Sommaire
(Retour au menu principal) | |
Ce soir du 2 janvier
Ce soir du 2 janvier 49 vers cinq heures
La campagne est comme une vieille demeure
Pleine de plâtre et de tapisseries écorchées
Avec une flaque de sang sur le plancher
Et sur le coin de la cheminée de marbre empire
Une pomme rouge éclatée comme une tirelire
Un journal illustré qui traîne dans la suie
Celle des anciens jours et des très vieilles pluies
Je pense à un hôtel triste près de la gare
Sans eau courante et à Mauves-sur-Loire
Je pense aussi à la maison de Moreau
Moreau qui avait sa vigne et qui aimait les animaux
Et nous allions tous deux durant la guerre
Avec un sac chercher du pain et la litière
Pour les bêtes la nuit chercher du pain
Dans la lumière et les violettes chercher
Le ciel avec de grosses mains
Je pense à des trains qui partaient
Après cinq heures de retard
Et l'on causait avec des gens
Qu'on ne reverrait pas plus tard
Près du guichet et des affiches
A l'odeur fade de colle fraîche
L'acétylène au fond brûlait
Et le délivreur de billets
Sur ses réseaux nous emmenait
Boire le coup dans sa cuisine
Minuit à la gare des Forges
On ne regarde pas l'horloge
Je vais parmi les oseraies
Car je sais bien que tu m'attends
Poète au visage d'enfant
Dont les vers ne sont pas mauvais
Et sous la lampe où brûle un feu d'alcool
Comme je m'imagine le cœur d'une créole
Là-bas où il fait chaud et où l'on pend
Des hommes noirs à la porte des blancs
Nous restons sans rien nous dire à regarder
Des livres maudits ou des poètes assassinés
Et des tas de brochures qui nous arrivent
Par le miracle de l'esprit de cette rive
Où l'on cueille des jonquilles encore où l'on voit
Des mains se nouer pour autre chose que l'effroi
C'est à cela qu'en ce 2 janvier 49 je pense
Alors qu'on me croit à des kilomètres de distance
Perclus de bleu dans le marasme d'un ciel gris
Lorsque je fais voler sur mon propre établi
Les copeaux de ce cœur qui se lovent comme
La peau tiède et dorée de la première pomme.
Les biens de ce monde
Je suis las de fêter l'anniversaire de ma naissance
Avec de très vieilles gens et des amis de connivence
Te souvient-il de tes six ans
En sarrau noir et les genoux saignants
Tu pleurais dans les cours navrantes du collège
A cause du soleil du ciel et de la neige
J'ai oublié tes premiers vers Tu m'écrivais
Sur des feuillets couleur saumon que tu volais
A tes parents Nous fûmes du même voyage
Marins du même bâtiment Dans la peine et dans le naufrage
Gardiens des mêmes sentiments
Mais à quoi bon renouer
A quoi bon revenir à pas lents dans l'allée
Et susciter au bord de l'ombre du mystère
Il s'agit aujourd'hui d'un autre anniversaire
Et par avance de fêter ce jour ah! ce jour
Où je glisserai dans la terre ainsi qu'en un pantalon de velours
Mais n'étant pas exactement fixé
Sur la date du jour et le mois de l'année
Trois cent soixante cinq ou six fois je célèbre
Le chapitre dernier et la mort du poète
Chaque jour de ma vie donne lieu à des joies
Qui ne sont pas celles des mourants et si j'en crois
La vigueur de mon sang et les anciens prophètes
Beaucoup de routes passeront sous ma fenêtre
Longtemps je marcherai à travers bois et champs
Avant perquisition finale des agents.
Si c'est cela qu'on fait au bois vert
Si c'est cela qu'on fait au Roi des Juifs
Que fera t'on au pauvre Nègre ?
