suprême espérance…

Seulement, tout se tient !

Dans la période qui s’ouvre, il faudra choisir délibérément entre une politique de classe, cohérente, claire, vigoureuse, et une politique de complaisance sinon de complicité, à l’égard du pouvoir capitaliste. Une dernière occasion d’arrêter la course à la guerre peut s’offrir : imposer le désarmement immédiat. Non pas parce que Hitler l’exige, mais parce que nous l’avons promis, parce que nous avons démontré (et l’on nous a compris) que le désarmement immédiat était la seule garantie de toute sécurité internationale ! Où est l’action énergique du Parti, au Parlement sur ce point précis ? Sommes-nous disposés à pratiquer, à fond, notre politique internationaliste ? ou à nous réfugier peureusement derrière les tanks et les mitrailleuses du général Weygand ? Voilà, mon cher Rivière, une question précise que le Congrès de Pâques devra résoudre.

Et si nous décidons, comme je l’espère, dans le sens de la fidélité de nos décisions antérieures, si même nous accentuons notre opposition à tout compromis sur les problèmes vitaux (internationaux, économiques et financiers), il nous faudra, il nous faut, dès maintenant, organiser nos formations de combat dans tous les grands centres industriels et même dans les bourgs ruraux importants. Ce qui exige une collaboration fraternelle avec les syndicats ; ces syndicats -€” armature incomparable du pouvoir nouveau -€” qu’une politique à courte vue a malencontreusement (oui, Déat !) dressés contre le Parti !

Et même si nous prenons le langage démocratique préféré par certains de nos camarades, au langage de classe (pourtant plus fidèle à la réalité), on tue la « démocratie », on prépare la dictature fasciste, lorsqu’on donne aux masses populaires l’impression qu’un programme électoral n’est, après tout, qu’une sorte de panneau-réclame destiné à piper les suffrages. Plus que jamais doit retentir dans le pays notre « cri de ralliement : « Conquête du pouvoir pour organiser la résistance internationale au fascisme et à la guerre ! »

Ceux qui escomptent sur nos divisions, ceux qui s’obstinent à considérer le Parti comme un magma informe de comités électoraux disparates, et d’autre part, ceux qui cherchent à exploiter nos sentiments profondément unitaires, se trompent tous également.

Malgré les tiraillements dans les deux sens, malgré les sarcasmes méprisables ou les acrobaties qui cherchent à désorienter nos militants, les regrets et les appréhensions, les manœuvres et les lamentations n’y changeront rien :

L’unité révolutionnaire du prolétariat est en marche et rien ne l’arrêtera !


Intervention de Marceau Pivert au Congrès SFIO de mai 1934

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)


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Marceau PIVERT (Seine). -

Camarades,

j’ai quelques mots à dire au sujet du rapport de nos délégués à l’Internationale ouvrière socialiste.

Ainsi que Bracke l’a rappelé, nous sommes dans une situation telle, que la discussion sur le fond de ce rapport, dépend de l’attitude générale que prendra le Parti, au lendemain de ce Congrès, dont les répercussions seront considérables sur la situation du prolétariat international.

Par conséquent, ce n’est pas engager un débat sur le fond, mais pour déposer un texte en vue de la Commission des résolutions, que je poserai deux questions:
La première a trait à ce que j’ai lu dans le « Temps » d’hier soir: l’Internationale ouvrière socialiste, ménage Renaudel, puisque dit-on, elle le garde dans son comité exécutif!

C’est là une chose qui paraît évidemment monstrueuse!

Bracke. - Vous savez que c’est faux!

Marceau Pivert. - Il suffit alors que la délégation le dise. La presse bourgeoise fait donc son métier habituel en écrivant de pareilles choses.

Voici maintenant une motion votée à l’unanimité par la Fédération de la Seine:

« Le Congrès demande à l’Internationale Ouvrière Socialiste de prendre l’initiative de convoquer une conférence internationale, où seraient invités tous les partis se réclamant de la lutte de classe. »

Le texte suivant, plus détaillé, a été voté à une grosse majorité par notre Fédération.

« Le Congrès,
Considérant l’offensive générale du fascisme en Europe et les menaces impérialistes contre l’U.R.S.S.,
Considérant la nécessité du rassemblement dans l’action de classe de toutes les forces révolutionnaires internationales,
Mandate expressément sa délégation à l’Internationale Ouvrière Socialiste:
1° pour que celle-ci prenne l’initiative d’une conférence internationale de toutes les organisations socialistes, communistes, autonomes, se réclamant de la lutte des classes et décidées actuellement à la mener jusqu’à son terme nécessaire: la dictature du prolétariat et l’édification socialiste;
2° pour qu’elle travaille à réaliser au sein de l’Internationale Ouvrière Socialiste une coordination étroite et une convergence absolue des efforts des sections nationales. »

Il y a dans ce texte, un certain nombre de directives générales qui devront être sanctionnées par le Congrès. C’est à lui d’en déterminer tout le sens et de donner mandat exprès à nos camarades délégués au Comité Exécutif.

Il semble qu’après les récentes expériences, le prolétariat international n’ait plus le droit d’attendre que les différentes fractions qui se recherchent aient trouvé l’occasion de se rejoindre. Ce serait, en effet, au péril de leur vie, parce que toutes luttent dans des conditions effroyables, pour n’avoir pas prévu à temps que la légalité bourgeoise serait un jour elle-même violée.
Nous voulons affirmer aux dirigeants de l’Internationale Ouvrière, que la masse est décidée à combattre pour le prolétariat international, et nous avons la certitude qu’on peut organiser des formations de combat.


Intervention de Marceau Pivert au congrès de Mulhouse de la SFIO

Juin 1935.

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)

Voir document joint: "La scission de la Bataille Socialiste en 1935" extrait de "les socialistes et la guerre" de Richard Gombin.


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Le président. - (…) Je donne maintenant la parole à notre camarade Marceau Pivert.

Une voix. - Il est encore de la Seine!

Marceau Pivert. - Je suis prêt à me retirer si le Congrès le désire, mais je pense qu’il n’est pas inutile de préciser ici la position des camarades qui ont voté contre le Rapport du Groupe parlementaire. Notre vote a le sens d’une protestation. En effet, pendant qu’on refuse de consulter le Parti, celui-ci s’est engagé dans une politique que mon ami Zyromski approuve sans doute, mais que l’ensemble du Parti ne peut pas approuver, attendu que le problème ne lui a pas été posé.
Nous protestons contre cette situation. Et nous nous désolidarisons immédiatement des conclusions qu’ont tirées nos camarades trotskystes. S’il y a désaccord au sein de la « Bataille socialiste » sur le problème de la Défense nationale, ce n’est pas d’aujourd’hui.

L’Heveder. - Cela ne nous intéresse pas, cette histoire-là!

Marceau Pivert. - L’Hévéder me fera l’amitié de penser que puisque tout à l’heure il applaudissait Zyromski, il n’est pas tout à fait indifférent à nos positions respectives.
Aussi bien, autant il y a de discordance sur une question qui n’est pas à l’ordre du jour du Congrès (ce contre quoi nous protestons), autant tout à l’heure, et demain, vous constaterez notre solidarité complète sur la motion concernant la conquête du pouvoir, présentée par la « Bataille socialiste ». (Quelques applaudissement.)

C’est donc maintenant une protestation que nous apportons ici. Mais cette protestation, je veux la préciser. Nous condamnons des attitudes qui expriment une politique qui ne peut pas être celle du Parti socialiste. Je ne reprendrai pas ce qu’on a dit; ce que nous avons dit à la C.A.P. contre la défense passive; ce que nous avons dit à propos du fameux passage du discours de Léon Blum, ce que nous n’approuvons pas; ce que nous avons dit également à propos d’un certain nombre d’attitudes du Groupe parlementaire qui semblent laisser intégrer le Parti socialiste dans la politique internationale de notre bourgeoisie comme le vote des accords de Rome. En protestant contre tout cela, nous jugeons que c’est l’expression d’une politique fausse dont les événements internationaux sont en train de préparer la faillite. Alors, ici, nous nous séparons nettement d’un certain nombre de camarades et nous prenons date; car enfin, et surtout depuis la déclaration de Staline, il y a des événements et des renversements sur lesquels il faudra bien que le Parti se prononce.

Voici notre position en quelques mots qui sont surtout un appel pour que les travailleurs, non seulement dans le Congrès, mais en dehors du Congrès, nous entendent.

Nous ne sommes pas non plus d’accord avec nos camarades trotskystes, qui traduisent les paroles de Staline comme une trahison pure et simple, et qui font aujourd’hui de l’antibolchevisme. Nous ne voulons pas faire cela. Il y a un grand pays que nous voulons défendre, nous aussi; nous ne confondons pas… (applaudissements) … nous ne confondons pas la Russie des Soviets, son édification, ses créations, avec Staline, et si… (applaudissements de Molinier)… et si le problème de la défense de l’U.R.S.S. se pose, et si vous devez, en conscience, le résoudre, c’est parce que, camarades, il y a actuellement un grand trouble dans la classe ouvrière; mais nous ne voulons pas que ces difficultés sur lesquelles la classe ouvrière n’est pas d’accord - elle n’était pas d’accord bien antérieurement à notre pays, elle est encore plus en désaccord maintenant, internationalement - ces questions dites de « défense nationale », nous ne voulons pas qu’elles soient des obstacles à la reconstitution de l’unité ouvrière, nous ne voulons pas qu’il y ait préalablement à la reconstitution de l’unité ouvrière, des conditions, des chartes à signer ou des idéologies à imposer à ce sujet; nous constatons que notre désaccord avec ceux de nos camarades qui voudraient faire passer l’unité par le canal d’un certain nombre de principes; même si nous sommes d’accord avec les principes, nous voulons que l’unité organique soit recherchée coûte que coûte, en dépit du divorce considérable qu’il y a actuellement entre la nouvelle position de l’Internationale communiste et celle de l’Internationalisme prolétarien en lutte contre la guerre. L’unité d’abord, et à l’intérieur de l’unité, eh bien! nous défendrons notre position que je résume ici en deux mots: la guerre sous la direction de notre bourgeoisie? A aucun prix, sous aucun prétexte, jamais! (Applaudissements.) Oui, à aucun prix, sous aucun prétexte; ce que nous reprochons à nos camarades, c’est de ne pas être restés fidèles à la motion que nous avons signée en commun à Tours; nous n’avons jamais accepté d’examiner le cas où un prétendu agresseur hitlérien entrerait sur notre territoire; car, camarades, cela laisse penser implicitement que nous passons l’éponge sur les responsabilités effroyables de notre bourgeoisie capitaliste, depuis Poincaré jusqu’à Tardieu, qui sont aussi coupables qu’Hitler d’avoir conduit la France dans la situation où nous sommes! (Applaudissements.) Les agresseurs, les coupables, sont dans les deux camps, c’est notre régime, c’est notre bourgeoisie qui n’a pas voulu appliquer les traités régulièrement signés, qui n’a pas voulu désarmer, qui n’a pas voulu répondre à l’appel profond des peuples exigeant la paix, des peuples qui ont été trahis; aussi bien nous mettons ces régimes dans le même sac, et notre premier postulat pour la lutte contre la guerre, c’est qu’à aucun prix nous ne nous laisserons museler, juguler, domestiquer ou intoxiquer! Non, sous aucun prétexte nous n’accepterons l’idée de la guerre!

