Sommaire
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Terre natale
Aujourd'hui ou jamais
Tes paumes voyageuses
Retiendront mon visage
Et je t'appartiendrai
Du plus loin du plus près
Douce marée qui monte
Bouche dure entravée
Par ces corps sans rivets
Je sens ton souffle noir
A deux doigts de ma gorge
Chaque heure tu me pousses
Un peu plus loin en moi
O fleurs tachées de sang
Terres plantées en hommes
Miracle des chevaux
Palissade des blés
Le matin a levé
Ses écluses de gaze
Décor de passereaux
Sur le fond des vallées
C'est à vous que je vais
Collines-Babylone
Roseraies suspendues
A ces ailes fermées
A vous aussi jardins
Complices de l'enfance
Où veille nuit et jour
Un paisible gardien
Adieu toits bouleversants
Où nichaient nos misères
Etages surpeuplés
De mages et d'enfants
Ville froide étendue
Sur tes débarcadères
Orgues des cheminées
Oublieuses du vent
Enfin c'est bien fini
Mes mains me reconnaissent
Et je porte à mon coeur
Un peu de laine épaisse
Aujourd'hui ou jamais
Chaleur de mes vingt ans.
La grande vacance
Tendres fruits de mes yeux
Fougères du regard
Voici que le sang bouge
Et que déjà repart
La terre
Les jardins sont fleuris
Et des roses cratères
S'échappe le miel blond
Où j'aiguise mes mains
Des hommes bordent les chemins
Mais si j'avance encore
Je suis pris dans le ciel
Au fond des dragues d'or
Alors je reste là
Sans ride sans murmure
Soulevant dans mon sein
Des caissons de verdure
Et quand l'heure a fixé
Le soleil à son pôle
Je m'enfuis emportant
Mon ombre sur l'épaule.
Europe
Nuit partout
Le monde est plein d'ombres qui marchent
Sang noir, coquelicots, ruisselez sur les marches
Un cadavre inconnu empoisonne les blés
Il y a des femmes qui pleurent
Un vieux casque rouillé où sont poussées des fleurs
Les odeurs de la terre
L'oeil brillant d'un fusil sous les cils des bruyères
Et la main qui retient les paupières du feu
Les uns forcent les neiges
D'autres ont pris la mer au sortir du collège
Quelques-uns crucifiés saignent dans les haubans
Dieu a quitté la cène
On manque de pain blanc
Ah dormir dans les branches
Mais le ciel à son tour livre ses avalanches
Salut les passereaux
L'écolier dévidait son cœur sous son sarrau
Garde ton beau visage
Le dernier coup de feu sauve le paysage
Et ton bras se soumet aux amis de passage.
Marée montante
Plus loin que l'œil
Au fond des torrides mémoires
Au fond des ruchers blonds alourdis de butin
La mer change l'allure et les draps du matin
Rien dans les mains
Rien dans les voiles
Pas même au bord du ciel
Un taffetas d'étoiles
Seulement la maison qui ferme le chemin
Je danse sur mon sang
Comme un danseur de corde
J'ai rompu dans mon cœur
Le pain noir des discordes
Et tous les jours passés
C'est encor mon destin.
Ciel de Pâques
Soleil
Bien plus que le soleil
La tête en haut de l'arche
Et le sang frissonnant qui coule sur les marches
Le miel bleu descendu dans le coeur des vergers
Les langes du couchant à peine ravagés
Et la main de l'ami qui bat
Comme une enseigne
Voici le ciel ouvert sur les neiges qui saignent
Décombres de lilas appuyés sur le champ
Hirondelles perdues
Fantômes attachants
Et tes bras saisonniers aussi lourds que l'averse
Arrêtez le soleil
Je tombe à la renverse
Et déjà mes poumons se remplissent de fleurs
Ah que se lève en toi cette obscure douceur
Que tes yeux dans mes yeux tombent en larges flaques
Plus fidèles que nous
Sont les cloches de Pâques.
Amis les anges
Au seuil du feuillet blanc
C'est ta main qui m'accueille
Derrière « Amis les Anges » on coupe les lilas
La nuit s'arrête là
La mer secoue ses branches
On entend les oiseaux descendus sur les planches
Ta voix s'est effacée
Mais la roue chante encore
Une larme a suffi pour changer le décor
Tu vois
Je me rappelle
Un jour
Ce fut le coeur tout bruissant d'étincelles
Et le vent où tintait la cloche des départs
La porte s'est fermée
Ma lampe a brûlé tard
Sur la table vernie j'avais laissé ta part.
Poème à Alain Gerbault
Tu n'es pas fait de la même glaise que nous
C'est un autre torrent qui brise tes genoux
De quel monde inconnu tiens-tu ces belles hanches
Ces colombes de sel qui nichent dans tes branches
Ton pas n'a pas franchi le seuil de nos prisons
Tu ignores le gel et le nom des saisons
Et tes bras sont peuplés de voyageurs étranges
O toi dont la peau sent le soleil et l'orange
Qui traces ton sillon dans le sable des mers
Connaîtras-tu jamais nos sourires amers
Nos épaules fanées ces poitrines fragiles
Et les relents d'acier qui ternissent nos îles
Tu marches sans compter dans l'écume et le temps
Dans l'air où tout est clos personne ne t'attend
La chambre où tu es né glisse sur ses persiennes
Mais c'est une autre odeur qui flotte que la tienne
Ami féroce et blond sans étoile et sans port
Tu n'as pour passager que ton coeur à ton bord
Plus loin que l'horizon dans les steppes d'eau verte
Peut-être cherches-tu quelque vague déserte
Ou quelque liane d'or pour y nouer ton sang
Tes cheveux sont poudrés du soufre des tempêtes
Le flot ronge à demi l'écorce de ta tête
La voile monte haut sous ton hâle puissant.