L'un brillait avec les planètes
L'autre n'a qu'une chandelle de suif
Encore l'a t'il volée ! Et c'est cela justement qu'on lui reproche
De s'éclairer avec les quarante sous des autres sous un porche
Et le flic qui habite une chambre cossue
Dans la six cent soixante sixième avenue
S'est arrangé pour le surprendre et pour le pendre
A un bec électrique
A ce moment où la lumière du jour se fait plus tendre
Joseph d'Arimathie était bien bon qui dans l'aube sévère
Coucha Jésus comme un enfant dans un morceau de serpillière
Mais qui reprendra ce corps doucement calciné par la Race et par la Souffrance
Et qui bat là comme un volet mal fermé sur la bouche de l'Espérance
Oh ! dites ménagères en pilou et vous jeunes gens du petit matin
Enroulés dans la fourrure du sommeil et dans la buée chantante d'un refrain
Aurez-vous pas pitié de ca cadavre balancé au milieu de la rue
Et dont la tête contre les murs est bien le plus redoutable angélus.
L'enterrement d'Apollinaire
Le tombeau d'Apollinaire dans le cimetière du Père Lachaise.
Qu'est ce qui sonne comme ça ? dit le paysan dans son champ
Les noces de Marie ou son enterrement !
En réalité on s'aperçut qu'on était ce jour-là le 11 novembre 1918
Et que c'était une date toute faite pour l'Armistice
Alors tous les poètes de France et ceux qui étaient morts depuis longtemps
Se réunirent au 202 du boulevard Saint-Germain dans la demeure d'Apollinaire
Et bien entendu nul ne fit mention de la présence de Villon de Sade et de Lacenaire
Le cortège s'engagea entre les guirlandes
Qu'on n'avaient point ôtées depuis le mariage d'André Salmon
Suspension d'armes entre nations
Vaut bien qu'on mette un poète en terre !
C'est pourquoi tu reposes aujourd'hui dans les jardins du Père Lachaise
Comme celui d'une auberge de Prague où il t'advint
D'être immortellement Guillaume Apollinaire
Avec cette tranche de lune amère dans ton vin.
Vieil océan
Vieil océan ! ce n'est pas assez que Lautréamont t'ait chanté
Avec toute cette saloperie de littérature qui était sa propriété
Voilà qu'à son tour un jeune maniaque de poésie se dresse
Pour t'enfermer dans la cage de sa lyre
Et comme un ciel inversé te célèbre
Tous les canons de Notre Dame ne sont rien si l'on compare à ta puissance
Et le chœur du tonnerre n'est qu'un timbre distrait dans la salle d'attente du silence
Mais quel amour dans vos yeux de colchique ô troupeaux qui paissez la mer
Principauté d'un Dieu Unique et seul Transactionnaire !
Que la grenouille de ma voix s'enfle jusqu'à chanter
Ce bol de larmes au pied des marches de l'éternité !
Fais le précieux va ! fais l'élégiaque ô poète !
Toi qui n'as que les bruits de poulie du drame dans la tête !
Ainsi pas question de Chant n'est ce pas !
Plus question d'Odyssée
Mais seulement la grande forme indécise de la mer
Entre mes bras
Comme une toujours inconsolée !
Chambre d'hiver
Des mille chambres où j'ai vécu
La plus belle était un violon
Le manteau de la cheminée
Cachait une âme disparue
Sous le vieux cèdre de la lampe
Après une longue journée
Je m'attardais j'avais des craintes
Pour la suite des années
Mais soudain la lumière éteinte
Quelle est cette voix inouïe
Comme un fruit de coloquinte
Qui éclate dans la nuit
Est ce un enfant qu'on pourchasse
Dans la rue à coups de fouets
Un cirque fantôme qui passe
Trombonnant sur les marais
C'est la corde du cœur qui casse
Et tout ce qui vient après
N'est que la plainte en surface
D'un amour qui se défait.
Lied
Je ne suis plus ce que j'étais et si je m'écoutais me ferais prêtre ou religieux
Voilà ce qu'écrivait Apollinaire à Madeleine dans sa lettre d'adieu
Tant il est vrai que si l'amour vient à manquer il n'est nul héritage
Qui puisse combler la vacuité des sens et cette absence de corsage
Ni les approches de la gloire ni les caresses des amis
Qu'est ce qui peut germer du sol quand on a piétiné les semis ?
