Le PSOP et le trotskysme
...Si le trotskysme veut bien se dépouiller des prétentions à l’hégémonie ; s’il peut admettre que l’état actuel du mouvement ouvrier international exige un effort de collaboration confiante entre tous les éléments qui ont courageusement rompu avec le social-patriotisme et le national communiste ; s’il abandonne les méthodes fractionnelles, le noyautage commandé de l’extérieur, les moyens de pression et de corruption ou de dénigrement systématique destiné à isoler ou à développer tel ou tel militant qualifié pour la circonstance de « centriste » en vue d’une opération analogue à la préparation d’une « citronnade », alors comme courant politique, le trotskysme peut et doit trouver place au sein du PSOP, considéré comme le foyer de libre recherche et l’instrument d’action collective de l’avant-garde révolutionnaire.
Mais si le trotskysme se révèle incapable de faire cet effort sur lui-même ; s’il se présente au seuil du P.S.O.P. ou au sein de ses fédérations comme le détenteur unique des vérités sacrées, comme le maître qui commande, impose, fustige, corrige et dicte ses volontés ; s’il entre dans l’organisation et travaille de manière à dégoûter, à démoraliser, à faire fuir les militants révolutionnaires qui ne pensent pas comme lui, s’il apparaît comme le cousin germain du stalinisme, alors, oui l’incompatibilité éclate et la preuve est faite que le trotskysme par ses méthodes d’organisation est décidément inassimilable à un parti démocratique où le jeu des tendances exige un minimum de communauté dans les moyens d’action et les principes d’organisation.
Marceau Pivert, à propos de l'entrée des trotskystes dans le PSOP...
Lettre à Daniel Guérin, par Léon Trotsky 10 mars 1939 Oeuvres EDI (Pierre Broué) Note: Guérin, Daniel |
Cher camarade Guérin,
J’ai reçu votre lettre en même temps que la lettre officielle de Pivert [1]. Je vous suis très reconnaissant de l'exposé de votre point de vue personnel, quoique - ce que, d'ailleurs, vous prévoyiez - je ne puisse le partager.
Vous pensez, à la différence de Pivert, qu’il n'y a pas entre nous « divergences sérieuses ». J'admets pleinement qu'il existe, à l’intérieur de votre parti, diverses nuances, et que certaines d'entre elles soient fort proches des conceptions de la IV° Internationale. Mais la tendance qui domine, semble-t-il, dans la direction, et que Marceau Pivert exprime, n'est guère moins séparée de nous que par un abîme. Je m'en suis convaincu précisément par la dernière lettre de Pivert. [2]
Afin de déterminer la physionomie politique d'une organisation, il est d'une importance décisive d'examiner la projection internationale de sa politique nationale. C'est par là que je commencerai. Dans ma lettre à Pivert j'ai exprimé ma surprise de voir que votre parti était encore capable, après l'expérience des dernières années, de se trouver en alliance politique avec le Parti travailliste indépendant (ILP) d'Angleterre, avec le POUM et d'autres organisations similaires, contre nous et cela en dépit d'une expérience des plus récentes : il y a quelques temps Pivert se trouva en alliance politique avec Walcher - contre nous. Votre parti est un nouveau parti. Il lui reste encore à prendre forme, il n'a pas encore (dans un certain sens, heureusement !) une physionomie définitive. Mais l'ILP existe depuis des dizaines d'années, son évolution a eu lieu devant nos yeux, tout a été fixé en son temps, analysé et, dans une large mesure annoncé. Le POUM a traversé une grande révolution, et il a été en mesure de révéler sa véritable figure. Dans ces deux cas, nous ne raisonnons pas sur les possibilités futures d'un parti qui ne fait que prendre forme, mais nous avons affaire à de vieilles organisations testées par l'expérience.
L' ILP
De l'ILP, il n'est pas utile de parler longuement. Je ne ferai que rappeler un fait très récent. Le chef de ce parti, Maxton, a remercié Chamberlain au Parlement après le pacte de Munich et a déclaré à l'humanité ébahie que par sa politique Chamberlain avait sauvé la paix - oui, oui, avait sauvé la paix ! - que lui-même, Maxton, connaissait bien Chamberlain et qu'il pouvait assurer que Chamberlain avait « sincèrement » combattu à la guerre et « sincèrement » sauvé la paix, etc, etc. Ce seul exemple donne une caractérisation concluante et qui plus est joliment destructrice de Maxton et de son parti. Le prolétariat révolutionnaire rejette la « paix » de Chamberlain comme il rejette sa guerre. La « paix » de Chamberlain est la continuation de la violence à l'encontre de l'Inde et des autres colonies et à la préparation de la guerre dans des conditions simplement plus favorables aux esclavagistes britanniques. Prendre sur lui ne serait-ce que la plus légère ombre de responsabilité pour la politique de « paix » de Chamberlain, n'est pas possible à un socialiste, à un révolutionnaire, mais seulement pour un laquais pacifiste de l'impérialisme. Le parti qui tolère un chef de file comme Maxton et des actes comme sa déclaration publique de solidarité avec l'esclavagiste Chamberlain n'est pas un parti socialiste, mais une misérable clique pacifiste.
Le POUM
Quelle est la situation avec le POUM ? Selon les mots de Pivert, l'ensemble de votre parti est « à l'unanimité » prêt à défendre le POUM contre notre critique. Je laisse de côté la question de l' « unanimité » : je ne suis pas sûr que les membres de votre organisation connaissent en détail l'histoire de la révolution espagnole, l'histoire de la lutte des différentes tendances en son sein, en particulier le travail de critique auquel ont contribué les représentants de la Quatrième Internationale sur les questions de la révolution espagnole. Mais il est clair en tout cas que la direction de votre parti n'a absolument pas compris les erreurs fatales du POUM, découlant de son caractère centriste, non-révolutionnaire et non-marxiste.
Depuis le début de la révolution espagnole, je me suis trouvé en contact très étroit avec un certain nombre de militants, en particulier avec Andres Nin. Nous avons échangé des centaines de lettres. Ce n'est qu'après l'expérience d'un certain nombre de mois que j'en suis venu à la conclusion que Nin, honnête et dévoué à la cause, n'est pas un marxiste, mais un centriste, dans le meilleur des cas, un Martov espagnol, c'est-à-dire, un menchevik de gauche. Pivert ne distingue pas, dans la révolution, la politique du menchevisme de la politique du bolchevisme.
Les dirigeants du POUM n'ont pas un seul jour prétendu à jouer un rôle indépendant, ils ont tout fait pour rester dans le rôle de bons amis et conseillers de « gauche » des dirigeants des organisations de masse. Cette politique, qui découle de l'absence de confiance en soi et en ses idées, a voué le POUM à la duplicité, à des déclarations erronées, à des oscillations continuelles en contradiction nette avec l'amplitude de la lutte des classes. La mobilisation de l'avant-garde contre la réaction et ses laquais abjects, y compris les anarcho-bureaucrates, a été remplacée par des homélies quasi-révolutionnaires adressées aux dirigeants traîtres par les dirigeants du POUM, déclarant, en guise d'auto-justification que les « masses » ne comprendrait pas une autre politique, plus résolue. Le centrisme de gauche, surtout dans des conditions révolutionnaires, est toujours prêt à adopter, en parole, le programme de la révolution socialiste, et n'est pas avare de phrases sonores. Mais la maladie mortelle du centrisme est de n'être pas capable de tirer de ses conceptions générales des conclusions, tactiques et organisationnelles, courageuses. Celles-ci lui semblent toujours être « prématurées », « l'opinion des masses doit être préparée » (par le biais d'équivoques, de duplicité, de diplomatie, etc.) et, en outre, il craint de briser ses relations amicales habituelles avec ses amis à sa droite, il « respecte » les opinions personnelles, et c'est pourquoi il assène tous ses coups... à la gauche, s'efforçant ainsi d'élever son prestige aux yeux de l'opinion publique « sérieuse ».
