1937-1938

(Manifestation lors des obsèques des victimes de la fusillade de Clichy)

Il ne fallait pas autoriser cette manifestation de Croix de Feu dans une cité ouvrière comme Clichy, dressée toute entière contre cette provocation. Si on l’a autorisée, n’est-ce pas parce qu’on a dû céder, sur d’autres terrains, à des adversaires ou même à des alliés peu sûrs? Mais les masses, elles, ne sont pas disposées à céder; elles sentent quel est l’enjeu de la bataille antifasciste. Elles restent fidèles aux méthodes d’action directe qui ont déjà brisé la vague fasciste et sans lesquelles il n’y aurait pas eu de gouvernement de Front populaire.

C’est là que réside le véritable problème: il est essentiellement politique; il y aura lieu de l’examiner à fond devant le Congrès National. Mais on doit comprendre dès maintenant que toute discordance sérieuse entre l’attitude du gouvernement et les désirs, la combativité des masses prolétariennes a sa répercussion inévitable sur la vie du Parti. Notre « Gauche Révolutionnaire » exprime précisément la mesure de cette température des masses, qui commence à monter. Nous constituons pour le Parti une sorte de thermomètre: vous pouvez sans doute briser le thermomètre. Est-ce que cela guérira la fièvre?

 

Le 12 janvier 1937 la direction socialiste censure une tribune libre de Pivert dans « le Populaire »


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Nous n’avons pas signé quoi que ce soit contre les occupations d’usine. Au contraire notre première manifestation de parti a été de saluer ce magnifique mouvement.

Nous n’avons pas signé le service de deux ans. Au contraire notre motion unanime du congrès de juin réclamait le retour au service d’un an à court terme.

Nous n’avons pas signé un programme de surarmement formidable. Au contraire le programme du Front Populaire comporte le désarmement général.

Nous n’avons pas signé certaines nominations de hauts fonctionnaires. Au contraire, nous voulons l’épuration.

Nous n’avons pas signé de propositions d’ententes industrielles, nous voulons la nationalisation des trusts et le contrôle ouvrier.

Nous n’avons pas signé un programme permettant d’interdire « le Populaire » dans les casernes et de mettre en prison les jeunes soldats qu’on soupçonne d’être socialistes. Au contraire, nous considérons comme une liberté démocratique élémentaire le droit pour les militaires de lire les journaux qui leur conviennent et de se réunir pour discuter et s’éduquer en dehors des heures de service. Puisqu’on parle de l’armée républicaine, qu’on commence donc par faire rentrer la politique dans les casernes.

Enfin ce que nous avons signé pour les colonies, c’est la mise en œuvre rigoureuse des libertés démocratiques de la métropole… Cela devrait être réalisé, comme première étape, dans le plus court délai, disait notre Conseil National… Mais, en octobre, en Indochine, et en novembre, au Maroc, on arrêtait encore des indigènes qui avaient pris au sérieux ces perspectives.


Manifestation de la Fédération de la Seine, sur initiative de la Gauche Révolutionnaire, devant le sénat.

7 avril 1937


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 Il faut en finir.

Une poignée de vieillards au cœur sec, installés dans leur Bastille sénatoriale, pour la défense des 200 familles, s'oppose systématiquement, depuis 18 mois, aux volontés du peuple.

Aux ordres du patronat de combat qui veut en finir avec le mouvement syndicaliste et les lois sociales, leur sabotage a considérablement aggravé le désordre financier, la crise économique et la situation internationale, expression de l'anarchie meurtrière d'un vieux monde qui croule de toutes parts.

Il faut en finir.

Pour signifier notre volonté aux repus,

Pour briser la résistance des trusts, des banques et de leurs serviteurs insolents,

Pour l'ouverture de la frontière espagnole,

Pour la solidarité avec les ouvriers occupant leurs entreprises, Commerçants, ouvriers, fonctionnaires, anciens combattants,

vieux travailleurs, femmes, chômeurs, locataires, tous vous avez à en souffrir de ce repaire d'égoïsme et d'intérêt de classe. Venez crier votre colère avec nous

A bas les saboteurs.

A bas les trusts.

A bas le Sénat.

Tous au Luxembourg, ce soir, jeudi 7 avril, à 18 h 30.

 

La fédération de la Seine, 7 rue Meslay.


Après la manifestation au sénat de la fédération de la Seine, réponse de Blum au congrès de Marseille de juillet 1937


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Compte rendu sténographique :

Il y a, dit-il, l'éternelle, la redoutable, la funeste confusion entre l'exercice du pouvoir et sa conquête révolutionnaire. Vous le connaissez ce débat. Il ne date pas d'hier. Oui, il y avait alors quelques-uns d'entre nous, et Marceau Pivert était comme toujours le plus catégorique et le plus net... qui disaient : « Il faut revendiquer le pouvoir, il faut saisir cet instant qui est un instant révolutionnaire, et si on nous oppose la moindre résistance, eh bien il faut transformer l'exercice légal en conquête révolutionnaire ». Il remonte à ce jour-là le dissentiment entre nous. Il ne nous a pas échappé, Marceau, vous le savez. Et j'ai évoqué cette scène qui présageait déjà tant de choses, dans laquelle votre discours d'aujourd'hui était déjà contenu virtuellement. Je l'ai évoquée devant des amis, bien des fois... Eh bien, une immense majorité du parti, je veux dire l'unanimité du parti, à quelques réserves individuelles près, était d'un sentiment entièrement opposé. Le parti disait : non, tout n'est pas possible, et tout n'est pas possible parce que le vainqueur n'est pas le parti socialiste, parce qu'il n'est pas une alliance des partis prolétariens, parce qu'il est le rassemblement populaire... 

Je sais bien que nous n'étions pas un cabinet tout à fait pareil aux autres. Mais enfin, tout de même, nous étions un cabinet légal, un cabinet régulier, un cabinet constitutionnel, un cabinet reposant sur la légalité et la tradition républicaine, soumis à toutes les lois et à toutes les règles constitutionnelles de la République... Et dans le fond, ce qui vous révolte, ce que vous ne pouvez pas accepter, c'est qu'il soit parti comme d'autres, dans les mêmes conditions que d'autres. Et il est parti comme d'autres parce que dans le fond, essentiellement, il n'était pas aussi différent que vous l'avez cru. Parce qu'il n'était tout de même qu'un gouvernement... mais oui... bien que porté par cette immense vague de volonté et d'espoir, eh bien, malgré tout, il n'était qu'un gouvernement d'exercice du pouvoir par une collaboration de partis, dans le cadre de la société présente et de la légalité républicaine. 

…Je suis sûr que je touche là, en ce moment, à ce qui est le centre, le centre sensible, le centre souffrant des sentiments que vous avez accumulés dans ces quelques semaines, au fond de vous… 

Réponse à l'appel que la fédération de la Seine unanime lui a adressé le 20 juin, lors de la bataille du Sénat, lui demandant de faire appel aux masses et de résister comme le 12 février : 

Nous pouvions, à coup sûr, persévérer dans une lutte légale contre le Sénat... Mais tenir bon, qu'est-ce que cela signifiait, sinon d'attendre le moment où précisément des manifestations populaires de plus en plus amplifiées, de plus en plus énergiques auraient fait pencher la balance du côté du suffrage universel ?... Si nous engagions une telle lutte, il fallait, vous le sentez bien, la conduire jusqu'à son terme et la conduire victorieusement. Et alors, il fallait y aller, il fallait commencer la bataille, il fallait lutter jusqu'à la victoire. Dans cette lutte, est-ce que le Front populaire nous aurait suivis ? Est-ce que cette lutte, nous pouvions la mener sans demander et sans obtenir le concours actif des organisations ouvrières ? Dans quel état jetions-nous le pays ?... Eh, bien oui, placés devant tout cela, placés devant cette alternative, ou bien nous retirer, ou bien nous engager dans une lutte qui - Marceau Pivert a raison de le dire - était nécessairement, presque dès son départ et, en tous cas, dès son développement une crise d'offensive révolutionnaire, placés devant cette alternative, considérant l’état antérieur du pays, son état politique, son état psychologique, considérant le danger extérieur, nous avons dit : nous n’avons pas le droit de faire cela. 


Les « crimes » de la Gauche révolutionnaire, discours prononce par Marceau Pivert au Conseil National extraordinaire du 18 avril 1937 à Puteaux

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)


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Camarades,

Je ne vous demande qu’une seule chose, avant de commencer mon exposé, c’est de croire à son absolue sincérité.

J’aborde cette tribune sans émotion et la conscience tranquille quant aux accusations dont mes amis et moi nous sommes l’objet.

Mais mon inquiétude est certaine en ce qui concerne le Parti. Une réunion brusquée du C.N. pour des questions dites de « discipline » à vingt-six jours des assises du Congrès National, prend un sens qui ne nous échappe pas. C’est pourquoi, dans les explications que je vous dois, camarades, je m’efforcerai de conserver toujours présente à l’esprit la nécessité de l’intégrité du Parti, tel qu’il a été forgé, avec sa structure et ses caractères propres, par nos devanciers et par nos propres efforts.

On devait en terminer très vite avec le programme du Rassemblement populaire. Vous n’avez pas perdu le souvenir de ce que Paul Faure écrivait en août: « Nous aurons réalisé le programme avant la fin de l’année ».

Il avait dit aussi en juin: « S’il y a des obstacles sur notre route, nous les dénoncerons devant le pays… ».

Or, les obstacles se sont dressés: l’obstacle militariste de l’Etat-Major; l’obstacle financier de la haute banque; l’obstacle clérical aussi…
Où avons-nous entendu la dénonciation?
Silence général…

Ah! si, j’oubliais! C’est une tendance du Parti, ce sont les camarades qui n’ont eu que le tort de jeter le cri d’alarme, que l’on dénonce violemment comme des « criminels », des « traîtres » et des « factieux ».

Ainsi la question est nettement posée: si nous sommes vraiment coupables comme on l’affirme, si nous constituons vraiment un péril grave pour le Parti, il ne faudra pas hésiter à nous frapper. Mieux, il faudra demander au Congrès, qui donnera une forme plus solennelle à la sanction, après un rapport motivé, de nous exclure du Parti.
Mais auparavant, camarades, il faut nous entendre, il faut que vous vous assuriez toutes les garanties qu’on doit à des membres du Parti. Quand vous serez informés, il faudra que vous retourniez devant les militants pour être mandatés. La force d’une majorité ne suffit pas! L’autorité du Secrétariat ne suffit pas. Le prestige du gouvernement ne suffit pas. Il faut que la justice socialiste soit satisfaite.

Lorsqu’il s’est agi des indisciplines d’une fraction parlementaire se dressant contre la volonté du Parti, on a pris d’infinies précautions. Cependant ils étaient, eux, indisciplinés à l’égard des décisions régulières du Parti, ce qui n’est pas le cas en ce qui nous concerne. Ils avaient voté les crédits militaires en mai et cependant, en juillet 1933, vous vous dressiez tous pour les protéger. Et en novembre encore, alors que leur volonté de scission était patente, Paul Faure leur tendait des mains fraternelles.
Malgré l’humiliation que comporte pour nous cette comparaison, nous constatons que nous sommes traités beaucoup plus cruellement alors que nous sommes restés fidèles, nous, aux engagements pris devant le Parti et à ses principes constitutifs.

Car nous affirmons n’avoir pas violé la discipline du Parti. Quant à la discipline à observer à l’égard du Gouvernement, c’est évidemment sur ce point que la discussion doit porter.

Le dossier de l’accusation

Si quelque chose m’a vraiment surpris dans cette séance, c’est d’avoir vu monter à la tribune un délégué qui me paraît être parmi les moins qualifiés pour dresser un tel réquisitoire contre nous. Je revois Francis Desphilippon [MP1], il y a quelques années, à la suite d’une réunion de propagande que j’avais faite à la 19° section. Il était alors associé aux milieux communistes, à la revue Monde, et je me souviens de l’insistance que je mettais à le convaincre de la nécessité d’adhérer à notre Parti. Que ce soit lui qui ait fait l’effort maximum, aujourd’hui, pour obtenir qu’on m’en fasse sortir me paraît tout de même manquer d’élégance.

Je le revois ensuite donnant des articles à la publication trotskyste « La Vérité », et lié continuellement et défendant des motions avec les trotskystes (dont Molinier)… Que ce soit lui qui soit venu établir ici frauduleusement l’existence d’un vaste complot « trotskyste » contre le Parti, cela me paraît assez indécent.

Enfin, je l’entends encore, il y a quelques jours, au Conseil fédéral de la Seine, qui devait, par 7.500 mandats sur 11.000 s’opposer à toute exclusion de la minorité (la minorité n’osant même pas proposer des exclusions) me demander de faire une motion unanime pour s’opposer ici à toute exclusion. Ces attitudes jugent un homme et une thèse. Nous demanderons à la fédération de la Seine si c’est ainsi qu’elle avait compris le mandat de son délégué. Mais pour le moment, je me bornerai à reprendre une à une les accusations apportées à cette tribune contre la Gauche révolutionnaire.

Qu’il se lève, le délégué d’une fédération dans laquelle mes amis ou moi nous avons porté préjudice au Parti par notre propagande extérieure. Personnellement, j’invoque le témoignage des camarades de Nancy, Marpent (Nord), Blois, Keryado, Dijon, Orléans, Corbie, Bordeaux, Saint-Etienne, Firminy, Migennes, Roche-la-Molière, Longwy, Chartres… où je suis allé ces dernières semaines…

Nous avons porté nos critiques à l’extérieur? Dans le Populaire à la tribune libre, nous avons dit ce que nous pensions. On nous a blâmés, nous nous sommes inclinés. Dans la vie intérieure du Parti, nous avons dit ce que nous pensions, on nous blâme encore. Est-ce que l’on voudrait nous empêcher de penser et de dire ce que nous croyons être la vérité à nos camarades du Parti?

Nous sommes loyaux à l’égard du Parti: nous faisons confiance à l’honnêteté politique et à l’indépendance de ses militants. Aucune preuve sérieuse n’a pu être apportée ici pour établir la réalité d’un « complot » contre l’unité du Parti. Rien, dans l’idéologie de la Gauche Révolutionnaire, qui est démocratique et fidèle aux aspirations des masses, ne permet de maintenir cette prétention.

Le document Collinet

On s’appuie sur une lettre de Collinet. Ce document-massue, émanant d’un camarade retenu en Espagne et qui écrit librement une lettre privée à quatre de ses amis sur la situation politique et les tâches de la Gauche Révolutionnaire n’a pu être utilisé qu’à la suite d’un méprisable abus de confiance. Mais dès que certains de ses passages, arbitrairement tronqués ont commencé à circuler nous avons nous-mêmes demandé à la fédération de la Seine sa publication intégrale et bien loin d’indigner les militants, il a été apprécié comme l’effort d’un camarade qui réfléchit à ses responsabilités et veut travailler dans le Parti.

Certes, il parle des « cellules socialistes » d’usine. Et cela prend un caractère mystérieux et assez en marge de la discipline formelle. Mais qu’est-ce que la discipline dans ce cas précis? Nous avons en effet, à la 15° section, en dehors de toute décision de Congrès, il y a plus de quatre années déjà, constitué des groupes de militants socialistes sur la base de l’entreprise.

C’est sans doute là une des raisons du développement remarquable de notre section, la plus forte de Paris, passant de 270 adhérents à 1.600 et conservant pour le Parti et pour ses délégués au Gouvernement, les sentiments de loyauté et de solidarité dont peuvent témoigner Vincent Auriol, Jardillier, Blancho, Léo Lagrange, appelés dans nos réunions.

Indiscipline, la création de « Groupes socialistes d’usines »? Allons donc… la formule correspondait si bien à une nécessité que la fédération depuis l’avènement du Front populaire et en dehors de toute décision de Congrès, a constitué à son tour, et avec un grand succès des Amicales d’Usine. Ce que nous trouvons dans la lettre Collinet, c’est la nécessité de faire circuler dans ces formations des mots d’ordre socialistes. Et nous n’éviterons pas la divergence fondamentale qui nous oppose, au fond: la politique du Gouvernement est une chose que nous devons expliquer et, s’il y a lieu, critiquer, du point de vue de la politique socialiste, qui en est distincte…

Mais dans tout cela, rien ne permet d’affirmer, comme on l’a fait, que nous constituons une sorte de noyau de désagrégation dans le Parti. Je l’ai déjà dit, je le répète ici: Si j’avais le sentiment que l’un quelconque de mes camarades vienne à notre mouvement d’opinion avec l’intention de faire ce travail de sabotage, je serais le premier à le prier de ne pas rester avec nous.

La 17° section

Beaucoup de faits disparates sont d’ailleurs portés à cette tribune d’après les récits fantaisistes parus dans « la Lutte ouvrière », organe trotskyste dont l’intention est trop évidente et devrait, à elle seule, permettre de récuser de tels témoignages.

C’est le cas, en particulier pour les « crimes » commis par la 17° section qui s’est rencontrée, en effet, avec des éléments prolétariens, (mais qui a constaté très vite l’impossibilité d’un accord quelconque) pour certaines actions communes analogues à celles qui se pratiquent au Front populaire.

De même les paroles prononcées par nos camarades à un meeting relatif à la révolution espagnole tenu le 18 mars, et rapportées par « la Lutte ouvrière », sont formellement démenties par les témoins sérieux.

J’ajoute que cette fameuse section « dominée par le trotskysme » ne compte pas plus de cinq anciens communistes sur 450 adhérents, et que pour le vente du Populaire, elle est actuellement au sixième rang des sections de la Seine.

L’affaire du Lot

Il y a encore un autre crime dont s’est rendu coupable Collinet… Il est allé, lui, universitaire (agrégé de mathématiques) passer deux nuits dans le train pour faire de la propagande dans le Lot et comme il avait été régulièrement invité par les J.S. du Lot, il a assisté à leur Congrès. Je ne m’explique l’incident que par un manque de liaison entre les J.S. et la fédération. Mais tout militant de bonne foi trouvera extraordinaire qu’on ait monté en épingle un tel événement et qu’on l’ait considéré comme « absolument intolérable ». Je me bornerai à lire la lettre qui a été adressée à Paul Faure par le secrétaire fédéral des Jeunesses Socialistes du Lot, que je ne connais ni de près, ni de loin, et dont l’Entente a voté, à Creil, avec B. Chochoy et Laforgette.

Le Secrétaire Fédéral à Paul Faure:

Aynac, le 17 avril 1937.

Mon cher Camarade,

Je tiens à protester énergiquement contre le document D. [MP2] paru sur le dernier B.I.S. pour sa non-conformité avec les faits:
Le camarade Collinet a effectivement assisté au Congrès fédéral des J.S. du Lot, mais non dans l’intention d’y intervenir au nom de sa tendance. Ceci avait d’ailleurs été convenu avant l’ouverture du Congrès.

La présence de Collinet s’explique par le fait qu’il devait participer le soir, à un meeting adulte à Goudon.
J’affirme qu’en aucune façon Collinet n’a essayé d’influencer le vote de la fédération, et qu’une telle délicatesse n’a pas été observée par Coll. Ce dernier a exercé une pression odieuse et indigne d’une organisation démocratique. Il a même soulevé la réprobation générale en intervenant dans une question fédérale pour faire désavouer un camarade non présent.
Je prends sur moi l’entière responsabilité de cette lettre et, en toute impartialité, j’insiste pour qu’elle soit jointe au dossier de Collinet, dans le cas où ce dernier serait convoqué devant une commission de discipline.

Avec toute ma confiance, je vous prie d’agréer, mon cher camarade, mes sentiments socialistes.

Jean THAMIE.

Tout cela n’est pas très sérieux, mais prouve une volonté systématique de charger le dossier de l’accusation sans doute un peu trop maigre.

Clichy

J’arrive au grief le plus important: celui de l’action extérieure dont nous avons pris la responsabilité pleine et entière.

Ce sont les événements eux-mêmes qui ont fait éclater cette discordance entre nos militants, ceux qui nous font confiance, et la majorité du Parti. Pour comprendre l’extériorisation décidée par plusieurs grosses sections parisiennes au moyen d’une affiche et par la majorité de l’Entente des Jeunesses de la Seine, au moyen d’un numéro spécial de « la Jeune Garde », il faut commencer par expliquer Clichy. Ces deux manifestations, sans relation matérielle directe, mais dont la parenté idéologique est évidente, ne se seraient pas produites s’il n’y avait pas eu Clichy. En juin 1936, la classe ouvrière n’avait pas de contacts avec la police et il n’y a eu aucune divergence entre nous. En mars 1937, la police tire sur les ouvriers; si l’on veut juger sans parti pris, on doit tenir compte de ce fait initial et comprendre qu’il ne peut pas ne pas y avoir de répercussion sur la vie du Parti.

Je voudrais donner aux délégués une idée de ce drame atroce, sur lequel nous voulons faire toute la lumière… [MP3]

Voici pour commencer, quelques passages du journal socialiste « Le Prolétaire de Clichy » (la section de Clichy n’est pas sur les positions de la Gauche Révolutionnaire et son récit ne peut être suspect).

« Malgré les ordres du ministre de l’Intérieur, les forces de police se regroupent autour de la mairie, les élus se heurtent à l’incompréhension criminelle des chefs qui ne veulent pas céder le terrain.
.. Dormoy est allé au-devant des fusils donner des ordres. Mais il ne sera pas obéi et jusqu’à 1 h. du matin, malgré le ministre, malgré le Préfet de Police en personne, les officiers factieux pourront continuer à canarder cette foule admirable et exaspérée qui résiste héroïquement, se sert de tous les projectiles possibles et dresse même une barricade à l’angle des rues Villeneuve et Dagobert… »

Ce qu’attend avec impatience la classe ouvrière de la Région parisienne, ce que nous avons réclamé, c’est le nom et la révocation de ces chefs de la police qui n’obéissent pas à leur ministre.

Mais en même temps, la réaction et les radicaux sommaient le Gouvernement de ne pas toucher au service d’ordre et l’idée qui a circulé dans tous les esprits exaspérés par ces évènements, c’est qu’ils avaient une logique interne… oui, on a rapproché (et rien ne sert de fermer les yeux sur cette réalité) les mesures prises par le Gouvernement pour rétablir la confiance des possédants et les mesures de protection de la réunion des Croix de Feu. Oui, on a difficilement compris que le rassemblement populaire, la fédération de la Seine, la municipalité socialiste de Clichy, convoquent une contre-manifestation et que le ministre de l’Intérieur, socialiste, n’interdise pas la réunion fasciste. Mais surtout, imaginez la révolte et la douleur des compagnons de Solange Domangel, membre de notre 18° section, couchée sur le sol avec une balle dans le cervelet. Imaginez l’atmosphère des sections parisiennes au lendemain de cette fusillade tragique. Et vous comprendrez comment j’ai été amené à considérer comme une obligation de fournir aux militants le moyen d’exprimer, avec le maximum de modération - je dis bien de modération - leurs véritables sentiments. Ce n’est pas mon rôle, direz-vous? Comme secrétaire de section, responsable du développement du Parti sur le territoire de mon arrondissement, si (et c’était la même chose pour d’autres camarades de sections) la fédération n’avait pas de position, car elle « regrettait » la décision du ministre de l’Intérieur. Et la C.A.P.? Oui! la C.A.P.! Mais permettez-moi de vous dire que la C.A.P., où siègent précisément nos camarades ministres, était dans une situation trop délicate pour interpréter avec une véritable objectivité les sentiments réels de la classe ouvrière et même du Parti, et en tout cas des militants de la Région parisienne. J’ai donc rédigé cette affiche, en marquant notre volonté de ne plus capituler et d’entamer la lutte contre les trusts. Du point de vue socialiste, quel reproche peut-on faire à cette affiche?

Qu’il y ait eu des provocations au cours de cette soirée, c’est possible. N’y a-t-il pas eu un chef policier fasciste amenant les brigades de réserves des 20 arrondissements et leur disant: « Armez vos revolvers, vous aurez à vous en servir! » puis lançant ses hommes dans la nuit, sans cadres, sans ordres précis, en pleine débandade? N’y a-t-il pas eu, au pied de la maison d’Auffray, un petit groupe de fascistes, protégés par le barrage de police et qui auraient effectivement tiré les quatre premiers coups de feu, d’où est né le drame, car la foule a pu croire que ces coups de feu venaient de la police? Différents témoins me l’ont affirmé.

Interprétation politique

Mais cette provocation n’a été rendue possible que par suite d’une attitude politique contre laquelle je me suis élevé dès le lendemain à la C.A.P. Il ne fallait pas autoriser cette manifestation de Croix de Feu dans une cité ouvrière comme Clichy, dressée toute entière contre cette provocation. Si on l’a autorisée, n’est-ce pas parce qu’on a dû céder, sur d’autres terrains, à des adversaires ou même à des alliés peu sûrs? Mais les masses, elles, ne sont pas disposées à céder; elles sentent quel est l’enjeu de la bataille antifasciste. Elles restent fidèles aux méthodes d’action directe qui ont déjà brisé la vague fasciste et sans lesquelles il n’y aurait pas eu de gouvernement de Front populaire.

C’est là que réside le véritable problème: il est essentiellement politique; il y aura lieu de l’examiner à fond devant le Congrès National. Mais on doit comprendre dès maintenant que toute discordance sérieuse entre l’attitude du gouvernement et les désirs, la combativité des masses prolétariennes a sa répercussion inévitable sur la vie du Parti. Notre « Gauche Révolutionnaire » exprime précisément la mesure de cette température des masses, qui commence à monter. Nous constituons pour le Parti une sorte de thermomètre: vous pouvez sans doute briser le thermomètre. Est-ce que cela guérira la fièvre?

Notre rôle de militants ne peut pas consister à fermer les yeux mais au contraire à étudier la nature des difficultés qui ont surgi entre nous de manière à conserver au Parti sa cohésion et sa force.

Indiscipline à l’égard du Gouvernement, oui, sans doute… Mais il n’est pas un Gouvernement socialiste et l’essentiel est de rester disciplinés à l’égard du Parti. Et c’est au Parti lui-même, et non à un Conseil National qu’il convient de poser la question.

Ce que nous combattons, je tiens à le préciser, ce ne sont pas des hommes, ce ne sont pas des camarades, placés à des postes de responsables, c’est une ligne politique fausse, qui n’est plus d’accord avec les principes adoptés au début de l’expérience, ni avec les conditions que nous avions mises à notre solidarité sans réserves. C’est ce que nous dirons au Congrès de Marseille.

Précisions

Cette attitude appelle une protestation énergique contre certains procédés employés à notre égard. Nous prenons en charge les faits précis qui relèvent de notre tendance et même ceux qui peuvent être considérés comme accomplis sous notre influence, mais il y a manifestement dans le dossier apporté à cette tribune des textes qui ont été presque miraculeusement fournis aux accusateurs pour leur donner un élément de justification, par exemple cet article d’un trotskyste connu comme tel, aujourd’hui retourné aux Jeunesses Socialistes  Révolutionnaires, croyez-moi camarades, si nous avions eu, comme on l’a affirmé faussement, une organisation de la Gauche Révolutionnaire dans la Jeunesse, nous aurions guidé nos jeunes camarades de manière que certaines imprudences de langage ne puissent pas leur être attribuées. On comprendra mal, sans doute, ce que je précise, en ce moment, les uns diront: « Dégonflage? », les autres: « Cynisme? », mais je ne fais que dire la vérité toute simple: notre mouvement intérieur au Parti a des répercussions inévitables, et en dehors de notre propre initiative, dans la pensée et l’orientation de la classe ouvrière et donc des Jeunesses. Mais nous ne pouvons endosser qu’une responsabilité politique générale, qui correspond au courant d’opinion que nous exprimons. Par exemple, on a lu une circulaire des Jeunes exclus qui demandent à leurs camarades de rester unis et de n’aller ni aux anarchistes, ni aux trotskistes, ni aux communistes, mais d’entrevoir la formation d’un grand Parti révolutionnaire. Il est bien évident que les termes mêmes de cette circulaire, que j’ignorais il y a quelques heures traduisent un état d’esprit assez confus consécutif à la mesure brutale prise contre des jeunes gens qui avaient une conception élevée de nos organisations et qui s’en trouvent chassés. Les excès dans la répression bureaucratique déterminent des réactions en sens contraire. Mais où se trouvent les véritables responsabilités? Malgré tout, je suis convaincu que les excellents militants dont on veut à tout prix se séparer devraient être traités avec un minimum d’équité et de compréhension socialistes. Au lieu de cela, on demande aux jeunes à qui on s’adresse pour reconstituer l’Entente un engagement de « refuser de participer à toutes discussions politiques ». Je lis textuellement pour vous montrer avec quel état d’esprit invraisemblable on aborde la jeunesse ouvrière.

Responsabilités

Dans la mesure où j’ai une conception diamétralement opposée de l’éducation, j’ai ici encore une responsabilité que j’accepte, comme je l’ai écrit dans la préface de la brochure que vous avez sous les yeux.

(Ici Roucayrol puis Château posent des questions à l’orateur)

Oui, j’ai fait une préface, pour présenter des jeunes gens, exclus, qui ont été mes élèves jusqu’à dix-sept ans, et pour exposer comment je conçois l’éducation laïque. Et je n’ai pas lu leur brochure pour n’avoir un moment la tentation de leur demander une modification de leur pensée. C’est à ce titre, comme document, qu’elle est intéressante. Au moment où ces jeunes sont frappés pour leurs écrits indésirables, lisez donc comment ils comprennent leurs devoirs de classe,  quelle idée ils se font du socialisme international, et vous sentirez peut être, comme je le sens moi-même qu’un parti se blesse lui-même et se diminue lorsqu’il se déclare incapable d’initier, de perfectionner, d’encadre les jeunes gens incontestablement venus sur des positions révolutionnaires.

Mais si l’on recherche les responsabilités morales (que je ne veux pas esquiver) dans la formation de l’esprit des jeunes camarades que j’estime d’autant plus qu’ils disent fièrement ce qu’ils pensent, ne pourrai-je à mon tour, moi qui ne suis également qu’un élève un peu plus âgé, faire remonter à d’autres, qui ont été mes maîtres et mes modèles, l’origine de mes crimes.

Des précédents

On a parlé de « la Vague »

J’y viens maintenant. La simple lecture du document Collinet prouve que ce journal a été repris par des camarades pupistes, avant le retour au parti, et en accord avec Marcel Capy, à qui le titre appartient. S’il s’agit de ma collaboration à ce journal pacifiste, internationaliste, anticlérical, je veux préciser immédiatement qu’on m’avait en effet demandé de faire partie d’un comité politique qui le dirigeait au début. J’ai écrit à mes camarades pour elur expliquer les inconvénients de cette formule, car je ne pouvais ni politiquement, ni même matériellement, contrôler tout le contenu de chaque numéro. Mais j’ai conservé ma collaboration à la Vague. Vous avez là un exemple de ces collaborations de militants du parti à la presse extérieure au parti. Si c’est interdit, il faudra le dire à tout le monde, aux élus, aux ministres, qui collaborent à la presse bourgeoise comme aux militants… Et encore, pour la presse ouvrière (syndicats, ligue des droits de l’homme, Vigilance) cela n’est pas près d’être réglé dans le sens de la restriction…

Mais revenons à mes « maîtres ». Puisque la Vague est mise en cause, je veux rappeler un précédent que je considère comme un titre de gloire de nos camarades qui ont commis cette « indiscipline ». Notre camarade Vardelle, certainement ne pourra pas contester cette appréciation…

C’est en effet, le 8 avril 1916,  si je ne me trompe, que partait un appel annonçant pour le 1er mai le journal, revue hebdomadaire « Le Populaire »… Les collaborateurs étaient avec Marcel Capy, Paul Faure, Jean Longuet, Pressemane, Betoulle, Mayèras, Amédée Dunois…

« Le Populaire » paraissait à la suite de la formation d’une minorité dont voici la déclaration, en tête de la première colonne :

« Pourquoi cette revue ? Simplement pour dire en toute franchise et sans crainte tout ce que nous pensons. On nous connaît mal et d’aucuns voudraient discréditer notre action. La tâche leur est d’autant plus facile que nous n’avions aucun moyen de nous défendre. Les congrès du parti socialiste où nous avons exposé nos vues sont restés secrets. Tout ce qui a pu filtrer au travers des portes closes a été finalement travesti par nos ennemis. Certains de nos camarades même, ne nous ont pas compris. Il nous fallait donc une tribune libre : la voici ouverte.

Ce que nous sommes ? Des socialistes fervents qui ne renoncent à aucun de leurs principes et qui, dans les tragiques événements qui ensanglantent l’Europe, trouvent chaque jour de nouvelles raisons de s’attacher à leur doctrine. 

Nous sommes plus que jamais unitaires et plus que jamais, nous sommes internationalistes. »

Combien nous sommes d’accord avec cette déclaration, et comme nous entendons lui rester fidèles ! Mais camarades, permettez-moi de vous exprimer ma surprise de trouver la plupart de ces signataires parmi ceux qui nous accusent, aujourd’hui, de je ne sais quelle indiscipline ? ET quant à la Vague, n’a-t-elle pas l’ambition de reprendre, précisément avant la guerre qui menace, le bon combat internationaliste des minoritaires ?

Sur ce point encore, c’est le parti lui-même, qui se saisissant des problèmes politiques essentiels, doit fixer les règles de discipline pour tout le monde et nous nous y soumettrons.

On ne le fera pas sans apprécier le contenu de la politique du gouvernement et définir la politique du parti.

La politique du gouvernement

Ceux qui ont affirmé que la Gauche Révolutionnaire était un parti dans un parti, un bloc monolithique, une fraction, n’ont même pas pris la peine d’observer que sur une question importante comme l’aide à l’Espagne, nous avions eu des positions différentes. Certains de mes amis étaient d’accord, en principe, avec Zyromski, alors que les autres dont j’étais, approuvaient face au péril de guerre, l’attitude de Léon Blum.

Mais a-t-on le droit de dire l’inquiétude croissante qui se développe dans les masses populaires en face de certaines situations intolérables. Demandez aux camarades d’Alsace-Lorraine, à toutes les organisations laïques, sans exceptions, ce qu’elles pensent du néant des réalisations dans le domaine de la laïcité : on va arrêter, dans quelques jours, la liste des candidats aux écoles normales : cette année encore, dans les trois départements de l’Est,  les jeunes gens et les jeunes filles qui appartiennent à des familles laïques ne pourront être candidats : seuls pourront être instituteurs ceux qui subiront une épreuve de religion. N’est-ce pas révoltant ? Quelle doit être notre attitude sur ce point ? Pouvons-nous être solidaires, c'est-à-dire complices ? Tout le Front Populaire unanime devrait se dresser pour exiger un minimum de mesures de défense laïque élémentaire.  Mais cela est-il encore possible après les services demandés au cardinal Verdier ? Est-ce manquer à la discipline socialiste que poser ces questions, même au dehors ?

Sur les questions financières nous avons les mêmes doutes et les mêmes inquiétudes. Est-ce à dire que nous voulons accabler nos camarades élus au gouvernement ? Au contraire, nous voudrions qu’ils nous aident à faire comprendre aux élus socialistes où se trouvent les véritables responsabilités. Nous voudrions que le parti grâce à une politique autonome, se dégage de la confusion actuelle, s’empare des mécontentements, des colères et les dirigent contre l’ennemi capitaliste. S’il ne le fait pas, c’est d’abord contre le gouvernement,  et ensuite contre le parti que se tourneront les colères populaires.