Que t'importe aujourd'hui nos plaies et nos frontières
Tout se donne ou se prend entre le ciel et l'eau
Le jour qui s'est levé gicle dans la lumière
Et tu es plein d'éclaboussures Alain Gerbault.
Job
Laissez-moi la lumière
Ce visage étonné où je baigne mes mains
Et ma couche de pierres dans le frais du chemin
Pour aujourd'hui pas davantage
Je porte sur le dos la laine des orages
La flamme du torrent réchauffe mes genoux
Ce matin le soleil s'est levé entre nous
Et de la terre où monte une obscure tendresse
Un arbre cherche au fond des nuages
Sa caresse.
Tous les ruisseaux vont paître en chantant les gazons
La femme se dévêt au pied de la maison
Des coqs étincelants pavoisent les casernes
Et toi
Dont le coeur est une sourde lanterne
Tu marches sans souci des feux de l'horizon
Ah je puis bien parler de mes mains
De mes larmes
De cet immense amour
Car c'est tout ce que j'ai
Ma tête est couronnée de roses et de ronces
A chaque pas mon Dieu c'est vrai que je m'enfonce
Un peu plus dans le ciel
Pour moi se lève encore la poitrine des herbes
Une place est gardée au milieu des brebis
Et les étoiles font comme un vol de perdrix.
Place Bretagne
Est-ce toi qui reviens et défroisses la porte
O vrilles de son sang fleurissez l'escalier
Mais la fée qui chantait dans la serrure est morte
Rien ne remplira plus mes paumes délabrées
Où es-tu maintenant à quel anneau d'auberge
Auras-tu attaché ton cheval de bonheur
Pour quel Orient nouveau as-tu quitté la berge
Pour quel siècle doré laisses-tu passer l'heure
Je ne te cherche plus dans les ports et les bouges
Ni devant cette table où s'allumait ta main
Tu es loin dans la nuit et le ciel est tout rouge
Parce que ton beau corps saigne aux quatre chemins
Poète crucifié par ta volonté même
Pâle de ta pâleur amoureux de tes clous
C'est ta croix que je porte en portant le poème
Et je n'avance pas si je marche à genoux
O visage hivernal où se nouait l'aventure
Où te retrouverai-je ailleurs que dans ces murs
Ailleurs qu'entre cet air et cette saison close
Et sur ma douce épaule achevant ton murmure
Tu ne jailliras plus au tournant de la lampe
Au bord des vagues d'or qui bercent le plafond
Les lampes sont fanées la douleur suit la rampe
Et ton regard se perd dans les yeux trop profonds
Prunelles endormies de la Place Bretagne
Où vacillait jadis le coeur de mon ami
L'ombre a tout effacé Lentement je m'éloigne
Celui que j'attendais ne viendra plus ici.
Le forçat mutilé
Feutre des souvenirs
Paupières ô tourterelles
Chaume du coeur couvert
De limons et d'années
Me rendrez-vous mes mains
Clémences saisonnières
Toujours entre les yeux
Le toit bleu qui voltige
L'épaule et la mansarde
Havres de mon amour
Et la mer ses goélands
Sur les plus hautes tours
O femme que j'avais
Cernée de tiges molles
Enfant qui bondissais
Dans son ventre léger
Me reconnaîtrez-vous
Si je force la porte
C'est un homme qui parle
Entre les autres hommes
Et cache dans sa voix
Une âme mutilée
Ah rendez-lui ses mains
Il a beaucoup pleuré.
Reprendre pied
Ecartez-vous de moi sinistres de l'enfance
Visages maquillés où tournait l'aventure
Il est temps de hisser la grande voix des hommes
Terre où j'aurai vécu glisse entre mes genoux
Nous avons trop roulé dans les goudrons des villes
Héros inattendu d'une mort tranquille
Qui tracera jamais une croix sur mon front
Je serai dans le ciel près de la porte ouverte
Mais tu m'arracheras les yeux en pure perte
Hublots sertis de bleu maintenant je vois clair
Mon sang est traversé d'étoiles et d'éclairs
Et si j'ouvre les bras de blancs rayons s'envolent
Seigneur confondez-moi par vos bonnes paroles
Arrêtez les chardons les orties du chemin
Baignez de pleurs de joie les bords du lendemain
Que notre règne arrive
Et que l'air soit secoué d'une peur délicieuse
Reviens sur le tapis belle main moissonneuse
Tu n'emporteras pas la page tachée d'or
Tout reste entre la lampe et ma triste figure.