Camarades, ceux qui pensent que l’on peut encore imaginer une invasion de territoire, que l’on peut encore imaginer même un départ, avec un sac qu’on se mettrait sur le dos, savent-ils que c’est en une nuit que des centaines d’avions, des centaines de gaz et des milliers de bombes au phosphore peuvent réduire en cendres les grandes cités et entraîner le meurtre collectif de populations énormes? Savent-ils que quelques minutes après, de l’autre côté, dans d’autres pays, d’autres destructions effroyables seront déclenchées? Savent-ils qu’en même temps ce sera partout une panique comme jamais l’humanité n’en a connue, camarades! Ne sentez-vous pas qu’à ce moment-là, toutes les forces de coercition, tout ce qui maintient la stabilité de l’État bourgeois, tout cela sera ébranlé, tout craquera, tout sera démoli! Nous voulons que le Parti socialiste, dans tous les pays capitalistes, soit précisément l’animateur de la lutte contre la guerre, de manière à saisir l’occasion, à ce moment-là, pour briser les cadres du régime capitaliste, conquérir le pouvoir et faire la paix. (Applaudissements.)
Camarades, ce sera mon dernier mot: unité organique, malgré les paroles de Staline! Unité et lutte contre la guerre, à tout prix, par la révolution. Le gouvernement des Soviets voit la situation de son point de vue. Nous avons le devoir, nous, de la voir du nôtre, et nous n’acceptons pas de confondre l’intérêt de l’Internationale prolétarienne avec un système provisoire d’alliances d’ailleurs extrêmement fragile! Vous savez, on nous a dit à un moment donné: « Le soldat polonais, c’est l’avant-garde de la civilisation », et c’est un homme qui était encore dans le Parti, qui disait cela! Oui, mais la Pologne est passée à Hitler! On a signé des accords avec Mussolini, mais peut-être Mussolini n’est pas loin de passer de l’autre côté, à moins qu’on lui laisse les mains libres en Éthiopie. Ces marchandages de la bourgeoisie, nous ne pouvons pas permettre que le socialisme y ait une part quelconque, et c’est pourquoi nous crions non seulement au Parti, mais au-delà du Parti, à tout le prolétariat de France: Unifiez-vous, faites un grand parti révolutionnaire, et à l’intérieur de vos organisations unifiées, luttez contre la guerre par tous les moyens, et puisque d’autre part il faut considérer la Russie des Soviets comme un point de mire pour le capitalisme international: défendons la Russie des Soviets! Mais défendons-la non pas en nous laissant embrigader par notre état-major, pour aller nous battre contre les prolétaires allemands; défendons-la par le seul moyen qui nous reste: par la conquête du pouvoir dans notre pays, et par la révolution internationale. (Vifs applaudissements.)


La scission de la Bataille socialiste en 1935, extrait de « Les socialistes et la guerre », de Richard Gombin (Mouton, 1970)

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)


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Pour la première fois, le désaccord est public au sein de la Bataille entre Zyromski d’une part, Pivert de l’autre.[1] La conception du défaitisme révolutionnaire, qui était celle de la Bataille et d’une grande partie de la gauche de la S.F.I.O., ne pouvait admettre un traité de ce genre dans la mesure où la défense de l’U.R.S.S. et l’anti-militarisme étaient inconciliables et où cette défense était, en temps de guerre, incompatible avec l’utilisation des possibilités révolutionnaires.[2]

Or, nous avons vu que dès 1931 Jean Zyromski, à l’époque secrétaire de la fédération de la Seine, avait élaboré une thèse originale selon laquelle dans certains cas, il est de l’intérêt de la révolution que le prolétariat défende les libertés démocratiques acquises, autrement dit l’indépendance nationale. En outre, et dès le milieu de 1934, il prêche la défense de l’U.R.S.S. ce qui, en langage socialiste de l’époque, impliquait une prise de position diplomatique contre Hitler, avec Moscou. Seulement ces idées, Zyromski évite de les exposer dans le journal de la fraction, afin de ne pas provoquer de division : sur la question de l’unité avec les communistes il menait avec Pivert une action commune et l’unité et la prise du pouvoir paraissaient encore essentielles : ce qui explique qu’au congrès de Mulhouse (début juin 1935) la Bataille ait présenté encore une seule motion sur « la lutte pour le pouvoir et contre la crise ». Pour ne pas provoquer de heurts, Zyromski se tait sur la question de la défense nationale jusqu’à l’été 1935.[3] Mais, en dehors de son journal, Zyromski commence à répandre un certain nombre d’idées qu’il partage avec quelques leaders de la gauche de l’I.O.S. : en premier lieu, il s’oppose fermement à toute négociation avec l’Allemagne, car elle ne pourrait être que dirigée contre la Russie. L’Union soviétique représente en Asie une force de libération nationale et sociale. Il faut la protéger notamment par l’intermédiaire de pactes régionaux et à cet égard, le rapprochement franco-soviétique doit jouer un rôle essentiel; il est indispensable.[4]

C’est donc tout naturellement et comme conséquence logique de sa thèse sur le front international anti-fasciste que Zyromski prend position en faveur du Pacte franco-soviétique et approuve la déclaration de Staline. Plus que jamais, il est convaincu que la « défense révolutionnaire » peut coïncider avec la « prétendue défense nationale ».[5] Dès ce moment, il complète, en collaboration avec quelques-uns de ceux qui partagent ses idées, son schéma de 1931 : non seulement gagner la guerre face à Hitler préservera les libertés démocratiques mais facilitera dans certains pays la révolution et l’avènement du socialisme; ce n’est pas la défaite qui créera une atmosphère révolutionnaire mais la victoire des démocraties. Or, la victoire des démocraties exige la victoire de l’U.R.S.S. Comment préserver la paix ou, si « la guerre éclatait comment néanmoins la gagner? » sinon par une vaste coalition antifasciste constituée à partir de pactes régionaux. Il faut donc renforcer les liens avec la Russie et marcher ensemble en cas de guerre. Tout le reste, S.D.N., désarmement n’est qu’utopie. Une seule réalité : le fascisme et, en face ceux qui veulent résister : le prolétariat doit, si la guerre éclate, se battre.[6]

On voit ce qu’une telle conception a de radicalement différent avec la tradition du défaitisme révolutionnaire. Elle crée le désarroi dans le groupe de la Bataille socialiste et dans la fédération de la Seine. Bien que Pivert et Zyromski hésitent à s’affronter encore dans les colonnes de leur journal, on perçoit dès avril-mai 1935 un regroupement bipolaire. L’évolution ne se fait pas sans mal.[7] La séparation n’interviendra qu’en septembre, mais dès le congrès de Mulhouse, Zyromski s’élève contre les conceptions « tolstoïsantes » de certains pacifistes. Sans les nommer, il vise les partisans de Pivert.[8]

Les idées de l’aile pacifiste de la Bataille socialiste sont présentées par Marceau Pivert. Dès la conclusion du Pacte franco-soviétique, il écrit : « La volonté de se battre contre sa propre bourgeoisie pour la chasser du pouvoir doit avoir la priorité sur toutes les autres considérations ».[9] L’approbation du Pacte par le Parti est pour lui une intégration de la S.F.I.O. dans la « politique internationale de la bourgeoisie ». Il ne nie pas le devoir de défendre l’U.R.S.S., mais ce n’est pas en allant se battre contre le prolétariat allemand qu’on le fera efficacement mais en combattant le fascisme de l’intérieur; c’est donc la position du Parti de 1933, et il va plus loin, en réclamant la conquête du pouvoir. En cas de guerre c’est la révolution qui est la meilleure défense de l’U.R.S.S. [10]

A l’occasion du Pacte franco-soviétique, il se produit un regroupement et une coupure dans toute la gauche de la S.F.I.O. Alors qu’au début de l’été M. Pivert dont les thèses sonnaient familièrement aux oreilles des néo-guesdistes, était majoritaire dans la Seine, la tendance se renverse à la fin de l’été au profit de Zyromski.[11] Au mois de septembre, ceux qu’on appelle déjà les « pivertistes » ont perdu la majorité au sein de la Bataille socialiste qu’ils quittent pour fonder la Gauche révolutionnaire qui sera le nom à la fois de la fraction et du journal.
Des autres nuances de la gauche, certaines disparaissent, d’autres se regroupent dans la Gauche révolutionnaire.
(…) Ainsi, le Pacte franco-russe a fait apparaître de nouvelles lignes de clivage qui sont déjà bien définies au congrès de Mulhouse. D’un côté les « résistants », partisans d’alliances et, sous certaines conditions, de la défense nationale: c’est le cas de l’axe Blum-Zyromski. De l’autre, les défaitistes révolutionnaires qui refusent toute collaboration avec la bourgeoisie et toute participation à une guerre, autre que révolutionnaire.


Notes

[1]Les remous provoqués par le Pacte et la déclaration de Staline sont contés par un « pacifiste révolutionnaire » : Daniel GUERIN, Front populaire. Révolution manquée, Paris, 1963, p. 68-74.
[2]D. N. BAKER, Revolutionism in the French Socialist Party between the World Wars, thèse (19+65)., p. 236-238.
[3] D. N. BAKER, op. cit., p. 239. L’auteur a tort d’écrire que Zyromski fut « acquis aux thèses des communistes » : ses idées en faveur de la défense de l’U.R.S.S. et de la défense nationale sont antérieures à celles du P.C.F. qui datent, rappelons-le, de mai 1935. John T. Marcus (French Socialism in the Crisis Years 1933-1936, 1958, p. 98 sq.) commet la même erreur.
[4] Populaire du 30 janvier 1935, Tribune du Parti (désormais désignée sous le sigle T.P.).
[5] Populaire du 29 mai 1935 (T.P.).
[6]O. BAUER; Th. DAN; A. DUNOIS et J. ZYROMSKI, L’Internationale et la Guerre, Paris, 1935, préface de F. Adler. On trouvera cette thèse développée par Théodore Dan dans le numéro d’août-septembre 1935 de la B.S. Dans le même numéro cf. l’article pro-zyromskiste de M. Sand.
[7] Ainsi les deux articles d’A. Dunois : dans le numéro de la B.S. du 15 avril 1935, il rejette encore les alliances et la défense nationale, dans celui du 15 mai, il admet cependant que la question doit être reconsidérée à la lumière du récent pacte franco-soviétique.
[8] Congrès de Mulhouse, op. cit., p. 188-192. C’est dans un article du Populaire du 6 juillet 1935 qu’il a nommément visé ses amis Pivert et Dumoulin et le « défaitisme révolutionnaire » pour la première fois.
[9] B.S. du 15 mai 1935.
[10] Discours de M. Pivert au congrès de Mulhouse, Compte rendu sténographique, p. 192-196 et son article in B.S. du 9 octobre 1935. En réponse à la brochure de O Bauer, Th. Dan, A. Dunois et J. Zyromski (1935), M. Pivert publie un livre au titre significatif: La Révolution d’abord, Paris, 1936 (la révolution doit intervenir avant la guerre et non après comme le préconise Zyromski).
[11] D. N. BAKER, op. cit., p. 243 sq.


« Étiquettes » et « numéros », par Léon Trotsky

La Vérité,  25 août 1935.


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Au sujet de la lettre de Marceau Pivert aux camarades frappés par la conférence nationale des jeunesses socialistes de Lille.

La lettre de Marceau Pivert sur les exclusions des chefs de la jeunesse révolutionnaire de la Seine, malgré son but louable, renferme un certain nombre d'idées inexactes qui, dans leur développement, peuvent conduire à de sérieuses erreurs. Prévenir les jeunes camarades contre ces erreurs est le vrai devoir d'un marxiste.

Pivert lui-même accuse nos amis de commettre une grande « erreur psychologique » en prenant le nom de bolcheviks‑léninistes. Puisque le « bolchevisme initial », selon Pivert, niait la structure démocratique du parti, l'égalité pour toutes les tendances, etc. par leur nom même, les bolcheviks‑léninistes donnent à la bureaucratie du parti une arme contre eux‑ mêmes. En d'autres termes, l’ « erreur psychologique » consiste en une adaptation insuffisante à la psychologie de la bureaucratie du parti.

