Paul Dirméikis interprétant Cadou.
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Ce que disait l'épicière de Saint Benoît sur Loire
Aveugle je suis pour vous voir
Disait la vieille en son fauteuil
L'épicière de Saint-Benoît-sur-Loire
Mais de Monsieur Jacob je me souviens bien
Allez du côté de la basilique
Et par la voie étroite
Avancez jusqu'au choeur
Vous le trouverez à genoux
A genoux est-il possible
Quand on est faible comme fil ?
Lorgnons d'or fin et gros sabots
Monsieur Jacob sait ce qu'il faut
On voit beaucoup gens de Paris
Hocher la hure quand il prie
Mais je sais bien moi qui vous parle
Que Monsieur Jacob ça lui tarde
De frotter l'huis du Paradis
Croyez-vous c'est un érudit !
Disent personnes bonnes à battre
Plus raisonneuses que savates
Monsieur Jacob moi je le sais
Et vous le dis sauf le respect
C'est Belzébuth dans un corset
Mais tel qu'enfin le clan adverse
Des Anges pareils à l'averse
Le considèrent le grandissent
En un sublime sacrifice.
Paille et velours
O profondeur ! Paille et velours dans la chapelle
Lumière éteinte et pas éteints et pour toujours
Quel est donc cet oiseau de marais qui rappelle
Comme un ange navré en cette fin de jour?
Odeur et profondeur ! Les niches ont des Saintes
Toutes petites avec des couleurs déteintes
Et je pense au service à fleurs de Soeur Lucie
Maintenant qu'elle est veuve et qu'elle a bien vieilli
Et qu'elle prie le soir ainsi que font les mortes
Près des portraits du Christ et d'Alain Barbe-Torte
Sur les lys épuisés Dieu semble rajeuni
Un Dieu d'avant le jeune et le Père en le Fils
Rayonnant de crins blonds mal peigné de la barbe
Et douloureux parfois comme on voit les guimbardes
Où restent accrochés des branchages d'azur
Dans l'angle du village appuyées contre un mur
O profondeur ! Soleil unique et chanterelle !
Voici vingt ans ! à pied vingt ans ! mais qui rappelle
D'un bout à l'autre de ma vie? Ah quel oiseau
Se distingue et me fait cette farce cruelle
De m'appeler à moi du fond de ses roseaux ?
Afin que je te loue mon Dieu que je rassemble
Pour une envie de fuir immédiate mes membres
Et que je te salue comme un bonheur nouveau.
Louis Parrot
Dans les rues de Poitiers
La nuit on entend rire et l'on entend crier
Frappe à la porte il frappe
Perdue la clé il frappe
Personne il frappe
Personne
La lampe et les dahlias
Le phonographe
Toujours le phonographe
Il pleut
Il est chez lui
Est-ce toi Ursule
La laide la seule
Ursule
Il pleut
Et au-dessus des toits la misère circule
Mais dans la grande nuit de Poitiers
La lampe et les dahlias
Le phonographe
Toujours le phonographe.
Me voici
Me voici dans la vingtneuvième année de mon âge
Avec beaucoup de litres vides derrière moi
Compte jamais réglé sur l'éternelle ardoise
Qui masque de son mieux la misère du toit
De feuillage investi comme un enfant posthume
Ah !c'est bien moi ! Je n'ai pas changé de costume
Et le rideau d'indienne qui m'épouvantait
Flotte à nouveau sur le vieux monde d'aujourd'hui
Et me voici dans la vingtneuvième année de mon âge
Où ce n'est plus tout à fait comme autrefois
Quand on vivait avec de bons sauvages
Aux fautes de français douces comme un patois
Mais le temps de s'aimer féroce et plus vivace
Lié dans son espoir aux graines de plein vent
Qui reniflent le sol épais où se ramassent
Les sèves et le sel d'un prodigieux printemps.