O mon amour ! ce n'est pas seulement à travers mon Lied que je te chante
Mais dans la pousse de ces mains levées vers toi comme une promesse de plante
Je sais bien ! Moi non plus je ne suis plus ce que j'étais
Qui dormais seul et faisait la foire dans les cafés
Je me suis retrouvé plus d'une fois dans l'aube
Avec tout juste ce qu'il faut de corde pour se pendre
Et c'est peut être et c'est sûrement pour cela que je t'ai aimée
Hélène ! dans mon verre comme une goutte de rosée.
La route de Lorient passe par Louisfert
Lui le garçon à part l'incorrigible par nature
Rayé du rôle de marin pour sa passion de la peinture
Homme à couteau crevant la toile de l'ennui
Et moi cherchant toujours à soulever les ouïes
Du soleil
Nous avons parcouru les mêmes paysages de tristesse
Comme la place des terrasses et la campagne de Louisfert
Y a-t-il un café d'ouvert
Qu'on y boive ou que le cœur casse ?
Je t'ai laissé amarré au radeau de l'Art
Vers quelle destinée soudaine ?
A nous deux nous prenions le quart
Gardiens des mêmes vies humaines
Je te cherche maintenant dans les parages de la nuit diurne
Eclairé simplement par cet amour qui est en moi comme un filet de lune
L'automne couleur d'eau et de cheveux brûlés
O mon ami au cœur cent fois dépenaillé
Par les galops du Temps et par la Beauté même
Te mènera au bord du monde absent d'où je te hèle.
Le chant de solitude
Laissez venir à moi tous les chevaux toutes les femmes et les bêtes bannies
Et que les graminées se poussent jusqu'à la margelle de mon établi
Je veux chanter la joie étonnamment lucide
D'un pays plat barricadé d'étranges pommiers à cidre
Voici que je dispose ma lyre comme une échelle à poules contre le ciel
Et que tous les paysans viennent voir ce miracle d'un homme qui grimpe après les voyelles
Etonnez-vous braves gens ! car celui qui compose ainsi avec la Fable
N'est pas loin de trouver place près du Divin dans une certaine Etable !
Et dites-vous le soir quand vous rentrez de la foire aux conscrits ou bien des noces
Que la lampe qui veille à l'avant du pays très tard est comme la lanterne d'un carrosse
Ou d'un navire bohémien qui déambule
Tout seul dans les eaux profondes du crépuscule !
Que mon Chant vous atteigne ou non ce n'est pas tant ce qui importe
Mais la grande ruée des terres qui sont vôtres entre le soleil et ma porte
Les fumures du Temps sur le ciel répandues
Et le dernier dahlia dans un jardin perdu !
Dédaignez ce parent bénin et maudissez son Lied !
Peut-être qu'un cheval à l'humeur insolite
Un soir qu'il fera gris ou qu'il aura neigé
Posera son museau de soleil dans mes vitres.
Bon souvenir
Peut être un jour à la faveur soudaine d'un orage
Sous les coups de poing sourds d'un astre impatienté
Seras-tu de nouveau cette graine d'espace
A la recherche d'un ciel plus ferme pour germer ?
Captive sans gazon dans le dortoir des mondes
Avec le souvenir d'un arbre entre les bras
O planète exfoliée comme un vol de palombes
Dans les vallées d'un univers en contre-bas
Je voudrais te parler mais le chant que prolonge
Le bruit d'essieux d'un cœur à jamais étouffé
Par les sables du Temps certes ne peut prétendre
A rajeunir les heures qui lui sont comptées
En vain j'ai sommeillé doutant si dans le rêve
Mon pied rencontrerait celui du Bienfaiteur
Il a neigé sur mes pensées et je crois même
Que le gel a muré les failles de mon cœur
Bon souvenir à toi ma Terre que pourchasse
Un rival empenné de lune et de rayons !
Même mort je saurai te tirer de ta liasse
De schistes sur la table des Révolutions !
Et si c'était lui
Et si c'était mon Dieu ce marin saoul qui est entré ce soir dans ma maison?
L'éternité ! dont vingt-trois ans de navigation !
