1936

A la tribune de la SFIO :"Tout est possible"

Ce qu’ils appellent du fond de leur conscience collective, des millions et des millions d’hommes et de femmes, c’est un changement radical, à brève échéance, de la situation politique et économique. On ne pourrait pas impunément remettre à plus tard sous prétexte que le programme du Front populaire ne l’a pas explicitement définie, l’offensive anticapitaliste la plus vigoureuse.

Les masses sont beaucoup plus avancées qu’on ne l’imagine; elles ne s’embarrassent pas de considérations doctrinales compliquées, mais d’un instinct sûr, elles appellent les solutions les plus substantielles, elles attendent beaucoup; elles ne se contenteront pas d’une modeste tisane de guimauve portée à pas feutrés au chevet de la mère malade… Au contraire, les opérations chirurgicales les plus risquées entraîneront son consentement; car elles savent que le monde capitaliste agonise et qu’il faut construire un monde nouveau si l’on veut en finir avec la crise, le fascisme et la guerre.

 

Tout est possible, article de Marceau Pivert dans le Populaire du 27 mai 1936.


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Léon Blum devant ses juges au procès de Riom : "A ce moment dans la bourgeoisie, on m’espérait comme un sauveur. On était si près de quelque chose qui ressemblait à la guerre civile qu’on espérait plus que dans une sorte d’intervention  providentielle : je veux dire l’arrivée au pouvoir d’un homme auquel on attribuait sur la classe ouvrière un pouvoir suffisant de persuasion pour qu’il lui fît entendre raison et qu’il la décidât à ne pas user, à ne pas abuser de sa force."

Qu’on ne vienne pas nous chanter des airs de berceuse : tout un peuple est désormais en marche, d’un pas assuré, vers un magnifique destin.

Dans l’atmosphère de victoire, de confiance et de discipline qui s’étend sur le pays, oui, tout est possible aux audacieux.

Tout est possible et notre Parti a ce privilège et cette responsabilité tout à la fois, d’être porté à la pointe du mouvement.
Qu’il marche! Qu’il entraîne ! Qu’il tranche ! Qu’il exécute ! Et aucun obstacle ne lui résistera !

Il n’est pas vrai que nos amis radicaux puissent, ou même désirent, s’opposer à certaines revendications d’ordre économique, comme la nationalisation du crédit, de l’énergie électrique ou des trusts. Il n’est pas vrai qu’ils soient destinés à servir de terre-neuve aux compagnies d’assurances ! Le goût du suicide politique n’est pas tellement développé sous la pression croissante des masses vigilantes.

Il n’est pas vrai que nos frères communistes puissent, ou même désirent, retarder l’heure de la révolution sociale en France pour répondre à des considérations diplomatiques d’ailleurs dignes d’examen. On ne freinera pas, on ne trahira pas la poussée invincible du Front populaire de combat.
Ce qu’ils appellent du fond de leur conscience collective, des millions et des millions d’hommes et de femmes, c’est un changement radical, à brève échéance, de la situation politique et économique. On ne pourrait pas impunément remettre à plus tard sous prétexte que le programme du Front populaire ne l’a pas explicitement définie, l’offensive anticapitaliste la plus vigoureuse.

Les masses sont beaucoup plus avancées qu’on ne l’imagine; elles ne s’embarrassent pas de considérations doctrinales compliquées, mais d’un instinct sûr, elles appellent les solutions les plus substantielles, elles attendent beaucoup; elles ne se contenteront pas d’une modeste tisane de guimauve portée à pas feutrés au chevet de la mère malade… Au contraire, les opérations chirurgicales les plus risquées entraîneront son consentement; car elles savent que le monde capitaliste agonise et qu’il faut construire un monde nouveau si l’on veut en finir avec la crise, le fascisme et la guerre.

Des camarades tremblent à l’idée que, devant le congrès national du Parti, un sectarisme de mauvais aloi contrarie tout effort de synthèse loyale. Mais la synthèse est facile, si l’on veut bien se placer dans le cadre des préoccupations fondamentales des masses qui animent le mouvement du Front populaire. Tout est possible, là aussi. Il suffit de traduire en décision la volonté du peuple; il suffit de donner un mandat précis à nos délégués au gouvernement.