Quelque part
Oh ! quelque part dans une villa vide du bord des mers
Dis mon amour ! avec des fleurs dégénérées et des asters
Dans la maison d'un garde-chasse ou bien peut-être
Dans la petite chambre en bois blanc d'un vieux prêtre
Quelque part tout au fond d'un hôtel de province
Qui sent la suie mouillée le cuivre et les harnais
Ou plus loin si tu veux dans un pays malade
Et fréquenté des seules bêtes de forêt
O mon amour en cet octobre je t'emporte
A travers cette pluie de sang des feuilles mortes
Comme un enfant qui cherche à préserver le nid
Surveillé deux saisons La terre se chamarre
De garance et de pourpre et l'on entend les gares
Rappeler longuement les trains bleus qui ont fui
Que ce soit en un lieu très humble avec des lampes
Aux vieilles mèches difficiles à remonter
Des meubles bas de la poussière sur la rampe
Et des plumes en moins aux coqs du vaisselier
Car nous avons un goût tenace pour ces choses
Qui naissent de nous-mêmes singulièrement
Et les pâles soleils qui tombent du couchant
Ajoutent dans le temps à leur métempsycose.
Pensez, il en restera toujours quelque chose
Mon Dieu je pense à vous comme à un homme
Assis sur la dernière plate-forme de la Tour Eiffel
Et qui roule tranquillement une cigarette
Au-dessus de tous ces gens qui se noient
Voici longtemps que nous n'avons passé
Ensemble des vacances
La dernière fois souvenez-vous en
C'était très peu de temps avant la guerre
Quelque part dans un petit port de mer
Et vous partiez de bon matin
Serrant sur votre épaule un lourd paquet d'enlarmes
Plus tard oh ! bien plus tard nous dûmes nous retrouver
En novembre sur une route qui montait
Les bois étaient rouillés et il pleuvait
Des malfaiteurs revenaient de l'exercice
O mon Dieu ne trouvez-vous pas que c'est dommage
Lorsqu'on est comme moi amoureux de voyages
De vous attendre à la maison comme on attend
Le vieux facteur rural après mil neuf cents ans
Votre château du ciel ! mais c'est mon Athénée !
Athénée tu es le cinéma de mon enfance
La palissade du piano et le silence
Le grand chambardement dans la pièce à côté
Celle qui donne juste sur l'éternité.
Pour plus tard
Je pense à toi qui me liras dans une petite chambre de province
Avec des stores tenus par des épingles à linge
Bien entendu ce sera dans les derniers jours de septembre
Tu te seras levé très tôt pour reconduire
Une vieille personne qui t'est chère avec son vieux sac de cuir
Tu auras bu dans tous les bistrots autour de la gare
Tu auras peur soudain et tu rentreras dare-dare
« Mon Dieu pardonnez-moi d'être sans volonté
Je suis malade de luzerne et je fréquente les cafés
J'ai bu bien davantage que de coutume des absinthes
Mais Bernadette et Sueur Chantal sont mes Saintes »
Tu t'assiéras dans le jour maigre tu liras
Mes vers « O mon Dieu se peut-il que ce poète
Me mette des douleurs de ventre dans la tête
Que je m'enfante et que je vive en moi comme un posthume enfant
Qui souffre de rigueur et renifle en plein vent »
Et le Seigneur dira : Bénis soient de la gare
Les bistrots pour t'avoir redonné la mémoire.
Entre Louisfert et Saint-Aubin
Entre Louisfert et Saint-Aubin-des-Châteaux
Il y a un ruisseau qu'on nomme le Néant
On le traverse à pied sec
Les yeux secs également
Et l'on marche pressé dans cette nuit soudaine
Qui bave sur les bords
Qui fait mal aux pommiers
Vers un village épais comme un fond de citerne
Juste sous la gouttière de l'éternité
Ah ! que le vin est bon quand l'amitié propose
Qu'il est doux d'écouter et de humer le vent
Quand l'ami parle de canards qui se posent
Là-bas très loin à la surface des étangs
Et comme malgré soi on pense au Téméraire
Qu'on trouva un matin dévoré par les loups
Sur un étang gelé tandis que la lumière
D'un plafond gris et blanc tombe sur nos genoux.