Telle est aussi la psychologie politique de Marceau Pivert. Il ne comprend absolument pas qu'une manière impitoyable de poser les questions fondamentales et une féroce polémique contre les fluctuations ne sont que la nécessaire réflexion idéologique et pédagogique de l'implacable et cruel caractère de la lutte des classes de notre temps. Pour lui, il semble que c'est du « sectarisme », manque de respect de la personnalité des autres, etc. autrement dit, il reste entièrement sur le terrain de la petite bourgeoisie moralisatrice. Est-ce que ce sont de « graves différences »? Oui, je ne peux pas imaginer plus graves différences à l'intérieur du mouvement ouvrier. Avec Blum et Cie et nous n'avons pas de « différences »: il nous nous trouvons simplement sur les côtés opposés de la barricade.
La cause de la défaite en Espagne
A la suite de tous les opportunistes et centristes, Marceau Pivert explique la défaite du prolétariat espagnol par le mauvais comportement des français, de l'impérialisme britannique et de la clique bonapartiste du Kremlin. C'est tout simplement dire qu'une révolution victorieuse est, partout et toujours, impossible. On ne peut pas attendre, ni demander, un mouvement de plus grande portée, une plus grande endurance, plus l'héroïsme de la part des travailleurs que ce que nous avons pu observer en Espagne. Les impérialistes « démocrates » et les cohues de mercenaires de la Deuxième et la Troisième Internationale se comporteront toujours comme ils l'ont fait vis-à-vis de la révolution espagnole. Que peut-on espérer ? Est criminel celui qui, au lieu d'analyser la politique banqueroutière des organisations révolutionnaires ou quasi- révolutionnaires, invoque l'ignominie de la bourgeoisie et ses laquais. C'est précisément contre eux qu'une bonne politique est nécessaire !
Dans la tragédie espagnole une énorme responsabilité revient au POUM. J'ai d'autant plus le droit de le dire que dans mes lettres à Andres Nin, depuis 1931, j'ai prédit les conséquences inévitables de la politique désastreuse du centrisme. Par leurs formules « gauches » les dirigeants du POUM créaient l'illusion qu'un parti révolutionnaire existait en Espagne, et ont empêché l'apparition de tendances véritablement prolétariennes et intransigeantes. Dans le même temps, de par leur politique d'adaptation à toutes les formes du réformisme, ils ont été les meilleurs auxiliaires des traîtres anarchistes, socialistes et communistes. L'honnêteté personnelle et l'héroïsme de nombreux travailleurs du POUM provoquent naturellement notre sympathie, contre la réaction et les gangs staliniens, nous sommes prêts à les défendre au maximum. Mais est de peu de valeur ce révolutionnaire, qui, sous l'influence de considérations sentimentales, est incapable d'examiner objectivement la véritable position d'un parti donné. Le POUM a toujours cherché la ligne de moindre résistance, il a temporisé, éludé, joué à cache-cache avec la révolution. Il a commencé par essayer de se retrancher en Catalogne, en fermant les yeux sur les rapports de forces en Espagne. En Catalogne, les principales positions de la classe ouvrière ont été occupées par les anarchistes, le POUM a commencé par ignorer le danger stalinien (en dépit de toutes les mises en garde !) Et s'est mis au diapason de la bureaucratie anarchiste. Afin de ne pas se créer de difficultés « superflues », les dirigeants du POUM ont fermé les yeux sur le fait que les anarcho-bureaucrates ne valaient pas du tout mieux que tous les autres réformistes, qu'ils ont couverts avec une autre phraséologie. Le POUM s'est abstenu de pénétrer le milieu de la Confédération nationale du travail [CNT] afin de ne pas perturber les relations avec les sommets de cette organisation et afin de conserver la possibilité de rester vis-à-vis d'eux dans un rôle de conseiller. Telle était la position de Martov. Mais Martov, que cela soit dit pour sa défense, a su comment éviter une erreur aussi primaire et honteuse que la participation dans le gouvernement catalan ! Pour passer ouvertement et solennellement du camp du prolétariat au camp de la bourgeoisie ! Marceau Pivert ferme les yeux sur ces « détails ». Pour les travailleurs qui, pendant la révolution, dirigent toute la force de leur haine de classe contre la bourgeoisie, la participation d'un leader « révolutionnaire » à un gouvernement bourgeois est un fait de grande importance : elle les démoralise et les désoriente. Et ce fait ne tombe pas du ciel. Il est directement lié à la politique du POUM. Les dirigeants du POUM ont parlé avec beaucoup d'éloquence des avantages de la révolution socialiste sur la révolution bourgeoise, mais ils n'ont rien fait de sérieux pour préparer cette révolution socialiste, dont la préparation ne peut consister qu'en une impitoyable, audacieuse et implacable mobilisation des travailleurs anarchistes, socialistes et communistes contre leurs dirigeants traîtres. Il est nécessaire de ne pas avoir peur de se séparer de ces dirigeants, de se transformer en une « secte » pendant les premiers jours, même si elle est persécutée par tous, il est nécessaire de proposer des slogans exacts et clairs, et de prédire le lendemain et, en se fondant sur les événements, de discréditer les dirigeants officiels et de les chasser de leurs positions. Au cours de huit mois, les bolcheviks, du petit groupe qui ils étaient, sont devenus une force décisive. L'énergie et l'héroïsme du prolétariat espagnol a donné au POUM plusieurs années pour se préparer. Le POUM a eu en deux ou trois occasions le temps de sortir de ses langes et de devenir un adulte. S'il ne l'a pas fait, ce n'est pas la faute des impérialistes « démocratiques », et des bureaucrates de Moscou, mais le résultat d'une cause interne : ses propres dirigeants ne savaient pas où aller et quels chemins prendre.
Une énorme responsabilité historique incombe au POUM. Si le POUM n'avait pas marché à la suite des anarchistes et qu'il n'avait pas fraternisé avec le « Front populaire », s'il avait mené une politique d'intransigeance révolutionnaire, alors, au moment de l'insurrection de Mai 1937 et probablement beaucoup plus tôt, il se serait naturellement trouver en charge à la tête des masses, et aurait assuré la victoire. Mais le POUM n'était pas un parti révolutionnaire, mais un parti centriste porté par la vague de la révolution. Ce n'est pas du tout la même chose. Marceau Pivert ne comprend pas cela, même aujourd'hui, car il est lui-même un centriste jusqu'à la moelle de ses os.
Le jeu de cache-cache
Il semble à Marceau Pivert qu'il a compris les conditions et les leçons de juin 36. Mais il ne les a pas comprises, et son incompréhension se manifeste de la façon la plus claire dans la question du P.O.U.M. Martov traversa la révolution de 1905 sans profiter de ses leçons : il le montra lors de la révolution de 1917. Andrès Nin écrivit des dizaines de fois - et tout à fait sincèrement qu'il était « en principe » d'accord avec nous, mais en désaccord quant à la « tactique » et au « rythme » : il n'a d'ailleurs, hélas, jusqu'à sa mort, jamais trouvé la possibilité de dire une seule fois clairement et précisément sur quoi exactement il était d'accord et sur quoi il ne l'était pas. Pourquoi ? Parce qu'il ne se le disait pas à lui-même [3].