Ce jugement de Pivert représente une « erreur politique » très sérieuse, et même une série d'erreurs. Il n'est pas vrai que le « bolchevisme initial » niait la structure démocratique du parti. J'avance l'affirmation absolument contraire : il n'y a pas eu et il n'y a pas de parti plus démocratique que celui de Lénine. Ce parti s'était formé par en bas. Il dépendait seulement des ouvriers avancés. Il ne connaissait pas la dictature cachée, masquée, mais d'autant plus néfaste, des « amis » bourgeois du prolétariat, des parlementaires carriéristes, des maires affairistes, des journalistes de  salon, de toute cette confrérie parasitaire qui permet à la base du parti de parler « librement », « démocratiquement », mais se maintient elle‑même avec ténacité à l'appareil et, en fin de compte, fait ce qu'elle veut. Ce genre de « démocratie » dans le parti n'est rien d'autre qu'une copie de l'État démocratique‑bourgeois, qui lui aussi permet au peuple de parler « librement », puis laisse le pouvoir réel à une poignée de capitalistes. Pivert commet une très grande erreur politique en idéalisant et en embellissant la « démocratie » hypocrite et mensongère de la SFIO qui, en fait, freine et paralyse l'éducation révolutionnaire des ouvriers en étouffant leur voix par le chœur des conseillers municipaux, des parlementaires et autres qui sont imprégnés jusqu'à la moelle d'intérêts petits‑ bourgeois égoïstes et de préjugés réactionnaires. La tâche du révolutionnaire, même si la marche du développement le contraint à travailler dans la même organisation que les réformistes, ces exploiteurs politiques du prolétariat, consiste non pas à prendre l'attitude du protégé et à faire sienne celle de l'amitié mensongère pour ces agents de la bourgeoisie, mais à s'opposer en face des masses le plus clairement, le plus âprement, le plus implacablement possible aux opportunistes, aux patriotes, aux « socialistes » absolument bourgeois. Ceux qui choisiront et qui trancheront, ce seront, en fin de compte, non les Blum et les Zyromski, mais les masses, les millions d'exploités. C'est sur eux qu'il faut s'aligner, c'est pour eux qu'il faut bâtir un parti. Le malheur de Pivert, c'est que jusqu'à maintenant il n'a pas rompu le cordon ombilical qui le relie au petit monde des Blum et des Zyromski. A chaque occasion nouvelle, il regarde ses « amis » et leur tâte le pouls avec inquiétude. Et c'est cette politique fausse, illusoire, non réaliste, qu'il réclame des bolcheviks‑léninistes ! Ils doivent, paraît‑ il, renoncer à leur propre nom. Pourquoi ? Est‑ ce que ce nom effraie les ouvriers ? Au contraire. Si les prétendus « communistes », malgré toutes les trahisons et tous les crimes qu'ils ont commis, retiennent sous leur drapeau une partie importante du prolétariat, c'est uniquement parce qu'ils se présentent aux masses comme les porteurs des traditions de la révolution d'Octobre. Les ouvriers ne craignent ni le bolchevisme ni le léninisme. Ils demandent seulement (et ils font bien) : « Sont‑ils de véritables bolcheviks, ou de faux ? » Le devoir des révolutionnaires prolétariens conséquents est, non pas de renoncer au nom de bolcheviks, mais de montrer dans les faits aux masses leur bolchevisme, c'est‑à‑dire l'esprit révolutionnaire conséquent et le dévouement absolu, à la cause des opprimés.

Mais pourquoi donc, insiste Pivert, se coller sur le nombril une étiquette (?) au lieu de « suivre les enseignements qu'elle comporte » ? Mais Pivert lui‑ même ne porte‑ t‑ il pas l' « étiquette » de socialiste ? Dans le domaine de la politique tout comme les autres domaines de l'activité humaine, il est impossible de procéder sans « étiquettes », c'est‑à‑dire sans dénominations et qualificatifs aussi précis que possible. Le nom de « socialiste » est non seulement insuffisant mais absolument trompeur, car s'intitulent « socialistes » en France tous ceux qui en ont envie. Par leur nom, les bolcheviks‑léninistes disent à tous et à chacun que leur théorie, c'est le « marxisme », que c'est non pas le « marxisme » dénaturé et prostitué des réformistes (à la Paul Faure, Jean Longuet, Séverac, etc.) mais le véritable marxisme restauré par Lénine et appliqué par lui aux questions fondamentales de l'époque de l'impérialisme; qu'ils s'appuient sur l'expérience de la révolution d'Octobre, développée dans les décisions des quatre premiers congrès de l'Internationale communiste; qu'ils sont solidaires du travail théorique et politique accompli par l' « opposition de gauche » de l'Internationale communiste (1923‑ 1932); enfin qu'ils se rangent sous le drapeau de la IVème Internationale. En politique, le « nom », c'est le « drapeau ». Celui qui renonce aujourd'hui à un nom révolutionnaire pour le bon plaisir de Léon Blum et consorts, celui-là renoncera aussi facilement demain au drapeau rouge pour le drapeau tricolore.

Pivert proclame le droit de tout socialiste d'espérer en une meilleure Internationale « avec ou sans changement de numéro ». Cette ironie un peu déplacée sur le « numéro » représente une erreur politique du même type que l'ironie sur l'« étiquette ». Politiquement, la question se pose ainsi : le prolétariat mondial peut‑ il arriver à lutter avec succès contre la guerre, le fascisme, le capitalisme, sous la direction des réformistes ou des staliniens ‑ c'est‑à‑dire de la diplomatie soviétique  ? Nous répondons : il ne le peut pas. La IIème et la IIIème Internationales ont épuisé leur contenu et sont devenues des obstacles sur la voie révolutionnaire. Les « réformer » est impossible, car toute leur direction est radicalement hostile aux tâches et aux méthodes de la révolution prolétarienne. Celui qui n'a pas compris jusqu'au bout l'effondrement des deux Internationales, celui‑ là ne peut pas lever le drapeau de la Nouvelle Internationale. « Avec ou sans changement de numéro »  ? Cette phrase est dénuée de sens. Ce n'est pas par hasard que les trois anciennes Internationales se sont trouvées numérotées. Chaque « numéro » correspond à une époque déterminée, un programme et des méthodes d'action. La Nouvelle Internationale doit être non pas la somme des deux cadavres, comme le rêve le vieux social‑patriote Zyromski, surpris dans sa reconnaissance inattendue de la « défense de l'URSS », mais la « négation » vivante de ces cadavres et, en même temps, la « continuation » du travail historique accompli par les Internationales précédentes. En d'autres termes, il s'agit de la IVème Internationale. Le « numéro » signifie ici une perspective et un programme déterminés, c'est‑à‑dire un « drapeau ». Que les philistins ironisent là‑ dessus. Il ne faut pas les imiter.

L'aversion pour les « étiquettes » et les « numéros » en politique est aussi dangereuse que l'aversion pour les définitions précises dans le domaine scientifique. Dans un cas comme dans l'autre, nous avons là le symptôme infaillible d'un manque de clarté dans les idées elles-mêmes. Invoquer les « masses » ne sert, dans de tels cas, qu'à couvrir ses propres hésitations. L'ouvrier qui croit encore à Vandervelde ou à Staline sera sans doute adversaire de la IVème Internationale. L'ouvrier qui a compris que la IIème et la IIIème Internationales sont mortes à la cause de la révolution se rangera immédiatement sous notre drapeau. C'est précisément pourquoi il est criminel de cacher ce drapeau sous la table.

Pivert se trompe quand il pense que le bolchevisme est incompatible avec l'existence des fractions. Le principe de l'organisation bolchevique est le « centralisme démocratique » assuré par une complète liberté de critique et de groupement comme par une discipline de fer dans l'action. L'histoire du parti bolchevique est en même temps l'histoire de la lutte interne des idées, des groupements et des fractions. Certes, au printemps 1921, au moment d'une terrible crise, de la famine, du froid, d'un mécontentement aigu des masses, le 10ème congrès du parti bolchevique, qui comptait en ce temps dix‑sept années d'existence, interdit les fractions. Mais cette mesure fut jugée exceptionnelle, temporaire et fut appliquée par le comité central avec beaucoup de prudence et de souplesse. Le véritable écrasement des fractions ne commença qu'avec la victoire de la bureaucratie sur l'avant‑garde prolétarienne et aboutit rapidement à la mort virtuelle du parti. La IVème Internationale, bien entendu, ne souffrira pas dans ses rangs de « monolithisme » mécanique. Au contraire, une de ses plus importantes tâches est de régénérer à un niveau historique plus élevé la « démocratie révolutionnaire de l'avant‑garde prolétarienne ». Les bolcheviks-léninistes se considèrent comme une fraction de l'Internationale qui se bâtit. Ils sont prêts à travailler la main dans la main avec les autres fractions vraiment révolutionnaires. Mais ils refusent catégoriquement d'adapter leur politique à la psychologie des cliques opportunistes et de renoncer à leur propre drapeau.

7 août 1935


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Contre l'union sacrée

(Le Populaire : 26 août 1935.)

Debout travailleurs du monde, brisez toute solidarité, toute apparence complice à l’égard de votre propre impérialisme.  Parlez partout le même langage internationaliste. Ne faites jamais chorus sous aucun prétexte avec votre bourgeoisie. Solidarité avec le peuple éthiopien, solidarité avec nos frères antifascistes italiens, dont la position est juste et peut devenir décisive. Faites sauter le maillon le plus faible de la chaîne. La défense des conquêtes d’Octobre passent par la révolution en Italie, en Allemagne, en France, bien plus sûrement que par la guerre. Il est encore temps. Nous pouvons encore parler. Mères, jeunes gens, camarades, futures victimes, dressez-vous contre votre propre capitalisme. Exigez par votre action directe de masse de plus en plus vigoureuse, que les poings tendus et les muscles d’acier des ouvriers et des paysans français se saisissent des manettes de commande à une heure grave qui rappelle 1914. Défendre votre pain, assurer les libertés, sauvegarder la paix, c’est la même tâche sacrée qui vous appelle. Plus que jamais dans vos clameurs et votre action méthodique, marchez au combat sous un seul drapeau : « tout le pouvoir aux travailleurs ».

 


Documents sur la constitution de la Gauche Révolutionnaire

Marceau Pivert et ses amis quittent la tendance Bataille socialiste à l’été 1935 et forment leur propre courant.

(septembre-octobre 1935)

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)

Sommaire :


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Plate-forme constitutive de la Gauche Révolutionnaire

De la Défensive antifasciste à l’offensive contre le capitalisme.

Les forces productives développées par le régime capitaliste se heurtent de plus en plus aux obstacles dressés par leur propre exploitation. Pour parer à ces difficultés croissantes, le capitalisme est forcé de s’imposer des formes planifiées.

Mais comme à l’époque du capitalisme de libre-concurrence, puis du capitalisme monopolisateur, le capitalisme étatique reste soumis à la loi du profit et son évolution l’entraîne vers la généralisation de la misère.

En même temps se transforme la superstructure politique et la démocratie bourgeoise devient un système périmé de domination capitaliste : elle tend à se transformer en état totalitaire.
L’alternative qui se pose est donc : dictature autoritaire du grand capital contre l’ensemble des masses laborieuses ou dictature du prolétariat, représentée par un gouvernement ouvrier et paysan, issu de la révolution, substituant à l’appareil étatique de la bourgeoisie les organismes démocratiques des masses laborieuses et construisant le socialisme.

