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Je voudrais je ne pourrais pas
Je voudrais je ne pourrai pas
M'habituer aux chevaux et aux fleurs du lilas
Le train qui passe à l'horizon est très ancien
Sa mécanique très moderne n'y fait rien
Il est graissé et sans défaut comme un poème
Mais ce sont les chants du Gaélique que j'aime
Je voudrais je ne pourrai pas
M'absenter des chevaux et des fleurs du lilas
L'aéroplane est vieux l'automobile est vieille
Seul le vrombissement mélodieux d'une abeille
Est jeune et jeune aussi ce vieillard attardé
Dans sa marche par la marche d'un scarabée
Je voudrais je ne pourrai pas
M'habituer aux chevaux et aux fleurs du lilas
Car j'ai peur de ne plus savoir mourir comme on s'aligne
Côte à côte pour un concours de pêche à la ligne
J'ai peur de n'être pas à la hauteur de mes voisins
Qui conduisent des automobiles et prennent le train
Et meurent dans leur lit sans souci des campagnes
Où l'amour tue comme un éclatement de châtaigne
Je mourrai mais ne pourrai pas
M'absenter des chevaux et des fleurs du lilas.
Je pense à cette petite chambre
Je pense à cette petite chambre de terre
Qui est mienne qui me convient exactement
Que j'ai louée sur la foi de bizarres affiches
Qui recouvrent partout les murs nus de ma vie
J'ai laissé le loisir à son propriétaire
D'y déposer l'hiver sa semence de blé
Tant que je n'y suis pas le blé n'y gagne guère
Mais qu'il espère un peu en mon coeur nourricier
Quand je serai remuant comme un ventre de femme
Que l'amour d'un enfant a neuf mois tenaillé
C'est bien le Diable ou le Bon Dieu si mes entrailles
Ne s'auréolent pas d'un miracle de blé
Ou peut-être après tout ce triste carton-pâte
Ne sera-t-il demain qu'un décor de faubourg
Un chardon maigre où vient brouter l'âne qui boite
Une roulotte avec des flammes tout autour
Je n'ai pas cet orgueil de croire que mon âme
Doit forcément passer dans la fleur du froment
Je puis laisser mes os tramer au ras du sol
Afin qu'un chien galeux s'y blanchisse les dents.
Je me situe
Je me situe toujours très mal dans cette vie
Les petits arbres de la voie ferrée ne poussent pas de fruits
Ils n'ont pas l'air de s'inquiéter mais ils regardent
Avec un long serrement de coeur par-dessus les rambardes
Le train bleu qui s'enfonce au loin dans des pays
Qui font peur et pourtant sont pleins d'allégories
Leur ciel ne connaît pas les oiseaux de passage
Mais leurs petits hôtels ont des gens de passage
Autrement tristes autrement seuls autrement voués
Dans leur vie même aux grandes nuits d'éternité
Ils écoutent distraitement les propos de leur hôte
Ils ont comme une lanterne sourde sous les côtes
Et c'est enfin l'allègement de l'escalier
Un corridor avec des portes extasiées
Mais dans la solitude à deux tours de la chambre
Le froid brutal et la tristesse de mes membres
II n'y a plus de petits arbres sur le remblai
II n'y a plus de signes sur la voie ferrée
Mais le mur nu la chaise en bois le pot d'émail
Ma vie et moi pour une revue de détail.
Les ides de mars
C’était le dix sept mars comme aujourd’hui
J’étais déjà à des kilomètres de Paris
Dans un petit bistro noirci comme un vieux pouce
Devant un café noir et une vieille femme très douce
Sur la table noircie un quotidien de la région
Plein de faux communiqués et de délations
Je n’ai pas envie de lire je regarde
Des affiches du temps de la marine à voile
Mais quelques grains d’un tabac rare tombent sur le journal
En quatre lignes la nouvelle incompréhensible et fatale
Max jamais plus ne répondra la messe à Saint Benoît
Le charpentier du village ne fera pas sa croix
On écrit qu’il est mort dans un Paris où il réside
Mais toujours l’assassin se choisit d’autres sites
Et c’est encore un dix sept mars en ce jour d’hui
Et je rentre chez moi parce qu’il est midi
Entre l’église et le charron quelqu’un m’arrête
Parce que la radio annonce la mort d’un poète
Un nom très grand un nom poignant comme l’Europe
Mémoire de Max O Jean Richard Bloch.