Abrogation des décrets-lois; dissolution des ligues fascistes et arrestation de leurs chefs; amnistie; contrats collectifs; vacances payées, etc., oui. Mais, en outre, on ne comprendrait pas que le retour, par décret, au service d’un an, ne soit pas immédiat. Il n’y a qu’à relire les discours de Daladier, de Blum, de Thorez contre les deux ans pour être convaincu de cette nécessité. Cette mesure aurait un immense retentissement dans la jeunesse, sur les finances et dans le monde. Nous y tenons absolument.
D’autre part, sans aborder les problèmes financiers, ne peut-on pas donner quelques avertissements à messieurs les nouveaux émigrés; par exemple, à ces capitalistes lyonnais qui achètent des immeubles à Genève, alors que six mille appartements sont vacants dans cette ville ? Ce n’est certes pas un placement de rapport que vont chercher en Suisse ces bons patriotes. Il n’est pas difficile, pourtant, grâce à notre ami Nicole, de retrouver la trace de ces mutations.
Toutes les opérations à caractère spéculatif de ces trois derniers mois devront donc donner lieu à enquête, et il ne faudra pas hésiter à sanctionner les déserteurs du franc en confisquant leurs biens.

De même chez nos « munitionnaires ». Croient-ils donc, eux aussi, que nous ignorons leurs trafics ? Et les ministres en exercice qui « expédient les affaires courantes » en passant par télégramme sept ou huit millions de matériel de 380, de manière que tout soit terminé avant le 31 mai, croient-ils que nous allons endosser une telle succession sans mettre un peu en vedette le Russe blanc qui passe de tels contrats ?

Et cette mystérieuse commande de mousquetons fabriqués par nos manufactures nationales, vendus à la Pologne, puis rachetés après usage, à la même Pologne (au prix de 435 francs pièce ?). Les fils d’archevêque qui ont conduit cette opération s’imaginent-ils qu’il suffit de déplacer in extremis un haut fonctionnaire courageux pour que le silence se fasse sur leurs pirateries ?

Tout ceci, à titre d’exemple, et simplement comme critérium. Si, par hasard, des personnes trop prudentes voulaient nous mettre en garde, sous prétexte de ne pas gêner le gouvernement, nous leur répondrions que c’est là méconnaître la volonté de combat qui inspire le Parti, depuis le plus modeste militant jusqu’à ses chefs les plus éminents. Cette volonté de combat, à elle seule, est un élément dynamique dans la bataille qui s’engage: il faudra que le congrès l’exprime en termes catégoriques et concrets. Les mauvais serviteurs du socialisme ne seraient pas ceux qui, quoi qu’il arrive, entendent conserver leur franc-parler, mais ceux qui voudraient transformer en couvent silencieux un grand parti de démocratie prolétarienne ouvert à toutes les idées, et tout entier dressé dans un décisif combat de classe.

Car tout est possible, avec un tel Parti fidèle à son objet, à sa structure et à ses principes.

Enfin, tout est possible encore dans le domaine pour lequel nous devons loyalement reconnaître une certaine supériorité du parti communiste: le travail de masse. Bien loin de vouloir affaiblir notre Parti, nous voulons, au contraire, le mettre au niveau de ses obligations en modernisant et adaptant ses techniques de propagande et de pénétration dans les masses populaires. Il n’y a aucune raison pour que nous soyons incapables de porter dans tous les milieux la pensée socialiste. Non pas en fraude, par tolérance, mais par décision régulière: non pas d’une manière anarchique, mais selon un plan systématique. Les liens entre le gouvernement et le Parti, entre le Parti et les masses seront d’autant plus solides que la confiance réciproque développera les contacts et les échanges dans tous les sens.

Voilà pourquoi nous sommes favorables à la création de Comités populaires entraînant dans le mouvement toutes les énergies démocratiques et prolétariennes sans gêner, bien au contraire, le développement du Parti ni des syndicats.

Tout est possible : la croissance des effectifs et du rayonnement du Parti, le renforcement de son unité, le respect absolu de sa liberté intérieure, la discipline totale de son action extérieure, la hardiesse et l’énergie de ses délégués au gouvernement, l’ardeur passionnée des enthousiasmes soulevés par ses décisions successives…

Tout est possible, maintenant, à toute vitesse…

Nous sommes à une heure qui ne repassera sans doute pas de sitôt au cadran de l’histoire.

Alors, puisque tout est possible, droit devant nous, en avant, camarades


La direction du PCF à l’offensive contre Pivert


Extrait de l’article de Jacques Duclos, dans «l’ l’Humanité » du 29 mai 1936.


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Nous estimons impossible une politique qui, face à la menace hitlérienne, risquerait de mettre en jeu la sécurité de la France pour laquelle le Front Populaire est responsable… Non, non il ne s’agit aucunement « d’un changement radical à brève échéance de la situation politique et économique », comme l’écrit le camarade Pivert. Non, non, Marceau Pivert, il n’est pas question pour le gouvernement de demain « d’opérations chirurgicales » et nous nous étonnons que pour aboutir à de telles formules, Pivert reprenne les calomnies de Doriot en racontant que les communistes agissent selon certains considérations diplomatiques.

