1944. La Vie Rêvée. Tirage : 1760 exemplaires. (Ce volume comprend : Grand Elan et La Vie rêvée.) Robert Laffont.

 

La Vie rêvée

Sommaire


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Titre

Hélène ou le Règne Végétal
fille sauvage (La)
Haut mal
Cours du jour
Hier et aujourd'hui
voyageuse (La)
Saint Herblon
coquelicot (Le)
Bientôt l'arbre
ruée vers l'or (La)
Jour sans toit
coeur à flot (Le)
Rose de Noël
visiteuse (La)
grand voyage (Le)
Coups et blessures
Maison nomade
sillage blanc (Le)
Loires
neige rouge (La)
Ville ouverte
temps perdu (Le)
Bergère
Au pied du mur
poète (Le)
A travers les branches
Maintenant et à l'heure de notre mort
Origine des saisons
Vive voix
belle étoile (La)
Visage ou paysage
ressemblance (La)
amis de Rochefort (Les)
cinquième saison (La)
Présente
Fortunes
Comme une image
Toujours
compagnons de la première heure (Les)
Avenue privée
parole (La)
Première traversée
Long feu
Raison perdue
Chercher Dieu
Homme mort
Nouvelles fraîches
Fil a fil
Monts et merveilles
A la Chesnaie en novembre 43
flamme verte (La)
A Pierre Reverdy
Retour au pas
charmeuse de serpents (La)
Testament
maison du crève cœur (La)
Quand tout s'en est allé
nouvelle arche (La)
Lormont
Feuillages

 

 

 

 

 

 

 

 

Hélène

 

Je t'atteindrai Hélène

A travers les prairies

A travers les matins de gel et de lumière

Sous la peau des vergers

Dans la cage de pierre

Où ton épaule fait son nid

 

Tu es de tous les jours

L'inquiète la dormante.

Sur mes yeux

Tes deux mains sont des barques errantes

A ce front transparent

On reconnaît l'été

Et lorsqu'il me suffit de savoir ton passé

Les herbes les gibiers les fleuves me répondent

 

Sans t'avoir jamais vue

Je t'appelais déjà

Chaque feuille en tombant

Me rappelait ton pas

La vague qui s'ouvrait

Recréait ton visage

Et tu étais l'auberge

Aux portes des villages.

 


 

 

 

 

La fille sauvage

 

Solitude épargnée au nom du végétal

Fronts des béliers plus lourds que les pierres tombales

Essaim blond des genêts ciel à cors et à cris

Octobre passager têtu des boiseries

Ah qui dira jamais les roseraies natales

 

Elle est là dans le trèfle azuré de la crèche

Dormante des chemins au fond des pailles fraîches

Belle à fermer les yeux, jalouse du revoir

Et quand les portes bleues dérivent dans le soir

Elle essuie sur sa joue une larme qui sèche

 

Où sont-ils les jongleurs impériaux des clairières

Les biches revenues des noces printanières

Bois tendres à graver un amour maladroit

Et ces mufles de feu qui laissent dans les doigts

La chaleur et le don des caresses premières

 

Aux torses des sapins tu confies tes étreintes

Une feuille glacée trouble ta face peinte

O reine menacée en secret par midi

Tandis que dans l'air neuf où tu t'es endormie

On entend les grelots de la rosée qui tintent

 

Eveille-toi beau col que lisse la rivière

Visage mesuré à la toise des pierres

Une flèche brisée te montre le chemin

Et tu guides dans l'ombre épaisse de tes mains

Ce coeur ensanglanté par les griffes du lierre

 

Ah c'est ainsi qu'il faut refaire les naissances

Reprendre le ruisseau à ses pâles sentences

Aux neiges du matin baptiser le moineau

Et dans l'or et le plomb jetés sur le plateau

Reconnaître le jeu délicat des balances

 

Il n'est que la raison secrète d'espérer

Saute à travers le cercle en flammes du passé

Montre-nous que tu sais retrouver sur la corde

Le trouble et la ferveur égale des concordes

Danseuse prise au bord des toiles constellées

 

Tu es jeune et tu vas soulevant dans ta marche

Des barques de lumière à la cime de l'arche

Apaisant la colombe inquiète du rameau

Et le soleil qui brise un instant sous ta peau

Ranime les lépreux qui dorment sur les marches

 

Tu ne peux plus rester tu ne peux plus partir

O fille tes vingt ans sont un long repentir.

 


 

 

 

 

Cours du jour

 

Sur la main

Sur la joue

Sur la pierre

Mon Dieu c'est le lierre

 

Un oiseau dans le cadre

Mort

Un bras refermé sur le port

Celui qui vient parle trop fort

 

Que dis-tu

Que veux-tu

Qu'importe

Ton âme file sous la porte

 

Attends encore

Ne livre pas

Le jour qui tremble sous tes pas

 

Le monde lève sa paupière

Une étincelle

La dernière

 


 

 

 

 

Haut mal

 

Belles fleurs du pavé que broutent les chevaux

Tout le ciel aujourd'hui tient au portemanteau

 

C'est la chambre de quart où tintent les cordages

Et la poulie du sang qui tire le visage

 

Les traits défaits le nom perdu devant le mur

L'ombre de la douleur plus grande que nature

 

Encore un vendredi sans Robinson sans île

Et les deux mains croisées sur un livre Vigile

 

Les dés jetés plus loin le dernier coup du sort

Double six ô le rire insouciant de la mort.

 


 

 

 

 

La voyageuse

 

Visage au fond des gares

O Véronique de tous les quais de départ

Tes belles mains lâchées comme une étoffe blanche

C'est la fumée du train qui s'enroule à tes hanches

La plaque de ton cœur où tournent les convois

Lorsque glisse l'anneau des tunnels à ton doigt

 

Tu marches sourdement dans la nuit des ballasts

Sous ton pied les boulons chantent comme les astres

Les rails font à la terre une échelle d'argent

 

Il reste sur tes joues la rosée des lanternes

Le bleu des horizons migrateurs te concernent

Les oiseaux qui reviennent des pays perdus

Et les noires coulées du vent dans les luzernes

 

Pour mieux gagner du temps tu gagnes du terrain

Tu fais craquer le toit du ciel d'un coup de reins

Tu renverses sur nous le remblai des villages

La flamme d'un sapin t'ouvre le paysage

 

Ton sang n'en finit plus d'agiter ses roseaux

Rien ne te porte plus, tu marches sur les eaux

Tu t'engouffres dans l'air au battement des ailes

Entre les continents tu sers de passerelle

 

Et je t'attends toujours derrière la maison.

 


 

 

 

 

Hier et aujourd'hui

 

Si loin du port

Reparti

Revenu

Le coup de poing du sort

Le ciel après la vague

Et l'index assuré vers le soleil

La bague

Le coeur brûlé

Le casino

Le sang qui compte ses anneaux

La parole étrangère

Tout l'océan au fond du verre

Maintenant le royaume aérien

Le grenier

Les vrilles de la rampe

Et le portrait signé

Vingt ans plutôt qu'une heure

Le mannequin de la douleur.