Marceau Pivert dit dans sa lettre que sa seule divergence avec nous est dans l'appréciation du « rythme », et lui-même mentionne en outre une divergence analogue en 1935. Mais précisément, quelques mois plus tard, en juin 1936, se sont déroulés de grands événements qui révélèrent complètement quelle était l'erreur de Pivert dans la question du rythme. Pivert se trouva pris à l'improviste par ces événements car, en dépit de tout, il continuait à rester un ami de « gauche » auprès de Léon Blum, c'est-à-dire auprès du pire agent de l'ennemi de classe [4]. Le rythme des événements ne s'adapte pas au rythme de l'indécision centriste. D'autre part, les centristes couvrent toujours leur désaccord avec la politique révolutionnaire en invoquant le « rythme », la « forme » ou le « ton ». Vous pouvez retrouver cette manière centriste de jouer à cache-cache avec les faits et les idées dans toute l'histoire du mouvement révolutionnaire.
Concernant le problème de la Révolution espagnole, le problème le plus important de ces dernières années, la IV° Internationale a donné à chaque étape une analyse marxiste de la situation, une critique de la politique des organisations ouvrières (surtout du P.O.U.M.) et un pronostic. Pivert a-t-il fait une seule tentative pour soumettre notre appréciation à sa critique, pour opposer son analyse à la nôtre ? Jamais ! C'est une chose que les centristes ne font jamais. Ils craignent d'instinct toute analyse scientifique. Ils vivent d'impressions générales et de corrections imprécises aux conceptions d’autrui. Craignant de s'engager eux-mêmes, ils jouent à cache-cache avec le processus historique.
Je n'ai pas la moindre intention de présenter à votre parti des exigences extraordinaires : il vient seulement de se séparer de la social-démocratie, il n'a connu aucune autre école. Mais il s'en est séparé sur la gauche, dans une période de profonde crise et cela lui ouvre de sérieuses possibilités de développement révolutionnaire. C'est de là que je pars : sinon je n'aurais pas eu la raison de m'adresser à Marceau Pivert dans une lettre à laquelle il a, hélas, répondu en continuant de jouer à cache-cache. Marceau Pivert ne se rend pas compte de la véritable situation de votre parti, il écrit qu'en septembre, lors de la crise internationale, le parti s'est trouvé à la hauteur. Je souhaite de tout cœur que cette appréciation fût exacte. Mais aujourd'hui elle me semble trop rapide [5]. Il n'y a pas eu la guerre. Les masses ne se sont pas trouvées devant le fait accompli. La peur de la guerre dominait dans la classe ouvrière et parmi les petits bourgeois. C'est à ces idées d’avant-guerre que votre parti a donné une expression dans les mots d'ordre abstraits de l'internationalisme. Mais n'oubliez pas que la socialdémocratie allemande et le parti socialiste français se maintinrent très internationalistes, très « intransigeants » jusqu’au moment où éclata le premier coup de canon. Le Vorwaerts changea si brusquement sa position, le 4 août, que Lénine se demanda si ce n'était pas un faux de l'Etat-major allemand. Bien entendu, on doit saluer le fait que votre parti, en septembre, n'est pas entré dans la voie du chauvinisme. Mais ce n'est encore qu'un mérite négatif. Affirmer que votre parti a passé un examen d'internationalisme révolutionnaire, c'est se contenter de trop peu, c'est ne pas prévoir l'offensive enragée qui surviendra, en cas de guerre, de la part de l'opinion publique bourgeoise, y compris son agence social-patriote et communo-chauvine. Pour préparer le parti à une telle épreuve, il faut dès maintenant polir et repolir sa conscience, tremper son intransigeance, aller jusqu'au bout de toutes les idées, ne pas faire grâce aux amis perfides. En premier lieu, il faut rompre avec les francs-maçons (qui sont tous des patriotes) et les pacifistes du genre de Maxton et se tourner vers la IV° Internationale - non pour se mettre dès maintenant sous son drapeau, personne ne vous le demande, mais pour s'expliquer honnêtement avec elle sur les problèmes fondamentaux de la révolution prolétarienne.
C'est précisément en raison de l'approche de la guerre que la réaction mondiale et surtout son agence staliniste attribuent tous les maux au « trotskysme » et dirigent contre lui leurs principaux coups. D'autres reçoivent quelques horions en passant, se faisant traiter aussi de « trotskystes ». Ce n'est pas par hasard. Les groupements politiques se polarisent. Le « trotskysme », c'est, pour la réaction et ses agents, la menace internationale de la révolution socialiste. Dans ces conditions, les centristes de toutes nuances, effrayés par la pression croissante de la réaction « démocratique » staliniste, jurent à chaque pas : « Nous ne sommes pas trotskystes », « Nous sommes contre la IV° Internationale », « Nous ne sommes pas si mauvais que vous le croyez ». C'est jouer à cache-cache. Mon cher Guérin, il faut en finir avec ce jeu indigne !
Sensibilité personnelle et intransigeance idéologique.
Pivert déclare d'un ton assez hautain que lui est ses amis - évidemment à la différence de nous, les pécheurs - sont étrangers aux considérations de caractère personnel et de tendance. Ces paroles ne sont-elles pas étonnantes ? Comment peut-on placer sur le même plan des considérations de caractère personnel et principiel (« de tendance ») ? Les préoccupations et les griefs jouent un très grand rôle chez tous les centristes, orgueilleux et ombrageux, parce que manquant d'assurance. Mais les considérations « de tendance », c'est le souci du programme politique, de la méthode, du drapeau. Comment peut-on dire que l'intransigeance idéologique est « indigne » de notre époque, alors que celle-ci, plus qu'aucun autre, exige de la clarté, de l'audace et de l'intransigeance ?
Dans la franc-maçonnerie se réunissent des gens de différents partis, avec des intérêts différents et avec des fins personnelles différentes. Tout l'art de la direction de la franc-maçonnerie consiste à neutraliser les tendances divergentes et à aplanir les contradictions entre les groupes et les cliques (dans l'intérêt de la « démocratie » et de « l'humanité », c'est-à-dire de la classe dominante). On s'habitue ainsi à parler à haute voix de tout, sauf de l'essentiel. Cette morale fausse, hypocrite, frelatée, imprègne en France, directement ou indirectement, la majorité des chefs ouvriers officiels. Marceau Pivert lui-même est pénétré de l'influence de cette morale.
Il lui semble que nommer à haute voix un fait désagréable, c'est une inconvenance. Nous, nous jugeons criminel de taire les faits qui ont une importance pour la lutte de classe du prolétariat. C'est là la différence fondamentale de notre morale.
Pouvez-vous, Guérin, répondre clairement et franchement aux ouvriers ? Qu'est-ce qui lie Pivert à la maçonnerie ? Je vous le dis : c'est ce qui le sépare de la IV° Internationale, c'est-à-dire l'indécision sentimentale petite-bourgeoise, la dépendance à l'égard de l’opinion publique officielle. Si quelqu'un me déclare qu'il est matérialiste et qu'en même temps il se rende à la messe le dimanche, je dis que son matérialisme est faux. Il peut bien crier que je suis intolérant, que je manque de tact, que j'attente à sa « personnalité », etc., cela ne m'émeut pas. Combiner le socialisme révolutionnaire à la franc-maçonnerie est aussi inconcevable que combiner le matérialisme au catholicisme. Le révolutionnaire ne peut avoir politiquement deux domiciles : l'un avec la bourgeoisie, pour l'âme, l’autre avec les ouvriers, pour la politique courante. La duplicité est incompatible avec le révolutionnaire prolétarien. Excluant toute stabilité interne, la duplicité engendre la sensibilité, la susceptibilité, la timidité intellectuelle. A bas la duplicité, Guérin !