Je ferai la même démonstration sur les questions militaires, qui sont effrayantes. Mais il ne faut pas essayer de nous faire admettre toutes ces positions, qui sont autant de défaites comme des victoires pour le parti… Et si l’on interdit aux socialistes de donner leur avis, d’autres le donneront, eux, et grossiront leur popularité à nos dépens.

La voie de la « discipline » est d’ailleurs périlleuse à plus d’une titre. Je lis, par exemple, ces observations, sévères, mais justes, sur les insuffisances de l’action départementale.

« Toutes les organisations du rassemblement s’étaient mises d’accord pour républicaniser la haute administration. Toutes avaient applaudi aux paroles prononcées par Léon Blum à ce sujet. Or,  l’effort accompli dans ce sens a été nettement insuffisant. Ce fut notre première déception, et, je crois, la cause principale de toutes les autres.

Je pourrais vous donner maints exemples précis, choisis dans les ministères que je connais plus particulièrement : colonies, éducation nationale, marine, affaires étrangères… Je vous dirai ceci : que les hommes qui, en juin 1936, s’attendaient à être remplacés, ont relevé la tête et sont à nouveau les maîtres, et que ce sont trop souvent les fonctionnaires républicains qu’on envoie sur les voies de garage ou qu’on retarde dans leur avancement sous les plus fallacieux prétextes. Ce sont eux, dans les administrations centrales, auprès des ministres, commencent à se sentir indésirables et en quasi-disgrâce…

Il y a des réformes que nous ne pouvons plus attendre longtemps. La situation des vieux travailleurs devient tragique.

En politique extérieure je peux dire que l’exécution du programme n’est pas amorcée dans les faits.

Si la politique extérieure du Front Populaire ne devait aboutir qu’à la construction de quelque nouvelle ligne Maginot, ce serait vraiment la plus amère des dérisions. »

Va-t-on contester à un militant socialiste de s’exprimer ainsi publiquement ?

Va-t-on régler cette grave question en faisant fonctionner le couperet de la guillotine ?

Attention ! Camarades ! Le signataire de ces lignes est de ceux qui ont peut-être contribué le plus à la formation du Front Populaire,  donc du gouvernement : c’est le professeur Rivet,  et cette déclaration se trouve dans un numéro que j’ai reçu ce matin du bulletin du Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes.

Est-ce à dire que nous méconnaissons la partie positive de l’œuvre du gouvernement ? J’ai dit et je répète que le plus important poste du bilan en dehors des lois sociales,  c’est que son existence a permis l’élévation du niveau de conscience des masses populaires,  qui ont découvert leur véritable force et qui sauront d’en servir.

Et que d’insuffisance inexplicable, je dirais même inexcusable. Dans les colonies la trahison des cadres fascistes s’installe partout. En Indochine, on emprisonne un ami qui diffusait dans sa langue la brochure de Léon Blum : « Pour être socialiste ». En Algérie, on a dissous l’Etoile Nord-Africaine. Au Maroc on dissout le Parti d’Action Marocaine. En Cochinchine, on interdit la formation de sections socialistes mixtes (qui devraient être formées en application d’une décision de la CAP) ! Qui commande ?

Qui commande ?

L’heure parait être venue de rappeler dans quelles conditions nous avons toujours défini l’exercice du pouvoir dans nos congrès et Conseils Nationaux. Ainsi, en 1929, lors des propositions de l’Allier, nous avons voté :

« Le Conseil National rappelle que le parti est toujours prêt à assumer les responsabilités directes du pouvoir, soit tout seul, soit avec le soutien des groupes de gauche, soit en appelant dans le gouvernement qu’il constituerait et où il conserverait l’autorité de la majorité des autres groupes, de façon à avoir toujours la certitude d’assurer dans l’action gouvernementale la prépondérance des solutions de décision, d’énergie, d’audace et de volonté qu’il croit seules susceptibles d’assurer l’avenir du pays et de sauver la démocratie menacée. »

Oui, c’est dans la voie du combat mené avec audace, en utilisant l’autorité dans la majorité, que nos délégués au gouvernement doivent s’engager.

Ils ne le pourront que s’ils s’appuient sur un parti fort, qui a sa politique à lui et qui exige qu’on en tienne compte, pour résister aux pressions de classe qui s’accentuent.

Dans le parti

Est-ce le cas ?

Nous voyons, au contraire, s’aggraver des phénomènes de dégradation de la propagande socialiste et d’altération de la physionomie propre du parti.

On affirme sans preuves, on condamne sans attendre,  on monte la machine répressive sans prendre garde qu’elle risque de léser davantage le parti lui-même.

On injurie les camarades, on les flétrit sans aucune justification. Et la figure du parti en paraît assombrie aux yeux des masses ouvrières.

On abaisse la discussion idéologique à un niveau écœurant, comme dans cette lettre de Bernard Chochoy faisant grief à un jeune chômeur qui lui avait demandé du travail, d’avoir l’audace de penser autrement que la majorité…

On parle de discipline pour des militants révolutionnaires, mais on a rien à dire lorsqu’un ministre socialiste prononce devant les représentants de l’ennemi de classe des paroles sans aucun rapport avec notre charte constitutive ou nos décisions de congrès. Je lis :

« Croyez-vous donc, messieurs, que je veuille casser les reins du régime capitaliste alors que je ne suis pas en état de le remplacer ? Allons donc ! Je sais qu’il est parfaitement capable de fournir encore une longue course et je pense que c’est l’intérêt même des masses ouvrières de le voir s’adapter aux nécessités modernes,  afin de profiter, pour le repos, pour la culture et pour la libération des progrès de la science, des magnifiques efforts fournis pendant plus d’un siècle par les plus grands cerveaux de l’humanité qui ont transformé les pensées, bouleversé les méthodes de travail,  agité l’industrie de  révolutions incessantes. »

Nous constatons seulement que notre parti est formé depuis 1904, pour, « la transformation la plus rapide possible de la société bourgeoise en société socialiste. »

Mais nous ne traduisons pas notre camarade Spinasse devant une haute cour socialiste car, nous comprenons parfaitement que son langage correspond à une conception originale qu’il a du socialisme. Nouvelle preuve de la dégradation de la justice socialiste. Oui,  c’est là ce qui constitue notre inquiétude dominante, bien plus que le sort particulier qu’il sera fait à la fin de cette assemblée [MP4]. N’y a-t-il pas de quoi rougir de honte, en tant que militant socialiste, lorsqu’on lit l’incroyable document publié par le dernier « bulletin d’informations socialistes »,  publié par le secrétariat du parti : c’est du plus pur bourrage de crâne. On célèbre en termes lyriques, les mesures financières prise par le gouvernement le 5 mars : « Coup droit à la réaction : la finance asservie… Quelle capitulation ! Sont levées toutes les barrières, brisés tous les obstacles à la libre circulation de l’or ;  au lieu de fuir, l’or rentre ; chacun se précipite pour apporter le sien. Quel miracle… Le gouvernement du peuple a stérilisé l’or et réalisé son  asservissement tout à la fois.

Le socialisme, qui anime et dirige le rassemblement populaire… réincarne la finance, poursuivra ses avantages, étendra ses victoires. »

Les vieux militants du parti se rendront certainement compte du danger terrible que fait courir à celui-ci une telle confusion entre la politique du gouvernement et celle du parti socialiste !

Que le gouvernement fasse sa propagande, soit, et je sais par expérience qu’il est loin de faire tout ce qu’il pourra à ce sujet.

Mais le parti doit expliquer même les échecs du gouvernement comme celui du 5 mars…[MP5] Transformer cette défaite en victoire et en victoire socialiste, c’est tout simplement se moquer du monde. C’est aussi donner des armes meurtrières à l’ennemi : nous verrons dans quelques mois si l’auteur de cet article « d’éducation socialiste » sera fier de son œuvre. Et nos camarades ministres sont assez sérieux pour imaginer le mal que pourra nous faire à ce moment cet article.

Notre tendance

Nous avons une autre conception de nos tâches et du socialisme, camarades, et l’avenir montrera de quel côté sont les serviteurs infidèles. Ceci m’amène à vous donner quelques précisions sur l’objet de toutes les préoccupations de ce Conseil National extraordinaire : la Gauche Révolutionnaire. On me prendra peut-être pour un naïf, mais réserve faite d’une plus grande activité, je n’aperçois pas la différence d’organisation entre notre tendance et celle de la Bataille Socialiste, à laquelle j’ai longtemps appartenu avec Paul Faure et Séverac: Des réunions de militants, des conférences d’information, des adresses de camarades, des cartes d’adhésion, un bulletin périodique, des tracts, des motions pour les Congrès; c’est avec ces moyens de propagande que j’ai travaillé près de dix années durant avec des camarades qui, aujourd’hui, semblent l’avoir oublié, et avec lesquels pourtant nous avons sauvé, oui, sauvé, l’existence même de notre Parti.

Si nous avons trop précisé ce genre d’activité, si l’organisation d’un « Comité Directeur » prête à équivoque plus qu’un « Comité des Cent », soit, il faudra que le Parti lui-même nous le dise, en fixant, par un règlement intérieur applicable à tous, ce qui est permis et ce qui ne l’est pas; mais il ne peut être question (nous ne le permettrions pas, et le Parti non plus) de mettre en cause la possibilité même pour une minorité d’exister dans le Parti, de défendre ses conceptions, de revendiquer sa part de travail commun. Loin de nuire au Parti, une conception élevée de ce que peut être une tendance pourrait au contraire améliorer la vie intérieure du Parti.

Une définition

J’ai sous les yeux, précisément, une excellente définition qui cadre exactement avec nos objectifs. Elle émane d’un camarade qui quittait la Bataille Socialiste à la veille du Congrès de 1931 et qui m’en expliquait les raisons:

« Je ne quitte pas seulement la B.S. Je m’en éloigne. J’ai été profondément déçu de ne pas trouver en elle un organisme de combat, discipliné, forgeant des mots d’ordre clairs, nets, directs et aussi un cercle de culture révolutionnaire vérifiant sans cesse nos vieilles doctrines par l’étude des faits, étudiant un à un les programmes d’action du Parti; de ne pas rencontrer un noyau sans cesse plus important et plus éclairé de camarades pourchassant impitoyablement l’équivoque là où elle se trouve. Et ce n’est pas à droite qu’elle se trouve, l’équivoque, c’est au centre, toujours au centre ! Comme le redressement du Parti ne doit pas être recherché dans une bataille systématique contre la droite, mais dans une réaction contre les faiblesses et les complaisances de la majorité. »

Etant données les méthodes de lutte inaugurées dans le Parti contre nous, on ne trouvera pas extraordinaire, je pense, que je livre maintenant, le nom de l’auteur de cette excellente définition du rôle que s’est assigné en fait la Gauche révolutionnaire. Elle est d’un braconnier devenu garde-chasse, qui s’appelle Louis Lagorgette…

Nous ne voulons pas faire autre chose que ce qu’il souhaitait à cette époque, et s’il se trouvait à mes côtés, des camarades cherchant à provoquer une scission, je m’en séparerais sans hésitation. Mais il faut aussi qu’on cesse les déformations systématiques des faits.

Ainsi, vous, camarade Lebas, vous vous obstinez à affirmer que nous avons non seulement des cartes mais des timbres : devant la CAP je vous ai dit : non, c’est une erreur, vous ne pourriez pas m’en montrer un seul cas, nous n’en avons pas… Cependant, vous êtes venu encore à cette tribune affirmer aux délégués que nous avions des timbres sur nos cartes. Que signifie cette obstination ?

Question

On a, en somme, affirmé ici que nous serions des instruments inconscients de certains éléments de désagrégation de la classe ouvrière. Mais vous, camarades, qui nous accusez, êtes-vous bien sûrs que vous n’êtes pas manœuvrés par les ennemis de la classe ouvrière et du Front Populaire. La clef de voûte du Front Populaire, c’est notre Parti : si on pouvait l’affaiblir, le diviser, le diminuer, la fissure pourrait atteindre des dimensions imprévisibles. Dans l’état d’inquiétude où se trouvent les masses populaires, qui sait ce qu’il en résulterait pour l’avenir de notre mouvement. Incontestablement, la réaction se réjouirait des mesures brutales de coercition dont nous sommes menacés. Et d’un autre côté, si j’en crois certaines instructions adressées par le Parti Communiste, on n’est pas non plus indifférent à l’opération préparée contre nous. Un secrétaire de cellule de l’Eure écrit au secrétaire de la section socialiste en lui proposant une réunion commune sur le sujet suivant : « La Gauche Révolutionnaire (trotskyste) (sic) au sein du Parti socialiste. » II y a donc beaucoup de forces qui concourent à souhaiter notre exclusion. Êtes-vous sûr que c’est en vue de l’intérêt du Parti? Pour moi, toutes ces têtes penchées sur notre unité, pour en observer la solidité me dictent mon devoir : je ne ferai rien pour donner satisfaction à nos adversaires.

Rôle du parti

Mais je ne cesserai pas non plus d’alerter le Parti sur son rôle spécifique. Jamais il ne s’est trouvé dans une telle situation à la fois difficile, et favorable à ses perspectives propres. Sans doute certains camarades ne se sont pas suffisamment préoccupés de cette phase particulièrement délicate de notre existence en tant que Parti: ils sont passés d’une conception d’opposition systématique et absolue à une collaboration si étroite qu’elle ne permettrait plus au Parti, si on les suivait, de jouer son rôle révolutionnaire. Il est assez curieux de rappeler à ce sujet comment Paul Faure caractérisait le rôle du Parti il y a quelques années.

« A moins de vouloir mettre la maison à l’envers et de prétendre que le jour c’est la nuit, les militants, depuis l’origine du mouvement socialiste ont tous été d’accord pour proclamer que la place normale du Parti, c’était d’être dans l’opposition. Ceux qui seraient assez ignorants pour avoir le moindre doute à ce sujet n’ont qu’à relire les statuts et la charte du Parti en même temps que les nombreuses résolutions de nos congrès. » (Vie du Parti, 6-12-29.)

…Lecture salutaire, en effet, mais ce qui est en cause, en ce moment, ce n’est ni « l’opposition » ni la « participation ». C’est quelque chose que Zyromski définissait ainsi, en juin dernier: « Il est évident que nous allons au Gouvernement non pas pour nous contenter de gérer les intérêts de la société bourgeoise, mais pour attaquer la racine, le principe même de la structure capitaliste. »

Voilà ce que le Parti doit dire, et propager. Si ses délégués au Gouvernement ne peuvent le dire, raison de plus pour que nous parlions en tant que socialistes; l’exercice du pouvoir n’aurait aucun sens, mieux, il comporterait de terribles inconvénients pour l’avenir s’il ne servait pas à cette préparation, dans les faits comme dans les esprits, de l’issue révolutionnaire. C’est parce que les militants ont plus ou moins obscurément conscience de cette situation, qu’il y a du malaise dans nos rangs comme d’ailleurs dans les masses populaires. Nous avons tous la charge de conduire le Parti à une des heures les plus décisives de son histoire : s’il ne remplit pas sa mission, qu’il se prépare à céder la place à d’autres. Pour tous les grands problèmes, il a ses solutions à lui. Même sur la question de la guerre où notre minorité apparaît comme plus particulièrement en désaccord avec la majorité, nous considérons que l’ensemble du Parti peut et doit faire siennes, comme directives fondamentales, ces lignes de Léon Blum :

« La guerre devient possible quand la masse de l’opinion la croît possible. Elle ne sera pas, si nous ne voulons pas qu’elle soit.

…La position socialiste est d’éclaircir et de débattre au grand jour les faits de toute nature qui contiennent des risques de litige entre nations mais en écartant d’une façon absolue l’idée que ces litiges puissent trouver leur solution dans la guerre, Cette attitude comporte au préalable une résolution d’ordre théorique et général : Celle d’opposer une fin de non-recevoir catégorique à la possibilité même de toute guerre. »

Expliquer cela aux masses populaires, au nom du Parti, et montrer que les contradictions du régime tiennent prisonniers nos délégués au Gouvernement, ce n’est pas se désolidariser de nos camarades, c’est au contraire sauvegarder leur prestige socialiste. Mais si on veut nous faire admettre comme conformes aux doctrines, aux décisions et aux intérêts du Parti, les crédits militaires formidables, la défense passive, l’union sacrée, la militarisation de la jeunesse, les deux ans, alors non, nous ne le pouvons pas et nous ne pouvons pas mentir, à aucun prix, sous aucun prétexte, à la classe ouvrière.

Vous savez maintenant l’objet de nos divergences, camarades, le Parti se prononcera clairement. Et votre décision, elle aussi, quelle qu’elle soit, aura un sens politique. Pour l’organisation de notre tendance, nous appliquerons la règle générale fixée par le Congrès; mais quant à nos conceptions politiques, il n’appartient à personne de les supprimer par décret. Que craignez-vous ? Si ce que nous disons est si absurde, alors nous resterons une petite minorité insignifiante et vous n’avez pas à vous inquiéter. Mais si ce que nous disons correspond à une réalité de classe, pourquoi brandir vos foudres, vous devriez savoir d’avance que ce n’est pas ainsi qu’on brise un courant d’opinion, bien au contraire. Est-ce que la répression de la bourgeoisie a pu jamais arrêter autrement que pour peu de temps la montée du socialisme dans le monde ?

Structure du parti

C’est le Parti qui appréciera, ce sont les militants, lorsqu’ils feront leur expérience, leurs réflexions, qui prendront position. Il faut le leur permettre : toutes nos difficultés s’aggraveront si on fausse la démocratie intérieure. Elles s’atténueront dans le cas contraire. Le Parti, ce n’est pas telle ou telle personnalité même éminente, telle ou telle tendance, c’est l’ensemble, c’est la synthèse et la collaboration fraternelle de tous ceux qui se dressent contre le vieux monde et veulent en finir avec lui. Le Parti, c’est l’instrument dont le prolétariat a besoin pour vaincre; il doit donc permettre d’enregistrer et de composer tous les courants qui existent au sein du prolétariat. Ceux qui voudraient nous proscrire ne se rendent-ils pas compte qu’ils seraient à leur tour proscrits dans un Parti unifié d’où les minorités seraient chassées ? Nous restons fidèles, nous, à la physionomie traditionnelle du Parti, à celle que définissait notre camarade Léon Blum dans son substantiel commentaire du Programme d’Action du 21 avril 1919.

« Je considèrerais, quant à moi, disait-il, comme un très grand malheur que nos camarades kienthaliens quittassent demain. Et pourquoi ? Parce que, dans ma pensée, ils représentent d’une façon particulièrement précise cette force de contemplation vers l’avenir et vers l’idéal qui est une nécessité de la vie et du développement socialistes. »

Voilà l’œuvre et l’organisation à laquelle nous sommes profondément attachés, travaillons-y tous ensemble, en donnant à notre vie intérieure le maximum d’intensité en favorisant l’expression spontanée des réflexions des militants, en diffusant toutes les idées, en sollicitant toutes les critiques et tous les efforts constructifs.

Et pour reprendre l’image qui termine le discours auquel je viens d’emprunter un passage, lorsque, comme en ce moment, des malentendus ou des oppositions risquent de nous diviser gravement, tournons-nous vers les sommets, élevons-nous ensemble au-dessus des brumes de la vallée, prenons résolument le chemin qui conduit à la conquête du pouvoir, alors, dans un élan enthousiaste vers la révolution socialiste, notre unité profonde s’imposera d’elle-même par l’immensité des tâches que nous aurons à remplir…

(Applaudissements.)


Notes

[MP1] Francis Desphilippon (1894-1965) deviendra collabo, membre de la direction du R.N.P. de Déat.

[MP2] Une des pièces annexes à la circulaire de Paul Faure convoquant ce C.N. extraordinaire.

Note de Marceau Pivert:
[MP3] « Au cours de son exposé, Marx Dormoy devait apporter une accusation monstrueuse contre la Gauche Révolutionnaire en disant: « Il y avait à Clichy 200 membres de la G.R., organisés en T.P.P.S. et participant à l’attaque du barrage de police. » On imagine quelle atmosphère cette affirmation peut créer. Avec le maximum de sang-froid j’affirme que cette accusation ne résulte que de rapports de police non contrôlés par les témoins ouvriers, par les organisations ouvrières; la preuve est facile à faire: aucun appel particulier n’a été lancé par la Gauche Révolutionnaire. Les T.P.P.S. constituent l’organisme de sécurité des deux fédérations, placés directement sous l’autorité des bureaux fédéraux, ils s’interdisent absolument toute discussion ou activité de tendance et la correction absolue de leur attitude a été reconnue dans un ordre du jour unanime de la Commission exécutive de la Seine voté le 5 avril. Je n’ajouterai aucun commentaire, si Marx Dormoy a plus confiance dans ses policiers que dans ses camarades du Parti, nous aurons certainement d’autres occasions d’en discuter. »

[MP4] Ce sera la dissolution de la G.R. et l’interdiction de sa revue. (La GR dissoute devient officiellement jusqu’en 1938 la « minorité de la C.A.P. »)

[MP5]Le 5 mars 1937 le gouvernement décide de bloquer les dépenses nouvelles sauf d’armement (avec un emprunt spécial), de réduire les crédits pour les grands travaux et de ne pas instaurer le contrôle des changes. Il n’y a plus seulement pause mais marche arrière.

 


La Gauche Révolutionnaire au congrès de 1937 de la SFIO :

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)


Pdf Word

Camarades, après notre camarade Cazanave qui a précisé la position de la minorité du Parti en face des problèmes internationaux, je voudrais préciser notre position, en ce qui concerne le cas particulier du problème espagnol, et tout particulièrement je voudrais indiquer pourquoi unanimement notre tendance s’est ralliée à la motion du Comité d’action socialiste pour l’Espagne, aux côtés de notre camarade Zyromski.

Auparavant, je voudrais préciser combien l’affaire espagnole montre que notre position traditionnelle était justifiée.

Nous sommes en principe contre la défense nationale, en régime capitaliste…

interruption de Théo Bretin. – Jamais le Parti n’a dit cela!

Serre. – Je dis – je parle au nom de la minorité de la C.A.P. – la défense nationale en régime capitaliste existait en Espagne. Vous savez ce que cela a donné: la révolte de Franco, de ses généraux et de toute l’armée. La défense nationale existait aussi en France. Il est incontestable pour qui réfléchit un seul instant que l’installation des Allemands et des Italiens en Espagne constitue pour la France un danger considérable. Est-ce que, dans ces conditions, le capitalisme français tout entier, par sa presse, par ses délégués au Parlement, jusques et y compris au sein de certains partis du Front populaire, n’a pas fait pression de toutes ses forces, par tous les moyens, pour empêcher que d’une manière quelconque, la menace de l’armée française pèse dans la balance contre les généraux rebelles espagnols, contre les Hitlériens et les Mussolini qui allaient à son secours? Dans ces conditions l’expérience est faite; la défense nationale ne jouera jamais  que contre nous, camarades; ou bien elle jouera dans le cadre d’un conflit d’intérêts capitalistes, dans lequel nous n’avons rien à voir. (Quelques applaudissements.)

De même nous nous étions méfiés de la Société des Nations et des formules de "sécurité collective". Le cas de l’Éthiopie, comme le cas de l’Espagne, nous montrent combien nous avions raison et combien il fallait attendre peu de choses d’une Société groupant des appétits impérialistes, pour lutter contre tel ou tel de ces appétits.

Mais si nous sommes révolutionnaires, nous sommes des révolutionnaires réalistes. En particulier, nous estimons que pour construire le socialisme nous devons à chaque instant utiliser les leviers de commande capitalistes, que le hasard ou l’action de nos militants a mis entre les mains de certains d’entre nous.

C’est bien, d’ailleurs, ce qu’avait voulu le Parti lorsqu’il a accepté la délégation d’un certain nombre d’entre nous au gouvernement. Il avait voulu accepter l’exercice du pouvoir en vue de la conquête du pouvoir total.

Or, qu’avons-nous vu dans le cas de la révolution espagnole. Ce qui fut instauré, ce fut la politique de non-intervention; je ne veux pas revenir sur tout ce que vous a dit Zyromski, de ses conséquences et de ses aboutissements. Toutefois, je voudrais essayer de savoir pourquoi on a abandonné la thèse de la sécurité collective, qui était celle de la majorité d’entre vous. Est-ce pour obéir à la volonté du Front populaire? Car, souvent, on nous a répété, à propos de l’affaire espagnole, que le gouvernement n’était pas un gouvernement socialiste mais était un gouvernement de Front populaire à direction socialiste. Mais il est incontestable que dans le programme de Rassemblement populaire figurait la collaboration internationale dans le cadre de la Société des Nations, en vue de la sécurité collective, pour la définition de l’agresseur et l’application automatique et solidaire des sanctions en cas d’agression.

Ce programme ne nous satisfaisait pas entièrement. Mais ce programme, qui était le vôtre, celui de la majorité du Parti, auquel nous nous étions ralliés, par discipline, ce programme qui était le vôtre, l’avez-vous appliqué? A quel moment avez-vous fait jouer la Société des Nations dans la période que nous venons de traverser? A quel moment avez-vous demandé aux peuples de respecter le droit international foulé aux pieds dans tous les domaines en ce qui concerne la République espagnole? A aucun moment la réalisation de ce programme n’a été ébauchée, à aucun moment il n’a été fait application de ce programme. (Quelques applaudissements.)

Est-donc la volonté du Parti que nos camarades délégués du gouvernement ont entendu respecter en appliquant la pseudo-politique de non-intervention? Je voudrais rappeler ici la motion qui a été votée au Conseil national en février, et je voudrais que tout de même, si on fait appel à la discipline, cet appel ne soit pas unilatéral et que lorsqu’il y a des décisions du Parti, et de ses organismes supérieurs, tous, quels qu’ils soient, aient le devoir de les respecter! (Quelques applaudissements.)

" Le Conseil national considérant que la politique de non-intervention n’a pas atteint tous les objectifs qu’elle s’était assignés et n’a pu donner les résultats escomptés du fait de l’attitude de certaines puissances, considérant que l’état de fait actuel ne peut plus se prolonger parce qu’il met en péril à la fois et la paix internationale et l’existence de la République espagnole, demande au gouvernement d’agir énergiquement afin de mettre debout un système de contrôle effectif englobant toutes les côtes de la péninsule ibérique, et lui fait confiance, s’il ne devait pas aboutir dans le plus bref délai, à des résultats pratiques pour envisager la reprise de la liberté d’action."

Comme conséquence, camarades, nous avons bien lu, le lendemain, dans le Populaire que le contrôle allait tout de suite devenir effectif. Il vous suffit de vous reporter aux événements de ces derniers mois, il vous suffit de réfléchir pour savoir ce qu’il est advenu de ce contrôle effectif?

A quel moment la République française a-t-elle repris sa liberté d’action? Jamais! Aujourd’hui encore, elle vient d’abdiquer en remettant à l’Angleterre le soin de régler la question du contrôle et de la non-intervention. Par conséquent, c’est contre la volonté unanime du Conseil national, contre la volonté unanime, je le précise parce que la motion votée était des plus timorée en face de celle présentée par Zyromski, laquelle demandait la levée immédiate de l’embargo; que par conséquent la motion votée était la motion exprimant le désir de ceux d’entre nous qui étaient le moins éloignés de la politique gouvernementale, et néanmoins cette motion n’a pas été appliquée. Il y a là un manque de discipline à l’égard du Parti, car il aurait fallu revenir devant le Parti, si les événements contraignaient nos représentants à appliquer une autre politique, justifiaient une autre politique.

Serait-ce donc que nos dirigeants ont agi suivant la volonté de l’Internationale ouvrière socialiste? Zyromski vous a dit tout à l’heure que non. Et je voudrais, à ce propos, pour vous montrer comment nous sommes jugés par les plus purs d’entre nous, dans l’Internationale ouvrière socialiste, vous lire une phrase et une seulement, de la lettre de Vandervelde à notre camarade Léon Blum, lettre que malheureusement nous n’avons pas pu connaître par l’organe du Parti, que nous avons connue seulement par le journal d’un parti voisin, et par l’Espagne socialiste. Dans cette lettre il y avait cette phrase:

"Jusqu’à quand durera ce chantage ou cette farce ridicule et tragique? Jusqu’à quand l’impartialité dérisoire dont certains osent encore se vanter prétendra-t-elle tenir la balance égale entre le gouvernement reconnu d’une nation amie et les pronunciamentos de … "

Voilà ce que dit Vandervelde. Et c’est nous, indisciplinés, qui faisons ce rappel à la discipline envers le programme du Front populaire, envers le Parti socialiste et l’Internationale ouvrière socialiste; nous faisons ce rappel à la discipline et nous demandons à nos camarades du gouvernement qui sont encore dans le nouveau gouvernement, cette fois à direction radicale, qui ne pourra qu’accentuer l’action en faveur de Franco et contre la République espagnole, nous leur demandons, camarades, ce n’est pas possible que la politique de la France soit cela! ou alors il ne faut pas que cela soit avec vous!… Nous n’avons pas le droit d’associer notre Parti à une politique qui assassine l’Espagne républicaine. ? Nous n’avons pas le droit de nous associer, par votre présence au gouvernement, nous n’avons pas le droit de nous associer à une politique qui, demain, va réclamer de nouvelles élections en Espagne, après que pour assurer une majorité au fascisme l’on aura fait couler le plus pur sang révolutionnaire en Espagne! Nous n’avons pas le droit de nous associer à cette politique et nous vous demandons: ou ayez la force, au sein du gouvernement, de faire renverser la vapeur, ayez la force d’imposer que soit respecté le droit international, ayez la force d’imposer que tous les fonctionnaires, à tous les échelons, facilitent l’action internationale de classe, en faveur de l’Espagne républicaine. Nous vous demandons d’obtenir cela, ou alors vous ne devez plus rester au gouvernement qui ferait le contraire… (Quelques applaudissements.) Nous vous demandons, à ce moment-là, de partir et, appuyés sur les masses de ce pays, de refaire un gouvernement ayant la volonté, cette fois, de sauver avec la République espagnole, la démocratie française et la paix du monde! Ce gouvernement se ferait avec vous, camarade Blum, à sa tête, ou sans vous, si vous ne vous sentez pas capable d’appliquer ce programme.

Nous vous le demandons et nous vous demandons pour cela d’appliquer également, à côté des méthodes qu’a préconisées Zyromski, les méthodes que nous préconisons nous-mêmes, à savoir l’action de classe.

Nous disons: Le droit international doit permettre le ravitaillement de l’Espagne républicaine et de l’Espagne républicaine seulement. Franco, général rebelle, ne doit pas être ravitaillé. Nous estimons que la fermeture des frontières des rebelles est une chose plus efficace que des sanctions appliquées à l’Allemagne qui pèseraient sur le peuple allemand lui-même. Nous demandons ensuite qu’avant même la levée de l’embargo, tous les leviers de commande entre les mains des camarades socialistes soient mis à disposition de tous les camarades décidés à faire, cette fois, une action internationale de classe efficace, et non pas cette comédie, qui consiste à faire passer quelques armes d’opérettes à travers la frontière. Nous demandons, camarades… (protestations de Dormoy)…  je sais qu’on a cessé de nous raconter que nos camarades du gouvernement nous ont raconté qu’on apportait une aide efficace au gouvernement de Valence ! A d’autres ! … On vous disait que j’étais peut-être de ceux qui avaient essayé de faire le plus pour l’Espagne. C’est pour cela que je sais à quels obstacles je me suis heurté et que je sais l’inefficacité de tout ce que nous avons fait. Avons-nous vu passer des tanks? Combien avez-vous passé d’avions de bombardement? Allons donc ! il faut en finir avec cette plaisanterie d’une aide occulte et importante, que l’on n’a pas le droit d’avouer en raison de la situation internationale. Non, ça n’est pas passé! Non! ça ne passe pas! Ou plus exactement ce qui est passé par-dessus la France, comme l’écrivait Prieto, ce sont les junkers allemands tout armés, qui, allant chez Franco, passaient de nuit au-dessus de la France, quelquefois avec le service des postes radios français! (Applaudissements.)

Nous demandons que cette fois l’action internationale de classe se manifeste et nous demandons qu’elle soit rendue possible par tous ceux de nos camarades qui détiennent les leviers de commande, quels qu’ils soient. Et nous prétendons que tout ceci ne risque pas d’entraîner la guerre, parce que nous demandons qu’enfin on déclare aussi la paix au monde! Nous demandons qu’on la déclare au prolétariat allemand et pour cela qu’on revienne immédiatement, sans attendre que cela nous soit imposé sur le traité de Versailles! Nous demandons en particulier que ne pèse plus sur le peuple allemand cette responsabilité unilatérale de la guerre de 1914. Croyez-vous que M. Poincaré n’avait aucune responsabilité, dans la guerre de 1914? … (Quelques applaudissements.) Il en avait! C’est pour cela, c’est en faisant appel au prolétariat international, en faisant appel aux peuples du monde entier, que nous parviendrons à sauver le prolétariat espagnol, tout en sauvant la paix. Si au lieu de cela nous continuons la politique du surarmement, camarades, demain c’est elle qui nous amènera la guerre!

On prêche la médiation; après la médiation, quand il y aura de nouveau un gouvernement capitaliste en Espagne, le surarmement étant jugé suffisant, on nous demandera peut-être cette fois, pour le fer de Bilbao qui intéressera des capitalistes, de faire jouer la défense nationale et d’aller nous faire casser la gueule!

Non, camarades, à ce moment, nous dirons: Nous ne marchons pas! et faisant appel au prolétariat du monde entier nous ferons cette fois la révolution mondiale et nous sauverons encore une fois la paix, malgré le capitalisme! (Applaudissements.)


 


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Marceau Pivert - Je veux remercier les camarades des fédérations qui ont spontanément offert à notre minorité l'occasion de faire connaître assez complètement notre position, et en particulier nos camarades Benoît, des Vosges, Auberger, de l'Allier, Fischer, de l'Aisne, Levant, de Seine-et-Oise, qui ont abandonné leur tour de parole en faveur d'un exposé dont je prie le Congrès d'excuser à l'avance à la fois la durée et la tonalité.

Comme on pouvait le prévoir, nous entrons en effet, camarades, dans une période de lutte sociale aiguë. Au cours de cette période, nous sommes décidés à nous abstenir de toute considération sentimentale, ou autre, comme de toute polémique subalterne. Nous voulons, en outre, résister à toute tentation de « suivisme » ou de « conformisme », car nous en connaissons les périls.

Etant donné certaines manifestations un peu trop renouvelées, il n'est peut-être pas superflu de rappeler à ce propos les vers de notre Internationale « Producteurs, sauvons-nous, nous-mêmes ! » et « Ni Dieu, ni César, ni Tribun ! »

En faisant cet effort, nous restons fidèles à la pensée laïque de Jaurès, lorsqu'il disait : « Si Dieu lui-même se présentait devant les multitudes, le premier devoir de l'homme serait de le traiter d'égal à, égal, non pas comme un maître auquel on obéit, mais comme un citoyen, avec lequel on doit discuter. » (Applaudissements.)

Nous savons bien que nous serons encore demain une cible de choix pour la bourgeoisie : c'est pour nous une habitude. Pour les attaques, les perfidies, les colères de tous les journaux fascistes ou pseudo-fascistes, nous disons : « Tant mieux qu'ils nous attaquent! » Mais d'autres attaques nous sont plus pénibles : ce sont celles des camarades du Parti qui ne veulent pas faire l'effort de compréhension réciproque que nous essayons nous-mêmes, de faire, à leur égard. Naturellement, cela ne nous empêchera pas de continuer ! Toutefois, nous nous refusons à endosser des étiquettes qui n'ont rien de commun avec notre véritable pensée. Nous ne sommes pas des tolstoïens, nous ne sommes pas des trotskistes, nous sommes tout simplement des socialistes qui croyons être fidèles à la Charte fondamentale de notre Parti. (Applaudissements.)

