1944. La Vie Rêvée. Tirage : 1760 exemplaires. (Ce volume comprend : Grand Elan et La Vie rêvée.) Robert Laffont.
Sommaire
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Hélène
Je t'atteindrai Hélène
A travers les prairies
A travers les matins de gel et de lumière
Sous la peau des vergers
Dans la cage de pierre
Où ton épaule fait son nid
Tu es de tous les jours
L'inquiète la dormante.
Sur mes yeux
Tes deux mains sont des barques errantes
A ce front transparent
On reconnaît l'été
Et lorsqu'il me suffit de savoir ton passé
Les herbes les gibiers les fleuves me répondent
Sans t'avoir jamais vue
Je t'appelais déjà
Chaque feuille en tombant
Me rappelait ton pas
La vague qui s'ouvrait
Recréait ton visage
Et tu étais l'auberge
Aux portes des villages.
La fille sauvage
Solitude épargnée au nom du végétal
Fronts des béliers plus lourds que les pierres tombales
Essaim blond des genêts ciel à cors et à cris
Octobre passager têtu des boiseries
Ah qui dira jamais les roseraies natales
Elle est là dans le trèfle azuré de la crèche
Dormante des chemins au fond des pailles fraîches
Belle à fermer les yeux, jalouse du revoir
Et quand les portes bleues dérivent dans le soir
Elle essuie sur sa joue une larme qui sèche
Où sont-ils les jongleurs impériaux des clairières
Les biches revenues des noces printanières
Bois tendres à graver un amour maladroit
Et ces mufles de feu qui laissent dans les doigts
La chaleur et le don des caresses premières
Aux torses des sapins tu confies tes étreintes
Une feuille glacée trouble ta face peinte
O reine menacée en secret par midi
Tandis que dans l'air neuf où tu t'es endormie
On entend les grelots de la rosée qui tintent
Eveille-toi beau col que lisse la rivière
Visage mesuré à la toise des pierres
Une flèche brisée te montre le chemin
Et tu guides dans l'ombre épaisse de tes mains
Ce coeur ensanglanté par les griffes du lierre
Ah c'est ainsi qu'il faut refaire les naissances
Reprendre le ruisseau à ses pâles sentences
Aux neiges du matin baptiser le moineau
Et dans l'or et le plomb jetés sur le plateau
Reconnaître le jeu délicat des balances
Il n'est que la raison secrète d'espérer
Saute à travers le cercle en flammes du passé
Montre-nous que tu sais retrouver sur la corde
Le trouble et la ferveur égale des concordes
Danseuse prise au bord des toiles constellées
Tu es jeune et tu vas soulevant dans ta marche
Des barques de lumière à la cime de l'arche
Apaisant la colombe inquiète du rameau
Et le soleil qui brise un instant sous ta peau
Ranime les lépreux qui dorment sur les marches
Tu ne peux plus rester tu ne peux plus partir
O fille tes vingt ans sont un long repentir.
Cours du jour
Sur la main
Sur la joue
Sur la pierre
Mon Dieu c'est le lierre
Un oiseau dans le cadre
Mort
Un bras refermé sur le port
Celui qui vient parle trop fort
Que dis-tu
Que veux-tu
Qu'importe
Ton âme file sous la porte
Attends encore
Ne livre pas
Le jour qui tremble sous tes pas
Le monde lève sa paupière
Une étincelle
La dernière
Haut mal
Belles fleurs du pavé que broutent les chevaux
Tout le ciel aujourd'hui tient au portemanteau
C'est la chambre de quart où tintent les cordages
Et la poulie du sang qui tire le visage
Les traits défaits le nom perdu devant le mur
L'ombre de la douleur plus grande que nature
Encore un vendredi sans Robinson sans île
Et les deux mains croisées sur un livre Vigile
Les dés jetés plus loin le dernier coup du sort
Double six ô le rire insouciant de la mort.
La voyageuse
Visage au fond des gares
O Véronique de tous les quais de départ
Tes belles mains lâchées comme une étoffe blanche
C'est la fumée du train qui s'enroule à tes hanches
La plaque de ton cœur où tournent les convois
Lorsque glisse l'anneau des tunnels à ton doigt
Tu marches sourdement dans la nuit des ballasts
Sous ton pied les boulons chantent comme les astres
Les rails font à la terre une échelle d'argent
Il reste sur tes joues la rosée des lanternes
Le bleu des horizons migrateurs te concernent
Les oiseaux qui reviennent des pays perdus
Et les noires coulées du vent dans les luzernes
Pour mieux gagner du temps tu gagnes du terrain
Tu fais craquer le toit du ciel d'un coup de reins
Tu renverses sur nous le remblai des villages
La flamme d'un sapin t'ouvre le paysage
Ton sang n'en finit plus d'agiter ses roseaux
Rien ne te porte plus, tu marches sur les eaux
Tu t'engouffres dans l'air au battement des ailes
Entre les continents tu sers de passerelle
Et je t'attends toujours derrière la maison.
Hier et aujourd'hui
Si loin du port
Reparti
Revenu
Le coup de poing du sort
Le ciel après la vague
Et l'index assuré vers le soleil
La bague
Le coeur brûlé
Le casino
Le sang qui compte ses anneaux
La parole étrangère
Tout l'océan au fond du verre
Maintenant le royaume aérien
Le grenier
Les vrilles de la rampe
Et le portrait signé
Vingt ans plutôt qu'une heure
Le mannequin de la douleur.
Le coquelicot
Toi qui fus le chant de la plaine
La fraîche tentation des blés
L'amande douce des cocardes
Au loin la crête des clochers
O fleur des temps à venir
Fleur du crime
Fleur de sang sur la lèvre épaisse du sillon
Fleur jetée à travers tant et tant de poitrines
O double végétal des coqs
Cri de la meule
Balafre de clarté au front du petit jour
Fleur ouverte en plein vent
Fenêtre de verdure
Ame du fusillé tournée contre le mur
Soeur Anne des plus hautes tours
Les hommes t'ont nourrie qui dorment sous les pierres
Et de leur longue nuit tu rougis tes paupières
Les morsures de l'eau t'apprennent à souffrir
Tu offres tes cinq plaies pour notre repentir
O fleur je t'ai gardée mes mains et mon visage
Qu'ils servent à jamais pour un meilleur usage
Et que tout mon passé rejaillisse sur toi
Fleur grave fleur des champs béante à son corsage.