Si les partis ouvriers se bornent à défendre la démocratie bourgeoise périmée, ils ne montreront pas d’issue réelle aux masses souffrantes, ils permettront aux démagogues fascistes d’identifier les partis ouvriers avec la démocratie capitaliste et de conquérir ainsi de larges couches désespérées pour les buts fascistes. C’est pourquoi le Parti Socialiste doit transformer la défense antifasciste en offensive contre le capitalisme et rassembler les masses laborieuses sous son drapeau en prenant comme points de départ aussi bien leurs besoins économiques que la défense des libertés démocratiques, conquises de haute lutte par nos aînés.

Pour un Front Populaire de combat. (voir note)

Le Front Populaire actuel est un rassemblement des masses contre la menace fasciste. Les aspirations de ces masses ne peuvent être réalisées désormais que par des combats avec le grand capital et ne devraient avoir comme issue que la chute de la domination bourgeoise. Mais la politique actuelle de ses dirigeants freine les possibilités révolutionnaires.
Un gouvernement du Front Populaire rencontrera dès qu’il essaiera de satisfaire même aux plus modestes aspirations des masses la plus farouche résistance extraparlementaire des forces capitalistes. Il lui faudra alors, ou bien trahir ces masses et capituler honteusement, ou bien se jeter  –  sous la pression des masses –  dans un gouvernement de combat en direction du socialisme. Seul un gouvernement qui s’appuiera sur la volonté des masses organisées, résolues à la lutte et au moins partiellement équipées pour le combat pourra se transformer en gouvernement ouvrier et paysan et mener à son terme sa tâche révolutionnaire.

La tactique du Parti Socialiste doit découler de ces considérations.

Il doit préparer les masses à l’action directe, à la lutte sous toutes ses formes (depuis les meetings et démonstrations de rue jusqu’à la grève générale en accord avec les syndicats). L’amoindrissement continu de l’importance du parlementarisme impose au Parti le passage à l’action extraparlementaire et la dénonciation des illusions électoralistes. Toute l’activité du Parti doit lui être dictée non par la légalité de son ennemi de classe, mais par la volonté des masses travailleuses et par les nécessités de la lutte révolutionnaire.

Pour une Milice populaire et des Comités de Salut Public.

Des mots d’ordre concrets, adaptés à la situation et perceptibles par les masses augmentent leur capacité offensive.
Ainsi, en présence des provocations fascistes qui se multiplient, nous lançons le mot d’ordre de la milice ouvrière et paysanne ; ce mot d’ordre implique la création immédiate des organismes de défense active destinés à l’encadrement des masses. Le développement de la milice sera déterminé par le processus révolutionnaire et contribuera à la désagrégation du moral de l’ennemi fasciste.

D’autre part, dans chaque localité, dans chaque quartier, un comité de salut public (commune) doit se constituer à la faveur des luttes ; les paysans seront appelés à contrôler eux-mêmes les prix de vente de leurs produits et les comités paysans se prépareront à prendre en main la gestion des minoteries et des grands domaines. Des comités populaires contrôleront les prix dans les villes ; d’autres, en accord avec les syndicats, contrôleront la fabrication et le transport des armements. Partout, les travailleurs constitueront, à côté du pouvoir officiel de la bourgeoisie, les éléments du pouvoir populaire. Les délégués de tous les Comités populaires locaux se réuniront pour constituer les Etats Généraux des masses travailleuses.
En même temps, une propagande active et une pénétration méthodique s’exerceront parmi les forces coercitives de la bourgeoisie.

Une révolution ne s’improvise pas. Le Parti doit donc la préparer et envisager l’action révolutionnaire sous toutes ses formes et dans tous ses moyens.

Contre la guerre et l’Union sacrée.

Le prolétariat doit se dresser de toutes ses forces contre la guerre menaçante.
Les techniques modernes de guerre font de la prétendue « défense nationale » en régime capitaliste une expression vide de sens et une duperie sanglante.
En aucun cas le prolétariat ne saurait s’associer à une guerre menée par ses exploiteurs.

Ni au nom de la « démocratie » contre le fascisme extérieur. On ne porte pas la liberté à un peuple à la pointe des baïonnettes et on ne lutte pas contre le fascisme d’autrui après avoir accepté dans son propre pays un régime équivalent (état de siège, censure, suppression de toutes les libertés, destruction physique et morale du peuple, etc.).
Ni au nom de la défense de l’U.R.S.S. car la seule défense efficace des conquêtes de la première Révolution prolétarienne victorieuse, c’est son extension vers la révolution mondiale.
Ni, à plus forte raison, au nom de considérations diplomatiques quelconques.

Il ne peut faire confiance, pour l’empêcher, à un organisme international quelconque des états impérialistes (comme la S.D.N.). De même, il ne peut raisonnablement attendre que le capitalisme consente à se désarmer lui-même.

Le prolétariat trahirait sa mission s’il marchait sous un prétexte quelconque à la remorque d’un impérialisme contre un autre.
Toute lutte contre la guerre doit être menée d’une manière autonome et avec tous les moyens d’action directe de classe. Le danger de guerre ne peut disparaître que par le renversement du capitalisme.

Notre mot d’ordre essentiel de lutte contre la guerre est :
« si tu veux la paix, prépare la révolution.»
Nous ne l’abandonnerons sous aucun prétexte.

Si, malgré nos efforts, la guerre éclate, les socialistes utiliseront les difficultés créées par les hostilités pour renverser leur propre bourgeoisie par les moyens révolutionnaires. Ils tendront à transformer la guerre impérialiste en guerre civile.

Ils doivent être convaincus que la défaite de la bourgeoisie de leur pays sera le levier de leur victoire et la seule aide véritable à la révolution russe.

Pour la libération des peuples coloniaux.

Les socialistes ont le devoir de soutenir les mouvements des peuples coloniaux en faveur de leur libération. Toutefois, dans ces luttes ils doivent conserver leur propre organisation et leur politique socialiste en face des éléments indigènes féodaux, capitalistes et petits-bourgeois.

Pour l’unité organique et révolutionnaire.

La politique actuelle de chacune des deux Internationales ne traduit pas la volonté révolutionnaire des masses.

L’unité ne saurait être seule la garantie de la victoire, car le parti unifié groupera les courants les plus contradictoires.

Mais c’est à l’intérieur du mouvement prolétarien unifié que nous voulons rechercher les possibilités de redressement révolutionnaire. Car la fusion des deux partis attirera nécessairement des milliers de prolétaires inorganisés aujourd’hui, contribuera à élever la volonté combative de la classe ouvrière et donnera de nouvelles possibilités à l’action révolutionnaire.
D’où : nécessité urgente de la reconstitution de l’unité organique nationale et internationale et de la plus large démocratie intérieure pour que les différentes tendances puissent gagner les militants à leurs conceptions.

Notre but est de gagner la majorité des militants de la S.F.I.O. à ces points de vue.

Octobre 1935



Annexe:

Notes de Marie Guérin sur la Réunion constitutive de la gauche révolutionnaire

(septembre 1935)

Claude Beaurepaire (XVIII°) :
Notre plate-forme doit contenir notre position contre la déclaration de Staline  et l’exclusion des jeunes . Il faudrait réunir les différentes tendances qui sont d’accord là-dessus. Les B.-l.  ne doivent pas adhérer de suite, plus tard, on pourrait voir ça.

Marceau Pivert :
Il faut la solidarité avec les B.-l. Du travail en commun avec eux pour certaines choses. Pas d’unité organique avec eux qui sont fortement organisés et où il faudrait se soumettre à leurs méthodes, leurs statuts, etc. Il faut nous aussi devenir fortement organisés et sur un même plan collaborer avec eux. Eventuellement comité de coordination avec les Bolchéviks-léninistes à envisager.

Treint: (Note)
Faudra résister de plus en plus à une vague d’exclusions et arriver peu à peu à une Gauche révolutionnaire unifiée dans le parti. Mais comme il y a encore beaucoup d’opinions divergentes parmi les tendances gauches (par exemple sur la Russie) il faut organiser un cartel des gauches avec discipline commune.

Marceau Pivert :
Pas le temps de couper les cheveux en quatre. Il faut élaborer un programme au caractère collectif et anonyme pour résoudre choses que l’ensemble du parti n’est pas encore capable de résoudre.

Weil-Curiel :
Il faut s’élever contre l’exclusion des trotskystes. Mais pas couper liens avec eux. Favorise l’adhésion individuelle des trotskystes si toutefois les B.-l. ne veulent pas se dissoudre pour adhérer en bloc à la G.-r.

Marceau Pivert :
On l’avait proposé à Molinier qui a nettement refusé et la dissolution du G.b.-l. et l’adhésion individuelle des membres.

Boris Goldenberg : Lit les 7 points de la plate-forme (élaborée avec René Lefeuvre avant la séance).

Autre camarade :
Sur cette plate-forme qui sera propre à la tendance il faut faire du bon travail qui peu à peu attirerait les autres tendances.

Georges (défendant Treint) :
Il y a du danger à se concentrer en une seule tendance car toute tendance a des limites et empêcherait d’autres tendances d’agir.
Il y a en a qui ne veulent pas d’étiquettes. Donc : Cartel serait l’anonymat de tout ce qui serait fait et constituera une sécurité pratique.

Gaston Goldschild :
Treint a tort ici. Il faut une étiquette. Elaborons le programme et viendra qui voudra.

Marceau Pivert :
Faut voter pour la constitution de la tendance G.-r. qui est adoptée presque à l’unanimité contre quatre voix. Treint veut quitter la salle mais reste après.

Fred Zeller: (Note)

Prétend qu’on a « exclu » Treint sans avoir même un programme. Veut qu’on se prononce surtout d’abord sur Lille  et sur ce qu’on fera si 25 B.-l. sont exclus.

Mais Marceau Pivert procède à la lecture des 7 points du programme.
[…]
Goldenberg ajoute qu’un gouvernement éventuel de Front populaire sera pour nous un gouvernement de transition. Ne pas supporter parlementaire ou bourgeois. Pas de gouvernement double. Faut d’ores et déjà créer des organisations démocratiques englobant les masses.

Weil-Curiel :
Il faudra les présenter sous un nom « innocent » comme « défense prolétarienne » ou autre. Accepté.
Election du CD avec Gaston Floutard comme secrétaire administratif.
Marceau Pivert précise que G.-r. doit comprendre tous les responsables des anciennes tendances.
Est élu un comité de presse : René Lefeuvre, Gilbert, Simone Kahn, Goldschild.

Marceau Pivert propose de faire une autre proposition aux B.-l. avec cette nouvelle plate-forme et propose avec Weil-Curiel de prendre Zeller dans le C.d. pour marquer le coup par rapport à la bureaucratie concernant son attitude par rapport aux trotskystes.

Tâches urgentes.
Candidats à la C.e. : Périgault, Fred Zeller, Goldschild, Gillet (Bondy), Canet.
Elections Sénat. Marque le coup par candidature G.r. pour se différencier des candidats Front populaire comme Auray.
Proposé et accepté : Delépine.


 

 

La gauche révolutionnaire des Jeunesses socialistes est exclue au Congrès de Lille : A bas la scission ! par Fred Zeller, Secrétaire de la Fédération de la Seine Des Jeunesses socialistes

[extrait]

(1935)


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Paru dans La Révolution prolétarienne n° 204 du 10 août 1935. Extrait cité dans J.-P. Rioux / Révolutionnaires du Front populaire (UGE, 10/18, 1973)

C’est la première fois depuis l’unité de 1905 que la S.F.I.O. liquide son aile gauche et cela peut avoir une importance capitale dans les jours et les semaines qui viennent…,

Quelles sont les raisons profondes et quel est le sens de cette exclusion de 12 membres de la
Commission exécutive des jeunesses socialistes de la Seine ?