Le premier homme
Visage de douceur
Animal et charnu
Regard tissé d'épis
De graves étincelles
Oh la tête d'un homme
A peine reconnue
Mais déjà sur le bord
Du sillon s'abandonne
Un pied lourd et marqué
De récentes douleurs
Et le corps tout entier
Suit la vague du cœur
L'épaule continue
Le clapotis des hanches
O front teinté du sang
Limpide des sommets
Pique à ces tempes bleues
Une étoile à cinq branches
Il est sur le chemin
L'églantier de la terre
Obscur jaillissement
De la chair et des mains
Aurore morfondue
Dans les plis du mystère.
Soie naturelle
Prunelles graminées
Robes de blanche écorce
Eaux calmes
Pilotis d'un ciel imaginé
J'octobre dans la ville ouverte
Où je suis né
Croix peinte de rosée
Fenêtre qui supporte
Et mon corps
Et l'élan de ces mains retardées
Efface les silos de lune sous la porte
O soleil épagneul allongé sur la terre
Que tu sois
Pour la langue épaisse des meulières
Et jusque dans le oeeur ahurissant des blés
Ce matin ma maison s'est levée la première.
Cicatrices
Je ne résiste plus à ce cœur qui me blesse
Au souffle qui retient mes lèvres éventées
La pâleur de mon front suffit à ma noblesse
Et rien sinon la nuit ne peut plus me tenter
J'ai secoué les livrées les cris de mon enfance
Dans le vent matinal où glissait l'horizon
Mon remords et le miel avaient un goût de rance
Les oiseaux avaient mis le feu à ma maison
Prairies qui dérobez l'écran bleu des collines
Couchez-moi dans les plis robustes de vos seins
Lentement sur la croix mon ombre se dessine
Et j'ai perdu les clés magiques du chemin
Adieu belles épaules ô vergers de ma peine
Et toi source de lait où j'attisais les mots
Il fait clair dans mes yeux mais ce n'est plus la peine
J'ai la lourde douceur des autres animaux
Je vis au ras de terre dans les avoines folles
Mêlant ma bouche amère aux rouilles des sillons
Inutiles les mains les poses les paroles
Mais seulement la scie musicale du grillon
Une étoile a tendu ses rets dans le feuillage
La lampe s'est brisée en sautant le rideau
Terre bourdonne encor. Roule tes coquillages
Et que ton noir soleil soit mon Eldorado.
Odeur du jour
Je serai là
J'attendrai
La poitrine écartée de tes mains et des ronces
Le front toujours tranché par un rayon nouveau
Maintenant la maison s'en va à la dérive
La table a des remous et des reflets d'eau vive
La lampe descendue aiguise le matin
Tout est clair
On entend ton nom sur le chemin
Les yeux changent de face
Plus près de moi se lève
Une ombre douce et nue
Le soleil fait la roue
La houle diminue
Six heures
Au pied du lit
Une tête inconnue.
Haut cheval sur le mur
Haut cheval sur le mur
Etoile de naissance
Tu conduis l'horizon
Mais ton amour n'est plus
A la taille de l'homme.
L'esprit du feu
Feu
Devant lequel je suis seul ce soir
Avec mes mains et cette armure végétale
Où se brise mon sang
Profitons du moment
Pour tout dire
Steppe rouge beauté
Lassos de tendre chair
Je suis le cavalier qui traverse cet air
Où le fauve bondit dans les cercles de flamme
Feu sur moi sur mon front
Dans mes yeux difficiles
Et sur la vitre lourde éclaboussée d'embruns
A travers ces doigts joints
Ces armures éteintes
Est-ce toi beau pays perdu qui me reviens
O terres dévorées de houblons et de vignes
Hectares de soleil arrachés à mes pas
Je vous tiens dans mes yeux
Et vous n'en sortez pas
C'est ici ma maison
Et ton si haut visage mon père
Le clocher dans le ciel au fond d'un pli sévère
L'auberge parcourue de femmes et de chevaux
Sur la joue du couchant La paume d'un ruisseau
Et mes bras suspendus à ces arbres qui saignent
Passager c'est ici que commence mon règne
Enfant nourri de ciel à genoux sur les toits
Apprivoisant Jésus dans la glu de sa croix
Jamais las de passer sur son coeur une éponge
Seigneur
Et ce printemps fut son premier mensonge
Feu si lent à mourir
Rideau d'algues et de gaze
Quelle ombre sur mon front
Vais-je me repentir
Voici des casinos et des amis sans âge
Les sentiers de la mer où je vais en pleurant
Le vent de sel qui me rend
Mon paisible langage
Regardez
J'ai peuplé d'un geste ces vitraux
Voici l'enfant divin à l'abri sous l'agneau
Sa mère reposée dans le regard des mages
Et Joseph déchirant le ciel
Comme une image
Tout mon passé à l'eau
O mer pour qui j'ai fait ce retour en arrière
Me reconnaîtras-tu si j'ouvre la barrière
Et si je tends la main à tes dieux sidéraux
Mais non
Et c'est la ville au fond qui me harcèle
Le tourbillon des rues qui me remet en selle
O mer je meurs de froid
Partage ton manteau
Il fait clair sur le monde
Et sur la Sainte Face
Mon Dieu crucifiez-moi à la porte d'en face
Que je voie seulement le soleil se lever
Je tire sur mes yeux le rideau des collines
Je veux beaucoup d'oiseaux picorant ma poitrine
Et ces prunelles bleues où paissent vos troupeaux
C'est un adieu pour vous étages sans tendresse
Lumières sans duvet
Quatrièmes vitesses
Lentement je m'assois au soleil
Et je ris
Tous les murs écroulés
Les épaules trop basses
Je vois
Et c'est curieux dans l'air tout ce qui passe
C'est d'abord un jardin où sommeille l'enfance
Des roses mutilées parodient la souffrance
Des portes en s'ouvrant assombrissent les pas
Puis c'est un homme seul qui s'avance
Et qui saigne
Il est beau
Car le sang lumineux qui le baigne
Touche son front si blanc que rien ne ternira
Enfin voici le feu
Où je brûle mes ailes
O mains mes pauvres mains effroyables gazelles
Arrêtez ce flot noir où mon coeur se repent
Je veux vivre à tâtons
Dans l'ombre de moi-même
Ne savoir jamais plus
Le nom de ce que j'aime
Puisqu'au bout de la nuit
C'est toi qui me reprends.