Saint Herblon
Je ne sais rien de ce village
De ces toits vagabonds retournés page à page
De l'homme qui s'abrite un instant sous mon front
Les vignes tombent du plafond
Et cette feuille est mon visage
O chambre noire sur le nord
Vaisseau fantôme où je m'endors
Vaincu sur le livre de bord
Je t'ai peuplée de mes démences
Et déjà ma saison s'avance
Ombre de moi par les chemins
Une larme perce ma main
Tu n'atteindras jamais demain
La pluie délabre ma poitrine
Mon coeur sauvez-moi des famines
Bientôt l'arbre
Verdoyante fumée
Demain je serai l'arbre
Et pour les oiseaux froids
La cage fortunée
Les grandes migrations
Sont parties de ma bouche
De mes yeux pleins d'épis
Les éclairs de santé
Je te suis dans l'air bleu
Flèche douce à la paume
Bel arbre que j'éveille
Au bord de mes genoux
Tronc si blanc qu'il n'est plus
Qu'une neige attentive
Tu courbes vers le toit
Tes brandons de lumière
Ta sève jour et nuit
Chante dans les gouttières
On te fête déjà
Dans les rues de villages
Ainsi qu'une saison
Inconnue de la terre
Et toi dans les sillons
Sans borne où les perdrix
Gaspillent pour la joie
Des poignées de sel gris
Tu marches répondant
De la douceur des pierres.
La ruée vers l'or
Arbre ma dimension humaine sur la terre
O gaspilleur de frai lumineux de mystère
De l'ombre aux deux versants, aube de grands chemins
Arbre qui s'attendrit à me baiser la main
Et colore mes yeux de ses graves pollens
S'il faut descendre encore et lancer dans la plaine
Le sillon voyageur où s'égarent les pas
Je n'aurai plus le temps de refermer les bras
Mais je veux puisque l'air secoue ses ailes blanches
Gravir dans le passé mes années et tes branches
Et que sur tes sommets où sifflent les couteaux
Flottent les pavillons ajourés de ma peau
Oublieux du fracas sanglant des avalanches
Il suffit d'un rayon qui soit tombé du nid
D'un lâcher de pigeons sur la gorge des villes
Et du gouffre à mes pieds pour que je sois tranquille
Sablier de douleur qui n'en as pas fini
Le soleil m'appartient roulé sur mon épaule
Parfois vers le midi de longs couchants me frôlent
Et je ferme les yeux sans me demander l'heure
Comme si les volets retombaient sur mon cœur
*
Vers toi vers les torrents où tintent les pépites
Dans les pacages bleus où les jours vont plus vite
Sur les bords enflammés de la glaise et du vent
Je m'approche et le ciel m'aura mis au courant
Ah ce n'est rien pour vous c'est toute la lumière
Les ablettes d'argent glissant sous les paupières
La fumée qui se mêle aux écharpes du front
Et 1e ruissellement des poulpes au plafond
La mer prise à son jeu éclabousse les marbres
Il y a les marins revenus dans les arbres
Le navire accosté au toit de la maison
Les pêches du matin derrière la cloison
Tous les retours bannis de mon âme et des cimes
Si tu pouvais savoir la douceur de mes crimes
Comme il fait bon marcher dans le feu sans mémoire
Tu serais le premier à m'accueillir ce soir
Je monte et j'ai le cœur plus haut que ces trapèzes
Plus haut que Dieu lui-même à genoux sur les braises
Plus haut que les gardiens plus haut que la raison
Araignée dans les fils mouillés de l'horizon
Nul n'a connu ma voix si ce n'est les orages
J'ai plus de souffle en moi que les buffles sauvages
Plus d'âpre liberté que les oiseaux du port
Et ce n'est que ton sang qui me ramène au bord.
*
Vole donc et soulève au fond de toi les portes
Homme que le jusant crucifie et qu'emporte
Au loin sur les tréteaux impassibles du temps
La vague ensoleillée qui berce ton penchant
Tu traverses la nuit polisseur de cordages
Les sémaphores blancs ont remué ton visage
On attend ta venue à tous les carrefours
Tu parles et tu meurs mais ce n'est plus ton tour
Il te reste à trouver ta première origine
Les premiers ossements croisés sur ta poitrine
Le pli suivant lequel se referment tes doigts
Et le chancellement douloureux de la croix
Les bergers sont vaincus qui menaient ton enfance
On a changé ton nom le jour de ta naissance
Ta mémoire a perdu la forme de ton corps
Peut-être ton regard suffit au passeport
Ne crains pas de briser la glace des frontières
De jeter des flocons de sel dans la lumière
Cheval dément que flatte un désir de galop
Risque le monde entier au péril de tes sauts
Force les étendues sans havre sans mirage
Inscris ton pas vogueur sur tous les équipages
Ensemence de feu les poitrines sans tain
Que ton appel du soir soit proche du matin
Laisse tomber sur nous tes poings comme des perles.
Jour sans toit
L'air traverse le front
Les barreaux de la cage
Il est tard
L'horizon n'en sait pas davantage
Un astre tend ses bras pour mieux nous supplier
Depuis que tu es là
On n'entend plus crier
Tout glisse sur le dos des arbres
Des fontaines
Le sang suit le cadran
Afin que tu comprennes
Je pense à te donner
La parole et la main
Une heure à moitié vide
Un verre à moitié plein
Dès maintenant
Tu peux refermer ton épaule.
Le coeur à flot
Retirez-moi des mains cette pâle grenade
O mon Dieu laissez-moi parfaire mon dédain
Vous qui m'avez bercé sur les herses natales
Accordez-moi le fer qui blanchit votre sein
Je souffre a ne savoir quelles plaies sont les miennes
Quelle ombre fait trembler les vitres dans le soir
Sur mon front s'agrandit une blessure ancienne
Et pour bien l'étancher j'y mettrais mon mouchoir
Que n'ai-je l'épaisseur azurée des volières
O mes genoux polis au feu de la prière
Dans la nuit qui s'éveille aux carillons du froid
Est-ce le sémaphore oblique de la croix
Jamais vous ne verrez s'abaisser mes paupières
S'éparpiller le flot qui me vêt avec soin
Et si jusqu'à mes flancs rebondissent les pierres
C'est pour un fier autel où vous ne brûlez point
Allez je n'attends rien qui ne soit la souffrance
Mon visage a perdu les hâles de l'enfance
Le ciel est retombé lourdement sur mon coeur
Et la mort est déjà une grande douceur
Rose de Noël
Nuit d'amour à passer
Nuit captive des cloches
Ah vingt ans de bonheur
Harassés dans les poches
Les guêpes de la neige
Et du calendrier
Tandis que de ses yeux
S'éprend le noisetier
Il trouve des raisons de renverser la table
Et tire des dossiers d'azur
De son cartable
Seul
Errant dans sa chair aux pieuses bergeries
Le chiffre de son cœur n'aura jamais souri
Mais le matin reprend ses perles
Ses conquêtes
Un doux filet de voix se partage la tête
Une lampe s'écroule enfermant les jardins
Et ce nouvel ami tranquillise ses mains
La visiteuse
Le soleil maintenant Comme tout va changer
On va passer les coqs au fil clair du clocher
Les mains vont s'habituer à devenir abeilles
Et le corps atteindra la courbe de la treille
Tu es belle déjà résignée par amour
La nuit que tu revins ce fut comme en plein jour
Les oiseaux s'appelaient tout en haut de l'échelle
Et les astres tombaient dans un clapotis d'ailes
En partant tu m'ouvris la porte et la forêt
D'abord je n'ai pas su très bien ce que voulaient
Tous ces passants légers ces renards et ces biches
Ces arbres dont l'écorce était gonflée de lait
Les fourrés descendaient le long de mon visage
Mes yeux bleus devenaient des prunelles sauvages
Les bêtes fatiguées s'endormaient sous mon front
D'un geste tu soufflais le toit du paysage.