Après l’exclusion d’André Ferrat le 10 juin 1936, qui se radicalisait contre le gouvernement Blum en saluant le « Tout est possible », le 11 Maurice Thorez présente un rapport devant une assemblée de militants communistes de la région parisienne, où il prend pour cible le « tout est possible » de Marceau.

…Et s’il est important de bien conduire un mouvement revendicatif, il faut aussi savoir le terminer. Il n’est pas question de prendre le pouvoir actuellement (…) « Tout n’est pas possible ». Si le but maintenant est d’obtenir satisfaction pour les revendications de caractère économique tout en élevant progressivement le mouvement des masses dans sa conscience et son organisation, alors il faut savoir terminer lorsque satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir aux compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées, mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles et les plus importantes des revendications. Il faut savoir organiser, préparer l’avenir, il faut savoir reprendre cette riposte que nous avons faite à Pivert quand il écrit dans son article dans « Le Populaire » : « Tout est maintenant possible », nous, et nous seuls, nous avons répondu : « Non, tout n’est pas possible maintenant. »

Dans une réunion à La Granges aux Belles, Jacques Duclos abonde dans le même sens, et même un peu plus du fait des liens particuliers qui le subordonne au Maître du Kremlin (L’Humanité 13 juin 1936)

Il faut savoir terminer une grève, dès l’instant où les revendications essentielles ont été obtenues. Il faut savoir consentir au compromis afin de ne perdre aucune force et notamment ne pas faciliter les campagnes d’affolement et de panique. « Tout n’est pas possible ». Le PC conscient de ses responsabilités, a pris courageusement position sans craindre de s’attaquer aux gesticulations hystériques des trotskystes et trotskysants, comme il a fait triompher le Front Populaire en combattant le bavardage des sectaires qui condamnaient l’alliance de la classe ouvrière et des classes moyennes. Le CC a approuvé le bureau politique d’avoir combattu les opinions de ceux qui déclarent, sans aucun souci des responsabilités qui pèsent sur les organisations ouvrières, « tout est possible », et il oppose à cette formule dangereuse, la déclaration communiste « Tout n’est pas possible », le mot d’ordre capital du parti reste « Tout pour le Front Populaire, tout par le Front Populaire. »


La gauche du Parti Socialiste (Zyromsky, Pivert) propose la fusion du PC et de la SFIO

(note Zyromsky)

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)

7 juillet 1936

(Ci-dessous, le texte d’accord après négociation avec la direction du PC)

Projet de Charte d’Unité
Principes fondamentaux du Parti Unique


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Le Parti Unique du Prolétariat est un parti de classe qui a pour but la conquête du pouvoir en vue de socialiser les moyens de production et d’échange, c’est-à-dire de transformer la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste.
Le Parti unique du Prolétariat, tout en poursuivant la réalisation des réformes immédiates revendiquées par la classe ouvrière, n’est pas un parti de réformes, mais un parti de lutte de classes et de révolution.

Le Parti unique du prolétariat vise à combattre et à détruire le système capitaliste. Il ne saurait admettre une politique de collaboration avec les partis bourgeois. Il ne saurait rechercher la participation au gouvernement dans la société bourgeoise. Il repousse toute tentative faite pour masquer les antagonismes de classe toujours croissants à l’effet de faciliter un rapprochement avec les partis bourgeois. Même lorsqu’il utilise au profit des travailleurs les conflits secondaires des possédants ou qu’il se trouve combiner son action avec celle d’un parti politique pour la défense des droits et des intérêts du prolétaire, il reste toujours un parti d’opposition fondamentale et irréductible à l’ensemble de la classe bourgeoise et à l’Etat qui en est l’instrument.

Il repousse les moyens de nature à maintenir la classe dominante et qui assurent ainsi la domination de la bourgeoisie ; par voie de conséquence, il refuse au gouvernement bourgeois les crédits militaires, les crédits de conquête coloniale, les fonds secrets et l’ensemble du budget.

La dictature du prolétariat

Le Parti unique du prolétariat sait que son but ne saurait être atteint que par la conquête du pouvoir de haute lutte contre la bourgeoisie.

Ainsi seulement l’Etat bourgeois pourra être détruit et remplacé par l’Etat prolétaire, par lequel s’exercera la dictature de classe ouvrière durant toute la période nécessaire pour briser la contre-révolution.