Nazaréen ou Nazairien ! Peu importe l'état civil
Quand on débarque de très loin par des chemins tournants et difficiles !
Pour qui connaît la bouleversante tabagie des grands vents d'ouest
Une petite brise campagnarde a quelque chose d'affolant dans sa faiblesse !
C'est peut-être pourquoi un homme est là ce soir sans savoir sur quel pied danser
Avec ce lambeau de casquette comme une voile qui le dissimule à moitié
Ce qu'il dit ? ce ne sont point propos bons à répandre
Encore un qu'il faudrait aimer avant d'entendre !
Qu'on lui serve un hybride fort ou un maigre croûton de lune
Le malappris se gausse pas mal de cette charité commune
Pas besoin de vous serrer pour moi !
Pas besoin d'allumer les lampions !
Mais donnez-moi la route toute droite de la mer
Et pas d'autres explications !
Lettre à Pierre Yvernaux, curé de campagne
Cher ami ! sans doute êtes-vous comme moi dans un village
Encadré par les candélabres de la pluie
Recevant à dîner d'inquiétants personnages
Comme Rimbaud ou Max Jacob ou Jésus-Christ.
Dieu merci ! le presbytère n'a. rien perdu de son charme
Ni le jardin de son éclat !
Toujours l'odeur des seringas
Et le ciel qui tombe des arbres !
En ce moment il se peut que vous m'écriviez
Votre admiration pour Van Gogh
Que vos châssis soient préparés
Pour les graines de tournesol
O mon Dieu ! laissez-moi célébrer ce curé de campagne
Il en sait plus que moi sur les mystères qui nous accompagnent
Et ce qu'il met en vers dans sa chambre chaulée
N'est rien que ce murmure de vous à lui qu'il me plairait d'intercepter
Mon cher Ami ! permettez donc que je m'adjoigne
Au pauvre zigue au cheval borgne à la cétoine
Et qu'il me soit donné d'entendre votre chant
Juste au moment du jugement !
Anthologie
Max Jacob ta rue et ta place
Pour lorgner les voisins d'en face !
Eluard le square ensoleillé
Un bouquet de givre à ses pieds !
Jouve ! c'est mieux que Monsieur Nietzsche
Une effraie étudiant la niche
Léon-Paul Fargue ! la musique
D'un triste fiacre mécanique !
Blaise Cendrars ! Apollinaire !
Le bateau qui prend feu en mer
Reverdy ! la percée nouvelle
Les éléments comme voyelles !
Le remue ménage cosmique
De Saint-Pol-Roux-le-Magnifique !
Boulevard Jules Supervielle
Noé la Fable et les gazelles !
Vladislas de Lubies-Milosz
Les clefs de Witold dans sa poche !
Le chemin creux de Francis Jammes
On y voit l'Ane on y voit l'âme !
Aragon la ruelle à chansons
Et les yeux d'Elsa tout au fond !
Cocteau la neige la roulotte
L'Ange amer qui se déculotte !
Paul Claudel ! filleul de Rimbaud
Cinq grandes odes cent gros mots !
Mais aussi mon Serge Essenine
Ce voyou qui s'assassina
Et la grande ombre de Lorca
Sous la pluie rouge des glycines!
A qui s'en prendre désormais
Pour célébrer le mois de mai?
Credo
Je ne crois pas en les miracles de Lourdes
Je crois dans une belle journée
Avec des ramasseuses de colchiques
Et des jeunes gens égayés
Car Dieu sur la montagne est bien près de me plaire
Qui dans la double écuelle de ses mains
Assaisonne la soupe noire de la terre
D'un peu de sel puisé dans les yeux du matin.
Le portrait fidèle
Mon orgueil à moi ce serait
D'être entré en littérature
Plus interdit qu'un roitelet
Par un trou méchant de serrure
La sémantique? connais pas !
Je me ris de l'anacoluthe
Dites-moi quels sont ces gravats
Qui dégringolent sur mon luth !
Je suis venu pour vous chanter
Dahlias brûlés chevaux bizarres
O tendres geais aimant à boire
Dans les seaux de l'éternité !