La vie rêvée
Si la vie n'était pas
La seule la première
A quoi bon la rosée
Sur le front du matin
La croix serait levée
Plus haut que ton visage
Gouffre d'ailes et de bleu
Ravisseur du chemin
Et rien ne resterait
De ces tremblantes larmes
Qu'un peu de sel amer
Au fond de tes deux mains
Mais les oiseaux sont là
Sous les palmes obliques
Un arbre cache au ciel
Ses épaules gothiques
La rampe du rosier
Dérobe la maison
L'agneau cherche plus haut
Son miel et sa toison
Tout le jour écarté
Quand s'allument les fleuves
C'est l'homme au fond des cours
Qui déplie sa peau neuve.
Jour de Dieu
Tu ne reviendras plus dans le chaud de l'étable
Tandis que tes deux mains saignent sur les rosiers
Tu vas et tu souris
Les pampas de tes yeux soulèvent des gazelles
Soudain les arbres font un doux cliquetis d'ailes
La cloche du souper berce le monastère
Je marche près de Toi
Ta croix est plus légère
Et nous nous arrêtons souvent sous les tonnelles
On parle à ceux qui boivent
La femme qui mendiait son fils était bien brave
Tu te souviens Seigneur
Celui qu'on a trouvé
Avec un gros bouquet de sang sur le côté
Tous les cours se dérident
Tu es loin
Et la croix a laissé un grand vide
Mais ta photographie est sur la cheminée.
Mouvements respiratoires
Poumons mes deux ramiers
Lumière de ma gorge
Ainsi mon sang se noue
Au sang lourd de l'horloge
Ainsi les ailes vont
Pourrir dans les halliers
La terre a des frissons
Sous ses tempes de pierre
Le passereau dérobe
Un grain d'or aux paupières
Mais la main se consume
Au bord du cendrier
Loin de mes yeux déjà
S'enveniment les voiles
Le vent secoue la neige
Eparse des étoiles
Et je vis lentement
Comme un germe oublié
Je vis de peu d'amour
Seigneur je suis sans ride
N'ouvrez pas sur mon front
Les espaces livides
N'ouvrez pas dans mes yeux
Les portes ignorées
30 mai 1932
Il n'y a plus que toi et moi dans la mansarde
Mon père
Les murs sont écroulés
La chair s'est écroulée
Des gravats de ciel bleu tombent de tous côtés
Je vois mieux ton visage
Tu pleures
Et cette nuit nous avons le même âge
Au bord des mains qu'elle a laissées
Dix heures
La pendule qui sonne
Et le sang qui recule
Il n'y a plus personne
Maison fermée
Le vent qui pousse au loin une étoile avancée
Il n'y a plus personne
Et tu es là
Mon père
Et comme un liseron
Mon bras grimpe à ton bras
Tu effaces mes larmes
En te brûlant les doigts.
Nouveau départ
Table où sont nées mes mains
Falaises de la lampe
Fleuves qui soulevez le couchant
Et la rampe
Griffes du chèvrefeuille
Tendres joues du rosier
Écoutez c'est mon pas tremblant Dans l'escalier
Soudain
Comme un sanglot
Le vent secoue la porte
Ah regardez mes yeux
C'est tout ce que j'emporte
Un visage d'ami fuyant entre les cils
Des hectares dorés
Le frai neigeux d'avril
L'écusson du soleil sur cette saison morte.
Point mort
J'aurai tout oublié
Les pampres les visages les paroles déliés
La tête et les mains vides
Pas même sur le front le secret d'une ride
Pas même dans des yeux une larme ignorée
Je serai là
Au bord du toit
Au bord des branches
Guettant dans l'envolée la robe la plus blanche
Entre mes deux poumons la croix fraîche de l'air
J'aurai tout oublié
De ce que j'ai souffert
Le monde s'en ira soulevé par des ailes
Des sourires nouveaux brouteront mes prunelles
Au ciel il y aura table mise
Le soir
Et ce banc de clarté suffira pour m'asseoir
Rien ne saura troubler le bon vent
Ni mon somme
Prisonnier de mes mains
Et de ma face d'homme Je suis là
Et j'attends
Mon coeur qui se balance au vieux gibet du sang.