Sans savoir que la nuit
Quand les soirs sont plus courts et que le ciel est comme
La calville qui est une espèce de pomme
Quand on est seul avec sa femme et qu'on entend
Dans la nuit les charrois bénévoles du temps
Attentif au fruit roux qui tombe, au moindre cri
Tiens Hélène ! voici la carriole d'Esprit
Dans la montée de Pont-aux-Moines qui ramène
Les bêtes et les puits qui ont brisé leur chaîne
Les chiens qui veilleront au pied de notre lit
Tout peut s'éteindre maintenant tu peux parler
O mon amour tu peux me dire que je suis
Coupable, me briser, tu peux me laisser là
O parfaite tu peux oser la lampe est basse
Les volets sont fermés chez les voisins d'en face
Et la carriole du boulanger est passée
Et c'est comme une nuit d'avant notre rencontre
Quand tu marchais vers moi sans savoir que la nuit
Se féconde et devine en elle son aurore
Noyée d'arbres d'oiseaux et de jardins fleuris.
Déménager
Triste vie
Auras-tu fermé la porte
A temps?
Souvent quand les déménageurs passaient
Dans leur voiture empanachée
S'arrêtant au 18 ou su 5 de la rue
Tu te taisais
Tu prenais l'air à la fenêtre
Aujourd'hui c'est ton tour, va !
Tu peux partir
Et loger sous les ponts douteux de l'avenir
Ne trouera plus la nuit
Ta lampe
Et le dernier feuillet
Dans la boue ramassé
Ira pourrir au loin
Sous les feuilles
Mais un feu toujours neuf
Brûle en la cheminée.
Je pense à toi Gilles...
Je pense à toi Gilles né en dix neuf cent soixante-quinze
Dans une famille très vieille France de province
Tu as vingt ans et le siècle est bien près de finir
Comme une vache maigre qui ne donne que son cuir
Mais déjà tu connais les trois-quarts de l'Europe
Et les quelques parties du monde limitrophes
Tu reviens sans plaisir dans la maison de tes parents
A l'occasion d'un service mortuaire ou d'un accident
Tu t'assieds près de ton père et tu trouves insipide
Sa lecture de Malaparte de Steinbeck ou de Gide
Quant aux poètes qui sont là sur les rayons
Privés de miel depuis O combien de saisons
Tu t'attaches sans plus à la face stellaire –
Pour l'anecdote - de Guillaume Apollinaire
Et tu ne comprends pas que le Pauvre Jacob
Ait pu grimper au ciel sans échelle de corde
Toi aussi tu écris des vers et les traduis
En quatre langues à mesure que tu produis
Tu as eu ton portrait dans le New-York Herald
Et tu brises dans le jardin des vieux des digitales
Pour bien montrer ta triste force et accuser
Ton refus d'être un homme et celui d'exister.
L'héritage fabuleux
Mon Fils ! Laisse-moi t'appeler ainsi
Encor que tu ne sois pas né
Soumis aux lois tardives des gelées
Au vent noir à la pluie grandiose de l'orage
Voici que je te parle ce soir comme à un homme
Quand la journée a été chaude et qu'on a bu
O mon absent définitif ! La vie est comme
Un peu de buée sur la cuirasse d'une bue
Je mêle ton enfance improbable à la mienne
Dans la chambre du fond à tentures d'indienne
Près des archives du passé qui sentent l'encre
Le carton imprimé la poussière de craie
Je t'emmène avec moi comme faisait mon père
Très loin derrière le mur bas du cimetière
Pour que je puisse parler fort sans qu'on entende
De l'autre côté de nous ma voix qui tremble
Peut être attendais-tu de moi d'autres paroles
Une attitude un peu moins veule
Et voulais-tu comme linceul
M'enrouler dans des paraboles ?