Le sectarisme.
Quand Marceau Pivert parle de notre « sectarisme » (nous ne nions pas la présence de tendances sectaires dans nos rangs et nous luttons contre elles) et de notre isolement des masses, il démontre de nouveau son incompréhension de l'époque présente et de son propre rôle dans celle-ci. Oui, nous sommes encore isolés des masses. Par qui ou par quoi ? Par les organisateurs du réformisme, du stalinisme, du patriotisme, du pacifisme et par les groupements centristes intermédiaires de tout genre dans lesquels s'exprime .- parfois sous une forme extrêmement indirecte et complexe - le réflexe d'autodéfense du capitalisme expirant. Marceau Pivert, tout en empêchant un groupe déterminé d'ouvriers de pousser leurs idées jusqu'au bout et tout en isolant ainsi ces ouvriers du marxisme, nous reproche d'être isolés des masses. L'un de ces « isolateurs », c'est le centrisme ; un élément actif de ces isolateurs, c'est Pivert. Notre tâche consiste précisément à écarter ces isolateurs, convaincre les uns et les conquérir à la cause de la révolution, et anéantir les autres. Pivert s'effraie tout simplement de l'isolement des révolutionnaires pour pouvoir rester tout près des pacifistes, des confusionnistes et des francs-maçons, remettre à un avenir indéterminé les questions sérieuses, invoquer le « rythme » incorrect et le mauvais « ton » - en un mot, faire obstacle à la conjonction du mouvement ouvrier et du mouvement révolutionnaire.
Marceau Pivert apprécie peu nos cadres parce qu'il n'a pas compris le fond des questions actuellement à l'ordre du jour. Il lui semble que nous passons notre temps à couper des cheveux en quatre. Il se trompe profondément. De même que le chirurgien doit apprendre à distinguer chaque tissu, chaque nerf pour manier correctement le bistouri, de même le militant révolutionnaire doit examiner soigneusement et minutieusement toutes les questions et en tirer les dernières conclusions. Marceau Pivert voit le sectarisme là où il n'est pas. Il est remarquable que tous les véritables sectaires, du genre de Sneevliet, Vereecken, etc., gravitent autour du bureau de Londres, du P.O.U.M., de Marceau Pivert. La raison en est simple : le sectarisme est un opportunisme qui craint son propre opportunisme. D'autre part, l'amplitude des oscillations du centriste va du sectarisme à l'opportunisme. D'où leur attraction réciproque. Le centriste ne peut être à leur tête que pour un bref moment passager. Seul le marxiste révolutionnaire est capable de se frayer un chemin vers les masses.
La IV° Internationale.
Vous répétez les vieilles phrases, suivant lesquelles il faut d'abord « convaincre les masses » de la nécessité de la IV° Internationale et qu'ensuite seulement il faut la proclamer. Cette opposition n'a rien de réel, rien de sérieux, n'a aucun véritable contenu. Les révolutionnaires qui sont pour un programme déterminé et pour un drapeau déterminé se rassemblent à l'échelle internationale pour lutter pour la conquête des masses. C'est précisément ce que nous avons fait. Nous éduquerons les masses par l'expérience du mouvement. Vous voulez les éduquer « préalablement ». Comment ? Par l'alliance avec le laquais impérialiste Maxton ou avec le prêtre centriste Fenner Brockway ou avec les amis francs-maçons ? Pensez-vous sérieusement que ce public-là éduquera les masses pour la IV° Internationale ? Je ne puis que rire amèrement. Le bien connu Jakob Walcher, vulgaire social-démocrate, enseigna longtemps à Marceau Pivert que, pour la IV° Internationale, « il n'était pas encore temps », et maintenant il s'apprête à passer dans la II° Internationale, où il a d'ailleurs sa place. Quand les opportunistes invoquent le fait que la masse n'est pas mûre, ce n'est d'ordinaire que pour masquer leur immaturité à eux. Toute la masse ne sera jamais mûre sous le capitalisme. Les différentes couches de la masse mûrissent à différents moments. La lutte pour la « maturation » de la masse commence avec une minorité, avec une « secte », avec une avant-garde. Il n'y a et ne peut y avoir d'autre voie dans l'histoire.
Sans avoir de doctrine, de tradition révolutionnaire, de programme clair, de masses, vous n'avez pas craint de proclamer un nouveau parti. De quel droit ? Evidemment, vous croyez que vos idées vous donnent le droit à la conquête des masses' n'est-ce pas ? Pourquoi donc vous refusez-vous à appliquer le même critère à l'Internationale ? Uniquement parce que vous ne savez pas vous élever jusqu'au point de vue international. Un parti national (même si c'est sous la forme d'une organisation initiatrice) est pour vous une nécessité vitale, mais un parti international, cela ressemble à un luxe, et cela peut attendre. C'est mal, Guérin, fort mal !
Pour une fusion honnête.
Marceau Pivert propose, au lieu de la fusion des organisations, un «Front unique ». Cela a un air solennel, mais ne contient pas grand-chose. Un Front unique a un sens quand il s'agit d'organisations de masses. Mais ce n'est pas le cas. Avec l'existence séparée des organisations, des accords épisodiques en telles ou telles occasions sont, assurément, inévitables. Ici, ce qui nous intéresse, ce ne sont pas des cas isolés, mais toute la politique. La tâche centrale est le travail à l'intérieur des syndicats, la pénétration dans les partis socialiste et communiste. Cette tâche ne peut se résoudre par un Front unique, c'est-à-dire par le jeu diplomatique de deux faibles organisations. Il faut une concentration des forces sur un programme déterminé pour pénétrer avec des forces unies dans les masses. Autrement on perd tout le « rythme ». Il reste très, très peu de temps.
A la différence de Pivert, vous estimez personnellement que la fusion est possible et nécessaire mais, ajoutez-vous, à la condition que ce soit une fusion loyale, honnête. Qu'entendez-vous par là ? La renonciation à la critique ? La rémission réciproque des péchés ? Notre section française mène avec un programme déterminé et avec des méthodes déterminées la lutte pour ses conceptions. Elle est prête à lutter en commun avec vous pour ces conceptions : elle est prête à lutter dans vos rangs pour ses idées, par les méthodes qu'assure toute organisation prolétarienne saine. C'est cela que nous considérons comme une unité honnête.
Qu'est-ce que Pivert entend par unité honnête ? « Ne touchez pas à ma franc-maçonnerie, c'est mon affaire personnelle », « Ne touchez pas à mon amitié avec Maxton ou avec Fenner Brockway ». Permettez : la franc-maçonnerie est une organisation de l'ennemi de classe. Maxton est un laquais pacifiste de l'impérialisme [6]. Comment peut-on ne pas lutter contre eux ? Comment peut-on ne pas l'expliquer à tous les membres du parti que l'amitié politique avec ces messieurs, c'est une porte ouverte à la trahison ? Cependant, notre critique de Maxton semble à Pivert déloyale ou... « sectaire ». Pourquoi ces soucis superflus ? Il faut vivre et laisser vivre les autres , Dans la question de la loyauté politique, nous avons des critères différents - pour ne pas dire opposés de ceux de Marceau Pivert. Il faut le reconnaître ouvertement.