… Une minorité révolutionnaire aurait voulu secouer le mouvement de sa torpeur, désirait une transformation importante des statuts qui nous empêchaient de discuter et d’étudier les grands problèmes politiques actuels et les tâches du socialisme international. Nous voulions, quant à nous, tracer la ligne politique propre à nos Jeunesses, nous voulions une plus grande liberté d’action pour nous permettre de partir à la conquête de la jeunesse ouvrière française, qu’il s’agit de gagner d’urgence à nos solutions révolutionnaires.

La bureaucratie du parti fut effrayée au plus haut point et les hommes, qui durant les événements de février 1934 étaient aplatis comme des carpettes, surent retrouver tout leur courage pour engager la lutte contre nous !

Ils sentaient leurs positions chanceler, ils voyaient l’ardeur et le courage que nous mettions à défendre nos mots d’ordre et discernaient bien, en vieux finauds qu’ils sont, que nous ne tarderions pas à balayer tout, sur le plan des Jeunesses ! Ils eurent peur et, sournoisement mais consciencieusement,  dans l’ombre, ils préparaient l’opération. Il fallait d’abord, comme premier travail, isoler la fédération de la Seine de la province. C’est alors que l’appareil bureaucratique du parti fonctionna à plein. Les secrétaires fédéraux adultes et jeunes nous firent passer pour des fous, des exaltés, des lâches qui, à Paris, fuyaient devant la police, et puis aussi on alla jusqu’à dire que la Fédération de la Seine recevait des subsides de la Préfecture et que nous étions en train de préparer la scission du mouvement ! Enfin, on employa tous les arguments de second ordre pour tenter de nous isoler, pour la raison majeure que les dirigeants du Comité National mixte n’ont pas de politique générale et sont débordés par les événements. Enfin, tranquillement, on prépara le congrès national de Lille, où devait avoir lieu l’opération chirurgicale…

Les séances du congrès devaient être présidées par des hommes sachant à l’avance quel était le travail qu’on attendait d’eux. Ils accomplirent, soyons justes, ce travail au mieux des intérêts des réformistes. On nous accordait royalement la parole dix à quinze minutes pendant qu’on laissait les autres une heure ou une heure et demie s’il le fallait à la tribune ! On nous provoquait à tout bout de champ, on nous insultait en attendant nos réactions bien explicables, ce qui donnait un prétexte au service d’ordre lillois, en tenue et en plein congrès, de nous frapper à tour de bras et à plusieurs reprises.
C’est la première fois que, dans un congrès national des jeunesses socialistes, nous avons délibéré sous la menace de véritables nervis… Il faut que tout le monde sache ce qui s’est passé à Lille. Il faut que tout le monde sache dans quel guet-apens nous sommes allés !… Il faut qu’on sache que ceux qui se réclament de la démocratie socialiste et de la liberté ont agi en parfait fascistes ! Ils ont employé les mêmes méthodes que la bourgeoisie vis-à-vis des partis ouvriers qui deviennent un danger pour elle ! Quelle honte ! Quelle ignominie !…

… Ce sont les efforts conjugués des bureaucraties communiste et socialiste qui nous ont exclus. En effet, après les positions que nous avons prises à l’intérieur des réunions du Front Populaire, les camarades communistes ne pouvaient admettre qu’on transforme ce front conservateur, qui ne peut que redorer le blason des chefs radicaux, déconsidérés par des expériences diverses et désespérantes, en un front populaire de combat qui aurait une ligne politique juste et des perspectives révolutionnaires. Nous ne voulons pas, comme cela semble être l’intention des directions socialiste et communiste, que de ce front populaire sorte un nouveau gouvernement, s’appuyant sur la légalité et la démocratie bourgeoise et uniquement sur une majorité parlementaire. Nous voulons canaliser la volonté révolutionnaire des masses, actuellement en effervescence, vers la prise du pouvoir par les travailleurs, et pour cela nous avons défendu partout le mot d’ordre du gouvernement ouvrier-paysan
et la dictature du prolétariat.

Nous avons, dès la première minute, pris position contre les déclarations de Staline, en ce sens qu’elles ne peuvent que renforcer notre bourgeoisie et son appareil militaire, arme de classe entre ses mains.
Par la même occasion, nous avons pris position contre le social patriotisme, contre la défense nationale en régime capitaliste et contre l’union sacrée comme en 1914. Cela ne peut faire évidemment l’affaire de ceux qui se servent du front populaire pour créer le courant favorable à un nouveau 1914, sous prétexte de défendre les conquêtes de la révolution d’octobre 1917!

C’est pour cela, et uniquement pour cela, que nous avons été exclus.

… Nous ferons ce que nous conseillait notre ami Marceau Pivert dans un télégramme : Faites appel ! Résistez ! Solidarité révolutionnaire !

… Plus que jamais, nous nous considérons toujours comme membres des Jeunesses socialistes. Nous maintenons haut et ferme le drapeau rouge de la révolution, et c’est en définitive nous qui le mènerons à la victoire !


 

 

 

Sur le défaitisme révolutionnaire, par Marceau Pivert

Tribune libre de Marceau Pivert dans Le Populaire du 9 octobre 1935.


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Faisant suite à une tribune de J. Zyromski, Défaitisme révolutionnaire ?, parue dans Le Populaire du 3 octobre 1935, il s’agit d’un document qui éclaire la scission de la Bataille socialiste et les débuts de la Gauche révolutionnaire. Comme pour les derniers articles inédits de Pivert, la publication de celui-ci a été rendu possible par la numérisation des archives du Populaire de 1918 à 1939 par Gallica .

Enfin ! on en discute !

Il a fallu notre insistance, des incidents pénibles, et surtout les premiers grondements du canon d’Ethiopie pour imposer aux timidités et aux calculs indignes d’un grand parti la discussion publique.

La gauche révolutionnaire ne fait pas de ses positions particulières sur la guerre, sur la lutte contre le fascisme, sur le front populaire de combat, des conditions de l’unité organique. Mais elle constate que ce n’est pas d’elle que partent les « exclusives » contre le défaitisme révolutionnaire et, ce qui est plus grave, des exclusions contre une minorité non conformiste.

Elle ne fera rien pour blesser le Parti, rien pour retarder l’unité organique, rien pour fausser le jeu intérieur des tendances; mais elle exigera, elle imposera au besoin le respect de la libre discussion et de sa conception de l’unité organique TOTALE. C’est en pleine clarté, en pleine loyauté à l’égard de tous qu’elle entreprend un effort de restauration des valeurs révolutionnaires et de liquidation des idéologies social-pacifistes et réformistes.

Le critérium du « défaitisme révolutionnaire » n’est pas le seul autour duquel nous appelons nos camarades du Parti à un rassemblement offensif. A l’heure où nous sommes, tous les problèmes qui se posent devant le prolétariat peuvent être l’objet d’analyses théoriques impeccables; mais nous courons néanmoins à la catastrophe, si l’armature organique nécessaire pour mener les combats décisifs n’est pas décidée à l’action directe de classe. Il ne s’agit plus seulement d’analyses subtiles, il s’agit de vouloir vaincre et de se préparer en conséquence.

Qu’est-ce que le défaitisme révolutionnaire ? C’est la traduction, en face du problème de la guerre IMPERIALISTE de 1935 (et non de la guerre « en général ») d’une vérité cruelle acquise par l’expérience prolétarienne: Chaque fois que la classe ouvrière consent à un armistice dans la lutte des classes, elle en est victime. Nous n’avons pas besoin d’attendre une décision d’une Internationale unique qui n’est encore qu’hypothétique, pour découvrir la conséquence de cette vérité: « Chaque prolétariat doit se dresser contre son propre impérialisme. Chaque secteur du front international de classe doit attaquer l’ennemi qui se trouve dans son champ d’action, dans sa propre maison » . A plus forte raison une véritable action internationale contre la guerre ne peut pas (comme nous le constatons avec amertume depuis six mois) subordonner ses décisions à un organisme comme la S.D.N. Est-ce que le 12 février, la classe ouvrière française a subordonné sa grève générale aux décisions de cet appareil d’enregistrement d’ailleurs détraqué, que constitue le Parlement ? Ce qui compte, c’est la grève générale et le boycott contre l’impérialisme italien; ce qui compte, c’est la réplique directe et violente aux provocations fascistes; ce qui compte, c’est une action autonome de classe, sur le plan international comme en politique intérieure. Et c’est tout cela qui manque précisément à notre classe ouvrière, prête au combat, mais menacée de démoralisation et de paralysie par les pires illusions réformistes ou même nationalistes.

Les meilleures intentions ne pèsent pas lourd en face des dispositions stratégiques de l’ennemi de classe. Quiconque laisse entendre que « dans certains cas » le prolétariat français s’embrigaderait volontiers derrière son impérialisme pour entrer dans la guerre, met inconsciemment ou non le doigt dans l’engrenage infernal… La bourgeoisie est assez habile, dans ce cas, pour fournir précisément le prétexte naïvement invoqué à l’avance. Il n’y a pas un seul citoyen sérieux qui ne soit persuadé, par exemple, que la prochaine conflagration aura comme prétexte « la résistance à l’agression hitlérienne » . Quand le massacre aura passé, on s’apercevra qu’il y avait aussi et surtout des causes plus évidentes: pétrole, houille, marchés, mines, banques, colonies, munitionnaires et profits capitalistes. Il sera trop tard ! La bourgeoisie se sera prolongée par la guerre. Et ce qu’on appelle la défense nationale en régime capitaliste aura servi à poignarder la révolution mondiale, toujours en puissance.

Au contraire, notre défaitisme révolutionnaire signifie que nous avons une claire conscience du jeu de l’ennemi et de nos responsabilités de classe. Inutile de nous rappeler Marx et le milieu du 19° siècle, où les guerres nationales avaient un tout autre sens. Au siècle de l’impérialisme, les guerres nationales sont rejetées dans le domaine colonial où nous devons les soutenir pour abattre l’impérialisme. Mais sur le plan de la guerre impérialiste, nous affirmons notre volonté de nous dresser contre notre propre bourgeoisie et nous voulons que le Parti et les syndicats se préparent concrètement à cette lutte révolutionnaire décisive. Nous nous appuyons ainsi sur l’instinct profondément pacifique des ouvriers et paysans français et nous contribuons à reculer l’échéance dans la mesure du possible.

Une dernière inquiétude: N’allons-nous pas courir le risque ainsi de compromettre la défense de l’U.R.S.S. ? Non ! Bien au contraire. L’armée rouge et la politique soviétique ne peuvent être assimilées à une armée et à une politique capitaliste. Tout ce qui affaiblit à un endroit quelconque l’armature capitaliste renforce le front international de classe. Nous ne voulons pas laisser aliéner UN SEUL INSTANT la liberté de manœuvre du prolétariat international, car les brigands impérialistes nous feraient payer cher cette aberration en réformant le front uni de la bourgeoisie contre l’U.R.S.S.

Contre la guerre, pour la défense de l’U.R.S.S., un seul mot d’ordre: Révolution !

Ce n’est pas seulement un mot d’ordre, c’est un fait historique: la Révolution européenne a commencé en 1914; elle continue. Ceux qui nous proposent de nous enrôler encore une fois sous la direction de notre état-major n’ont oublié que ceci: Sans le défaitisme révolutionnaire, sans la préparation idéologique et pratique à laquelle se sont consacrés Lénine et Trotski, il n’y aurait pas eu octobre 1917.