 


 

 

 

 

Le coquelicot

 

Toi qui fus le chant de la plaine

La fraîche tentation des blés

L'amande douce des cocardes

Au loin la crête des clochers

O fleur des temps à venir

Fleur du crime

Fleur de sang sur la lèvre épaisse du sillon

Fleur jetée à travers tant et tant de poitrines

O double végétal des coqs

Cri de la meule

Balafre de clarté au front du petit jour

Fleur ouverte en plein vent

Fenêtre de verdure

Ame du fusillé tournée contre le mur

Soeur Anne des plus hautes tours

Les hommes t'ont nourrie qui dorment sous les pierres

Et de leur longue nuit tu rougis tes paupières

Les morsures de l'eau t'apprennent à souffrir

Tu offres tes cinq plaies pour notre repentir

O fleur je t'ai gardée mes mains et mon visage

Qu'ils servent à jamais pour un meilleur usage

Et que tout mon passé rejaillisse sur toi

Fleur grave fleur des champs béante à son corsage.

 


 

 

 

 

Saint Herblon

 

Je ne sais rien de ce village

De ces toits vagabonds retournés page à page

De l'homme qui s'abrite un instant sous mon front

Les vignes tombent du plafond

Et cette feuille est mon visage

 

O chambre noire sur le nord

Vaisseau fantôme où je m'endors

Vaincu sur le livre de bord

Je t'ai peuplée de mes démences

Et déjà ma saison s'avance

 

Ombre de moi par les chemins

Une larme perce ma main

Tu n'atteindras jamais demain

La pluie délabre ma poitrine

Mon coeur sauvez-moi des famines

 


 

 

 

 

Bientôt l'arbre

 

Verdoyante fumée

Demain je serai l'arbre

Et pour les oiseaux froids

La cage fortunée

 

Les grandes migrations

Sont parties de ma bouche

De mes yeux pleins d'épis

Les éclairs de santé

 

Je te suis dans l'air bleu

Flèche douce à la paume

Bel arbre que j'éveille

Au bord de mes genoux

Tronc si blanc qu'il n'est plus

Qu'une neige attentive

 

Tu courbes vers le toit

Tes brandons de lumière

Ta sève jour et nuit

Chante dans les gouttières

 

On te fête déjà

Dans les rues de villages

Ainsi qu'une saison

Inconnue de la terre

 

Et toi dans les sillons

Sans borne où les perdrix

Gaspillent pour la joie

Des poignées de sel gris

Tu marches répondant

De la douceur des pierres.

 


 

 

 

 

La ruée vers l'or

 

Arbre ma dimension humaine sur la terre

O gaspilleur de frai lumineux de mystère

De l'ombre aux deux versants, aube de grands chemins

Arbre qui s'attendrit à me baiser la main

Et colore mes yeux de ses graves pollens

S'il faut descendre encore et lancer dans la plaine

Le sillon voyageur où s'égarent les pas

Je n'aurai plus le temps de refermer les bras

 

Mais je veux puisque l'air secoue ses ailes blanches

Gravir dans le passé mes années et tes branches

Et que sur tes sommets où sifflent les couteaux

Flottent les pavillons ajourés de ma peau

Oublieux du fracas sanglant des avalanches

 

Il suffit d'un rayon qui soit tombé du nid

D'un lâcher de pigeons sur la gorge des villes

Et du gouffre à mes pieds pour que je sois tranquille

Sablier de douleur qui n'en as pas fini

Le soleil m'appartient roulé sur mon épaule

Parfois vers le midi de longs couchants me frôlent

Et je ferme les yeux sans me demander l'heure

Comme si les volets retombaient sur mon cœur

 

*

Vers toi vers les torrents où tintent les pépites

Dans les pacages bleus où les jours vont plus vite

Sur les bords enflammés de la glaise et du vent

Je m'approche et le ciel m'aura mis au courant

Ah ce n'est rien pour vous c'est toute la lumière

Les ablettes d'argent glissant sous les paupières

La fumée qui se mêle aux écharpes du front

Et 1e ruissellement des poulpes au plafond

 

La mer prise à son jeu éclabousse les marbres

Il y a les marins revenus dans les arbres

Le navire accosté au toit de la maison

Les pêches du matin derrière la cloison

Tous les retours bannis de mon âme et des cimes

 

Si tu pouvais savoir la douceur de mes crimes

Comme il fait bon marcher dans le feu sans mémoire

Tu serais le premier à m'accueillir ce soir

Je monte et j'ai le cœur plus haut que ces trapèzes

Plus haut que Dieu lui-même à genoux sur les braises

Plus haut que les gardiens plus haut que la raison

Araignée dans les fils mouillés de l'horizon

 

Nul n'a connu ma voix si ce n'est les orages

J'ai plus de souffle en moi que les buffles sauvages

Plus d'âpre liberté que les oiseaux du port

Et ce n'est que ton sang qui me ramène au bord.

 

*

Vole donc et soulève au fond de toi les portes

Homme que le jusant crucifie et qu'emporte

Au loin sur les tréteaux impassibles du temps

La vague ensoleillée qui berce ton penchant

 

Tu traverses la nuit polisseur de cordages

Les sémaphores blancs ont remué ton visage

On attend ta venue à tous les carrefours

Tu parles et tu meurs mais ce n'est plus ton tour

 

Il te reste à trouver ta première origine

Les premiers ossements croisés sur ta poitrine

Le pli suivant lequel se referment tes doigts

Et le chancellement douloureux de la croix

 

Les bergers sont vaincus qui menaient ton enfance

On a changé ton nom le jour de ta naissance

Ta mémoire a perdu la forme de ton corps

Peut-être ton regard suffit au passeport

 

Ne crains pas de briser la glace des frontières

De jeter des flocons de sel dans la lumière

Cheval dément que flatte un désir de galop

Risque le monde entier au péril de tes sauts

 

Force les étendues sans havre sans mirage

Inscris ton pas vogueur sur tous les équipages

Ensemence de feu les poitrines sans tain

Que ton appel du soir soit proche du matin

 

Laisse tomber sur nous tes poings comme des perles.

 


 

 

 

 

Jour sans toit

 

L'air traverse le front

Les barreaux de la cage

Il est tard

L'horizon n'en sait pas davantage

Un astre tend ses bras pour mieux nous supplier

 

Depuis que tu es là

On n'entend plus crier

Tout glisse sur le dos des arbres

Des fontaines

Le sang suit le cadran

Afin que tu comprennes

 

Je pense à te donner

La parole et la main

Une heure à moitié vide

Un verre à moitié plein

 

Dès maintenant

Tu peux refermer ton épaule.

 


 

 

 

 

Le coeur à flot

 

Retirez-moi des mains cette pâle grenade

O mon Dieu laissez-moi parfaire mon dédain

Vous qui m'avez bercé sur les herses natales

Accordez-moi le fer qui blanchit votre sein

 

Je souffre a ne savoir quelles plaies sont les miennes

Quelle ombre fait trembler les vitres dans le soir

Sur mon front s'agrandit une blessure ancienne

Et pour bien l'étancher j'y mettrais mon mouchoir

 

Que n'ai-je l'épaisseur azurée des volières

O mes genoux polis au feu de la prière

Dans la nuit qui s'éveille aux carillons du froid

Est-ce le sémaphore oblique de la croix

 

Jamais vous ne verrez s'abaisser mes paupières

S'éparpiller le flot qui me vêt avec soin

Et si jusqu'à mes flancs rebondissent les pierres

C'est pour un fier autel où vous ne brûlez point

 

Allez je n'attends rien qui ne soit la souffrance

Mon visage a perdu les hâles de l'enfance

Le ciel est retombé lourdement sur mon coeur

Et la mort est déjà une grande douceur

 


 

 

 

 

Rose de Noël

 