Les chiens qui rêvent...
Les chiens qui rêvent dans la nuit
Il y a toujours un poète qui leur répond par une petite lueur
Tirée comme un bas jaune sur une maigre lampe
Et l'on ne sait rien du poète
Et l'on se cache de ces chiens
Qui tirent sur leur chaîne comme s'ils remontaient
Du fond de la journée un seau lourd de ténèbres
Mais l'homme qui se tient penché sur sa jeunesse
Et la main répandue comme un trieur de grains
Reconnaît dans la voix confuse de ces bêtes
La diane doucement poignante du destin.
Interdit aux nomades
Le wagon rose orné d'un panier à salade
Qui tangue dans le soir comme un navire hanté
Ne s'avance aux à-coups d'une bête malade
Que par quelques enfants porteurs de brins d'osier
Mais la mère surveille en attendant son heure
Dans la craie du chemin la trace des enfants
Voici la ferme bienheureuse et cette odeur
De jacinthe mêlée à l'odeur du froment
Le cheval s'enhardit et la femme pénètre
Suivie des chenapans dans le chaud du pommier
J'étale tout sur le rebord de la fenêtre
Ma dentelle mon coeur et mes fleurs en papier
Comme si sur le tard d'une journée qui traîne
De toute la langueur insidieuse des champs
La fermière esseulée se faisait avec peine
A la nécessité d'un corsage voyant
Tandis que le nomade épris de solitude
Fier de l'autorité du maître et du mari
Dans un moment d'âpre grandeur que rien n'élude
Ecrase entre ses doigts des grains de tabac gris.
Merveilles de l'enfance
Le gamin assidu aux rossées de l'école
Qui craint le poing mauvais des valets d'écurie
Le débile et patient qui porte sur son col
Le lys d'encre infâmant des dernières furies
En revenant le soir sur les roues du village
S'avise en souriant d'une mythologie
Monde fermé ainsi qu'une tente de cirque
Quand sur le tapis d'or d'une piste sablée
Se distinguent une écuyère et un cosaque
Dont le veston est plein de cigares bagués
Debout sur un coursier dont le pelage évoque
Un matin d'Austerlitz et son soleil mouillé
Le vainqueur de huit ans salue ses camarades
D'un petit geste de la main apitoyé
Et souple comme on voit sur les cartes murales
La ligne bleue d'un fleuve entre les mont dormants
Il percute dans un tambour et se retrouve
Au milieu d'un tonnerre d'applaudissements
Tandis que tout au fond des métairies sans âge
Les garçons aux poings durs qui frappent au visage
S'apprêtent au sommeil mélancoliquement.
Aller simple
Ce sera comme un arrêt brutal du train
Au beau milieu de la campagne un jour d'été
Des jeunes filles dans le wagon crieront
Des femmes éveilleront en hâte les enfants
La carte jouée restera tournée sur le journal
Et puis le train repartira
Et le souvenir de cet arrêt s'effacera
Dans la mémoire de chacun
Mais ce soir là
Ce sera comme un arrêt brutal du train
Dans la petite chambre qui n'est pas encore située
Derrière la lampe qui est une colonne de fumée
Et peut-être aussi dans le parage de ces mains
Qui ne sont pas déshabituées de ma présence
Rien ne subsistera du voyageur
Dans le filet troué des ultimes voyages
Pas la moindre allusion
Pas le moindre bagage
Le vent de la déroute aura tout emporté.
Avec la langue des muets
Vers les années vingt-huit ou trente pour 18 sous
Le jeudi et parfois le dimanche après-midi
J'allais au cinéma
Dans un vieux couvent désaffecté
Quelque chose comme un café maure
J'allais m'asseoir sous le plafond
Tout à fait dans les plus hautes notes du violon
Et j'attendais
La jeune fille qui vendait des programmes m'attendrissait
Mais soudain le rideau rouge tombe à l'eau
Un grand voilier où il y a de drôles de numéros
On ne voit que le sabre aigu et le cou rouge
Et puis c'est une petite pagode qui bouge
Ou bien une fleur
Un personnage qui ne parie pas se tient au milieu de la rue
Une femme qui n'est belle que nue
Se déshabille
Et juste à ce moment
Lorsqu'à côté de moi les amoureux se taisent
Lorsque toute la salle est comme une petite lampe-pigeon à l'agonie
La pellicule claque
L'oiseau s'envole
Et le sommier du piano pousse un grand cri
La belle que nous n'allons pas voir s'est endormie.