Si l’on avait appliqué le critérium classique à la Russie de Kerenski, on aurait imposé la continuation de la guerre, sous prétexte de ne pas livrer le pays le plus socialiste (la Russie des Soviets de février) au pays le moins socialiste (l’empire allemand).

En sorte qu’il n’y aurait sans doute en Russie, en ce moment, qu’un gouvernement genre Laval (pays vainqueur), ou genre Hitler (pays vaincu), c’est-à-dire que la Révolution n’aurait pas pu passer.

Mais la brèche s’est faite, dans le front capitaliste mondial. plus encore qu’en 1917, le devoir prolétarien dans les pays capitalistes est inflexible: il leur faut étendre le secteur socialiste en continuant la Révolution !


 

 

Révolution d’abord! Par Marceau Pivert.

1er septembre 1935.



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Extrait de la brochure La Révolution avant la guerre de Marceau Pivert qui, répondant à L’ Internationale et la guerre (O. Bauer, Th. Dan, A. Dunois et J. Zyromski) , annonce l’éclatement définitif de la Bataille socialiste en deux courants. Dans son discours au Congrès de Mulhouse en juin 1935 sur la même question, Pivert reconnaissait déjà qu’il y a avait des désaccords au sein de la BS.
Avant propos rétrospectif
Quelques réflexions sur la démocratie socialiste

La publication des thèses de Bauer-Dan-Dunois-Zyromski sur « l’Internationale et la Guerre » a le grand mérite de solliciter la « discussion internationale ».

Nous nous ferons donc un devoir de répondre à l’appel de Fritz Adler; avec l’automne 1935, le prolétariat mondial aborde une nouvelle période historique; les questions les plus dramatiques sont posées devant lui aussi bien par la croissance des antagonismes de classe que par la coexistence de l’économie soviétique ascendante et de l’économie capitaliste déclinante. Sans action prolétarienne sérieuse, il est clair que la crise capitaliste conduit au fascisme et que le fascisme conduit à la guerre.

Comment rompre ce cercle infernal?

… Peut-être aurait-on avancé plus rapidement dans la recherche de solutions si la « démocratie socialiste » avait mieux fonctionné depuis 3 ou 4 ans. Mais notre S.F.I.O. a été gênée dans son processus de régénération révolutionnaire par des phénomènes de pression électoraliste et parlementaire. Cependant, en 1931 le Parti osait aborder, pour la première fois depuis 1914, la délicate question de la défense nationale. Il la traita presque exclusivement sous l’angle parlementaire, conformément à sa principale activité au cours de cette période « d’avant la crise ».

A ce moment, le plus grave danger nous paraissait résider dans la fraction social-patriote, représentée par Renaudel et Paul-Boncour, qui prétendaient organiser la défense nationale plus « rationnellement » que la bourgeoisie elle-même (sans changer le régime capitaliste). D’où les fameux projets Boncour, le rapport du budget de l’Air confié à Renaudel, la participation au Conseil supérieur de la défense nationale, c’est-à-dire en fait, l’intégration du Groupe socialiste au parlement dans l’appareil militaire de la bourgeoisie.
Cette monstrueuse collaboration de classe fut liquidée par l’effort propre du Parti, de ses militants, de ses représentants du centre et de la gauche. Aussi, au lendemain du Congrès de Tours (1931) paraissait une singulière déclaration signée de 25 députés et sénateurs tous devenus depuis, ou néos, ou ministres bourgeois: « Puisque le Parti nie le principe de la défense nationale, nous faisons toutes réserves sur l’avenir… »

A la vérité, la motion adoptée par le Congrès à une très forte majorité n’approuvait… ni ne niait « la défense nationale en régime capitaliste ». Elle donnait néanmoins un mandat précis au Groupe parlementaire: « Ni vote de crédits militaires, ni rapports… Pas un homme, pas un sou! » Et, pour donner satisfaction à beaucoup d’éléments du Parti qui ne voulaient pas apparaître comme reniant un passé de majoritaires de guerre, on pria Léon Blum de faire une déclaration-synthèse précisant la physionomie du Parti. Cette déclaration fut un chef-d’œuvre de subtilité:  « La défense nationale, c’est la paix; seul, le socialisme peut assurer la paix; donc, seul le socialisme donnera son plein sens à la défense nationale »…

Mais le problème véritable, en style de classe, avait été éludé.

La résistance des militants aux compromissions, bientôt aux trahisons d’une forte fraction du groupe parlementaire s’était traduite par une définition concrète de l’attitude du Groupe; mais les divergences de conceptions renaissaient dans le bloc de la majorité lorsqu’il fallait traduire l’opposition de classe à la guerre impérialiste dans le langage « action directe prolétarienne ». Ici, se retrouvaient deux grands courants, que la pression des événements devait séparer un jour ou l’autre.

I. Il y a des cas, en régime capitaliste, où le devoir de défense nationale peut avoir un sens et une vertu internationalistes (la thèse de Bauer-Dan-Dunois-Zyromski est précisément une analyse sérieuse de ces cas concrets actuels).

II. Il n’y a jamais de cas, en régime capitaliste, où le devoir de défense nationale ait un sens et une vertu internationalistes en d’autres termes: collaboration avec la classe ennemie, JAMAIS et dans la guerre moins encore que dans la paix. Ce sera la thèse que nous opposerons à celle de nos quatre camarades.

Mais ces divergences pouvaient encore s’atténuer dans le jeu des tendances au sein de l’Internationale, en face des dangers renouvelés du social-patriotisme impénitent. Au printemps 1933, la fraction Renaudel-Marquet, violant les décisions de Congrès, en arrive à voter les crédits militaires!

Quoi qu’il en soit, l’I.O.S. avait précisément porté à son ordre du jour les trois sujets toujours posés à notre attention: Guerre, Unité, Pouvoir. Une conférence internationale devait se tenir à Paris en août et le Congrès du Parti, fixé le 14 juillet 1933 devait préciser le mandat de ses délégués sur les trois points de l’ordre du jour.
A vrai dire, l’attention du Congrès était concentrée sur la menace de rébellion des « néos » et c’est à ce Congrès que les fameux discours de Déat, Marquet, Montagnon (ordre! autorité!! nation!!!) révélèrent le divorce total entre la droite ministérialiste et le socialisme traditionnel.

Néanmoins, la Conférence internationale d’août 1933 (où les délégués n’avaient pas de mandat) fournit l’occasion à la gauche de l’I.O.S. de lancer un vigoureux appel aux masses organisées.

Cet appel portait les signatures suivantes: V. Adter (« Bound » de Pologne), N. Andresen (P.S. d’Estonie), Z. Bianco (P.S. d’Italie), A. Bocconi (P.S. d’Italie), H. Erlich (« Bound » de Pologne), O. Felix (P.S. d’Amérique), M.Krügel (P.S. d’Amérique), E. Levinson (P.S. d’Amérique), M. Pivert (P.S. de France), C. Senior (P.S. d’Amérique), P.-H. Spaak (Parti ouvrier belge), Jean Zyromski (P.S. de France).

Il était précédé d’une déclaration qui fut commentée à la tribune par Jean Zyromski:

« Les membres soussignés de la « Conférence d’Information » considèrent que les divergences doctrinales et tactiques mises en évidence par la discussion générale doivent [être] portées d’urgence à la connaissance de tous les militants de l’Internationale, afin que, loyalement consultés, ceux-ci déterminent eux-mêmes, par le libre jeu de la démocratie intérieure, les principes et l’action à engager sur tout le front international de classe.
C’est en vue d’aider à la clarification rapide d’une situation périlleuse qu’ils proposent à l’examen des masses organisées les thèses ci-dessous en faisant confiance à leur instinct de classe, à leur volonté de lutte, à leur besoin impérieux de démocratie réelle. »

La déclaration de Staline vint ajouter à la confusion. Elle détermina une sorte de stupeur immédiatement exprimée par Blum dans le Populaire. Puis, un effort de résistance collective aux menaces d’union sacrée qui semblait en être la conséquence. Le malaise n’est pas encore dissipé au sein du prolétariat et plus particulièrement dans nos sections socialistes.

… Mais voilà l’Italie qui marche à la conquête de l’Abyssinie. Branle-bas diplomatique général. L’Internationale sera-t-elle prête à faire face à tous les événements? Elle renvoie à une date ultérieure la réalisation du front unique international (avec la III°). Pourtant, le temps presse. Qui sait jusqu’où le conflit peut s’étendre? Osera-t-on décider du sort de millions et de millions de travailleurs organisés sans les consulter? Ce n’est pas possible.

La discussion est ouverte.

L’étude critique de la brochure de nos quatre camarades nous permet d’y apporter notre contribution; en présence de l’insuffisance et du danger des thèses que nous allons analyser, nous ferons apparaître, brièvement, nos propres conclusions.
Après quoi, si les événements le leur permettent, les travailleurs décideront eux-mêmes.
Du moins nous voulons espérer qu’on le leur permettra, à bref délai.
Jamais en effet, les règles de la démocratie intérieure n’auront eu plus de prix qu’à la veille d’une nouvelle période de guerres, de dictatures et de révolution dont les prolétaires seront en définitive, ou les victimes pitoyables, ou les acteurs victorieux.


 

 

Réponse à l’enquête « Le syndicalisme en danger » , par Marceau Pivert

Paru dans La Révolution prolétarienne N°205 du 25 août 1935.


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J’ai quelque scrupule à  vous donner mon avis sur la réplique que j’aurais souhaitée aux décrets-lois : je suis fonctionnaire de l’enseignement et, par suite, en vacances. Il m’est  assez désagréable, dans cette situation, de préconiser des moyens d’action qu’en dépit de ma volonté je ne pourrais pas, matériellement, appliquer moi-même.

Mais j’indiquerai d’un mot que cette attaque brutale, on devait la prévoir. A chaque diminution antérieure, j’ai eu l’occasion de le dire à mes camarades du mouvement syndical : « de la vigueur de la réplique dépendra la suite ». Trop souvent on répliquait : « ils » ne recommenceront pas de sitôt! Voilà l’erreur de perspective. « Ils » ont recommencé! Ils y étaient obligés par leur système.

Aujourd’hui, on aurait peut-être pu, par une bonne préparation antérieure (on n’ignorait pas les projets de 10 %!) amener l’ensemble des victimes à la seule réplique efficace : « Tous ensemble et au même moment ».

Mais ne récriminons pas. Notre rôle est encore une fois de regarder l’avenir immédiat et lointain avec le maximum de clairvoyance : on n’évitera pas non plus la réplique décisive : grève générale jusqu’à victoire complète, c’est-à-dire : gouvernement ouvrier et paysan.
Ceci m’amène à votre deuxième question : elle soulève les problèmes les plus graves, comme ceux du passage des revendications corporatives à la revendication du pouvoir. Il faut incontestablement consulter les organisations sur la solution à apporter : ce n’est pas d’une équipe gouvernementale, quelle qu’elle soit, que dépend le sort du prolétariat: c’est du prolétariat lui-même, de son action directe de classe, de ses organisations, de sa capacité de défense et d’attaque contre le régime capitaliste, cause de tous ses maux.
Or, à l’heure où nous sommes, le capitalisme menace de prolonger son agonie par une dictature fasciste et par la guerre. Toutes les revendications matérielles immédiates sont liées directement au rapport des forces antagonistes : ce qui est arraché à l’une renforce l’autre; la déflation, arrachant aux travailleurs une part nouvelle de sa capacité de consommation, permet au capitalisme de se prolonger, d’armer ses Croix de Feu et de nourrir grassement ses munitionnaires. Tout recul de l’heure du corps à corps final risque de livrer une classe ouvrière affaiblie à la servitude fasciste.