Quand j'ai écrit à Pivert, je ne me faisais pas de grandes illusions, mais je ne renonçais pas à l'espoir d'un rapprochement avec lui. La réponse de Pivert m'a montré que nous avons affaire avec lui à un centriste organique qui, sous l'influence des événements révolutionnaires se déplacera plutôt vers la droite que vers la gauche. Je serais heureux de me tromper. Mais, à l'étape actuelle, je ne puis me permettre un jugement optimiste.
Quelle est la conclusion, me demandez-vous ? Je n'identifie pas Pivert à votre jeune organisation. La fusion avec elle me semble possible. La technique de la fusion ne dépend pas de moi : c'est l'affaire des camarades qui travaillent sur place. Je suis pour une fusion honnête dans le sens indiqué plus haut : poser clairement et franchement devant tous les membres des deux organisations toutes les questions de la politique révolutionnaire. Personne n'a le droit de faire serment de sa sincérité et d'accuser l'esprit chicanier de l'adversaire. Il s'agit du sort du prolétariat. Il ne s'agit pas de s'appuyer sur les bons sentiments d'individus isolés, mais sur la politique conséquente d’un parti. Si on allait jusqu'à la fusion, ce que je veux espérer, et si la fusion ouvrait une discussion sérieuse, je vous prierais de considérer ma lettre comme une contribution venue de loin à cette discussion [7].
Coyoacan D. F. 10 mars 1939.
Notes:
[1] Daniel Guérin, absent de Paris lors de la réunion du bureau du P.S.O.P. qui avait discuté de la réponse à faire à Trotsky, avait tenu à ajouter le 2 février, un mot personnel à la lettre de Pivert. Il n'existait pas, selon lui, de « sérieuses divergences », sauf celles qui étaient « créées artificiellement par le sectarisme de certains ». Il écrivait : « C'est de vous et de vous seul que dépend la question de savoir si la fusion serait loyale ou déloyale. » Guérin tenait pour « formelle » la seule divergence réelle, qui portait évidemment sur la proclamation de la IV° Internationale, prématurée selon lui.
[2] Note du 14.07.2009 : La mise à jour du 14.07 consiste en l'adjonction des passages suivants, précédemment omis, jusqu'à la fin du chapitre "La cause de la défaite en Espagne".
Sur le sujet traité par ces trois paragraphes (véritables réquisitoires contre l'I.L.P. et le P.O.U.M), le lecteur pourra se reporter au long article intitulé « Leçon d'Espagne, dernier avertissement ». Un des articles essentiels de la critique de Trotsky contre le P.O.U.M. « Problèmes de la révolution espagnole : la victoire est-elle possible ? » paru dans la Lutte ouvrière, n° 44 et 45 (14 - 21 mai 1937) figure dans le vol. 13 des "Oeuvres" (Ed. ILT).
[3] « Enlevé » à Barcelone par les services « parallèles » de la Guépéou en Espagne, Andrès Nin fut assassiné. Il semble bien qu'il ait, quant à lui, toujours pensé que les divergences entre Trotsky et lui venaient de ce que Trotsky était « mal informé ».
[4] Marceau Pivert avait accepté en 1936 de se charger, dans le gouvernement Blum, au secrétariat à la présidence du conseil, du contrôle politique de la presse, de la radio et du cinéma. « Nous nous étions laissés lier par un fil à la patte », écrit Daniel Guérin. Ce dernier avait été le seul, au comité directeur de la Gauche révolutionnaire, à voter contre l'acceptation de ces fonctions officielles.
[5] Avec le recul, Daniel Guérin constatera que Marceau Pivert avait bien péché par optimisme. « Après Munich », écrit-il, « si notre parti n'éclata point le clivage ira s'approfondissant entre les pacifistes intégraux ( ... ) et les militants intégrés à la guerre d'Espagne ». En 1940, le P.S.O.P. vole en éclats, l'aile droite se divisant en pacifistes intégraux et légalistes la gauche entre les résistants et les animateurs d'un éphémère « mouvement national révolutionnaire » qui tenta l'existence légale sous l'occupation.
[6] Maxton avait salué Chamberlain, après Munich, comme « le sauveur de la paix ».
[7] En réponse à la direction du P.S.O.P., Trotsky devait rédiger un long texte intitulé « le « Trotskysme » et le parti socialiste ouvrier et paysan ». L'hebdomadaire du P.S.O.P., juin 36, ne le publia pas, malgré une lettre de sommation de Trotsky du 25 juillet 1939.
Communisme et franc-maçonnerie, par Léon Trotsky
Œuvres, 25 novembre 1922
Le développement du capitalisme a toujours approfondi et approfondit sans cesse les antagonismes sociaux. Les efforts de la bourgeoisie ont toujours tendu à émousser ces antagonismes en politique. L'histoire du siècle dernier nous présente une extrême diversité de moyens employés par la bourgeoisie à cet effet. La répression pure et simple est son argument ultime, elle n'entre en scène que dans les moments critiques. En temps « normal », l'art politique bourgeois consiste à enlever pour ainsi dire de l'ordre du jour la question même de la dénomination bourgeoise, à la masquer de toutes sortes de décors politiques, juridiques, moraux, religieux, esthétiques et à créer de cette façon dans la société l'impression de la solidité inébranlable du régime existant.
Il est ridicule et naïf, pour ne pas dire un peu sot, de penser que la politique bourgeoise se fasse tout entière dans les parlements et dans les articles de tête. Non, cette politique se fait au théâtre, à l'église, dans les poèmes lyriques et à l'Académie, et à l'école. La bourgeoisie enveloppe de tous côtés la conscience des couches intermédiaires et même de catégories importantes de la classe ouvrière, empoisonnant la pensée, paralysant la volonté.
C'est la bourgeoisie russe, primitive et mal douée, qui a le moins réussi dans ce domaine, et elle a été cruellement punie. La poigne tsariste mise à nu, en dehors de tout système compliqué de camouflage, de mensonge, de duperie, et d'illusions, se trouva insuffisante. La classe ouvrière russe s'empara du pouvoir.
La bourgeoisie allemande, qui a donné incomparablement plus dans les sciences et les arts, était politiquement d'un degré à peine supérieure à la bourgeoisie russe : la principale ressource politique du capital allemand était le Hohenzollern prussien et le lieutenant prussien. Et nous voyons actuellement la bourgeoisie allemande occuper une des premières places dans la course à l'abîme.
Si vous voulez étudier la façon, les méthodes et les moyens par lesquels la bourgeoisie a grugé le peuple au cours des siècles, vous n'avez qu'à prendre en mains l'histoire des plus anciens pays capitalistes : l'Angleterre et la France. Dans ces deux pays, les classes dirigeantes ont affermi peu à peu leur domination en accumulant sur la route de la classe ouvrière des obstacles d'autant plus puissants qu'ils étaient moins visibles.
Le trône de la bourgeoisie anglaise aurait été brisé en mille morceaux s'il n'eût été entouré d'une atmosphère de respectability, de tartufferie et d'esprit sportif. Le bâton blanc des policemen ne protège que la ligne de repli de la domination bourgeoise et une fois le combat engagé sur cette ligne — la bourgeoisie est perdue. Infiniment plus important pour la conservation du régime britannique est l'imperceptible toile d'araignée de respectability et de lâcheté devant les commandements bourgeois et les « convenances » bourgeoises qui enveloppe les cerveaux des trade-unionnistes, des chefs du Labour Party et de nombreux éléments de la classe ouvrière elle-même.