Femmes d'Ouessant
Un soir de pauvreté comme il en est encore
Dans les rapports de mer et les hôtels meublés
Il arrive qu'on pense à des femmes capables
De vous grandir en un instant de vous lancer
Par-dessus le feston doré des balustrades
Vers un monde de rocs et de vaisseaux hantés
Les filles de la pluie sont douces si je hèle
A travers un brouillard infiniment glacé
Leur corps qui se refuse et la noire dentelle
Qui pend de leurs cheveux comme un oiseau blessé
Nous ne dormirons pas dans des chambres offertes
A la complicité nocturne des amants
Nous avons en commun dans les cryptes d'eau verte
Le hamac déchiré du même bâtiment
Et nous veillons sur nous comme on voit les pleureuses
Dans le temps d'un amour vêtu de cécité
A genoux dans la gloire obscure des veilleuses
Réchauffer de leurs mains le front prédestiné.
Si la neige du temps
Si la neige du temps demeurait sur la terre
Comme un garçon trop grand qui ne fait point exprès
D'être pâle et d'avoir dans le fond de ses poches
Une main que le vide des journées effraie
On aimerait au moins une fois dans sa vie
Retrouver sur la route à force de blancheur
La trace aventurée la démarche conquise
D'un printemps de soi-même étouffé dans son coeur
Je marcherais longtemps dans des rues de village
Dévorant à pas lents mes jours comme un viveur
Retrouve après vingt ans la soupe de famille
Dans un logis qui sent l'étable et la grandeur
Peut-être gravissant les paliers du chagrin
En un matin de bonne chance trouverais-je
La première étincelle blanche du destin
Mais le soleil qui brasse au-dessus des tonnerres
Le froment noir le sel amer et l'illusion
Eteint la neige à la surface de la terre
Qui meurt comme un été de ses constellations.
Je te prendrai
Veux-tu je te prendrai en travers de ma selle
Je te prendrai ou si tu veux te jetterai
Comme une bonne couverture de laine
Sur mon cheval Je te prendrai
Je te prendrai à ta famille
A la fenêtre où tu souris
Je te prendrai à ta coquille
Douce perle de la nuit
Je te prendrai comme un long bain qui se prolonge
Très tard dans les après-midi d'été
Dans un haut-lieu couvert de feuilles ma colombe
Je te prendrai je partirai
Je partirai sans rien savoir du paysage
Ni des forts d'automne traversées
La main posée sur l'encolure de ma bête
Comme un petit oiseau fâché
Je partirai pour mieux t'avoir à bout de course
Un matin dans la grande solitude des prés
Tu glisseras dans mes genoux comme une source
Je te prendrai je partirai.
Noël
Douce étable de la terre
Pas plus grande qu'appentis
On y met pelles et pioches
On y rentre les brebis
Dans l'auberge haute et large
A l'enseigne des rieurs
On dispute on se goberge
De volaille et de liqueurs
« Des draps blancs de quoi en somme
T'en payer toute la nuit
Tu rigoles mon bonhomme
Pourquoi pas poulet au riz »
Le Joseph le malhabile
Sa casquette entre ses doigts
« Donnez-nous ce soir asile
Ma femme ne va pas bien »
Cependant la neige tombe
Et par l'huis entrebâillé
Des étoiles d'argent nimbent
Le front blanc de sa moitié
« Pour la nuit ou bien pour l'heure
Nous n'avons place pour toi
Couchez-vous si ça vous chante
Dans l'étable qui est là »
Et du doigt désignant l'ombre
Il referme à double tour
Le battant de son auberge
Et la porte de son coeur
Mais la nuit malgré les rires
On entend bien des clameurs
Nom de Dieu ! dit l'aubergiste
Y a le feu dans ma demeure
Il bouscule la servante
Et s'acharne sur la clef
Dans la nuit la neige bouge
Comme feuilles de lauriers
Rassuré il se rapproche
De l'étable des rôdeurs
II voit double il se raccroche
Aux piquets de la clôture
Un enfant sur de la paille
Tout autour illuminé
Et les gens du voisinage
Debout près du monde entier.