Le Parti unique du prolétariat fait sienne cette conception marxiste de la dictature du prolétariat telle qu’elle figure dans la critique du Programme de Gotha : « Entre la société capitaliste et la société communiste se place une période de transformation révolutionnaire de la première à la deuxième, à quoi correspond une période de transition politique où l’Etat ne saurait être autre que la dictature révolutionnaire du prolétariat. »

La dictature du prolétariat, étape indispensable vers la révolution sociale, assure aux forces révolutionnaires la totalité du pouvoir politique. Elle doit signifier un élargissement considérable de la démocratie pour le peuple, en même temps qu’une limitation à la liberté des exploiteurs et des oppresseurs du peuple.

A la différence de la démocratie bourgeoise, toujours étriquée, imparfaite et viciée et à l’inverse et à l’encontre des dictatures fascistes qui signifient l’assujettissement des masses populaires à la toute-puissance d’un homme, instrument lui-même d’une oligarchie de privilégiés, la dictature du prolétariat signifie pour la totalité des masses populaires l’instauration de la vraie liberté et de la vraie démocratie.

Contrairement à ce qui se passe avec le parlementarisme bourgeois, elle assurera à tous les travailleurs, quels que soient leur sexe et leur âge, qu’ils soient manuels ou intellectuels, qu’ils soient dans la vie civile ou sous les armes, l’électorat et l’éligibilité dans les organismes de la souveraineté qui seront ainsi l’expression directe des masses populaires des villes et des campagnes.

Ces organismes seront à la base de l’Etat prolétaire, sous les formes qui répondront le mieux aux besoins du mouvement révolutionnaire lui-même. Ils détiendront à la fois le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et assureront aux travailleurs la totalité du pouvoir politique. Les élus seront placés sous le contrôle direct de leurs mandants et révocables à tout moment par eux.

Ainsi la dictature du prolétariat : utilisation transitoire des forces de l’Etat contre tout retour offensif du capitalisme et limité dans sa durée à l’accomplissement de cette tâche – appellera les masses travailleuses à la gestion des affaires publiques en vue de préparer la disparition progressive aussi prompte que possible de l’Etat lui-même ; la construction d’une société socialiste, collectiviste ou communiste où chacun travaillant selon sa capacité recevra selon ses besoins ; l’instauration d’un régime où l’administration des choses remplacera le gouvernement des hommes.

Le Parti Unique et la guerre

Le Parti Unique du prolétariat repousse toute politique de collaboration avec la bourgeoisie pendant la guerre comme pendant la paix. Il ne s’engagera dans la voie de l’union nationale ou de l’union sacrée dans aucun cas, sous aucun prétexte.
Son action reste guidée par les principes généraux inclus dans la proposition de Stuttgart (1907). Elle sera toujours déterminée par les intérêts supérieurs du prolétariat mondial.

La défense de la Russie soviétique

Le Parti Unique du prolétariat affirme sa solidarité vis-à-vis de la Russie soviétique, issue de la Révolution Russe.
Il proclame que l’U.R.S.S. représente dans le monde un point d’appui particulièrement solide dans la lutte contre le Fascisme, pour la paix, pour la marche du socialisme.

Les grandes conquêtes historiques de la Révolution Russe doivent être maintenues et les résultats obtenus par la Russie soviétique dans la voie du socialisme doivent être consolidés, étendus, perfectionnés. C’est pourquoi la Russie soviétique, afin de pouvoir développer librement son expérience grandiose sur toute l’étendue de son territoire, doit être en mesure de compter sur l’aide et le soutien de toute la classe ouvrière internationale.

La défense de l’U.R.S.S. comme de tout autre Etat issu d’une révolution prolétarienne ou populaire, constitue donc une nécessité et un devoir primordial pour le Parti Unique du prolétariat.

Le Parti Unique du Prolétariat remplira ce devoir en appuyant la politique de paix indivisible, de sécurité collective et de désarmement voulue par le prolétariat international et que la Russie soviétique a défendue à Genève – en se dressant contre toute guerre dirigée contre l’U.R.S.S.[*], en menant résolument la lutte pour la conquête du pouvoir, quelle que soit la position prise par le gouvernement de la bourgeoisie dans le conflit et selon les formes appropriées à la situation et au rôle joué par le gouvernement.

L’objectif du parti Unique du prolétariat sera ainsi d’enlever à la bourgeoisie la conduite de la guerre afin de le soustraire à toute influence impérialiste, pour assurer à l’Etat prolétarien attaqué l’appui sûr et efficace d’un autre Etat où la puissance publique est tombée aux mains des travailleurs, pour travailler au rétablissement le plus rapide possible de la paix.

