Sommaire
Louis de Coligny Châtillon (1881-1963)
C'est dans cette fleur que bat mon coeur
A Lou hommage...
A madame la Comtesse
IV
Je pense à toi mon Lou ton cœur est ma caserne
Mes sens sont tes chevaux ton souvenir est ma luzerne
Le ciel est plein ce soir de sabres d’éperons
Les canonniers s’en vont dans l’ombre lourds et prompts
Mais près de toi je vois sans cesse ton image
Ta bouche est la blessure ardente du courage
Nos fanfares éclatent dans la nuit comme ta voix
Quand je suis à cheval tu trottes près de moi
Nos 75 sont gracieux comme ton corps
Et tes cheveux sont fauves comme le feu d’un obus qui éclate au nord
Je t’aime tes mains et mes souvenirs
Font sonner à toute heure une heureuse fanfare
Des soleils tour à tour se prennent à hennir
Nous sommes les bat-flanc sur qui ruent les étoiles
Nîmes, le 17 décembre 1914
V
Au lac tes yeux très profond
Mon pauvre cœur se noie et fond
Là se défont
Dans l’eau d’amour et de folie
Souvenir et Mélancolie
Nîmes, le 18 décembre 1914
VI
La fumée de la cantine est comme la nuit qui vient
Voix hautes ou graves le vin saigne partout
Je tire ma pipe libre et fier parmi mes camarades
Ils partiront avec moi pour les champs de bataille
Ils dormiront la nuit sous la pluie ou les étoiles
Ils galoperont avec moi portant en croupe des victoires
Ils obéiront avec moi aux mêmes commandements
Ils écouteront attentifs les sublimes fanfares
Ils mourront près de moi et moi peut-être près d’eux
Ils souffriront du froid et du soleil avec moi
Ils sont des hommes ceux-ci qui boivent avec moi
Ils obéissent avec moi aux lois de l’homme
Ils regardent sur les routes les femmes qui passent
Ils les désirent mais moi j’ai des plus hautes amours
Qui règnent sur mon cœur mes sens et mon cerveau
Et qui sont ma patrie ma famille et mon espérance
À moi soldat amoureux soldat de la douce France
Nîmes, jour de Noël 1914
VII
Mon Lou la nuit descend tu es à moi je t’aime
Les cyprès ont noirci le ciel a fait de même
Les trompettes chantaient ta beauté mon bonheur
De t’aimer pour toujours ton cœur près de mon cœur
Je suis revenu doucement à la caserne
Les écuries sentaient bon la luzerne
Les croupes des chevaux évoquaient ta force et ta grâce
D’alezane dorée ô ma belle jument de race
La tour Magne tournait sur sa colline laurée
Et dansait lentement lentement s’obombrait
Tandis que des amants descendaient de la colline
La tour dansait lentement comme une sarrasine
Le vent souffle pourtant il ne fait pas du tout froid
Je te verrai dans deux jours et suis heureux comme un roi
Et j’aime de t’y aimer cette Nîmes la Romaine
Où les soldats français remplacent l’armée prétorienne
Beaucoup de vieux soldats qu’on n’a pu habiller
Ils vont comme des bœufs tanguent comme des mariniers
Je pense à tes cheveux qui sont mon or et ma gloire
Ils sont toute ma lumière dans la nuit noire
Et tes yeux sont les fenêtres d’où je veux regarder
La vie et ses bonheurs la mort qui vient aider
Les soldats las les femmes tristes et les enfants malades
Des soldats mangent près d’ici de l’ail dans la salade
L’un a une chemise quadrillée de bleu comme une carte
Je t’adore mon Lou et sans te voir je te regarde
Ça sent l’ail et le vin et aussi l’iodoforme
Je t’adore mon Lou embrasse-moi avant que je ne dorme
Le ciel est plein d’étoiles qui sont les soldats
Morts ils bivouaquent là-haut comme ils bivouaquaient là-bas
Et j’irai conducteur un jour lointain t’y conduire
Lou que de jours de bonheur avant que ce jour ne vienne luire
Aime-moi mon Lou je t’adore Bonsoir
Je t’adore je t’aime adieu mon Lou ma gloire
Nîmes, le 29 décembre 1914
VIII