Et puis après tout, qu'importent les étiquettes et les appréciations, nous faisons ce que nous croyons devoir faire, sans plus. « Fais ce que dois, advienne que pourra. Voilà notre devise, camarades »

C'est exclusivement l'intérêt du Parti, qui nous préoccupe. D'un parti qui a vécu très longtemps dans une période de démocratie bourgeoise, ascendante ou stable, et qui par conséquent a été plus ou moins consciemment influencé par certaines habitudes de la vie de la démocratie bourgeoise, d'un parti surtout électoral et parlementaire. Nous voulons faire un parti puissant, idéologiquement et organiquement armé pour les luttes décisives de classes vers lesquelles nous allons à grand pas ; telle est la tâche à laquelle nous consacrons toutes nos forces et aussi toute notre foi dans notre Parti et dans le Socialisme. (Applaudissements.)

C'est pourquoi nous répudions toutes les illusions, toutes les confusions, toutes les résignations, toutes les capitulations. Nous avons notre sincérité, nous ne mettons pas en doute la sincérité des camarades qui ne pensent pas comme nous ; et lorsque des camarades à qui nous unissent des liens d'affection, se croient blessés par ce que nous disons, nous leur demandons de considérer que les liens d'affection sont une chose, mais qu'une conception politique rigoureuse en est quelquefois une autre. Aussi, à notre avis, le meilleur moyen de montrer qu'on estime des camarades, ou d'essayer de mériter leur amitié, c'est de leur dire, totalement, intégralement, sans réticence, ce qu'on pense sur leur attitude politique. (Applaudissements.)

Camarades, vous me permettrez de résumer d'abord quelques souvenirs relatifs à la période que nous avons vécue il y a un an. Je le ferai par rapport à la définition d'une ligne politique de classe, seule capable de déterminer le rassemblement de toutes les bonnes volontés, au milieu de la tempête dans laquelle nous sommes déjà engagés. Et je dirai à ceux qui nous répètent - et je l'entendais encore tout à l'heure - : « Allez dire cela aux radicaux, allez dire cela aux communistes», non, camarades, nous disons cela au Parti et, au-delà du Parti, à la classe ouvrière, nous disons ce que nous croyons être juste dans la période que nous vivons, et nous pensons que l'affirmation des vérités socialistes traditionnelles, est peut-être le meilleur moyen actuellement de rehausser plus que jamais le prestige de notre Parti socialiste.

Voyons, en effet, ce qui se passait il y a quatorze mois. On m'a assez reproché cette formule : « Tout est possible. » Nous avons assisté à une conjugaison extraordinaire d'efforts pour démontrer que c'était vraiment exagéré. Pourtant, aujourd'hui, il y a des camarades qui disent : « Mais il avait peut-être raison » ; et je suis certain, camarades, je le dis et je prends date, qu'aujourd'hui il y en a parmi vous qui ne seront pas d'accord avec nous, mais qui, dans quelques mois, quand ils verront que vous êtes descendus encore bien plus bas, viendront nous dire : « Oui, vous aviez raison, à ce moment-là » (Applaudissements.) Je ne dis pas cela par une sorte de méprisable prétention, camarades, mais simplement par certitude que les faits d'hier se reproduiront demain. J'ai reçu les notes que j'ai prises à la séance de la CAP, le 6 mai, et je me permettrai de les relire - je ne relirai que ce qui intéresse le débat - pour mettre en évidence notre divergence initiale.

Je proposais, à ce moment, de provoquer la démission du ministère Sarraut (RD1) et d'exiger la constitution immédiate du ministère de combat de Front populaire. Et je proposais que toutes les forces de combat du Front populaire soient invitées à y participer. On l'a fait d'ailleurs, mais un mois plus tard, à ce moment-là nous disions : « Si tout le monde ne participe pas, alors un gouvernement socialiste homogène doit se présenter devant le Parlement, et mettre chacun au pied du mur; avec son programme et celui du Rassemblement populaire. » C'était une tactique ; elle n'a pas été suivie. Bien ; Mais ce qui est important, c'est ce qu'à ce moment-là on nous a répondu : « Non, il vaut mieux attendre. » Maintenant, l'exposé du bilan financier de Vincent nous a révélé une fuite de quatre milliards un quart au cours de ce mois d'attente. Nous dénoncions ce péril. Je disais à la CAP. : « Mais les capitaux fichent le camp. » On voyait partir chaque jour les lingots par les avions du Bourget, l'hémorragie était assez inquiétante.  Je demandais qu'on la jugule. Mais notre camarade Blum disait (je crois d'après mes notes que c'est à peu près exactement sa formule) : « Je souhaite que le mouvement d'exportation de capitaux s'arrête. Il vaut mieux attendre des délais normaux pour ne pas commencer avec toutes les difficultés à la fois. Les sorties d'or ne m'impressionnent pas. Il s'en est produit sous Laval  et sous Flandin, mais l'or est ensuite revenu ». Et je lui disais : « Mais au moins prenez l'identité des exportateurs, prenez des précautions pour pouvoir faire un certain contrôle et réprimer les manœuvres spéculatives. » Mais il nous démontrait que cela conduirait à des mesures de coercition, peut-être même à l'embargo, et qu'il préférait ne pas créer cette situation délicate, il préférait surtout la situation telle qu'elle était, plutôt que d'être obligé de faire la dévaluation.

Il ajoutait et concluait : « Soyez patients, nous devons réussir, c'est une partie qu'il faut gagner, par la patience et l'habileté. »

Camarades, notre maître à tous, c'est l'expérience. Nous sommes obligés de constater que peut-être personne, je ne dis même pas dans notre Parti, mais dans le personnel politique de notre pays, n'était plus qualifié que Léon Blum pour mettre de l'habileté et pour mettre son talent et son dévouement au service d'une certaine politique. Est-ce qu'elle a réussi, camarades ? Est-ce que la patience et l'habileté ont suffi à juguler les manœuvres du capitalisme, à faire appliquer dans ce domaine financier le programme du rassemblement populaire. Je pose la question.

Castagnez - Paul Reynaud ! (RD2)

Le président - Silence !

Marceau Pivert - Je méprise les interruptions de manière à ne pas donner lieu à n'importe quelle provocation.

Castagnez - Ce n'est pas une provocation, je n'admets pas qu'il parle de provocation, car c'est lui qui est le provocateur !

Le président -  Non, non ! vous n'avez pas la parole !

Castagnez - Je dis que Paul Reynaud a mieux expliqué cela que lui !

Le président - Marceau a raison de ne pas répondre. Tu n'as pas la parole, C'est une provocation que d'interrompre.

Castagnez - C'est une provocation de, parler comme il fait !

Le président - Tu n'as pas la parole !

Marceau Pivert - Je demande au camarade interrupteur de ne pas s'exciter comme cela, car la situation est sérieuse.

L'illusion qui était à l'origine de ces événements, c'est celle que nous avons encore à détruire. Au lieu d'attaquer, on recherche par la ruse, par le compromis, la supériorité sur l'adversaire. Mais l'adversaire est toujours là, et la ruse et le compromis, au lieu de nous conduire au succès, incontestablement l'ont plutôt servi, tout en nous détournant de la véritable solution. En effet, on voulait écarter la dévaluation ? Mais elle s'est imposée, il y eu a eu d'autres, il y en aura peut-être d'autres. Certes, la situation financière n'est pas seule en cause et je serai le premier à reconnaître, en dépit de toutes nos critiques et de nos observations, le bénéfice considérable, historique, que les lois sociales ont apporté à la classe ouvrière de notre pays. Ce bénéfice, camarades, a été le résultat de la conjugaison de l'action gouvernementale que nous avions voulue, mais aussi de l'action directe dont la classe ouvrière a pris l'initiative et que nous avons toujours préconisée. (Applaudissements.)

Et ceux des camarades qui invoquent cet argument « Mais c'est parce qu'il y a eu une victoire électorale », n'oublient qu'une chose : c'est que la victoire électorale n'est pas tombée du ciel. Elle a fait suite à d'autres actions directes du prolétariat, car ça n'est pas le bulletin de vote qui est le moteur des événements : c'est la grève générale du 12 février, par exemple, ou la protestation vigoureuse, héroïque de Brest et de Toulon contre les décrets-lois, c'est cela qui a fait mûrir le succès du Front populaire  sur le terrain électoral. (Applaudissements.)

Seulement, la divergence initiale de nos conceptions réapparaît là aussi, car à partir du moment où on ne fait pas confiance à cette interprétation des faits (à savoir que le moteur des événements n'est pas dans les ministères; dans les couloirs de la Chambre ou du Sénat, mais dans les décisions autonomes de la classe ouvrière, et dans son action directe de masse, à partir de ce moment-là, évidemment, il y a fatalement des divergences tactiques entre nous on l'a observé tout de suite, on a demandé à la classe ouvrière de rentrer tranquillement, dans « l'ordre, d'évacuer les entreprises, on a demandé cela gentiment, quand c'était un gouvernement à direction socialiste ».

En ce moment, c'est déjà changé : lisez le Temps d'hier soir, et vous verrez les succès qu'il enregistre par rapport à l'année dernière ! « L'autorité légale exerce aujourd'hui sa mission : l'ordre est maintenu. Des essais d'occupation de quelques cafés échouent immédiatement : le respect de la légalité marque actuellement un progrès dans les mœurs gouvernementales. »

Ainsi, la bourgeoisie, elle, ne s'y trompe pas. La bourgeoisie, sait parfaitement conduire son jeu, et après avoir été désarçonnée, elle a vu très vite le profit qu'elle pouvait tirer de la situation.

J'ai retrouvé sur ce point une sorte de pronostic extrêmement curieux, dans une revue dite de gauche : « Marianne » ; et sous la signature d'Emmanuel Berl, le 27 mai 1936, voici comment sont traduits les sentiments de la bourgeoisie :

« La bourgeoisie a senti que le Front populaire n'est pas autre chose qu'une modalité du Front patriotique. Du gouvernement futur, nous attendons l'accroissement de nos sécurités diplomatiques et militaires. Nous avons besoin d'augmenter notre puissance défensive, nous pensons que la France  n'a pas le réseau routier qu'il faut aux unités motorisées des armées modernes. Nous manquons de chars, de canons antichars... Le premier devoir du Front populaire est de combler cette lacune et de mettre notre armée au point. »

Ainsi, camarades, le jeu de la bourgeoisie reprend la priorité sur les intentions les plus louables de nos représentants. Car en effet, c'est très peu de semaines après les mouvements de juin, que s'imposent les volontés de l'Etat-Major qui, lui, n'a pas changé, et qui interprète beaucoup plus que ce qu'on appelle la Défense nationale, les intérêts permanents de la Défense de classe de la bourgeoisie.

On n'a alors accepté les crédits militaires, les cent millions de crédits militaires par jour. On n'a opposé aucune résistance, en dépit des engagements pris devant le pays et devant le Congrès, pour revenir au service à court terme. On s'est engagé dans cette voie avec une double volonté de résignation et de complicité. En somme, on a satisfait aux besoins et aux exigences de la bourgeoisie, sur le terrain militaire.

Les conséquences financières et politiques ont été celles que vous connaissez. A partir du moment où on a annoncé au monde qu'un plan de 20 milliards de dépenses militaires allait être engagé, alors le franc ne pouvait plus tenir; alors la dévaluation est devenue inévitable et après la dévaluation on s'est engagé un peu plus avant dans cette politique de recherche du compromis; on a fait les manœuvres de défense passive, on a fait un 11 novembre d'Union sacrée, où pour la première fois les élèves des écoles libres et des écoles laïques ont défilé ensemble. On a fait l'emprunt de Défense nationale, un peu plus tard. J'en passe !.., et c'est, Camarades, ce qui explique qu'on ait été amené à considérer comme des alliés toutes les forces de l'Etat capitaliste et les cléricaux eux-mêmes - je le dis aux camarades qui sont sincèrement et je pense, unanimement, soucieux de défendre la laïcité - il faut choisir ... On a fait appel au cardinal Verdier pour venir faire à la radio un appel aux capitalistes ! On fait aujourd'hui des réceptions avec le préfet, avec M. Yvon Delbos, au représentant du pape; le nonce Pacelli ; on donne l'occasion aux masses demain fascistes, de faire des rassemblements formidables, comme celui de Lisieux, avec la complicité du gouvernement dit de Front populaire ! Camarades, tout cela c’est la conséquence de votre politique dans laquelle tout s'enchaîne implacablement. (Applaudissements.) Pendant ce temps-là, on a dû abandonner le programme du Front populaire dans certaines de ses dispositions les plus modestes.

Quoi, camarades? Les questions financières peuvent évidemment permettre d'expliquer certaines difficultés. Mais combien cela coûte d'abroger les lois scélérates? Pourquoi ne les a-t-on pas abrogées, les lois scélérates ? Pourquoi, dans l'amnistie, a-t-on laissé de côté les objecteurs de conscience ? (Applaudissements.) Tout simplement parce que la bourgeoisie, là-dessus, est féroce et ne veut rien céder. (Applaudissements.)

Et le fonds national de chômage? La Caisse des calamités agricoles, la retraite aux vieux, la destruction des trusts de presse et de publicité; la suppression de la fraude, le contrôle des sorties de capitaux ?... Je ne parlerai même pas de la fameuse question de l'épuration à propos de laquelle plusieurs orateurs ont déjà fait observer que nous n'avons pas donné l'impression de vouloir vraiment nous battre contre l'adversaire. Et pourtant combien de défaillances graves, dans ce domaine ! Devant la gravité des conséquences d'une telle politique, nous vous avons alertés; nous avons réagi ; nous vous avons parlé franchement.

Alors on nous a reproché notre attitude comme une sorte de trahison, parce que nous n'applaudissions pas, parce que nous nous refusions à faire du bluff ! On nous disait : « Vos maladresses et vos impatiences risquent de tout compromettre. » Evidemment ! c'était « le lampiste » qui avait « tort » !

Mais, camarades, votre adresse, votre patience, ou est-ce que cela nous a conduits ? Aujourd’hui, la crise financière s'est développée. Elle a été analysée cruellement par des orateurs qui étaient très loin de nos positions, il y a seulement six mois. Aujourd'hui, nous voyons se reproduire le même phénomène qu'en 1925. Mais nous allons observer une terrible différence : nous allons nous rendre compte de l'affaiblissement politique du Parti depuis cette époque. Il s'agissait alors d'une bataille purement parlementaire, tandis qu'aujourd'hui c'est la bataille sociale dans toute son ampleur.

Or, dans cette bataille parlementaire de 1925, le Parti avait une attitude claire, qui lui a permis, d'ailleurs, de se développer. Paul Faure nous a souvent rappelé cette crise devant le Congrès. Voici ce qu'il nous disait à Lyon : « Nous avons été à plusieurs reprises appelés par Herriot. Nous avons trouvé en face de nous un homme hésitant, un homme troublé, un peu désaxé, un peu effrayé par les puissances infernales du capitalisme, que cet apprenti sorcier de la démocratie avait déchainées et dont il avait peur. »

Pendant dix ans nous avons laissé croire que lorsque ce serait notre tour, ça changerait. C'est Jules Moch qui disait à Mulhouse : « Croyez-vous qu'un gouvernement engageant la lutte, affichant dans toutes les communes de France des tractations étranges entre M.de Wendel et la Banque de France, croyez-vous, que ce gouvernement n'aurait pas eu derrière lui tout le vaste Front Populaire ? Ne croyez-vous pas qu'un tel geste eut pu servir la propagande de notre Parti devant le pays tout entier ? »

Nous étions d'accord, nous étions unanimes à ce moment-là, mais dès que l'expérience a commencé, une certaine manière de concevoir l'exercice du pouvoir nous a mis en présence de divergences sérieuses entre nous.

Tenez, le petit fait qu'hier notre ami Vincent [Auriol] a mis en évidence, va nous permettre de saisir comment nous concevons, nous, la lutte contre l'ennemi de classe. Il s'agit d'une chose grave que nous aurions souhaité qu'il dise en dépit de toutes les traditions, car ce, qui compte le plus, pour nous, c'est de parler clair, et fort, au peuple de ce pays, qui ne sait pas assez les procédés de corruption effroyables déployés par le régime capitaliste. A la transmission des pouvoirs, Vincent apprend que tous les ministres des Finances touchaient une ristourne de 25 % sur les fonds de publicité distribués par l'Etat à l'occasion des émissions d'emprunts et autres opérations. Eh bien ! camarades, ces hommes qui nous font la leçon, ces hommes qui ont l'audace de nous accuser maintenant, on n'a osé ni les frapper avec cette arme tombée entre nos mains, et on n'a pas dit que Flandin, que Régner, que Georges Bonnet, qui a été lui-même ministre... (vifs applaudissements) ont touché ! Camarades, nous nous battons avec la bourgeoisie, mais elle nous aura avec ses armes si nous hésitons à la frapper avec les nôtres ! (Applaudissements.) Hélas ! on ne l'a pas fait!...

Vincent Auriol - Marceau Pivert... (RD3)

Le Président - La parole est à Auriol, une seconde.

Vincent Auriol - Vous citez des noms, vous citez des faits. J'ai cité des faits, je n'ai pas cité des noms...

Marceau Pivert - Ils ont été ministres des Finances !

Vincent Auriol - Mais j'ai fait mon devoir, quand j'ai pu le dire. Je n'accepte pas que vous me donniez une leçon, et je dis ceci : tout ce que vous dites, c'est l'accusation que pendant un an Blum et ses amis ont trahi... (Applaudissements.)

Marceau Pivert - Non ! Non ! (Vifs applaudissements, Bruit dans toute la salle.)

Le Président - Silence, camarades !

Vincent Auriol - Alors pourquoi, maintenant, il faut que nous recommencions? Ce qui est terrible, voyez-vous, sans doute vous planez au-dessus de tous, des hommes et des choses, et sans doute ce n'est pas Blum, ni moi qu'il faudra faire venir, c'est Pivert ! (Applaudissements.)
Je vous l'ai dit, hier, il faut quand on examine les faits, les examiner avec l'intelligence humaine et non pas avec l'intelligence divine, Marceau Pivert. Et je vous dis une chose, c'est que ce que vous faites en ce moment, est le coup dur porté devant le pays... (Non! Non! Applaudissements)

Le Président - Silence ! Silence !
(Auriol continue à parler dans le bruit.)

Le Président - Silence, camarades, voyons !

Vincent Auriol - Et vous le savez !(Protestations diverses.)

Le Président  - Je demande aux camarades, voulez-vous me laisser diriger les débats ? Je demande aux camarades d'écouter Vincent Auriol, et je demande aux amis de Marceau Pivert de laisser à celui-ci le soin de lui répondre. (Applaudissements. Bruit.)
Silence ! Ecoutons !

Vincent Auriol. - Car Marceau Pivert (Protestations diverses.)

Le Président - Si l'on fait du silence, on entendra Vincent Auriol. Faîtes silence, je vous en prie ! (Bruit.)
Je demande encore une fois aux camarades des tribunes... tout à l'heure, je leur ai demandé de ne pas applaudir ; je comprends qu'il est difficile de ne pas manifester son opinion, mais pour interrompre je demanderai l'exclusion!

Vincent Auriol - Ecoutez, j'ai fini; Marceau Pivert... Il m'a demandé, il y a six mois, d'aller présider le banquet de la 15ème section, j'y suis allé...

Marceau Pivert - C'est réciproque...

Vincent Auriol - Je le sais très bien, je le crois encore son souci de... Je veux lui dire, j'ai peur, Marceau Pivert - je le dis de toute la sincérité de mon âme - non pas de toi, mais de tous ceux qui te poussent et de tous ceux... (Protestations à gauche. Applaudissements.)

Le Président - Il répondra ! Marceau Pivert répondra, voyons !

Vincent Auriol - Ce n'est pas possible ! Il n'est pas possible que tu ne sentes pas, en ce moment, que
toute la critique que tu fais de notre action, est dirigée non pas contre nous - nous ne comptons pas – mais contre le Parti ! (Vifs applaudissements. Acclamations.)

Le Président - Camarades, il est bien entendu que cet incident qui a pris dix minutes a été pris sur le temps de Marceau Pivert, et que celui-ci pourra en tenir compte.

Marceau Pivert - Mes chers camarades, je pense qu'en dépit des accusations ou des interprétations fâcheuses qui peuvent m'accabler, surtout lorsqu'elles viennent d'un ami qui m'est cher, je vous prie de le croire... (Bruit.) Mais oui, camarades, je fais mon devoir... (Hou ! Hou ! Applaudissements. Sifflets d'une partie de la salle.)

Le Président - Camarades, je vous demande de vous abstenir de ces coups de sifflets, c'est indigne d'un Congrès de notre Parti.

Marceau Pivert - Vincent sait, Léon Blum sait que c’est en effet une différence de tonalité et de conception de l’utilisation des armes que nous avons entre les mains qui nous a opposés souvent, et je le leur ai dit à chaque instant. Est-ce que je dois me taire, quand je sens qu'il y a des armes qui nous échappent; et qui vont entre les mains de la bourgeoisie, camarades ? Je ne peux pas me taire ! (Applaudissements.), Et je dis que c'est au contraire faire la preuve que notre Parti est grand, qu'il est capable de maîtriser tout cela, et que c'est lui faire confiance que de dire : les hommes que nous avons portés au gouvernement doivent savoir ce que nous pensons de ce qu'ils ont fait avec dévouement et bonne volonté, et ils doivent savoir aussi que les militants exigent qu'ils recommencent, en faisant mieux et en tenant compte fidèlement de toutes les suggestions que nous apportons maintenant. (Applaudissements.)

Mais si j'avais à me justifier des reproches que nous avons été amenés à faire, d'être trop gentils, comme je l'ai dit à Léon Blum dès le début, avec des adversaires impitoyables, et implacables, si j'avais à me justifier en revivant ces événements de 1925, je trouverais dans Léon Blum lui-même, la plus éclatante confirmation de ces critiques. Car, en effet, camarades, l'autre jour au Sénat, Léon Blum a dit aux sénateurs : « Si nous avions demandé les pleins pouvoirs, en juin, je suis certain que vous nous les auriez consentis, dans les termes que nous aurions voulus. »

C'est donc la preuve que nous avions raison ? Quand le mouvement de masse était dans la rue et dans les usines, c'est à ce moment-là qu'il fallait arracher le maximum. (Vifs applaudissements.)

Or, au lieu de cela, on n'a pas pris les méthodes que nous souhaitions et que nous proposions et cela nous a menés devant le fait accompli de la démission de Léon Blum sans que le Parti soit mis au courant, sans que la CAP ne soit même consultée.

Or, voici ce que notre camarade Léon Blum nous disait à Lyon, à propos des événements de 1925 :
« … La faute que je me reproche le plus à moi-même, c'est, au lendemain de la chute d'Herriot, alors que nous avions vraiment sommé Herriot de continuer la bataille, de ne pas céder devant le Sénat, alors que nous avons sommé les autres partis de la Chambre, de reconstituer contre le Sénat le gouvernement Herriot, et de n'en pas tolérer d'autre, et après que tous ces efforts avaient échoué, c'est de ne pas avoir demandé au groupe l'autorisation de monter à la tribune pour dire : « Eh bien, en ce qui nous concerne, il y a quelque chose qui est fini, cette bataille nous sommes prêts à la continuer, mais nous n'accepterons plus la direction des autres! Nous vous avons prêté, toutes nos forces, tout notre soutien avec loyauté et abnégation, sans défaillance. Vous avez essayé, vous n'avez pas réussi ; nous sommes prêts à recommencer, quand vous voudrez, mais en tenant, nous, la barre, en menant, nous, la bataille. Le reproche que je me suis fait, c'est de n'avoir pas saisi cette heure-là. Oui, ce langage aurait été compris de beaucoup d'hommes en dehors de notre Parti dans la Chambre et de beaucoup plus d'hommes encore dans le pays ; et en envisageant aujourd'hui ces possibilités de bataille, c'est je crois, à nous désormais qu'il appartient de les conduire et de leur donner une direction. »

Camarades, un parti, un homme ne se diminue jamais quand il reconnaît ses erreurs, lorsque le plus grand d'entre nous se trompe, cela peut avoir des conséquences les plus graves, est-ce que c'est le diminuer ou nous diminuer que de regarder les faits tels qu'ils sont ? Alors nous disons : l'erreur est bien plus grave maintenant ; on a fait la même chose qu'en 1925. Mais le 20 juin, c'est douze ans après, au cours d'une crise sociale beaucoup plus profonde, ce sont des possibilités énormes que nous avons laissés échapper et pas seulement une majorité parlementaire, une majorité à la Chambre, certes, comme jamais il n'y en a eu, mais aussi une majorité dans le Front populaire, dans le pays. Le prestige énorme de Léon Blum dans le pays, et dans le monde, c'est également une arme dont nous disposons.  Enfin, la volonté de lutte des masses, était évidente. On n'a pas voulu y faire appel. On s'est limité à des opérations dans les couloirs parlementaires. Les batailles se sont déroulées dans les commissions. Et les masses attendaient.

Camarades, ces possibilités énormes, êtes-vous bien surs que nous aurons souvent l'occasion de les reconstituer ? Est-ce que nous devrons encore nous reprocher d'avoir laissé passer l'heure ? Eh bien, nous vous le disons, il est encore temps, le mouvement de masse est encore là.

Castagnez - A Clichy ! (RD4)

Marceau Pivert - Il est prêt, et je dis aux camarades de province qui, tout à l'heure, avaient l'air de dire qu'à Paris on en parle, mais on n'en fait pas...

Castagnez – Clichy !

Le Président - Castagnez, je vous en prie ! Voilà comment on provoque des incidents. Castagnez, ici il n'y a pas de possibilité de rappeler à l'ordre, mais enfin. C'est cela qui provoque !

Marceau Pivert - J'aime assez mon Parti pour subir en silence, certaines calomnies effroyables que les Croix de Feu reprennent, quand je fais des réunions dans le pays !(Bruit.)

Le Président - Allons, tenez-vous tranquilles, là-bas !

Castagnez - J'ai dit : Les masses de Clichy, et rien de plus !

Marceau Pivert - Je fais observer aux militants comme Castagnez, qu'ils ne se montrent pas à la hauteur des circonstances,  s'ils ne savent pas écouter des choses qui ne leur plaisent pas. Vous en entendrez d'autres, et par vos électeurs eux-mêmes. (Applaudissements.) Donc, à Paris, c'est-à-dire dans la ville du 6 février, nous avons pu éprouver la volonté de lutte des travailleurs...

Le Président - Voulez-vous ne pas tenir un petit Congrès, là-bas dans le fond, s'il vous plait !

Marceau Pivert - ... Notre divergence se retrouve toujours à propos de la conception du Front populaire et du mouvement de masses qui le soutient. L'autre jour, nous avons manifesté non sans risque le 21 Juin, pour rectifier le cours des événements. Le Parti n'a pas voulu prendre cette méthode. Par contre, on a tout essayé pour donner satisfaction aux capitaux qui ne voulaient pas rentrer; devant le Sénat, le 19 juin, Vincent résumait ses concessions en ces termes : « Vous avez voulu la liberté des capitaux, on vous l'a donnée ! Vous vouliez des garanties pour ces capitaux, vous vouliez qu'on freine les dépenses ? Mais le 5 mars, on a fait l'un et l'autre. »

Hélas ! cela ne suffit pas encore ! Aujourd'hui nouvelle descente ; ça ne suffira pas encore, il faudra aller plus loin. Déjà nous avons, par notre faiblesse, laissé faire une opération étrange dont tous les militants socialistes ont été révoltés : c'est cette opération politico-financière que j'ai analysée devant le Conseil national du 22 juin. On a remplacé notre camarade Blum par M. Chautemps, et Vincent Auriol par Georges Bonnet (RD5) ; on a introduit au gouvernement ces amis singuliers du Front populaire qui s'appellent Queuille, Chapsal, etc: Faut-il rappeler qui est M. Georges Bonnet ? Et comment il préférait encore la politique financière de Laval à celle du gouvernement de Front populaire, au mois de septembre dernier?

« Il faut que les capitaux viennent s'investir dans les pays qu'ils ont quittés. Alors seulement pourront être réalisées cette baisse des taux de l'intérêt, cette conversion volontaire des rentes qui marqueront le succès définitif de votre dévaluation. Mais on ne peut avoir l'espoir de voir revenir les capitaux évadés que si le climat est favorable, l'ordre social parfaitement maintenu... Et si toutes les mesures de nature à écarter le retour de la situation actuelle, ont été prises. Il faut donc ranger au magasin des accessoires, au moins pour un temps limité... - c'est toujours pour un temps limité ! - toute une série de tortures à l'usage des capitaux. »

Ainsi donc, d'après Georges Bonnet, il faut revenir à la politique du libéralisme, qui a toujours été dénoncée par de nombreux orateurs socialistes. Telle est pourtant la signification du ministère Chautemps, à la filiation duquel la banqué Lazard n'a pas été étrangère.

M. Marcel Lucain expliquait le 26 juin, dans Paris Midi, son caractère véritable :

« Transition et solutions sont en cours ou en chantier. Entre temps, la situation politique évolue ; la direction est passée du socialisme au radicalisme et, cet événement à lui seul avait une portée historique. Le « Rassemblement républicain » défini par M. Chautemps n'est pas une expression simplement symbolique. Il s'appuie sur la reprise des leviers de commande par le radicalisme, sur la collaboration confiante avec les deux Assemblées, c'est-à-dire sur le retour à la Constitution et aux institutions. Il s'est donné pour assises la « pause » véritable, le libéralisme, la paix civique et le travail. »

Eh bien, camarades, voilà où nous retrouvons sans peine à la suite de la mauvaise orientation initiale : reculer, conserver, piétiner, ne pas vouloir se battre, cela mène à capituler et quand on annonce qu'on ne veut pas se battre on donne ainsi une arme terrible à l'adversaire : les effets de cette résignation apparaissent dans les plus petits détails. .

Hier à propos du Populaire nous avons appris l'augmentation des taxes postales portées de un centime à trois centimes. Cela signifie que nous faisons une politique de classe, mais pas de la nôtre. Laisser à un centime les taxes qui frappent les publications, ce serait tout à fait normal, car la circulation des idées et des informations est pour nous quelque chose de vital. Mais porter à cinq centimes les catalogues de publicité, que sont la plupart des grands journaux, cela c'est une politique de classe, que l'on aurait pu faire, même à l'occasion des décrets-lois, même avec les pleins pouvoirs de M. Bonnet. Mais celle-là, on ne la fera pas ! Sous prétexte de mettre tout le monde sur le même plan, en fait, comme d'habitude, c'est la classe ouvrière qui est la plus touchée !

Par contre, on peut dire que les projets et la situation financière prennent leur véritable caractère; quand on sait qu'ils sont dus à M.le marquis de Boisanger, adversaire déclaré et opiniâtre du Front Populaire… Ce fameux marquis, bien connu du Syndicat des contributions indirectes, a reçu la récompense de ses manœuvres, puisqu'il est maintenant le directeur de cabinet de M. Georges Bonnet.

En résumé, camarades, la politique de classe de la bourgeoisie s'impose à partir du moment où l'on ne peut pas, où l'on ne veut pas, où l'on n'ose pas faire passer la politique voulue par le pays. C'est l'inflation, c'est la dévaluation - je m'étonne qu'on en ait pas démontré le mécanisme - peut-être n'osera-t-on plus, maintenant, comme on l'a fait en septembre, démontrer imprudemment à l'avance que les prix ne doivent pas hausser à la suite de certaines opérations monétaires. Camarades, vous demanderez aux municipalités comment elles vont s'arranger pour équilibrer leur budget, comment les constructions d'écoles, les grands travaux vont se développer. Hélas ! il faudra en faire son deuil. Dès maintenant, le choix qu'on a fait a pour conséquence le succès de la politique des banques, de la politique voulue par le gros capitalisme financier, qui a été assez fort pour chasser notre gouvernement, et pour imposer le sien, celui de la banque Lazard. Dès maintenant, ce gouvernement va s'employer à faire peser sur la classe ouvrière les charges de la crise ; c'est pourquoi notre conclusion est la suivante : Retrait des ministres socialistes, refus de laisser la crise capitaliste se développer contre les travailleurs par l'utilisation du Front populaire, alors que les trusts ne sont pas touchés.

Vous trouverez, dans le Bulletin Socialiste, la démonstration par l'examen des bilans des trusts que ceux-ci, à la fin de l'année, auront augmenté leurs profits, car lorsqu'il y a eu des augmentations de frais généraux, ils en ont profité pour majorer abusivement leurs prix de revient.

Alors nous arrivons à cette conséquence économique qui est extrêmement sérieuse pour la situation du Parti : ce sont les classes moyennes, ce sont les petits artisans, ce sont les petites entreprises qui font les frais de l'opération. Hier, nous avons entendu, à ce sujet, un discours surprenant, qui nous a « épouvantés », (RD6) cependant son point de départ était réel, mais son interprétation était très éloignée de celle que nous devrions entendre dans un Congrès socialiste. Notre camarade Berlia vient nous dire : « L'imprimerie devient impossible, les typographes ne sont vraiment pas raisonnables. »

Mais, camarades, attention ! Vous traduisez-là, en effet, les difficultés d'une petite entreprise gérée par des socialistes. Ce sont d'ailleurs les mêmes difficultés partout, quelle que soit l'étiquette politique des gérants; le petit entrepreneur, à côté de vous, va rencontrer aussi ces difficultés. Alors, attention à votre interprétation. N'oubliez pas que les charges sociales nouvelles sont la contrepartie de l'élévation du niveau de la vie de la classe ouvrière, conforme à nos engagements, et si vous allez dire à la classe ouvrière qui se défend sur le plan syndical en vertu d'un réflexe de classe qui est le sûr réflexe, le bon réflexe, si vous allez dire qu'elle doit, elle aussi, consentir des sacrifices, vous n'accomplissez plus, à ce moment-là, votre rôle de parti de classe. Il faut premièrement dire aux ouvriers que non seulement ils doivent maintenir et développer par leur force syndicale, leurs exigences à l'égard de l'employeur et deuxièmement il faut dire aux petits entrepreneurs que les solutions socialistes, c'est-à-dire l'attaque contre les trusts, et l'expropriation des grands monopoles de fait, sont les seuls moyens de permettre l'aménagement de la situation créée aux petites entreprises.

Si vous ne faites pas cela, vous prenez l'attitude des classes moyennes sans boussole, proie facile pour le fascisme, comme on l'a vu en Allemagne, ou en Italie, c'est-à-dire que vous encouragez ceux qui se tournent à la fois, en apparence tout au moins, contre le grand capital (mais ils se laissent bientôt tromper par la démagogie fasciste) et surtout contre les marxistes et la classe ouvrière dont ils se croient les victimes. C'est ce point particulier sur lequel, je vous invite, camarades, à vous pencher, car dans les mois qui viennent il faut que le Parti trouve une solution dans sa propagande à cette redoutable contradiction interne du régime capitaliste.