L’Entente et l’Action internationale des travailleurs

Le Parti Unique du prolétariat recherchera dans le cadre d’une Internationale ayant les mêmes grands principes que lui, à réaliser l’entente des travailleurs et à renforcer leur action internationale.

Cette Internationale unique devra grouper les travailleurs du monde entier sans distinction de race et de couleur.
Composée de partis nationaux, constitués en sections intimement associées l’une à l’autre, placées sous la direction d’un organisme commun démocratiquement aménagé et ayant toutes les mêmes buts et les mêmes principes fondamentaux, elle devra représenter l’instance souveraine aussi bien en temps de guerre qu’en temps de paix.

Ses décisions qui doivent tenir compte de la situation concrète de chaque pays seront obligatoires pour toutes les sections adhérentes.

Afin d’atteindre cet objectif, le Parti Unique du prolétariat établira des liaisons étroites avec les deux internationales politiques actuelles existantes ainsi qu’avec les partis ouvriers qui n’adhèrent à aucune organisation internationale afin de constituer le centre de jonction actif et permanent qui mette tout en œuvre pour aider à la reconstitution de l’unité internationale de la classe ouvrière mondiale.

Constitution – Cohésion – Structure du parti unique

Le Parti Unique du prolétariat est fondé sur le centralisme démocratique. La politique du Parti Unique du Prolétariat est déterminée par le parti lui-même délibérant dans ses congrès.

Ces congrès sont formés par les délégués de l’ensemble des adhérents et leurs discussions sont libres, comme sont libres celles des adhérents au sein des groupes régionaux et locaux.

Un organisme central de direction et d’action politique assurera l’application des décisions correspondant aux exigences de la situation, prises par lui dans le cadre de la politique du Parti définie par les Congrès.

Son autorité s’exercera sur toutes les formes de l’activité du Parti (action générale, action parlementaire, presse, et.). Les décisions de l’organisme central qui doit être élu par le Congrès sont obligatoires pour les organismes régionaux et locaux également élus par leurs congrès respectifs.

Tous les organismes, à tous les échelons du Parti, doivent rendre compte périodiquement de leur activité devant leurs mandants.

Tout membre du Parti, quelle que soit la fonction remplie, doit exécuter les décisions prises et observer une discipline librement consentie, déterminée par le principe démocratique qui est la loi de la majorité.

Les organismes centraux, régionaux, locaux, sont chargés d’assurer la réalisation effective de ces décisions.
Il ne doit y avoir qu’une politique, celle délibérée par le Parti et tous ses membres sans distinction, quel que soit le poste occupé, doivent la défendre et y conformer rigoureusement leurs paroles, leurs écrits, leurs actes de propagande, afin de dégager une action collective et homogène.

Le Parti Unique du Prolétariat sait qu’une cohésion idéologique est indispensable pour souder étroitement tous ses éléments dans la lutte engagée contre le système capitaliste et l’idéologie bourgeoise.

En conséquence, la liberté de discussion qui existe à l’intérieur du Parti s’appliquera bien à tous les problèmes de tactique qui sont posés par l’action même quotidienne, mais elle ne saurait s’étendre aux principes fondamentaux du Parti définis dans cette charte.

En toutes circonstances, le devoir du Parti Unique sera de préserver l’intégrité de sa doctrine contre toute tentative de déviation théorique ou contre toute collaboration avec l’Etat bourgeois.

C’est ainsi que le Parti Unique doit entendre l’unité idéologique, condition indispensable de sa capacité de lutte.
En utilisant tous les moyens légaux pour son action délibérée, le Parti ne se laissera jamais arrêter dans cette action par les entraves de la légalité bourgeoise. Il doit s’adapter à toutes les tâches qui se présentent à lui avec le souci de porter au maximum la combativité de la classe ouvrière.

Signé : Blum, Bracke, Séverac, Zyromski

Note

[*] Ce paragraphe tempère le texte des communistes qui proposait « Le parti unique (…) invite les travailleurs à soutenir par tous les moyens l’U.R.S.S. (…) Dans le cadre d’une guerre dirigée contre un pays où il y a un gouvernement prolétarien, le parti unique appelle les travailleurs à ne pas combattre leurs frères libérés, mais à joindre leurs efforts à ceux des défenseurs de la patrie socialiste » auquel la Gauche révolutionnaire de la SFIO s’était opposé, déclarant « Nous n’admettons pas d’exclusive contre les critiques de la Russie soviétique. Nous ne pouvons pas décerner pour le passé, le présent et l’avenir, un brevet d’infaillibilité au gouvernement soviétique. Nous admettons encore moins sans précisions supplémentaires le soutien « par tous les moyens » de l’U.R.S.S. en cas de guerre. Nous sommes prêts à la soutenir dans la mesure où ses intérêts coïncident avec ceux du prolétariat. »


Interview de Marceau Pivert sur le catholicisme, par le journaliste Michel P. Hamelet.