Cependant, tout ce qui doit permettre au prolétariat de réunir des facteurs de succès doit être utilisé par lui : alliances de toutes les victimes, neutralisation de certaines couches sociales intermédiaires, utilisation des dernières parcelles de démocratie bourgeoise, etc., ces éléments sont recherchés et peuvent être rassemblés. Mais les organisations syndicales doivent prendre conscience qu’elles seules constituent le véritable moteur et leurs initiatives doivent être dirigées dans le sens du pouvoir pour les travailleurs.

D’où indépendance à l’égard de tout gouvernement!

Mais non pas indépendance de tout gouvernement à leur égard!

Un gouvernement des travailleurs peut être porté au pouvoir : ce sera « le pouvoir » factice, illusoire, et par suite inefficace au plus haut point, si les syndicats comptent exclusivement sur le fonctionnement des institutions parlementaires et ne se préparent pas à utiliser ce dispositif pour la conquête du vrai pouvoir, c’est-à-dire la production entre les mains des syndicats, l’administration politique du pays entre les mains du parti prolétarien (unifié), la répartition des produits entre les mains des coopératives, toutes ces modalités de l’action prolétarienne étant inspirées par la même interprétation marxiste de la révolution. A ce moment, les relations entre gouvernement et syndicats ne sont plus de la même nature : elles sont déterminées par la solidarité de classe qui cimente le pouvoir ouvrier, mais le pouvoir ouvrier n’est vraiment installé sur une base historique solide que si les institutions politiques et économiques créées par la classe ouvrière sont des formes différentes, également nécessaires, mais complémentaires d’une classe appelée tout entière, avec le maximum de liberté et de démocratie intérieure, à la construction de la société socialiste.

En résumé, une nouvelle orientation syndicale est commencée. Si elle n’est le fait que des cadres, elle risque de subordonner l’avenir du prolétariat à des intérêts non spécifiquement prolétariens, donc de reculer la révolution nécessaire. Au contraire, si elle est constamment propulsée par l’initiative des masses conscientes, sachant ce qu’elles veulent, sachant où elles vont, elle peut conduire très rapidement à la conquête du pouvoir politique et à la révolution prolétarienne.

Que les travailleurs, dans leurs assemblées syndicales, regardent en face l’ensemble de la situation et qu’ils dictent leurs volontés.


 

 

Du Front Populaire de parade au Front Populaire de combat, par Marceau Pivert

Tribune libre publiée dans le Populaire du 25 septembre 1935.

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Les masses ouvrières et paysannes qui se rassemblent sous le signe du Front populaire pour le pain, pour la liberté, pour la paix, attendent avec une certaine impatience l’ordre de marche des organisations liées par le serment du 14 juillet.
La période de l’enthousiasme idéaliste, des gestes symboliques, des déclarations solennelles mais sans résultat positif ne pourrait impunément se prolonger.

La misère s’étend dans les faubourgs et dans les villages.
Les bandes fascistes continuent à provoquer et à s’armer.
Et la guerre, avec ou sans l’estampille de la S.D.N., est à nos portes…

D’autres, par tendance naturelle ou par déformation professionnelle, se contenteront d’examiner les difficultés de notre tâche sur le plan strictement parlementaire.
Comme si toute l’activité du Parti socialiste, toute l’action de masse du prolétariat, toute la dynamique du front populaire étaient limitées à la constitution d’une majorité parlementaire !

Tout de même, le rôle moteur et animateur des militants révolutionnaires dans leurs organisations, celui des organisations dans la classe, celui de la classe dans le pays doivent être autrement vastes et entraînants.

Et si notre action spécifique semble parfois manquer de continuité, ou de souplesse, ou d’initiative, dans le chaos des événements qui se bousculent sur tous les plans, c’est probablement parce qu’on a tendance à oublier la règle impérative à laquelle une véritable action de classe doit se soumettre. Aucun résultat sérieux et durable ne peut être obtenu par le prolétariat en dehors de son action directe de classe, autonome et calculée.

Beaucoup sont d’accord avec cette formule, dans le Parti et autour du Parti. Mais il s’agit aujourd’hui de l’appliquer dans les faits et non plus de la répéter. Il s’agit d’orienter, d’inspirer de traduire le grand mouvement de masses qui se développe jusque dans les régions les plus déshéritées. Les hommes qui mèneront la formidable bataille de classes au seuil de laquelle nous nous trouvons devront être, certes, clairvoyants et doctrinaires, mais ils devront également vivre vraiment les pulsations quotidiennes des masses populaires en effervescence.

La pire erreur consisterait à offrir des améliorations de détail, des réformes partielles, des solutions juridiques compliquées pour calmer la misère et l’inquiétude de tout un peuple…

Il n’est pas vrai que le paysan n’entend pas le langage révolutionnaire. Si le prolétariat ne joue pas son rôle dans ce sens, ce sont les démagogues fascistes qui lèveront les campagnes pour mieux les asservir ensuite.

Il n’est pas vrai que la petite bourgeoisie, longtemps groupée derrière le parti radical, soit indigne de participer au grand mouvement libérateur: au contraire. Sa combativité est un élément important de la révolution. Tout ce qui peut souder dans l’action les différentes catégories de victimes de la crise est donc révolutionnaire.

La nécessité impérieuse pour le prolétariat de conserver ses mains libres, son initiative totale, sa détermination autonome n’est pas du tout contradictoire avec la nécessité, d’un autre ordre, de rechercher des alliances loyalement contractées pour une tâche définie en commun.

En résumé, ce qui importe à l’heure actuelle, ce n’est pas de calculer la distribution des portefeuilles dans le futur ministère de Front populaire; ce n’est pas même de s’arrêter à la qualité douteuse ou à l’étiquette de tel ou tel allié ( à condition qu’il soit nettement adversaire des décrets-lois et de l’Union nationale, bien entendu !); c’est de définir l’action de classe autour de laquelle, sans bousculade inutile, mais pas une sorte de discipline naturelle des faits, les véritables lutteurs du front populaire prendront leurs positions de combat.

*

Or, cette action de classe est effroyablement faible.

C’est pour restaurer celle-ci et regagner une partie du temps perdu que dès maintenant, la gauche révolutionnaire du Parti socialiste  est virtuellement constituée et continuera son effort au sein du Parti unique du prolétariat.
Précisons: pour le pain.

La réplique aux décrets-lois, au chômage, à la mévente, aux bas salaires, aux faillites, aux saisies, ce n’est pas seulement le meeting, la protestation pacifique, la délégation courtoise et humiliée: c’est la lutte, la lutte acharnée pour la défense de son morceau de pain, pillé par une poignée de forbans. Cette lutte exige une stratégie, une propagande incessante et catégorique, une rupture avec les illusions réformistes ou les méthodes de conciliation et de compromis aujourd’hui sans issue: d’où préparation de la grève générale pour la conquête du pouvoir. Si le Front populaire est autre chose qu’une formule, il doit comprendre que le prolétariat est seul qualifié pour choisir, avec les risques qu’ils comportent, les moyens les plus efficaces pour atteindre le résultat poursuivi en commun: fin de la misère et de la crise.

Pour la liberté.

La réplique aux rassemblements des Croix de Feu, c’est le rassemblement antifasciste à la même heure et au même endroit.
La réplique à un raid fasciste sur une permanence ouvrière, c’est un autre raid sur une permanence fasciste.

Et si les Croix de Feu amassent des armes, sans attendre les mesures que Laval ne prendra pas contre eux, il faut que les travailleurs s’organisent pour s’en emparer de vive force. Là encore, le Front populaire sera autre chose qu’une formule destinée à renflouer des hommes politiques discrédités, si ses chefs connus et qualifiés prennent la tête de l’action directe antifasciste et des formations miliciennes populaires. Et c’est possible: certains « ralliés » au front populaire ne songent peut-être qu’aux éventualités électorales; mais les militants sincères voient plus loin que la frontière d’une circonscription, et seule l’action directe de classe engagée par le prolétariat peut faire surgir ces alliés précieux autant qu’insoupçonnés.

Enfin: pour la Paix !

Pour la paix, bien malade ! L’action directe de classe est d’une insuffisance lamentable. On attend que les porte-parole des « brigands impérialistes » aient décidé dans un sens ou dans l’autre. On serait presque disposé à admettre le partage à l’amiable de l’Éthiopie… à condition que le seigneur de la guerre veuille bien faire taire ses canons. Mais les canons partiront tout seuls… et l’erreur initiale peut entraîner la classe ouvrière (c’est-à-dire, a fortiori, le Front populaire derrière l’impérialisme français et ses hypocrisies, et ses calculs sordides. D’action autonome, aucune trace… Lorsqu’on en parlera, il sera trop tard, et le risque que nous courons est de voir une fraction du prolétariat international embarquée derrière l’état-major de sa bourgeoisie, une autre cantonnée dans un pacifisme absolu mais superficiel (tout de même plus sympathique), et une troisième, trop faible, seule fidèle à l’ « internationalisme prolétarien inconditionnel et viril« , c’est à dire décidée à la lutte violente contre sa propre bourgeoisie, pour s’emparer du pouvoir. Dans ce cas, le Front populaire serait encore plus disloqué que le prolétariat lui-même. Mais nous sommes décidés à remonter le courant, à imposer l’unité organique, TRÈS VITE, à conquérir la majorité de la classe ouvrière, par un effort loyal au sein de nos organisations, à déclencher enfin l’offensive contre la misère, contre le fascisme, contre la guerre. Nous faisons appel à toutes les volontés révolutionnaires pour une coordination sans sectarisme dans cette lutte décisive. Et une fois de plus, de l’énergie des militants surgira, au moment où les dangers s’accumulent sur nos têtes, l’action salvatrice brisant tous les obstacles et imposant à tous les voies et les moyens de la victoire prolétarienne.

 


 

Action d’abord ! par Marceau Pivert

Tribune libre de Marceau Pivert dans Le Populaire du 10 janvier 1935.

Les archives numérisées du Populaire de 1918 à 1939 ont été mises en ligne par Gallica

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Le « Front Antifasciste » semble arrivé à un point mort!

La recherche d’alliés « à tout prix » ralentit-elle l’activité des organisations ? Les forces populaires immenses, qui auraient déjà obtenu la victoire, dès le lendemain du 6 février, si elles avaient attaqué immédiatement l’ennemi, s’enferment dans le cadre étroit de la légalité bourgeoise, et bornent leur activité à des meetings, des ordres du jour, des démarches dans les antichambres ministérielles. De différents points de l’horizon antifasciste, des courants d’opinion convergent étrangement vers l’élaboration de tactiques dangereuses dont nous avons le devoir de mesurer toutes les conséquences.

Plus que jamais, à mesure que les difficultés se dressent devant nous, regardons-les en face et parlons clair.

Les uns nous proposent de négliger au besoin les revendications immédiates pour nous consacrer à la propagande en faveur du « plan ». Ils opposent cette « propagande » à la « méthode insurrectionnelle » !! Ils conditionnent la réalisation de l’unité organique à un accord préalable sur leurs méthodes.

Les autres mettent bien l’accent sur les revendications immédiates mais semblent rejeter à un lointain avenir l’hypothèse de la conquête du pouvoir.