Je vous ferai place en mon Lied
Sur ma vie vous aurez le pas
Mais qui dessine dans les vitres
Cet arbre pareil au lilas
Journal inachevé
Dormeur inespéré je rêve
Et voici que soudain une petite lampe
Remue très doucement sa paille
Et qu'à cette lueur j'entrevois
Le malheur occupé au loin
Rien à frire
Dans la poêle sans fond de l'avenir !
Rien à tirer de la grenouille de l'enfance !
Mais surtout rien à boire
Dans la coupe de l'espérance
Sinon un vin de tous les jours
Rêvais-je encore?
Quel ange éberlué me nommait
Les heures comme des carpes se retournaient
Tout près
Sur le sommier du fleuve
Et pour la première fois peut-être j'entendis
La corde d'un violon casser
Voici que l'acajou verdit que la chambre s'emplit
De la marée inaugurale d'un poème
Et que cet enfant d'autrefois
Se met à vivre à la fenêtre !
Laissez entrer tous ceux qui rêvent
Laissez-moi m'habituer
Au récipient à peu près vide de la lune
Qu'un chien traîne en hurlant sur le pavé du quai
Je te vois mon amour
Ensoleillée par les persiennes de l'enfance
Comme un matin trop beau couleur de thym
Avec ce frétillement d'ablettes de tes jambes
Et cette lente odeur de lessive et de pain
Marche un peu dans la rue sans ombre
Vers la flamme!
Redresse-toi un peu que j'accède à présent
Par le puits de tes yeux aux sources de ton âme
Où n'ont jamais plongé les racines du temps.
Noël
Et maintenant que toute action de la Justice est éteinte
Achève ta truite ! va ! mène à bien ton péché
Ignoble au bonnet d'aubergiste
En ce soir de Nativité !
Mais vous bergers
Je vous donne rendez-vous sur le plus ancien mail
Dans la plus vieille mégisserie du monde
Oh ! quelle odeur ont cette nuit
Les lys tourmentés de la neige
A travers bois
A travers des couloirs trop longs
Des lits détruits
Qui sans lampions sceptres ni cierges
A la clarté de leur esprit
S'accordent à trouver au Fils
Même sourire qu'à la Vierge.
Le mal de terre
Ah ! je sens bien que je suis trop profondément enraciné
Pour remonter comme un bouchon de liège sur le saladier de punch de la ville
Un tel repose par un fond d'herbe
Près d'une eau rouge
En cette fin d'après-midi d'hiver !
Malgré moi malgré l'odeur de lin des maladies
Et l'insomnie
Dans les couloirs moroses de la chair
J'entends frapper
J'entends quelqu'un sous la paroi !
C'est en souvenir de ces oiseaux si faibles qu'ils ne peuvent me haler
En souvenir d'un arbre seul chargé de baies
Et surtout dans le temps trop court des floraisons
Que je me raconte des choses.
Lettre d'avril
Quand on revient sur la fin de l'hiver d'une très longue et monacale maladie
Ah ! c'en est trop de ce silence abrupt et de la défection finale des amis
Et comment me traiterez-vous demain moi qui vous hèle d'une voix tendre
Si je n'ai que l'infime bégaiement de mes mains pour me faire comprendre ?
Le temps de poésie s'achève et j'ai beau rappeler
Au-dessus de ma vie comme un oiseau blessé
Nul ami ne viendra au secours de mes ailes
Cependant je pensais à toi mon cher Michel
Te sachant familier des fortes houles et des courants
Dans ma pensée tu me servais de brise-vent
Je repartais lancé de nouveau vers les astres
Quelques brouillons de vers agitant la surface
Mais tu as craint de te perdre avec moi sur cet océan de tristesse
Où les épaules vous pleuvent le long du corps en coups de fouet
Comme une averse !
Jugé
Oh ! attendre les résultats d'un examen toute sa vie!
Menteries à tous les étages de l'esprit !
Jugé !Mais cet oral comment le préparai-je ?
Soue à cochons plutôt que le divin Collège !
Me voici devant l'Agrégé final moi l'impétrant
Qu'avez-vous retenu de mes Commandements ?