Nuit d'amour à passer

Nuit captive des cloches

Ah vingt ans de bonheur

Harassés dans les poches

Les guêpes de la neige

Et du calendrier

Tandis que de ses yeux

S'éprend le noisetier

 

Il trouve des raisons de renverser la table

Et tire des dossiers d'azur

De son cartable

Seul

Errant dans sa chair aux pieuses bergeries

Le chiffre de son cœur n'aura jamais souri

 

Mais le matin reprend ses perles

Ses conquêtes

Un doux filet de voix se partage la tête

Une lampe s'écroule enfermant les jardins

Et ce nouvel ami tranquillise ses mains

 


 

 

 

 

La visiteuse

 

Le soleil maintenant Comme tout va changer

On va passer les coqs au fil clair du clocher

Les mains vont s'habituer à devenir abeilles

Et le corps atteindra la courbe de la treille

 

Tu es belle déjà résignée par amour

La nuit que tu revins ce fut comme en plein jour

Les oiseaux s'appelaient tout en haut de l'échelle

Et les astres tombaient dans un clapotis d'ailes

 

En partant tu m'ouvris la porte et la forêt

D'abord je n'ai pas su très bien ce que voulaient

Tous ces passants légers ces renards et ces biches

Ces arbres dont l'écorce était gonflée de lait

 

Les fourrés descendaient le long de mon visage

Mes yeux bleus devenaient des prunelles sauvages

Les bêtes fatiguées s'endormaient sous mon front

D'un geste tu soufflais le toit du paysage.

 

Et tu venais vers moi derrière la saison

Tu pétrissais le feu la neige les gazons

Les fleuves te suivaient comme des chiens fidèles

Pour apaiser leur faim au pied de ta maison

 

Alors j'ai tout compris ta bonté la première

L'étincelle de sang qui fait battre les pierres

La peur et le secret panique des vergers

Quand tu fermes sur toi les vannes de lumière.

 


 

 

 

 

Coups et blessures

 

Toute une vie perdue

Un visage à refaire La main

Le coeur

Et l'atmosphère

La voile noire des saisons

Le sang derrière l'horizon

 

Pas le temps d'accorder une heure à ce naufrage

Pas le temps

Et pas le courage

Le soleil c'est la mise en page

 

J'ai tous les hommes contre moi

Les fûts du ciel

L'ongle du toit

Pour le néant j'ai la rivière Le front

La tombe

Et la paupière.

 


 

 

 

 

Le grand voyage

 

Toi qui hantes ma vie comme un enfant perdu

Et mesures l'élan à la douceur du geste

Sauras-tu reconnaître au fond de ce qui reste

Le rougeoiement d'un cœur que tu n'attendais plus

 

Visage lumineux ô travail de patience

Neiges amoncelées dans le pli des consciences

Bras voltigeant plus haut que l'éclair des ramiers

A l'auberge de nuit je frappe le premier

 

Ouvrez-moi regardez comment je viens au monde

La truelle du vent lisse ma face ronde

Ma poitrine a des baies immenses pour tout voir

Et vous serrez les poings pour mieux me recevoir

 

Mais j'ai déjà courbé tant d'ombres sur mes routes

Remis tant de beautés pour apaiser mes doutes

Que vous ne pouvez plus fantômes m'attendrir

Il faut bien me laisser le temps de repartir

 

La saison n'atteint pas les roses du village

Le pas lourd des chevaux piétine mon image

Le sang renverse en moi son pâle sablier

Et mes amis n'ont plus raison de m'épargner

 

*

Rendez-vous de jamais dans les cités sans bord

Tradition de minuit rendez-vous de la mort

Belle tête endormie qui déroules ta vague

Ecume du matin au bord des terrains vagues

 

J'ai parcouru cent fois le réseau du malheur

Depuis longtemps la pluie sur mon front sonne l'heure

Et si je lève au ciel des mains épouvantables

C'est pour que deux anneaux retombent sur ma table

 

Viens me prendre et m'aider à refermer la porte

J'ai peur de tous les jours nouveaux et qu'on m'emporte

Au plus sombre de moi. J'avais tant de plaisir

A penser que j'allais être seul à mourir.

 


 

 

 

 

Maison nomade

 

Liberté de choisir

La main

Le partenaire

L'horloge qui répond par un pas de travers

Toutes les possessions stériles des mémoires

Le visage de craie au bord du tableau noir

Les mêmes fronts en pente

 

Mais le rideau levé

Le postillon que hante

Une aile qui suffit au toit de la maison

Conviens de ta grandeur homme des horizons

Toi qui ne peux tracer qu'une ligne à la page

Et brûles tes poumons au sang des équipages

 

Fidèle à tes chevaux

Aux gammes des ressorts

Tu chantes

Tu n'as pas à partager ton sort

Ta voix dans la verdure

Ta poitrine qui tient aux roues de la voiture

Et le paraphe bleu qui signe l'aventure.

 


 

 

 

 

Le sillage blanc

 

Si j'apprends à parler plus haut que les orages

Bleu comme sont les toits ruisselants d'alevins

Si la chaleur du sang peut recuire un visage

Et gonfler dans les yeux cet étrange levain

C'est pour mieux retrouver dans le ciel mon sillage

 

Je ne puis plus rester si longtemps près du bord

Cependant que mon front qu'un jet de pierre accable

En craquant fait trembler les poutres de mon corps

Cependant que la main qui planait sur la table

Comme un oiseau perdu referme le décor

 

Il me faut des dangers imminents des blessures

Que je sente ma chair s'épanouir en haillons

Que dans l'air où se vautre une aimable verdure

J'épaississe ma voix de mâles carillons

Qui ne sauront jamais la douceur des fêlures

 

Entendez-moi gémir sur les débarcadères

Dans les noires banlieues du sommeil et du vent

Au bord des sables fins où se ponce la terre

Courbé vers la poitrine informe des vivants

Dans le drapé d'une aile et d'un rayon solaire

 

Enfin je m'appartiens rouleur des équipages

Offert dans le hamac flottant des horizons

Aux flagellations trop brèves des cordages

Et je porte en mon cœur le goût des salaisons

Impossibles à dire et les printemps sauvages.

 


 

 

 

 

Loires

 

Pampres qui soulevez des agrès de lumière

Beaux visages cerviers

Sarments aux tendres joints

O vignes en vitraux

Etoles de raisins

 

Le grain le plus doré brille dans ta prunelle

A midi

Tu rejoins l'ami sous les tonnelles

Tout passe dans ton verre

Déjà

Et le soleil tournerait de travers

 

Mais la terre est en bas

La Loire dans les rouches

Aiguise sur ses grès des matinées farouches

Un deuil tissé de bleu apaise les couleurs

Et tu cernes le front

Artésienne chaleur

 


 

 

 

 

La neige rouge

 

Noël précoce encor le sang

Le groseillier sombre des villes

Et pour ceux qui dorment tranquilles

La fleur qui s'ouvre dans le flanc

 

Les platras du front sous les pierres

Dans la limaille du chemin

Le corps qui marche sur les mains

Ce pansement c'est ta paupière

 

Roulotte noire et cheval mort

Les fontaines aux flots de lave

Et vers le soir les plaies qu'on lave

Comme les marches à l'aurore

 

Le ciel une immense fenêtre

Le cimetière des croisées

Toutes ces têtes bien rasées

Dans le panier vont disparaître

 

Et tu seras le seul couvert

Par les oiseaux de ton visage

A ne pas perdre tout courage

Tant tu auras déjà souffert.