La découverte de l'Amérique
Avec mes bras épais ruisselants de cordages
Chair tant de fois meurtrie sur les herses du vent
O poings réconciliés je tente le voyage
Salut à toi soleil céréale du sang
Dans mon cœur est l'eau douce et ces filles de Gênes
Fileuses de printemps au pied de ma maison
Et tandis que renaît l'écorce des carènes
Je danse sur le fil tendu de l'horizon
Amour mon compagnon que s'allume la voile
Que cet horrible sein la fasse monter haut
L'étrave de nos fronts a fendu les étoiles
Et jamais notre ciel n'a connu de repos
Buvez voici l'alcool ô lèvres mensongères
Pour ton ventre voici le doux venin du blé
La mort n'a pas franchi les noirs embarcadères
Et rien ne troublera ces hommes attablés
Mais qui pleure ce soir quand la fièvre me gagne
Quelle gorge si belle où planter le couteau
Peaux rudes vous faut-il la misère d'un pagne
A vous que j'ai cousues dans les plis d'un drapeau
Plus loin toujours plus loin et que dans les tempêtes
Au milieu des hoquets formidables de l'eau
Jaillissent seulement les éclats de vos têtes
Et vos jurons d'amour canailles matelots
Vois c'est ma propre main qui fouille tes entrailles
Océan maladif aux pâles intestins
L'écume est sur ma bouche et quand je fais ripaille
C'est ton sang que je bois pour clore le festin
Car c'est vrai j'ai voulu sous ton beau masque antique
Sous ta robe tissée d'étoiles et d'oursins
Découvrir ton secret ô femelle atlantique
Et les villes dorées que tu tais avec soin
Déjà j'en ai trop dit et ces oiseaux qui passent
Portent dans leurs duvets les odeurs de là-bas
De mes yeux lentement les tiges bleues se cassent
Et j'agrandis le ciel pour la première fois
Merci à toi Seigneur et que je vous bénisse
Douces plaies éclairées par l'astre de la croix
Seigneur il est bien temps que ces larmes finissent
Que tu marques nos fronts du grand signe des rois.
Destin
Entre Narp et Arrau
En Basses-Pyrénées
Il est un pont de pierre
Sous lequel je sommeille
Quelques truites jalouses
Se disputent mes mains
Et parfois un enfant
Se mire dans ma bouche
La vie s'engouffre au fond
De mes tempes sonores
Mon coeur éparpillé
Palpite comme un frai
Mais qui réveillera
Ces hanches ces épaules
Ce visage englouti
Dépossédé de bleu
Temps passé souverain
Rosée si douce aux lèvres
Entre Narp et Arrau
Ruches de mon destin.
Le chant du prisonnier
O signes par-dessus le Rhin
Soleil et vignes
Pampres des mains
Mon poing lourd retombé
Sur sa haine
Pas de larmes
Mais pour décor
Cette croix où je vibre encore
Un ami qui comprend ma peine
Ah je vous reverrai visages
Paysages
Belle aube couturée
De barques et d'oiseaux
Et vous aussi lilas
Bergers de mon enfance
C'est déjà le printemps
Les fleuves vont plus vite
Mon cœur tu te couronnes
De lauriers de sang
O chemin parcouru
Entre ces deux poitrines
Tendres chairs soulevées
D'un geste de la main
Ton épaule et la mienne
Pour la même aventure.
La fleur de l'âge
Voici le jour naissant
Houblon de la lumière
Le frou-frou des paupières
Et le premier passant
Sous le rêve encore chaud
La conscience chemine
Et déjà le soleil
Gonfle ses étamines
On marche sans penser
Vers un destin plus clair
L'oiseau lit son passé
Dans la paume de l'air
Les voiles des vergers
Lentement se redressent
La terre s'agrandit
D'un halo de tendresse
Un sourire suffit
Pour combler ce regard
Tout l'amour est donné
Le coeur a pris sa part
Et debout dans le ciel
Offrant des mains béantes
Je glisse peu à peu
Vers une aube qui chante.
Fleur
O fleur
Pour qui ta bouche endormie
Et l'abeille
Cette main sans éclat dans le torrent du jour
Le gai refrain du sang qui remonte son cours
Rien ne traverse plus mon ombre si paisible
O coeur noir
Si tenté de figurer la cible
Qui te remet dans l'axe éblouissant de l'homme
Je suis très loin
Debout
Entre mes bras sauvages
Je bouge
Et mes yeux font en moi le paysage
Je dors
Et mon sommeil trouve des passagers
Fille que me dispute un peu de vent léger
Je ris en écartant tes lèvres fugitives.
Les croisades
Amour
Plus fort que notre amour
Plus fort que la chaleur
Qui remue sous la table
Je pars
Et rien n'est bleu comme cette ombre nue
Femme
Tu m'attendras
Chaque moment chaque heure
Me rapproche de toi
Et tu ne comprends pas
Dieu parle dans les oliviers
Le sang
Les ronces sur le cœur m'appellent
Et ce corps douloureux que baigne l'horizon
Femme plus douce que raison
Plus fidèle que la pluie
Je pars
Et c'est ainsi que tu m'attends
Bras, rose attentive à l'orée des saisons.
