Sommaire
Le manuscrit d'Alcools...
La fuite
C’est la barque où s'enfuit une amoureuse reine
Le vieux roi magnifique est venu près des flots;
Son manteau merveilleux à chaque pas égrène
Quelque bijou tintant au rythme des sanglots.
La chanson des rameurs sur les vagues se traîne
La reine et son amant l'écoutent les yeux clos,
Sans crainte d'un récif ni d'un chant de sirène
Qui s'incantent peut-être au chœur des matelots.
Horreur! horreur de nous des joyaux, des squelettes
Coulés au fond des mers où surnagèrent tant
De fleurs, de cheveux roux et de rames flottant
Parmi les troupes de méduses violettes.
L'heur des fuites est sombre et violet d'effroi.
Tant de gemmes tombaient du manteau du vieux roi.
Trente ans debout à la frontière
J'arrêtai le contrebandier
Je palpai la contrebandière.
Puis quand je devins brigadier,
Un soir dans le train de dix heures
D'un homme correctement mis
Voyageant avec un permis
Je tâtai les gibbosités postérieures.
O temps lointains! lointaines gares
Que le gaz éclairait bien mal!
Le monsieur transportait quatre mille cigares
Je lui dressai procès-verbal.
Ce temps passa. Des noms : Gauguin, Cézanne
Me hantaient. Pour leur art, je laissai la douane.
Et gardant ce surnom : le douanier
Je ne suis pas, des peintres, le dernier,
Or, dans mon souvenir, une fenêtre S'est ouverte.
Je viens de reconnaître
L'ancien voyageur fier de s'être vengé
Parce que de ma faute il a mal voyagé.
Enfance
Au jardin des cyprès je filais en rêvant,
Suivant longtemps des yeux les flocons que le vent
Prenait à ma quenouille, ou bien par les allées
Jusqu'au bassin mourant que pleurent les saulaies
Je marchais à pas lents, m'arrêtant aux jasmins,
Me grisant du parfum des lys, tendant les mains
Vers les iris fées gardés par les grenouilles.
Et pour moi les cyprès n'étaient que des quenouilles,
Et mon jardin, un monde où je vivais exprès
Pour y filer un jour les éternels cyprès.
Veille
Pipes de nuit pipes du jour
Tout l'opium ô chevelures
Les cheveux bruns de mon amour
Et ces lenteurs tandis que dure
L'éveil des monstres tour à tour
Rencontre
Passant mêle à ta vie l'orgueil et la bonté
Surmonte l'ennemi et bois à sa santé
Honore ton outil sans le laisser inerte
Brise-le par amour au moment de ta perte
Et méprise ceci Jouir sans en pleurer
La vigne sans ivresse et le champ sans ivraie
Inscription pour le tombeau du peintre Henri Rousseau Douanier
Gentil Rousseau tu nous entends
Nous te saluons
Delaunay sa femme Monsieur Queval et moi
Laisse passer nos bagages en franchise à la porte du ciel
Nous t'apporterons des pinceaux des couleurs des toiles
Afin que tes loisirs sacrés dans la lumière réelle
Tu les consacres à peindre comme tu tiras mon portrait
La face des étoiles
Tu te souviens, Rousseau, du paysage astèque,
Des forêts où poussaient la mangue et l'ananas,
Des singes répandant tout le sang des pastèques
Et du blond empereur qu'on fusilla là-bas.
Les tableaux que tu peins, tu les vis au Mexique,
Un soleil rouge ornait le front des bananiers,
Et valeureux soldat, tu troquas ta tunique,
Contre le dolman bleu des braves douaniers.
Le malheur s'acharna sur ta progéniture
Tu perdis tes enfants et tes femmes aussi
Et te remarias avecque la peinture
Pour faire tes tableaux, enfants de ton esprit.