29 mai 1936

Paru dans Sept N°118

 


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Dans un clair cabinet de travail, entouré de jeunes militants socialistes, M. Marceau Pivert, membre de la C.A.P. du parti socialiste, m’expose, avec cet art professoral qui lui est propre, son point de vue et celui de ses amis :

« Je suis socialiste, syndicaliste, laïque et, par conséquent, les problèmes spirituels ne sont considérés par moi que sous l’angle matérialiste, comme des épiphénomènes.
- Vous prenez donc à leur égard une attitude de simple expectative ?
- Pas du tout ! Nous sommes aussi des acteurs dans le monde actuel. Nous prenons position en face de tous les problèmes :  Quand nous travaillons au renversement de l’ordre économique actuel, nous touchons à un certain nombre de valeurs spirituelles qui ont pu être considérées comme permanentes et définitives et qui sont en réalité toute relatives à une étape du progrès de la civilisation.
- Mais vous proposez-vous de combattre effectivement les diverses croyances ?
- Tout ce qui concerne les croyances individuelles ne peut être abordé par nous qu’indirectement, comme un aspect du problème économique. Mais nous savons bien que la seule existence de notre mouvement prolétarien constitue déjà une sorte de lésion à l’égard des croyances.
- Si je vous comprends bien : liberté absolue de conscience ?
— Oui ! Tout ce qui est du domaine de la conscience individuelle est hors de notre objectif essentiel. Une seule exception en ce qui regarde l’enfance : l’Etat moderne doit être laïque et protéger l’enfant contre les diverses croyances.
— En ce qui concerne plus spécialement le catholicisme, avez-vous une autre attitude ?
— Tout ce qui touche à la vie politique doit être soumis aux mêmes règles. Nous voulons empêcher l’intrusion de l’Eglise dans la vie politique. Je prends un exemple : lorsque l’Eglise catholique encourage et favorise la politique d’expansion de l’Italie contre l’Ethiopie, elle joue incontestablement un rôle politique et doit s’attendre à en subir les conséquences. Nous ne sommes pas contre l’Eglise en tant que communauté spirituelle, mais en tant qu‘instrument de domination politique et économique d’une classe.
— Sur le plan pratique, au regard des divers mouvements d’action catholique, quelle sera votre attitude ? Les groupements de jeunesse, la J. O. C. par exemple ?
— Nous considérons que la J.O.C. divise la classe ouvrière sur son propre terrain de classe et fait par suite le jeu du capitalisme. Nous sommes donc adversaires, nous ne le cachons pas.
— L’enseignement ?
—  Nous réclamons la nationalisation de l’enseignement jusqu’à quinze ans. Au-delà, nous ne voyons pas d’inconvénient à la liberté.
— La presse ?
— Liberté, sauf si elle sert ouvertement, par ses mensonges et sa corruption, la cause des ennemis du peuple.
— Les syndicats ?
— Il n y a qu’un seul prolétariat, il ne doit y avoir qu’un seul syndicat. Ceux qui créent des divisions servent objectivement les ennemis de la classe ouvrière. »


Fascisme, Guerre… ou Révolution! par Marceau Pivert

Anniversaire de la Révolution espagnole

 

Le Populaire, 11 août 1936.


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Pour que la révolution prolétarienne espagnole triomphe du fascisme international, il nous faut évidemment fournir à nos frères de classe tous les moyens matériels et techniques dont ils ont besoin.

Mais leur victoire, comme la nôtre, exige également une stratégie politique clairvoyante.

Premier écueil à éviter : favoriser le passage de la guerre civile en Espagne à la guerre internationale. Une pression formidable des impérialismes exaspérés s’exerce dans ce sens. En apparence, on peut croire que la guerre que le monde capitaliste porte en son sein est celle des « démocraties » contre « le fascisme ». Mais, en fait, c’est d’un nouveau partage du monde qu’il s’agit. La haute banque, l’industrie lourde, les trusts se disputent âprement les débouchés, les zones d’influence, les colonies. Ils font et défont les accords internationaux. Ils commandent et déterminent les coalitions d’appétits. Ils financent, dans tous les pays, les formations fascistes destinées à briser la résistance prolétarienne. Le régime capitaliste ne peut plus se prolonger que par la guerre et le fascisme : abattre le fascisme doit être un moyen de faire reculer la guerre impérialiste en laissant aux travailleurs la libre disposition de leurs pensées, de leurs bras, de leurs vies… Il n’y a pas de pire aberration que de consentir à la guerre pour se délivrer du fascisme.