C'est pourquoi nous apportons ici encore plus énergiquement que jamais notre interprétation générale de la situation. Comment? Vous entendez partout les doléances et des cris de détresse, les camarades de l'Afrique du Nord viennent vous dire : le peuple crève de faim ! Ne sentez-vous pas que la misère dans les campagnes n'est pas sensiblement atténuée pour les ouvriers agricoles, ou si elle a été atténuée par l'Office du blé et la hausse des prix, cela va être repris par les conséquences de la dévaluation ?

Il y a là, sous nos yeux, tout un monde qui est en train de mourir. Refuserons-nous d'entendre ces appels désespérés ? Refuserons-nous d'ouvrir la voie vers le socialisme ?

Camarades, il y a là une question de stratégie et un Parti comme le nôtre doit la résoudre. Lorsqu'on nous dit : « Le Front populaire vous en vouliez et, par conséquent, tant pis pour vous si vous avez une désillusion ! » Le Front populaire comme mouvement de masse, oui, le Front populaire considéré comme une étape dans la marche vers le pouvoir, oui ! Mais le Front populaire limité à un cartel électoral et parlementaire, jamais nous n'avons accepté cela ! Jamais nous n'avons confondu les deux choses. (Applaudissements à gauche.)

Ce qui est en cause, c'est la crise du régime, plus avancée aujourd'hui qu'il y a un an, à cause de notre mouvement, à cause du Front populaire, à cause de l'action offensive de la classe ouvrière ; mais au lieu de donner l'impression de notre volonté offensive et de la volonté de victoire, nous semblons avoir oublié certains conseils de celui qui, parmi nous, est peut-être le plus jeune de tous, (je veux lui rendre cet hommage) j'ai nommé notre ami Bracke: c'est lui qui, à Mulhouse, nous précisait : « Nous en sommes arrivés à une phase de la bataille engagée entre le capitalisme et le travail, qui fait qu'il n'est plus maintenant possible de stabiliser le champ de combat ; ou nous élargirons nos conquêtes ou nous régresserons. Et ce sera notre défaite. » Et, à un autre moment, exprimant les sentiments d'ardente jeunesse du  Parti; il disait encore: « Oser! Ne pas avoir peur de renverser si besoin est les vieilles idoles, les vieilles traditions ! Oser, oser toujours !  c'est le secret de l'action de demain! » (Applaudissements.)
Nous demeurons fidèles à ces pensées de Bracke, camarades. Et nous ne faisons que rappeler ainsi des vérités fondamentales qui devraient être en permanence au fond de la conscience socialiste de l'ensemble du Parti.

« Les rapports de production, écrivait Rosa Luxembourg - mais c'est peut-être encore une trotskiste ? - les rapports de production de la société capitaliste se rapprochent de plus en plus des rapports de production de la société socialiste. Mais, par contre, ses rapports politiques et juridiques établissent entre la société capitaliste et la société socialiste un mur de plus en plus élevé. Le mur n'est pas renversé, mais affermi par le développement des réformes sociales et de la démocratie. »

C'est bien cela que nous avons vérifié ; entre le grand capital, qui se défend, et le prolétariat qui attaque, il y a maintenant un antagonisme croissant, comme nous le pensions déjà, n'est-ce pas Zyromski ? à Lyon, en 1927, où nous avons ensemble marqué précisément nos divergences avec la majorité du Parti, sur ce point. L'antagonisme est là et voici la conclusion de Rosa Luxembourg

« Ce qui pourra l'abattre, ce mur, c'est le coup de marteau de la révolution, la conquête du pouvoir politique, par le prolétariat. »

Voilà ce qu'il faut dire aux masses, camarades. (Applaudissements.) On nous dit : « Vous voulez la révolution pour demain matin et vous la voulez avec des radicaux. » Camarades ne confondons pas et ne déformons pas ! Nous voulons orienter les masses vers le socialisme, vers une direction révolutionnaire ; pour demain matin ce que nous demandons c'est que notre Parti ne soit pas compromis avec une politique de déflation, qui n'est pas la sienne, ni celle du Front populaire, ni celle de la classe ouvrière, mais qu'il soit au contraire capable d'imposer en accord avec la CGT (RD7) un gouvernement de combat, avec un objectif défini : les nationalisations : c'est comme cela, qu'on va vers la Révolution, c'est en dégageant des étapes, c’est en définissant des objectifs concrets et après ceux-là d'autres se dégageront, une autre étape se dessinera. Mais il s’agit de savoir si on veut y aller, oui ou non, vers cette révolution socialiste, ou si certains sont maintenant résignés à rester, selon le mot célèbre, « au seuil de la révolution » ? (Applaudissements.)

Je conclus sur ce point. Camarades, nos propositions sont claires, elles ont été développées déjà par Hérard et par Soulès. D'abord retirer les ministres socialistes de la formation actuelle, dégager le Parti à tout prix.

Dormoy - Très bien !

Marceau Pivert - Deuxièmement, lancer un appel au pays, répondre officiellement à l'appel de la CGT. Prendre comme base, et c'est ce que nous appellerons la motion unanime, comme nous l'avons fait à Mulhouse, en ce qui concerne strictement le programme immédiat, le document a été publié par le Peuple, il comprend la plupart des points que nous avons mis en évidence déjà dans les mois passés... il faut y venir, il faut y venir, il est temps! et imposer par le mouvement des masses un gouvernement de combat à direction socialiste, à participation communiste, syndicale, radicale, avec toutes les forces vives du pays. (Applaudissements.)

Grumbach - En quoi doit consister le « mouvement des masses » ?

Marceau Pivert - Camarades, prendre comme base ce que la CGT vient de publier, c'est la meilleure planche de salut et c'est ce qui nous permet d'écarter délibérément cette sorte de reproche ou d'inquiétude qu'on nous oppose : la rupture du Front populaire.

Est-ce qu'on va reprocher à la CGT, pour avoir publié ce document qui exprime l'exigence de la classe ouvrière, au moment où nous sommes, est-ce qu'on va lui reprocher de rompre le Front populaire ? Qui donc, même les radicaux, osera courir le risque d'être en lutte contre la CGT et contre l'ensemble de la classe ouvrière dans ce pays ? (Applaudissements.)

Nous voulons maintenant faire un appel particulier au Parti. Sans doute nous nous obstinons dans une voie, que nous croyons juste, mais en toute bonne foi, camarades, ceux qui ont eu jusqu'à maintenant des perspectives un peu courtes, devraient au moins être d'accord avec nous sur certaines constatations.

Quand je vois, par exemple, le 16 juin, dans le Populaire, notre camarade Guy Le Normand écrire : « Aujourd'hui nous sommes au pied du mur et nous avons planté les échelles »... et laisser croire (on a repris ce texte ailleurs) que nous allions, en effet, vers les nationalisations ; or, les échelles, ce sont les adversaires qui les ont prises et c'est M. Bonnet qui s'en est emparé pour écarter le danger d'une direction socialiste ! Il y a là une regrettable erreur de perspective et j'en pourrais citer bien d'autres ! Par exemple le document fameux que le Parti a envoyé aux fédérations et aux sections pour démontrer qu'on avait le 5 mars triomphé de la finance ! Il est né d'une légèreté que je préfère ne pas qualifier. Aujourd'hui, camarades, il ne faut plus recommencer cela car vraiment on ne nous prendrait pas pour des militants sérieux !

Ce qui est plus important encore, maintenant, ce sont des habitudes qu'il faut essayer de développer dans le Parti, des habitudes nécessaires à un parti de classe, qui veut éviter de devenir un parti comme les autres.

Je pense, par exemple - et on me le reprochera peut-être - que nous devons faire un effort pour ne pas transformer nos assemblées en séance d'acclamations continuelles. Quand c'est dans le Parti radical, on dit : « Il suffit qu'Herriot arrive », quand c'est dans le parti communiste, c'est Staline. Nous, nous voulons aimer autrement et mieux que cela nos « chefs » et nous voulons qu'ils soient considérés précisément comme d'autres militants, car ce qu'il nous faut rechercher, ce n'est pas le souci d'acclamer extérieurement, c'est la volonté de réflexion intérieure, du maintien intégral de la liberté de décision, le respect de l'individualité du militant. (Applaudissements.) Nous, nous pensons que le travail politique a ses exigences. Et d'autre part de mauvaises habitudes dont nous avons d'ailleurs, parlé hier - et je n'y reviendrai pas - risquent dans certains cas de laisser l'impression qu'on copie un peu trop dans nos assemblées sur les procédés politiciens familiers à la bourgeoisie ou à certains comités radicaux. Il faut aussi se garder de développer ce qu'on pourrait appeler par antiphrase le « défaitisme révolutionnaire », c'est-à dire de laisser trop d'influence à ceux qui ne croient pas à la possibilité de la révolution, parce que les circonstances ne leur paraissent pas favorables, sans doute. Il y a des camarades qui, très sincèrement, ont examiné la situation et nous savons que leur timidité n'est pas un défaut congénital chez eux ; nous savons qu'ils ont pesé le pour et le contre, en toute loyauté, mais nous croyons que pour d'autres camarades du Parti, l'heure ne sera jamais favorable. Les aléas révolutionnaires, dont a parlé Léon Blum rencontreront leur répugnance toutes les fois qu'il y aura une possibilité de « faire le saut ». Nous, nous voulons au contraire développer dans le Parti cette volonté de combat qui lui permettra de saisir l'occasion de se dresser d'un seul bloc et de faire le saut en entraînant la classe ouvrière derrière lui...

Grumbach - Quel saut ?

Marceau Pivert - On se propose de préparer l'Union dans le Parti. Soit ! Mais l'union pourquoi ? C'est là encore une de ces illusions, camarades, contre lesquelles nous devons vous mettre en garde. Vous le savez bien, même quand nous votons contre la majorité pour défendre nos positions préférées, on peut faire appel à nous dans la bataille. On peut faire appel à nous pour enrichir la vie du Parti, pour la propagande, pour toutes les tâches techniques. Par conséquent il faut vous dire que ce qui compte c'est surtout cette cohésion dans l'action au dehors, ce n'est pas tellement le fait qu'on a refusé de donner sa signature à des nègres blancs qui peut gêner l'action extérieure, camarades, c'est l'équivoque dans la pensée et dans les décisions.

Il y a donc, actuellement, des précautions à prendre pour que le Parti entre dans la voie d'une véritable démocratie prolétarienne. De ce point de vue, il n'est pas sans danger de laisser dire à cette tribune et de laisser propager des accusations ou des appréciations comme « La classe ouvrière n’est vraiment pas raisonnable. Ce sont des exigences...: Elle occupe encore des entreprises. » Ce n'est pas notre rôle, camarades. Les organisations syndicales ont la mission, le droit de se déterminer avec méthode et discipline, mais condamner l'action directe de la classe ouvrière, même partielle, ce n'est pas le rôle d'un parti de classe, et quand nous voyons utiliser - car on donne des armes à l'adversaire comme cela - certaines déclarations, certaines lettres, comme celle de notre Camarade Barthélemy, qui demande à Chautemps, maintenant, de bien vouloir faire évacuer les chantiers occupés, la réaction, s'en empare et je dis que cela n'a rien de commun avec une véritable attitude de classe, avec un véritable parti de classe, comme nous le souhaitons.
Enfin...

Lagorgette - Vous allez venir avec la Bataille Socialiste...

Marceau Pivert - C'est cette confusion qui explique bien des choses. Jusqu'où descendrons-nous dans la voie des capitulations, Camarades ? Je veux examiner à présent le principal motif invoqué pour expliquer cette situation.

Plusieurs voix. - Ah !...

Marceau Pivert - En effet la raison essentielle des hésitations et de la démission nous a été révélée devant le Conseil National du 22 juin. En somme, on sait chez nous que le camarade Léon Blum a été placé le 20 juin devant une situation extrêmement pénible, et on a non seulement le droit mais le devoir strict de l'examiner à fond et d'examiner aussi dans quelles conditions la solution choisie n'engage pas l'avenir, dans une direction périlleuse. En effet, ce qui est grave, dans la période actuelle, c'est qu'on semble avoir réussi à développer dans la classe ouvrière cette impression qu'elle doit freiner son action revendicative sous prétexte que la situation internationale est grave. Nous n'acceptons pas, nous n'accepterons jamais cette excuse et j'ai été surpris des contradictions éclatantes qui, parfois, avec talent, ont été portées à cette tribune par les camarades qui nous disent : « Mais nous allons préparer pendant un certain temps le retour de notre camarade Léon Blum. » Mais pardon, est-ce que vous êtes bien surs que la situation ne sera pas alors encore plus grave au point de vue international ? Est-ce que vous êtes bien surs qu'Hitler ne va pas encore inventer une nouvelle torpille pour empêcher précisément que Léon Blum ne revienne au pouvoir? Alors si l'argument vaut à un moment déterminé de la période où nous sommes, il vaut en permanence et cela vous conduit tout droit à l'union nationale, camarades. Cela vous conduit tout droit à la collaboration de classe et à l'union sacrée ; il faut choisir ; et si l'argument ne vaut rien, alors il faut rejoindre résolument notre position de classe internationale et il faut refuser ce prétexte que la bourgeoisie invoque pour peser sur nos décisions. (Applaudissements.)

Voilà tout le problème de l'orientation générale, je suis au cœur du sujet : par exemple ou bien on capitule devant l'Eglise, si on recherche son appui politique, si on a besoin d'elle, de ses évêques, de ses archevêques, de son pape. Ou alors on s'engage dans une politique de laïcité combattive. C'est l'un ou l'autre.

Ou bien on capitule devant les banques et on subit leurs conditions, leurs Rist, leurs Baudouin qui, pour aggraver encore la situation s'en vont au moment psychologique, ou alors on s'engage dans une politique de coercition, de lutte, d'expropriation à l'égard des banques et des grands capitalistes.

Ou bien on subit une politique d'union sacrée et les exigences de l'Etat-Major passent avant toute chose, ou bien on refuse la dernière chance que le régime peut encore courir, c'est-à-dire la guerre impérialiste et on déclare dès maintenant qu'on n'en veut pas et qu'on préparera la lutte révolutionnaire internationale, pour l'empêcher d'éclater. (Applaudissements.)

J'ajouterai même, sur un sujet douloureux dont il a été parlé, dont on reparlera, qu'on s'oriente vers l'étranglement de la révolution espagnole, par la complicité avec une médiation dont nous savons qu'elle est dès maintenant négociée par la Cité de Londres, par les jésuites, par un certain nombre d'éléments de conservation sociale du côté républicain alors qu’on devrait orienter le prolétariat de ce pays vers la solidarité révolutionnaire effective avec nos frères espagnols.

Voilà les deux voies, camarades. (Applaudissements.) Il n'y en a pas trente-six. Or, nous sommes sur ce plan de la politique internationale, devant une situation que la simple décoration de cette salle, d'ailleurs, permet de souligner, car je ne me rappelle pas avoir vu souvent les drapeaux tricolores dans les Congrès du Parti! C'est quelque chose de singulier et de caractéristique (vifs applaudissements) que nous avons dû copier quelque part.

Mais lisons la presse allemande : « Si la France et si l'Angleterre se mettent tout à coup à vouloir défendre leurs intérêts en Méditerranée, la situation deviendra très grave. » C'est ce que dit le Frankfürter Zeitung. Et Leroux, dans le Populaire, qui affirme de son côté : « Le désarmement général, maintenant, est conditionné par la sécurité. » Alors ce n'était pas la peine de combattre Paul Boncour, c'est lui qui avait raison, s'il faut d'abord la sécurité et ensuite le désarmement!

Grumbach  - C'est faux il n'y avait pas le réarmement allemand ! (Applaudissements à gauche et protestations.)
Vous n'êtes pas de bonne foi !

Marceau Pivert - Je sais que ce point est particulièrement sensible, pour les raisons que l'on sait, à ceux qui sont connus pour leur spécialisation dans ce domaine, je n'en dis pas plus; je n'en dis pas plus, mais je comprends que notre camarade Grumbach ne puisse entendre sans révolte des mots d'ordre qui ont été ceux des minoritaires de guerre, ceux de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg ! (Vifs applaudissements.)

Grumbach - C'est faux! tu es de mauvaise foi et tu es un ignorant ! un ignorant, et de mauvaise foi ! (Bruit.)

Le Président - Je prie le camarade Grumbach de vouloir bien se taire, il n'est pas monté là pour interrompre l'orateur.

Grumbach - Il est quand même ignorant et quand même de mauvaise foi!

Marceau Pivert - Camarades, nous avons développé par l'intervention de Cazenave notre thèse sur la sécurité collective. Nous avons tenté, là aussi, une interprétation internationaliste et marxiste et vérifié que la sécurité collective, la vraie, ne peut résider que dans la volonté révolutionnaire du prolétariat international ; il n'y en a pas d'autre, camarades. Il ne faut pas nous raconter d'histoires. Car, ou bien les formules que nous avons trop longtemps développées sans les approfondir, et je rejoins ici Louis Lévy, mais évidemment pour penser exactement le contraire de ce qu'il pense (rires) mais oui ! je rejoins ce désir de clarté qui est ce qu'un grand Parti doit souhaiter comme la plus précieuse garantie de son avenir... On ne s'embarque pas derrière des formules quand on ne sait pas ce qu'elles signifient, il faut voir le contenu. (Bruit.)

Elle a permis, la sécurité collective, d'aller promettre notre concours à la Tchécoslovaquie... Ah ! ce n'est plus seulement la défense nationale, les frontières de la défense nationale, elles passent tantôt là-bas, du côté de la sentinelle du soldat polonais, ou du soldat tchécoslovaque, mais comme par hasard elles ne passent pas du côté du soldat républicain et socialiste espagnol. (Applaudissements.) On l'a oubliée tout simplement parce que là le problème de classe se pose brutalement. Mais, en vérité, il faut avouer que la « sécurité collective » dissimule une politique de bloc, de deux blocs qui s'opposent et, par conséquent, c'est une formule vaine, inefficace, stérile. Donc, comme je le disais il y a un instant, ou bien ce n'est qu'une formule, ou bien c'est la guerre généralisée pour résoudre les conflits impérialistes; avec les cadavres des prolétaires du monde. (Applaudissements.)

Grumbach - C'est de la sombre démagogie !

Marceau Pivert - Camarades, les fascistes, naturellement, ne veulent pas de la sécurité collective, pour jouer leur jeu de nations qui sont en retard sur les vieilles nations capitalistes et qui veulent leur morceau de gâteau.

Les nations démocratiques en parlent, mais sans, la vouloir sincèrement. On l'a vu à propos de l'Éthiopie, on l'a vu à propos de l'Espagne, parce que c'est un prétexte commode qui permet d'exploiter la bonne foi de la classe ouvrière. Mais les révolutionnaires que nous voulons être doivent dire la vérité à la classe ouvrière. C'est là une notion artificielle. C'est là une notion juridique construite par le capitalisme lui-même, cela lui permet de masquer (et c'est le plus grand danger de l'heure) la réalité profonde du Front international de classe. (Applaudissements. Grumbach interrompt.)
Sans doute, les camarades viendront nous dire qu'on n'a jamais dit cela dans le mouvement international, c'est d'ailleurs inexact : Le Parti socialiste américain est d'accord avec nous. (Protestations.)

Jean Longuet - Toute l'Internationale est contre vous!

Le Président - Grumbach, je te prie de descendre de la tribune si tu continues !

Marceau Pivert - Et après ? il y a eu un certain Lénine qui était en désaccord avec toute l'Internationale et qui, en 1917, a fait jouer cette théorie de l'Internationalisme prolétarien, et avec un certain succès, camarades! (Applaudissements.)

D'ailleurs, je répète qu'il n'est pas exact que toute l'Internationale soit absolument étrangère à cette interprétation, il y a des minorités partout. En Hollande même, la minorité a le droit développer ses mots d'ordre, dans le pays ; elle y a été autorisée par la majorité. Le Bund polonais, le Parti socialiste autrichien sont sur les positions internationalistes de classe, et même si nous étions seuls, nous pensons que derrière les noms glorieux de Liebknecht et de Rosa Luxembourg qu'on a malheureusement laissé assassiner, il y a encore place pour, relever le drapeau de l’Internationalisme prolétarien. (Applaudissements.)

Mais même dans le Parti, dans la tradition du Parti on retrouverait sans peine des enseignements du même ordre. Le discours de Lafargue à Nancy en 1907, vous fait une obligation de lutter contre le militarisme, de lutter contre le colonialisme. Alors, camarades, il faut être logique. D'autant plus que nous avons actuellement à déplorer de redoutables changements de position du Parti communiste sur ce sujet. Je les regrette pour lui, mais c'est une raison de plus, car les vérités de classes n'ont pas changé de contenu. Ce n'est pas parce qu'on dit aujourd'hui blanc, ce qu'on disait hier noir, que la nature profonde des choses a été modifiée. Et il faudra bien y revenir ! En tout cas, nous, nous pensons que la Charte qui nous a été remise quand nous avons adhéré au Parti contient des principes et des règles immuables : « Entente et action internationale des travailleurs ». Oui ! « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ! » cela ne peut pas vouloir dire : « Travailleurs de tous les pays, égorgez-vous ! »
Voilà encore une divergence de taille entre nous. (Applaudissements.)

D'ailleurs, permettez-moi une dernière observation à propos de votre prétendue « défense nationale » ; venez donc nous expliquer ceci. Comment se fait-il que l'on vienne nous proposer la militarisation du pays avec toutes les conséquences et la fascisation inévitable qui en résulte, alors que c'est la France même du Front populaire qui, actuellement, continue à fournir le minerai avec lequel l'Allemagne peut se réarmer ? (Applaudissements.) Si on la voulait vraiment, la « défense nationale », pourquoi y a-t-il eu en 1934 1.700.000 tonnes d'exportations ? En 1935, 5.800.000 ? En 1936, 7.793.000 ? En 1937, le rythme augmente : 600.000 tonnes par mois, en moyenne !

Ce n'est pas tout, camarades, c'est la même chose pour tout, pour le manganèse, pour le nickel, pour le pétrole. La guerre ne serait pas possible si la bourgeoisie croyait elle-même aux mots d'ordre qu'elle veut faire adopter par le prolétariat. Il lui suffirait, en effet, d'interdire certaines exportations à destination des pays qu'on a déjà désignés comme les agresseurs éventuels.

Sur ce point, je veux marquer notre accord avec la position prise devant le pays par notre camarade Blum, dans un grand discours dont vous n'avez pas perdu le souvenir, je pense : celui qu'il a prononcé contre la loi de deux ans, en mars 1935. Que disait-il alors, au lendemain du réarmement allemand :

« Au lieu de nous saisir du projet de deux ans, ce serait aujourd'hui l'occasion de lancer au monde un de ces appels suprêmes comme il en a connu, et qui ont exercé sur lui tant de résonance. Au lieu de cela, voilà, qu'on va refermer sur lui-même ce monde armé dans lequel il n'y aura plus de chance de salut pour la sécurité, puisqu'il n'y aura plus de chance de salut pour la paix elle-même. »

Et sa démonstration lumineuse prouvait qu'on ne peut pas, à la fois, avoir une politique d'armement et une politique de paix et de progrès social. Oui, il a démontré cela devant la Chambre d'une manière éclatante. (Applaudissements.) Voici le passage concernant le freinage obligatoire faute de crédits de toutes les réformes sociales, il est encore plus vivant que jamais. « Oh ! tout ce que vous auriez pu employer à soulager la vie humaine, va être détourné pour être consacré aux œuvres de mort ! »

Il en est bien ainsi, camarades ! Et sa conclusion, nous la faisons toujours nôtre.

Alors, disait Léon Blum, avec son courage habituel - car cette phrase, elle a une signification que nous reprenons à notre compte - ah ! alors ne vous étonnez pas, Messieurs, si chez des millions d'hommes cette pensée.... » (Bruit; ironie.)

Je lis la phrase de Léon Blum devant la Chambre. (Mouvement général dans la salle.)

Le Président - Qu'est-ce qu'il y a ?

Marceau Pivert - C'est le discours de Léon Blum en mars 1935, contre les deux ans, qui s'adresse â la Chambre ; il dit ceci au pays aussi :
« Alors, ne vous étonnez pas, Messieurs, que chez des millions d'hommes cette pensée naît, se développe, s'amplifie, « on ne vit qu'une fois, on ne meurt qu'une fois », Si je dois donner ma vie, que ce soit au moins pour quelque chose, que ce soit pour la délivrance de ceux qui peinent, de ceux qui souffrent, que ce soit pour léguer vraiment, cette fois, à nos enfants, la justice et la paix ! »

Alors nous reprenons cela, camarades ! (applaudissements), et nous disons : l'heure approche de refuser notre vie au moloch de la guerre pour la mettre au service de la cause sacrée de la Révolution. (Interpellations de la salle.)

Pour commencer, voici l'heure du militant ! On a souvent raillé notre Parti, et Paul Faure avait répondu très justement à la presse bourgeoise, quand il fallait consulter le facteur de Pézenas ou le pharmacien de Brive-La-Gaillarde ; eh bien ! ils ont été consultés, il faudra continuer à les consulter. C'est eux qui dirigent la politique dans ce pays, et il ne faut pas avoir peur, quand ils se prononcent de telle ou telle manière, il n'y a rien à craindre quand la démocratie  joue vivante, permanente, dans notre Parti.

Soulignons le mérite de ceux qui ont résisté à la fois à la confiance naturelle qu'on porte à ceux qui sont au pouvoir et qui sont nos délégués, à ceux qui sont leurs députés, à ceux qui sont nos ministres, il y en a beaucoup, camarades, auxquels nous tenons à rendre justice, il y a des militants qui ont dit à leurs élus : « Oui, bien ! Nous ne mettons pas en cause votre bonne volonté, mais nous ne sommes pas d'accord sur la politique suivie ; nous en voulons une autre. » C'est cela, la garantie suprême du Parti, c'est là que réside pour lui la possibilité de son redressement. Aussi nous faisons appel à l'ensemble du Parti pour qu'il se dégage d'une situation qui devient périlleuse. Il faut parler fort. Il faut démolir, volontairement, le système défensif habile du capitalisme. Il faut mettre un terme à cette période de paix sociale et d'union sacrée, de surarmement et de guerre que la bourgeoisie veut nous imposer. Il faut que l'on substitue à la déception qui monte, la renaissance des espoirs cultivés par le Front populaire. Sans cela, l'étau terrible de l'Union nationale nous attend, et derrière l'Union nationale, probablement, le fascisme.

Nous dirons donc « Non » aux financiers, nous dirons « Non » aux munitionnaires, nous lancerons un appel au peuple, un appel à la classe ouvrière: Oh ! camarades, au nom de qui ? D'une poignée; évidemment ! Les timides, les faibles vont peut-être se moquer de nous. Nous sommes un petit nombre, oui ! Mais nous sommes dans un monde qui cherche actuellement la solution à ses misères, à ses contradictions. Nous portons en nous la certitude exaltante de traduire les intérêts profonds des multitudes angoissées. Plus de reculades, plus de compromis, plus de calculs ! Il faut la bataille, il faut se battre ! La bataille révolutionnaire, oui ! Il faut la préparer, il faut que tous les travailleurs de tous les pays saisissent à la gorge leurs profiteurs, leurs exploiteurs, les criminels qui préparent la guerre et, pour commencer, nous ne voulons pas laisser toucher à notre niveau de vie ; pour commencer, nous voulons remplacer le gouvernement voulu par les banques, par un gouvernement du peuple. Nous voulons cela tout de suite et non pas dans six mois ; car, dans six mois, il y aura encore un peu moins de possibilités qu'aujourd'hui. Oui, nous voulons ce gouvernement à direction socialiste, se battant contre l’adversaire de classe, avec toutes les forces vives du pays et tenant tête énergiquement à l'ennemi commun !

Debout, face à la bourgeoisie, camarades! J'ai envie de lui crier comme le philosophe : « Je vois ton orgueil à travers les trous de ton manteau ! »

C'est-à-dire : Oh ! bourgeoisie, je vois ton effroyable égoïsme de classe, à travers les trous de ta guenille financière ! Tu crois déjà tenir notre Parti à ta disposition. Après l'avoir enchainé au char du ministère goulu par la banque Lazard ! Tu crois déjà pouvoir utiliser, peut-être déshonorer et bientôt briser notre Parti ! Mais regarde ! Regarde ces hommes qui se lèvent dans le pays, à tous les horizons ! Qui, au-delà même des frontières, suivent notre expérience, qui se libèrent de l'influence, de l'idéologie bourgeoise, de la presse, des mensonges, des menaces, des répressions, des perfidies, des corruptions ! Regarde ces hommes, dont notre Parti est de plus en plus riche, qui ont foi dans leur force, dans leur destin, foi dans leur avenir. Ils relèvent le défi, le défi insolent jeté par une poignée de profiteurs, à des millions de victimes, et voici que s'élève, en clameur vengeresse, notre cri de ralliement, expression de nos suprêmes espérances : Révolution d'abord, Socialisme partout! (Vifs applaudissements.)

Notes :

(RD1)Sarraut : ministère Sarraut dirigé par le parti radical. La multiplication des grèves avec occupation ont eu pour conséquence d’ouvrir une crise dans la coalition de Front Populaire. Le président Lebrun fait appel à Georges Bonnet qui tente de constituer un ministère radical, soutenu par le parti socialiste. Blum refuse, mais c’est pour mieux proposer une coalition d’union nationale allant allant de Paul Reynaud à Maurice Thorez. La Gauche Révolutionnaire, ainsi que la Bataille Socialiste de Zyromski, mettent Blum en minorité.

(RD2) Castagnez, Jean (1902-1976) : Contrôleur des impôts et docteur en droit, il s’engage dans la SFIO et devient un proche de Vincent Auriol. Député du Cher, élu de la circonscription de Sancerre, en 1932. Réélu en 1936 lors de la victoire du Front populaire, il vote en faveur de la remise des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain en juillet 1940. Il est exclu de la SFIO en 1945. Il participe alors à la création du Parti socialiste démocratique, structure regroupant des socialistes SFIO « épurés » en raison de leur attitude sous le régime de Vichy, sous l'égide de l'ancien secrétaire général de la SFIO, Paul Faure.

(RD3) Auriol, Vincent (1884-1966) appartient au courant de Léon Blum, dont il fut un fidèle lieutenant. Mais aussi ami personnel de Marceau Pivert. Ministre du Front Populaire. Hostile aux accords de Munich et favorable à l’intervention pour défendre l’Espagne républicaine, il fera partie des 87 parlementaires qui refuseront de donner les pleins pouvoirs à Pétain.

(RD4)Clichy : allusion à la fusillade de Clichy en mars 1937. Le ministre de l’intérieur Max Dormoy avait autorisé une réunion publique du PSF du colonel de la Rocque. Un appel à contre-manifester est lancé par les élus et le maire PS de Clichy avec l’appui des militants de la Gauche Révolutionnaire. La police ouvre le feu sur les manifestants, on relèvera 6 morts dont une responsable de la GR, Solange Demangel.

(RD5) Georges Bonnet, (1889 – 1973), député radical-socialiste de la Dordogne de 1924 à 1940 et de 1956 à 1968 et plusieurs fois ministre entre 1925 et 1940. Il occupe des responsabilités ministérielles dans les cabinets radicaux et sera nommé président du Conseil par Albert Lebrun le 14 janvier 1938. Sa tentative de former un gouvernement avec la droite échoue devant les réticences de la majorité du Parti radical. Il contribue à faire éclater la majorité parlementaire du Front populaire.
Hannah Arendt dans son livre Eichmann à Jérusalem mentionne la politique xénophobe de Georges Bonnet : « peu après Georges Bonnet, ministre français des Affaires étrangères [...] songea à envoyer dans une colonie française les deux cent mille Juifs étrangers résidant en France. Bonnet alla jusqu'à consulter à ce sujet son homologue allemand, Joachim von Ribbentrop en novembre 1938 [après la nuit de Cristal]. »
Il est pour rechercher des accords  avec l'Allemagne nazie. Partisan des accords de Munich, il est l'artisan d'un engagement de non-agression avec l'Allemagne, signé le 6 décembre 1938 à Paris par von Ribbentrop. Après avoir soutenu le gouvernement de Franco à la fin de la guerre d’Espagne, il sera un des artisans des accords Bérard-Jordana, reconnaissant la légitimité du régime du dictateur sur l'Espagne et obtient la neutralité espagnole pendant la Seconde Guerre mondiale. Quand la guerre éclate, Georges Bonnet, très impopulaire, est nommé ministre de la Justice. Bien évidemment il se rangera du côté du maréchal Pétain, à qui il vote les pleins pouvoirs, le 10 juillet 1940. À partir de 1941, il est membre du Conseil national, un organe du pouvoir vichyste. Après la guerre, sa collaboration avec le régime de Vichy le contraint à l'exil en Suisse, pour échapper aux poursuites. Il revient ensuite en France et, de 1956 à 1968, est député de la Dordogne et maire de Brantôme de 1955 à 1965.
(RD6) « épouvantés » : il y a des guillemets au texte ; c’est un appel du pied à la formule de Léon Blum lors de la bataille contre les néo-socialistes.  Face aux déclarations du leader néo Marcel Déat qui entamait une évolution politique qui allait le conduire jusqu’à la collaboration et à l’adhésion au national-socialisme, Léon Blum se déclarera « épouvanté ». La bataille contre les néos sera menée par la gauche du parti (Pivert-Zyromski) et le centre blumiste.

(RD7) CGT : allusion aux positions que la centrale ouvrière avait défini, notamment en matière de nationalisation des principaux moyens de production.


(note)


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Je demande deux minutes au Congrès pour la lecture d’une courte déclaration. Camarades, on nous demande de nous prononcer sur une première proposition qui n’implique  quitus quant à l’administration, quant au travail fait au gouvernement par nos camarades.

Camarades, les minoritaires ne prendront pas part au vote sur le quitus. Ce vote, vous le souhaitez unanime, comme unanime avait été le mandat à vous confié. Vous nous avez demandé cette unanimité au nom de considérations sentimentales, que nous ne saurions retenir. Vous avez tenté de le justifier a priori par des arguments politiques qui ne nous ont pas convaincus. Nous ne pourrions accéder au désir de Léon Blum et de Paul Faure qu’en désavouant la position doctrinale de notre minorité, ainsi que les critiques que nous avons portées et que nous estimons plus que jamais justifiées.

La forme même sous laquelle cette motion est présentée, interdit les discriminations que nous souhaitions faire entre un actif dont nous reconnaissons la valeur, et un passif dont nous regrettons l’importance. Toutes choses, d’ailleurs, qui sont définies explicitement dans les textes soumis par nous à ce Congrès.

C’est pourquoi, fidèles à notre pensée et logiques dans notre attitude, dans l’impossibilité de repousser un texte dont nous acceptons certains passages, d’approuver ce même texte dont nous condamnons maints détails, et la pensée directrice même, nous nous refusons à participer au vote qui va intervenir sur le quitus demandé par le camarade Léon Blum.

Résultats du vote :

Pour le quitus: 4.539 mandats

Contre le quitus: 19 mandats

Abstentions: 828 mandats


Position du POUM à propos de l’acceptation par Pivert de la dissolution de la Gauche Révolutionnaire.

Journal « La Batalla », « le geste de Marceau Pivert », 23 avril 1937.