Et tu venais vers moi derrière la saison
Tu pétrissais le feu la neige les gazons
Les fleuves te suivaient comme des chiens fidèles
Pour apaiser leur faim au pied de ta maison
Alors j'ai tout compris ta bonté la première
L'étincelle de sang qui fait battre les pierres
La peur et le secret panique des vergers
Quand tu fermes sur toi les vannes de lumière.
Coups et blessures
Toute une vie perdue
Un visage à refaire La main
Le coeur
Et l'atmosphère
La voile noire des saisons
Le sang derrière l'horizon
Pas le temps d'accorder une heure à ce naufrage
Pas le temps
Et pas le courage
Le soleil c'est la mise en page
J'ai tous les hommes contre moi
Les fûts du ciel
L'ongle du toit
Pour le néant j'ai la rivière Le front
La tombe
Et la paupière.
Le grand voyage
Toi qui hantes ma vie comme un enfant perdu
Et mesures l'élan à la douceur du geste
Sauras-tu reconnaître au fond de ce qui reste
Le rougeoiement d'un cœur que tu n'attendais plus
Visage lumineux ô travail de patience
Neiges amoncelées dans le pli des consciences
Bras voltigeant plus haut que l'éclair des ramiers
A l'auberge de nuit je frappe le premier
Ouvrez-moi regardez comment je viens au monde
La truelle du vent lisse ma face ronde
Ma poitrine a des baies immenses pour tout voir
Et vous serrez les poings pour mieux me recevoir
Mais j'ai déjà courbé tant d'ombres sur mes routes
Remis tant de beautés pour apaiser mes doutes
Que vous ne pouvez plus fantômes m'attendrir
Il faut bien me laisser le temps de repartir
La saison n'atteint pas les roses du village
Le pas lourd des chevaux piétine mon image
Le sang renverse en moi son pâle sablier
Et mes amis n'ont plus raison de m'épargner
*
Rendez-vous de jamais dans les cités sans bord
Tradition de minuit rendez-vous de la mort
Belle tête endormie qui déroules ta vague
Ecume du matin au bord des terrains vagues
J'ai parcouru cent fois le réseau du malheur
Depuis longtemps la pluie sur mon front sonne l'heure
Et si je lève au ciel des mains épouvantables
C'est pour que deux anneaux retombent sur ma table
Viens me prendre et m'aider à refermer la porte
J'ai peur de tous les jours nouveaux et qu'on m'emporte
Au plus sombre de moi. J'avais tant de plaisir
A penser que j'allais être seul à mourir.
Maison nomade
Liberté de choisir
La main
Le partenaire
L'horloge qui répond par un pas de travers
Toutes les possessions stériles des mémoires
Le visage de craie au bord du tableau noir
Les mêmes fronts en pente
Mais le rideau levé
Le postillon que hante
Une aile qui suffit au toit de la maison
Conviens de ta grandeur homme des horizons
Toi qui ne peux tracer qu'une ligne à la page
Et brûles tes poumons au sang des équipages
Fidèle à tes chevaux
Aux gammes des ressorts
Tu chantes
Tu n'as pas à partager ton sort
Ta voix dans la verdure
Ta poitrine qui tient aux roues de la voiture
Et le paraphe bleu qui signe l'aventure.
Le sillage blanc
Si j'apprends à parler plus haut que les orages
Bleu comme sont les toits ruisselants d'alevins
Si la chaleur du sang peut recuire un visage
Et gonfler dans les yeux cet étrange levain
C'est pour mieux retrouver dans le ciel mon sillage
Je ne puis plus rester si longtemps près du bord
Cependant que mon front qu'un jet de pierre accable
En craquant fait trembler les poutres de mon corps
Cependant que la main qui planait sur la table
Comme un oiseau perdu referme le décor
Il me faut des dangers imminents des blessures
Que je sente ma chair s'épanouir en haillons
Que dans l'air où se vautre une aimable verdure
J'épaississe ma voix de mâles carillons
Qui ne sauront jamais la douceur des fêlures
Entendez-moi gémir sur les débarcadères
Dans les noires banlieues du sommeil et du vent
Au bord des sables fins où se ponce la terre
Courbé vers la poitrine informe des vivants
Dans le drapé d'une aile et d'un rayon solaire
Enfin je m'appartiens rouleur des équipages
Offert dans le hamac flottant des horizons
Aux flagellations trop brèves des cordages
Et je porte en mon cœur le goût des salaisons
Impossibles à dire et les printemps sauvages.
Loires
Pampres qui soulevez des agrès de lumière
Beaux visages cerviers
Sarments aux tendres joints
O vignes en vitraux
Etoles de raisins
Le grain le plus doré brille dans ta prunelle
A midi
Tu rejoins l'ami sous les tonnelles
Tout passe dans ton verre
Déjà
Et le soleil tournerait de travers
Mais la terre est en bas
La Loire dans les rouches
Aiguise sur ses grès des matinées farouches
Un deuil tissé de bleu apaise les couleurs
Et tu cernes le front
Artésienne chaleur
La neige rouge
Noël précoce encor le sang
Le groseillier sombre des villes
Et pour ceux qui dorment tranquilles
La fleur qui s'ouvre dans le flanc
Les platras du front sous les pierres
Dans la limaille du chemin
Le corps qui marche sur les mains
Ce pansement c'est ta paupière
Roulotte noire et cheval mort
Les fontaines aux flots de lave
Et vers le soir les plaies qu'on lave
Comme les marches à l'aurore
Le ciel une immense fenêtre
Le cimetière des croisées
Toutes ces têtes bien rasées
Dans le panier vont disparaître
Et tu seras le seul couvert
Par les oiseaux de ton visage
A ne pas perdre tout courage
Tant tu auras déjà souffert.
Ville ouverte
Rien que des rues fleuries où s'engouffre la mer
Chevaux évaporés
Encombrement de l'air
Ville narguant le saut périlleux des étoiles
Fenêtres dépassant le soleil
A la voile
Bel arbre descendu dans le ciel comme un puits
Par pitié
Dans mes yeux
Quelques gouttes de pluie
Brûlantes pour mes mains sont les pierres qui rôdent
Le hoquet des fusils est un cri de douleur
Et mon sang passe en moi par toutes les couleurs
Ecoutez sous 1e toit où grésillent les balles
Sans honte respirer lentement le dormeur.