La bourgeoisie française vit, politiquement, des intérêts du capital hérité de la Grande Révolution. Le mensonge et la perversion de la démocratie parlementaire sont suffisamment connus et semble-t-il, ne laissent plus place à aucune illusion. Mais la bourgeoisie fait de cette perversion même du régime son soutien. Comment cela ? Par l'entremise de ses socialistes. Ces derniers, par leur critique et leur opposition, prélèvent sur les masses du peuple l'impôt de la confiance, et au moment critique transmettent toutes les voix qu'ils ont recueillies à l'Etat capitaliste. Aussi la critique socialistes est-elle actuellement un des principaux étais de la domination bourgeoise. De même que la bourgeoisie française fait servir à ses but non seulement l'Eglise catholique, mais aussi le dénigrement du catholicisme, elle se fait servir non seulement par la majorité parlementaire, mais aussi par les accusateurs socialistes, ou même souvent anarchistes, de cette majorité. Le meilleur exemple en est fourni par la dernière guerre, où l'on vit abbés et francs-maçons, royalistes et anarcho-syndicalistes, se faire les tambours enthousiastes du capital sanglant.
Nous avons prononcé le mot : franc-maçonnerie. La franc-maçonnerie joue dans la vie politique française un rôle qui n'est pas mince. Elle n'est en somme qu'une contrefaçon petite bourgeoise du catholicisme féodal par ses racines historiques. La République bourgeoise de France avançant tantôt son aile gauche, tantôt son aile droite, tantôt les deux à la fois, emploie dans un seul et même but soit le catholicisme authentique, ecclésiastique, déclaré, soit sa contrefaçon petite-bourgeoise, la franc-maçonnerie, où le rôle des cardinaux et des abbés est joué par des avocats, par des tripoteurs parlementaires, par des journalistes véreux, par des financiers juifs déjà bedonnants ou en passe de le devenir. La franc-maçonnerie, ayant baptisé le vin fort du catholicisme, et réduit, par économie petite-bourgeoise, la hiérarchie céleste au seul « Grand Architecte de l'Univers », a adapté en même temps à ses besoins quotidiens la terminologie démocratique : Fraternité, Humanité, Vérité, Equité, Vertu. La franc-maçonnerie est une partie non officielle, mais extrêmement importante, du régime bourgeois. Extérieurement, elle est apolitique, comme l'Eglise ; au fond, elle est contre-révolutionnaire comme elle. A l'exaspération des antagonismes de classes, elle oppose des formules mystiques sentimentales et morales, et les accompagne, comme l'Eglise, d'un rituel de Mi-Carême. Contrepoison impuissant, de par ses sources petites-bourgeoises contre la lutte de classe qui divise les hommes, la maçonnerie, comme tous les mouvements et organisations du même genre, devient elle-même un instrument incomparable de lutte de classe, entre les mains de la classe dominante contre les opprimés.
Le grand art de la bourgeoisie anglaise a toujours consisté à entourer d'attention les chefs surgissant de la classe ouvrière, à flatter leur respectability, à les séduire politiquement et moralement, à les émasculer. Le premier artifice de cet apprivoisement et de cette corruption, ce sont les multiples sectes et communautés religieuses où se rencontrent sur un terrain « neutre » les représentants des divers partis. Ce n'est pas pour rien que Lloyd George a appelé l'Eglise « la Centrale électrique de la politique ». En France, ce rôle, en partie du moins, est joué par les loges maçonniques. Pour les socialistes, et plus tard pour le syndicaliste français, entrer dans une loge signifiait communier avec les hautes sphères de la politique. Là, à la loge, se lient et se délient les relations de carrière ; des groupements et des clientèles se forment, et toute cette cuisine est voilée d'un crêpe de morale, de rites et de mystique. La franc-maçonnerie ne change rien de cette tactique, qui a fait ses preuves, à l'égard du Parti Communiste : elle n'exclut pas les communistes de ses loges, au contraire, elle leur en ouvre les portes toutes grandes. La maçonnerie cesserait d'être elle-même, si elle agissait autrement. Sa fonction politique consiste à absorber les représentants de la classe ouvrière pour contribuer à ramollir leurs volontés et, si possible, leurs cerveaux. Les « frères » avocats et préfets sont naturellement très curieux et même enclins à entendre une conférence sur le communisme. Mais est-ce que le frère de gauche, qui est le frère cadet, peut se permettre d'offrir au frère aîné, qui est le frère de droite, un communisme sous le grossier aspect d'un bolchévik le couteau entre les dents ? Oh ! non. Le communisme qui est servi dans les loges maçonniques doit être une doctrine très élevée, d'un pacifisme recherché, humanitaire, reliée par un très subtil cordon ombilical de philosophie à la fraternité maçonnique. La maçonnerie n'est qu'une des formes de la servilité politique de la petite-bourgeoisie devant la grande. Le fait que des « communistes » participent à la maçonnerie indique la servilité morale de certains pseudo-révolutionnaires devant la petite bourgeoisie et, par son intermédiaire, devant la grande.
Inutile de dire que la Ligue pour la Défense des Droits de l'homme et du citoyen n'est qu'un des accès de l'édifice universel de la démocratie capitaliste. Les loges étouffent et souillent les âmes au nom de la Fraternité ; la Ligue pose toutes les questions sur le terrain du Droit. Toute la politique de la Ligue, comme l'a démontré avec clarté la guerre, s'exerce dans les limites indiquées par l'intérêt patriotique et national des capitalistes français. Dans ce cadre, la Ligue a tout loisir de faire du bruit autour de telle ou telle injustice, de telle ou telle violation du droit ; cela attire les carriéristes et abasourdit les simples d'esprit.
La Ligue des Droits de l'Homme a toujours été, de même que les loges maçonniques, une arène pour la coalition politique des socialistes avec les radicaux bourgeois. Dans cette coalition, les socialistes agissent, bien entendu, non pas comme représentants de la classe ouvrière, mais individuellement. Toutefois, l'importance prise par tel ou tel socialiste dans les loges est déterminée non pas le poids de sa vertu individuelle, mais par l'influence politique qu'il a dans la classe ouvrière. Autrement dit : dans les loges et autres institutions du même genre, MM. les socialistes tirent profit pour eux-mêmes du rôle qu'ils jouent dans le mouvement ouvrier. Et ni vu ni connu, car toutes les machinations sont couvertes par le rituel idéaliste.