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« Je m’incline devant votre décision ». Par ces paroles solennelles, Marceau Pivert a donné son accord à la dissolution de la tendance de gauche qu’il dirigeait au sein du Parti Socialiste français. L’enfant terrible qui combattait au même titre staliniens et réformistes, baisse la tête devant le sermon de ses anciens et accepte docilement leurs décisions qui signifient la disparition de toute possibilité de radicalisation du Parti Socialiste, de toute critique de l’œuvre du Front Populaire. Il n’y a qu’à voir qui a applaudi le geste de Pivert pour se rendre compte de sa signification réelle : « l’Humanité » en fait un éloge discret, les leaders réformistes reconnaissent sa « sérénité » et son « désir de conciliation ».

En effet le geste de Pivert a – ou au moins peut avoir – de graves conséquences pour l’avenir du mouvement révolutionnaire en France. Jamais comme aujourd’hui, le prolétariat français n’a à ce point manqué d’un parti révolutionnaire marxiste pour le diriger. Il n’existe que de petits groupes qui se débattent dans leur sectarisme. Seule la Gauche Révolutionnaire, par son importance,  pouvait arriver à se transformer en germe de ce parti futur. Si Pivert avait accepté le défi de Paul Faure et des vieux réformistes et avait provoqué la scission emmenant avec lui la partie la plus consciente et la plus révolutionnaire des masses du Parti Socialiste, il aurait fait un grand pas vers la constitution de ce parti marxiste.

La soumission de Pivert, même si elle n’empêche pas la scission – qui est fatale et certaine et se produira peut être au prochain congrès du parti socialiste – la rend difficile, la retarde et accumule les difficultés de la cristallisation du parti marxiste qui doit guider la classe ouvrière française sur le chemin de la révolution.

Le tremplin de l’orientation à gauche est une tentation. Maintenir des positions révolutionnaires contre une minorité agressive requiert un courage et une fermeté de position dont Pivert a démontré qu’il ne les a pas.


Rosa Luxemburg et la Révolution russe (1937), par Michel Collinet

(note)

Extrait de la préface de Michel Collinet à La Révolution russe (Cahiers Spartacus n°4, janvier 1937), cité par D. Guérin dans « Rosa Luxemburg et la spontanéité révolutionnaire ».


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(…) Rosa est morte avant de constater à quel point les erreurs qu’elle dénonçait ont proliféré pour finalement contribuer à faire en Russie le lit de la contre-révolution stalinienne et, dans l’Internationale, le jeu du fascisme et de l’impérialisme. Il était inévitable que la suppression de toute démocratie dans les soviets et la substitution de fonctionnaires à la gestion directe par le peuple, aboutissent à l’élimination de toute démocratie au sein du seul parti resté légal – le Parti Communiste. Il y a là-dedans une dialectique implacable de l’histoire; reconnaissons cependant qu’elle fut singulièrement favorisée par les conceptions de Lénine et de la vieille garde bolchevique de 1903 en faveur du parti "jacobin" lié à la classe ouvrière. L’opposition trotskyste lutta courageusement pour remonter le courant néfaste qui emportait le P.C. et l’Union soviétique vers la dictature personnelle de Staline. Lénine mort, la victoire de Staline et de ses bureaucrates sur l’opposition a eu le caractère d’une écrasante défaite pour le marxisme révolutionnaire, sa conception de la lutte de classes et sa critique de l’État. A sa place, triomphent aujourd’hui dans le prolétariat international le parti totalitaire, le fanatisme religieux, l’idolâtrie du Chef, toute une idéologie proche des nouveaux cultes fascistes et qui désarme le prolétariat devant ses adversaires. La conception dictatoriale du Parti dirigeant, les tendances au centralisme autoritaire et bureaucratique, Rosa Luxemburg les relie au caractère arriéré de la population russe, mais encore plus à l’effroyable carence du socialisme international dans les pays capitalistes avancés, mûrs pour la transformation sociale.


 

Editorial de Lucien Hérard dans Juin 36 du 17 juin 1938.

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)

(Note: Lucien Hérard)


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Ainsi donc, nous avons rompu, à Royan, avec le Parti Socialiste au sein duquel nous nous efforcions de promouvoir, avec un succès croissant, les idées de la « Gauche révolutionnaire ».
Ce que nous avons fait, nous le referions. Mais qu’on se garde bien de croire qu’une volonté déterminée de rupture habitait l’esprit de nos camarades.

Si d’aucuns ont préparé avec allégresse cette scission – ceux-là mêmes qui s’en sont publiquement réjouis – pour notre part, nous l’avons subie avec émotion et avec tristesse.
Et ce n’est pas parce que nos adversaires de tendance nous poussaient à la rupture que nous nous sommes résolus à la consommer. Bien au contraire: nous eussions souhaité résister, continuer de combattre à l’intérieur, sans d’ailleurs prévoir un succès que la constitution sociale du Parti socialiste nous interdisait d’espérer, mais avec le secret espoir d’empêcher par notre présence les abandons trop graves, les trop complètes capitulations.

De là nos tentatives conciliatrices à l’extrême, dans ce Congrès où certains s’efforçaient de créer contre nous une ambiance d’ostracisme, d’hostilité et d’incompréhension.
Nous sommes restés calmes. Nous sommes restés dignes, malgré les excitations surgies d’un incident regrettable en tous points.

Mais dans la limite de cette imprescriptible dignité, nous avons tout fait pour que le Congrès de Royan ne nous contraigne pas au départ.

Sur la question de la Seine, ne poursuivant plus le désaveu des sanctions prises, nous nous sommes ralliés à une amnistie qui ne comportât pas d’humiliation pour nos camarades frappés.

Sur la question de l’Union Nationale, notre texte, largement emprunté à la « Bataille socialiste » ne contenait aucune condamnation, même implicite, de l’initiative de Blum et du vote du 12 mars. Nous nous bornions à fermer la porte, pour l’avenir, à cette éventualité, ne reconnaissant que l’autorité d’un Congrès pour revenir sur cette décision.
Les textes sont là, et le calme de notre conscience, pour attester que nous avons scrupuleusement poussé jusqu’aux dernières minutes notre tentative de conciliation, encore que la partie fût jugée perdue par nous dès le premier vote.

Non, certes, nous n’avons pas rompu de gaîté de cœur!

Nous ne nous parons pas d’une passion mystique pour le Parti, mais nous lui étions attachés. Attachés cependant, dans la seule mesure où il demeurait un instrument de libération prolétarienne, une arme pour préparer la révolution. Qu’il cesse d’être cela, et tout ce que nous lui avions voué cesse d’avoir un sens.

Ce qui s’est produit.
Trois raisons nous incitaient à rompre: l’une de solidarité; l’autre de morale révolutionnaire; la troisième, de nécessité politique.

La première n’a pas eu un caractère déterminant. La sentence était inique, qui frappait les amis de la Seine. Le refus d’amnistie ajoutait à cette iniquité. Leur « faute » d’aspect disciplinaire recouvrait mal de son prétexte, la profonde raison politique qui avait dicté les poursuites. Oui, oui et oui. Cependant, pour grave qu’elle soit, cette question n’eût pas déterminé la scission. (Aussi bien n’avons-nous pas quitté le Congrès après le vote approuvant les sanctions.) Nos sentiments d’amitié, notre désir de solidarité auraient été mis à rude épreuve, mais nous ne serions pas partis.

Par contre, le refus de condamner explicitement l’Union nationale (ce qui signifie désir de la réaliser) – et les paroles de Blum à ce Congrès et son article du « Populaire » avant Royan donnent à ce vote tout son sens, – ce refus plaçait les socialistes révolutionnaires dans une situation intolérable.

Ou le départ, pénible et lourd de dangers.
Ou la soumission, proprement déshonorante.
Nous avons opté pour le premier terme.

Qu’on ne nous dise pas que le devoir de discipline exigeait que la Gauche révolutionnaire s’inclinât! Le devoir de discipline ne peut jouer que dans le cadre et les limites de nos principes doctrinaux et de notre charte constitutive. Qui en sort, qui les viole, libère les autres de toute obédience. Mieux, provoque à la rébellion contre les décisions qui condamnent tout un passé de lutte et font perdre au Parti sa raison d’être.

Ici, nous déclarons hautement que l’indiscipline formelle peut être parfois le véritable devoir.
Nous en avons eu le sentiment impérieux au cours de ces débats, où le Parti se faisait le soutien de Daladier, laudateur de Mandel, apôtre de la temporisation et des solutions petitement politiciennes, où il entamait aussi son noviciat préliminaire à l’entrée dans l’Union nationale et, si l’occasion s’en présentait, dans l’Union sacrée.

Problème d’éthique, de morale révolutionnaire. (J’en sais qui ricaneront, n’étant pas de ceux qui s’embarrassent de tels scrupules.) Nous avons pensé qu’on ne pouvait militer vraiment contre sa conscience. Nous avons pensé aussi que la présence équivalait à une complicité.

Nous sommes partis. Avec la seule inquiétude de l’homme qui se demande non s’il a bien fait, mais s’il a correctement jugé.
Mais cet aspect de la question est, somme toute individuel.

S’y juxtapose une considération politique de premier plan: doit-on laisser déserté le domaine de l’action de lutte de classe? Doit-on abandonner une tactique qui a fait ses preuves, positives dans son application, négatives par les catastrophes où conduisit son oubli?

Il nous a semblé que non.
Il fallait relever le drapeau.
Nous l’avons fait
Puisse le P.S.O.P. le tenir toujours haut et ferme, et le conduire à la victoire!


Il faut que ça change, par Marceau Pivert

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)


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Publié dans Les Cahiers Rouges, août-septembre 1937

Ce qui caractérise l’attitude du Parti, dans la période actuelle, c’est une sorte de résignation, de passivité, de laisser-aller général qui le place presque toujours à la remorque des événements. On ne veut pas prévoir, on refuse de préparer, on ne parle plus en parti de classe, animateur du mouvement prolétarien, traduisant ses aspirations, dirigeant ses réactions, ramassant les manifestations de sa vie et de sa lutte quotidiennes pour le diriger contre l’ennemi qui, lui, toujours debout, ricane et triomphe de nos timidités et de nos défaillances…

Nous pourrions expliquer cela par des considérations multiples. Nous pourrions mettre en relief sans avoir besoin d’analyser minutieusement le contenu politique des conceptions de la majorité ou les vieilles habitudes parlementaires des camarades qui dirigent le Parti, les signes évidents de révisionnisme et de confiance aveugle dans la légalité bourgeoise qui ont déjà conduit au tombeau plusieurs puissantes organisations sociale-démocrates. Mais nous voulons consacrer notre effort à un travail plus concret, plus réaliste, plus efficace.

Que se passe-t-il?
Que se passe-t-il au point de vue économique?

Une légère reprise, dont la fabrication de l’outillage de destruction (l’appareil militaire) absorbe les possibilités d’avantages qu’elle pourrait représenter pour le prolétariat.

En même temps, une « polarisation » accentuée des forces sociales autour du grand capitalisme d’une part, et de la classe ouvrière de l’autre. Entre les deux, les classes moyennes, les fonctionnaires moyens et bientôt la paysannerie, risquent d’être écrasés, à bref délai, avec toutes les répercussions politiques que cela comporte. Comme les capitulations du 5 mars et du 20 juin ont remis la direction politique du pays (en dépit de tous les camouflages!) entre les mains du grand capitalisme, celui-ci est en train de faire peser sur les travailleurs les charges des réformes sociales conquises en juin et aussi le fardeau écrasant de la préparation de sa guerre.

On pourra dire tout ce qu’on voudra des « sacrifices » que le Parti consent « magnanimement » au maintien du Front populaire… on ne justifiera jamais aux yeux des militants sérieux du parti ou du front populaire une politique directement opposée à la volonté du suffrage universel. On devait défendre le pain des travailleurs et attaquer les oligarchies industrielles et financières: on renforce les oligarchies industrielles et financières et les travailleurs voient leur capacité de consommation terriblement entamée par la hausse des prix déjà effective ou à venir, les augmentations de tarifs (transports, électricité, gaz, eau, etc.), les aggravations d’impôts et des taxes fiscales.

Il faut que ça change!

Un moment vient où le prétendu « sacrifice à l’union » n’est plus qu’une complicité ouverte avec la bourgeoisie capitaliste. Le Parti doit se dégager de cette étreinte mortelle, sans s’occuper des conséquences: « fais ce que doit, advienne que pourra », telle est la devise d’un Parti de classe honnête et probe.
C’est pourquoi nous demandons à tous les militants, à tous les candidats, de dégager la responsabilité du Parti d’une politique qui n’est pas la sienne et de proposer des solutions socialistes: en premier lieu, la nationalisation des trusts, et la seule tactique efficace, « glorieuse et éprouvée » pour les arracher de haute lutte:  l’action directe de classe.
En dehors de ces mots d’ordre clairs et de cette volonté de combat largement déployée, il n’y a pour notre Parti ainsi que pour l’ensemble des victimes du régime capitaliste que sombres perspectives et désastres inévitables.

Faire ce qu’on dit

Nous avons insisté auprès de la majorité du Parti pour qu’elle applique ses décisions.

Par exemple, la motion unanime sur la laïcité doit être traduite par le dépôt des textes de loi organisant, entre autres choses, la nationalisation de l’enseignement et l’introduction des lois laïques en alsace.

Le groupe parlementaire doit entrer en contact avec la Fédération Générale de l’Enseignement de la C.G.T. et déposer les textes sans aucune considération de procédure. Il doit mettre chaque organisation du Front Populaire devant ses responsabilités: Si les uns ne sont plus « anticléricaux », si les autres s’obstinent à tendre les mains aux catholiques, le Parti socialiste, lui, est unanimement dressé contre les entreprises de l’Eglise. Et les ministres socialistes doivent traduire par leurs actes la mise en garde du Congrès contre « toute attitude ou déclaration insuffisante ou équivoque en cette matière. »
C’est-à-dire qu’on ne devra plus voir des compromissions scandaleuses comme celle dont se réjouit tant la « Semaine Religieuse » de Paris du 16 juillet à l’occasion des réceptions officielles grandioses qui ont accueilli en France le nonce Pacelli (1RD), avec la collaboration de « toutes les autorités civiles et militaires »…

De même dans l’action en faveur des peuples coloniaux:  nous en avons assez de voir les fonctionnaires fascistes redresser la tête, d’observer la multiplication des symptômes les plus inquiétants: grève de la faim en Indochine (où le chef de la Sûreté, Grandjean, fasciste notoire, continue sa besogne de provocation); arrestation de Messali (2RD) à Alger et du délégué musulman au Congrès de Marseille, Ben Salem, dans le Sud Algérien; fusillades de Meknès; suspension de notre journal: « les débats socialistes », créé par les élus socialistes marocains pour rendre compte de leur mandat.

La C.A.P. doit rappeler aux ministres socialistes de l’Intérieur et des Colonies les termes des motions coloniales adoptées par les Congrès de Huyghens et de Marseille et exiger leur exécution.

Espagne

Une émotion légitime s’est emparée de la grande majorité des militants à la nouvelle que le gouvernement Chautemps s’engageait à fond derrière l’impérialisme britannique à la suite des propositions du plan Eden. A quelques jours de notre décision à Marseille, il y avait là un défi insupportable à l’adresse de la classe ouvrière de notre pays qui a hissé au pouvoir ceux qui devraient mieux tenir compte de sa volonté.

La nécessité du retrait des « volontaires » (150 000 Italiens d’un côté, 8 000 antifascistes de l’autre) et celle du retour à la liberté du commerce avec l’Espagne constituent plus que jamais les revendications vers lesquelles peuvent converger les efforts du gouvernement et des Internationales. Mais là encore la carence de nos organisations de classe qui s’en remettent à leurs gouvernements du soin de protéger une révolution naissante est trop éclatante pour ne pas expliquer toutes les défaites subies.

Ce sont les fascistes qui pratiquent « l’action directe »: vol de télégrammes secrets, réseau d’espionnage, enlèvement de navires, chaque semaine démontre leur activité. Et de notre côté, lorsque nous demandons aux organisations ouvrières de créer leur propre autodéfense de classe, lorsque nous préconisons la constitution de piquets populaires de surveillance partout où l’activité fasciste peut s’exercer : centraux, ports, douanes, etc… on nous considère parfois comme des illuminés ou des aventuristes ou plus. Et pourtant rien, absolument rien ne pourra dispenser la classe ouvrière de créer ses propres institutions de sécurité, de contrôle, de gestion, de préparation à la conquête, puis à la conservation du pouvoir.
Les 250 000 francs de crédit votés par la C.G.T. pour la « défense nationale de la bourgeoisie » auraient été autrement efficaces s’ils avaient été utilisés à créer cette « défense internationale de classe » que les forces fascistes, en ce qui les concerne, ont développée dans le monde avec un luxe inouï de moyens matériels.

Enfin nous avons demandé (vraiment, hélas!) que le processus contre-révolutionnaire observé en Espagne sous l’influence croissante du stalinisme soit contrarié par une collaboration effective de notre Parti et du Parti socialiste espagnol. La C.A.P. n’a pas retenu notre proposition de délégation permanente. Nous assurerons donc seuls les tâches de solidarité internationaliste et révolutionnaire qui dressent dans le monde entier, autour du P.O.U.M, de la C.N.T. et de la gauche du Parti socialiste (Caballero), un solide rempart de protestations et une volonté farouche de protection de l’unité d’action antifasciste.

La guerre

Nos perspectives se vérifient sur le plan international: la guerre impérialiste menaçante cherche un point de rupture et une occasion, les adversaires se tâtent déjà, s’éprouvent. Des torpillages, des opérations sans déclaration de guerre, des manœuvres diplomatiques de grand style ont pour objet de sonder le degré de résistance ou de préparation de l’adversaire.
Plus que jamais, clamons aux travailleurs du monde entier que la Révolution prolétarienne constitue leur suprême et unique sauvegarde. Refusons la guerre impérialiste comme solution à quelque difficulté que ce soit.
Et préparons les esprits et les hommes a utiliser les complications dans lesquelles va se trouver engage le régime capitaliste pour l’abattre définitivement dans notre pays et venir en aide aux prolétaires des pays fascistes dans leur nécessaire libération sociale.

Ça changera

Crise économique, crise monétaire, crise financière, crise internationale, crise finale d’un système condamné, travailleurs socialistes, jamais la nécessité de vos tâches n’aura été plus éclatante.
Au travail! Sans concession à l’ennemi! Sans dissimuler nos objectifs, sans douter du succès final. Pour la prochaine grande bataille sociale, la minorité du Parti socialiste (tendance Gauche Révolutionnaire) compte sur vous: ça changera, si vous le voulez.


 

Notes :


(1RD) Le nonce Pacelli, il s’agit du futur Pie XII.


(2RD) Messali Hadj, fondateur du mouvement communiste algérien


Que s’est-il passé aux usines Goodrich? Par Marceau Pivert

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)


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Nous donnerons ici une relation un peu détaillée des événements qui ont failli soulever la population ouvrière de Colombes et faire éclater dans toute son ampleur le conflit historique qui dressera tôt ou tard tout le prolétariat contre ses exploiteurs et leurs complices.

La région parisienne possède d’admirables combattants; notre rôle consiste à les aider dans la recherche des meilleures méthodes de lutte et la liquidation des fautes qui proviennent des influences extra-prolétariennes. Nous n’avons pas d’autre ambition, mais nous avons cette ambition de regarder les choses telles qu’elles sont et de favoriser l’exercice d’une autocritique permanente et constructive. Au surplus, la vertu suprême de l’action directe de classe réside en ceci qu’elle reclasse automatiquement les militants révolutionnaires dans le même camp et qu’elle déchire tous les voiles hypocrites que l’ennemi cherchait à jeter sur les antagonismes de classe.

L’usine Goodrich

Deux mille salariés travaillant le caoutchouc, 5 à 600 communistes, 200 socialistes ou amicalistes. Presque tous les ouvriers syndiqués à la C.G.T., ainsi que 50 % des employés et 50 % des techniciens. Petites groupes de P.P.F., de chrétiens, de P.S.F. L’usine est d’origine américaine: son patron, M. Boyer, est entouré de cadres plus ou moins fascistes.

La longue patience des ouvriers

Comme dans beaucoup d’autres usines, et en vertu d’un plan d’attaque du patronat, les provocations et incidents se multiplient depuis des mois. Des licenciements très discutables, des sentences arbitrales non appliquées. Exemple: sentence Jacomet: la demi-heure de casse-croûte doit être payée à tous les ouvriers; il faut attendre trois mois et demi avant son application! De même pour l’augmentation de 0fr.55 de l’heure au service d’entretien mécanique; ou encore de non-paiement des journées de récupération, etc.
Le patron surexcite les ouvriers en n’appliquant les sentences qu’après avoir épuisé toutes les possibilités de manœuvre:
« - Nous serons obligés de faire grève.
- Faites ce que vous voudrez, je m’en f…
- Nous vous donnons trois jours pour réfléchir.
Alors, quelques minutes avant l’expiration du délai:
- Soit, vous avez satisfaction. »

La surexploitation

Ajoutons la fatigue et la surexploitation provoquée par l’application du système Bedeaux… Magnifique système que l’ouvrier le plus intelligent renonce à comprendre, mais qui se traduit, en fait, pour certains, par une diminution de salaire de 12 francs par jour, malgré une augmentation de production de 10 %!

Politique syndicale

Pendant toute cette période d’incubation, la politique syndicale est orientée vers la continuation de la pause et le respect de la légalité… D’ailleurs, les divisions apparaissent assez profondes entre les communistes d’un côté, les anarcho-syndicalistes et les socialistes de l’autre. La section syndicale paraît assez divisée: des manœuvres tentent (sans y réussir) de remplacer le secrétaire, qui n’est pas communiste. Le patron croit-il que ces divergences vont favoriser ses manœuvres? Erreur de calcul, fort heureusement.

La goutte d’eau…

Le 9 décembre, on chasse, pour « faute professionnelle », un ouvrier électricien (communiste) sous prétexte qu’un brouillage sur une ligne téléphonique n’a pas été réparé. La section syndicale réagit vigoureusement et obtient, le vendredi, l’assurance que la sanction ne serait pas appliquée.
Mais entre le vendredi et le lundi, on trouve un autre prétexte: l’ingénieur-conseil Gaestel, fasciste forcené, obtient et annonce le maintien du licenciement.
Alors, le 15 décembre, les ouvriers occupent l’entreprise. Ils sont appuyés par la section syndicale, par la Fédération des produits chimiques, par l’Union des syndicats. Les ouvriers ont raison à 100 %. Ils marchent à 100 %. Pendant huit jours, on ne prête guère attention à cette occupation dans la presse ouvrière. Une nouvelle erreur de calcul en résulte pour le Gouvernement. C’est ici que l’affaire révèle très exactement, comme un réactif sensible et sûr, la position des forces sociales antagonistes.


A bas l’Union nationale! Déclaration de la Gauche Révolutionnaire (minorité du parti socialiste SFIO)
Après le Conseil national du 12 mars 1938.

Publié dans Les Cahiers Rouges (mars 1938)

Repris par le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)


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Indéfectiblement attachée aux principes de la lutte de classes inscrits dans la Charte fondamentale du Parti socialiste, la Gauche révolutionnaire répudie l’Union nationale sous quelque forme qu’elle se présente.

En conséquence, elle condamne la violation formelle des promesses faites en 1936 et le couronnement désastreux d’une politique de faiblesse et d’abdication (qui viennent d’être sanctionnés par le vote du C.N.).

La Gauche révolutionnaire se refuse à apprécier la situation extérieure autrement qu’en fonction de l’intérêt de classe du prolétariat. Elle proclame qu’il n’est pas de devoir de défense nationale pour la masse des travailleurs tant que ceux-ci n’ont pas conquis la direction économique et politique du pays.

Elle dénonce le caractère capitaliste et impérialiste des oppositions dites idéologiques. Elle souligne que l’immixtion des Etats fascistes dans l’Espagne révolutionnaire en lutte pour son indépendance nationale et sa libération sociale n’a pas provoqué une tentative d’ « Union Nationale » que les événements d’Europe centrale rendent, paraît-il, indispensables.

La Gauche révolutionnaire refuse catégoriquement de s’associer à cette politique d’alliance avec une bourgeoisie égoïste et aveugle, qui a construit le monstrueux traité de Versailles, forgé de ses mains l’hitlérisme, provoqué, par suite, la course aux armements et aggravé considérablement les périls de guerre, cette sanglante duperie pour le prolétariat.

Elle considère que la décision prise ne correspond ni à la volonté réelle des militants du Parti, ni aux intérêts supérieurs du prolétariat, ni à ceux de la défense efficace de la liberté et de la paix.

Seule une offensive hardie des masses populaires de France, dirigées par leurs organisations de classes contre les véritables responsables de la situation tragique qui se déroule peut encore protéger la liberté et la paix.

Seule, l’expropriation des oligarchies économiques et financières dès maintenant favorables au fascisme international peut protéger nos libertés.

Seule la redistribution des sources de matières premières arrachées au capitalisme peut enlever aux impérialismes fascistes leur base sociale et protéger la paix.

La Gauche révolutionnaire proclame sa volonté de demeurer attachée, quoi qu’il arrive, au socialisme international, à ses solutions révolutionnaires et aux enseignements de l’expérience ouvrière de ces vingt dernières années au cours desquelles toutes les tentatives de collaboration du prolétariat avec sa bourgeoisie se sont soldées par l’affaiblissement du mouvement socialiste, par de terribles défaites et par le triomphe inévitable de ses pires ennemis fascistes.

Premières signatures :


Deixonne, secrétaire fédéral du Cantal, délégué au Conseil national.
Brousseaudier, secrétaire fédéral des Alpes-Maritimes, délégué au Conseil national.
Chevaldonne, délégué du Loiret au Conseil national.
Benoit, secrétaire fédéral des Vosges.
Midon, secrétaire fédéral de Meurthe-et-Moselle.
Pasquis, délégué à la propagande de l’Orne.
Soulès, membre de la C.A.P.
Modiano, membre de la C.A.P.
Degez, membre de la C.A.P.
Floutard, membre de la C.A.P.
Lucien Hérard, membre de la C.A.P.
Marceau Pivert, secrétaire de la Seine, membre du Bureau du Parti.
Levant, membre suppléant de la C.A.P.
Berthe Fougère, membre suppléant de la C.A.P.


 

Les congressistes du PSOP

Conférence constitutive du PSOP, Le parti socialiste ouvrier et paysan a tenu ses assises, par Marceau Pivert

Article paru dans Juin 36 du 22 juillet 1938

 

Notre conférence constitutive marque une date dans la renaissance du socialisme révolutionnaire

Excellent départ

Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)


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En deux jours - c’est-à-dire environ 24 heures de séance - les délégués venus des quatre coins du pays, au prix de durs sacrifices, ont mis sur pieds la charte, les statuts et les grandes lignes du programme d’action du P.S.O.P.

Ce résultat - à lui seul - souligne la valeur de notre jeune organisation.

Il prouve que la méthode de travail adoptée était la plus efficace. Il témoigne de la qualité des militants qui, dans les commissions ou aux séances plénières, sans aucune préoccupation de compétition oratoire, ont mis leurs capacités et leur dévouement au service de la cause commune.

Le moment le plus émouvant fut atteint à la troisième séance consacrée aux relations internationales: c’est le cœur serré que les délégués écoutèrent l’exposé poignant de Louise Gorkin, la vaillante compagne du leader du POUM (dont Dimitrov a eu l’impudence de réclamer l’extermination). Comme si l’assassinat systématique faisait partie des méthodes ouvrières!
Et nous devons être particulièrement fiers, dans ce pays de l’affaire Dreyfus, d’avoir été les premiers à nous lever contre d’effroyables calomnies à l’adresse de militants révolutionnaires irréprochables. Nous sommes prêts à en subir toutes conséquences avec une grande sérénité, car nous savons que la vérité et la justice finiront par avoir le dernier mot.
Mais c’est sur les débats eux-mêmes que je veux ajouter quelques mots.

Des discussions ardentes et fraternelles se sont ouvertes lorsque les commissions rapportaient deux ou trois thèses différentes. Et les interprétations les plus fantaisistes en ont été fournies par la presse. Il suffit de lire le compte-rendu pour découvrir que jamais des divergences fondamentales se sont révélées. Les votes émis concernant exclusivement des modalités tactiques ou des appréciations différentes quant à l’opportunité de tel ou tel débat.

Marceau parmi les congressistes

 

Le caractère de ces oppositions apparaît à l’occasion de certaines expressions classiques mais encore mal comprises des masses, comme « dictature du prolétariat » et « défaitisme révolutionnaire ». Les uns souhaitaient de les conserver, comme le fanion de reconnaissance guidant le mouvement. Les autres préféraient les remplacer par une explication appropriée aux résultats expérimentaux récents. Ce sont ces derniers qui l’ont emporté. Mais sur le fond, aucune divergence! Et ceux des journalistes qui ont confondu Danno avec un “pacifisme intégral” ou présenté René Modiano comme un « adversaire du pacifisme », n’ont rien compris à la discussion.

Heureusement, les travailleurs comprendront, eux, car il s’agit de leur pain, de leur liberté, de leur vie et ils salueront le seul parti qui ait osé ouvrir, dès son départ, une discussion sérieuse sur les moyens de lutter contre la guerre et refusé de faire chorus avec les soutiens de l’impérialisme.

Une autre discussion ardente: l’attitude du P.S.O.P. à l’égard du Front Populaire: une majorité des délégués s’est prononcée contre la demande d’adhésion que proposaient les « bonzes » Lucien Hérard, Weil-Curiel, Marceau Pivert… Rien ne prouve mieux la capacité démocratique de nos délégués à la Conférence.

Chez nous pas de « chefs vénérés » que l’on suit docilement. Et les « bonzes » sont les premiers à s’en réjouir! Mais que signifie ce vote? Il vient après les décisions unanimes concernant l’unité d’action et recommandant à tous nos groupes de développer leurs relations avec les autres groupes antifascistes. Et c’est l’essentiel. Il repousse simplement la demande d’adhésion au Comité National de Rassemblement que la règle de l’unanimité condamne à l’impuissance.

Enfin des discussions animées mais de même ordre, ont eu lieu sur l’organisation et la représentation des entreprises, sur l’organisation des jeunesses, sur l’incompatibilité entre la qualité de membre du P.S.O.P. et d’affilié à la Franc-maçonnerie. Une majorité s’est dégagée pour adopter la représentation directe des délégués des entreprises, à titre consultatif, aux différents échelons, pour une organisation mixte des jeunes et pour le renvoi de la question des adhésions à d’autres organisations (Franc-maçonnerie, Ligue des Droits de l’homme, etc.). L’ajournement a eu le sens suivant: ne pas se déterminer en fonction de telle ou telle situation locale, mais en fonction de l’intérêt supérieur du mouvement révolutionnaire, ce qui implique, au préalable, une information scrupuleuse.

J’ajoute que le premier congrès du parti réservera une de ses séances à la mise au point des détails d’organisation ou des statuts dont les sections demanderaient la révision.
En somme, le caractère général des décisions de la Conférence pourrait se résumer ainsi:
Le P.S.O.P. fait confiance à ses militants, à ses jeunesses, à ses groupes d’entreprises; il fait confiance aux mases ouvrières et paysannes dont il sera l’interprète fidèle.
C’est pourquoi il a forgé une véritable démocratie qui déterminera elle-même l’ordre de marche vers la Révolution socialiste.

Juin 36 : l'organe du PSOP

Le P.S.O.P répond aux attaques de l’ « Humanité » (1938)

Paru dans l’Echo d’Alger du 2 août 1938.

Le Parti socialiste ouvrier et paysan de M. Marceau Pivert communique la déclaration de sa commission administrative permanente qui répond à diverses attaques et notamment à un article publié par M. Gitton dans l’ « Humanité ». Elle déclare que la Parti socialiste ouvrier et paysan combat non le rassemblement des masses populaires de 1936, mais la trahison des partis dirigeants du Front populaire au profit de la réaction capitaliste en général, et du gouvernement actuel en particulier. Le parti demande des garanties de justice pour les accusés du P.O.U.M. à Madrid et s’étonne que le parti communiste français ne propose pas la publicité des débats de ce procès, ainsi que la présence de délégations étrangères et le libre choix des avocats pour les accusés. Sans prendre à son compte les actes et les opinions des condamnés de Moscou, le P.S.O.P. souligne le tort immense fait à la cause prolétarienne par le massacre systématique des pionniers de la révolution d’octobre.


Contre le fascisme et contre la guerre, par Marceau Pivert et Hélène Modiano

Paru en tribune libre (avec mention Les articles de cette rubrique n’engagent que la responsabilité de leur auteur) dans le Populaire du 19 mars 1938.


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NOTRE POLITIQUE DE PAIX

On sait -  malgré la discrétion  des comptes rendus – que nous nous sommes élevés contre toute tentative d’Union nationale, et que nous faisons appel à ce sujet de la décision hâtive du Conseil national devant un Congrès extraordinaire. Mais quelle politique opposons-nous à celle de l’apparente majorité « unioniste » du Parti ?

Nous constatons que le prétexte de « sécurité collective » couvre, en fait, l’augmentation indéfinie des armements ; que celui de « l’assistance mutuelle » dissimule les vieilles alliances militaires… et qu’on revient ouvertement au « Si vis pacem para bellum », repoussé par tout le socialisme (Paul Faure, jadis), c’est-à-dire à la défense de la paix… par tous les moyens, y compris la guerre !…

Or, cette méthode a fait ses preuves : elle mène automatiquement à la guerre (Léon Blum… autrefois). Elle ruine tous les pays, elle exige une économie fermée qui, à elle seule, constitue la meilleure introduction au fascisme et à une prétendue défense des libertés, qui commence par les écraser sous la botte du militarisme…

Nous la répudions formellement !

Pour nous, la préparation, la conduite et les objectifs de la guerre impérialiste sont autant de moyens raffinés et rigoureux employés par chaque capitalisme pour renforcer sa domination de classe.

C’est pourquoi nous restons fidèles à la position définie par Léon Blum en 1930 : Nous opposons une fin de non-recevoir absolue et inconditionnelle à toute solution des litiges internationaux par la guerre.

Mais cette déclaration de principe, que vaut-t-elle devant le drame espagnol, l’événement autrichien, les menaces de toutes sortes qui se précisent à l’horizon ?

Elle vaut dans la mesure où la classe ouvrière encore libre prendra conscience que tout dépend désormais, de son action directe de classe.

Ainsi, le fascisme procède par infiltration, en s’appuyant sur ses alliés naturels : les ligues stipendiées et armées par le grand capitalisme. En France : le C. S. A. R., le grand patronat, les Michelin et les Gignoux, les Rothschild et les de Wendel… C’est là que nous devons frapper, et très vite, les coups décisifs.

Nous proposons comme objectif : la mise hors d’état de nuire de nos propres hitlériens. Nous proposons comme moyen : la confiscation des biens des émigrés de l’intérieur (et, si on le veut, on trouvera derrière le C. S. A. R., toute la haute banque et les industries-clés).

Nous proposons comme méthode : l’action directe de masse comme en juin 1936.

Est-ce assez clair ?

D’autre part, la guerre exige dès maintenant des stocks formidables de certaines matières premières indispensables : carburants et minerais spéciaux. Le prolétariat peut, par l’embargo, en contrôler une proportion considérable ; il peut venir en aide à nos frères espagnols et refuser le réarmement de tous les impérialismes. Mêmes objectifs, mêmes moyens, mêmes méthodes, même conclusion implacable : seule, l’intervention de la force autonome du prolétariat révolutionnaire, peut actuellement renverser le cours des événements.

Oui, c’est bien l’heure de la lutte décisive entre le fascisme et le socialisme.