Le temps perdu
Si tu traverses les forêts de mon visage
Et les ronds-points de ma poitrine après minuit
Si tu es pris d'un grand courage
Et t'égares dans mes pays
Au bercement des oies sauvages
N'espère plus trouver ce qui t'avait conquis
Tous ceux que j'abritais tendrement sous mes lèvres
Et qui me répondaient lorsque j'avais trop faim
Les boisseaux de soleil qui coulaient de mes mains
Les vents alcoolisés qui me donnaient la fièvre
Tous les arbres venus s'appuyer à mon cou
Et les rouges cerviers du soir dans mes genoux
L'odeur de mes vingt ans emportée par les lièvres
Tout cela n'était rien puisque je vis encor
Il fallait me jeter sur le plancher du bord
Dépouillé de mes biens terrestres de mes armes
Peut-être aurais-je pu répondre de mes larmes
J'ai trop couru le monde à la suite des mers
Et lorsque je reviens m'accouder à la table
C'est pour trouver la même vague au fond du verre.
Au pied du mur
Tête vide
O grelot qui tinte dans la chambre
Balle jetée au mur
Grêle rouge des nuits
Les frelons de mon sang se mêlent à la pluie
J'écris pour me sauver
Pour saluer ce qui reste
Un bourgeon de soleil oublié sur ma veste
Une main reconnue qui se fond dans ma main
Et les géographies tremblantes du chemin
Adieu vous qui trouez le sommeil aux frontières
Familiers de la nuit dévorés par les pierres
Destins faits de rameaux en croix et de gazons
Bergers qui n'avez plus de braise à la maison
Je vous vois
Vous portez à vos lèvres la neige
Comme si le vent seul avait pu les ternir
Déjà je suis trop loin pour manquer d'avenir
Bergère
Je m'approche de toi
Comme d'un haut pays
Je t'accorde le droit
De parler à ma place
O corps cernés de blés
Moussu comme un rayon
Les fleuves jailliront
De tes mains vénéneuses
Tu portes les forêts
La rampe des labours
Jour et nuit les blaireaux
Te flairent te parcourent
Le pied du voyageur
Glisse sur ton visage
Et les voiliers du soir
Déchirent ton corsage
On ne voit plus ton front
Couvert par les brouillards
Ta poitrine est déjà
Comme un quai de départ
Tu visites les mers
Gonflées de tuiles rouges
Le monde tout entier
Bascule si tu bouges
Bergère tes sommets
Sont la cime des mâts
Tu soulèves le toit
Du ciel à chaque pas
Les oiseaux sont pendus
Aux branches de tes lèvres
Et l'air subitement
Devient frais quand tu rêves
Je te parle à travers
La trame des saisons
Je soupèse ton coeur
Aussi clos qu'un poison
Mais tu ne comprends pas
Dans la nuit où tu veilles
Les mots d'amour seront
Toujours des bruits d'abeilles.
Le poète
Celui qui s'en allait
Celui qu'on retrouvait tous les soirs sur les quais
Dans les désordres du langage
Celui qui n'avait plus que sa joie pour bagage
Et dont l'astre brûlait les registres du port
Celui qui s'engouffrait dans les voiles du sort
Tournant vers le matin ses paumes lumineuses
Celui qui se gardait une fin bienheureuse
En répondant au nom de tous les condamnés
Il est là maintenant
Son coeur est désarmé
Tandis que le soleil encombre les vitrines
Il sort de longs couteaux rouillés de sa poitrine
Penché sur l'horizon réduit du bastingage
Il regarde
Il n'a plus les ferveurs de son âge
Il ne renverse plus le monde en se levant
Tout est loin dans la rogue épaisse du levant
Pour retrouver l'éclat des santés
La jeunesse
Et le grand large avec ses marées de tendresse
La bonne odeur du jour
Il tend les bras
Il est certain de son amour.
A travers les branches
Quand je suis là
Quand je ne pense plus à refermer les bras
Quand l'âme trop longtemps polit sa feuille blanche
Quand je sens des oiseaux s'éveiller de mes hanches
Tu peux tout effacer
Si tu laisses les branches
Mais je vous porte en moi libres cités du feu
Trèfles couleur de sang
Vertus des gerbes chaudes
Chanvres liés à la nuque épaisse du dormeur
O végétal
O main fragile sur le coeur
Cri du coquelicot qui tourne dans l'étable
Espace traversé de strideurs
O ma table
Boiteuse dont le pied est un môle berceur
Le vent rumine au bord des marbres et des fleurs.
Origine des saisons
Vous qui êtes à des kilomètres sous terre
Dans les fjords les plus reculés de la lumière
Supportant les panneaux d'un monde à la dérive
La verrière des nuits glisse sur vos solives
Les sources les vergers s'enroulent à vos bras
Et lorsqu'un coup plus sourd défonce vos poitrines
Quand votre sang noirci colore les résines
Vous refermez le poing sur un pays qui va
Les feuilles du printemps vous touchent à l'épaule
D'étranges animaux vous emportent vous frôlent
Les foins se font sur vos visages attendris
Vous réchauffent dans le saint suaire des prairies
Maintenant c'est l'été les grands bains de colère
Le ciel volant plus bas écrasant les paupières
Vos yeux bleus reconnus à la cime des blés
Sur vos genoux toutes les gerbes assemblées
Déjà de lourds raisins pendent à vos oreilles
Votre corps est pour nous une admirable treille
Et quand la soif saisit quelqu'un des vendangeurs
Il reste à détacher la grappe de vos cœurs
L'hiver on vous entend à l'orée des villages
Devisant des lointains avec les oies sauvages
Gonflant le germe blond de souffles ténébreux
Les neiges du matin vous rapprochent de Dieu
Demain vous grimperez à nouveau dans les branches
Les fruits auront la courbe épaisse de vos hanches
Les tables rouleront des nombres infinis
Car l'or est dans vos mains désormais réunies.
Maintenant et à l'heure de notre mort
Si facile d'aimer Le vent
La porte ouverte
Et la lampe allumée
La même voix
La même plainte
Et les deux mains tendues où dépassent les pointes
Le bleu
La haute neige attardée sur ton front
L'églantier de tes yeux
Et tes yeux au plafond
Tout ce qui te ressemble
Il nous reste un pays sans borne
A mesurer
Des écarts de tendresse
Un pas lourd dans l'allée
Sur le bord de la nuit
La première fumée.
La belle étoile
Sur le clavier du ciel où chantent les étoiles
Lancé sur le trapèze impossible des voiles
Dans la sciure des blés habitée des perdrix
Gagnant le toit la tonte épaisse de la nuit
Tout le jour en danger mais retrouvant des ailes
Pour dépasser le monde obscur la citadelle
Est-ce mon ombre ou la lumière sous la pluie
Je ne sais qui je suis prisonnier de ces routes
Avec mon sang qui coule à la mer goutte à goutte
Avec ces larges plaies aussitôt pardonnées
Et mon cœur de plein vent ma grange abandonnée
Je vais. J'ai rendez-vous sur les plateaux sans âge
Avec de vieux béliers frappés à mon image
Enfin je vais bondir sous les cornes du feu
Rien ne ressemble moins à tes yeux que mes yeux
Homme étrange occupé de besognes terrestres
Qui couvres de limons la blancheur du charnier
Jamais tu n'oseras, usant tes propres cendres
Jeter sur le tableau les mots qui font comprendre
Que tout l'amour du monde est à imaginer.
