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L'inconnue de la Seine
O tardive et si tôt épuisée ! lointaine épouse !
En ce printemps d'avant la Manne en cette année
De pêchers roses de violettes
O neige à moi!
Comme un gobelet d'étain dans le feu
Doucement fond! Gonfle la rive où dort encor la liqueur précieuse du frai
Dans les draps de Satan la blanchisseuse rêve
L'ouvrier fatigué laisse pendre sa main
Comme un fruit de la vigne
Tout doré de sommeil
Là-haut contre la treille éplorée du matin
Je passe sous des ponts endormis
Sous des chaînes de bateaux longs et plats
Je découvre Paris
Notre-Dame à genoux sur un quai de la Seine
Entourée de pigeons et de gamins maudits
Mais je veux m'en aller plus loin ! porter ma lampe
Comme un cœur difficile et triste d'émigrant
Sous la mer bleue pareille à une grande chambre
Tendue de toile peinte aux couleurs de couchant
L'Ecosse a des châteaux peuplés d'ombres qui mènent
Le deuil de leur amour en des salles fermées
J'arriverai un soir comme une humble marchande
Vendeuse de fruits d'or et de gants parfumés
J'entrerai je dirai : c'est la morte de France
L'Inconnue de ces nuits sans bords où vous hantiez
A travers bois traînant des filets à palombes
Quand la plus belle au monde était déjà couchée
Je ne suis rien je vous apporte le silence
L'apaisement et le silence et non l'amour
Comme un baiser de graine tiède que l'averse
Fait germer en avril sur le pavé des cours
Mais les oiseaux ont bu la neige les oiseaux
Chantent dans le jardin fleuri du couvent
Je ne serai pas une nonne vêtue de blanc
Tant qu'il y aura de l'eau dans les fleuves
C'est à mon amour en Paris
C'est au lilas de mon enfance
A la mansarde illuminée
C'est à ce piano mécanique
Abandonné dans les orties
C'est à vous tous que je souris.
Guy Bigot
Derrière
Derrière le mur
Là-'bas
Derrière l'hôtel de la gare
Derrière la mer
Au loin
Derrière la porte
Dites ! derrière
Derrière cette vie
Derrière le gros verre à vitres des journée
Qu'y a-t-il pour me rassurer?
Un mur de briques ?
Une porte ?
Le soleil arrêté
Comme un camion sur la route?
Qui de vous m'achèvera, Messieurs ?
Ah ! Ah!
Qui m'achèvera ?
Comme une feuille morte
Sous le pas du facteur
Comme un blessé de la dernière heure
A midi juste
Entre les lignes.
La nuit lorsque les femmes très pieuses...
La nuit lorsque les femmes très pieuses dorment
Et qu'un cheval se met à rire doucement
Dans l'escalier tourmenté de la lune
Comme un automobiliste en panne
Je voudrais
Tout seul
Attendant l'aube
Pénétrer dans une église de campagne
Je ne suis pas à même de comprendre
Les personnages de ces murs
Leur inquiétude est pourtant mienne
Et ça se sent dans la peinture
Jésus comptait trente-trois ans
Quand tu revins d'Abyssinie
Trente-trois ans le Paradis !
Trente-sept la sépulture!
Dis! Jean Arthur es-tu mon Christ ?
Tes quatre membres sur la croix
Fusées de ce feu d'artifice !
L'église est fraîche
Douce et bleue
Tabac en feuilles
Quand il pleut
O poésie !
Rimbaud ! Rimbaud !
Dans le soleil
Je voudrais mourir dans le soleil
Un jour d'été
Sans savoir pourquoi
Mourir
Tombé comme ça Loin des fermes
Sur la route une automobile
A toute allure conduite
Par une jeune fille
Un cheval blanc devant l'église
Une porte qui s'ouvre au loin
Et déjà cinq cents mouches
Un rat
Dans l'eau de l'herbe
Autour du ventre
Comme un sac plein de chats
Mais pas d'histoires dans les journaux
Pas de visites domiciliaires
Cette fois
Ah ! cette fois
Le mort n'est pas un héros.
Sylvain Chiffoleau
Les souvenirs que j'ai sont vagues de grand large
Qui retombent parfois sur les pays déserts
Hôtel des Chiffoleau ! tes chambres à cordages
Ballottent mon esprit comme un enfant des mers !