Le prolétariat subira dans la défaite la construction d’une nouvelle Europe basée sur son esclavage renforcé, ou bien il devra s’emparer des sources de matières premières pour les gérer collectivement.

Oui, c’est en même temps la course entre la révolution et la guerre.

Le prolétariat qui refuse de se battre contre son ennemi de classe pour conquérir le pouvoir, devra se battre contre ses frères de classe pour consolider le pouvoir de ses maîtres. Quant à nous, notre choix est fait.

Plus que jamais, nous demeurons fidèles aux principes et aux espoirs du socialisme international.

D’autres semblent se réfugier dans une attitude de collaboration de classe qui conduit fatalement à l’intégration du mouvement ouvrier dans l’union sacrée, et à l’acceptation de la guerre.

Soit ! Qu’ils sachent dès maintenant - et qu’on note bien partout - que cette politique et ces opérations n’auront jamais notre approbation.


La Révolution espagnole et nous, Complément d’information, par Marceau Pivert et Daniel Guérin

Le Populaire, 7 septembre 1937

Tribune du parti
Les articles de cette rubrique n’engagent que la responsabilité de leur auteur


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Nous avons dit dans un précèdent article les vives appréhensions que nous inspire l’évolution actuelle de la République espagnole. Aujourd’hui nous sommes en mesure de présenter à nos lecteurs un complément d’information.

Une délégation internationale, envoyée par le Comité de défense des révolutionnaires antifascistes en Espagne vient, en effet, de se rendre à Valence et à Barcelone. Elle était conduite par Maxton, président de l’Independent Labour Party, et notre ami Weil-Curiel, rédacteur en chef de l’Espagne Socialiste. Elle a pu s’entretenir là-bas avec un certain  nombre de dirigeants de la République espagnole ; elle a pu également avoir une entrevue avec quelques- uns des leaders du P.O.U.M., dont Gorkin, emprisonnés à Valence. Elle a consigné ses observations dans un rapport. Un tel document ne peut être passé sous silence. En voici l’essentiel.

L’objet principal de la délégation était d’enquêter sur la disparition du camarade Andres Nin. Si elle fut reçue avec courtoisie par les membres du gouvernement, des journaux comme Frente Rojo et Verirad crurent devoir traiter ses membres « d’agents trotskysto-fascistes.» (sic).

Il résulta de son enquête que le gouvernement de Valence répudie toute responsabilité dans la disparition de Nin. Nin, après son arrestation, est tombé entre les mains d’éléments ; qui, s’ils appartenaient à la coalition gouvernementale, agissaient en marge du gouvernement régulier. Le ministre de la Justice, Irujo (mais citons le rapport) « se plaint à la délégation que la police se soit rendue quasi indépendante et que des éléments étrangers puissent en avoir le contrôle réel et se plaint de l’influence du Parti communiste sur la police.» Le ministre de l’Intérieur, Zugazagoitia, lui aussi « se plaint très vivement de la police, composée, dit-il, d’éléments recrutés en hâte depuis le 19 juillet, éléments chargés de passions politiques. » Pour le sous-secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil, Prat Garcia, « le gouvernement ne peut être tenu pour responsable des excès de pouvoir d’une police improvisée ». Quant à Indalecio Prieto, ministre de la Défense Nationale, il pense que les responsables de la disparition de Nin « se trouvent dans l’entourage du chef de la police, entourage qui avait été noyauté par des éléments communistes, selon: leurs procédés ordinaires… »

Le témoignage de Gorkin corrobore celui des ministres républicains. Les circonstances de son arrestation et de sa détention permettent d’imaginer ce qu’il est advenu de Nin. Arrêté à Barcelone le 16 juin (le même jour que Nin), Gorkin est, d’abord, transféré à Valence le 18, escorté de quatre policiers étrangers de la Guépéou. Le 23, il est remis en liberté avec quelques camarades sur un ordre régulier écrit. Mais, « dès qu’il a passé les portes de la prison des policiers s’emparent d’eux et les emmènent à Madrid » où ils sont « jetés dans un sous-sol de la brigade spéciale » c’est-à-dire dans une prison « privée ». Ce n’est qu’un mois après qu’ils sont transférés dans une prison d’Etat régulière. Nin n’a pas eu cette chance. Transporté de Barcelone à Valence, puis de Valence à Madrid, de « locaux spéciaux » en « locaux spéciaux », il est finalement séquestré par des policiers dans une maison particulière, à Alcala de Henares. Depuis, on perd sa trace. Le sous-secrétaire d’Etat Prat Garcia hasarde cette hypothèse : « S’il vit, il peut se trouver dans une ambassade… » Le ministre de l’Intérieur croit nécessaire « de mener l’enquête avec une extrême lenteur, car, dit-il, si l’on précipitait les choses, on risquerait de ne retrouver qu’un cadavre ». Est-il nécessaire de commenter ?

Quant à l’accusation odieuse par laquelle on a voulu déshonorer le P.O.U.M., les personnalités interrogées la repoussent nettement. Le ministre de la Justice répète « qu’il n’est plus question d’accuser d’espionnage aucun dirigeant du P.O.U.M. » Il a étudié à fond le dossier de l’affaire ; aucune des soi-disant pièces à conviction n’a dû résister à l’examen. Ni Prieto, ni Prat Garcia ne croient davantage que les dirigeants du P. O· U. M. soient des espions. Le procureur de la République, Ortega y Gasset, va jusqu’à exprimer « toute l’estime qu’il avait pour les dirigeants du P.O.U.M. »

Le procès du P.O.U.M., qui va s’ouvrir bientôt devrait donc aboutir à un acquittement. Si vraiment le seul chef d’accusation retenu est la participation des prévenus aux journées de mai à Barcelone, Gorkin n’aura pas de peine à disculper son parti.

Il lui suffira de dire la vérité : ces journées ont été une réponse spontanée des masses à ceux qui voulurent déloger le prolétariat de certaines positions stratégiques comme le Central téléphonique. D’ailleurs, le ministre de la Justice a fait connaître à la délégation son intention de présenter un projet d’amnistie pour les délits politiques et sociaux.

Mais, attention ! Les ennemis du P.O.U.M. n’ont pas désarmé. « L’extrême-droite, avoue le ministre, s’opposera probablement à ce projet ». (« L’extrême-droite, précise-t-il, ce sont les communistes  »). D’autre part contredisant son ministre, le juge d’instruction, chargé-d ’instruire l’affaire, vient de conclure son rapport en accusant les dirigeants du P.O.U.M. de s’être « mis d’accord avec des individus étrangers appartenant à la Gestapo allemande ».
L’odieuse accusation réapparaît. Nos camarades sont toujours en danger.

Citons, pour terminer, ces graves déclarations faites par Prieto: « La délégation ne représente que les pays qui ont peu fait pour l’Espagne, elle représente des partis dont l’action est restée inefficace ou de trop peu d’efficacité, tandis que les Russes envoient les armes qui permettent à la République espagnole de résister à l’assaut du fascisme… » (La délégation dit avoir eu la nette impression que le ministre faisait allusion aux compensations politiques exigées par Moscou en échange de son soutien). Ces paroles et leur interprétation par la délégation confirment ce que nous avons écrit ici. Elles confirment qu’il existe une liaison étroite entre la politique de non-intervention, d’une part, et la répression de l’avant-garde révolutionnaire, d’autre part.
Le jour où le blocus sera levé, le jour où l’U.R.S.S. ne sera plus seule à soutenir nos frères d’Espagne, ce jour-là, non seulement leur République, mais aussi leur Révolution sera sauvée. Ce jour-là, notre Parti, la délégation permanente de la CAP dont nous demandons l’envoi à Valence, pourront aider le parti frère d’Espagne dans la conduite des opérations militaires et révolutionnaires, pourront se faire entendre de lui.
Mais le temps presse.


Pour une politique de classe par un Parti de classe

Brochure, octobre 1937.

 


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Comme les autres ?


Le Parti Socialiste S.F.I.O. est-il donc un Parti comme les autres ?

Comme les autres partis politiques de la bourgeoisie, qui promettent démagogiquement monts et merveilles lorsqu’ils se présentent devant les électeurs et qui s’inclinent complaisamment devant le mur d’argent, ou le « danger extérieur » lorsqu’ils sont au pouvoir ?

Comme les autres partis social-démocrates d’Europe qui ont été utilisés par le grand capital financier pour neutraliser l’action directe prolétarienne au moment où elle aurait pu réussir, puis rejetés, après épuisement, pour laisser la place au fascisme ?

Le Parti Socialiste S.F.I.O. qui avait résisté aux compromissions participationnistes en période de recul prolétarien va-t-il se vautrer dans une participation déshonorante avec les ministres imposés par la Banque Lazard, en période de montée des masses ?

Le Parti Socialiste S.F.I.O. qui avait chassé de ses rangs les révisionnistes les plus étrangers à un véritable parti prolétarien et internationaliste, va-t-il reprendre à son compte la trilogie monstrueuse « Ordre ! Autorité ! Nation ! » ?

Léon Blum, qui était « épouvanté » en juillet 1933 à l’énoncé des principes du « néo-socialisme » n’a-t-il rien à dire devant l’œuvre de « paix sociale » et « d’union sacrée » à laquelle il est associé, et avec lui, notre Parti ? L’ordre, à coups de crosses de garde mobiles contre les grévistes des H.C.R.B. ou de la terre ; l’autorité, grâce à la répression féroce des tribunaux bourgeois contre les électeurs du Front populaire ; la Nation, armée, casquée et livrée à l’état-major de l’impérialisme ; est-ce que tout cela est conforme aux principes constitutifs du Parti socialiste ? Est-ce que nous devons être solidaires de cela ? ou le dénoncer impitoyablement ?

Passons aux finances,

A l’origine de toutes les crises sociales il y a une question financière…

Le Parti Socialiste S.F.I.0. qui a dénoncé l’égoïsme de classe de la bourgeoisie au lendemain de la guerre va-t-il, maintenant, prendre en charge toutes les faillites économiques, toutes les manipulations monétaires, tous les tours de passe-passe de la super fiscalité de consommation qu’il a condamnées pendant 20 ans ?
La dévaluation, la déflation budgétaire, la fausse monnaie, la recherche de l’équilibre, la politique « de confiance », la grande pénitence, la compression des dépenses publiques… la course aux économies… combien de fois avons-nous mis en évidence : soit leur inefficacité, soit leurs répercussions douloureuses sur le niveau de vie des masses laborieuses ?

Et maintenant ? Osera-t-on nous demander de célébrer leurs vertus ? Aux acclamations des profiteurs et des triomphateurs, ces honnêtes seigneurs qui s’appellent Cailloux, Laval, Régnier, Abel Gardey… ?

Enfin, le Parti Socialiste S.F.I.O., qui a voté contre le traité de Versailles, travaillé au désarmement, combattu les deux ans, refusé, par principe, les crédits militaires et toujours décliné la moindre responsabilité dans le mécanisme effroyable de l’impérialisme français va-t-il devenir une pièce maîtresse sur l’échiquier international, chargé de chloroformer le prolétariat de notre pays avant que ses maîtres ne le conduisent à une nouvelle hécatombe ? …

Que signifient ces manifestations tricolores jusqu’au sein de nos Congrès ? Ces 11 Novembre et ces 14 Juillet où la frontière de classe est soigneusement camouflée ?

A quoi bon voter des motions, prendre des décisions, réunir des assemblées en faveur de la défense laïque, au moment même où le Gouvernement dit de Front populaire, à participation socialiste, reçoit officiellement le représentant du Pape et fournit aux futures légions fascistes le moyen de rassembler des masses énormes autour de la Bienheureuse Ste-Thérèse de Lisieux ? A quoi bon ?

Le Parti Socialiste S.F.I.O. n’est-il pas en train de devenir un autre Parti Radical, sensible à toutes les corruptions du pouvoir ? Le Parti Socialiste S.F.I.0. n’est-il pas en train de suivre le même chemin que la social-démocratie allemande ?

*

Si nous connaissions mal notre Parti Socialiste S.F.I.O., nous pourrions en effet, à toutes ces questions accablantes, répondre par un geste découragé.
Mais nous croyons qu’il vaut mieux que cela !

Nous croyons que les erreurs et les capitulations qui viennent de provoquer de la stupeur, d’abord, de la colère et de la révolte bientôt n’ont pas encore entraîné toutes leurs conséquences.

Nous croyons qu’ils sont innombrables, les militants socialistes sans peur et sans reproche, capables de trouver en eux-mêmes le courage et le dévouement nécessaires à tous les redressements.

Nous croyons que le Parti est autre chose que quelques-uns de ses « chefs » même les plus éminents, Et qu’après avoir tiré de ceux-ci tout ce qu’ils pouvaient donner, il est capable d’aller plus loin, de servir plus complètement, avec moins d’hésitation, avec plus de foi et d’audace, la cause de la Révolution nécessaire. Nous croyons que le Parti est un organisme vivant, dont les masses doivent faire l’instrument de leur libération.

Et c’est en fonction de cet organisme vivant, en simple militant qui croit à la nécessité de la démocratie prolétarienne permanente et de la conquête du pouvoir par les travailleurs, que j’ai voulu apporter mon effort pour faire d’un Parti exclusivement électoral et parlementaire un Parti idéologiquement et matériellement armé pour les combats décisifs.

*

Ce Parti sera-t-il bientôt le Parti unique du prolétariat ?

Je l’ignore, mais pourvu qu’il permette à chaque militant de contribuer, comme je le fais ici en toute liberté à son orientation générale, je le souhaite ardemment.
En tout cas, quoi qu’il arrive, rien ne dispensera le prolétariat de cet effort acharné, auquel j’apporte ma modeste contribution :
— Pour une politique autonome de classe,
— Pour un Parti à la fois démocratique et révolutionnaire,
— Pour un Front populaire de combat,
— Pour la préparation de la conquête du pouvoir par les masses travailleuses.
Non ! Le Parti de la classe ouvrière ne peut pas être et ne sera pas un Parti « comme les autres… » si ses militants expérimentés, cultivés, maîtres de leurs nerfs et sachant ce qu’ils veulent, font la preuve qu’ils ne sont pas, eux, des « politiciens » … comme les autres.

I.  Pour une politique de classe
Vers l’offensive anticapitaliste

Quel doit être le rôle du Parti de la classe ouvrière dans les événements actuels ?

Sous peine de déchéance, le Parti de la classe ouvrière doit exprimer constamment les intérêts des exploités et diriger leurs luttes contre la cause de toutes leurs misères : le régime capitaliste.

Le Parti de la classe ouvrière ne peut pas être destiné à faciliter le rétablissement du régime capitaliste toutes les fois que celui-ci, incapable de maîtriser ses contradictions, fait appel à la collaboration du Parti des travailleurs.

Si la bourgeoisie est obligée de faire appel à la collaboration du Parti des travailleurs, c’est là une circonstance dont celui-ci doit s’emparer pour accabler, désarçonner et affaiblir l’ennemi.

Partant de ce point de vue : que devait être, que doit être encore le grand rassemblement de masse opéré sous le signe du Front populaire ?
Une occasion, pour la bourgeoisie, de neutraliser l’action offensive du prolétariat, en l’amenant à consentir au renforcement de son appareil militaire de classe ?
Ou une occasion, pour le prolétariat, de désarticuler, de démanteler la structure économique du capitalisme ?

Poser la question, c’est la résoudre.

Le Front populaire ne peut être, ne doit être qu’un moyen de rassembler toutes les catégories de victimes de la crise du régime économique pour les conduire à une vigoureuse offensive anticapitaliste.

Est-ce cela qu’on en a fait ?

Non !

Après avoir arraché des lois sociales considérables, grâce à la combinaison de l’action gouvernementale et de l’action directe (occupation massive des entreprises) on a laissé la mécanique du système capitaliste rétablir la « marge » de profit. Les grands trusts, les monopoles de fait, ceux qui « commandent » vraiment, en dictant les prix, ont profité de la perturbation sociale déclenchée par les travailleurs pour augmenter encore leur puissance, accentuer leur pouvoir, piller encore plus largement leurs concitoyens. Qu’a-t-on fait contre eux ? On a respecté la légalité capitaliste ! … On a joué le jeu : l’économie fonctionne toujours pour fabriquer du profit. Mais comme le prolétariat n’est pas disposé à se laisser faire, comme il a le droit et le devoir d’exiger l’adaptation de ses salaires aux indices des prix, il se produit une sorte d’écartèlement entre les deux pôles de la lutte sociale : grand capitalisme d’un côté, prolétariat de l’autre. Entre les deux, serrés dans l’étau, les classes moyennes, petits artisans, petits industriels, petits commerçants (bientôt, car leur tour viendra, les petits paysans), supportent le poids de l’exploitation renforcée du grand capitalisme et sont tentés de l’attribuer à la conquête des lois sociales.

Ainsi se trouve posée politiquement et économiquement la nécessité de maîtriser les trusts, c’est-à-dire d’entamer une lutte vigoureuse pour remettre entre les mains de l’ensemble de la Nation la direction et la gestion des grandes entreprises dominées par les oligarchies capitalistes.

Ou bien le Parti de classe entraînera le Front populaire à cette offensive contre les trusts.

Ou bien les trusts, dont la puissance sur la presse, sur l’industrie lourde, sur la banque, sur les assurances, sur les réseaux, sur l’énergie électrique est plus formidable que jamais, détermineront à bref délai le rassemblement des colères et des déceptions qui fournira ses meilleures troupes au fascisme.
La leçon des événements italiens, celle des événements d’Allemagne ou d’Autriche auront-elles été oubliées, à ce point, par les travailleurs de France ?

Au secours des classes moyennes

On s’imaginerait à tort que le Parti du prolétariat doit limiter son action aux seules revendications du prolétariat : Sa politique de classe doit être tout naturellement soumise à la direction de la classe ouvrière, mais celle-ci doit élargir le cercle de ses préoccupations égoïstes et savoir, s’associer à toutes les victimes de la crise du régime : seul le prolétariat, comme moteur et comme animateur de la lutte de classes est capable de conduire celle-ci jusqu’à son terme ; mais s’il comprend sa tâche historique, il ne sera pas seul à recueillir le fruit de ses efforts ( 1 ) .

D’où il résulte que la nationalisation des industries-clés et du crédit doit être envisagée pour venir en aide à la majorité des salariés employés dans les petites entreprises où ils risquent soit d’être trustés des lois sociales, soit de voir disparaître l’entreprise elle-même. Une véritable expérience d’économie dirigée doit commencer alors, mais à condition que le prolétariat en assure, dès le départ, l’orientation générale vers le but final.

En ce sens, on peut même dire que les classes moyennes ballottées entre les deux pôles contraires du grand capitalisme et du prolétariat, ont plus encore que les prolétaires, intérêt à la transformation du régime, car elles sont plus immédiatement menacées.

Ainsi, dans l’étape que nous devons envisager aujourd’hui, c’est par la nationalisation des trusts que se vérifiera le mieux cette affirmation de solidarité.
De quoi souffrent les classes moyennes ? Le petit industriel est écrasé par les charges sociales qui ne lui laissent qu’une marge bénéficiaire de plus en plus faible parce que le volume des salaires constitue une fraction importante du prix de revient dans sa petite entreprise.

Mais ses frais généraux seront considérablement diminués si la nationalisation de l’industrie électrique permet de lui accorder le courant à un prix très faible, et non seulement le courant, mais le gaz, ou le charbon venant de la mine nationalisée, ou la matière première sortant de la grosse industrie métallurgique ou chimique également nationalisée, ou enfin les crédits provenant de la Banque nationalisée.

Le petit paysan voit monter le prix, des machines, des produits industriels dont il a besoin, des engrais, des fers et aciers… Tous les produits du sol, sauf le blé, sont encore soumis aux fluctuations, manœuvres spéculatives et prélèvements des trusts. On ne le délivrera que par la généralisation des offices, mais surtout par l’utilisation, à son profit, des secteurs nationalisés : l’engrais à bon marché, fourni par la grosse industrie chimique, l’électricité, les machines, et même les semences sélectionnées et l’outillage léger, livrés directement par les entreprises nationalisées, à des prix d’autant plus bas que les cultivateurs consentiront à grouper en coopératives et en syndicats les petites unités individuelles de la production.

Le petit commerçant est à la merci d’échéances difficiles. La hausse des prix assèche sa trésorerie, les lois sociales retentissent sur sa marge bénéficiaire comme dans le cas du petit industriel. Là aussi, la nationalisation du crédit, la liaison directe avec les grands entrepôts nationalisés, l’encouragement accordé aux formes coopératives ou syndicales d’achat et de réapprovisionnement permettront au petit commerce en voie d’écrasement de s’adapter, de résister, et de découvrir le chemin qui conduira les travailleurs de la boutique à des formes supérieures d’organisation, c’est-à-dire de bien-être, au même titre que tous les autres travailleurs.

Insistons sur le fait que pour ces quelques catégories représentatives de ce qu’on appelle « les classes moyennes », comme pour toutes les autres, la nationalisation des assurances et celle de l’énergie électrique allégeront immédiatement les frais généraux et accroîtront considérablement les garanties de sécurité pour la couverture de tous les risques, calamités agricoles, incendie, vol, chômage, maladie, vieillesse, décès.

Par l’action directe des masses

Encore faut-il s’entendre sur la méthode à employer pour arracher au grand capitalisme ses privilèges et mettre sous le contrôle et sous la direction des travailleurs le secteur économique qui fait sa puissance.

S’agit-il seulement d’obtenir une majorité au Parlement ?

S’agit-il de laisser fonctionner la légalité pseudo-démocratique sans appui extérieur ? On sait ce que cela donnera : le bluff et le mensonge des fausses réformes, qui masquent habilement la domination de classe mais sans la détruire, sont désormais transparents. Les nationalisations comme celle de la Banque de France ou des industries de guerre (2) n’ont pas modifié sensiblement le caractère de classe des institutions. Les grands capitalistes de chez Brandt, Schneider ou Hotschkiss ont été copieusement indemnisés. (Brandt continue d’ailleurs, par l’intermédiaire de son gendre, à faire exploiter ses brevets en Italie… au bénéfice de Franco). Ils sabotent efficacement la production, dans l’espoir de racheter bientôt leurs usines pour presque rien.

Nous ne voulons pas de ces pseudo-réformes bureaucratiques et accomplies par accord amiable entre les capitalistes et l’État (capitaliste).

Nous voulons de véritables conquêtes ouvrières, c’est-à-dire une reprise, une expropriation, une transformation réelle de nature. Qui commandera ? Qui gérera ? Qui pourra mettre à profit la nouvelle gestion ? Telle est la question essentielle à laquelle nous répondons : les travailleurs organisés dans leurs syndicats.

Sous la direction d’un gouvernement de Front populaire de combat, le statut juridique des entreprises nationalisées sera sans doute « mixte », comme l’a toujours revendiqué la C. G. T. : gestion tripartite avec représentants des usagers, des producteurs et de l’Etat. Mais le fonctionnement du nouveau service public devra être syndicalisé et non étatisé (Voir la brochure de l’U.T.S. : les Conseils d’entreprises.)

Seulement, ce qu’il faut bien savoir, dès maintenant, ce qu’un Parti doit dire, mettre en évidence, préparer dans les esprits et dans les faits, c’est que seule l’action directe prolétarienne permettra d’obtenir ces résultats. C’est qu’il s’agit là, vraiment, d’une bataille de classe de première grandeur, exigeant toutes les ressources de la technique de lutte autonome, sans compromis, sans ruse, sans faiblesse.

Un militant syndicaliste, René Guerdan, s’adresse à Léon Blum en ces termes (3) :

« Gouverner, ce n’est pas préparer ces dosages florentins, ces ingénieux compromis, ce n’est pas effectuer ces virevoltes savantes entre la chèvre et le chou, ou ces laborieux croisements entre la carpe et le lapin. Le nœud gordien se tranche, il ne se dénoue pas… Nous connaissons ce jeu subtil de votre esprit ondoyant qui, excellent dans l’art de plaire, s’est efforcé tout au long de votre vie de marier les contraires… Mais maintenant les finasseries ne sont plus de mise, et ce que l’on vous demande, chef incontesté du Front populaire, ce ne sont plus des mains fines et habiles de tireur de dogme, ce sont des mains rudes et calleuses de travailleur qui bâtit. C’est à la gorge qu’il faut prendre les abus… »
Fort bien !

Mais c’est à soi-même qu’il faut commencer par adresser des commentaires du même ordre, et le syndicalisme doit savoir, de science certaine, que les seuls progrès véritables accomplis dans la voie de l’émancipation ouvrière l’ont été en vertu de l’effort et des sacrifices autonomes des travailleurs ; « Ne t’attends qu’à toi seul ! »

Contrôle des changes et centrale des devises

(Les illusions conscientes de Georges Bonnet.)

Nous avons dénoncé devant le Parti (4) l’opération politico-financière qui a conduit à la substitution du gouvernement Chautemps-Bonnet au gouvernement Blum-Auriol.

Nous nous sommes élevés contre l’affirmation audacieuse suivant laquelle ce gouvernement de la Banque Lazard était l’expression du Front populaire.

Aujourd’hui (5), nous pouvons vérifier cette affirmation dans les chiffres officiels eux-mêmes.

On a commencé par frapper les classes pauvres en dissimulant parfois les mesures prises derrière des apparences de coercition envers les riches. 10 milliards 1 /2 d’impôts et taxes nouveaux, payés directement ou par incidence par la classe productrice…
•             Majoration de 20 % pour les revenus supérieurs à 20.000 francs.
•             « Aménagement » des droits d’enregistrement et de timbre.
•             Elévation de la taxe à la production de 6 à 8 %.
•             Relèvement des droits de douane et de licence.
•             Modification du régime du ferrocérium, des briquets, de la bière.
•             Majoration de 20 % pour les tabacs.
•             Droits de licence et taxes sur le combustible pour les transports routiers.
•             Elévation de l’affranchissement postal.
•             Augmentation du tarif des transports (18 % pour les marchandises.)

Presque toutes ces mesures reviennent à diminuer la capacité de consommation de la classe ouvrière.
La deuxième dévaluation également. Une inflation de 15 milliards de billets peut tirer la trésorerie d’une échéance difficile, mais cet artifice se paie par la nécessité de présenter un nombre plus considérable de signes monétaires pour acquérir le même objet : nouvelle diminution de la capacité de consommation des travailleurs.

Dans ces conditions, on ne peut que rougir de honte à la lecture du Populaire du 22 juillet, qui affirme que les mesures prises par Georges Bonnet ne sont pas des mesures de déflation ! Un socialiste ne peut se prêter à une telle tentative de bourrage de crâne. Car, seule, la vérité est révolutionnaire.
Cela rappelle les communiqués enthousiastes du Secrétariat du Parti, sur « la finance-asservie » par l’emprunt de défense nationale du 5 mars. Piètres procédés qui discréditeraient à jamais le socialisme s’ils pouvaient être acceptés et généralisés par des militants « suiveurs », prêts à obéir servilement à toutes les cabrioles intellectuelles de leurs porte-paroles ou de leurs porte-plumes. Mais heureusement la race des Beni oui-oui et les brigades d’acclamations spontanées font place, dans le Parti, à une génération de militants indépendants, capables d’auto-critique, et imperméables aux littératures politiques frelatées. Quel est donc le résultat de l’intermède G. Bonnet-Lazard, imposé au front populaire et accepté, grâce à l’intervention prestigieuse, personnelle, sentimentale de Léon Blum et Paul Faure, par notre Parti de classe, malgré son instinctive révolte contre cette comédie ?

C’est entendu, M. Bonnet affirme que le budget sera enfin en équilibre. C’est entendu « Le Populaire » affirme que la fixation du plafond de la Trésorerie, alimentée par l’emprunt de 25 milliards de dépenses, « se justifie par l’équilibre budgétaire ».

Or, depuis 1931-32, jamais l’équilibre n’a été réalisé, et en 1937, il ne le sera pas plus qu’avant le Front populaire.

La gestion du gouvernement Blum a-t-elle aggravé cette situation; l’a-t-elle améliorée ?

Les chiffres répondent. Le déficit du budget ordinaire était de 8 milliards et demi, (moins que celui de Doumergue, autant que celui de Laval). Les émissions prévues pour finir l’année devaient atteindre 36 milliards, parmi lesquels 10 milliards 1/2 de remboursements. L’augmentation de la dette est donc un peu plus considérable : 26 milliards (dont 8 pour les municipalités). Mais n’oublions pas l’augmentation des dépenses militaires, consenties en septembre 1936, et hypothéquant lourdement (tout se paie !!!) l’expérience de rénovation économique entreprise trop timidement.

Vient M. Bonnet, retour de Washington. La grande presse reprend les thèmes traditionnels : l’équilibre du budget redevient le prétexte classique aux « compressions ». Cela signifie qu’on fera payer le lampiste. En effet, non seulement par les mesures fiscales rappelées ci-dessus, mais par les décrets « d’économie » imposant aux collectivités publiques, départements, communes en déficit l’obligation d’augmenter leurs tarifs, on va trouver des ressources dans la poche des pauvres : augmentation des tarifs de tramways, d’autobus, de métro, du gaz, de l’eau, de l’électricité… et des centimes additionnels quand cela ne suffit pas…

Cela n’empêchera pas le déficit de s’établir autour des mêmes chiffres, ni la dette publique de s’accroître d’un volume à peu près constant : 16 milliards environ d’après les calculs de F. Delaisi (3).

En somme… ça continue !
Et pourtant, le Front populaire a été formé « pour que ça change ». La grande politique de G. Bonnet et Lazard consiste à prévoir, d’ici la fin 1938 :
•             16 milliards d’impôts nouveaux.
•             15 milliards de faux billets.
•             25 milliards de Bons du Trésor.

Mais tout n’est pas dit.

La compression brutale des moyens de consommation qui va ramener cet hiver les travailleurs à un niveau inférieur à celui qu’ils avaient sous Laval, va inévitablement déclencher une crise sociale sérieuse.

Il faudra choisir entre la politique des Banques et la politique du peuple. Je dis bien politique des Banques (et des trusts), car nous ferons un jour le bilan des avantages considérables obtenus pendant 1936-37 par les forbans du grand capitalisme dans leurs opérations de change, de dévaluations et de spéculations internationales.

Il faudra donc en finir une fois pour toutes.

C’est pourquoi nous devrons exiger les seules mesures capables d’arracher leur pouvoir infernal aux oligarchies économiques et financières : sur le plan financier, la seule mesure efficace à envisager avant que l’encaisse or ne soit tombée à un rapport trop faible par rapport à la circulation, c’est le contrôle des changes.

Sans entrer dans les détails, cette institution a pour principe la centralisation de tous les besoins et la fourniture de toutes les devises nécessaires au règlement des transactions commerciales.

D’une part, les commerçants qui ont besoin de devises s’adressent à la Centrale, qui vérifie naturellement l’emploi de celles-ci (par exemple, on établira des factures visées par les consulats pour les matières importées).

D’autre part, les exportateurs seront placés dans l’obligation de rapatrier leurs devises (par exemple, par l’obligation de faire enregistrer à la Centrale la facture d’une cargaison exportée, le service des douanes étant chargé de vérifier la concordance des déclarations.)

On peut imaginer, à partir de cette institution, la création d’une monnaie intérieure et d’une monnaie extérieure. Enfin, on peut la compléter par des mesures relatives aux titres étrangers pour imposer leur négociation par le canal d’établissements bancaires spécialisés.

De toute façon, le contrôle des changes deviendra une nécessité qu’on a retardée le plus possible, comme pour mieux permettre à certains forbans internationaux de rafler des fortunes sur la misère des travailleurs. Mais l’heure de la justice approche et les complices devront être traités avec la même rigueur que les profiteurs directs.

Notes:

(1) Rappelons l’importance des petits entrepreneurs (chiffres arrondis) : 200.000 patrons occupant moins de 50 ouvriers (dont 175.000 occupent moins de 5 ouvriers), occupent en tout : 5 millions et demi de salariés. 18.000 chefs de grosses entreprises ou administrateurs de sociétés, occupent en tout : 4 millions de salariés.
(2) Ou des réseaux avec la nouvelle société « nationale » à majorité confiée à « l’intérêt général ».
(3) L’Homme Réel, juin 1937.
(4) Conseil National extraordinaire du 22 juin 1937.
(5) 30 septembre.


 

La fusillade de Clichy, par Kramer Christian

La Lutte ouvrière, 19 mars 1937

 


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Le soir du 16 mars 1937, une contre-manifestation contre une réunion du PSF (ex-Croix de Feu) à Clichy se voit tirer dessus: 5 morts et des centaines de blessés. Solange Demangel, militante GR de la 18° section socialiste, décèdera quelques jours plus tard.

Récit de Ch. Kramer, du 17° rayon:

A Clichy, le 16 mars après la fusillade:

« … A 22 h. Max Dormoy arrive, pâle comme un mort. « Dormoy assassin! », « Dormoy démission! » hurlent des milliers de travailleurs. Le ministre de Blum annonce que le service d’ordre va se retirer et que tout va s’arranger. Immédiatement, blêmes et effondrés, les dirigeants staliniens en profitent pour crier: « Dispersez-vous, camarades », « Discipline », « Vive le Front populaire »! Ils ne se rendent pas compte que les travailleurs de Clichy viennent de comprendre ce soir-là ce qu’est le Front populaire et ce qu’il vaut!(La police charge à nouveau)… « A 22h45, Thorez arrive, effondré… entre dans la mairie. On le supplie de se montrer au balcon et de parler. Il refuse systématiquement de parler aux ouvriers déçus. D’une voix blanche avant de repartir il dit: « Du calme!; du calme! Je vais demander la démission de Dormoy. » C’est tout. »

… Quelques temps après il revient à nouveau. Près de lui un groupe d’ouvriers scande: « Milices ouvrières pour le socialisme » sur l’air des lampions. Thorez se retourne et leur lance haineusement: « Sales trotskystes »…

 


 

Lettre au PCF sur l’agression contre Marceau Pivert, par le secrétariat de la SFIO

 

Parti socialiste (S.F.I.O.)
Secrétariat général
Paris, le 7 octobre 1937
Au Comité central du Parti communiste
120 rue Lafayette, Paris X°


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Chers camarades,
La C.A.P. m’a chargé de vous rappeler la communication très instante qui vous a été faite au dernier Comité d’Entente.
L’agression intolérable dont notre camarade Marceau Pivert a été l’objet dans l’Humanité du 25 septembre constitue une infraction caractérisée au pacte d’unité d’action qui proscrit formellement les attaques contre les militants.
Notre Parti eût été fondé, comme il vous l’a fait observer, à ne pas poursuivre les travaux du Comité d’Entente tant qu’une déclaration sans équivoque n’aurait pas révélé l’intention du Parti communiste de respecter le pacte. Il ne l’a pas fait pour manifester une fois de plus sa fidélité à l’unité d’action.
Mais notre délégation vous a averti qu’une rectification rapide s’imposait et que l’injure faite à notre camarade devait être désavouée nettement.
A cet égard il vous a été indiqué que la note parue dans l’Humanité du 26 septembre au sujet d’une prétendue « omission » nous semblait insuffisante et qu’elle ne donnait pas à notre Parti les satisfactions qu’il est en droit d’attendre.
Depuis le Comité d’Entente du 28 septembre, vous n’avez pas inséré de rectification. Vous avez cependant si peu perdu le souvenir de notre demande que le camarade Bonte vient d’adresser à l’Humanité, qui n’a pas manqué de l’insérer, « conformément aux règles de la démocratie en vigueur dans notre Parti « , l’article contre la position de Marceau Pivert que Jacques Duclos avait annoncé en réplique à nos observations lors de la séance du Comité d’Entente.
Nous tenons à attirer votre attention à nouveau sur le fait que vous rendriez impossible tout travail commun si vous persistez à ne pas désavouer dans le plus bref délai l’appréciation injurieuse donnée sur notre camarade Marceau Pivert dans l’Humanité du 25 septembre. Si vraiment, comme vous le prétendez, il s’agit d’une erreur matérielle, rien de plus simple que d’affirmer qu’il n’a jamais été dans votre pensée de tenir pour un aventurier un militant qualifié du Parti socialiste. Si au contraire, il y a eu de votre part volonté de discréditer ce militant, c’est le respect du pacte qui est en cause.
Nous espérons que vous ne voudrez pas prendre la fâcheuse responsabilité d’une infraction délibérée et persistante au pacte que vous avez signé, avec toutes les conséquences que cette infraction comporterait.
Recevez, chers camarades, nos salutations socialistes.