Un homme
Un homme
Un seul un homme
Et rien que lui
Sans pipe sans rien
Un homme
Dans la nuit un homme sans rien
Quelque chose comme une âme sans son chien
La pluie
La pluie et l'homme
La nuit un homme qui va
Et pas un chien
Pas une carriole
Une flaque
Une flaque de nuit
Un homme.
Art poétique
Quand ce sera la nuit
Et toi tout seul dans une limousine
Quelque part sur une route de forêt
Quand ce sera nuit noire
O mon poète aie garde d'allumer tes phares
Appuie de toutes tes forces sur le champignon de la beauté
Sans rien savoir
Et sans souci du flot battant ton pare-brise
Enfonce-toi comme un noyé dans la nuit rageuse qui grise
Tu as perdu la direction
Le Nord l'étoile les feux de position
Et tu sens soudain un grand choc
Tu es couché tout près de toi dans la verdure
Tu es comme mille petits trous de serrure
Qui regardent dans ta tête éclatée
Les éléments épars de la beauté
Et qui viendrait te chercher là
Quand tu disposes de toi-même
Secrètement pour un destin
Qui ne peut plus te laisser seul
N'appelle pas
Mais entends ce cortège innombrable de pas.
L'idiot
Dans les profonds jardins des vieilles abbayes
Un soir que le soleil dans sa mélancolie
Ruisselle tristement parmi les tournesols
Ainsi que dans les tristes toiles de Van Gogh
Un soir de raisins mûrs de cloches balancées
A bout de bras comme un seau vide dans l'allée
On voit le long d'un mur encor chaud un vieil homme
Au visage d'enfant et pressant sur son coeur
Deux ou trois touffes de plantain souriant comme
Une épousée de dix-huit ans ou un noceur
Si limpide est son oeil son sourire si grave
Qu'on l'aime d'un seul coup et qu'on oublie qu'il bave
II est là avec sa main tremblante qui fait mal
Et sa pauvre coiffure de papier journal
On y lit « Réunion du Conseil des Ministres »
Et ça ajoute quelque chose de plus triste
A ce fantôme d'après-vêpres qui n'entend
Que le grignotement de sa montre en argent
Tout près contre son coeur intact et indolore
Qui bat sous le boîtier vermoulu de son corps.
A cette heure dans le monde
A cette heure dans le monde
Il y a peut-être une petite fille qui cueille des fleurs
Sur le bord de la voie dans un pays meilleur
Et dans un port de mer quelqu'un agite son mouchoir
Longuement comme un télégramme chiffré
Je pense à des automobiles chic
A un petit ruisseau plein d'écrevisses à Chavigné
A la dernière page d'un roman populaire
Un soir où le vent souffle
Je pense à cette petite gare perdue dans les bois
Où je ne descendrai jamais
A cette heure il y a
Des villas vides sur la côte
Et l'hôtel de la plage est couvert de fumée
Qui est fumée d'ennui ou fin d'une marée
II y a un château étrange dans la nuit
Et le vieux jardinier lit du Montépin en fumant doucement sa pipe
Il y a sur l'océan un transatlantique
Qui est comme l'arche de Noé
Mais le garçon des troisièmes classes regrette
La métairie de ses parents et les jours de grand'féte
Et les compétitions cyclistes dans les bourgades du canton
A cette heure dans le monde
Une fleur s'entr'ouvre
Un poète retrouve soudain la raison
Et l'aviateur qui croyait tomber
Dans la bouteille du soleil comme un ludion
Ivre se met à rire et dégrafe son col
Ah dans cette minute où je ne vieillis pas
Comment penser à autre chose qu'à toi
A tes seins de colombe
A ta bouche
A tes mains
A ta beauté bien faite
A tes longues jambes qui m'emportent
A tes caresses qui fleurissent
Chaque soir comme un lilas.