Mais tu vis à ton tour dans une école de campagne Parmi des livres démodés et des châtaignes
Et tu sanglotes près du feu quand je reviens
Très tard d'un monde obscur qui est déjà le tien
Il se peut que tu meures avec moi
Que nous n'ayons pour témoigner
Qu'une même tombe avec un rosier
N'oublie pas cependant que je te lègue
Quelque chose de fabuleux comme un village nègre
Dans la forêt voilà cent ans
Si l'imagination te fait défaut 0 mon fils pense
A un wagon abandonné
A une malle des Indes
A quelques fruits de coloquinte
Dans une coupe
Au fond d'une chambre.
Moineaux de l'an 1920
Moineaux de l'an 1920
La route en hiver était belle !
Et vivre je le désirais
Comme un enfant qui veut danser
Sur l'étang au miroir trop mince
O toi qui m'as connu mon père
Tu témoigneras pour moi s'il le faut
Dans le prétoire à peu près vide des années
Je ne suis point venu sur cette place ensoleillée où c'est la fête
Avec des intentions de sergent de ville ou de marchand de bêtes
Et s'il me plaît à moi de laisser rire
Et de pleurer tout seul dans l'allée
Qu'est-ce que ça peut faire aux juges ?
Dites ! Qu'est-ce que ça peut faire un enfant sous la roue
Quand il y a de jolies femmes sur les bancs
Et que l'air est particulièrement doux ?
Condamnez celui qui veille sur les lys et les absinthes
Les secondes lui battent dans le coeur comme des graines dé coloquinte
Je suis là pour tout accepter et je ne plaide pas innocent
je crois en Dieu parce qu'il n'y a pas moyen de faire autrement
Parce que c'est tout à fait extraordinaire
D'être né un jour de Carnaval au fond de la Brière
Où rien n'est travesti
Où tout se règle à l'amiable entre deux coups de fusil
J'ai revu cette nuit les compagnons de mon enfance
Qui pourraient vivre chantournés avec des barbes comme des crédences
Ce sont les prêtres de ma religion
Mais leurs fils ne sont pas dans le secret de notre Opération
Tu t'es fait des copains partout dans ta mémoire
Tu peux partir à jeun
Tu sais bien qu'au matin
Sous des pommiers
Dans la rue triste d'une ville
Quelqu'un sera debout qui te tendra les mains
Je voudrais vous rejoindre ainsi qu'un parent oublié et sans fixer de date
Mais votre continent est inconnu et les eaux sont trop profondes sur les cartes
Je songe à vous auprès d'Hélène en le fouillis de ma maison
Mais on ne refait pas l'histoire de Jeanne et il n'y a pas de raison
Pour que ce soit toujours le même qui entende
Le cri des hommes qui ont mal et le gémissement des plantes
Mille tendresses à vous tous
Que je ne connaîtrai jamais
Et je peux bien mourir en douce
Nul de vous n'en aura regret
Je suis debout dans mon jardin à des kilomètres de la Capitale
Je retrouve contre la joue du soir l'inclinaison natale
Les oiseaux parlent dans la haie
Un train sans voyageurs passe dans la forêt
Et ma femme a cueilli les premières ficaires
Quelques-uns de ceux que j'aime sont assis dans des cafés littéraires
Je ne les envie pas ni les méprise pour autant
Mon chien s'ennuie
Et c'est peut-être le printemps
Et tout à l'heure je vais jaillir du sol comme une tulipe
Vous achevez vos palabres aux Deux-Magots ou bien au Lipp
Je monte dans ma chambre et prépare les feux
J'appareille tout seul vers la Face rayonnante de Dieu
Ah ! Croyez-moi je ne suis pour rien dans ce qui m'arrive
J'ai vingt-neuf ans et c'est un tournant suffisamment décisif
Je connais vos journaux et vos grands éditeurs
Ça ne vaut pas une nichée de larmes dans le coeur
Abattez-moi comme un ormeau domanial au bord de la grande forêt rouge
Vous ne pourrez jamais rien contre ce chant qui est en moi et qui s'échappe par ma bouche
Que m'importe l'interdit des lâches et que mon Lied ne soit jamais enregistré
Il est porté par le bouvreuil et l'alouette jusqu'à la haute cime des blés
Buvez quand même 0 fils ingrats! buvez
Mes larmes et dans l'instant désaltérés
Crachez sur moi
Crachez bien droit
Comme des hommes
Cadou s'en moque.