N'ai tué que cet enfant en moi ! commis d'autre adultère
Que de coucher dans les draps maigres de la terre !
Et quant à ce qui est d'honorer ses parents
Vous les tenez cachés oh ! depuis si longtemps
Sous la marquise de vos ailes
Que c'est à moi mon Dieu de vous en demander des nouvelles!
Jésus lui dit : Si vous voulez être parfait
Allez ! vendez ce que vous avez
Et donnez-le aux pauvres !
Ah ! Si j'avais autre chose que cette lampe-tempête sous les côtes
Par exemple un pommier en fleurs
C'est volontiers que je le donnerais !
Le crieur des morts
Eveillez-vous braves gens!
Anonyme Châtelain est mort
Et voici les derniers chanteurs !
Sous les ruines du lin qui rouit
Dans les colzas
Bien à l'écart des lampes
La mémoire d'Anonyme !
Car Anonyme Châtelain est mort
Qu'il revienne comme il est écrit
Parmi les lys
Comme une joue penché
Il était le dernier chanteur
Mais depuis la mort d’Anonyme
La herse et le ghetto
La mine !
Anonyme Châtelain est mort !
Compte d'auteur
Mon Dieu! comment oserais-je abuser de vos instants?
Moi la risée du club ! la jambe de bois dans les cortèges d'enfants !
Quand je vous vois très occupé à mettre au clair
L'arrestation de Sainte-Mado et son entrée à la Salpêtrière
Me voici pour la première fois devant le Grand Editeur
Visage aimable et téléphone près du coeur !
O mon Dieu ! ce manuscrit que je vous tends et vous retire
Est comme un napoléon trop grand pour la fente de ma tirelire
Finalement acceptez-le Ah ! faites-en
Le régal de votre brûle-gueule et de vos feux de la Saint-Jean
Mais que du moins à ce moment il illumine
Mes copains qui bourlinguent encore et toute ma kyrielle de copines !
23 avril 46
Mon amour! Il y aura demain quatre ans
Que nous sommes dans cette même chair
Quatre ans que je promène à la surface de ton corps Les lourds hameçons de la tendresse !
Et tout peut s'écrouler
Tout est pollué
Tout suit l'enterrement
Tu es toujours plein d'arbres
Mon amour !
Dur à vivre
Peut être dans quelque maison basse de ville usée
Moi qui ai tant aimé les jardins
Lorsqu'il a plus dans la soirée
Et que parmi les myosotis pèse soudain
La lourde mamelle de la lune!
A bout de persuasion peut être
Quand le filin du jour me glissera des doigts
Si je n'ai plus pouvoir d'orienter les fenêtres
Alors adieu garçon! Et que ce soit
Par un matin couleur de melon d'eau!
Tout dort
J'entends marcher au loin mille animaux
Et mon cœur doucement aura cessé de battre
A cause d'un compotier de pommes sur la table
Tandis qu'un coq et un sergent
Là-bas font respecter le règlement.
Nocturne
Maintenant que les seuls trains qui partent n'assurent plus la correspondance
Pour toutes ces petites gares ombragées sur le réseau de la souffrance
Oh! Je crois bien que ce sera à genoux
Mon Dieu! Que je me rapprocherai de Vous!
Le plus beau pays du monde
Ne peut donner que ce qu'il a
Myosotis ici et là
Mais beaucoup d'herbes sur les tombes!
O mon Dieu! J'ai tellement faim de Vous tellement besoin de savoir
Qu'un couvert en étain serait le bienvenu dans le plus modeste de vos réfectoires
Que la cuisine soit bonne ou fade nous ne sommes point ici à l'Office
Laissez-moi respirer l'odeur des fleurs qui sont sur les tables et qui ressemblent à des lis!
Je crois en Vous Hôtelier Sublime! Préparateur des Idées justes et des plantes
N'allez pas redouter surtout quelque conversion retentissante!