Trains de vie
Te souvient-il de la douceur des petits trains
Dans les pays de bords de mer entre les tamarins
Tu es en voyage avec ton père et tu regardes
Un collège de boeufs qui part en promenade
Tu es dans un bistrot près du mécanicien
A lui rafistoler les lignes de la main
Et tu songes tout bas à ta mère qui brode
Des jeux de lotos ou bien des pagodes
Mais Moulin-sous-Touvent et l'enfer de Verdun
Quand il y a des cassis-fleurs dans le jardin
Une lumière bleue aux agrafes de cuivre
Le Supplément du Petit Journal qui enivre
Et dans la chasse à courre de la tapisserie
Des yeux comme nous font les vieilles eaux-de-vie
Train circulaire des banlieues
Libère tes chauffeurs et renverse tes feux
Tu ne peux me mener plus loin que ton ancêtre
Qui paissait tristement le long de la banquette
Tandis que descendait entre les tamarins
Un enfant qui poussait les wagons d'une main.
Symphonie de printemps
O vieilles pluies souvenez-vous d'Augustin Meaulnes
Qui pénétrait en coup de vent
Et comme un prince dans l'école
A la limite des féeries et des marais
En un pays mené de biais par les averses
Et meurtri dans son coeur par le fouet des rouliers
Le lit défait du garde-chasse
Les chemins creux du monde entier
C'est là que je t'attends c'est là que je te veille
Printemps comme un chanteur des rues printemps pareil
A la petite lumière d'un vélo sur la route
Voici que le plus simple entre nous s'émerveille
D'avoir entre les mains un bouquet de jonquilles
Et l'oiseau qui dormait encore se souvient
D'une fenêtre au bout du monde
Peut-être que là-bas dans les terres perdues
Une jeune fille de famille toute nue
Se dresse à la croisée ouverte et se regarde
Dans un morceau de lune triste comme un parc
Peut-être bien que c'est ainsi dans les romans
Une grosse cloche avec le printemps dedans
Mon amour tu es là comme une herbe qui penche
Sa longue écriture douce sur la page
Et je lis dans tes yeux et tu peux bien baisser
Ta paupière pareille à du genêt mouillé
J'épelle à haute voix comme un enfant qui dort
La chaude et mesurée syllabe de ton corps
Le temps n'est plus
Derrière l'enfance il n'y a pas que des chemins
De sable où la roue d'un vieux break s'enfonce
Il n'y a pas que la maison du garde-chasse
Où le jeune homme du château s'arrête à boire
II n'y a pas que cette petite lumière qui clignote
Et Dieu sait si elle bat autrement que pour elle
Il n'y a pas que ces rendez-vous à jeun dans la mouillure
Un jour d'automne quand les vacances sont bien finies
Quand dans la demeure de l'employé vicinal
Dès six heures on entend la marmaille qui crie
Il y a maintenant derrière cette enfance
Qui n'a jamais besoin de savoir pour souffrir
De longs trains noirs vêtus de feu qui se pourchassent
Férocement dans les entrelacs de l'avenir
Et les enfants qui gardent en rêvant les vaches
Et tressent dans leur poing des nacelles de jonc
Ont peur soudain de cette machine qui passe
De tous ces gens alignés dans les couloirs du wagon
Avec ce teint doucement pâle du grand-père
Quand on l'a vu un jour de l'octobre dernier
Dans sa chemise au col à fleurs et les mains jointes
Sur un lit de pension descendu du grenier.
En liaison avec Max
Un car illuminé et personne dedans
Où est Monsieur Jacob criait le débitant
Et cependant là-haut dans la chambre de bonne
La lampe nuit et jour continuait de brûler
Si j'étais vous disait l'épicier du village
J'appellerais curé commissaire et gendarmes
On appela curé commissaire et gendarmes
Et la lampe toujours continua de briller
C'est l'heure où tu rentrais 105 rue Gabrielle
Non sans avoir salué ton honnête concierge
Il fait un peu plus noir et tu montes sans bruit
Comme un boiteux du Ciel les marches de la nuit
Tu es assis devant ton portrait par Toulouse
Au bord du Ciel qui est une grande pelouse
Sans écriteaux Tu oublies tout le Sacré-Coeur
Filibuth tes amis et Madame Lafleur
Et ne songes qu'à Dieu en toi-même invisible
Vingt fois plus invisible qu'aiguillée de fil
Tellement merveilleux et tellement présent
Que sans cesse tu nais de ce rapprochement
Et la lampe qui fait bouger ta maison rose
Nous accueille et nous ouvre à ta métempsycose.