D'où venons-nous? Qui sommes-nous? Où allons-nous?
1-
Dans la calèche emballée du sommeil
Dis ! vieil homme ! en cette nuit de printemps
Sur le route aux bourgeons nouveaux
Où me mènes-tu ? Où conduis-tu cet enfant
Qui dort sous l’épaisse couverture de voyage
Avec son pauvre rêve à ses pieds
Et l’allure accélérée du paysage ?
Ah ! Cocher ! Cocher ! Tu ris doucement dans ton manteau
Tu as vu la pluie d’avril dans les lilas
Et les pommiers s’allumer un à un
Sur l’océan plus calme des campagnes !
Belle nuit décidément pour qui veut vivre et qui le sait
Belle nuit pour un cocher
Mais pour cet enfant endormi ?
Qu’importe d’où je viens ? Qu’importe mon visage ?
Et que j’aie dû souffrir mille vies avant moi
Qu’importe ce printemps ! O cocher que t’importe
La grêle d’un poing noir dans l’orage des portes
Qu’importe si je paie mon passage et le tien
Ah ! Jette-moi contre la borne !
2-
Que suis-je dans ma vie ? Ah ! j’aurais dû noter
Quelque part sur un coin de ciel toutes mes courses
Ou comme un chapardeur de lune m’en tenir
Tout près du bord à des incursions en douce
Cet enfant que j’étais qui donc me le rendra ?
Que je le serre comme une brassée d’herbes dans mes bras !
Je vin qui bout ce soir dans les cuves du monde
A cette odeur de sang qui trouble les cerveaux
Mais ceux qui ont brisé les poignets de l’enfance
Voudraient-ils nous meurtrir et nous tuer à nouveau ?
Ah ! J’ai confiance ! J’ai confiance en cette vie !
Ce ne peut être en vain que les charniers fleurissent
Et que sur le miroir impalpable des nuits
Se profile la flamme éternelle des lys !
Laissez-moi seul dans le matin !
Laissez-moi parcourir
Le petit lotissement à vendre de l’avenir !
Mon Dieu ! C’est moi Cadou ! Je voudrais posséder
Ce carré de lupin et le monde à côté
Mais voyez-vous depuis trente ans
Je n’ai pas réuni la somme
Fait-on confiance à ses enfants
Quand c’est le Seigneur qu’on se nomme ?
3-
Je renonce au bonheur de vivre mais non pas
A celui d’être un homme effronté
Parodie l’harmonieux instant où tu es ivre
Et profère en rêvant des paroles sacrées !
Où allons-nous ? Vers quel butoir incertain de l’espace
Quelle petite vie au détour du matin
Qui renifle hébétée dans le café des tasses
L’indigent et cruel mélange du destin ?
Mais s’enivrer est vain et les pluies qui reviennent
Ont cette odeur de temps qui ranime les cors
Ceux-là qui font sonner les heures diluviennes
A l’horloge inexacte et stérile des corps
D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?
Avec des bleus aux yeux et des plaies aux genoux ?
Quand on a comparu sur les bancs de l’enfance
Et acquis sans effort l’acquiescement de Dieu
Ah ! Peut-on réfuter l’Admirable Conscience
Comme une manifestation du merveilleux ?
Mais qu’importe la fièvre et le Mot du verdict
Si la Terre aussi bien que le Ciel est unique !
La géorgique d'été
Comme un torchon qui brûle admirez la campagne
Tout en haut du grand mât paisible de l'été !
Les jupons du soleil moussent divin champagne
Dans les salons du vent pleins d'oiseaux irrités !
Toujours les lys ! Toujours cette blancheur diffuse !
Vierge végétale il est temps de gréer
Et de grandir en Dieu la ferme bienheureuse
Qui traîne son boulet de lumière à son pied !