Et qu'un tel ait choisi le pain dur et le sel
Soyez sûr qu'il n'y a rien là que de strictement personnel
Considérez que je vous suis parent par quelque femme de village
Et par quelque vaurien d'ancêtre
L'une adorait Votre Visage
L'autre s'est payée votre tête
Je fais effort! Je voudrais marcher à vos côtés et vous lire des vers
Mais il y a ces relais si reposants dans l'ordre de la Terre
Ah! Je me suis conduit de façon ignoble dans les cafés
En présence de Vous j'eus toujours l'air impatienté
C'est pourquoi me voici plus seul encore plus veule
Avec ce masque d'Arlequin trop triste sur ma gueule
Pardon Seigneur! Pardon pour vos églises
Et si j'ai galvaudé dans les champs
Si j'ai jeté des pierres dans vos vitres
C'est pour que me parvienne mieux Votre Chant!
Qu'il fût porté par des oiseaux ou à vois d'homme
Jeté là comme un bock sur le comptoir de l'harmonium
Ou dans l'air comme un col de violon
A neuf heures du soir qu'elle était belle la religion!
Ah! J'aurais pu tout comme un autre être choriste
Et grappiller de long en large le corps du Christ!
Mais tous ces blés en feu dans les cristaux du soir se reflétant
C'était Vous si intimement
Qu'il suffisait alors de pousser la fenêtre
Pour que la joie pénètre et pour Vous reconnaître
Que n'ai-je su Vous arrêter
Quand vous alliez entre les saules
Les bois de justice à l'épaule
Comme un pêcheur au carrelet?
Car maintenant tout est devenu subitement si difficile
A cause de cette pudeur en moi et de l'orgueil également imbécile
Que je voudrais ramper vers Vous j'en serais encore empêché
Par cette dérision de l'Acte qui est dans l'ordre de la société
Mais Vous quand vous mourûtes sur le Golgotha
Dites! Qu'est-ce que çà pouvait vous faire le ricanement de ces gens-là?
Si je reviens jamais de ce côté-ci de la terre
Laissez-moi m'appuyer au chambranle des sources
Et tirer quelque note sauvage de la grande forêt d'orgue des pins
O mon Dieu que la nuit est belle où brille l'anneau de Votre Main!
Tous ces feux mal éteints dans l'air et ces yeux de matous en bas qui leur répondent
Ce cri d'amour fondamental qui est celui de notre pauvre monde!
En d'autres temps j'eusse été moine ou bien garder les vaches
Et pourquoi pas dans une léproserie de village
Maniant les doigts dans le soleil
Heureux celui qui naît en juin parmi les nielles
Il connaît la beauté des choses éternelles!
Oh! Sur l'ardoise du Ciel si l'on tient compte
De ce pays sans charme où je suis né
Si l'on juge à propos mes larmes
Seigneur! Je suis exonéré?
Qu'il soit coupable non-coupable
Toujours en peine de son Dieu
Qu'on lui serve pour vin de table
La rosée lustrale des Cieux!
Celui qui entre par hasard
Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète
Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui
Que chaque nœud du bois renferme davantage
De cris d'oiseaux que tout le cœur de la forêt
Il suffit qu'une lampe pose son cou de femme
A la tombée du soir contre un angle vernis
Pour délivrer soudain mille peuples d'abeilles
Et l'odeur de pain frais des cerisiers fleuris
Car tel est le bonheur de cette solitude
Qu'une caresse toute plate de la main
Redonne à ces grands meubles mornes et taciturnes
La légèreté d'un arbre dans le matin.
La soirée de décembre
Amis pleins de rumeurs où êtes-vous ce soir
Dans quel coin de ma vie longtemps désaffecté ?
Oh ! je voudrais pouvoir sans bruit vous faire entendre
Ce minutieux mouvement d'herbe de mes mains
Cherchant vos mains parmi l'opaque sous l'eau plate
D'une journée, le long des rives du destin !
Qu'ai-je fait pour vous retenir quand vous étiez
Dans les mornes eaux de ma tristesse, ensablés
Dans ce bief de douceur où rien ne compte plus
Que quelques gouttes d'une pluie très pure comme les larmes ?
Pardonnez-moi de vous aimer à travers moi
De vous perdre sans cesse dans la foule
O crieurs de journaux intimes seuls prophètes
Seuls amis en ce monde et ailleurs !