 


 

 

 

 

Ville ouverte

 

Rien que des rues fleuries où s'engouffre la mer

Chevaux évaporés

Encombrement de l'air

Ville narguant le saut périlleux des étoiles

Fenêtres dépassant le soleil

A la voile

Bel arbre descendu dans le ciel comme un puits

Par pitié

Dans mes yeux

Quelques gouttes de pluie

 

Brûlantes pour mes mains sont les pierres qui rôdent

Le hoquet des fusils est un cri de douleur

Et mon sang passe en moi par toutes les couleurs

 

Ecoutez sous 1e toit où grésillent les balles

Sans honte respirer lentement le dormeur.

 


 

 

 

 

Le temps perdu

 

Si tu traverses les forêts de mon visage

Et les ronds-points de ma poitrine après minuit

Si tu es pris d'un grand courage

Et t'égares dans mes pays

Au bercement des oies sauvages

N'espère plus trouver ce qui t'avait conquis

 

Tous ceux que j'abritais tendrement sous mes lèvres

Et qui me répondaient lorsque j'avais trop faim

Les boisseaux de soleil qui coulaient de mes mains

Les vents alcoolisés qui me donnaient la fièvre

Tous les arbres venus s'appuyer à mon cou

Et les rouges cerviers du soir dans mes genoux

L'odeur de mes vingt ans emportée par les lièvres

Tout cela n'était rien puisque je vis encor

 

Il fallait me jeter sur le plancher du bord

Dépouillé de mes biens terrestres de mes armes

Peut-être aurais-je pu répondre de mes larmes

 

J'ai trop couru le monde à la suite des mers

Et lorsque je reviens m'accouder à la table

C'est pour trouver la même vague au fond du verre.

 


 

 

 

 

Au pied du mur

 

Tête vide

O grelot qui tinte dans la chambre

Balle jetée au mur

Grêle rouge des nuits

Les frelons de mon sang se mêlent à la pluie

 

J'écris pour me sauver

Pour saluer ce qui reste

Un bourgeon de soleil oublié sur ma veste

Une main reconnue qui se fond dans ma main

Et les géographies tremblantes du chemin

 

Adieu vous qui trouez le sommeil aux frontières

Familiers de la nuit dévorés par les pierres

Destins faits de rameaux en croix et de gazons

Bergers qui n'avez plus de braise à la maison

 

Je vous vois

Vous portez à vos lèvres la neige

Comme si le vent seul avait pu les ternir

Déjà je suis trop loin pour manquer d'avenir

 


 

 

 

 

Bergère

 

Je m'approche de toi

Comme d'un haut pays

Je t'accorde le droit

De parler à ma place

 

O corps cernés de blés

Moussu comme un rayon

Les fleuves jailliront

De tes mains vénéneuses

 

Tu portes les forêts

La rampe des labours

Jour et nuit les blaireaux

Te flairent te parcourent

 

Le pied du voyageur

Glisse sur ton visage

Et les voiliers du soir

Déchirent ton corsage

 

On ne voit plus ton front

Couvert par les brouillards

Ta poitrine est déjà

Comme un quai de départ

 

Tu visites les mers

Gonflées de tuiles rouges

Le monde tout entier

Bascule si tu bouges

 

Bergère tes sommets

Sont la cime des mâts

Tu soulèves le toit

Du ciel à chaque pas

 

Les oiseaux sont pendus

Aux branches de tes lèvres

Et l'air subitement

Devient frais quand tu rêves

 

Je te parle à travers

La trame des saisons

Je soupèse ton coeur

Aussi clos qu'un poison

 

Mais tu ne comprends pas

Dans la nuit où tu veilles

Les mots d'amour seront

Toujours des bruits d'abeilles.

 


 

 

 

 

Le poète

 

Celui qui s'en allait

Celui qu'on retrouvait tous les soirs sur les quais

Dans les désordres du langage

Celui qui n'avait plus que sa joie pour bagage

Et dont l'astre brûlait les registres du port

Celui qui s'engouffrait dans les voiles du sort

 

Tournant vers le matin ses paumes lumineuses

Celui qui se gardait une fin bienheureuse

En répondant au nom de tous les condamnés

Il est là maintenant

Son coeur est désarmé

Tandis que le soleil encombre les vitrines

Il sort de longs couteaux rouillés de sa poitrine

 

Penché sur l'horizon réduit du bastingage

Il regarde

Il n'a plus les ferveurs de son âge

Il ne renverse plus le monde en se levant

Tout est loin dans la rogue épaisse du levant

 

Pour retrouver l'éclat des santés

La jeunesse

Et le grand large avec ses marées de tendresse

La bonne odeur du jour

Il tend les bras

Il est certain de son amour.

 


 

 

 

 

A travers les branches

 

Quand je suis là

Quand je ne pense plus à refermer les bras

Quand l'âme trop longtemps polit sa feuille blanche

Quand je sens des oiseaux s'éveiller de mes hanches

Tu peux tout effacer

Si tu laisses les branches

 

Mais je vous porte en moi libres cités du feu

Trèfles couleur de sang

Vertus des gerbes chaudes

Chanvres liés à la nuque épaisse du dormeur

 

O végétal

O main fragile sur le coeur

Cri du coquelicot qui tourne dans l'étable

Espace traversé de strideurs

O ma table

Boiteuse dont le pied est un môle berceur

Le vent rumine au bord des marbres et des fleurs.

 


 

 

 

 

Origine des saisons

 

Vous qui êtes à des kilomètres sous terre

Dans les fjords les plus reculés de la lumière

Supportant les panneaux d'un monde à la dérive

La verrière des nuits glisse sur vos solives

Les sources les vergers s'enroulent à vos bras

Et lorsqu'un coup plus sourd défonce vos poitrines

Quand votre sang noirci colore les résines

Vous refermez le poing sur un pays qui va

Les feuilles du printemps vous touchent à l'épaule

D'étranges animaux vous emportent vous frôlent

Les foins se font sur vos visages attendris

Vous réchauffent dans le saint suaire des prairies

Maintenant c'est l'été les grands bains de colère

Le ciel volant plus bas écrasant les paupières

Vos yeux bleus reconnus à la cime des blés

Sur vos genoux toutes les gerbes assemblées

Déjà de lourds raisins pendent à vos oreilles

Votre corps est pour nous une admirable treille

Et quand la soif saisit quelqu'un des vendangeurs

Il reste à détacher la grappe de vos cœurs

L'hiver on vous entend à l'orée des villages

Devisant des lointains avec les oies sauvages

Gonflant le germe blond de souffles ténébreux

Les neiges du matin vous rapprochent de Dieu

Demain vous grimperez à nouveau dans les branches

Les fruits auront la courbe épaisse de vos hanches

Les tables rouleront des nombres infinis

Car l'or est dans vos mains désormais réunies.

 


 

 

 

 

Maintenant et à l'heure de notre mort

 

Si facile d'aimer Le vent

La porte ouverte

Et la lampe allumée

La même voix

La même plainte

Et les deux mains tendues où dépassent les pointes

 

Le bleu

La haute neige attardée sur ton front

L'églantier de tes yeux

Et tes yeux au plafond

Tout ce qui te ressemble

 

Il nous reste un pays sans borne

A mesurer

Des écarts de tendresse

Un pas lourd dans l'allée

Sur le bord de la nuit

La première fumée.