Mourir pour mourir
Ce serait beau de s’en aller un soir de mai
Parmi les chevaux blancs et les joueurs de palets
Comme une photographie très ancienne qui glisse
De l’album sur un tapis de haute lice
Agé ou peu s’en faut de nonante dix ans
On aurait pour finir un de ces mots d’enfants
Qui meuble joliment maintes anthologies
« A vous de jouer » ou bien « finie la comédie »
Qu’en dites-vous Isodore Ducasse et toi Rimbaud
Dont le nom est un lys de sans sur un couteau
Et toi Laforgue et toi Corbière et toi Verlaine
Ah qu’en dis-tu Apollinaire en ce jour blême
De novembre dix huit quand sonne l’armistice
Bien sûr tu te tapes encore sur les cuisses
Tu ris tu as raison de rire tu sais bien
Que tu n’a s rien perdu en ne refusant rien
De cette joie unique et qui fait que l’on parte
Un soir au beau milieu de la partie de cartes.
Antonin Artaud
Avec tes yeux comme une sonnerie bloquée Antonin
Comme un printemps foutu
Avec tes mains
Tes mains sur les barreaux de l'asile Antonin
Tes mains sur les fils électriques
Sur l'espagnolette sur la poésie partout
Antonin partout
Tes mains sur ton front pressées
Sur tous les corps de jeunes filles
Sur la campagne de Rodez
Antonin la campagne
Tu pécherais dans la rivière
Avec une arbalète Antonin
Avec toutes les femmes
A même le bocal Docteur
A même
A même la poésie Antonin
Et pas de camisole
Pas de frontière
Pas de répit surtout
L'homme au képi de garde-chasse
La toile de Roger Toulouse qui inspira ce poème
Qu’est ce que je suis moi Pacifique Liotrot
Depuis qu'on a enterré les personnes du château
Un rien une clé perdue dans un massif
Un survivant des derniers feux d'artifice
Et le vieux garde-chasse en rond s'assied
Dans le soleil avec sa tristesse à ses pieds
Ce n'est pas d'avoir arrosé les glaïeuls
Qui le rendra ce soir un peu moins seul
Voilà vingt ans qu'il n'a pas bu de bon café
Mais de l'eau rouge sur des glands éclatés
Et qu'il dort comme un enfant d'asile dans un lit-cage
Entouré de vieilles photographies de mariage
Mais ce soir c'est plus fort que lui si l'air est doux
Si la sueur colle à la jointure de ses genoux
II est debout dans sa jeunesse et il s'habille
De velours vert avec des boutons qui brillent
Entendez-moi je suis Pacifique Liotrot
Je suis le garde-chasse du château
Qu'est-ce qu'il porte là dans ses deux mains brisées
Un cor de cuivre noir comme un poulet vidé.
Ecrire mais vivre
Est-ce que je sais seulement que j'écris? mais je vais
Au bout de ma vie comme d'une route mal percée
Toujours au bout crevant l'opaque pour mieux voir
Quoi ? Le dernier wagon du train du soir
Une fleur sur le bord du talus un enfant
Maigre qui recherche ses parents
Sans indice sans rien et qui croit au miracle
D'une maison rose avec des portraits de Jeanne d'Arc
Ah je suis bien toujours le même malgré l'âge
Et l'on peut soupeser à deux mains mon visage
Et l'on peut ausculter La cloison de mon coeur et son vieux papier peint
Rien ne répond à rien
Et je puis bien partir
Pour l'éternité avec un vieux sac de cuir
Comme en trimballent les bons curés et les saints
Les soirs de gel lorsqu'ils changent de patelin
Rien ne subsistera de moi dans votre Histoire
Pas même un invendu dans un kiosque de gare
Mais mon amour et moi nous avons notre histoire.
Le diable et son train
Clovis mon bel enfant qu’as-tu disait la mère ?
- Mère j’ai vu Satan Satan sorti de terre
- Diable en cette saison est ma foi fort troublant
Aurais-tu bu du cidre plus que ton content ?