Bassesse, quémandage, écorniflage, aventurismes, carriérismes, parasitisme, au sens le plus direct et le plus matériel du mot, ou bien, en un sens plus occulte et « spirituel » — voilà ce que signifie la franc-maçonnerie pour ceux qui viennent à elle d'en bas. Si les amis de Léon Blum et de Jouhaux s'embrassent dans les loges avec leurs frères du bloc des gauches, ils restent, ce faisant, complètement dans le cadre de leur rôle politique ; ils parachèvent dans les séances secrètes des loges maçonniques ce qu'il serait incongru de faire ouvertement en séance publique du Parlement ou dans la presse. Mais nous ne pouvons que rougir de honte en apprenant que dans les rangs d'un Parti Communiste (!!!) il y a des gens qui complètent l'idée de la dictature du prolétariat par la fraternisation dans les tenues maçonniques avec les dissidents, les radicaux, les avocats et les banquiers. Si nous ne savions rien d'autre sur la situation de notre Parti français, cela nous suffirait pour dire avec Hamlet : « Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark...» L'Internationale peut-elle permettre à cet état de choses véritablement honteux de se prolonger et même de se développer ? Ce serait permettre que la Parti Communiste Français occupe dans le système du conservatisme démocratique la place de soutien de gauche occupée autrefois par le Parti Socialiste. Mais cela ne sera pas — nous avons trop foi en l'instinct révolutionnaire et en la pensée révolutionnaire de l'avant-garde prolétarienne française. D'une lame impitoyable elle tranchera une fois pour toutes les liens politiques, philosophiques, moraux et mystiques qui rattachent encore la tête de son Parti aux organes déclarés ou masqués de la démocratie bourgeoise, à ses loges, à ses ligues, à sa presse. Si ce coup d'épée laisse par-delà les murs de notre Parti quelques centaines et même quelques milliers de cadavres politiques, tant pis pour eux. Tant pis pour eux et tant mieux pour le Parti du prolétariat, car ses forces et son poids ne dépendent pas du seul nombre de ses membres.
Une organisation de 50.000 membres, mais construite comme il faut, qui sait fermement ce qu'elle veut et qui suit la voie révolutionnaire sans jamais s'en écarter, peut et doit conquérir la confiance de la majorité de la classe ouvrière et occuper dans la révolution la place directrice. Une organisation de 100.000 membres contenant centristes, pacifistes, franc-maçons, journalistes bourgeois, etc., est condamnée à piétiner sur place, sans programme, sans idée, sans volonté — et jamais ne pourra conquérir la confiance de la classe ouvrière.
La franc-maçonnerie est une plaie mauvaise sur le corps du communisme français. Il faut la brûler au fer rouge.
Lettre à Léon Trotsky, par Marceau Pivert Janvier 1939 |
Les délégués au congrès du PSOP |
Cher camarade Trotsky,
J’ai communiqué le contenu de votre lettre à mes collègues de l’exécutif du parti. Nous avons tous convenu, comme vous, de l’extrême gravité de la situation en France, et par conséquent pour le prolétariat international. Nous trouvons par conséquent tout naturel un échange de correspondance qui, en dépit de nos divergences, permet d’établir des points communs dans nos perspectives. Nous sommes par ailleurs suffisamment exempts de préjugés nationaux pour trouver à quelque niveau malvenue la lettre d’un militant marxiste aussi expérimenté que vous. Nous nous devons de voir les choses comme elles sont et de déterminer honnêtement lesquelles de nos observations coïncident avec vos observations politiques ou en quoi elles divergent sensiblement.
(…) Dans tous les cas la tâche reste la même: forger une avant-garde révolutionnaire prête à poser la question de la conquête du pouvoir et de mener les masses ouvrières vers la dictature du prolétariat. les militants réunis autour du P.S.O.P. ont cette formidable ambition. Ils ont déjà subi deux épreuves sélectives: la crise de septembre a montré leur attachement à l’internationalisme prolétarien, la grève générale du 30 novembre a montré leur capacité d’action directe. Ces camarades n’ont certes pas le même jugement dur et définitif que vous sur les militants que vous mentionnez (…) Nous avons en effet constitué avec eux un Front ouvrier international contre la guerre, et la plate-forme et les objectifs de ce front doivent être soumis à la critique marxiste plutôt qu’à l’enregistrement de telle ou telle signature de personnalités.
Mais le jugement que vous portez sur le P.O.U.M. suscite les protestations unanimes de nos militants, pour nous qui avons vécu de près les évènements depuis juillet 1936 ce n’est par la "peur du POUM devant l’opinion petite-bourgeoise de la II° Internationale, de la III° Internationale ou des anarchistes" qui est à l’origine de l’effondrement de l’avant-garde révolutionnaire mais la conjonction des efforts de l’impérialisme anglo-français, de l’impérialisme italo-allemand et aussi des staliniens(…)
Une autre question est posée dans votre lettre: celle de la "fusion" de notre parti avec la section française de la Quatrième Internationale. Les "négociations" se sont arrêtées sur des propositions de fusion que nous ne pourrions accepter sans violer l’avis de nos militants, à qui la question de notre appartenance à la Quatrième Internationale a été posée lors de notre conférence de fondation (16-17 juillet 1938), la quasi-unanimité la rejetant. Cette décision ne devrait pas, par ailleurs, prendre le caractère alarmant que vous lui donnez. Nous avons défini la base programmatique et la charte d’un parti socialiste internationaliste révolutionnaire doté d’une constitution démocratique. Tous les militants d’accord avec nos principes et les garanties démocratiques offertes ont leur place dans le P.S.O.P., où ils forgeront l’outil de libération qui manquait en juin 1936. Cela a été compris par les militants socialistes et communistes qui nous rejoignent, et d’ailleurs par la minorité du P.O.I. qui vient de prendre sa place dans nos rangs. Mais nous désirons vous parler franchement , camarade Trotsky, au sujet des méthodes sectaires que nous avons constatées autour de nous, qui ont contribué aux échecs essuyés et qui ont affaibli l’avant-garde. Je songe à ces méthodes qui consistent à violer l’intelligence révolutionnaire des militants (nombreux en France) qui ont l’habitude de se faire eux-mêmes leur opinion et qui se mettent loyalement à la dure école des faits. Je songe à ces méthodes qui consistent à interpréter sans indulgence le moindre tâtonnement dans la recherche de la vérité révolutionnaire. je songe enfin aux méthodes qui tendent, par une colonisation opérée de l’extérieur, à dicter, au mouvement ouvrier des attitudes, des tactiques et des réactions qui ne surgissent pas des profondeurs de son intelligence collective. C’est dans une large mesure pour cette raison que la section française de la Quatrième Internationale s’est montrée absolument incapable, non pas même d’atteindre les masses, mais de former des cadres éprouvés et sérieux.
Si la question de la fusion avec le P.O.I. (majorité) avait été posée, elle aurait impliqué comme condition préalable une discussion sur ces méthodes dont le mouvement syndicale a trop souffert. Dès lors que des différences importantes existent entre le P.O.I. (majorité) et le P.S.O.P., pourquoi proposer la fusion ? Si la proposition est sincère, pensez-vous que nous allons renoncer à notre préférence pour un parti révolutionnaire doté d’une constitution démocratique ? Si la proposition n’est pas sincère, il serait préférable de ne pas insister: face à de puissantes organisations politique de la classe ouvrière et à la répression bourgeoise nous avons d’autres choses à faire que de jouer à ce jeu de dupes.
Croyez-moi, nous préférons de beaucoup (…) l’organisation d’un front uni entre groupes révolutionnaires séparés par des différences idéologiques (par exemple contre le danger de guerre impérialiste) plutôt qu’une fusions organique illusoire portant les germes d’une désintégration rapide. Pour résumer nous attachons une très grande valeur à la collaboration fraternelle de tous les militants révolutionnaires qui tentent de subordonner leurs préférences personnelles aux exigences de l’action collective. Le processus de constitution de l’avant-garde révolutionnaire ne peut pas être le résultat d’une opération mécanique.
Dans la mesure où nous portons notre part de responsabilité devant la classe ouvrière, nous sommes déterminés, camarade Trotsky, à ne pas nous montrer en-deçà des tâches qui nous attendent.
Avec nos remerciement, cher camarade Trotsky, nous vous envoyons nos salutations révolutionnaires.