Vive voix
Pleine terre à craquer
Maison de serre chaude
O visage à deux mains
Nacelle de l'oubli
Les copeaux du couchant volent sous l'établi
Tu veilles
Ton enfant se lisse dans ses ailes
Lentement tu descends les marches
Les prunelles
Une rose épargnée envahit la fenêtre
Déjà
Et dans le sang
Ta femme va paraître
Alors le vent soulève une larme
Un rideau
Le plafond s'enhardit jusqu'au bord du tréteau
Et la scène écartée du ciel et de la rampe
Appareille à jamais vers la plus haute lampe.
Visage ou paysage
Licorne qui dansais à la flamme des cages
Avec les horizons tissés à ton usage
Avec tous les sentiers ruisselant sur ton cou
Belle étoffe de sang qui moules mon visage
Est-ce la pluie d'hiver qui perce mes genoux
Les norois sont groupés au bord de ma poitrine
Si je lève la main le soleil se dessine
Une source jaillit quand je marque le pas
Et dans mes yeux couverts d'une étrange résine
Passent les voyageurs que tu ne connais pas
J'ai ma force dans l'eau qui tremble sous la pierre
Dans le vent qui secoue des sierras de lumière
Dans la glaise dorée où grince l'aviron
Et lorsque les cargos glissent sous mes paupières
L'écume ensanglantée m'éclabousse le front
Je suis l'homme des bords étincelants du large
Loin des terres mon nom s'inscrit en pleine marge
Mes bras depuis longtemps font partie du décor
Et je gravis le ciel aussi bien que les barges
De blé lorsque la nuit rejaillit sur l'aurore.
Les amis de Rochefort
Le ciel et le grand air
La flamme du clocher dégagée du tonnerre
La place de l'église
Les pelouses du toit jonchées de pierres grises
Une table encombrée de feuillage et de mains
Pour chaque ami un lendemain
Ce soir encore ensemble
Dans mes yeux le rideau de ton regard qui tremble
Je voudrais tant rester cet hiver parmi vous
Le visage dans la mousse de vos genoux
Le vent n'efface pas le bruit de vos paroles
Je prends place dans vos poitrines sur ce môle
Où s'attarde déjà la nef de l'horizon
C'est votre sang qui donne une teinte aux saisons
Vogueurs de grands chemins
Négriers des villages
Les gibiers du soleil tiennent dans votre cage
Vous êtes à l'avant du monde les passeurs
Les rapides du soir empruntent votre cœur
Je vous regarde aller
Vous marchez bien quand même
C'est à travers vos pas la lumière que j'aime
Au-dessus des étangs le son de votre voix
Et je rejoins la nuit
Très tard
A contre-voie.
La ressemblance
Vous qui frappez les yeux battants des cloches d'ombre
Visages renversés par tous ces oiseaux bleus
Verrai-je clair en moi si rien ne me ressemble
Déjà tu t'appuyais au balcon de mon cœur
Tu t'installes, tu es dans ma chair à toute heure
Il suffit que je sois pour que tu me répondes
Je t'écoute glisser lentement de mes doigts
Si je lève la tête il faut que je te voie
Etalée sur la nuit comme une dame blanche.
Présente
Loin
Sous les bâches du ciel
Avec le dernier train
Les villages sans téléphone
Et pour celui qui se souvient
Les fumées courtes de l'automne
Je suis là
Où tu sais
Dans les combes dorées
Et dans l'anonymat terrible des gibiers
Confondu
Ne sachant si la main est un signe
Ou si l'homme est pareil aux chiens aventuriers
C'est encor le moment de t'appeler
D'attendre
Un visage parmi les feuillages de cendre
Clairière, tu ne peux toujours te refuser
Je te soulève en moi
Je t'enveloppe d'arbres
Je te donne le nom de pays étrangers
Tu passes dans mes doigts
Tu mesures ma bouche
Tu m'appartiens déjà
Comme un nouvel été.
La cinquième saison
S'il faut nommer le ciel je commence par toi
Je reconnais tes mains à la forme du toit
L'été je dors dans la grange de tes épaules
Les hirondelles de ta poitrine me frôlent
Dressées contre ma joue les tiges de ton sang
Le rideau de ta chevelure qui descend
Je te cache pour moi dans la ruche des flammes
Reine du feu parmi les frelons noirs des âmes
Par l'automne épargnés tes yeux sont toujours verts
Les fleuves continuent de passer au travers
Ton souffle achève au loin le clapotis des plaines
On ne sait plus si c'est le soir ou ton haleine
En hiver tu secoues la neige de ton front
Tu es la tache lumineuse du plafond
Et je ferme au-delà des mers le paysage
Avec les hautes falaises de ton visage
L'étrave du printemps glisse entre tes genoux
Lentement le soleil s'est approché de nous
Tu traverses la nuit plus douce que la lampe
Tes doigts frêles battant les vitres de ma tempe
Je partage avec toi la cinquième saison
La fleur la branche et l'aile au bord de la maison
Les grands espaces bleus qui cernent ma jeunesse
Sur le mur le dernier reflet d'une caresse.
Fortunes
Tant de fois sur le point de refermer la porte
Désireux de partir et pourtant d'être là
Remettant son destin comme on fait d'un voyage
Visiteur assidu des sobres paysages
Revenu sans passé d'un monde sans éclat
Inutile d'aimer le vent qui nous sépare
Ce train de nuit lancé derrière son mouchoir
Et la fumée du sang sous les lampes du soir
Asseyons-nous ensemble
Partageons ce morceau de pain qui nous rassemble
Tu sauras tout prévoir
Le gel qui peut creuser le front comme les pierres
Les grands voiliers du feu menaçante lumière
Et mes rêves seront assez vastes pour deux
N'attends plus
Rejoins-moi dans cette chambre basse
Sourire si confiant qu'il ignore la face
Homme sans tentations montre-moi le chemin
Comme une image
Le soleil les roseaux
La pèlerine bleue du cher douanier Rousseau
Le monde
A peine une île
Tout cet amour donné par les mains inhabiles
La fleur peinte à l'envers
Et l'envers du rideau
Et plus haut que les yeux le cil bleu d'un oiseau
Beau matin de novembre
Avec toi
Dans le cadre en bois neuf de ta chambre
Les toits glissent vers nous
L'église de Lormont tremble entre nos genoux
Plein d'enfants sous la table
La fraîcheur et la joie de la première étable
Il n'y a pas un mot de vrai dans tout le vent
Pas un mot
Mais les yeux du nouvel arrivant
Je te vois à travers un ciel inimitable
Toujours
Tu peux bien m'enfermer
Dans la neige et les fleurs
Me défendre d'aimer
Une saison nouvelle
Je regarde le ciel
Et je te porte en moi
Tu sauves les vergers
Ton rire mieux qu'une aile
Apprivoise en passant
Une étoile égarée
Les lièvres les oiseaux
Boivent dans tes prunelles
Tu es toute la vie
La glaise et le feuillage
Si j'écarte le vent
Je trouve ton visage
Dormant comme un ruisseau
Plein de frai lumineux
Ta main va se poser
Sur ma plus haute branche
Tu plantes des bleuets
Tout autour de mes yeux
L'océan accompagne
Au loin ta robe blanche
Avenue privée
Hautaines rues touchées par la grâce des ronces
Il est une avenue déserte où je m'enfonce
Enneigée de sommets brunisseuse des toits
Une ombre me confère un profil maladroit
Mon Dieu je n'ai pas su conserver les distances
Entre le ciel et moi l'averse recommence
Une lame de sang me fracasse les doigts
Ce pavé est l'étang limpide où je me noie
A la fenêtre rit une rose équivoque
O fumée de la vie qui renaît de tes loques
Echeveau de clarté au faîte des chemins
Je m'étonne d'avoir une flamme à la main.