Rien que le sable et l'air
Et ce désir farouche
Ta bouche lourde sur ma bouche
L'empreinte bleue du sein
Dans la paume encor fraîche
Ici
L'arbre se fond
Se confond avec l'herbe
Mais l'âme dégagée
A pris de la hauteur
Soleil
Eclatement des yeux
Soleil en marche
Des mois et des années
Et cette fleur au cœur qui ne s'est pas fanée
Le dernier compagnon
Et le dernier visage
Tous ces haillons dorés qui font le paysage
Une fumée là-bas
La première douceur
Jérusalem
Et des oiseaux sont nés
Quand les mains ont jailli
Dans la lumière
Mille hommes chantent
Pleurent de joie
Seigneur
Et c'est la même voix
Le ciel est très doux
Sur les têtes
Des enfants sont partis rechercher les troupeaux
Juste le temps qu'il faut
Pour t'aimer
Pour sourire
Pour cerner ton sommeil de gestes maladroits
Et maintenant
Dormir
Etre une force reposante
Sur son épaule
Pour longtemps.
Tapisserie des rues
Tapisseries des rues
Façade ô puits avare
Fontaine où ton visage n'aura jamais bu
Parmi ces mains levées
Sur cette place noire
Toi seule te libères
Statue.
Hurle-coeur
Bouquet du temps noirci de ciguës et de larmes
O fleuves dépassés par les chevaux du temps
Vigie de la saison qui aiguise tes armes
Oh les barreaux du ciel tordus entre les dents
Mais la terre écartée de son tremplin de glaise
Pâle statue figée dans un songe de feu
Ta pulpe déroulée sur le couchant des braises
La tête couronnée d'un horizon lépreux
Plus d'étoile attendue le long des bastingages
Plus de soleil caché dans le fil du couteau
La vie est simple et nue au bord du paysage
Un ramier fait vibrer les harpes du coteau
Entre nous les rayons le sang les tiges frêles
Toit léger suspendu sur les charrois du soir
Et les anneaux des jours qui tintent dans les prêles
Glissement de tes mains au fond du désespoir
C'est le premier matin la première aventure
Et dédaignant l'ivraie berceuse où tu t'endors
Ecartant de ses yeux ta bouche et la verdure
L'homme rampe à nouveau vers sa truelle d'or.
Pas de blé
Parce que l'homme avait les mains
Semblables à l'averse
Un doux grésillement a couru dans ces chairs
Hectares suspendus
A ces bourgeons qui saignent
A la tempe limpide où boivent les ramiers
Voici que les pipeaux couvrent le vent fragile
Que déjà s'enveniment
Les lèvres du siffleur
Sur le cadastre bleu
Qui porte les orages
Oh les épis du blé en éclairs de chaleur.
Raisons de santé
Devant le jour épais qui s'avance à pas lents
Devant l'horrible face à face
O coeur ouvert a tous les vents
Et jusque dans ces bras qui cherchent le courant
Hier demain et à présent
Il n'y a rien de nouveau
Sous le soleil de ma poitrine
C'est toujours la même tendresse qui chemine
Le même filet bleu qui baigne mes poumons
Toujours ma chair à l'abandon
Plus haut la tête claire
O mon front riverain du ciel et de la terre
Prunelles éclatées dans un printemps trop doux
Je cours
Et je suis fait pour aller à genoux
Ne me demandez plus de partager vos armes
Je dispose mes mains autour de ma maison
Et ceci est mon sang et le froment des larmes.
L'âge d'or
Saison des feux des perles
Et mon amour en moi
Comme un arbre
O chair tracée à coups de fouet
Un jour
Les liens du sang défaits
Sauvée
Dans ta beauté de marbre
Mais tu vivras toujours dans ces lèvres qui chantent
Dans ces mains
Dans ces yeux tranquilles que je plante
Bien haut
Dans ceux de mon ami
Tu vivras
Soulevée de rayons et de lames
O chair
Et je dirai en caressant mes mains
« Que soient bénis mes lendemains
Puisque j'ai pu sauver mes larmes ».
Mehr Licht
Me reconnaîtrez-vous à ces mains ces prunelles
A ce coeur douloureux
Visages familiers
Plus de lumière encor sur mon front
Sur ma bouche
Et je vais gaspillant mon sang dans les rosiers
C'est pour toi que je vis
Terre coupée d'eaux vives
Pour vous
Amis si purs à l'abri des saisons
Et je vis allongeant mes jambes près des vôtres
Afin que nos réveils ne soient pas étrangers
Pour l'amour
Soyons là
Les fenêtres respirent
Le meilleur de la nuit brille sous l'abat-jour
Longtemps je garderai mes mains
Au fond des vôtres
Pour les donner au ciel
Chargées de vos ferments
31 janvier 1940
Je te regarde
Ma mémoire est pleine de lézardes
Et je confonds les jours
Ta main repousse au loin la fièvre
Et mon amour
Tout entier ton corps tremble
Je tremble moi aussi
Ah comme on se ressemble
Mon père
La douleur a coulé nos fronts
Dans le même air
Sur moi
Tes yeux se baissent
J'entends ton cœur qui tire encore sur sa laisse
Tes poumons s'envoler
Mon Dieu si tu allais tout à coup
T'en aller.