- Je vous jure maman sur vous qui m'êtes chère
Je n'ai bu que sirop et gobelet d'eau claire
- Je te crois mon enfant tu auras trop couru
Et c'est ton coeur à vif au loin que tu as vu
- Je n'ai pas vu mon coeur mais des bassines rouges
Des flammes des serpents et un visage rouge
- Serais-tu point passé par les bords de l'étang
Sous l'aulne où le brûleur tient guérite au printemps ?
- O mère je connais l'odeur de l'eau de vie
Toute chaude et qui est comme un bouquet d'orties
Je ne suis point passé par le bord de l'étang
C'est venu d'un seul coup en travers de mon sang
Comme un fouet de ficelle et un tour de toupie
Satan c'était Satan mère je vous le dis
- Très bien ! dit le parrain qu'on m'apporte ma hache
Mais l'enfant s'envola dans des vêtements riches.
La cité d'Orphée
Ce n'est pas du côté des quais ni de la gare
Dis mon âme que tu vas prendre le départ
Et tu n'as nul besoin d'agent pour parcourir
Avant terme le réseau serré du souvenir
Tu arrives ce soir comme un cousin très éloigné
Sans prévenir avec su fond de ton panier
Sous l'odorante toile bise de ton âme
Des tas de bonnes choses comme une petite flamme
Qui brille là au milieu de la rue
La rue qui est semblable à une grande avenue
Ah certes tu ne vas point former cortège
Pour t'en aller de nuit vers ton ancien collège
Et si tu jettes un oeil sur les toits du Quai Hoche
Comment calmeras-tu ce sanglot dans ta gorge
Tu vas comme un naïf sans choisir tes quartiers
Tu trembles un peu tu es certain de réveiller
Dans la nuit des maisons et celle de ton âge
Le prisonnier de la rue du Bocage
- « Toc-toc Pardon Monsieur l'Infirmier
Je désire parler au soldat Jacques Vaché »
- « Un militaire de ce nom c'est bien bizarre
Attendez je demande à la garde malade...
De ce nom cher Monsieur il n'en fut jamais qu'un
Qu'on trouva mort en un hôtel place Graslin »
Alors j'interrogeai le fleuve et les pontons
Comme si j'espérais trouver André Breton
Ailleurs qu'en ma mémoire et ailleurs qu'en l'Histoire
Penché sur le flot noir comme sur un miroir
Allons me dis-je il faut passer le Pont-Rousseau
Et dormir dans les pierres dormir s'il le faut
Mais retrouver au moins et longtemps avant l'aube
Benjamin Péret ou bien son fantôme
Au chaud tenu le long du mur des abattoirs
Mais tout est terriblement quotidien ce soir
Rien ne répond lorsque j'adresse la parole
Et si tu me reviens mon cher Michel Manoll
Ce n'est plus comme nous l'espérions
Place Bretagne dans un décor d'illusions
De pigeons envolés et de marché aux puces
Nous descendons la vie dans un vieil autobus
Et c'est bien par hasard que nous nous rencontrons
Malgré l'ennui l'amour les cas de rébellion.
La nuit surtout
La nuit ! La nuit surtout je ne rêve pas je vois
J'entends je marche au bord du trou
J'entends gronder
Ce sont les pierres qui se détachent des années
La nuit nul ne prend garde
C'est tout un pan de l'avenir qui se lézarde
Et rien ne vivra plus en moi
Comme un moulin qui tourne à vide
L'éternité
De grandes belles filles qui ne sont pas nées
Se donneront pour rien dans les bois
Des hommes que je ne connaîtrai jamais
Battront les cartes sous la lampe un soir de gel
Qu'est-ce que j'aurai gagné à être éternel?
Les lunes et les siècles passeront
Un million d'années ce n'est rien
Mais ne plus avoir ce tremblement de la main
Qui se dispose à cueillir des oeufs dans la haie
Plus d'envie plus d'orgueil tout l'être satisfait
Et toujours la même heure imbécile à la montre
Plus de départs à jeun pour d'obscures rencontres
Je me dresse comme un ressort tout neuf dans mon lit
Je suis debout dans la nuit noire et je m'agrippe
A des lampions à des fantômes pas solides
Où la lucarne ? Je veux fuir ! Où l'écoutille ?