Les compagnons de la première heure
Lucien Becker Jean Rousselot Michel Manoll
Amis venus à la parole
Comme un bruit de moteur à l'orée du matin
Amis lequel de vous s'est réservé mes mains
A l'auberge du Gué du Loir
Tous quatre
On a tiré les lourds vantaux du soir
Lucien rapporte de Moselle
Ses forêts
Et l'alcool ardent de ses prunelles
De Poitiers à Vendôme
C'est Jean qui se promène au bras de son fantôme
Impossible à saisir comme les oiseaux froids
A Saint-Calais au bord du toit
Je reconnais Michel
En train de découper dans le ciel bleu des ailes
Pour le gué du sommeil
Et la Loire à passer
Bonjour au Gué du Loir
Les amis sont passés.
La parole
Voleuse
O perle noire enrichie d'étincelles
Ecuyère des mots
Trapéziste du sang
Lancée sur le circuit vertigineux du temps
Convoi de mon amour
Echarpe lumineuse
Je te perds
Je te prends
Je te mets en veilleuse
A nous deux
Dans la nuit sans hâte des cachots
Sur les marches du ciel
Sur les premiers tréteaux
Dans l'ascenseur doré de la lampe
Tressant la flamme avec les barreaux de la cage
Tu passes sur mes dents comme un givre léger
Tu n'as pas le dédain des souffles étrangers
Tu n'es que l'horizon des âmes
L'aventure
Le vent qui va plus loin achève ton murmure
L'arbre mêle ses bonds à ton élan sans bord
Et l'oiseau qui revient te reconduit au port.
Première traversée
Le col pris au lasso sous les bonds du soleil
Buffles déshabitués de vos tristes sommeils
Vingt ans que j'essuyais votre salive amère
Sur mes mains sur mon front Le long de mes artères
Coulait un sang brassé par vos noirs tourbillons
Et déjà je prenais place dans vos sillons
Visages au front bas fuyant sous les paupières
Ainsi je vous nommais visages de la terre
Mais tout va commencer puisque je sens les branches
Epouser librement la forme de mes hanches
Les oiseaux reviendront dormir dans mes cheveux
Un monde jamais vu voilà ce que je veux
Oublier dans l'élan mes infirmités d'homme
Reconstruire la femme à partir de la pomme
Salut flots vendangeurs première traversée
Je ne regrette pas ce monde renversé
J'arracherai pour moi les barreaux de la cage
J'en dresserai l'échelle au pied du paysage
Espérant dépasser le toit des horizons
Les vents emporteront les dernières saisons
Enfin la terre bat J'entends son coeur sonore
De grands espaces bleus rehaussent le décor
La mer monte à l'assaut des pistes enneigées
Le ciel laisse tomber sur nous ses grains de blé
Je parle couramment le langage des pierres
Seigneur tu m'apprendras à lancer la lumière
Que le jour désormais nous vienne du très bas
Qu'une clarté sans bord ruisselle de nos pas.
Long feu
Brières mes limons de tendresse
O mes cages
Pérous de la lumière
Iles saintes du feu
Les vols ensorcelés de mes canards sauvages
La chambre fortunée où j'en appelle à Dieu
Je revois tout
L'échoppe rose des aurores
Sur mes genoux il pleut encore
Combien de temps déjà
Combien de pas battant mes pas
Dans le miroir quelle rencontre
Mon coeur a fait battre la montre
Encore un soir où je m'en vais
Sur le grand livre des marais
Tracer les mots de mon enfance
D'un geste fondre les saisons
Au bercement des horizons
Et des hoquets de la souffrance.
Chercher Dieu
Impossible à fixer sur la croix sur la route
Ombre toujours plus vive et dépassant les yeux
Quel monde berces-tu dans tes noires corbeilles
Quel sang peut achever le profil de la nuit
D'un doigt levé vers nous tu pâlirais nos lèvres
Un seul regard vers toi abîmerait ton front
Mais courbé sous le toit terrestre de nos rêves
Il nous faut profiter des mains que nous avons
Des mains je vous fais Dieu lumière obligatoire
Filles qui cultivez ce carré de trottoir
Animaux mélangés au cours des créations
Et vous aussi vaisseaux de sève à la dérive
Rien n'est sûr si ce n'est le sommeil passager
L'étonnante moiteur de la ronce et des pierres
Et sur ma joue la pluie battante des paupières
Mon cœur allant bon train ce vogueur hauturier
Je m'abandonne à vous comme à des joies faciles
Epaules soupçonnées un instant de vigueur
Vous valez mieux que moi tremblantes que vous êtes
Et fatigué du ciel je vous confie ma tête.
Raison perdue
Parler des mers sans bord
Ecume au nom d'abeille
Neige désemparée
Qui tournes dans l'oreille
M'apportez-vous le frai
Que je désire encore
Le vent me brûle tout
Les poumons le visage
Et les couleurs jetées
Largement sur la page
Larmes que je n'ai pas
La douceur de sécher
Pas même sous la main
Les perles qui dérivent
Pas même d'horizon
Le sang change de rive
Il n'est plus de ruisseau
Le long de ma maison
Mes lèvres trop longtemps
Ont couvé sous la cendre
Jusqu'à mon coeur les mots
Ne peuvent plus descendre
Et n'ayant plus d'amour
Je n'ai plus de raison.
