René au sortir de l'adolescence, lorsqu'il écrivait en 1937 les Brancardiers de l'Aube.

Brancardiers de l'Aube

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Titre

pluie fine de mains (Une)
Ils sont venus
Aux murs la venaison
Dans les ornières profondes
De leur vareuse de coton
Je sais
Appel lointain
Dans ta chambre
Je t'offrirai
Retrouver les cachettes
Il connaît les rôdeurs
Au creux d'une pipe

 

 

 

 

 

 

 

Ils sont venus

 

Ils sont venus au jour prédit par le prophète,

Dans leur gangue de l'enfance.

Les soleils matinaux dévissaient les serrures ;

Personne ne les avait vu passer.

Aussitôt qu'un homme rebondissait sur la route,

Tout un buisson se mettait en marche

Pour cacher leur départ.

A chaque pont s'allumait un feu derrière les mains.

Le second soir,

Une averse d'étoiles s'abattit sur les tentes

On brisa les complots.

Au lendemain, quand l'aube secoua ses poches,

Les visages avaient perdu leurs lanières

Et il fallut partir.

 

 


 

 

 

 

 

Une pluie fine de mains

 

Une pluie fine de mains

Le blanc du ciel

La voix rugueuse des cloisons

Lentement regagnent ma mémoire

A dos de livres.

J'avais même oublié de vivre

Dans le sable mouvant de tes bras.

 


 

 

 

 

De leur vareuse de coton

 

De leur vareuse de coton

Le matin dépouille les routes

Un colporteur d'oiseaux écoute

Claquer ses paumes de carton.

 

A chaque auberge la prière

Dérape derrière un volet

Les animaux perdent leur lait

Comme des algues de lumière

 

Avec un sein frais sur l'épaule

Le soleil guette ses poissons

Que vais-je dire à la maison

Quand je rentrerai de l'école ?

 


 

 

 

 

Dans les ornières profondes

 

Dans les ornières profondes qui drainent sous la peau

Toute une colonie de souvenirs

La mer dénoue ses rideaux

Un oeil est là qui se méprend.

J'évite la rencontre de l'aube

Quand je rentre au village après une fête nocturne.

Plusieurs lettres de cachet m'attendent

Je sais que tu m'écris le dimanche

C'est le jour où l'on blanchit les prisons.

Sur la vitre la bouche plaquée du soleil.

 


 

 

 

 

Aux murs la venaison

 

Aux murs la venaison des dernières nuits

Des panoplies d'étoiles

Dérobées dans la plaine

De pleines besaces de brume.

Je combine des révolutions

Jusqu'aux six heures de l'aube.

Le premier coup de feu

M'attire à la fenêtre

Avec de gauches paroles

Sur la neige l'empreinte des grands fauves

Annonce de nouveaux drames.

 


 

 

 

 

Je sais

 

Je sais, de ce côté luisant de tes mains

Les mouchoirs froissés du départ.

Dans un jardin le soleil vient boire,

A pas d'oiseaux,

Pour ne pas ébruiter ta fugue ;

Il a sauté le mur de franc matin

Avec une corde à bœufs.

Je ne l'ai reconnu qu'à sa demande

Ton image me décalquait les yeux.

 


 

 

 

 

Dans ta chambre

 

Dans ta chambre il ne reste plus

Que les rouages désaxés du sommeil

Les lettres à Dieu que j'avais commencées

Quand l'amour est venu décolorer ton visage.

Je me surprends à songer aux aurores blanchisseuses

Qui décrassent tout mon travail de la nuit

Et le mettent a sécher sur le seuil de la porte

Ces femmes ont des grands yeux dans les yeux

Des oiseaux migrateurs en partance

L'absolution des fautes graves.

Oh ! regarder la lampe s'enfoncer dans la table

Ecouter le silence broyer ses doigts.

 


 

 

 

 

Appel lointain

 

Appel lointain des feux

Tu nais de mes veines, de ta voix,

De tout le mal que vous m'avez fait.

C'est à la force des poignets

Que je gagne le crépuscule

Sans hâte de peur de briser

Le seul appui qui me reste

Une échelle de soie amarrée au soleil.

 


 

 

 

 

Il connaît les rôdeurs...

 

Il connaît les rôdeurs du sommeil

Ceux qui passent en blouse de lin

Avec des charges de poudres sur le dos

C'est à lui la cachette derrière le mur

Sous un amas de journaux de mode.

Je sais son secret

Il est en lettres blanches sur mon âme.

Oh ! ces grands escaliers

Qui descendent jusqu'à la mer

Voici la plage où l'on efface les pas compromettants

La grotte où j'ai brûlé des cierges

Pour avoir trouvé là les fossiles de l'amour

 


 

 

 

 

Retrouver les cachettes

 

Retrouver les cachettes dans le mur

Les pépites des vitraux

Le soldat de l'horizon

Et sa tunique bleue froissée

Les caillots crèvent le chemin,

Une latte d'espoir au poteau de torture

Pour donner l'illusion d'une croix

Mais tout est truqué

Jusqu'au salut de la girouette,

Aux feux de joie dans le camp.

 


 

 

 

 

Je t'offrirai...

 

Je t'offrirai un beau gâteau de ciel

O mariée d'équinoxe!

Et vous conterai à tous

Des guerres civiles d'étoiles,

La capture d'un oiseau lune,

Ce que j'ai appris dans mon dernier voyage

Aux antipodes du printemps.

Un rebouteux m'a remis pour la fête

Un cœur boiteux depuis l'enfance

Je crois pouvoir être sage.

Si parfois je me trompais

Il me faudrait donner une once de soleil

Et deux gorgées de l'eau des routes.

 


 

 

 

 

Au creux d'une pipe

 

La barrière qui ouvrait sur les prairies grasses de la mer a clos ton visage abyssal.
Tes mains ne frotteront plus le dos tambourinant de la lune pour en
faire jaillir les marées : les vagues ont ceint leur écume de courroies d'algues.

Un vieux camarade de vent t'a vu passer avec des yeux de cire et tu ne l'as même
pas salué d'un bonjour du matin.