– Cependant, diront certains, l’intervention de Hitler et de Mussolini et de nos propres fascistes aux côtés des rebelles espagnols est bien évidente et nous devons en tenir compte.
– Sans aucun doute ! Nous n’avons pas attendu, nous, cette « révélation » pour dénoncer le mensonge de la « défense nationale ». Nous savons, pour l’avoir découverte dans l’expérience historique autant que dans la doctrine, cette vérité socialiste élémentaire : les intérêts de classe du capitalisme passent désormais avant toute considération de solidarité nationale.

Et c’est pourquoi nous ne confondons pas la nécessaire lutte révolutionnaire pour le renversement du capitalisme avec la criminelle guerre « de défense nationale » destinée à renforcer la domination capitaliste grâce à des millions de cadavres de prolétaires.

C’est pourquoi, en face des tentations monstrueuses de retour à l’union sacrée « des Français », nous lançons notre cri d’alarme ! Mais il ne suffit pas de mettre en garde ; et nous avons toujours préconisé une action directe autonome de classe comme unique moyen de conquérir le pain, la liberté, la paix. Nous rencontrons ici les formules jetées dans la discussion au dernier congrès du Syndicat des instituteurs : elles semblent nettement insuffisantes pour traduire une tactique de classe.

« plutôt la servitude que la mort » n’est pas une formule dépourvue de contenu pour l’individu, quoi de pire que la mort ? Mais une classe comme le prolétariat ne meurt pas. Elle est plus ou moins asservie (plus avec le fascisme – moins avec la démocratie bourgeoise). Ce qui importe, c’est qu’elle lutte et ne se résigne point. En ce sens, l’exemple admirable des travailleurs espagnols dément avec raison la formule trop simpliste : ils conduisent, les armes à la main, la lutte émancipatrice par excellence, celle qui mettra fin à leur servitude, par la mort du capitalisme en tant que classe.

Mais l’autre formule : « plutôt la mort que la servitude », est peut-être plus insidieuse.

Quoi de plus « asservi » qu’un cadavre, même glorieux ! Ce genre de formule a conduit des millions d’hommes aux charniers de la guerre impérialiste ; ils croyaient mourir pour en finir avec la servitude… et ils renforçaient celle-ci, dans la victoire autant que dans la défaite !

La seule lutte acceptable est donc celle qui dresse une classe opprimée contre la poignée de puissants parasites qui l’exploite.

Il faut donc, plus que jamais, refuser l’hypothèse de la guerre impérialiste, derrière laquelle se profilent les appétits des Krupp et des Schneider, des Montécatini et des Vickers.

Il faut donc se consacrer uniquement à une implacable lutte de classe internationale, au lieu de se laisser chloroformer par les constructions juridiques internationales du capitalisme.

Cette lutte de classe internationale nous l’avons appelée lors de la conquête de l’Ethiopie. Elle apparaît encore plus nécessaire pour desserrer l’étreinte du fascisme qui cherche à broyer les travailleurs d’Espagne. La puissance syndicale doit s’engager à fond : faire passer par tous les moyens tout ce qui manque à nos frères de combat ; arrêter par tous les moyens tout ce qui va dans le camp ennemi. Inutile de demander quelque permission que ce soit à qui que ce soit… Réseaux, routes, bateaux, douanes, arsenaux, usines, télégraphes, transports sont à la merci de la force prolétarienne. Tout ce que doit exiger du gouvernement, de notre gouvernement, c’est qu’il laisse agir les masses qui l’ont porté au pouvoir.

On peut le lui dire, en toute cordialité, mais avec impatience. Il cède trop à la pression de classe de l’ennemi dans certains domaines. Tout se paie ! Et l’expérience espagnole est cruelle à ce sujet : au moment du péril, les généraux, les diplomates, les hauts fonctionnaires obéissent à leur caste et trahissent le peuple. Trop de généraux, trop de diplomates, trop de hauts fonctionnaires sont encore en place, chez nous. Et l’on n’est même pas capables de remplacer à la radio tel « collaborateur » fasciste, casé par Mandel…

Cela ne peut pas durer…

Nous ne voulons pas attendre l’heure des combats décisifs pour sonder le degré de fidélité au peuple de certains complices de l’ennemi bien connus. Nous voulons traquer, dans les services publics, les amis de Franco, de Hitler et de Mussolini avant d’entrer en lutte directe avec leurs bailleurs de fonds, nos Juan March et autres Schneider.