Homme mort
Moi qui n'en suis pour rien dans ma venue sur terre
Qui n'ai jamais appris les mots que pour me taire
Et marche lentement de peur de tout briser
Croyez-vous que je puisse encor vous satisfaire
Tant de mains attendues n'en valent plus la peine
Une heure d'amitié ne fait pas la semaine
Est-ce mon sang déjà qui teinte le pavé
Mon cœur découragé qui tire sur sa chaîne
A quoi bon ces matins sans hâte de l'enfance
Ces fausses libertés mes désobéissances
Les grains d'or du soleil au fond du sablier
Puisque toute ma vie est faite de silence
C'est là dans mon grenier derrière la fenêtre
Avec le ciel qui bouge au fond pour me remettre
Un instant dans le cycle effarant du passé
Que je serai tenté un soir de disparaître
Alors que vous importe un cri dans le naufrage
Le fardeau de ma joie est un maigre bagage
De la douleur, mon Dieu, j'en eus toujours assez
Mon ombre fut mon seul compagnon de voyage.
Nouvelles fraîches
Souvenirs de la mer
Le grand panneau du fond découpé par l'éclair
La vague abandonnée aux démons du parterre
La fumée des étoiles
Aux ras des flots le lustre éteint
Les voyageuses du matin
Plus haut que nous la robe ouverte
Le regard bleu
Les mouches vertes
Une heure après
L'espace blanc
Le beau gaillard est à l'avant
Ses mains mesurent l'entourage
Le vent se lève
Une autre page
Il est trop tôt pour s'attarder
Le monde va par coups de dés
L'étrave blesse les paupières
Creuse la route la lumière
Aucun regret des passeports
C'est l'aventure naturelle
Et plus nouvelle que la mort.
Fil à fil
Tremblante main sur mon visage
La douce fleur au vol ramier
La porte ouverte du village
Et le tremplin des marronniers
La jolie fille dans l'échoppe
Au bord du toit le nom vogueur
Le compagnon qui boit sa chope
Aux fraîches bières de couleur
Les barques fendent les paupières
Et le soleil sur son livret
Pour des partitions de lumière
Accorde un magique alphabet
C'est l'eau qui ferme la blessure
La place vide du combat
Et plus loin pour les impostures
Le visiteur qu'on n'attend pas
Rien de la vie que l'hirondelle
Accoutumée aux gens du bord
Le cœur qui ne bat que d'une aile
Sous la chaux vive du remords.
A la Chesnaie en novembre 43
Toujours seul avec toi dans la chambre de veille
Les guêpes douces du sommeil
Autour du feu
Autour de toi
Le sang qui jappe dans mes doigts
Je soulève les branches
Tous les oiseaux descendent sur la page blanche
Encore une forêt
Une lampe qui passe et secoue son duvet
Tu nous feras connaître
Il suffit d'allumer le ciel sous la fenêtre
Une prunelle au bord du toit
Pour les fleurs les enfants
Et les mains qui ont froid
Je pense a ta chaleur pareille à mon épaule
Aux printemps imprévus qui germent dans ton cœur.
Monts et merveilles
Soleil dont le plateau fait pencher la balance
Le vent dans les barreaux
Le premier pas de danse
Et la neige qui fond
Les liens qui se défont
La pensée qui descend lentement du plafond
Le sourire attendu qui lézarde la face
Seigneur il fait si beau
Comment rester en place
Je vais te réclamant sur les toits bohémiens
Pour t'appeler les mots ne viennent pas très bien
Mais de mes yeux tu vois j'apprivoise les anges
Les arbres et mes bras font un curieux mélange
Toujours plus près de toi
Conseillé par les fleurs
Ta main pressant la pomme acide de mon cœur
Je t'attends
Tu n'as jamais laissé un homme attendre
Pour t'aimer
Tu diras comment il faut s'y prendre
J'ai tant besoin d'amour
Mon Dieu, tu ne peux pas me rayer de ton cours
A Pierre Reverdy
Ami
Pour mesurer la parole et la fièvre
Je me penche
A la surface rafraîchissante de tes lèvres
Je traverse d'un bond les pampas de ton coeur
Sans aile je te prends tes plumes tes couleurs
Tu fermes l'horizon
Et le port de Solesmes
Je ne sais plus si c'est ton silence que j'aime
Le ciel sous le hangar
Ou le triste jardin comme un quai de départ
Je t'aperçois
Tirant vers la nuit ton échelle
La boucle de ton sang s'accroche à la tonnelle
Et tu dis
Suppliant les autres d'avancer
Regardez
C'est la vie qui vient de commencer.
La flamme verte
Soleil cage des blés
Volière des pervenches
Etable ensorcelée où ruminent les branches
Boulangerie du ciel aux mains des passereaux
Ah qui dira le cœur prisonnier des rameaux
Je n'ai jamais quitté les chambres de l'automne
Dans la rue c'est toujours cette même personne
Un peu drôle
Et traînant des fleurs sur le pavé
Comme si mon passé avait besoin d'aumône
Je m'endors dans le crin
Sur la pierre lavée
Pesant comme les bois
Comme les pâturages
Avec les vieux troupeaux étendus à mes pieds
Et tu montes vers moi
O flamme souterraine
Arbre des temps futurs
Dangereuse saison
Pour que mon corps jaillisse aux quatre coins des plaines.
Retour au pas
Jardins de mon chevet
Tulipes de l'enfance
Sables qui regrettez
Le phosphore des yeux
Je vous parle toujours
A la même personne
Je ne connais que vous
Cadastres du printemps
Vos bulles vos pigeons
Se roulent sur mon âme
Si je ferme les doigts
Vous perdez l'océan
Plus richement comblé
Que le ciel et la terre
Plus lourd que les viviers
Frissonnants de l'aurore
Sur les tréteaux du vent
Je me dépouille encore
Je suis nu comme vous
Pierres des nuits tranquilles
Hublots de neige ouverts
Dans la coque des monts
Arbres dépossédés
Des anciens héritages.
La charmeuse de serpents
Jaillie avec tes mains blessées tes mains coupables
Au bord de la prairie où j'ai dressé ma table
Plus meurtrie chaque jour par les buffles du temps
Pourquoi fais-tu tinter les grelots de mon sang
Tu es déjà marquée aux dents de ma jeunesse
Je savais la douleur bien avant que tu naisses
Bien avant d'avoir pris le soleil à deux mains
Bien avant les rosées premières du chagrin
Difficile mémoire ô porche des merveilles
Entends les trains de nuit rouler dans mon oreille
Les villes s'écrouler lentement sous mon front
Tandis que les enfants de mon âge s'en vont
Je veux que sur tes joues scintillent les avoines
Que ton coeur aux sillons de blé ouvre ses vannes
Qu'un bouquet de clarté enfin te soit offert
Entre le sol qui tremble et le plafond de fer
Apprends donc à chanter à dresser sur tes lèvres
Les merles les oiseaux délicats de la fièvre
Apprivoise et reprends le monde à son matin
La terre est pleine de saveurs fais-en ton pain
Charme les durs serpents des arbres les fontaines
Charme les fleurs et les ruisseaux charme ta peine
Que ton corps tout entier soit le doux sifflement
De l'eau qui a trouvé le ciel, son élément.