 


 

 

 

 

La belle étoile

 

Sur le clavier du ciel où chantent les étoiles

Lancé sur le trapèze impossible des voiles

Dans la sciure des blés habitée des perdrix

Gagnant le toit la tonte épaisse de la nuit

Tout le jour en danger mais retrouvant des ailes

Pour dépasser le monde obscur la citadelle

Est-ce mon ombre ou la lumière sous la pluie

 

Je ne sais qui je suis prisonnier de ces routes

Avec mon sang qui coule à la mer goutte à goutte

Avec ces larges plaies aussitôt pardonnées

Et mon cœur de plein vent ma grange abandonnée

 

Je vais. J'ai rendez-vous sur les plateaux sans âge

Avec de vieux béliers frappés à mon image

Enfin je vais bondir sous les cornes du feu

 

Rien ne ressemble moins à tes yeux que mes yeux

Homme étrange occupé de besognes terrestres

Qui couvres de limons la blancheur du charnier

 

Jamais tu n'oseras, usant tes propres cendres

Jeter sur le tableau les mots qui font comprendre

Que tout l'amour du monde est à imaginer.

 


 

 

 

 

Vive voix

 

Pleine terre à craquer

Maison de serre chaude

O visage à deux mains

Nacelle de l'oubli

Les copeaux du couchant volent sous l'établi

 

Tu veilles

Ton enfant se lisse dans ses ailes

Lentement tu descends les marches

Les prunelles

Une rose épargnée envahit la fenêtre

 

Déjà

Et dans le sang

Ta femme va paraître

 

Alors le vent soulève une larme

Un rideau

Le plafond s'enhardit jusqu'au bord du tréteau

Et la scène écartée du ciel et de la rampe

Appareille à jamais vers la plus haute lampe.

 

 


 

 

 

 

 

Visage ou paysage

 

Licorne qui dansais à la flamme des cages

Avec les horizons tissés à ton usage

Avec tous les sentiers ruisselant sur ton cou

Belle étoffe de sang qui moules mon visage

Est-ce la pluie d'hiver qui perce mes genoux

 

Les norois sont groupés au bord de ma poitrine

Si je lève la main le soleil se dessine

Une source jaillit quand je marque le pas

Et dans mes yeux couverts d'une étrange résine

Passent les voyageurs que tu ne connais pas

 

J'ai ma force dans l'eau qui tremble sous la pierre

Dans le vent qui secoue des sierras de lumière

Dans la glaise dorée où grince l'aviron

Et lorsque les cargos glissent sous mes paupières

L'écume ensanglantée m'éclabousse le front

 

Je suis l'homme des bords étincelants du large

Loin des terres mon nom s'inscrit en pleine marge

Mes bras depuis longtemps font partie du décor

Et je gravis le ciel aussi bien que les barges

De blé lorsque la nuit rejaillit sur l'aurore.

 


 

 

 

 

Les amis de Rochefort

Le ciel et le grand air

La flamme du clocher dégagée du tonnerre

La place de l'église

Les pelouses du toit jonchées de pierres grises

Une table encombrée de feuillage et de mains

Pour chaque ami un lendemain

 

Ce soir encore ensemble

Dans mes yeux le rideau de ton regard qui tremble

 

Je voudrais tant rester cet hiver parmi vous

Le visage dans la mousse de vos genoux

 

Le vent n'efface pas le bruit de vos paroles

Je prends place dans vos poitrines sur ce môle

Où s'attarde déjà la nef de l'horizon

C'est votre sang qui donne une teinte aux saisons

 

Vogueurs de grands chemins

Négriers des villages

Les gibiers du soleil tiennent dans votre cage

Vous êtes à l'avant du monde les passeurs

Les rapides du soir empruntent votre cœur

 

Je vous regarde aller

Vous marchez bien quand même

C'est à travers vos pas la lumière que j'aime

Au-dessus des étangs le son de votre voix

Et je rejoins la nuit

Très tard

A contre-voie.

 


 

 

 

 

La ressemblance

 

Vous qui frappez les yeux battants des cloches d'ombre

Visages renversés par tous ces oiseaux bleus

Verrai-je clair en moi si rien ne me ressemble

 

Déjà tu t'appuyais au balcon de mon cœur

Tu t'installes, tu es dans ma chair à toute heure

Il suffit que je sois pour que tu me répondes

 

Je t'écoute glisser lentement de mes doigts

Si je lève la tête il faut que je te voie

Etalée sur la nuit comme une dame blanche.

 


 

 

 

 

Présente

 

Loin

Sous les bâches du ciel

Avec le dernier train

Les villages sans téléphone

Et pour celui qui se souvient

Les fumées courtes de l'automne

 

Je suis là

Où tu sais

Dans les combes dorées

Et dans l'anonymat terrible des gibiers

Confondu

Ne sachant si la main est un signe

Ou si l'homme est pareil aux chiens aventuriers

 

C'est encor le moment de t'appeler

D'attendre

Un visage parmi les feuillages de cendre

Clairière, tu ne peux toujours te refuser

 

Je te soulève en moi

Je t'enveloppe d'arbres

Je te donne le nom de pays étrangers

Tu passes dans mes doigts

Tu mesures ma bouche

Tu m'appartiens déjà

Comme un nouvel été.

 


 

 

 

 

La cinquième saison

 

S'il faut nommer le ciel je commence par toi

Je reconnais tes mains à la forme du toit

 

L'été je dors dans la grange de tes épaules

Les hirondelles de ta poitrine me frôlent

 

Dressées contre ma joue les tiges de ton sang

Le rideau de ta chevelure qui descend

 

Je te cache pour moi dans la ruche des flammes

Reine du feu parmi les frelons noirs des âmes

 

Par l'automne épargnés tes yeux sont toujours verts

Les fleuves continuent de passer au travers

 

Ton souffle achève au loin le clapotis des plaines

On ne sait plus si c'est le soir ou ton haleine

 

En hiver tu secoues la neige de ton front

Tu es la tache lumineuse du plafond

 

Et je ferme au-delà des mers le paysage

Avec les hautes falaises de ton visage

 

L'étrave du printemps glisse entre tes genoux

Lentement le soleil s'est approché de nous

 

Tu traverses la nuit plus douce que la lampe

Tes doigts frêles battant les vitres de ma tempe

 

Je partage avec toi la cinquième saison

La fleur la branche et l'aile au bord de la maison

 

Les grands espaces bleus qui cernent ma jeunesse

Sur le mur le dernier reflet d'une caresse.