Enfin, face aux bandes qu’ils constituent, avec leurs Dorgères, Doriot, Sabiani et de la Rocque, nous appelons les travailleurs conscients du péril à la constitution des milices de défense populaire. Ce n’est pas en masquant les antagonismes de classe, c’est en les accusant ; ce n’est pas en protestant platoniquement, c’est en luttant qu’on restera fidèle aux leçons de l’Histoire.

Qu’on le veuille ou non, avec l’avant-garde espagnole, l’Europe entre dans un nouveau cycle de révolution… ou de guerre. Il faut hâter l’heure de la Révolution prolétarienne internationale si l’on veut éviter la plus effroyables des guerres…

Il faut se souvenir aussi que le fascisme n’est pas autre chose que « le châtiment terrible qui s’abat sur les prolétariats lorsqu’ils ont laissé passer l’heure de la Révolution… » (1)

 

P.-S. – Je suis obligé de constater que plus d’un mois après la décision unanime prise au Comité national de Coordination (P.S. P.C.) une lettre de rectification que j’avais adressée à l’Humanité n’a pas encore été insérée. (Pas plus d’ailleurs qu’une autre lettre, datant de trois semaines, émanant de l’unanimité de la C.E. de la Seine.)

1 Cf. le beau livre de notre mai Daniel Guérin, Fascisme et grand capital (NRF, Gallimard), 18 fr., qui constitue une analyse pénétrante de cette vérité.

 


 

Le Congrès socialiste de Huyghens, par Lucien Hérard

 

La Révolution prolétarienne, 10 juillet 1936.


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Non, non et non, de ce jour ne date pas « une  ère nouvelle dans l’histoire du monde » comme  l’écrit un journaliste socialiste trop prompt à citer  Gœthe.

Ce ne fut pas à proprement parler un Congrès,  mais bien plutôt une manifestation en l’honneur  de Léon Blum. La clôture de la discussion après le  discours de celui-ci, les acclamations enthousiastes,  les chants et les flons-flons, le montrent abondamment.

A part une infime minorité, le Parti socialiste, tout à la joie du succès parlementaire, abandonne l’esprit critique et lui préfère la mystique. Mieux, on aspire à l’unanimité dans l’euphorie du triomphe, au monolithisme dans les appréciations sur le gouvernement. Il semble que les éminentes qualités de Léon Blum interdisent toute discussion sur les problèmes qu’il aura à résoudre. Aussi toute objection d’ordre politique est-elle transférée immédiatement sur le terrain psychologique, et interprétée comme une marque d’hostilité à l’égard du chef du Parti.

Ou je connais bien mal celui-ci, ou cette sorte d’abdication n’est pas de son goût. Le Parti socialiste en est encore à comprendre que différenciation politique et fraternelle camaraderie ne sont pas incompatibles, et que « la louange n’a de valeur qu’aux pays où la critique est permise », comme disait Beaumarchais.

Naturellement, la tribune d’un Congrès socialiste est libre, et la démocratie formelle y trouve son compte. Mais l’esprit des congressistes d’une part, l’escamotage des questions essentielles d’autre part, aboutissent à une sorte de dictature intellectuelle des leaders. Ce qui est extrêmement grave pour l’avenir.

Du point de vue doctrinal et idéologique, ce Congrès a été très pauvre. Seuls Marceau Pivert et Marcelle Pommera tentèrent de sortir les délégués de l’atmosphère ministérialiste. Les problèmes pratiques : affaires étrangères et finances ne furent pas traités. Car enfin on ne peut prétendre que le discours de Léon Blum ait apporté à ces questions la moindre réponse !

Une motion d’unanimité fut votée qui contient des choses excellentes mais tait des choses essentielles. Elle fut -complétée par une déclaration de « la gauche révolutionnaire » qui sacrifiant à l’irrésistible désir d’unanimité éprouva cependant le besoin de prendre une assurance sur l’avenir.

Une discussion sordide sur l’attribution des sièges à la C.A.P. vint d’ailleurs ruiner l’effet psychologique créé par la résolution d’unanimité. Pendant la suspension de séance que nécessita cet incident, le triste cabotin Montéhus vint pousser une goualante (invité par qui ?) : il ne dut qu’à la politesse exagérée des congressistes de ne pas recevoir le coup de pied au derrière qu’appellent ses palinodies.

Et c’est ainsi que ce congrès-concert se termina sur deux fausses notes.