Nous sommes réunis pour célébrer ta gloire,
Ces vins qu'en ton honneur nous verse Picasso,
Buvons-les donc, puisque c'est l'heure de les boire
En criant tous en chœur : « Vive! vive Rousseau! »
O peintre glorieux de l'alme République
Ton nom est le drapeau des fiers Indépendants
Et dans le marbre blanc, issu du Pentélique,
On sculptera ta face, orgueil de notre temps.
Or sus! que l'on se lève et qu'on choque les verres
Et que renaisse ici la française gaîté;
Arrière noirs soucis, fuyez ô fronts sévères,
Je bois à mon Rousseau, je bois à sa santé!
Voyage à Paris
Ah I la charmante chose
Quitter un pays morose
Pour Paris
Paris joli
Qu'un jour
Dut créer l'Amour
Ah! la charmante chose
Quitter un pays morose
Pour Paris
0,50
As-tu pris la pièce de dix sous
Je l'ai prise
1890
L'X
Toutes les femmes de 45 à 50 ans se souviennent
d'avoir été amoureuses de Capoul
M. CAPUS
Et de bien d'autres
Té
En matière de religion la première cause du doute est souvent l'ennui surtout chez les jeunes gens
Il pensa qu'il ne pensait pas
Goûtant un citron j'eus comme un goût d'huile de ricin prise avec du citron et du café sans sucre
Nyctor a écarté toute préoccupation amoureuse il satisfait un rut qui le pousse et respecte la liberté d’amour de la femme
Fumer comme un condamné à mort
Le cyclope aveugle à qui l’on a crevé son œil dit Je suis borgne
Le phoque
J'ai les yeux d'un vrai veau marin
Et de Madame Ygrec l'allure
On me voit dans tous nos meetings
Je fais de la littérature
Je suis phoque de mon état
Et comme il faut qu'on se marie
Un beau jour j'épouserai Lota
Du matin au soir l'Otarie
Papa Maman
Pipe et tabac crachoir caf'conc'
Laï Tou
Fjord
C'est la fête de Saint-Olaf
On excursionne en ski
D'amour on revient paf
C'est tout à fait exquis
Pas de chichi
Étoile
Je songe à Gaspard ce n'est certainement pas
Son vrai nom il voyage il a quitté la ville
Bleue Lanchi où tant d'enfants l'appelaient papa
Au fond du golfe calme en face des sept îles
Gaspard marche et regrette et le riz et le thé
La voie lactée
La nuit car naturellement il ne marche
Que la nuit attire souvent ses regards
Mais Gaspard
Sait bien qu'il ne faut pas la suivre
Chapeau-tombeau
On a niché
Dans son tombeau
L'oiseau perché
Sur ton chapeau
Il a vécu
En Amérique
Ce petit cul
Or
Nithologique
Or
J'en ai assez
Je vais pisser
Le teint
Comme le soufre qui noircit
L'argent et casse l'or l'amour
Ternit mes yeux brisa aussi
Ce cœur
Une créole à La Havane
Le teint blanc
Sauvée par Dieu l'amour la damne
A Linda
Un matin
Un matin d'été Nyctor marchait sur la grand-route. Il passa en un endroit où, les uns suspendus à mil pieds du sol, les autres en bas, des hommes, par Ie fer et la dynamite, travaillaient à faire sauter les roches afin d'établir un chemin sur la montagne.
Devant Nyctor, la route, toute blanche, éblouissante, rubannait au soleil, très loin, sans ombre, malgé les lauriers roses aux belles fleurs qui la bordent pareils à des flambeaux allumés.
La route est parallèle à la voie du chemin de fer qui surplombe la mer et l'on se réjouit de voir l'eau bleue, blanchir en bas sur les plages de galets.
A droite la montagne tombe en falaise à laquelle sont accrochés les cactus bizarres couverts de figues de barbarie et les touffes sombres du romarin, tandis qu'au sommet des pins et des oliviers se penchent.
En ce lieu la falaise s'abaisse brusquement et n’est plus qu'un mur élevé. C'est là que sous le soleil on perçait une route.