Je me souviens de litres bus
Je me souviens de longues veilles
Minuit! Tous les mots défendus
Au matin la puce à l'oreille !
Et toujours cet ami discret
Entrant sans bruit dans ma mémoire
" Le soleil est chaud, fait exprès
Mais c'est ta fraîcheur qu'il faut boire ! "
Nous avons marché sur des plages
A la recherche d'un pied nu
Les vivants de notre entourage
Ont trouvé l'idée saugrenue
Mais le soir dans ton triste hôtel
La Boule d'Or si bien nommée
D'embruns et de ciel embrumée
Roulait au fond de nos prunelles
Chiffoleau fils de Sylvain père
Le passé tient dans notre verre !
Oiseaux! balles perdues...
Oiseaux ! balles perdues
Dans le grand ciel d'octobre
Qu'un désir de clarté
A longtemps soutenus
Où allez-vous tomber
Sur quel pays profane
Bouclé de vents violents
Et de hautes ciguës ?
Je vous ai vus partir
Au début de septembre
Mélangés aux derniers
Fétus de la moisson
L'aile à peine mouillée
Par une nuit d'attente
Tandis que le soleil
Neigeait sur ma maison
Gardez-vous dans l'espoir
Insensé de croisières
Et d'espaces nouveaux
Sans cesse à mesurer
Le souvenir du toit
Profond comme l'ornière
Où le char des saisons
A longtemps hésité ?
Mais qu'importe à l'oiseau
Qui porte dans le rêve
L'abandon de son aile
Et les grands alizés
Le regret du poète
Et son amour pareil
Au doux vrombissement
D'un insecte doré
Voyageurs de ma vie
Qui parcourez sans peine
Cet océan de brume
Entre le monde et moi
Je reste à vous attendre
Au bord de ma fenêtre
Soleils tant attendus
Par les jours de grands froids !
Confession générale
Seigneur ! me voici peut-être à la veille de te rencontrer !
Il fera nuit ! Je serai là debout à la barrière du pré
Tu sais ! Comme dans ce tableau de Gauguin où apparaît le peintre
En gros sabots avec sa pèlerine de croquant que les pluies d'automne ont déteinte
Je t'attendrai Toi ou ton Ange ou quelqu'un de ton Cérémonial
Entre les quatre planches du ciel pareilles à un confessionnal
O Toi qui viens sur le chemin pour me parler et me confondre
Voici que le boîtier de ma vie s'ouvre sur les rouages de la honte
Et que tout mon passé dégringole soudain pauvre mur de bibliothèque
Livrant ses pages non coupées et nombre de dessins obscènes
Plus besoin de dissimuler ô mon Dieu ! plus besoin
De se donner des gants trop grands et le tintouin
De ressembler à travers soi à quelqu'un d'autre
Puisque ta main de sang me soupèse les côtes.
Cantique d'automne
C'est de ce lieu et de cette date comme Goethe écrivit jadis de Valmy
Qu'est né ce pays d'automne qui est aussi le domaine de l'esprit
Pas seulement celui qui fait courir Paris des Cabarets jusqu'au libraire
Mais cet Esprit semblable au Feu parcourant toutes les veines du tonnerre
Qui met l'angoisse dans les os à l'encoignure la plus propice
Pour éclater comme un tocsin parmi les fusées d'artifice
L'esprit couleur de corde et de journaux brûlés
Voici qu'il pleut sur les dahlias et que la grande allée
Du ciel est pleine de gens en grisaille et de fiacres
Et que les arbres à longs bras largement puisent dans le sang pour le surlendemain du Sacre
O routes empennées ! chevaux lents à venir
Que se passe-t-il dans l'officine de l'avenir ?
Que trame-t-on contre celui qui dans le belvédère de sa chambre
N'a pas le temps de faire mijoter sa cassolette d'encre ?
J'écris ce soir tout ce qui passe par la tête de Dieu
Et tant pis si je m'emploie de travers à résumer le Mélodieux
Peut-être au fond du temps qu'une bête demeure
Toute seule sous les remparts de la nuit
Laissez-moi écouter mon cœur
Comme une démarche amie!