Testament
Dans le temps de ma vie
Je vous ai tout donné
Sur mes mains sur mon sang
Je vous ai promené
Pour vous plaire j'ai dû
Me soulever du monde
Eloigner mes poumons
Des cryptes enfumées
Reprendre au jour nouveau
Son butin de solfèges
Et ses vitraux couverts
De graffiti de neige
Peu d'années ont suffi
Pour voiler mon regard
J'ai pâli j'ai vieilli
Mon coeur a fait sa part
Dans la mansarde bleue
Qui me gardait des branches
J'ai vu mon front s'ouvrir
Sous une étoile blanche
Que voulez-vous de moi
Maintenant que je n'ai
Pas même pour saluer
La grâce des poneys
Dans le cirque des mots
J'ai trop fait de voltige
Trop d'oiseaux sont venus
S'appuyer à ma tige
Je ne puis rien pour vous
Pas même vous soumettre
A la lumière au vent
Au dernier kilomètre.
La maison du crève-coeur
Roulée par le soleil déroulée par la vague
Lissant son col mouillé aux fleurs des terrains vagues
Apaisant de son toit les tremblants horizons
Tandis que les rameaux se mêlent aux cordages
Que les fenêtres bleues guettent leur équipage
Appareille vers nous l'impossible maison
Son visage de craie pour cacher ses blessures
Nous regarde à travers des volets de verdure
Il chante. Au fond des yeux se devine l'oiseau
Une horloge qui bat dans les plis du rideau
Si l'on frappe son cœur toutes les voix répondent
Avec les noms marins venus des bords du monde
Le soir met à son front des guipures de sang
Et par la cheminée une étoile descend
Quel homme inconsolé l'a marquée de sa haine
Pour que sur le perron coule encore sa peine
C'est la nuit maintenant. A la cime des flots
Elle glisse. On entend s'envoler ses hublots
Nous passons dans ses bras nous descendons ses rampes
La poitrine trouée par une bonne lampe
Peut-être allons-nous voir derrière la cloison
Le soleil à la recherche de son gazon
Maison de solitude ô maison vagabonde
Toi qui flottes plus haut que la poussière blonde
Et tends vers Dieu tes joues plus fraîches que nos mains
Le ciel est dans tes murs montre-nous le chemin.
Quand tout s'en est allé
La vague et le cheval qui devançaient l'éclair
Les cadastres du sang
Les grands itinéraires
La lampe qui filait sous les tuiles des sources
Ce qui marchait vers toi
Et te rendait plus fort
Les pontons du soleil
La vedette du port
Tout cela dans la nuit
Tombé par-dessus bord
La mer s'en est allée refermée sur ses voiles
Dans les sillons du vent pourrissent les étoiles
C'est un monde trop lourd qui pèse sur ton front
Trop de fiels et de plombs
De sommeils et de pierres
Jetés sur le radeau limoneux des paupières
Tu peux te relever
Composer ton visage
Etaler tes deux mains
Comme un objet de prix
Vivant tu resteras
Un autre que toi-même.
Lormont
Pluie bergère des mains fidèles rue du Sang
Roi mage du vingtième siècle qui descends
Vers nous vers nos matins plus beaux que la remise
Où Marie accoucha Je traverse l'église
A ton bras comme un arbre en feuilles dès l'avril
Et des poissons d'argent jaillissent de tes cils
Celui qui nous reçoit c'est Jésus en personne
Et la grosse guêpe de son cœur qui fredonne
Tu t'approches de moi comme on gagne la mer
Tu as besoin de laine épaisse pour l'hiver
De sentir sur tes yeux les flocons de ma bouche
Et les rameaux de ma poitrine toujours verts
J'ai préparé pour toi ce long et long voyage
Tu es là dans les filets bleus de mon visage
Sur ton front rebondit la balle du soleil
O front blanc si semblable aux ailes du réveil
Au doux cocorico des fleurs et des lumières
Je referme sur toi mes larmes les dernières
Hélène il faut laisser descendre la maison
Sous la pluie de nos mains sous les rouges gazons
Du sang qui n'a jamais taché d'autre verdure
Que celle des vergers qui portent les saisons
Nous marchons. La campagne agite ses dentelles
Il doit dans les hameaux rester des hirondelles
De graves enfants blonds gaspilleurs de duvet
Des étoiles sans nom piquées dans les volets
Tout le ciel s'est donné rendez-vous sur nos têtes
Tes yeux ont poussé là comme deux pâquerettes
Je te prends dans mes bras et la route est fermée.
La nouvelle arche
Bien au-dessus des frontières
Vers la belle la douloureuse santé
Sur les grabats du ciel sauvés de la misère
Pour une simple identité
Ami de peu d'élan
Voyageur des eaux douces
Le soleil et ta main s'éteignaient dans la mousse
Et tu n'entendais pas le monde vaciller
Tout craque jusqu'aux fûts paisibles des montagnes
Le radeau des prairies emporte les campagnes
Les villes éventrées comblent les océans
Le tapis vert jaunit sous la carte du vent
Que dire des genoux retombés sur les dalles
Du sang qui donne au cœur l'inclinaison fatale
Des fronts où chante encor la scie du désespoir
De nos lèvres murées par tant de pierres noires
Dans la nuit
Dans l'air frais qui nous tend sa corbeille
Nous allons réunis
Nos mains n'ont pas sommeil
Et Dieu vient en voisin nous parler à l'oreille.
Feuillages
O feuilles lentes comme un essaim de paupières
Vous qui dansez sur le jet d'eau de la lumière
Des ailes retrouvez le grave mouvement
Et sur les fronts marqués de lèpres et de pierres
L'inclinaison du monde bleu le bercement
Il n'est plus de passants sous les toits de la ville
Sous les porches du soir aux lampes difficiles
Dans la gare interdite où sanglotent les trains
Faites qu'il soit pour nous un calme domicile
Au fond du ciel avec les brouillards du matin
Inquiets nous attendons les oiseaux de passage
Comme s'ils devaient nous rapporter nos visages
Transfigurés par les soleils du pays froid
Ceux des vieilles années ont laissé leur sillage
Plus profond dans nos cœurs glacés que dans les bois
Et je cherche à travers ton corps la transparence
La fleur de neige au bord des vallées de silence
Tes blanches mains crispées sur les harpes du vent
Quand je baisse les yeux le fleuve recommence
A rouler dans tes yeux les sables ignorants
Tu rêves les étés parcourus de fontaines
La grande migration des arbres vers la plaine
Le rajeunissement lumineux du troupeau
Pour qu'on ne sache rien de ta joie de ta peine
Tu rêves d'une fine écorce sur ta peau
Je m'avance vers toi bruissant comme un feuillage
Je suis en toi mon sang continue son voyage
Il ferme ton épaule il soupèse ta joue
Et quand j'ai bien sculpté ta chair à mon image
Une tige de blé sépare nos genoux.