Nyctor marchait sans hâte regardant la mer came où quelques voiles blanches semblaient immobiles. Il était environ huit heures. Fatigués d'avoir peiné dès quatre heures, les ouvriers, des Piémontais, assis au soleil ou à l'ombre vaine des quartiers de roche, mangeaient dur pain avec des tomates ou des figues.
Nyctor marchait sans songer aux misères ni brusques morts. Soudain il entendit un grand cri et ayant en même temps levé les yeux, il vit tomber à pic un corps précédé d'un roc qui rendit un bruit sourd et d'une barre à mine qui rebondit avec un son joyeux comme un rire clair sur le sol de rochers.
Au cri de l'homme, au fracas du roc, au rire du fer, une clameur répondit, lente et désolée, résignée aussi, prolongée par les échos. Clamée par ces hommes qui ne le dérangeaient même pas, fatalistes, restant assis à manger tristement, sachant que tout est inutile, que le repos leur et compté et qu'ils travailleront tout à l'heure exposés à la même mort. Cette plainte parut à Nyctor pareille au cri incohérent que devaient pousser les rudes hommes des primitives époques quand ils voyaient quelqu'un de leurs compagnons broyé sous les dents ou étreint par les membres puissants de quelque monstre sans qu'on pût le secourir.
Ce cri des ouvriers était harmonieux aussi : lamentation, désastre fatal.
Rapidement pour voir le mort, Nyctor monta. Le corps était couché, en plein soleil au pied de la falaise, sur les cailloux. L'homme râlait encore, doucement. Nyctor sut que ses jambes et son crâne étaient brisés, mais il ne vit rien, sinon un mince filet de sang coulant du front sur les yeux clos, un peu d'écume rougeâtre aux commissures des lèvres et les déchirures des mains. Deux hommes seulement se tenaient près de lui. L'un, brun et sérieux, d'un brin fleuri de romarin, chassait les mouches qui venaient aux lèvres et aux yeux; l'autre, un contre maître loquace et bon enfant, essayait de verser un peu de rhum entre les dents serrées du moribond dont on lava bientôt le visage avec de l'eau vinaigrée qu'un troisième apporta dans une cuvette.
A une question que lui fit Nyctor, le contre maître expliqua que l'homme travaillait suspendu. Il s'était établi sur une anfractuosité et afin d'être plus à l'aise avait détaché la corde qui le tenait.
Un pan de rocher s'était effondré et contre les prévisions de l'homme avait entraîné la faible assise que le malheureux croyait solide. Nyctor vida sa bourse pour la femme et les trois enfants de l'ouvrier qui gagnait trois francs par jour.
Le corps restait étendu au soleil. Les ouvriers se reposaient, mornes, en face de la mer miroitante. On apercevait les caps verts, les golfes aux plages blanches et des villas dans les jardins au loin, vue admirable.
Petit balai
Je nettoyais le trou
Voilà qu'un jeune fou
Par derrière me pince la taille
Le balai tombe au fond
Laissez mon jupon
Au même instant j'ajoute Monsieur Aïe! Aïe!
Ah! comme c'est bon
Monsieur je fonds
Ne sentez-vous pas le balai dans le trou
Un balai de chiendent
Qui est dedans
Ne t'excite pas répond-il je m'en fous
Je lui réponds M'sieu c'est désolant
J'ai perdu mon balai de chiendent
Je regarde dans le trou
On me repince la taille
Je répète encore un coup
Oh! Monsieur Aïe! Aïe!