Et je m'attache à cette étoile qui scintille
Comme un silex en pointe dans le flanc
Ivrogne de la vie qui conjugue au présent
Le liseron du jour et le fer de la grille
L'envers du décor
Derrière le paravent du ciel n'est-ce
Pas qu'il y a des orangers en caisse
Et sur le sol un grand chapeau de jardinier
En grosse paille avec le fond troué
C'est tout à fait comme un soleil de fin d'hiver
Quelque part dans un vieux domaine désert
On pense à des cuisines fraîches comme la vie
La vie dans les quatre heures de l'après-midi
Et l'on voudrait monter dans la tiédeur des chambres
Lire auprès d'une jeune fille très tendre
Peut-être bien que ce serait le paradis
Les vieilles odeurs de terre de l'orangerie
On n'aurait jamais plus besoin de la mémoire
Les souvenirs viendraient comme une pluie du soir
Qui mouille à peine On resterait à regarder
Des mouches mortes et des poteries éclatées
Et tout su fond de soi mais maintenant très proche
On entendrait le bruit d'étoffe d'une cloche
Qui aurait mis des siècles et des siècles avant
D'animer les myosotis du paravent.
Les circonstances du drame
Je n'ai pas oublié
L'herbe qui tremble ni les russules mouillées
Les cycles démodés dans les soirs de lumière
Le givre sur les croix du petit cimetière
La chambre est haute et noire et la lampe Pigeon
Becquette tristement les graines du plafond
La nuit fait peur aux chiens
Tout au fond des campagnes
On entend comme un corps qui tombe une châtaigne
Et c'est l'éveil les coqs sanglants et les pandores
La guimbarde d'azur dans le même décor
Et l'effroi du matin dans le long corridor
Je me terre à genoux sous des tentures fraîches
Où c'est encor la nuit pluvieuse et me dépêche
De pleurer longuement avant de succomber
A l'appel odorant et trouble du grenier
Ah que faire du temps quand le temps s'accompagne
De toute l'insomnie jaseuse des campagnes
Et que faire de soi quand on n'a pas sept ans
Et que riche au milieu de ce rayonnement
On rêve à des puits d'ombre et des perles d'argent.
Ah! je ne suis pas métaphysique, moi...
Ah je ne suis pas métaphysique, moi
Je n'ai pas l'habitude de plonger les doigts
Dans les bocaux de l'éternité mauve et sale
Comme un bistrot de petite ville provinciale
Et que m'importe qu'en les siècles l'on dispose
De mon âme comme d'une petite chose
Sans importance ainsi qu'au plus chaud de l'été
Dans la poussière le corset d'un scarabée
Je prodigue à plaisir et même quand je dors
Il y a cette flamme en moi qui donne tort
A tout ce qui n'est pas cette montée sévère
Vers l'admirable accidenté visage de la terre
Je plonge dans ma vie une main de chiendent
Et c'est trop de bonheur lorsque de temps en temps
L'heure venue d'agir j'en tire la semence
Qui d'année en année prolonge ma patience
Ah tu verrais faner les ciels et les chevaux
O mon coeur sans que rien ne te semblât nouveau
Même dût-on mourir dans le frais de son âge
Rien que d'avoir posé son front sur un corsage
Et fût-il d'une mère on a bien mérité
De croire dans la vie plus qu'en l'éternité.
Pourquoi n'allez-vous pas à Paris
Pourquoi n'allez-vous pas à Paris?
– Mais l'odeur des lys! Mais l'odeur des lys !
- Les rives de la Seine ont aussi leurs fleuristes
- Mais pas assez tristes oh ! pas assez tristes !
Je suis malade du vert des feuilles et des chevaux
Des servantes bousculées dans les remises du château
-Mais les rues de Paris ont aussi leurs servantes
- Que le diable tente ! que le diable tente !
Mais moi seul dans la grande nuit mouillée
L'odeur des lys et la campagne agenouillée
Cette amère montée du sol qui m'environne
Le désespoir et le bonheur de ne plaire à personne
- Tu périras d'oubli et dévoré d'orgueil
- Oui mais l'odeur des lys la liberté des feuilles !