Je songe à ces parents féroces qui poursuivent
Nuit après jour la liberté de leur enfant
Et qui le parquent dans des barricades de cuivre
Croyant le préserver d'un ange itinérant
Mais l'enfant possédé du désir de connaître
La longue pluie pareille au vol des oiseaux froids
Fait un faux pas soudain au bord de la fenêtre
Rejoignant les pays qui ne reviendront pas.
Que la lumière soit
O nuit ! salle d'attente où brûle un feu de lèpre
Vieille gare des pluies seule et désaffectée
Quel voyageur maudit saccage tes fenêtres
Qui baignent des prairies de panonceaux crevés ?
Serait-ce moi ? Serais-je un larron de moi-même
Bagnard d'un monde absous qui cherche à retrouver
Sous la pâle fumée des solitudes d'Ouest
La flamme et le parfum de sa demeure hantée ?
Nuit pareille à mon chant la vérité dispose
Du temps qui met un sexe à l'âme de l'enfant
Ce n'est pas pour les chiens que je métamorphose
En rose rouge l'étamine du couchant!
J'ai trop vécu sous le boisseau et dans l'attente
D'une nuit d'Idumée que de patients oiseaux
Feraient neiger sur les décombres de ma chambre
Comme un miroir promis à des soleils nouveaux.
Mais voici qu'aujourd'hui un homme entre les hommes
A choisi par-delà ses astres préférés
La planète déchue tombée comme une pomme
Sur la dernière marche de l'éternité.
Sur une toile de Guy
La maison où je voudrais vivre
Serait dans une toile de Guy Bigot
Avec des morceaux de lune sous les solives
Et une odeur épaisse de chevaux.
Mais comment nous tenir à deux dans cette chambre
Où l'on a mis toutes les pommes pour l'hiver
Entre les roues d'ustensiles monotones
Abandonnés depuis la Grande Guerre?
Qu'importe le sommeil si celle qui m'emporte
Dans l'osier de ses bras comme un enfant noyé
S'habitue lentement au mouvement des portes
Dans la maison de Guy aux murailles chaulées !
Le peintre qui l'a faite et ce pourquoi j'admire
N'avait pour se mirer que l'ongle d'un enfant
Gens du pays ! veuillez briser la tirelire
Où son génie puisa les ressources du temps.
Maison de mon ami maison que tu me donnes
Et que l'ombre promène en des lieux sidéraux
Tu ne seras hantée par Dieu ni par personne
Sauf par Hélène et moi et par mes animaux.
Le blues du mangeur de citron
Le blues que je chante n'est pas fait pour les gens de la ville
Le blues que je chante n'est pas fait pour les gens de la ville
Les gens de la ville ne comprennent que les choses écrites
Le blues que je chante je le chante pour les mangeurs de citron
Le blues que j'ai fait pour les mangeurs de citron
C'est en pleurant que je le chante
Car manger du citron est bien amer
Quand on ne partage pas avec l'épouse
Car manger du citron est bien amer
Quand on a traversé la mer
Le blues que je chante n'est pas fait pour les gens de la ville
Mais pour les grands singes de la forêt
Et s'il couvre tous les bruits de fouets et de machines
C'est que je le chante tout bas à mes fils
Le blues que j'ai fait pour les mangeurs de citron
J'en réserve un pépin amer
Le blues que j'ai fait pour les mangeurs de citron
Je ne suis pas seul à le chanter.
Amitié à Jean Jégoudez
Si vous m'aimez oh ! que ce soit difficilement
Comme on aborde un pays disgracié !
Je ne révèle ma tendresse
Que par les épines des haies
Amitié à Jean Jégoudez !
Il n'a pas craint de venir chez moi
A travers champs à travers bois
Par un matin jonché de neige !
Les dessins de mon ami sont comme les clés de Barbe-Bleue
Que l'automne a tachées
Et qu'un vieux garde-chasse entre deux verres d'une eau-de-vie très forte
Rapporte à la mairie du village
Le personnage central évolue
Dans un mystérieux conte de fées
Qui pourrait être tout aussi bien
Le plus poignant chapitre du Grand Meaulnes
Bonheur et honneur à ce peintre
Qu'un amour nouveau illumine
Son oeuvre est comme un beau pelage de bête
Abîmé par les chevrotines !