Couleur des esclaves
Il n'y a rien à dire sur cet homme
Sur ce front qui vacille au tournant des collines
Sur ce visage où glissent les derniers ramiers
Il va dans les couchants morfondus d'aquarelles
Le solfège d'un toit jette ses hirondelles
Plus haut que le tranchant fraternel des nuées
Sous son ombre écrasé
Il songe à des enfances
A des amis noyés dans la crue des vacances
Au cercle où s'agrandit l'étoile de ses yeux
Monte jusqu'à ses dents
Chair béante et qui saigne
O mer tachée de sel et d'étranges destins
C'est à toi qu'il revient dans les nuits sans sommeil
Bourdonnement des mains au fond de son oreille
Le coeur à peine ouvert
Et toujours maladroit
C'est ton sein qu'il déchire
En refermant ses doigts
Pas de tourbillons noirs ni de louches croisières
Mais dormir simplement sur ta bonne litière
Le désir de côté
Plus calme qu'un enfant
O villes enfumées
Cathédrales de laves
Guillotines des rues pour ces gorges d'esclaves
Ailleurs s'est accompli le geste quotidien
Et tandis que les fleurs se gonflent sur l'abîme
Il regarde en pleurant le ciel beau comme un crime.
Halte en campagne
Le coeur plus haut que l'oeil et la tête en arrière
Atteindrai-je le soir dans ma courbe de pierre
Quelles tempes de verre allez-vous fracasser
Sondes jamais rendues aux fosses du passé
Mais le sapin crevant le toit du paysage
Arpent de la clarté, bouquet de sauvetage
Mais la main douce au bord des hectares salés
Le pas du promeneur qui veille dans l'allée
Et puis tous les genoux retrouvés sous la table
Un Dieu toujours nouveau dans le fond de l'étable
Une dernière lame emportant l'encrier
Et la chair qu'on n'a pas fini de supplier.
L'inutile aurore
Tout est vain
La fenêtre et l'aurore me restent dans la main
Les fleuves se disloquent
Sur le seuil
C'est la mer qui défroisse ses loques
Ici
La bouche fait lentement son sillon
Et l'heure est suspendue aux lèvres du grillon
Des larmes
Les dernières
Mais les brusques tournants de la lumière
Les algues déroulées sur le front du couchant
La poitrine de l'homme qui tremble au bord du champ
Le cœur pris dans la roue
Le hurlement des herses
Et la douleur qui suit les chemins de traverse
Ah tout est décidé
Le ciel rentre sa lame
Ma chair sa mort dans l'âme
Mon sang son coup de dé.
Parler du ciel
Voyelles renversées sur le ciel
O cigales
Bulles du souvenir éclatées sur les dalles
Eglantine du coq au feutre des clochers
Teint frais
Et la maison dans l'air va se pencher
L'herbe couvre les mots
La neige l'accompagne
C'est le coeur des bergers qui tinte
La montagne
Myrtilles dérobées aux prunelles des bœufs
La main s'offre au passant
Brise son champ de glace
On part
On se revient
Deux ombres qui s'enlacent
Et vers nous réunis
Le fleuve qui descend.
Bon teint
Il faut monter plus haut
Vers le ciel et l'étable
Vers la cellule d'or où Dieu cherche en tremblant
Une larme oubliée sur le coin de la table
C'est là
Parmi les ailes
Tout au fond
Quand les prunelles bleues creusent dans le plafond
Une aube d'où jaillissent des copeaux d'étoiles
Plus de poids
Plus de plomb glissant sous les paupières
Mais le sang
Orgueilleux comme un rameau d'avril
Mon visage est couvert par la voile qui passe
Les rougeurs du couchant sont celles de ma face
Les perles de mon front tintent dans la rosée
Confondu à jamais aux flammes des tempêtes
Aux mondes fracassés d'un signe de la tête
Je tourne lentement
Tout autour du soleil.
Comme un enfant perdu
1
Rouge écharpe de soie aux flammes maladroites
O sang du premier jour à ce ventre navré
Ton souffle aura cueilli la rose et ce visage
A peine éclos et plein de tranquilles beautés
Les joncs seront courbés sous le pommeau des nuages
L'aile noire d'un fouet coupera le village
Mais en voyant tes yeux je m'y reconnaîtrai
Déjà la maison rit de ses fenêtres blanches
La fumée a tressé le ciel avec les branches
Le pommier tend ses poings gonflés de sable d'or
Je croise des vieillards qui me berçaient naguère
Beaux vieillards attardés racines de bruyère
De quel nom appeler ce qui me berce encore
Ne serait-ce que toi roulant dans tes mâtures
Chair si faible qu'un fil a pu te diviser
Ou dans le vent léger un nuage de verdure
Que la main du Seigneur aura divinisé
Peut-être le soleil accordéon des plaines
L'ombre douce appuyée sur le cou des fontaines
Peut-être simplement quelques mots étrangers
Ah qu'importe le nom quand la lucarne ouverte
Agite dans le soir les prismes du passé
Quand la peau s'attendrit sur la poitrine offerte
Il comble l'horizon l'enfant de mon pays
J'entends son pas mordu par le fiel de la terre
Et ses graves chevaux dans les glaises fleuries
C'est le retour enfin l'inclinaison promise
Mon sang dessine un cœur au bord de ma chemise
Une larme perdue se glace dans ma main
Et je pousse en tremblant les verrous du chemin.