Le PSOP et le trotskysme, par Marceau Pivert
Publié sur le site de la Bataille Socialiste (http://bataillesocialiste.wordpress.com/)
Un des résultats les plus clairs du premier Congrès National du P.S.O.P. réside dans la position du Parti à l’égard du Trotskysme.
Nous entendons par là un système de conceptions politiques et de méthodes d’organisation dont Léon Trotsky et la IV° Internationale sont les représentants qualifiés. Quant au langage couramment employé par les staliniens pour brouiller les cartes et contrarier la clarification nécessaire des courants politiques qui circulent dans l’avant-garde du prolétariat, nous ne les craignons pas ; il est entendu que tous les non-conformistes, nous-mêmes, le POUM, les socialistes de la tendance Deixonne et peut-être même Maurice Paz ou Faul Faure ! sont des « trotskystes » (naturellement agents de Franco ou de la Gestapo !… Nous ne le craignons pas, mais nous le négligeons parce qu’il n’a aucune valeur pour l’analyse des tendances à laquelle nous devons consacrer quelque attention).
Quelle est donc l’attitude du P.S.O.P. à l’égard des thèses et des méthodes de Léon Trotsky et de la IV° ?
On peut la résumer en quelques mots : si le trotskysme veut bien se dépouiller des prétentions à l’hégémonie ; s’il peut admettre que l’état actuel du mouvement ouvrier international exige un effort de collaboration confiante entre tous les éléments qui ont courageusement rompu avec le social-patriotisme et le national communiste ; s’il abandonne les méthodes fractionnelles, le noyautage commandé de l’extérieur, les moyens de pression et de corruption ou de dénigrement systématique destiné à isoler ou à développer tel ou tel militant qualifié pour la circonstance de « centriste » en vue d’une opération analogue à la préparation d’une « citronnade », alors comme courant politique, le trotskysme peut et doit trouver place au sein du PSOP, considéré comme le foyer de libre recherche et l’instrument d’action collective de l’avant-garde révolutionnaire.
Mais si le trotskysme se révèle incapable de faire cet effort sur lui-même ; s’il se présente au seuil du P.S.O.P. ou au sein de ses fédérations comme le détenteur unique des vérités sacrées, comme le maître qui commande, impose, fustige, corrige et dicte ses volontés ; s’il entre dans l’organisation et travaille de manière à dégoûter, à démoraliser, à faire fuir les militants révolutionnaires qui ne pensent pas comme lui, s’il apparaît comme le cousin germain du stalinisme, alors, oui l’incompatibilité éclate et la preuve est faite que le trotskysme par ses méthodes d’organisation est décidément inassimilable à un parti démocratique où le jeu des tendances exige un minimum de communauté dans les moyens d’action et les principes d’organisation.
Après quelques mois d’expérience commune « centriste » du POI, en sommes-nous donc arrivés à cette conclusion ? non ! Nous n’avons pas le droit de prononcer à ce sujet un jugement définitif. Nous saluons au contraire avec joie les efforts remarquables dont certains militants ex-P.O.I. ont fait preuve pour travailler loyalement en militants du P.S.O.P., acceptant sa charte, sa structure, ses règles, ses décisions de majorité et s’engageant à les appliquer sans réticences. Par contre, certains résultats obtenus dans quelques régions, et surtout les preuves que nous avons d’un travail fractionnel poursuivi avec des éléments extérieurs au Parti nous ont amenés à prendre certaines précautions. Tel est le sens de la motion préalable votée sans discussion par le Congrès National et qui invite les militants qui ont poursuivi leur travail fractionnel après leur adhésion à cesser immédiatement.
Je suis chargé d’expliquer au vu et au su de tous, de nos amis, de nos adversaires, de nos sympathisants d’aujourd’hui, de nos adhérents de demain, le sens de cette décision du Congrès, en liaison avec le rapport politique approuvé par l’immense majorité du Parti.
Nous considérons en effet que le Parti révolutionnaire qui manque à l’heure actuelle au prolétariat de ce pays, de même que l’Internationale révolutionnaire qui devra, elle aussi, se forger à travers les évènements qui se préparent, ne peut être qu’une organisation sensible aux transformations profondes qui s’accomplissent présentement dans le sein même des masses populaires.
A la conception du parti chef, sorte d’état-major centralisé, qui prépare dans le secret des conspirations, l’action révolutionnaire, nous préférons la conception d’un parti largement ouvert sur le mouvement réel des masses et ménageant à l’avant-garde révolutionnaire toutes les possibilités de contact direct avec des couches plus larges du prolétariat ouvrier et paysan.
Notre choix est mûrement réfléchi : il engage l’avenir du Parti, la forme même de la révolution et la méthode de construction du socialisme qui ne sera pas autoritaire mais libertaire.
La première conception a été celle des fondateurs de la 3° Internationale. Elle était peut-être inévitable. Elle a peut-être traduit les exigences les plus impératives d’un moment historique particulièrement décisif : « chassez de vos organisations tous les éléments centristes ! » C’est encore celle de Trotsky qui ne peut admettre dans son organisation que des affiliés acceptant comme un dogme, c’est-à-dire sans discussion, la référence systématique aux principes élaborés dans les quatre premiers Congrès de l’I.C. Notre conception du Parti est toute différente. Et nous ne sommes encouragés à la modifier lorsque nous observons les résultats obtenus par le trotskysme tant en ce qui concerne « le regroupement de l’avant-garde » que le travail de liaison entre celle-ci et le mouvement ouvrier. En face des ruines accumulées par la dégénérescence social-démocrate et par la pourriture opportuniste du stalinisme, une attitude honnête doit commencer, selon nous, par une critique impitoyable de tout ce qui a substitué à l’expression des volontés du prolétariat révolutionnaire une volonté bureaucratique ou opportuniste ou une religion quelconque.
Avec Rosa Luxembourg, nous pensons que « les grands mouvements populaires ne sont pas provoqués par les recettes techniques prises dans la poche du Parti ».
Après elle, nous pensons que « l’heure historique exige chaque fois les formes correspondantes du mouvement populaire, et qu’elle se crée elle-même de nouvelles formes, improvise des méthodes de lutte inconnues auparavant, examine et enrichit sans se soucier des prescriptions du parti, l’arsenal du peuple »
C’est pourquoi, dans cette période de recul formidable du prolétariat, nous considérons notre jeune Parti, né de la résistance à la guerre et à l’union sacrée, comme le lieu de convergence de toutes les forces prolétariennes décidées à remonter le courant.
Aucune de ces forces, aucune des tendances existant au sein du mouvement ouvrier, aujourd’hui, en juin 1939, (ni les ex-socialistes S.F.I.O., ni les ex-communistes, ni les ex-trotskystes) ne peut prétendre renfermer dans son sein toute la lumière et toute l’énergie du prolétariat provisoirement désorienté. Mais toutes doivent apporter quelque-chose de spontané, de sain, de libre à l’élaboration d’une politique commune. Toutes doivent être attentives aux manifestations de reprise du mouvement de classe, se lier à lui, le comprendre, l’éclairer.
Aussi, dans le cadre de notre Charte constitutive, qui garantit à tout militant la libre expression de ses opinions, chacun doit prendre sa part de travail commun, sans sous-estimer ni mépriser l’existence des autres éléments.
Notre tâche est immense, mais nous pouvons l’entreprendre avec confiance. Car nous y associons tous ceux qui viendront à nous en hommes libres et parmi lesquels, tout naturellement, en dehors de tout sectarisme, les meilleures conceptions servies par les meilleurs militants seront librement choisis par les meilleurs combattants.