Le repas
Il n'y a que la mère et les deux fils
Tout et ensoleillé
La table est ronde
Derrière la chaise où s'assied la mère
Il y a la fenêtre
D'où l'on voit la mer
Briller sous le soleil
Les caps aux feuillages sombres des pins et des oliviers
Et plus près les villas aux toits rouges
Aux toits rouges où fument les cheminées
Car c'est l'heure du repas
Tout est ensoleillé
Et sur la nappe glacée
La bonne affairée
Dépose un plat fumant
Le repas n'est pas une action vile
Et tous les hommes devraient avoir du pain
La mère et les deux fils mangent et parlent
Et des chants de gaîté accompagnent le repas
Les bruits joyeux des fourchettes et des assiettes
Et le son clair du cristal des verres
Par la fenêtre ouverte viennent les chants des oiseaux
Dans les citronniers
Et de la cuisine arrive
La chanson vive du beurre sur le feu
Un rayon traverse un verre presque plein de vin mélangé d'eau
Oh ! Le beau rubis que font du vin rouge et du soleil
Quand la faim et calmée
Les fruits gais et parfumés
Terminent le repas
Tous se lèvent joyeux et adorent la vie
Sans dégoût de ce qui est matériel
Songeant que les repas sont beaux sont sacrés
Qui font vivre les hommes
Acousmate
Paix sur terre aux hommes de bonne volonté
Les maris voudraient agir l'outil n'a pas de manche
Sur les doigts de cet homme on voit des taches d'encre
Les hommes et les Femmes sont tous insermentés
Les bergers écoutaient ce que disaient les anges
Leurs âmes s'apaisaient comme un midi d'été
Les bergers comprenaient ce qu'ils croyaient entendre
Car ils savaient déjà tout ce qu'ils écoutaient
Sur cette assiette Hélas! J’aperçois trois chiures
Mais presque toutes les mouches sont mortes de froid
Car c'est l'hiver oui mon vieux ça va bien ça va même très bien
Ces pâtres sachant qu'un enfant venait de naître
Près de là
Sur ce coup de minuit d'un jour alcyonien
Se mirent tous en route au son de leurs musettes
Table
Ma table est rectangulaire, ses angles sont arrondis. Je fume la pipe bien que le tabac me dégoute mais son amertume et sa brûlure me plaisent.
J'aurais voulu travailler ce matin mais je n'ai fait que fouiller de vieux brouillons à moi. Les machin où l'on adapte du papier buvard sont des trucs idiots, il vaut mieux sécher ce qu'on écrit avec du papier buvard non monté, c'eût ce qu'il y a de mieux. Il est rose comme un visage fardé, peu à peu il noircit au centre rectangulairement. Maintenant je ne fais rien, j'écris ce que je vois, mon mouchoir est près de mot froissé. Il y a aussi une boîte d'allumettes suédoises à l'envers, elle est vieux rose avec un cercle rouge où il y a un A un M et un C avec une torche allumée. Ça me fait penser aux réclames de chemin de fer qui furent le principal du paysage à mon dernier voyage en chemin de fer et quelles jolies rumeurs dans les poteaux électriques sur les routes où je me promenai tout le jour.
C'était écrit sur ces poteaux plus émouvants qu'un mélo. Je m'embête. Je vais casser une pipe de terre qui est vraiment mauvaise, il faut aussi que je jette quelques pipes en bois qui jutent vraiment trop puis en pensant à plusieurs choses à la fois, ayant mal à la nuque, les yeux fixes je vais m'arracher des peaux autour des doigts et si je saigne je me sucerai le doigt jusqu'à ce que l'obscurité étant complète je me lèverai pour allumer une lampe.