Pour la Commission administrative permanente
Le secrétaire général
Paul Faure


 

 

Pourquoi nous quittons le Parti S.F.I.O., par  S. Broussaudier.

Extrait des Cahiers rouges N° 12 de juin-juillet 1938


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Beaucoup ne comprennent pas, ou feignent de ne pas comprendre. Expliquons-nous donc clairement.

1° La question de la Seine

Cette question a joué un rôle important dans les événements qui nous ont amenés à notre décision, parce que nous étions solidaires de Marceau Pivert et de ses camarades, mais elle avait surtout une valeur d’indication, de symbole en quelque sorte.
En effet, si on laisse de côté la lettre privée (et d’ailleurs innocente) de Marceau Pivert, lettre dont l’utilisation suffit à disqualifier la Commission des conflits, nos camarades ont été frappés (d’une suspension sans appel) pour l’envoi d’un tract à l’intérieur du Parti, alertant les militants, en vue d’un prochain congrès, sur les dangers de la tentative faite par Léon Blum en mars dernier.

C’est un cas-type de la suppression de la démocratie à l’intérieur du Parti, de l’interdiction de la libre critique. Et cela est déjà d’une importance très grave.

Passons sur certaines… anomalies: des camarades ont été frappés alors qu’ils n’avaient été entendus que comme témoins! Quand on est décidé à empêcher l’expression de certaines idées, on ne s’embarrasse pas de scrupules de ce genre.
Mais la Fédération de la Seine s’étant presque unanimement déclarée d’accord avec son bureau et ayant demandé la suspension des sanctions jusqu’au Congrès, la Fédération est dissoute vingt-quatre heures après, sans aucune tentative de conciliation; cas unique dans l’histoire du Parti!

Le but de l’opération est clair: décapiter la G.R. avant le Congrès de Royan, lui enlever 433 mandats qui pourraient, comme cela s’est déjà fait, mettre le Secrétaire général en difficulté.

Et pour être sûr qu’on sera bien débarrassé de ces gêneurs, on ne se contente pas d’exiger, pour entrer dans la nouvelle Fédération, un serment de soumission à la décision de la Commission des conflits, mais on refuse d’admettre le serment de ceux qui sont connus comme G.R.!

C’est ce qui permettait à la Fédération de la Haute-Vienne, où il n’y a pas de tendance G.R., de parler, dans sa motion d’une « volonté d’épuration systématique« .

On pouvait espérer, après cela, que le Congrès de Royan s’insurgerait contre ces méthodes; mais la bureaucratie avait bien pris ses précautions.

A notre désir de conciliation répondit une volonté réelle de laisser hors du Parti la Fédération de la Seine, dont on fit le procès (et en quels termes!) sans que ses représentants soient admis à se défendre.

Blum se lamenta, mais ne voulut rien faire. Arnol, Lebas, et Paul Faure furent aussi violents que possible, P. Faure reconnut que depuis longtemps il voulait exclure la G.R. La motion de conciliation de la Haute-Vienne et celle du Doubs ne furent même pas mises aux voix, et la motion du Nord, refusant toute mesure d’amnistie, obtint la majorité.

Dès ce moment on pouvait prévoir la suite, d’autant plus que la question avait été nettement posée par Blum sur le terrain politique. Il était évident pour tous que les sanctions disciplinaires n’étaient qu’un prétexte juridique pour se débarrasser d’une opposition politique gênante.

2° La question politique

Malgré tout, les délégués de la G.R. participèrent jusqu’au bout aux discussions, pour ne laisser échapper aucune possibilité de redressement du Parti sur le terrain politique.

Certes, nous ne demandions pas au Congrès d’adopter les thèses de la G.R., mais nous lui demandions au moins de renoncer à toute tentative d’union nationale, conformément au vœu de la quasi-unanimité du Parti. (La Fédération des Alpes-Maritimes avait, à l’unanimité, voté un ordre du jour dans ce sens, et de nombreuses fédérations en avaient fait autant.)

Or, non seulement Blum voulut à toute force faire approuver ses tentatives de « Rassemblement national » ou d’ « unité française« , mais il refusa obstinément de s’engager pour l’avenir ou de laisser poser la question au Congrès; il alla même plus loin dans son discours, déclarant qu’un gouvernement de Front populaire était impossible, et que le Parti ne pouvait revenir au pouvoir qu’à la faveur de circonstances exceptionnelles permettant la constitution de ce gouvernement d’ « unité française » auquel il ne renonçait pas. En attendant, soutien du gouvernement Daladier tant que le grand gouvernement d’unité française n’est pas possible.

Et comme si cela n’était pas suffisant, Blum annonça aux délégués, dont beaucoup n’en croyaient pas leurs oreilles, qu’en cas de guerre le Parti ne refuserait pas d’entrer à nouveau dans l’union sacrée!

On comprend les félicitations sincères des journaux de droite. Jamais, en effet, le parti socialiste n’avait été aussi « sage ». On comprend aussi l’enthousiasme de certains zyromskistes qui soulignent avec complaisance que Blum accepte la plupart des idées de Zyromski en politique extérieure, et en fait accepter, à la majorité du Parti, toutes les conséquences.

Ce qu’on comprend moins, c’est l’étonnement de certains vrais socialistes devant notre attitude. Que leur faut-il de plus? Quand donc auront-ils compris?

3° Les possibilités de redressement

Certains se bercent encore de l’espoir de travailler, à l’intérieur du Parti, au redressement nécessaire. Nous devons leur dire, avec la franchise que nous devons à de bons camarades, que c’est là un espoir complètement illusoire.

Nous avons nous-mêmes lutté, tant que nous avons pu le faire, dans le Parti. Nous avons pu constater que les militants les plus sincères, ou bien s’éloignaient du Parti et abandonnaient toute action, ou bien se laissaient peu à peu endormir et cédaient parfois, eux aussi, au chantage permanent au péril extérieur.

Les réactions spontanées, très vives au moment de la capitulation devant le Sénat, se sont peu à peu émoussées dans le Parti. La tentative « de Thorez à Reynaud » avait heurté tout le monde; aujourd’hui, ceux mêmes qui avaient critiqué le « Front des Français« , formule communiste, acceptent l’ « unité française » , présentée par Blum.

Tous ont pu constater comment la bureaucratie du Parti se débarrassait de ceux qui devenaient gênants. Et tous ont pu constater que la tendance zyromskiste, en dépit d’une opposition de façade et de revendications démagogiques, se rallie, en fait, à la politique de Blum dirigée vers l’union nationale.

Ceux qui voudront défendre le socialisme traditionnel, fondé sur la lutte des classes, à l’intérieur du Parti, seront vite conduits à l’indiscipline ou s’épuiseront en luttes stériles.

Après l’escamotage du Conseil national de mars, notre dernier espoir résidait dans le Congrès de Royan. Ce Congrès a montré que le Parti était incapable de se redresser lui-même, de tirer les leçons de l’expérience, de se dégager de l’emprise de certains « chefs ».
Pour nous, la question, est tranchée. Le Parti S.F.I.O., complètement enlisé dans le parlementarisme, est incapable de s’arrêter sur la pente où se sont engagés les autres partis sociaux-démocrates.

C’est un devoir impérieux pour nous de renoncer à toute complicité avec ceux qui entraînent le Parti, et avec lui, une partie de la classe ouvrière, vers la catastrophe, même s’ils ne s’en rendent pas compte.
Nous le faisons avec un grand déchirement de cœur, car nous aimons le Parti, malgré toutes ses fautes. Mais ce qui est le plus grave, ce n’est pas de commettre des fautes, c’est d’être incapable de les reconnaître, c’est d’y persévérer.

4° Les tâches de l’avenir

On a essayé de nous retenir avec une insistance qui ne ressemblait guère à l’attitude qu’on avait eue envers nous dans le passé. Et on nous a dit que nous reviendrions dans trois mois ou dans un an.

Nous reviendrons dès que le Parti S.F.I.O. aura retrouvé son attitude vraiment socialiste, conforme aux principes essentiels de sa charte. Et nous nous gardons bien, par des polémiques acerbes ou des querelles de boutiques, de retarder d’un seul jour l’unification totale du prolétariat sur la base de la lutte de classe, de l’action révolutionnaire.

En attendant de pouvoir faire ce que d’autres n’ont pas pu ou pas voulu faire, nous avons une tâche immédiate à laquelle nous ne pouvons pas nous dérober: rallier tous ceux que les événements de ces dernières années avaient découragés et éloignés de l’action, rallier ceux qu’avaient déçus et écœurés les déviations des partis prolétariens, entretenir et ranimer chez eux la flamme révolutionnaire, développer la résistance à l’union nationale et à l’union sacrée.

Nous quittons le Parti socialiste parce que nous sommes socialistes et que nous sommes décidés à le rester.


 

 

Naissance d’un parti nouveau: le P.S.O.P. , par John Mc NAIR.


Article de John Mc Nair, de l’Independent Labour Party (I.L.P.), paru dans Les Cahiers rouges N°12 (juin-juillet 1938). Membre du contingent de l’ILP en Catalogne en 1936, John Mc Nair (1887-1968) deviendra secrétaire général de l’ILP en 1939.
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Le socialisme en France

Naissance d’un parti nouveau : Le Parti Socialiste Ouvrier et Paysan
Le XXXV° congrès annuel du Parti socialiste S.F.I.O. appartient maintenant à l’histoire ! Il a eu pour issue – en vertu même de son orientation – la constitution d’un parti nouveau rallié aux directives de la gauche révolutionnaire. Son nom ? Parti socialiste ouvrier et paysan.
Le débat relatif à la politique étrangère du gouvernement de Front populaire, débat poursuivi pendant les deux jours suivants, avait été très favorable au bureau central. Il n’était pas possible de défendre, devant un public de délégués ouvriers, la sinistre trahison à l’égard de l’Espagne et l’asservissement de la politique française à la haute finance de Paris et de Londres surtout. Les délégués, troublés et confondus, attendaient néanmoins, avec cette patience qui est à la fois leur force et leur faiblesse, la réplique officielle.

Le discours de Léon Blum

Le mardi matin, à 9 heures, Blum intervint dans le débat. Il parla deux heures et demie. Pareil type oratoire est rare en Angleterre aujourd’hui. Il avait fait appel à tous ses pouvoirs de persuasion. Et du strict point de vue de l’effort mental et physique, ce fut une merveilleuse performance. Mais à aucun moment il ne répondit avec précision aux critiques formulées. A l’auditeur superficiel, il semblait bien qu’il traitait effectivement le sujet proposé, mais, réflexion faite, on s’apercevait que l’on n’avait reçu de lui aucune réponse, parce qu’aucune réponse n’était possible.

La non-intervention

Il parla de l’Espagne pendant quarante minutes. Qu’est-ce que la non-intervention ? demanda-t-il, et puis il répondit lui-même : « C’est simplement le contraire de l’intervention. » – Il nous gratifia d’un regard d’ensemble sur l’histoire du XIX° siècle et prouva de façon concluante que l’intervention d’un État dans les affaires intérieures d’une autre puissance est indéfendable. Donc, conclut-il, la non-intervention du gouvernement de Front populaire reste dans la ligne même des plus hautes traditions de la pensée démocratique et républicaine.

Et le congrès applaudit. Mais le problème véritable n’avait même pas été effleuré ! Le congrès, consciemment ou non, restant aveugle à l’égard du fait que pareille politique se traduisait en réalité par l’acceptation d’une cynique et ouverte « intervention » en Espagne de tous les États fascistes. La politique de non-intervention avait favorisé le mal même qu’elle était supposée prévenir. Sur un point, particulièrement, Blum garda un silence significatif. Il ne dit pas au congrès pourquoi le gouvernement de Front populaire en juillet 1936 avait arrêté dans le port de Bordeaux le départ de tout un chargement de matériel et de munitions que le gouvernement républicain légal avait commandé dès avant l’ouverture des hostilités. Matériel et munitions qui eussent sauvé l’Espagne ! Que pareille trahison eut été commise par le gouvernement nationaliste anglais, voilà qui se pouvait comprendre ; mais par une contradiction aussi tragique qu’étrange c’est le gouvernement français de Front populaire qui en porte la responsabilité. Le prix en a été payé par le sang même de ses frères d’Espagne. Est-ce là ce que Léon Blum appelle de la « non-intervention » ?

Le problème financier

Sur le terrain financier, sa position était plus faible encore, mais une fois de plus, il jeta de la poudre aux yeux des délégués.
« Quand nous prîmes le pouvoir, dit-il, mon ami Vincent Auriol et moi-même comprîmes que la situation financière de la France était désespérée et qu’une dévaluation était inévitable. Malgré tout, nous crûmes qu’il était de notre devoir de tout faire pour prévenir cette dévaluation et nous décidâmes de « tenir » jusqu’à la limite extrême de nos ressources.»

Là-dessus, Blum s’embarqua à pleines voiles pour le royaume des spéculations philosophiques, affirma que tout, dans les affaires humaines, est de l’ordre des réalités relatives et que peut-être l’inévitable peut être évité.

Tout cela était bien beau! Le congrès se trouvait flatté d’être invité à prendre part aux cogitations d’un aussi grand esprit. Mais voilà qui se paie et c’est le travailleur français qui en fait les frais.

Comment cela? Fait-il rappeler le magnifique combat de juin 36; le capitalisme français prêt à demander grâce à genoux, les fameuses réunions du palais Matignon au cours desquelles les représentants ouvriers bataillèrent longuement pour obtenir les réformes sociales nécessaires au salut de leur existence. Ils obtinrent finalement une augmentation de 7 à 15%. Faible satisfaction si l’on songe que le pouvoir d’achat de la monnaie allait être réduit de 25 à 30%. « Nous avions, nous, dit Blum, que la dévaluation était inévitable.»- Mais l’avoua-t-il aux ouvriers français au moment des accords Matignon? Et s’il s’en garda bien, c’est qu’alors nos camarades n’eus[s]ent jamais accepté une augmentation dérisoire que les semaines suivantes devaient réduire à moins encore que rien.

Bien sûr, nous savons que ce sont toujours les mêmes qui paient. Mais il est dur de songer qu’en pareil cas la classe ouvrière a payé avec la complicité d’un gouvernement de Front populaire.

Alors, Léon Blum, continua par une vigoureuse attaque contre le Sénat. (Lloyd George en fit autant, il y a vingt-cinq ans, et plus efficacement, certes, contre notre Chambre des Lords). Et enfin, il conclut par la nécessité d’un gouvernement d’union nationale. Il était prêt à coopérer avec des hommes comme Paul Reynaud et Mandel qui, dit-il, ne sont pas des fascistes, mais seulement des réactionnaires et qui n’avaient point l’intention d’attaquer les institutions républicaines.

Et Blum déclara alors: « Je suis un de ceux qui n’ont jamais condamné l’union nationale (Union sacrée) en temps de guerre. Je déclare ici que si notre pays était entraîné dans un conflit, je ne refuserais pas d’entrer à nouveau dans un gouvernement d’unité nationale.»

C’est en vertu de cette déclaration solennelle que les camarades de la Gauche révolutionnaire ont décidé de sauver et de maintenir les principes du socialisme international et de former un parti nouveau, un parti socialiste vrai, un parti ouvrier et paysan.

Le premier Congrès du Parti

Ce fut un congrès fédéral des délégués de la région parisienne. Dimanche dernier, dans le fameux district de Montmartre, furent discutés démocratiquement les statuts du parti nouveau. Nos camarades du Bureau international se trouvaient à Paris et Marceau Pivert les invita à assister au Congrès. Fenner Brockway et ses compagnons survinrent pendant la session de l’après-midi et nous pûmes tous constater que le socialisme n’est point mort en France. Les murs étaient couverts du seul drapeau que nous reconnaissons pour nôtre: le drapeau rouge, et quand Fenner apporta au Congrès le fraternel message de l’I.L.P.et du Bureau international, l’assemblée, tout entière dressée, chanta l’Internationale. Plus de trois cent délégués, public largement ouvrier, écoutèrent l’allocution de Brockway avec un enthousiasme qui prouvait quel écho trouvaient ses paroles. Et comme Fenner terminait son discours, l’un des délégués lui cria: « Ton programme est le nôtre, camarade! »

Pourquoi nous en étonner? Ce n’est rien d’autre que le programme du socialisme révolutionnaire international.

Nos camarades français ont eu le courage d’avouer que le Front populaire, sous sa forme gouvernementale et parlementaire, a déçu et trahi.

C’est à eux qu’appartient, aujourd’hui, la tâche lourde de maintenir la conscience de classe du prolétariat français. Qu’ils trouvent ici les vœux les plus fraternels de l’Independent Labor Party britannique. Car ni Dieu ni tribuns ne peuvent sauver les travailleurs. Il leur faut se sauver eux-mêmes.

Le premier Congrès du parti nouveau se tiendra les 15 et 16 juillet. L’I.L.P. y enverra une délégation fraternelle et notre camarade Marceau Pivert a promis de venir en Angleterre pour exposer le programme du Parti socialiste ouvrier et paysan à nos camarades rassemblés à l’école d’été.


 

Les crimes de la gauche révolutionnaire, par Berthe Fouchère

Tribune libre de Berthe Fouchère dans le Populaire du 24 mai 1938.


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Il est des affirmations visant la gauche révolutionnaire tellement inexactes et injustes qu’il n’est pas possible qu’elles demeurent sans réponse.

Gaillard, dans la tribune du Parti, le 15 courant, affirme que la gauche révolutionnaire est une fraction formant un parti dans le parti, et qui s’insurge, dès le lendemain du jour où elles sont prises, contre les décisions régulièrement adoptées par les congrès ou les conseils nationaux.

Il est faux que la gauche révolutionnaire forme un parti dans le parti; elle est une tendance au même titre que la Bataille ou le Socialiste, elle défend ses conceptions, se fait connaître par les moyens réguliers qui ont toujours été en vigueur dans le Parti (conférence d’information, réunion de militants, revue périodique, tracts, motions pour les congrès) et qu’utilisent légitimement toutes les tendances. Pourquoi vouloir à tout prix la représenter comme une fraction organisée, à l’action dissolvante et intolérable ? Alors que l’on trouve tout à fait normale l’existence de clubs au sein du Parti, clubs qui jouent un rôle si actif que Costedoat dans le Socialiste du 1er mai les remercie et les félicite pour lui avoir facilité sa besogne de reconstruction de la fédération de la Seine.

Il est faux que la tendance gauche révolutionnaire s’insurge contre les décisions régulièrement prises par les congrès ou conseils nationaux. Non seulement elle ne songe pas à s’insurger contre ces décisions, mais elle est la première, et souvent la seule, à demander qu’elles soient appliquées.

Ainsi au lendemain de Marseille, Marceau Pivert précisait dans les Cahiers rouges l’action à entreprendre pour que les résolutions du congrès national, relatives à la laïcité, aux colonies, à l’Espagne, ne soient pas lettre morte. Et nous aurons l’occasion de dire à Royan les efforts de nos délégués à la C.A.P. afin que le Parti entreprenne une vigoureuse campagne d’opinion publique pour les nationalisations prévues dans l’avenant au programme du Rassemblement populaire.

Nous avons toujours demandé au Parti de faire ce qu’il dit. Nous n’avons jamais mis en cause publiquement aucune de ses décisions régulières. Dans la propagande publique, nous avons été parmi les plus fidèles, les plus disciplinés, les plus dévoués. Et l’histoire du tract de la Fédération de la Seine ne convaincra aucun socialiste objectif et de bonne foi de notre… indignité.
La vérité, c’est qu’on veut une nouvelle foi mettre en accusation devant le Parti toute une tendance de notre mouvement socialiste.
Son crime ?

Il est de pousser le Parti à l’action;

D’avoir dénoncé impitoyablement les faiblesses, les timidités, des divers gouvernements de Front populaire;
D’avoir prévu ce qui arriverait, et de l’avoir dit sans ménagement, si on ne menait pas contre les trusts et les banques la bataille énergique qu’attendait le monde du travail;
D’avoir dit qu’ « il eût fallu ou bien ne pas reculer devant l’illégalité ou bien ne pas prendre le gouvernement » (Séverac: Lettres à Brigitte).
Il est, d’avoir seule, dénoncé la pause comme une duperie pour la classe ouvrière;
De penser qu’il n’y aura de paix sociale qu’au terme des efforts de libération (Jean Jaurès);
De s’être, seule, élevée contre l’idée d’un gouvernement d’union nationale;
De croire en la croissance au fur et à mesure que s’accentue le processus de décomposition du régime capitaliste, des antagonismes de classe et en l’implacable nécessité de la lutte de classe, dont « la notion doit être constamment rendue plus nette et plus présente » (Bracke: Bataille socialiste, août 1937);
Il est de rappeler sans cesse le Parti au respect de sa charte et des principes fondamentaux du socialisme;
Il est d’avoir eu raison trop tôt;
Il est aussi de penser que les contradictions objectives de la transformation sociale étant réalisées, la révolution socialiste est devenue une nécessité et une possibilité.

 


 

 

Le P.S.O.P répond aux attaques de l’ « Humanité » 

Paru dans l’Echo d’Alger du 2 août 1938.

 


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Le Parti socialiste ouvrier et paysan de M. Marceau Pivert communique la déclaration de sa commission administrative permanente qui répond à diverses attaques et notamment à un article publié par M. Gitton dans l’ « Humanité ». Elle déclare que la Parti socialiste ouvrier et paysan combat non le rassemblement des masses populaires de 1936, mais la trahison des partis dirigeants du Front populaire au profit de la réaction capitaliste en général, et du gouvernement actuel en particulier. Le parti demande des garanties de justice pour les accusés du POUM à Madrid et s’étonne que le parti communiste français ne propose pas la publicité des débats de ce procès, ainsi que la présence de délégations étrangères et le libre choix des avocats pour les accusés. Sans prendre à son compte les actes et les opinions des condamnés de Moscou, le P.S.O.P. souligne le tort immense fait à la cause prolétarienne par le massacre systématique des pionniers de la révolution d’octobre.


 

La première réunion du P.S.O.P.

Article paru dans Le Figaro du 16 juillet 1938.


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Le titre « La première réunion du PSOP » n’y apparait que pour la deuxième partie, en page 3. M. P. Hamelet, chargé de la rubrique sociale au Figaro, est l’auteur d’Un prolétaire au Figaro (Grasset, 1987). Peut-être les contacts de ce journaliste lui avaient-ils dit que les délégués à la conférence constitutive représenteraient 10.000 adhérents, mais sûrement pas qu’ils y seraient 10.000. Ils auraient été 217 délégués selon Maurice Jaquier, le secrétaire administratif du PSOP (Simple militant, Denoël, 1974, p.159).

Après la scission de Royan le nouveau parti de M. Marceau Pivert, par M. P. Hamelet.

va établir aujourd’hui son programme

1o.ooo délégués tiendront à Paris une confèrent constitutive

Le P. S. O. P. (parti socialiste ouvrier et paysan), né il y a quelques semaines de la scission Marceau Pivert à la S. F. I. O., va faire, aujourd’hui, ses premiers pas dans la vie publique.

Une quarantaine de fédérations constituées, plus de 10.000 délégués venus de province vont se réunir dans une salle de la rue Marcadet, en une conférence nationale constitutive. De ces assises sortira tout armé le nouveau parti révolutionnaire avec lequel socialistes orthodoxes et communistes se préparent à compter.

On peut prévoir déjà quelle sera la teneur de la charte constitutive elle sera, pour les grandes lignes, calquée sur la charte S. F. I. O. de 1905, et l’on y ajoutera certains articles sur la guerre, le fascisme ou la tactique inspirés des textes élaborés par la commission d’unification, aujourd’hui en sommeil, des partis socialistes et communistes. Ainsi, dès le départ, le P. S. O. P. représentera idéologiquement, avec la tradition socialiste, ce qu’aurait pu être le parti unique du prolétariat.

Cette habileté tactique peut rapporter à M. Marceau Pivert et à ses amis de nombreuses adhésions communistes et socialistes.

Les « psopistes » l’espèrent d’ailleurs tout haut:

Le premier départ, disent-ils, nous laisse largement la possibilité de ne pas être isolés du prolétariat. Plusieurs milliers de camarades nous suivent, notre conférence aura également pour tâche de les recenser exactement. Mais deux autres vaques de départ de la S. F. I. O. sont à prévoir, l’une au lendemain de notre assemblée nationale, si nous savons confirmer les espérances que mettent en nous les travailleurs révolutionnaires, l’autre à la rentrée d’octobre, après la nouvelle déception que ne manqueront pas d’éprouver les travailleurs. Des adhésions individuelles sont à prévoir, des adhésions de minorités communistes également.

On le voit, le nouveau parti vise à devenir un rassemblement de combat où se retrouveront, dans l’action directe, socialistes, communistes, révolutionnaires impatients de jeter bas le régime qu’ils combattent. La fortune du P. S. O. P. dépend donc essentiellement des événements; ces événements, les « psopistes » pensent qu’ils surgiront à l’intérieur dès la rentrée d’octobre, par suite du mécontentement généralisé.

Pas de V° Internationale

La Conférence nationale du P. S. O. P. aura aussi à se prononcer sur la question de l’Internationale. Les « psopistes » vont-ils se prêter au ridicule de former une cinquième internationale Les militants que nous avons vus ont haussé les épaules à cette question.

Nous sommes des réalistes, ont-ils répondu. Nous ne fonderons pas une Ve Internationale, mais nous entreprendrons un travail de liaison entre les différentes internationales, comme entre les différents partis révolutionnaires nationaux.

L’instrument de cette liaison sera notre Front de combat.
– Adhérerez-vous au Front populaire ?
– Le Congrès décidera. Cela n’est pas impossible quoique nous pensions que la lutte actuelle doit se poursuivre en dehors des formations politiques, mais surtout sur le plan des entreprises…

Vers l’action directe dans les usines

C’est donc au sein de la C. G. T. que le P. S. 0. P. poursuivra l’essentiel de son action. Et il est probable que l’automne ne passera pas sans que cette action porte ses fruits.

Dans la seule région parisienne, le nouveau parti peut aligner des effectifs au moins égaux à ceux de la S. F. I. 0. C’est donc là que le P. S. O. P. jouera sa carte.

Agitation révolutionnaire contre la guerre autour de la formule « Pas de défense nationale en régime capitaliste » ; agitation syndicale et politique autour des mots d’ordre les plus violents de la lutte de classe et de l’action directe, tels sont les deux pôles d’attraction que le P. S. O. P., officiellement constitue à l’issue de la conférence qui s’ouvre aujourd’hui, va offrir aux masses divisées du socialisme et du communisme.

Le combat des frères ennemis commence.


 

 

Intervention sur le Rapport moral, par Berthe Fouchère

Berthe Fouchère accuse le bilan du secrétariat du Parti socialiste dans la séance du dimanche matin 5 juin 1938. [ Source: Compte-rendu sténographique du Congrès de Royan, pp. 153-161].


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Camarades, le Rapport moral qui nous est présenté cette année est surtout le bilan de l’activité bureaucratique du Parti. Mais le Rapport moral devrait être le bilan de l’activité politique et publique du Parti, et outre cette action, ces actions imprévues qui peuvent être nécessitées par les circonstances, par les conditions du moment, il devrait mentionner l’activité qui serait l’application des décisions de son Congrès national, de son dernier congrès national. Mais il serait évidemment assez difficile que ce rapport portât trace d’une mention quelconque de cette activité, étant donné que la plupart des décisions prises au Congrès de Marseille sont restées dans le domaine des vœux pieux.

Par exemple, prenons la motion votée sur la laïcité. Cette motion prévoyait que des mesures devaient être prises pour mettre un terme à la concurrence déloyale que livre à l’école laïque l’enseignement privé. Des mesures devaient être prises pour assurer contre la pression cléricale la liberté des pères de famille, pour réprimer les campagnes de calomnie dirigées contre l’école laïque et contre ses maîtres, pour introduire rapidement les lois laïques en Alsace et Lorraine. Cette motion demandait aussi que fût déposé au Parlement un plan de nationalisation de l’enseignement.

Immédiatement après Marseille, par conséquent, le Groupe parlementaire devait se mettre en rapport avec la fédération générale de l’Enseignement de la C.G.T. et déposer le plus rapidement possible un plan de nationalisation de l’enseignement. Cela ne fut pas fait. Rien n’a été fait non plus pour interdire aux congrégations enseignantes, conformément à la loi, d’ouvrir des écoles. Elles ouvrent des écoles là où elles le peuvent, et comme elles le veulent. L’Église est autorisée à violer la loi.
Rien non plus contre les actes de pression exercés sur les familles pour fermer à leurs enfants les portes de l’école laïque. L’Église peut continuer impunément à terroriser les populations.

Rien non plus contre les insulteurs de l’école laïque. C’est ainsi que récemment, des bulletins pouvaient écrire que la recrudescence de la criminalité était due à l’école laïque.

Rien non plus pour abolir les privilèges dont bénéficie l’enseignement privé en matière de diplômes.

L’enseignement confessionnel subsiste en Alsace-Lorraine. Les lois laïques n’ont point été introduites dans les départements recouvrés, et les Écoles normales continuent à être fermées aux enfants des non catholiques.

L’activité cléricale est de tous côtés particulièrement grande, dans les départements de l’Ouest, en Lorraine, en Corrèze. (Applaudissements.) Jamais l’école laïque n’a été aussi menacée qu’elle l’est actuellement. Cette école laïque qu’on se plait à considérer sur le papier comme la pierre angulaire de la République, subit les assauts violents de l’Église qui relève la tête.

Le Parti n’a pas mené la bataille laïque sur laquelle nous étions en droit de compter. Cette bataille laïque, déclare la motion sur la laïcité, est une des formes essentielles de la lutte sociale, et le camarade Rollot, le secrétaire à la Défense laïque du Syndicat National des Instituteurs, pouvait terminer son rapport annuel par cette conclusion: « Le Parti socialiste a voté dans son dernier Congrès national une motion excellente. Nous avons trouvé quelques efforts précieux de la part d’un certain nombre de fédérations départementales, mais ses organismes centraux et  son journal central n’ont pas répercuté cet effort sur le plan national. Il serait bon que le Parti considérât enfin – et la motion de Marseille le dit expressément – que la défense et le développement de la laïcité sont inséparables de la lutte de classe. » (Applaudissements.)

Camarades, la motion sur la laïcité n’a pas été appliquée, pas plus, du reste, que la motion relative à l’Espagne. Par exemple, que disait le texte voté l’année dernière à Marseille ? Que nous reconnaissions que la politique de non-intervention n’avait pas donné les résultats que pouvaient en escompter les initiateurs de cette politique. Elle faisait sienne, en outre, les décisions de l’Internationale ouvrière socialiste et de l’Internationale syndicale, et aux termes de cette décision, les travailleurs devaient exercer une pression sur le gouvernement, afin que la liberté commerciale soit rétablie avec l’Espagne républicaine dès le lendemain de Marseille. Par conséquent, une campagne d’agitation devait être entreprise pour créer un immense courant en faveur de la levée du blocus, et au lieu de cela, nous avons vu les uns en réunions publiques et dans la presse, continuer à défendre la politique de non-intervention; d’autres la condamnaient, mais en tout cas, d’une façon générale, nous étions les uns et les autres très gênés en réunions de Front populaire, avec les communistes, lorsque le problème était évoqué, parce que nous sentions bien que le Parti ne s’engageait pas à fond dans le sens des décisions de Marseille.

En ce qui concerne la lutte contre le Sénat, nous pouvons bien dire que les décisions de Marseille n’ont pas été, non plus, appliquées.

Ainsi, dans la résolution sur la politique générale, un paragraphe demandait au Parti de demander au Comité de Rassemblement populaire d’envisager dans le plus bref délai, toutes les mesures d’ordre législatif et d’ordre constitutionnel susceptibles d’assurer le dernier mot à la Chambre du suffrage universel.

Le Parti n’a point fait de proposition précise, et en tout cas s’il voulait que la question fût posée devant l’opinion publique, c’est immédiatement qu’il fallait entreprendre une campagne: articles de presse, meetings, manifestations diverses, pour associer les revendications des masses aux revendications du Parti.

Nous savons bien que pendant les élections cantonales, les candidats et les propagandistes du Parti ont démontré le caractère peu démocratique du mode d’élection du Sénat; il y a quelques semaines a paru une série d’articles excellents de Séverac, mais qui sont venus un peu tard. En tout cas, il y a loin de cette tentative timide, à une grande action d’ensemble méthodique, énergique, rassemblant autour de mots d’ordre toutes les forces du Parti.

Il y avait aussi une autre forme de résistance: tenir bon devant le Sénat. Et se faire appuyer par les masses. Mais le Parti n’a jamais été appelé à dire ce qu’il pensait de cette forme de résistance.

Des deux fois où le gouvernement de Front populaire à direction socialiste a démissionné devant l’hostilité du Sénat, les deux fois le Parti a été mis devant le fait accompli. On nous a dit les deux fois: «  La résistance, elle était possible, certes, mais elle ouvrait dans le pays une crise à caractère révolutionnaire, et le danger extérieur ne permettait pas de courir ce risque ». Mais en tout cas le Parti n’a pas été consulté, et ceci est inadmissible, et ceci est intolérable pour un grand parti de classe et de démocratie, maître de sa volonté et maître de ses destinées.

J’ajoute qu’il est regrettable que la direction du Parti ne se soit point associée à la manifestation organisée par la fédération de la Seine, la veille de la démission du gouvernement Léon Blum, et non seulement ne s’y soit point associée mais encore l’ait désavouée !

Maintenant, pour les nationalisations, le Congrès de Marseille avait décidé de compléter le programme du Front populaire par les réformes de structures incluses dans le programme de la C.G.T. Nous qui étions persuadés que ces réformes de structure étaient la condition du maintien, de la consolidation des réformes de détail, des avantages sociaux obtenus; nous qui savions que sans ces réformes de structure, il était impossible de réaliser le reste du programme du Front populaire, c’est une vaste campagne d’opinion publique, une campagne de grande envergure épaulée par les masses, une action persévérante, une action tenace et sans arrêt, qui devait être entreprise dans le pays pour vaincre et les résistances du Parti radical et les réserves du Parti communiste.
Notre camarade Roucayrol écrivait, il n’y a pas longtemps, dans un article du Populaire, qu’il était des campagnes d’opinion publique qui arrivent un moment à forcer les résistances du Parlement, et non seulement cela ne fut pas fait, non seulement cette campagne énergique ne fut pas entreprise, mais encore le Parti n’a pas trouvé le moyen – et ce n’est pas faute d’efforts de notre camarade Marceau Pivert – le Parti n’a pas trouvé le moyen d’éditer une brochure comportant des projets étudiés, chiffrés sur les nationalisations, des projets mettant en évidence les avantages économiques, les avantages financiers des nationalisations. Et cette brochure eût considérablement aidé nos camarades dans leur propagande. Cela ne fut point fait.