D’autres encore, s’installant avec une légèreté effrayante sur le propre terrain du capitalisme, croient pouvoir assurer la sécurité des travailleurs en proposant les contingentements, les droits de douane, la diminution du rendement… et sans doute aussi la destruction des usines, l’élimination du travail féminin, l’interdiction aux laboratoires de faire de nouvelles découvertes, etc., etc…
Enfin, ainsi que nous l’avons déjà entendu au sein du Parti, avant le départ des néos, le chœur des hommes prudents reprend ses accents impressionnants: «  Taisez-vous ! Ne bougez pas ! Ne réveillez pas l’adversaire ! Ne provoquez pas !  » Mais cette fois c’est au sein même des masses prolétariennes que circule l’insidieuse chanson…

Alerte ! Travailleurs ! Votre sommeil serait mortel ! Vous avez trop longtemps écouté les conseils des endormeurs ! Où en êtes-vous, aujourd’hui ? Où est l’ « intérêt général » au nom duquel on vous a demandé de renoncer à votre action directe de classe ? Cent fois, mille fois, vous avez été dupés, quand on vous affirmait que tel sacrifice était nécessaire dans l’intérêt commun, que telle diminution de salaire était inévitable et rétablirait l’équilibre du budget.

REVEILLEZ-VOUS ! LEVEZ-VOUS !

Ce qui importe au-dessus de tout, à l’heure où nous sommes, c’est l’action méthodique en direction du pouvoir. Il n’est pas vrai que les habiletés diplomatiques, les ruses, les « tournants » les plus extraordinaires conquièrent les éléments combatifs et rapprochent de l’heure de la victoire décisive. Bien au contraire: la confusion, le manque de foi, la dispersion des forces et la paralysie du mouvement en sont les conséquences inévitables.

Pour sortir du marasme actuel, pour éviter de laisser écraser successivement dans des batailles partielles les différentes catégories menacées, il faut engager une offensive générale: dans l’action, et dans l’action seulement, disparaîtront les difficultés de détail qui ne prennent une certaine importance qu’à cause de l’insuffisante combativité des organisations de masse.

Quelle action ?
Prenons trois exemples et chacun pourra se classer plus catégoriquement en donnant son adhésion à une ligue.

1) Le krach Citroën. – Voici un drame qui intéresse à la fois les partis ouvriers et les syndicats. Au lieu d’attendre d’autres catastrophes analogues, ne va-t-on pas exiger, par une action de masse (comme l’occupation des usines par 20.000 ouvriers licenciés), la mise sous séquestre de l’énorme firme ? Et les autres usines ne demanderont-elles pas, en même temps, le contrôle ouvrier, pour garantir leur sécurité immédiate ?
A chacun son rôle: les élus socialistes continueront à faire le leur, mais ils savent bien que ce n’est pas le plus important. Les manifestations des amputés ont fait plus que des délégations dans les ministères. Et les paysans viendront, plus vite qu’on ne croit, aux méthodes d’action directe efficaces.

2) Les ligues fascistes ne désarmeront pas. –  Elles le proclament. Elles continuent à se renforcer et à s’organiser pour la guerre civile. 80 avions sont à la disposition du colonel de La Rocque. Des soupes populaires vont s’ouvrir dans les quartiers les plus misérables. L’argent coule à flot dans les caisses des formations paramilitaires. Il faut répondre à ce danger croissant en décidant que toutes les organisations antifascistes, partis et syndicats en tête, prendront les précautions qui s’imposent. Et si, à bref délai, la situation n’est pas modifiée, il faut ouvrir une vaste souscription en vue de l’armement du prolétariat.

3 ) Les élus fascistes de Paris osent parler au nom du peuple parisien. – Or, si le suffrage universel n’était pas truqué par un régime révoltant, qui attribue à 600 bourgeois la même représentation qu’à 10.000 ouvriers, on saurait que Paris n’est pas fasciste. Il faut conquérir le Conseil municipal de Paris. Et pour cela exiger, par une manifestation grandiose, la représentation exacte des forces populaires. Que, pour le 6 février, tous les élus antifascistes de la région parisienne se rassemblent à l’Hôtel de ville et marchent sur la Chambre, non pas pour la prendre d’assaut, mais pour porter une pétition à ce sujet, et que, sur leur passage, deux cent mille travailleurs les acclament… et la bourgeoisie se rendra compte qu’elle ne peut pas éternellement tricher au jeu et violer sa propre légalité…

Il y a d’autres exemples d’action directe à entreprendre; les fascistes et les cléricaux qui attaquent les écoles, empêchent l’instituteur de faire sa classe ou accrochent un christ au-dessus de la chaire, ne donnent-ils pas l’exemple ? Faut-il pleurnicher en déplorant la carence des pouvoirs ? Ou comprendre que cette carence est inévitable, et ne compter que sur soi ?

Il n’y a pas plusieurs manières de marcher à l’unité révolutionnaire et au pouvoir. Qu’on le veuille ou non, c’est par l’action plus que par les discussions théoriques interminables, c’est par le mouvement et non par l’immobilité routinière qu’on avancera dans cette voie. Et notre unité d’action, notre Front populaire antifasciste ne peuvent que se renforcer si on leur propose des tâches concrètes progressives et des méthodes viriles de lutte. A ceux qui ont peur de compromettre la solidité de l’une et de l’autre, il suffit d’opposer cette réalité: le Schutzbund unifié de Vienne et l’Alliance ouvrière des Asturies, préparant patiemment leur revanche prochaine, et trempés par les événements inoubliés. Leur « coude à coude » est désormais indissoluble. Le nôtre ne peut avoir de meilleur ciment que l’action commune en direction du pouvoir.

Seront avec nous: tous ceux qui en ont assez de ce régime de misère et de servitude.
Seront contre nous: tous les profiteurs et leurs stipendiés.
Les positions sont claires. Ne les laissons pas obscurcir au moment où l’ennemi développe ses attaques successives. Que chacun se classe ! Et que l’assaut final se prépare avec méthode et avec l’implacable volonté de vaincre.


 

A la recherche de l’unité d’action, par Marceau Pivert

Tribune libre de Marceau Pivert parue dans Le Populaire du 1er mai 1934.


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De nombreux camarades de province nous interrogent sur nos négociations en vue de l’unité d’action dans la région parisienne.
D’autres, plus proches de nous, expriment leurs inquiétudes: N’avons-nous pas trop engagé nos fédérations de la Seine et de la Seine-et-Oise ? Comment s’obstiner à rechercher l’accord avec des insulteurs systématiques ou des manœuvriers qui veulent détruire nos organisations, fruits de tant de sacrifices ?

Un peu de clarté, quelques précisions objectives, sont donc utiles, aussi bien pour l’intérieur que pour l’extérieur.

1°D’abord un postulat. Nous sommes au début d’une bataille de classe décisive. Et toutes les forces de classe du prolétariat sont nécessaires, côté à côté, coude à coude, face à l’ennemi commun.

Mieux: La victoire ne sera vraiment assurée que si le bloc prolétarien peut entraîner dans son élan offensif des couches sociales intermédiaires, hésitantes, inquiètes, dressées contre la brutalité fasciste, et conscientes que le socialisme représente pour l’ensemble des hommes la seule issue acceptable.

Conséquences: L’Unité d’action exige la collaboration fraternelle des différentes fractions du mouvement ouvrier, faisant abandon de toute prétention d’hégémonie.

2° Et l’unité d’action prolétarienne doit savoir s’allier des forces précieuses attirées vers la Révolution, mais qui ne s’engageront dans la lutte que si on ne les oblige pas à n’y venir que pour arbitrer des querelles.

Telles sont les principes de notre action dans la région parisienne, en accord avec les décisions régulières du Parti.

Nous avons donc négocié avec l’Union des syndicats confédérés, la 20° région de la C.G.T.U., la région Paris-Ville du P.C. Nos démarches n’ont été ni totalement satisfaisantes, ni totalement infructueuses. C’est à une séance en commun avec la 20° région unitaire et le P.C. que nous avons examiné l’idée d’une manifestation devant l’Hôtel de Ville. Notre délégation avait spontanément fixé « aux environs du 20 avril » cette manifestation. Le Comité régional d’Amsterdam-Pleyel avait aussi choisi cette date. Nos deux fédérations s’y sont ralliées: Nos camarades ont répondu à notre appel. Nombreux ont été les militants socialistes arrêtés ou matraqués au cours de cette première expérience. La preuve a été faite, une fois encore, que nous avions besoin de toutes nos forces, d’une meilleure coordination, et d’une meilleure préparation psychologique. Des affiches attaquant le Parti et la C.G.T. avaient été collées au moment même de l’appel au rassemblement. Des articles de l’Humanité ont même révolté et découragé des ouvriers socialistes au point que « malgré les chefs » (!) des militants, parmi les plus dévoués et les plus combatifs ont préféré rester chez eux. Symptômes graves, que nous avons fait connaître aux responsables, lors d’une récente délégation. De ce côté, il n’y a plus une faute à commettre !

Mais en dépit de cela, nous avons néanmoins continué nos efforts !

Nous appellerons donc nos camarades à la manifestation du 20 mai, décidée par le Comité d’Amsterdam-Pleyel. Le centre de liaison des forces antifascistes adressera le même appel, et l’on comprendra tout l’intérêt de ce bloc de signatures.

Qu’on nous entende bien: il s’agit d’une manifestation de rue. Nous voulons être à notre place de combat. Quant au rassemblement intérieur, en forme de « congrès », préparé par le mouvement d’Amsterdam, nous ne pouvons y songer. Notre volonté de discipline autant que notre souci de travailler efficacement à la lutte antifasciste nous interdisent d’y songer un seul instant. Il faut que nos camarades, tous nos camarades (ceux du dehors et ceux du dedans) en prennent leur parti: nous savons (on nous a avoué !) l’intention de subordonner notre action antifasciste au Comité d’Amsterdam tel qu’il est constitué actuellement. C’EST IMPOSSIBLE.

Ce qu’il faut rechercher, c’est un changement de structure de ce Comité, plaçant à sa tête, par tiers, les délégués réguliers des trois grandes forces dont la conjonction est nécessaire:

1. C.G.T. et  Parti socialiste S.F.I.O.;
2. C.G.T.U. et Parti communiste;
3. Autonomes, anciens combattants, intellectuels, comités antifascistes de toutes sortes.

Mais il faut pour cela que le Parti communiste abandonne sa prétention d’être LE SEUL PARTI QUALIFIE pour diriger la bataille et par la suite, de démolir nos organisations. Je n’insisterai pas sur certaines de ses erreurs tactiques, qui ne justifient pas spécialement cette prétention. Ce qui est certain, c’est qu’elle est matériellement irréalisable. Nous avons, quant à nous, un dessein plus modeste: être le lien entre des formations antifascistes qui n’en sont encore qu’aux premiers balbutiements de la réplique agressive dont nous devrions être capables, avec un peu de méthode. C’est pourquoi nous considérons que les camarades, ou même les sections qui adhèrent à Amsterdam ne travaillent pas dans le sens de la véritable unité d’action.

Faire en sorte que le Parti, tout entier, accepte de coordonner ses efforts avec ceux des autres groupes antifascistes, d’une part; s’employer, d’autre part, pour qu’on le considère comme un des piliers de l’action de classe, et qu’on le respecte; c’est bien plus important que donner une adhésion partielle au mouvement d’Amsterdam. Écrire cela, ce n’est pas combattre un mouvement qui a incontestablement une base populaire dans certaines régions, car cela ne s’adresse qu’à nos militants du Parti, et le champ des inorganisés est encore immense. Mais c’est donner le moyen à ce mouvement de trouver les meilleurs formes de travail en commun, sans arrière-pensée de manœuvre.

Au surplus, nous avons fait la preuve, par l’expérience, de notre volonté de réaliser le coude à coude. Nous l’avons faite le 20 avril, nous la ferons le 20 mai. Nous espérons qu’à son tour, et sans hésitation, le Comité d’Amsterdam se joindra à notre cortège, le 27 mai, quand nous irons au Mur des Fédérés, pour affirmer aux victimes inoubliées que l’heure de la revanche prolétarienne approche.