4 H
C'est 4 h. du matin
Je me lève tout habillé
Je tiens une savonnette à la main
Que m'a envoyée quelqu'un que j'aime
Je vais me laver
Je sors du trou où nous dormons
Je suis dispos
Et content de pouvoir me laver ce qui n'est pas arrivé depuis trois jours
Puis lavé je vais me faire raser
Ensuite bleu de ciel je me confonds avec l'horizon jusqu'à la nuit et c'est un plaisir très doux
De ne rien dire de plus tout ce que je fais c'est un être invisible qui le fait
Puisqu'une fois boutonné tout bleu confondu dans le ciel je deviens invisible
Leopold Survage
I
II
III
Irène Lagut
II
III
IV
L'horloge de demain
Orphée
Poèmepréfaceprophétie
I
Pierre Albert-Birot est une sorte de pyrogène
Si vous voulez enflammer des allumettes
Frottez les donc sur lui
Elles ont des chances de prendre
Trop peu de pyrogènes aujourd'hui
Mais je ne dis rien des allumettes
Il
Il m'a demandé une préface
C'est-à-dire une prophétie
Cependant je n'ai pas le front de prophétiser
Voici donc un poème
Puisque j'aime et que nous aimons les poètes
Mais si vous saviez comme j'aime les prophètes
Et cependant comme j'aime avant tout la réalité
L'avenir m'importe peu
Mais lui Pierre Albert-Birot il est
Avec vous
Avec moi
Le présent
III
Ce que fait Pierre Albert-Birot est si dépouillé
Ou plein d'une telle simplicité
Qu'à l'abord il surprend désagréablement
C'est qu'il n'a pas peur
Qu'on l'appelle un « primaire »
On aurait pu en dire autant à Charlemagne
IV
Si modeste qu'il a longtemps gardé l'anonymat
Il est orgueilleux à l'extrême
Pour ceux qu'il affectionne pour ce qu'il aime
Non pour lui-même
Et avant toute chose cela seul prouve qu'il y a
Aussi en lui cet esprit moderne qui est ce qu'il y a
Au monde
De plus éloigné de tout égoïsme
V
La tendresse est la réalité
Où il découvre des nouveautés poétiques
Elles sont formelles ou lyriques
Et si conformes à la vérité
Qu'on s'étonnera avant dix ans
D'avoir pu en être étonné
Et fraternellement je lui donne l'accolade
Et offre à son baiser de paix
La Margelle du Puits Capital
Vous me parlez d'un ministère
Et des Lettres et des Beaux-Arts
Je vous réponds que c'est la guerre
La guerre avec tous ses hasards
Que pensez-vous donc cher confrère
De celui-ci qu'il faudrait faire
Et qui serait le ministère
Des Embusqués et des Froussards
Signé Guillaume Apollinaire
CALLIGRAMME
en forme de morceau de sucre
Tel un contre-filet
Ton bel entrefilet
Planton, je l'apprécie
Et je te remercie
Souvenir des Flandres
J’ai goûté sur la dune où Dante a dû passer
Les couchants langoureux des pensives Zélandes;
Les clochers regardaient de la digue et des landes,
Bruges, sur ton canal les bélandres glisser.
Villes, vos monuments, églises et musées,
Renaissent en mon âme. O Flandres, je revois
Vos chefs-d’œuvre debout, et d'eux monte une voix
Qui dit : « Nous renaîtrons, nous les pierres brisées. »
« Nous reviendrons, nous livres et tableaux,
Nous autels, nous joyaux, et nous L' AGNEAU MYSTIQUE,
Nous Châsse de Memlinc, cet éternel cantique,
Et vous ces fins d'été qui saignent dans les flots.
Nous renaîtrons : corons, hospices, béguinages,
Beffrois et carillons, négoces opulents.
Qu’importe le Malheur ! Sur les canaux dolents
Comme des cygnes vont les misères des âges.
Leur sillage s'efface aussitôt. Les destins
Rient dans les moissons d'or et dans le sein des mères.
Nous renaîtrons aussi, nous fêtes populaires,
Kermesses, Carrousels. » 0 fraîcheur des matins,
Et tendresse des longs soirs alanguis dans les Flandres,
Grands ports que chaque nuit colorent les fanaux,
Je me souviens de vous, eaux vertes des canaux
Où glissent lentement les pensives bélandres.
Et des santons venus des bergeries qu'attristent
Des bêlements et des yeux doux d'agneaux mignons
Mèneront chaque soir vers la croix de ce Christ ;
Un long troupeau lyrique avec un crâmignon.
L'anémone a fleuri dans le nom d'Archangel
Quand les anges pleuraient d'avoir des engelures,
Et le nom de Florence a soupiré conclure
Les serments en vertige aux degrés de l'échelle.
Des voix blanches chantant dans le nom d'Archangel
Ont modulé souvent des nénies de Florence
Dont les fleurs, en retour, plaquaient de lourdes transes
Les plafonds et les murs qui suintent au dégel.