 


 

 

 

 

Fortunes

 

Tant de fois sur le point de refermer la porte

Désireux de partir et pourtant d'être là

Remettant son destin comme on fait d'un voyage

Visiteur assidu des sobres paysages

Revenu sans passé d'un monde sans éclat

Inutile d'aimer le vent qui nous sépare

Ce train de nuit lancé derrière son mouchoir

Et la fumée du sang sous les lampes du soir

Asseyons-nous ensemble

Partageons ce morceau de pain qui nous rassemble

Tu sauras tout prévoir

Le gel qui peut creuser le front comme les pierres

Les grands voiliers du feu menaçante lumière

Et mes rêves seront assez vastes pour deux

N'attends plus

Rejoins-moi dans cette chambre basse

Sourire si confiant qu'il ignore la face

Homme sans tentations montre-moi le chemin

 


 

 

 

 

Comme une image

 

Le soleil les roseaux

La pèlerine bleue du cher douanier Rousseau

Le monde

A peine une île

Tout cet amour donné par les mains inhabiles

La fleur peinte à l'envers

Et l'envers du rideau

Et plus haut que les yeux le cil bleu d'un oiseau

 

Beau matin de novembre

Avec toi

Dans le cadre en bois neuf de ta chambre

Les toits glissent vers nous

L'église de Lormont tremble entre nos genoux

Plein d'enfants sous la table

La fraîcheur et la joie de la première étable

 

Il n'y a pas un mot de vrai dans tout le vent

Pas un mot

Mais les yeux du nouvel arrivant

Je te vois à travers un ciel inimitable

 


 

 

 

 

Toujours

 

Tu peux bien m'enfermer

Dans la neige et les fleurs

Me défendre d'aimer

Une saison nouvelle

Je regarde le ciel

Et je te porte en moi

 

Tu sauves les vergers

Ton rire mieux qu'une aile

Apprivoise en passant

Une étoile égarée

Les lièvres les oiseaux

Boivent dans tes prunelles

 

Tu es toute la vie

La glaise et le feuillage

Si j'écarte le vent

Je trouve ton visage

Dormant comme un ruisseau

Plein de frai lumineux

 

Ta main va se poser

Sur ma plus haute branche

Tu plantes des bleuets

Tout autour de mes yeux

L'océan accompagne

Au loin ta robe blanche

 


 

 

 

 

Avenue privée

 

Hautaines rues touchées par la grâce des ronces

Il est une avenue déserte où je m'enfonce

 

Enneigée de sommets brunisseuse des toits

Une ombre me confère un profil maladroit

 

Mon Dieu je n'ai pas su conserver les distances

Entre le ciel et moi l'averse recommence

 

Une lame de sang me fracasse les doigts

Ce pavé est l'étang limpide où je me noie

 

A la fenêtre rit une rose équivoque

O fumée de la vie qui renaît de tes loques

 

Echeveau de clarté au faîte des chemins

Je m'étonne d'avoir une flamme à la main.

 


 

 

 

 

Les compagnons de la première heure

 

Lucien Becker Jean Rousselot Michel Manoll

Amis venus à la parole

Comme un bruit de moteur à l'orée du matin

Amis lequel de vous s'est réservé mes mains

 

A l'auberge du Gué du Loir

Tous quatre

On a tiré les lourds vantaux du soir

 

Lucien rapporte de Moselle

Ses forêts

Et l'alcool ardent de ses prunelles

 

De Poitiers à Vendôme

C'est Jean qui se promène au bras de son fantôme

Impossible à saisir comme les oiseaux froids

 

A Saint-Calais au bord du toit

Je reconnais Michel

En train de découper dans le ciel bleu des ailes

 

Pour le gué du sommeil

Et la Loire à passer

Bonjour au Gué du Loir

Les amis sont passés.

 


 

 

 

 

 

La parole

 

Voleuse

O perle noire enrichie d'étincelles

Ecuyère des mots

Trapéziste du sang

Lancée sur le circuit vertigineux du temps

Convoi de mon amour

Echarpe lumineuse

Je te perds

Je te prends

Je te mets en veilleuse

 

A nous deux

Dans la nuit sans hâte des cachots

Sur les marches du ciel

Sur les premiers tréteaux

Dans l'ascenseur doré de la lampe

Tressant la flamme avec les barreaux de la cage

 

Tu passes sur mes dents comme un givre léger

Tu n'as pas le dédain des souffles étrangers

Tu n'es que l'horizon des âmes

L'aventure

Le vent qui va plus loin achève ton murmure

L'arbre mêle ses bonds à ton élan sans bord

Et l'oiseau qui revient te reconduit au port.

 


 

 

 

 

Première traversée

 

Le col pris au lasso sous les bonds du soleil

Buffles déshabitués de vos tristes sommeils

Vingt ans que j'essuyais votre salive amère

Sur mes mains sur mon front Le long de mes artères

Coulait un sang brassé par vos noirs tourbillons

Et déjà je prenais place dans vos sillons

 

Visages au front bas fuyant sous les paupières

Ainsi je vous nommais visages de la terre

 

Mais tout va commencer puisque je sens les branches

Epouser librement la forme de mes hanches

Les oiseaux reviendront dormir dans mes cheveux

Un monde jamais vu voilà ce que je veux

Oublier dans l'élan mes infirmités d'homme

Reconstruire la femme à partir de la pomme

 

Salut flots vendangeurs première traversée

Je ne regrette pas ce monde renversé

 

J'arracherai pour moi les barreaux de la cage

J'en dresserai l'échelle au pied du paysage

Espérant dépasser le toit des horizons

Les vents emporteront les dernières saisons

 

Enfin la terre bat J'entends son coeur sonore

De grands espaces bleus rehaussent le décor

La mer monte à l'assaut des pistes enneigées

Le ciel laisse tomber sur nous ses grains de blé

Je parle couramment le langage des pierres

 

Seigneur tu m'apprendras à lancer la lumière

Que le jour désormais nous vienne du très bas

Qu'une clarté sans bord ruisselle de nos pas.

 


 

 

 

 

Long feu

 

Brières mes limons de tendresse

O mes cages

Pérous de la lumière

Iles saintes du feu

Les vols ensorcelés de mes canards sauvages

La chambre fortunée où j'en appelle à Dieu

 

Je revois tout

L'échoppe rose des aurores

Sur mes genoux il pleut encore

 

Combien de temps déjà

Combien de pas battant mes pas

Dans le miroir quelle rencontre

Mon coeur a fait battre la montre

 

Encore un soir où je m'en vais

Sur le grand livre des marais

Tracer les mots de mon enfance

D'un geste fondre les saisons

Au bercement des horizons

Et des hoquets de la souffrance.

 


 

 

 

 

Chercher Dieu

 

Impossible à fixer sur la croix sur la route

Ombre toujours plus vive et dépassant les yeux

Quel monde berces-tu dans tes noires corbeilles

Quel sang peut achever le profil de la nuit

 

D'un doigt levé vers nous tu pâlirais nos lèvres

Un seul regard vers toi abîmerait ton front

Mais courbé sous le toit terrestre de nos rêves

Il nous faut profiter des mains que nous avons

 

Des mains je vous fais Dieu lumière obligatoire

Filles qui cultivez ce carré de trottoir

Animaux mélangés au cours des créations

Et vous aussi vaisseaux de sève à la dérive

 

Rien n'est sûr si ce n'est le sommeil passager

L'étonnante moiteur de la ronce et des pierres

Et sur ma joue la pluie battante des paupières

Mon cœur allant bon train ce vogueur hauturier

 

Je m'abandonne à vous comme à des joies faciles

Epaules soupçonnées un instant de vigueur

Vous valez mieux que moi tremblantes que vous êtes

Et fatigué du ciel je vous confie ma tête.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Raison perdue

 

Parler des mers sans bord

Ecume au nom d'abeille

Neige désemparée

Qui tournes dans l'oreille

M'apportez-vous le frai

Que je désire encore

 

Le vent me brûle tout

Les poumons le visage

Et les couleurs jetées

Largement sur la page

Larmes que je n'ai pas

La douceur de sécher

 

Pas même sous la main

Les perles qui dérivent

Pas même d'horizon

Le sang change de rive

Il n'est plus de ruisseau

Le long de ma maison

 

Mes lèvres trop longtemps

Ont couvé sous la cendre

Jusqu'à mon coeur les mots

Ne peuvent plus descendre

Et n'ayant plus d'amour

Je n'ai plus de raison.