Mes amis morts et toi maman mon père Georges
Vous êtes là comme une poussière de foin dans ma gorge
Vous me parlez vous m'empêchez de respirer
C'est peut-être pourquoi j'ai envie de chanter
Ah ! Chanter l'arbre et la noire hirondelle qui plane
Au-dessus de l'ennui comme un aéroplane !
Chanter le myosotis et la fleur de souci
Plus chaude que ma chienne avec ses six petits !
Les ormeaux du passé ont des feuilles plus vertes
Que la philosophie en pages des romans
Et les routes sans lieues pour une âme déserte
Ont des relais d'auberge autrement consolants !
Le teint de brique du village
S'adoucit d'un lys épanoui
Le ciel entrouvre son corsage
Sur mille petits seins blottis
Que l'Amoureuse - Dieu la garde !
Se donne en herbe dans les champs !
En levrette ou à la hussarde
L'été féconde le printemps !
Fille ingénue s'éveille épouse
Confuse encor de sa beauté
Sur le seuil les vieilles qui cousent
Se souviennent d'avoir fauté
« Tel été que me prit l'Eugène
Je m'en allais sur dix-sept ans
Faut pas compter sur les parents
Quand on a levé dans la gêne ! »
Beaux yeux battus de l'églantine
Et les mamelles du sureau !
Mon Dieu ! mon Dieu ! Qu'est ce qu'il me faut
Pour que ma chair tienne tranquille?
J'ai signé des poèmes tristes
Magnifiant la nuit des banlieues
O Poésie dit-on pas mieux
Le moineau sur un toit d'église
Quand il a plu dans les jardins
Que la rosée pure sandale
Soulève à peine les pétales
De l'aurore sur les chemins?
Le ciel de la mi-juin pour qui chante les Nombres
Et les secrets rapports entre le monde et Soi
S'éclaire en fin de jour d'un vol bas de colombe
Qui souligne sans bruit la misère du toit
Entrouvre la fenêtre et souviens-toi de vivre
Quand circulent dans l'air mille insectes nouveaux
Voyelles toujours bleues de l'Admirable Livre
Dont le miel de l'année parfume les cerveaux
O Poète il est temps d'adorer sans mélange
Les manifestations sanglantes du couchant
Le démon de l'amour n'est peut-être qu'un ange
Que l'été a chargé d'un pouvoir dévorant.
Hommage à Pablo Picasso
Où le pinceau de Picasso a passé la peinture ne repoussera plus
Je veux dire la peinture dérisoire qui est la honte de tous les gens du cru
Le Malaguène est tombé comme un vautour sur les terrains d'équarrissage de la France
C'est d'une orange et de bleu-roi que ce monstre d'amour fait sa pitance
Ce fils de Toulouse-Lautrec passablement bàtardé de la Goulue
Dans ses primes années ne fut pas autre que le Gréco le voulut
Et quant à la leçon posthume du sieur Ingres
Max Jacob dit : Pablo n'est point artiste-pingre
Donneur de sang ! Donneur à voir ! Par lui-même exalté
Le peintre se veut libre dans l'éternité
Brisant la règle d'or et retrouvant la ligne
Faussée pendant mille ans par la grâce du cygne
Toujours à l'opposé de qui le voit grandir
La main sur le plumage maigre d'un oiseau-lyre
Il étrangle dans l'oeuf le poussin de la gloire
Et peint des arlequins-martyrs de mémoire
Pablo Picasso règne ! A soixante et huit ans
Le vieil Indien fait voir au monde idiot ses dents
S'il est des lions couchés dans les cages du Louvre
Il est des portes de prison qu'il faut qu'on ouvre
Et c'est l'honneur de Picasso d'avoir ouvert
A coups de poings sanglants de cubes et d'éclairs
Le Paradis d'un temps fasciné par l'Enfer.