Il est évident qu’il y eut là un manquement très net à la discipline politique que nous imposaient les décisions de Marseille, et une faute d’indiscipline encore beaucoup plus grave, ce fut la décision du Conseil National du 12 mars.

Vous vous souvenez que la déclaration de politique générale votée à Marseille, tout d’abord faisait siennes les décisions du Conseil National du 12 juin 1937, et l’une de ces décisions entendait que le Parti socialiste ne participât point à un gouvernement qui rechercherait une majorité parlementaire autre que celle des partis de Front populaire, et ferait appel à des hommes politiques qui avaient combattu les différents gouvernements de Front populaire.

Or, le 12 mars 1938, le Conseil National autorisait notre camarade Léon Blum à chercher une autre majorité que celle des partis de Front populaire, et à faire appel à des hommes qui avaient combattu les précédents gouvernements de Front populaire.
Il y eut donc là une grave faute de discipline, car en réalité le gouvernement de Rassemblement national autour du Front populaire n’est pour nous, et mon ami Lucien Hérard le démontrera au cours de la discussion sur la politique générale, n’est pas autre chose pour nous qu’un gouvernement d’Union nationale. On ne peut pas appeler autrement un gouvernement qui devait comprendre dans son sein, et les défenseurs de la classe ouvrière, et les mandataires des puissances capitalistes. Certes, nous savons que dans des périodes graves, dans des périodes de crise sociale, de crise économique.

LE PRESIDENT. – Je demande une fois à la salle de faire un peu de silence !

BERTHE FOUCHERE. – Il y a un moment où la classe ouvrière personnifie les intérêts de la nation tout entière, et où peut se produire un rassemblement autour de la classe ouvrière, mais un rassemblement national autour de ses mots d’ordre de lutte, et si le gouvernement de Rassemblement national autour du Front populaire s’était réalisé, il ne se serait pas agi, pour les Paul Reynaud, pour les Flandin, pour les Marin, de lutter pour l’Espagne républicaine, de lutter contre les banques, de lutter contre les trusts; autant de mots d’ordre qui représentent un intérêt vital pour les travailleurs, pour la nation tout entière.
Du reste, Paul Reynaud prenait grand soin de dire, dans une interview au Figaro: «  Je ne ferai pas au gouvernement une politique que j’ai condamnée dans l’opposition ». En réalité, le Conseil National autorisait la constitution d’un gouvernement qui aurait été fatalement amené à méconnaître les intérêts de la classe ouvrière, et avec eux ceux de la nation tout entière.

LE PRESIDENT. – Abrégez un peu.

BERTHE FOUCHERE. – Après l’échec de cette combinaison, après l’émotion soulevée dans le Parti par la décision du Conseil National – et les différents ordres du jour votés par plusieurs sections en témoignent – la direction du Parti aurait immédiatement convoqué un Congrès national extraordinaire pour que le Parti régulièrement consulté, dît enfin ce qu’il pensait de l’intégration du Parti socialiste dans l’Union nationale. Cela ne fut point fait, et j’ajoute qu’à la C.A.P., les délégués de la Gauche révolutionnaire ont demandé la convocation de ce Congrès extraordinaire. Eux seuls ont le souci du respect de la vraie démocratie dans le Parti.

(Applaudissements.)

On lit dans le Rapport moral, que le Parti socialiste a été le principal artisan des réformes qui placent la République française, dans le domaine de la législation sociale, à la tête de tous les États.

Mais ces lois sociales sont aujourd’hui terriblement menacées. La semaine de quarante heures est sabotée. Les contrats collectifs sont violés. D’autre part, les délégués ouvriers, dans un grand nombre d’entreprises, n’ont plus aucune autorité; dans les campagnes, les lois sociales ne sont plus appliquées, les patrons ont déchiré les contrats collectifs (Applaudissements.) Les salaires sont des salaires de famine; l’ouvrier agricole continue à être exploité, opprimé, comme il l’était avant 1936. D’autre part, on procède au système de la carte forcée; avant 1936 le gros patron agriculteur obligeait les ouvriers agricoles à adhérer aux ligues factieuses. Maintenant ils sont obligés d’accepter les cartes d’adhésion au Parti social français. Nous disons que l’offensive patronale n’aurait pas été aussi brutale si les patrons avaient senti devant eux un gouvernement décidé à se battre (Applaudissements.)
Certes, le Parti socialiste n’était pas le seul au gouvernement de Front populaire, mais parce qu’il est un parti de classe, parce qu’il est l’élément dominant dans le Rassemblement populaire, il devait pousser les gouvernements où il collaborait, où il avait la direction, à chercher un point d’appui ailleurs que dans la majorité parlementaire, à la chercher dans les masses ouvrières de ce pays, à les mobiliser non pas à tous propos et hors de propos, mais aussi souvent que la mauvaise volonté, que la mauvaise foi patronale imposait une réplique vigoureuse de la classe ouvrière.

Il a défendu (le Parti) et sauvé la démocratie, dit-on aussi dans le Rapport moral.

Mais la démocratie, elle n’est pas sauvée. Le chômage est grandissant, la faculté d’achat des masses ouvrières diminue de plus en plus. La misère augmente, les lois sociales sont violées. Les difficultés sont de plus en plus grandes pour les classes moyennes, et tout cela crée un découragement, des désillusions dans la classe ouvrière, crée par conséquent un climat favorable au développement du fascisme. Et Maurice Paz écrivait dernièrement dans un article du Populaire, que l’on pouvait constater un regain de l’activité du Parti social français et un regain de ses espérances.
Le Parti socialiste n’a pas davantage plus efficacement sauvé la paix, qui est à l’heure actuelle plus menacée que jamais. En réalité, on ne défend pas la paix en acceptant la course aux armements, en l’acceptant comme un mal, certes, comme un mal inévitable, mais en l’acceptant tout de même. On ne défend pas la paix en ne dénonçant pas avec la dernière énergie la diplomatie secrète qui continue à sévir. On ne défend pas efficacement la paix en se solidarisant, sous couleur de sécurité collective, avec une politique d’alliances qui aboutit fatalement à la guerre…

LE PRESIDENT. – Abrégez camarade, c’est de la politique générale, ce n’est pas du Rapport moral !

BERTHE FOUCHERE. – … au lieu de voir que la plupart des difficultés internationales sont nées de l’injustice, des erreurs des traités de paix, et en conséquence d’engager une action véritablement pacifiste dans le sens de cette revendication.
Le Parti n’a donc pas complètement répondu aux espoirs que mettait en lui le monde du travail. Il n’a pas été l’impulseur, l’élément animateur du mouvement de Front populaire. Il devait prendre, lui, qui est le parti le plus fort, le plus représentatif de l’opinion française, comme l’a dit Paul Faure dans son Rapport moral, il devait au lieu de subir trop souvent la politique du Parti radical, il devait prendre la tête de grands mouvements de masse pour imposer une politique conforme au programme du Front populaire, aux intérêts des travailleurs et de la démocratie. Et précisément ce que nous lui reprochons surtout, c’est de n’avoir pas eu confiance suffisamment en l’action des masses, sans lesquelles, cependant, on ne peut réaliser au gouvernement un programme de liberté et de progrès social. C’est de n’avoir pas fait appel aux masses, lorsqu’au sein du gouvernement et au Sénat on s’insurgeait contre leur volonté; en réalité le Parti a eu peur de s’engager dans la voie révolutionnaire où l’auraient fatalement conduit les circonstances s’il avait voulu se battre contre les puissances d’argent.

Il y a quelques années Paul Faure écrivait que le socialisme avait sonné au cadran de l’Histoire, que les événements étaient plus révolutionnaires que les hommes. Eh bien , nous souhaitons que le Parti devienne aussi révolutionnaire que les événements, et nous terminons par cette parole de Jaurès: « C’est plus que l’audace de la pensée, mais l’audace de l’action, qui donne à l’homme des ailes ! » (Applaudissements.)


 

Fascisme ou socialisme, par Marceau Pivert

Tribune de Marceau Pivert parue dans Le Populaire du 2 octobre 1937 (elle a été traduite en espagnol dans La Batalla, organe du POUM, du 27 novembre 1937).


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En face de certaines erreurs énormes qui affaiblissent le mouvement ouvrier, la question qui se pose souvent aux travailleurs révolutionnaires est la suivante:

« Doit-on le dire ?»
N’est-ce pas risquer de « donner des armes à l’adversaire » que d’exprimer franchement toute sa pensée ?
Pour ma part, je réponds: Non !

Défendre les libertés, c’est d’abord se montrer capable d’en connaître le prix et de les mettre à profit.

Je continuerai donc à parler franchement, quelques en soient les conséquences !

J’ai parlé à mon Parti, au nom d’une minorité croissante qui veut lui restituer sa véritable figure de «Parti de lutte de classe et de Révolution».

Ainsi, je crois l’avoir fidèlement servi.

J’ai parlé également, ici même, des événements troublants, inquiétants, révoltants, qui affaiblissent le front antifasciste espagnol et, par répercussions, le front antifasciste international.

Sans m’arrêter à certaines accusations inqualifiables, je m’obstinerai à servir de la même manière, par la lumière et la vérité, l’unité d’action antifasciste, plus que jamais indispensable…

Ce qui est déplorable en la circonstance, ce n’est pas l’exposé des faits ou les réactions qu’ils provoquent, mais ce sont les faits eux-mêmes.

Il y a, en effet, une singulière manière de lutter contre Hitler: c’est grâce à d’effroyables erreurs tactiques, le hisser au pouvoir, puis, en introduisant dans le mouvement ouvrier des méthodes calquées sur la sauvagerie de ses bandes d’assassins, consolider indirectement sa puissance !

L’erreur initiale, qui favorise le fascisme, bien plus que telle ou telle information dont il pourrait s’emparer, c’est la croyance qu’on peut lui barrer la route en renflouant la démocratie bourgeoise au détriment du prolétariat; mais cette erreur, qui a conduit la social-démocratie allemande au tombeau, a été décuplée par la théorie du social-fascisme développée par le Parti communiste allemand et par la guerre fratricide qui a épuisé un prolétariat pourtant héroïque.

Nous avons dénoncé en temps utile (et depuis dix ans sans jamais faiblir, à travers les tempêtes et les mouvements de flux et de reflux) les deux erreurs complémentaires: opportunisme et sectarisme qui ont fait le jeu de Hitler.

Nous voudrions bien qu’on en finisse avec elles pendant qu’il n’est pas encore trop tard. Au lieu d’entretenir des illusions mortelles ou de démoraliser les combattants espagnols par une répression intolérable contre les meilleurs militants, ne ferait-on pas mieux, par exemple, de chasser l’ambassadeur Herbette, AMI DE TRONCOSO, du poste où il continue insolemment à servir Franco ? [*]

Reste le problème central: on ne pourra pas maîtriser le fléau fasciste en se bornant à lui opposer l’édifice vermoulu de la démocratie bourgeoise ou l’armature écrasante d’une dictature militaire comme instrument des appétits impérialistes.

Tout militant sérieux doit se prononcer sur ce choix:

S’il doute des forces révolutionnaires internationales, alors il est prêt à se blottir à l’abri du militarisme de la bourgeoisie; il devra accepter de lui sacrifier le niveau d’existence de sa classe; il tolérera en silence ou favorisera même la décimation de l’avant-garde révolutionnaire dans tous les pays…

Mais nous, nous postulons que la Révolution prolétarienne est non seulement nécessaire pour briser la vague fasciste, mais encore qu’elle est possible; qu’elle dépend des masses populaires des pays démocratiques et qu’elle est le seul moyen d’en finir, par contre-coup, avec les dictatures fascistes avant que la guerre impérialiste n’ait embrasé la planète…

En outre, nous répudions la répression contre-révolutionnaire et la déviation militariste en vertu même de nos convictions socialistes qui s’inspirent du respect des valeurs humaines et prolétariennes comme la liberté, la justice, la moralité. C’est au nom de ces valeurs que nous n’acceptons aucune apparence de compromission ou de complicité avec des procédés de « liquidation » directement calqués sur la bestialité de nos pires ennemis.

Sans doute nous savons que la violence de classe à classe est inévitable. Nous l’acceptons comme une donnée de l’histoire.
Mais entre frères de classe, la brutalité, le mensonge, la calomnie, la corruption, la terreur policière, le mépris des organisations syndicales libres, la mauvaise foi, la duplicité, l’utilisation alternative de la louange et de la menace ou de l’injure pour essayer de dompter ou d’apprivoiser les tempéraments rebelles, la religion des grands hommes providentiels comme dogme… non ! Tous ces moyens avilissants répugnent à une conscience socialiste et contribuent à maintenir les travailleurs dans leur servitude au lieu de les libérer.

Tous retardent l’unité organique si ardemment désirée.

Tous font, littéralement, le jeu du fascisme.

Au contraire si, par un sursaut de conscience, le prolétariat réussit à les liquider, alors il aura déjà fait reculer le fascisme.
Il ne faut pas, il ne faut plus, à aucun prix, que les combattants révolutionnaires éprouvés en arrivent à dire: «  Après tout, d’un côté comme de l’autre, c’est le même sort qui nous attend ! »

Non ! nous ne nous résignerons jamais à certaines caricatures odieuses qui n’ont rien de commun avec la moralité supérieure que porte en lui l’idéal socialiste.
Non ! la lutte de classe internationale ne peut pas être ramenée à une lutte terroriste entre « les agents de la Gestapo » et « les agents de la Guépéou ».

Pour défendre utilement Thaelmann, en s’appuyant sur la conscience universelle, pour arracher Maurin à Franco, il faut donner des gages à Gorkin, il faut assurer aux vaillants combattants du P.O.U.M. les garanties de justice que Hitler lui-même a été obligé d’accorder à Dimitroff.

On peut être tranquille dans ce cas sur l’issue du procès et sur la qualité des sentiments antifascistes de ces camarades quand on sait ce que criait Gorkin à Weil-Curiel (directeur de l’Espagne socialiste) à travers les barreaux de sa prison: « Surtout que cela n’arrête pas un instant votre action de solidarité en faveur de l’Espagne républicaine !»

Pour condamner les crimes qui ont coûté la vie à Matteoti et aux frères Rosselli, il faut pouvoir expliquer et condamner d’autres crimes « symétriques »: la disparition de Nin, sur laquelle le gouvernement républicain a promis de faire une enquête dont nous attendons les conclusions, la disparition de notre camarade Marc Rein, fils de notre ami Abramovich, enlevé mystérieusement de Barcelone dans la nuit du 8 au 9 avril (Est-ce pour avoir été son compagnon fidèle que mon ami Nicolas Sundelevitch, membre de la 15° section, est toujours emprisonné ?); l’assassinat, près de Lausanne, le 4 septembre dernier, d’Ignace Reiss, haut fonctionnaire des services secrets de l’Internationale communiste, passé dans l’opposition depuis quelques semaines..

Si l’on veut favoriser le soulèvement dans le camp rebelle et l’éveil de la conscience révolutionnaire en Allemagne ou en Italie, il faut arrêter d’urgence les emprisonnements sans motif des miliciens descendant du front, ou des blessés et amputés arrachés à leurs lits de souffrance pour être mis en cellule, ou des familles de militants qu’on veut obliger à sortir de l’illégalité, ou des enfants de 12 ans, ou des avocats, ou des responsables de la C.N.T. qu’on veut, paraît-il, « protéger contre les extrémistes », ou des volontaires comme mon ami Duchêne, de la 15° section, qui vient heureusement d’être libéré après avoir été enfermé trois mois dans une cave d’où il est revenu malade et épuisé…

S’il y a des espions et des traîtres, qu’on soit impitoyable; mais qu’on les juge d’abord sous les yeux du prolétariat international et de ses délégations. Or quand je lis que le journal communiste de Barcelone Trebull (11-9-37) informe froidement ses lecteurs que « Marceau Pivert n’est autre que celui qui a proposé au congrès de Marseille un rapprochement avec le Reich hitlérien en sacrifiant la Révolution espagnole », je frémis de penser que des exécutions sont peut-être établies sur des accusations aussi grotesques et mensongères. C’est pourquoi nous ne reculerons pas d’un pouce dans notre œuvre d’information et de clarification indispensable au redressement révolutionnaire et à la consolidation nécessaire du front antifasciste.

La lutte historique est engagée entre le fascisme et le socialisme.

Le socialisme vaincra avec ses méthodes à lui. Il vaincra d’autant plus vite qu’il sera capable de maîtriser et de liquider dans les rangs prolétariens tout ce qui reflète l’opportunisme, les hésitations et les défaillances de la démocratie bourgeoise.

… Mais aussi d’autant plus sûrement qu’il éliminera de ses moyens d’actions les méthodes fascistes de terrorisme, de corruption et de basse police qui considèrent les prolétaires comme des instruments au lieu de les considérer DES MAINTENANT comme les éléments constitutifs d’une société plus élevée dans l’échelle des civilisations.

[*] Ambassadeur à Madrid, Jean Herbette sera rappelé avant la fin de 1937.


 

 

Après Puteaux: La minorité continue, par Marceau Pivert

 

Article éditorial dans Les Cahiers rouges N°1 (mai 1937), revue qui remplace La Gauche révolutionnaire. La Gauche révolutionnaire vient d’être dissoute formellement et devient « minorité de la CAP » (cf. Les “crimes” de la Gauche révolutionnaire [1] et [2] ).

 


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Dans une apostrophe enregistrée par toute la presse, le secrétaire général du Parti s’est adressé à nous comme à des « CRIMINELS », des « TRAITRES » et des « FACTIEUX ».
Des milliers de camarades, socialistes et révolutionnaires irréprochables, ont été profondément meurtris par cette fulgurante et révoltante attaque directe.
Nous n’imaginions pas que notre propagande, strictement conforme aux principes constitutifs du Parti, avait accumulé tant de colère et d’injustice à notre égard.
A tout prendre, on a essayé de démontrer que nous étions:
– Ou bien des agents de l’ennemi, camouflés en socialistes pour noyauter ou détruire le Parti.
– Ou bien des inconscients et des imbéciles, manœuvrés de l’extérieur par des forces de désintégration qui cherchent à détruire le Front populaire et le Parti.

*

Cependant, nous n’avions pas voulu répliquer sur le même ton.
Cependant, nous avons eu, NOUS, le souci constant de l’unité du Parti.
Que serait-elle devenue si nous avions répondu avec la même véhémence, douté avec la même mauvaise foi de la sincérité et du désintéressement de ceux qui nous attaquent ?
Que serait-elle devenue, si nous avions interprété la brutalité et l’illégalité des méthodes répressives employées contre nous comme le signe d’une mauvaise conscience, qui n’ose pas se présenter devant les Juridictions normales du Parti ?
Que serait-elle devenue si nous avions fait le bilan des erreurs de prévision, des défaillances d’organisation, des insuffisances d’activité qui sont à l’origine, dans une large mesure, du malaise intérieur de notre Parti ?

*

NOUS NE L’AVONS PAS VOULU.

Nous sommes attachés à notre Parti. Nous entendons le servir de toutes nos forces. Nous nous soumettons à ses règles, à ses décisions, à sa nature essentiellement démocratique. Nous ne le confondons pas avec un appareil, avec des méthodes bureaucratiques qui substituent la calomnie à la discussion loyale, qui préfèrent la « mise à l’index » de la minorité à l’utilisation de ses capacités incontestées. Nous sentons qu’il mérite mieux; que toute une élite de jeunes militants indépendants se forme et se lève dans toutes les fédérations, et qu’une équipe encore solide de vieux militants chevronnés, qui ont participé à toutes les batailles, à toutes les amertumes, à toutes les tristesse des jours sombres de défaite, ne permettra pas que la vie intérieure du Parti soit transformée au point de rendre impossible le travail en commun, dans l’intérêt commun.
Nous avons senti à travers toutes les attaques dirigées contre nous l’hostilité sourde envers nos CONCEPTIONS, qui sont cependant conformes à l’idéologie socialiste la plus classique: INTERNATIONALISTE et RÉVOLUTIONNAIRE. Que ces attaques viennent d’éléments réformistes qui n’ont jamais accepté les principes de la méthode d’investigation marxiste ou qui n’ont jamais cru à la NÉCESSITÉ de la révolution prolétarienne, passe encore. Mais que d’autres, qui ont derrière eux tout un passé de propagande spécifiquement SOCIALISTE – au moins verbale et théorique – nous accablent à l’heure où cette révolution socialiste monte à l’horizon, voilà ce que nous ne voulons pas expliquer pour le moment, dans l’intérêt même du parti.

*

Mais il faut que tout le monde sache, dans le Parti, qu’on n’étouffera pas notre voix.
Il faut que chacun considère comme une obligation stricte de nous connaître TELS QUE NOUS SOMMES (et non tels que l’on souhaiterait que nous soyons) avant de discuter ou de repousser nos idées.

La vie intérieure du Parti doit être aujourd’hui plus active, plus ardente, plus riche, qu’à aucune autre époque de son histoire. Parce qu’il n’a jamais été aussi puissant, numériquement, parce qu’il n’a jamais été aussi fragile, politiquement. Ces milliers et ces milliers d’ouvriers, de paysans, de petits commerçants, de fonctionnaires, d’employés, doivent prendre corps à corps les difficultés que nous rencontrons sur notre route. Ils doivent penser PAR EUX-MÊMES, et se reporter sans cesse, comme unique système de référence, aux principes fondamentaux du socialisme: LUTTE DE CLASSE, CROISSANCE DES ANTAGONISMES, ENTENTE ET ACTION INTERNATIONALES DES TRAVAILLEURS, NÉCESSITÉ DE LA CONQUÊTE DU POUVOIR POLITIQUE, etc.
L’exercice du pouvoir devrait permettre précisément de renforcer cette propagande spécifiquement socialiste, de mettre en évidence, avec une clarté éblouissante, la NATURE de l’État de classe, la nécessité de sa DESTRUCTION préalable à tout effort constructif sérieux, la nécessité de la dictature du prolétariat, comme période transitoire destinée à briser toutes les résistances et à briser tous les vestiges de la classe ennemie. Au lieu de cela, le secrétariat du Parti envoie à ses 6.000 sections des documents « éducatifs » révélant un niveau idéologique effroyablement bas: telle cette lettre-document de B. Chochoy reprochant à un jeune chômeur d’avoir eu l’audace de demander du travail, puis, l’ayant obtenu, d’oser penser autrement que ce « socialiste » à mentalité de mauvais patron; ou encore cette autre document digne de la collection du « MATIN » d’août 1914, où l’on vous démontre que le Front populaire a remporté une victoire éclatante sur l’or, humilié, maîtrisé, vaincu, qui rentre dans les caisses du Trésor après avoir tenté une vaine évasion !

C’est parce que nous sommes et que nous serons impitoyables en présence de telles déviations monstrueuses que nous nous sommes attiré des aversions solides. Mais nous ne faillirons pas à notre tâche, dont nous savons le prix, et qui est de rappeler sans cesse les vérités fondamentales qu’une MAUVAISE CONCEPTION DE L’EXERCICE DU POUVOIR risque d’étouffer ou de dissimuler à l’heure même où les masses devraient S’EMPARER de ces vérités pour un armement idéologique irrésistible.
C’est pourquoi nous ne nous détournerons de notre effort d’explication marxiste, et d’éducation révolutionnaire, pour nous occuper des réactions des hommes et de « l’appareil » que dans la mesure où ces réactions nous fourniront des éléments démonstratifs pour confirmer nos appréciations.

*

Et nous pouvons faire ce travail « EN AMIS » (nous l’avons déjà prouvé), sans jamais manquer à la solidarité du Parti… mais seulement à l’égard de ceux qui cherchent à nous comprendre, ou qui ne nous considèrent pas comme des ennemis parce que nous menaçons, semble-t-il, leurs habitudes ou leur tranquillité bureaucratique.
C’est dans cet esprit de libre recherche ou de critique indépendante que nous avons rédigé notre motion politique pour le Congrès national.

C’est à titre de contribution sérieuse et réfléchie à la détermination de la politique du Parti que nous livrons à nos camarades des commentaires, des justifications, des arguments pour ses divers paragraphes.
La mission du Parti et la tâche propre du Gouvernement ne peuvent que gagner an autorité et en puissance si tous les militants font le même effort, ou se donnent au moins la peine de le discuter.


 

 

Motion présentée par Marceau Pivert

Novembre 1937
(Repoussée par 4.426 mandats contre 909).


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Le Conseil national, réuni le 7 novembre après cinq mois de gouvernement de « Rassemblement républicain » sous la direction du Parti radical;

Constate que, malgré les affirmations répétées des délégués du Parti au gouvernement, la politique de ce ministère a été dirigée contre les intérêts des classes laborieuses et les avantages sociaux acquis dans les premiers mois du gouvernement Blum;

Cette politique se caractérise:
– Par de nouveaux et lourds impôts sur la consommation;
– Par la hausse incessante du coût de la vie;
– Par des menaces non dissimulées contre la loi de quarante heures et des atteintes répétées portées déjà contre elle;
– Par des licenciements massifs d’ouvriers syndiqués dans les entreprises et une recrudescence des provocations patronales;
– Par la liberté absolue laissée à ceux qui spéculent contre la monnaie et aux exportateurs de capitaux;
– Par la répression contre les indigènes des colonies dont le seul crime est de réclamer l’application des promesses faites par le Front.Populaire. et de nous rappeler avec modération et dignité les motions votées à nos congrès de Huyghens et de Marseille.

*

Le C.N. constate que quelques jours avant les élections cantonales, les délégués socialistes au gouvernement ont accepté de mettre leur signature au bas d’un document contenant des déclarations inadmissibles et notamment l’assurance que ces élections ne pourraient, quelle qu’en fût l’issue, provoquer de changement dans la vie politique du pays. Prenant acte que le Congrès du Parti radical a confirmé ces déclarations de Rambouilllet, le C.N. les repousse énergiquement comme étant contraires aux engagements pris par le Front populaire devant le pays.

Le C.N. constate que la motion unanime du Congrès de Marseille relative à la liberté du commerce des armes avec l’Espagne républicaine est restée lettre morte, les délégués socialistes au gouvernement, chargés d’appliquer cette volonté unanime du Parti, ayant continué à couvrir de leur solidarité ministérielle la politique de non-intervention.

Le C.N. constate aussi que la motion de politique générale adoptée à la majorité du Congrès de Marseille n’a pas été appliquée, qu’aucune campagne énergique n’a été entreprise tant auprès de l’opinion publique qu’auprès des groupements de F.P. pour faire admettre l’avenant au programme portant sur les réformes de structure.

*

Le C.N. mandate le groupe parlementaire du Parti pour proposer dès la rentrée des Chambres:

D’une part, l’application immédiate des dispositions du programme du F.P. non encore votées ou exécutées (contrôle des changes et des banques, réforme fiscale, lutte contre la fraude, allègement des impôts indirects, retraite des vieux aux frais du capitalisme, caisse des calamités agricoles, relèvement des traitements, salaires et retraites impatiemment attendu par les syndicats des services publics, application et renforcement des lois laïques, etc., etc.)
D’autre part, les réformes de structures contenues dans le plan de la C.G.T. et reprises par notre Parti, réformes qui, seules, permettront de maintenir et d’élargir les avantages déjà acquis et de réaliser complètement le programme du F.P.

Le C.N. constate que les résistances capitalistes trouvent des défenseurs à l’intérieur même de certains partis de Front populaire et que les réformes de structure indispensables au succès du F.P. ont été écartées par le Parti radical. En conséquence, le Conseil national décide de retirer immédiatement ses délégués au gouvernement et conscient du rôle décisif joué par les masses ouvrières en juin 1936, décide d’appeler dès à présent les travailleurs à la lutte pour imposer, par leur action de classe, un gouvernement de F.P. de combat s’appuyant réellement et directement sur les masses laborieuses pour raser les bastilles capitalistes.

*

Le C.N., ému par les dangers de guerre dus à la rivalité des puissances fascistes et des « États démocratiques » rappelle que derrière les heurts « idéologiques » et les masquant, se déroule une âpre lutte pour la mainmise sur les sources de matières premières.

Que la classe ouvrière ne saurait participer dans une nouvelle « Union sacrée » aux visées impérialistes de sa propre bourgeoisie;
Et que la seule défense antifasciste qui ne soit pas une duperie pour le prolétariat réside dans l’armement général du peuple, la prise du pouvoir et la destruction du capitalisme, fauteur dans tous les pays de misère et de guerre.


 

 

En attendant la fin de la pause, par Marceau Pivert

Tribune libre dans le Populaire du 8 mai 1937.


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Il n’est pas prématuré d’envisager l’avenir proche où les contradictions que le régime capitaliste porte dans ses flancs provoqueront de nouvelles secousses sociales.

Même si les circonstances sont favorables au gouvernement de Front populaire, il n’est pas possible d’espérer raisonnablement qu’il pourra faire face à la fois à toutes les exigences: on ne peut pas continuer à dépenser des sommes prodigieuses pour les armements et donner satisfactions aux revendications légitimes des vieux travailleurs ou des chômeurs. On ne peut pas donner satisfaction aux classes moyennes sans attaquer directement les privilèges du grand capital. Bien plus: les progrès accomplis au bénéfice de la classe ouvrière accentuent les antagonismes et obligent les entreprises les plus développées à concentrer et à perfectionner leurs moyens de production; nous vérifions et nous vérifierons de mieux en mieux cette conséquence, banale pour des socialistes, à savoir que les réformes conquises de haute lutte par le prolétariat ne peuvent que rendre plus sensible la nécessité de la révolution sociale.

D’où une obligation tactique inéluctable pour le Parti: mettre en évidence aux yeux des masses en mouvement son rôle historique fondamental et dégager la voie du pouvoir véritable où il devra les conduire.

S’il ne le fait pas, d’autres le feront à sa place…

Mais en même temps, une difficulté d’apparence insurmontable vient heurter cette nécessité. Nous avons délégué nos meilleurs camarades au gouvernement. Et dans le cadre du régime capitaliste, ils sont chargés d’appliquer le programme du Rassemblement Populaire. Ils prennent donc, qu’on le veuille ou non, la responsabilité de l’ordre établi. Ils le conservent. Et toutes les mesures prises en faveur de la classe ouvrière, ils savent, en tant que socialistes, que la classe dominante s’arrangera toujours en vue de les faire supporter par les travailleurs.

D’un côté le Parti risque de ne pas jouer son rôle dirigeant à l’égard des masses. De l’autre il risque de nourrir et d’entretenir des illusions réformistes pernicieuses.

Il faut pourtant maintenir le Parti sur sa position de classe.

Il faut pourtant poursuivre en même temps, l’expérience du Front populaire.

Comment s’en sortir ?

*

Une première remarque nous y aidera: l’application du programme du Rassemblement Populaire est suspendue… Le fonctionnement de la légalité capitaliste, et plus précisément le chantage de la confiance et la puissance des banques sont à l’origine des difficultés financières, au même titre que les dépenses énormes dites de « défense nationale » (disons plutôt de défense de classe).

Le Parti socialiste ne peut pas se borner à enregistrer ces résultats prévisibles, ni à les déplorer en regrettant leur exploitation par des compagnons plus habiles ou moins scrupuleux.

Il a son mot à dire et il le dira sans doute.

Il rappellera comment on lui a refusé d’introduire dans le programme de Rassemblement Populaire les nationalisations destinées à entamer la structure du grand capitalisme.

Il serait trop injuste, en effet, d’imputer à ses délégués des insuffisances de résultats qui ont leur origine en partie dans la médiocrité des moyens employés. Pour réaliser durablement des réformes qui coûtent il faut oser entreprendre des réformes qui paient. Et les réformes qui paient doivent aller chercher  «  l’argent où il est » , plus exactement elles doivent s’attaquer à la structure du régime économique d’où nous viennent toutes nos misères.

C’est pourquoi le parti doit prendre la tête, dès maintenant, d’un puissant mouvement d’opinion pour préparer « en fin de pause » une offensive décisive contre les trusts.

*

Il n’est pas possible d’imposer longtemps aux masses populaires des mesures qu’elles n’ont pas réclamées (comme le surarmement) et de leur refuser des mesures dont elles ont parfaitement compris le sens et la nécessité (comme les nationalisations). Les chômeurs et les vieux peuvent avoir satisfaction, mais il faut que le rassemblement Populaire donne au gouvernement un mandat ferme pour leur ordre de financement (de même pour les grands travaux).

Qui donc, dans les organisations du Rassemblement Populaire, refuserait de s’attaquer, par exemple, au formidable trust des assurances ?

Trente milliards de réserves sont accumulés par les compagnies. C’est cette masse de manœuvre qui domine toute l’économie; c’est elle qui commande toutes les avenues du pouvoir réel. C’est elle qui alimente les caisses noires du fascisme. De là partent toutes les tentatives du monstre. MM. Mirabaud, du Phénix, de l’Union Parisienne et du P.O.; Vernes, du Phénix et du Crédit National; de Neuflise, de l’Union, du Crédit National et du P.L.M.; Guy de Wendel, des Assurances Générales et des Chemins de fer de l’Est; de Rotschild, etc. sont naturellement adversaires des nationalisations. Mais ils nous permettront sans doute d’être d’un autre avis. Leur influence s’exerce jusque sur le secteur étatisé des assurances: ainsi mon ami René Rul, secrétaire de la 18° section, a démontré dans sa thèse que la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse, avec des frais généraux dix fois moindres que les compagnies privées, faisait un milliard de bénéfices annuels… et n’osait pas le répartir entre les assurés, soit en augmentant leur retraites, soit en diminuant leurs versements.

Un excellent projet, déposé par Vincent Auriol, le 17 janvier 1933, peut être très rapidement repris. Il est intolérable que l’on continue à verser des dividendes de 200 p. 100 pour une exploitation qui devrait être transformée en service public, rien que pour avoir enrichi fabuleusement plusieurs générations d’affameurs du peuple.

Au besoin, si quelques intelligences sénatoriales particulièrement lentes à comprendre dressaient, comme d’habitude, un obstacle en travers de cette réforme de structure, l’action autonome de la classe ouvrière saurait trouver les moyens, comme en juin dernier, de faire pénétrer certaines vérités dans les cerveaux récalcitrants.

En tout cas, aucune revendication n’est plus unanimement désirée par les militants socialistes et, quant au Rassemblement Populaire, qui donc oserait y apparaître comme le porte-parole des deux cents familles en refusant de prendre part à un tel combat ?

Car le combat reprendra… Et plus tôt qu’on ne l’imagine ! Il faut donc le préparer.

Car c’est lui qui permettra de résoudre l’apparente contradiction entre la tâche du gouvernement et celle du Parti. Le gouvernement renforcera la cohésion du Front Populaire en s’engageant dans la lutte contre les trusts. Et la lutte contre les trusts permettra au Parti de conduire les masses populaires vers la conquête du véritable pouvoir.


 

 

La Fédération de la Seine avait raison !

Tract de 1938


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Tract édité par la Fédération socialiste de la Seine ayant refusé sa dissolution le mois précédent, annonçant un meeting avec Marceau Pivert


Pivert - meeting 1938