 


 

 

 

 

Homme mort

 

Moi qui n'en suis pour rien dans ma venue sur terre

Qui n'ai jamais appris les mots que pour me taire

Et marche lentement de peur de tout briser

Croyez-vous que je puisse encor vous satisfaire

 

Tant de mains attendues n'en valent plus la peine

Une heure d'amitié ne fait pas la semaine

Est-ce mon sang déjà qui teinte le pavé

Mon cœur découragé qui tire sur sa chaîne

 

A quoi bon ces matins sans hâte de l'enfance

Ces fausses libertés mes désobéissances

Les grains d'or du soleil au fond du sablier

Puisque toute ma vie est faite de silence

 

C'est là dans mon grenier derrière la fenêtre

Avec le ciel qui bouge au fond pour me remettre

Un instant dans le cycle effarant du passé

Que je serai tenté un soir de disparaître

 

Alors que vous importe un cri dans le naufrage

Le fardeau de ma joie est un maigre bagage

De la douleur, mon Dieu, j'en eus toujours assez

Mon ombre fut mon seul compagnon de voyage.

 


 

 

 

 

Nouvelles fraîches

 

Souvenirs de la mer

Le grand panneau du fond découpé par l'éclair

La vague abandonnée aux démons du parterre

La fumée des étoiles

Aux ras des flots le lustre éteint

Les voyageuses du matin

Plus haut que nous la robe ouverte

Le regard bleu

Les mouches vertes

 

Une heure après

L'espace blanc

Le beau gaillard est à l'avant

Ses mains mesurent l'entourage

Le vent se lève

Une autre page

 

Il est trop tôt pour s'attarder

Le monde va par coups de dés

L'étrave blesse les paupières

Creuse la route la lumière

 

Aucun regret des passeports

C'est l'aventure naturelle

Et plus nouvelle que la mort.

 


 

 

 

 

Fil à fil

 

Tremblante main sur mon visage

La douce fleur au vol ramier

La porte ouverte du village

Et le tremplin des marronniers

 

La jolie fille dans l'échoppe

Au bord du toit le nom vogueur

Le compagnon qui boit sa chope

Aux fraîches bières de couleur

 

Les barques fendent les paupières

Et le soleil sur son livret

Pour des partitions de lumière

Accorde un magique alphabet

 

C'est l'eau qui ferme la blessure

La place vide du combat

Et plus loin pour les impostures

Le visiteur qu'on n'attend pas

 

Rien de la vie que l'hirondelle

Accoutumée aux gens du bord

Le cœur qui ne bat que d'une aile

Sous la chaux vive du remords.

 


 

 

 

 

A la Chesnaie en novembre 43

 

Toujours seul avec toi dans la chambre de veille

Les guêpes douces du sommeil

Autour du feu

Autour de toi

Le sang qui jappe dans mes doigts

 

Je soulève les branches

Tous les oiseaux descendent sur la page blanche

Encore une forêt

Une lampe qui passe et secoue son duvet

 

Tu nous feras connaître

Il suffit d'allumer le ciel sous la fenêtre

Une prunelle au bord du toit

 

Pour les fleurs les enfants

Et les mains qui ont froid

 

Je pense a ta chaleur pareille à mon épaule

Aux printemps imprévus qui germent dans ton cœur.

 


 

 

 

 

Monts et merveilles

 

Soleil dont le plateau fait pencher la balance

Le vent dans les barreaux

Le premier pas de danse

Et la neige qui fond

Les liens qui se défont

La pensée qui descend lentement du plafond

Le sourire attendu qui lézarde la face

 

Seigneur il fait si beau

Comment rester en place

Je vais te réclamant sur les toits bohémiens

Pour t'appeler les mots ne viennent pas très bien

Mais de mes yeux tu vois j'apprivoise les anges

Les arbres et mes bras font un curieux mélange

Toujours plus près de toi

Conseillé par les fleurs

Ta main pressant la pomme acide de mon cœur

 

Je t'attends

Tu n'as jamais laissé un homme attendre

Pour t'aimer

Tu diras comment il faut s'y prendre

J'ai tant besoin d'amour

Mon Dieu, tu ne peux pas me rayer de ton cours

 


 

 

 

 

A Pierre Reverdy

 

Ami

Pour mesurer la parole et la fièvre

Je me penche

A la surface rafraîchissante de tes lèvres

 

Je traverse d'un bond les pampas de ton coeur

Sans aile je te prends tes plumes tes couleurs

 

Tu fermes l'horizon

Et le port de Solesmes

Je ne sais plus si c'est ton silence que j'aime

Le ciel sous le hangar

Ou le triste jardin comme un quai de départ

 

Je t'aperçois

Tirant vers la nuit ton échelle

La boucle de ton sang s'accroche à la tonnelle

Et tu dis

Suppliant les autres d'avancer

Regardez

C'est la vie qui vient de commencer.

 


 

 

 

 

La flamme verte

 

Soleil cage des blés

Volière des pervenches

Etable ensorcelée où ruminent les branches

Boulangerie du ciel aux mains des passereaux

Ah qui dira le cœur prisonnier des rameaux

 

Je n'ai jamais quitté les chambres de l'automne

Dans la rue c'est toujours cette même personne

Un peu drôle

Et traînant des fleurs sur le pavé

Comme si mon passé avait besoin d'aumône

 

Je m'endors dans le crin

Sur la pierre lavée

Pesant comme les bois

Comme les pâturages

Avec les vieux troupeaux étendus à mes pieds

 

Et tu montes vers moi

O flamme souterraine

Arbre des temps futurs

Dangereuse saison

Pour que mon corps jaillisse aux quatre coins des plaines.

 


 

 

 

 

Retour au pas

 

Jardins de mon chevet

Tulipes de l'enfance

Sables qui regrettez

Le phosphore des yeux

Je vous parle toujours

A la même personne

 

Je ne connais que vous

Cadastres du printemps

Vos bulles vos pigeons

Se roulent sur mon âme

Si je ferme les doigts

Vous perdez l'océan

 

Plus richement comblé

Que le ciel et la terre

Plus lourd que les viviers

Frissonnants de l'aurore

Sur les tréteaux du vent

Je me dépouille encore

 

Je suis nu comme vous

Pierres des nuits tranquilles

Hublots de neige ouverts

Dans la coque des monts

Arbres dépossédés

Des anciens héritages.

 


 

 

 

 

La charmeuse de serpents

 

Jaillie avec tes mains blessées tes mains coupables

Au bord de la prairie où j'ai dressé ma table

Plus meurtrie chaque jour par les buffles du temps

Pourquoi fais-tu tinter les grelots de mon sang

 

Tu es déjà marquée aux dents de ma jeunesse

Je savais la douleur bien avant que tu naisses

Bien avant d'avoir pris le soleil à deux mains

Bien avant les rosées premières du chagrin

 

Difficile mémoire ô porche des merveilles

Entends les trains de nuit rouler dans mon oreille

Les villes s'écrouler lentement sous mon front

Tandis que les enfants de mon âge s'en vont

 

Je veux que sur tes joues scintillent les avoines

Que ton coeur aux sillons de blé ouvre ses vannes

Qu'un bouquet de clarté enfin te soit offert

Entre le sol qui tremble et le plafond de fer

Apprends donc à chanter à dresser sur tes lèvres

Les merles les oiseaux délicats de la fièvre

Apprivoise et reprends le monde à son matin

La terre est pleine de saveurs fais-en ton pain

 

Charme les durs serpents des arbres les fontaines

Charme les fleurs et les ruisseaux charme ta peine

Que ton corps tout entier soit le doux sifflement

De l'eau qui a trouvé le ciel, son élément.