O Florence! Archangel!
Dune : baie de laurier, mais l'autre : herbe angélique,
Des femmes, tour à tour, se penchent aux margelles
Et comblent le puits noir de fleurs et de reliques,
De reliques d'archange et de fleurs d'Archangel!
Le chant des druides
Hésus et Taranis la femelle
L'annoncent par un vol aquilin :
La dame au corsage qui pommelle
A fait mourir, aujourd'hui, Merlin.
Teutatès aime l'aigle qui plane
Et qui veut le soleil enchanter
Je préfère un corbeau sur un crâne,
Quand l'oiseau veut l'œil désorbiter.
O corbeau qui disparus à droite
Sur un froid menhir t'es-tu penché ?
Où, pourrissant dans sa fosse étroite,
Trouvas -tu le cadavre cherché ?
Nous nous en irons vers nos demeures,
L'un vers la mer, l'autre vers les monts,
Frère, parle avant que tu ne meures.
Merlin est mort, mais nous nous aimons.
La déclamation du premier druide
très loin, au bord de l'Océan.
Selon la harpe consciente, je dirai
Pourquoi créant, ma triade, tu gesticules
Et si le froid menhir est un dieu figuré,
Le dieu galant qui procréa sans testicules.
Onde douce comme les vaches, j'ai langui
Loin de la mer. Voici le golfe aux embouchures
Et les chênes sacrés qui supportent le gui;
Trois femmes sur la rive qui appellent les parjures.
Au large, les marins font des signes de croix.
Ces baptisés, pareils à des essaims sans ruches
Nageurs près de mourir, folles! devant vous trois,
Rassembleront bientôt au svatisca des cruches.
La déclamation du deuxième druide
très loin, à mi-côte
de la montagne, dans un sentier périlleux.
Ils laissent en mourant des divinités fausses
Et d'eux ne reste au ciel qu'une étoile de plomb.
Les lions de Moriane ont rugi dans leurs fosses,
Les aigles de leur bec ont troué l'aquilon,
En voyant, loin, la ville en hachis de lumière,
Croyant voir, sur le sol, un soleil écrasé,
Éblouis, ont baissé leur seconde paupière;
Ah! détruis, vrai soleil, ce qui fut embrasé.
A Orkenise, pour un bel orfèvre blond
Lee filles, chaque nuit, s'endormaient, indécises,
C’est un soir, quand s'en vient la dame très éprise
Chez le plus bel orfèvre pâle d'Orkenise.
« Viens, la main dans la main, trouver un clair vallon
Tu auras pour fermail de ton col mes doigts blêmes,
A orfévrer nos cheveux d'or, ô toi que j'aime.
Nous nous aimerons à en prendre le baptême. »
Dans les vergers de la contrée d'Escavalon,
Les filles ont pleuré, chaque année, leur méprise.
Au val, les bras sont las, les chevelures grises;
Ces lourds joyaux de cet orfèvre d'Orkenise!...
Les trois faux rois mages
Faux Balthazar
au chef livide, blanc comme les taches des ongles.
Le fils d'un des plus petits faux dieux
Par amour est mort très vieux
Pour guider vers lui pas de sidère
Rien qu'une ombre sur la terre.
Faux Gaspar
au chef de couleur de cire vierge.
Nous ne portons pas pour beaux présents
La myrrhe, l'or et l'encens
Mais le sel, le soufre et le mercure
Pour orner sa sépulture.
Faux Melchior
au chef nègre couleur de peau d'éléphant.
Serments par sa mère violés!
Chute des chefs décollés!
Faux dieux magiques! pas de sidère,
Rien qu'une ombre sur la terre !
Mon aimée adorée avant que je m'en aille,
Avant que notre amour, Maria, ne déraille,
Râle et meure, m'amie, une fois, une fois,
Il faut nous promener tous deux seuls dans les bois,
Alors je m'en irai plein de bonheur je crois.
Voici le cercueil
Vive la France