2
Ah c'est toi c'est dans l'air implacable et sans île
Arbre ton corps à pic voyageur immobile
Tes cordages mouillés dans un songe marin
Homme plus qu'arbre et bel en dépit de l'humain
Je rejoins tes saisons, avec toi je respire
Mes poumons pour ton miel ont des loges de cire
Au bord de tes ramiers se lance la maison
Le seuil n'a pas changé Sur la première page
Une syllabe éveille une aube d'un autre âge
Où bourgeonnent mes pas pleins de chancellements
Vais-je en entrant froisser le drap de son visage
Il n'est plus là celui qui bordait mon sommeil
Il n'est plus là Le vent déracine les portes
Et c'est peut-être lui dans l'ombre qu'on emporte
O toi le mieux aimé dont la chair m'habilla
Qui refera ma vie si tu ne reviens pas
Jardins qui soulevez les flocons de l'enfance
Eparses nuits tendues au tournant du revoir
Ah je vous mêle encore à mes sobres démences
Et la lune étonnée martyrise le soir
Plus de minutes d'or au guichet de l'horloge
Plus de larmes fondues dans les yeux de la forge
Plus rien que la raison sacrée du repentir
Ce soir il est déjà trop tard pour repartir
Je reste là penché vers la maison qui marche
Agneau dressant l'oreille aux grelots de son arche
Inquiet de son amour à genoux dans le vent
Et quand le jour nouveau recharge mes prunelles
Quand la faux du clocher éparpille les ailes
Tu n'es jamais partie bergère du levant.
3
Tu flottes sous le toit secouée par la lumière
Au bord de tes gazons l'épaule s'est calmée
Et c'est la même voix qui traîne dans l'allée
Jamais je n'aurais dû revenir en arrière
Maintenant trop de mains s'affrontent sur les cimes
Trop d'yeux se sont levés jaloux de tes abîmes
Trop de torses neigeux rivalisent d'éclat
Et l'envol des oiseaux te fait tomber plus bas
Ah roule sous mes pieds globe informe et terrestre
Un sang t'anoblira et qu'importe le temps
Si dans l'espace au fond des lointaines aurores
Tu trouves des cils blonds pour t'éventer encore
Mais vous gonflez mon cœur solfèges des marais
Sur l'écran c'est le front mural qui reparaît
Cadre baigné de feux de limons et de chaumes
Et la tourbe jaillit dans le creux de mes paumes
Il reste la fumée épaisse du chagrin
O monde sans rayons monde à jeter des pierres
Je t'aime pour tes plaies chantantes tes Brières
Tes granges dévorées d'ivraies et de bons grains
Avec toi j'ai rejoint le printemps sur ses cales
Tes nuits m'ont tenu lieu de tremplins et d'escales
Tes guêpes ont ravi le pire de mon sang
Et seul sans garde-fou sans âme je descends
Tranquille dans le ciel en homme vertical.
La chute des corps
A la pointe du soir
A la pointe des blés
Il offre sans un cri
Sa poitrine épargnée
Plus haut que ses poumons
S'assombrissent les feuilles
Et le dernier soleil
Envenime ses traits
Il ne sait plus son nom
Perché dans les mémoires
Quel souffle éveillera
Son oreille de grès
Heureux mais de t'avoir
Poil rude sous la paume
Barbe de la santé
Epaisse des bisons
Heureux de cette main
Si fraîche sur la sienne
O gant de la douleur
Ancienne et reconnue
Heureux Et dans la terre
Ouverte à ses caresses
Un pied germe déjà
Pour de fières statues.
Nativité
Paille de la saison
Fraîcheur des tiges nues
O nids de neige reconnus
A la fenêtre de l'étable
Passe l'étoile
Ouvre les mains
Amour presqu'île du matin
L'âne suspend son pas
Epaissies sous la langue
Le boeuf a retrouvé
Ses anciennes ciguës
Et Joseph attendri
Par ce bon voisinage
Ecarte de ses yeux
Les guêpes du sommeil
Un mage prie
Moulant ses lèvres de faïence
Sur les mots jamais dits
Et semblables au sel
Tandis que retenant
Son ventre avec tendresse
Marie ne comprend pas
Ce grand soleil éteint.
Partage des eaux
O sangs qui remontez les fleuves les siècles
Avares royautés perdues
Sangs de toutes les plaies retrouvés en un homme
Sangs félins
Sangs plus hauts que les cris
Plus hauts
Que les cachots dorés de la lumière
Aux quatre coins des vents
Sur la fresque des vignes
Et les étangs de blés
Sangs noirs sangs rouges sangs mêlés
On entend vos anneaux tinter
Visage ô ma Sologne aimée
Angle des durs soucis refermés sur ma bouche
Lourde épaule vernie écartée de sa souche
Un jour je n'aurai plus dans le nid de ma main
Que cet orvet de sang qui cherche son chemin.