 


 

 

 

 

Testament

 

Dans le temps de ma vie

Je vous ai tout donné

Sur mes mains sur mon sang

Je vous ai promené

 

Pour vous plaire j'ai dû

Me soulever du monde

Eloigner mes poumons

Des cryptes enfumées

 

Reprendre au jour nouveau

Son butin de solfèges

Et ses vitraux couverts

De graffiti de neige

 

Peu d'années ont suffi

Pour voiler mon regard

J'ai pâli j'ai vieilli

Mon coeur a fait sa part

 

Dans la mansarde bleue

Qui me gardait des branches

J'ai vu mon front s'ouvrir

Sous une étoile blanche

 

Que voulez-vous de moi

Maintenant que je n'ai

Pas même pour saluer

La grâce des poneys

 

Dans le cirque des mots

J'ai trop fait de voltige

Trop d'oiseaux sont venus

S'appuyer à ma tige

 

Je ne puis rien pour vous

Pas même vous soumettre

A la lumière au vent

Au dernier kilomètre.

 


 

 

 

 

La maison du crève-coeur

 

Roulée par le soleil déroulée par la vague

Lissant son col mouillé aux fleurs des terrains vagues

Apaisant de son toit les tremblants horizons

Tandis que les rameaux se mêlent aux cordages

Que les fenêtres bleues guettent leur équipage

Appareille vers nous l'impossible maison

 

Son visage de craie pour cacher ses blessures

Nous regarde à travers des volets de verdure

Il chante. Au fond des yeux se devine l'oiseau

Une horloge qui bat dans les plis du rideau

Si l'on frappe son cœur toutes les voix répondent

Avec les noms marins venus des bords du monde

Le soir met à son front des guipures de sang

Et par la cheminée une étoile descend

 

Quel homme inconsolé l'a marquée de sa haine

Pour que sur le perron coule encore sa peine

 

C'est la nuit maintenant. A la cime des flots

Elle glisse. On entend s'envoler ses hublots

Nous passons dans ses bras nous descendons ses rampes

 

La poitrine trouée par une bonne lampe

Peut-être allons-nous voir derrière la cloison

Le soleil à la recherche de son gazon

Maison de solitude ô maison vagabonde

Toi qui flottes plus haut que la poussière blonde

Et tends vers Dieu tes joues plus fraîches que nos mains

Le ciel est dans tes murs montre-nous le chemin.

 


 

 

 

 

Quand tout s'en est allé

 

La vague et le cheval qui devançaient l'éclair

Les cadastres du sang

Les grands itinéraires

La lampe qui filait sous les tuiles des sources

Ce qui marchait vers toi

Et te rendait plus fort

Les pontons du soleil

La vedette du port

Tout cela dans la nuit

Tombé par-dessus bord

 

La mer s'en est allée refermée sur ses voiles

Dans les sillons du vent pourrissent les étoiles

C'est un monde trop lourd qui pèse sur ton front

Trop de fiels et de plombs

De sommeils et de pierres

Jetés sur le radeau limoneux des paupières

 

Tu peux te relever

Composer ton visage

Etaler tes deux mains

Comme un objet de prix

Vivant tu resteras

Un autre que toi-même.

 


 

 

 

 

Lormont

 

Pluie bergère des mains fidèles rue du Sang

Roi mage du vingtième siècle qui descends

Vers nous vers nos matins plus beaux que la remise

Où Marie accoucha Je traverse l'église

A ton bras comme un arbre en feuilles dès l'avril

Et des poissons d'argent jaillissent de tes cils

 

Celui qui nous reçoit c'est Jésus en personne

Et la grosse guêpe de son cœur qui fredonne

 

Tu t'approches de moi comme on gagne la mer

Tu as besoin de laine épaisse pour l'hiver

De sentir sur tes yeux les flocons de ma bouche

Et les rameaux de ma poitrine toujours verts

 

J'ai préparé pour toi ce long et long voyage

Tu es là dans les filets bleus de mon visage

 

Sur ton front rebondit la balle du soleil

O front blanc si semblable aux ailes du réveil

Au doux cocorico des fleurs et des lumières

Je referme sur toi mes larmes les dernières

 

Hélène il faut laisser descendre la maison

Sous la pluie de nos mains sous les rouges gazons

Du sang qui n'a jamais taché d'autre verdure

Que celle des vergers qui portent les saisons

 

Nous marchons. La campagne agite ses dentelles

Il doit dans les hameaux rester des hirondelles

De graves enfants blonds gaspilleurs de duvet

Des étoiles sans nom piquées dans les volets

 

Tout le ciel s'est donné rendez-vous sur nos têtes

Tes yeux ont poussé là comme deux pâquerettes

Je te prends dans mes bras et la route est fermée.

 


 

 

 

 

La nouvelle arche

 

Bien au-dessus des frontières

Vers la belle la douloureuse santé

Sur les grabats du ciel sauvés de la misère

Pour une simple identité

Ami de peu d'élan

Voyageur des eaux douces

Le soleil et ta main s'éteignaient dans la mousse

Et tu n'entendais pas le monde vaciller

 

Tout craque jusqu'aux fûts paisibles des montagnes

Le radeau des prairies emporte les campagnes

Les villes éventrées comblent les océans

Le tapis vert jaunit sous la carte du vent

 

Que dire des genoux retombés sur les dalles

Du sang qui donne au cœur l'inclinaison fatale

Des fronts où chante encor la scie du désespoir

De nos lèvres murées par tant de pierres noires

 

Dans la nuit

Dans l'air frais qui nous tend sa corbeille

Nous allons réunis

Nos mains n'ont pas sommeil

Et Dieu vient en voisin nous parler à l'oreille.

 


 

 

 

 

Feuillages

 

O feuilles lentes comme un essaim de paupières

Vous qui dansez sur le jet d'eau de la lumière

Des ailes retrouvez le grave mouvement

Et sur les fronts marqués de lèpres et de pierres

L'inclinaison du monde bleu le bercement

 

Il n'est plus de passants sous les toits de la ville

Sous les porches du soir aux lampes difficiles

Dans la gare interdite où sanglotent les trains

Faites qu'il soit pour nous un calme domicile

Au fond du ciel avec les brouillards du matin

 

Inquiets nous attendons les oiseaux de passage

Comme s'ils devaient nous rapporter nos visages

Transfigurés par les soleils du pays froid

Ceux des vieilles années ont laissé leur sillage

Plus profond dans nos cœurs glacés que dans les bois

 

Et je cherche à travers ton corps la transparence

La fleur de neige au bord des vallées de silence

Tes blanches mains crispées sur les harpes du vent

Quand je baisse les yeux le fleuve recommence

A rouler dans tes yeux les sables ignorants

 

Tu rêves les étés parcourus de fontaines

La grande migration des arbres vers la plaine

Le rajeunissement lumineux du troupeau

Pour qu'on ne sache rien de ta joie de ta peine

Tu rêves d'une fine écorce sur ta peau

 

Je m'avance vers toi bruissant comme un feuillage

Je suis en toi mon sang continue son voyage

Il ferme ton épaule il soupèse ta joue

Et quand j'ai bien sculpté ta chair à mon image

Une tige de blé sépare nos genoux.