Mémoires
Le gaillard qui m'emmenait avec lui couper l'herbe à perdrix bâcler les foins du côté du Calvaire
Le vieux peintre Baudry qui barbouilla Marat dans sa baignoire avec un assortiment de couleurs sévères
L'un des deux est mort sûrement et quant à l'autre il a laissé le soin à son fils
D'étendre les feuilles d'iris sur la route et de préparer la roue du feu d'artifice
Victor le garde-chasse aurait quatre-vingts ans
Mais toute l'eau qu'il a bu lui a fait mal avec l'anis qu'il ajoutait dedans
Il est couché dans le soleil et pour ce qui est de son chapeau melon il n'ira plus à personne
Quand un verre roule sous la table c'est comme le repos de son âme qui sonne
Qui dira maintenant le poète que je suis devenu
Que la ronce et l'ortie me brûlent la gorge comme un souvenir ému ?
Ai je cherché la gloire et la voie du scandale
Pour vous rejoindre O morts de mon pays natal ?
Ah Soeur Chantal vous qui êtes près de Dieu et qui bien me connûtes
Dites-lui que mon enfance est tendue sur moi comme les cordes d'un luth
Dites-lui que je n'ai aucune raison de me plaindre et encor moins de L'oublier
Que le bruit de ses mains sur la Croix est dans mon âme comme les feuilles de laurier
Tendres parents qui m'avez mis au monde avec ce coeur amoureux et si faible
C'est à vous qu'à travers l'espace je dédie chacun de mes poèmes
Vous ne m'avez point appris ni les façons de l'écrivain ni l'art de faire des vers
Mais je suis sûr de ne pas me tromper quand je vous chante dans les manifestations de l'Univers
Et ce cri qui monte ce soir vers vous comme un oiseau en flèche dans le silence
Dites ! Oh ne dites pas surtout qu'il n'est point la preuve attendue de votre présence.
Après Dieu le déluge
Pater noster qui es in coelis
Au milieu des lys et des myosotis
Sanctificetur nomen tuum
Par les sacripants et par les brave-hommes
Que ton règne arrive et que ta volonté soit faite
Sicut in caelo et in terra
J'ai réuni les lampions de la fête
Bien malin qui les éteindra !
Panem nostrum quotidianum da nobis hodie
Ne nous condamne pas à manger les lacets de nos souliers
Nous n'avons pas quitté les rives de l'enfance
Oh ! pardonne-nous nos offenses
Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont enfoncé
Dans la poitrine ce goût de vivre comme un clou rouillé
Et nos inducas in tentationem
Les présents de Dieu faut bien qu'on les aime !
Sed libera nos a malo
Et de nos esprits animaux
Ainsi soit-il ! Ainsi soit-il !
Crois-tu donc que ce soit facile ?
Source de vie
Ah !quelque part ! là-bas ! être à genoux tout seul dans la crypte
Linge blanc ! lys ! odeurs ! fraîcheur !
Ou bien peut-être près d'un ruisseau à écrevisses
Tout au fond d'un pays meilleur!
Toujours le désir d'embarquer des jarres de vin fort et frais pour les îles
A cause de ce coeur qui bouscule les minutes au lieu de se tenir tranquille
Quels boeufs ! quelles blouses bleues entre le monde et moi !
Ah ! quels marchands ! quels gens à sous!
Mais la voiture d'une petite idée verte dans l'allée
Avec une gentilhommière au bout !
Et qu'est-ce après tout qu'un poète acagnardé dans la campagne
Sinon l'édifice de liège au sommet d'une bouteille de champagne ?
Que l'oeuf rouge du ciel sur le jet d'eau du temps
Explose ! La coquille est précieux récipient
J'y bois l'ombre des bois et la rosée pareille
A la goutte de sang sur un lobe d'oreille
O fruits comme des seins à peine formés
Quelle douceur dans mes deux mains !
Puissé-je un jour te retrouver
Profondeur des viviers d'enfance !
Les carpes du soleil agitent
Les fonds terreux de l'avenir
Pour une grenouille qui chante
Combien d'oiseaux qui vont mourir!
Voici qu'on repart à nouveau
Vers une destinée plus vaine
Toutes les gares du réseau
Ont déjà fermé leurs persiennes
Mais quelque part là-bas dans la mémoire d'un jeune homme
Dont la tête penchée est comme un géranium
Quelle fraîcheur dites ! Quelle tombe à surseoir !