Je t’adore mon Lou et par moi tout t’adore
Les chevaux que je vois s’ébrouer aux abords
L’appareil des monuments latins qui me contemplent
Les artilleurs vigoureux qui dans leur caserne rentrent
Le soleil qui descend lentement devant moi
Les fantassins bleu pâle qui partent pour le front pensent à toi
Car ô ma chevelue de feu tu es la torche
Qui m’éclaire ce monde et flamme tu es ma force
Dans le ciel les nuages
Figurent ton image
Le mistral en passant
Emporte mes paroles
Tu en perçois le sens
C’est vers toi qu’elles volent
Tout le jour nos regards
Vont des Alpes au Gard
Du Gard à la Marine
Et quand le jour décline
Quand le sommeil nous prend
Dans nos lits différents
Nos songes nous rapprochent
Objets dans la même poche
Et nous vivons confondus
Dans le même rêve éperdu
Mes songes te ressemblent
Les branches remuées ce sont tes yeux qui tremblent
Et je te vois partout toi si belle et si tendre
Les clous de mes souliers brillent comme tes yeux
La vulve des juments est rose comme la tienne
Et nos armes graissées c’est comme quand tu me veux
Ô douceur de ma vie c’est comme quand tu m’aimes
L’hiver est doux le ciel est bleu
Refais-me le refais-me le
Toi ma chère permission
Ma consigne ma faction
Ton amour est mon uniforme
Tes doux baisers sont les boutons
Ils brillent comme l’or et l’ornent
Et tes bras si roses si longs
Sont les plus galants des galons
Un monsieur près de moi mange une glace blanche
Je songe au goût de ta chair et je songe à tes hanches
À gauche lit son journal une jeune dame blonde
Je songe à tes lettres où sont pour moi toutes les nouvelles du monde
Il passe des marins la mer meurt à tes pieds
Je regarde ta photo tu es l’univers entier
J’allume une allumette et vois ta chevelure
Tu es pour moi la vie cependant qu’elle dure
Et tu es l’avenir et mon éternité
Toi mon amour unique et la seule beauté
Nimes, le 10 janvier 1915
IX
Mon Lou je veux te reparler maintenant de l’Amour
Il monte dans mon cœur comme le soleil sur le jour
Et soleil il agite ses rayons comme des fouets
Pour activer nos âmes et les lier
Mon amour c’est seulement ton bonheur
Et ton bonheur c’est seulement ma volonté
Ton amour doit être passionné de douleur
Ma volonté se confond avec ton désir et ta beauté
Ah ! Ah ! te revoilà devant moi toute nue
Captive adorée toi la dernière venue
Tes seins ont le goût pâle des kakis et des figues de Barbarie
Hanches fruits confits je les aime ma chérie
L’écume de la mer dont naquit la déesse
Évoque celle-là qui naît de ma caresse
Si tu marches Splendeur tes yeux ont le luisant
D’un sabre au doux regard prêt à se teindre de sang
Si tu te couches Douceur tu deviens mon orgie
Et le mets savoureux de notre liturgie
Si tu te courbes Ardeur comme une flamme au vent
Des atteintes du feu jamais rien n’est décevant
Je flambe dans ta flamme et suis de ton amour
Le phénix qui se meurt et renaît chaque jour
Chaque jour
Mon amour
Va vers toi ma chérie
Comme un tramway
Il grince et crie
Sur les rails où je vais
La nuit m’envoie ses violettes
Reçois-les car je te les jette
Le soleil est mort doucement
Comme est mort l’ancien roman
De nos fausses amours passées
Les violettes sont tressées
Si d’or te couronnait le jour
La nuit t’enguirlande à son tour
Nîmes, le 12 janvier 1915
X
C’est l’hiver et déjà j’ai revu des bourgeons
Aux figuiers dans les clos Mon amour nous bougeons
Vers la paix ce printemps de la guerre où nous sommes
Nous sommes bien Là-bas entends le cri des hommes
Un marin japonais se gratte l’œil gauche avec l’orteil droit
Sur le chemin de l’exil voici des fils de rois
Mon cœur tourne autour de toi comme un kolo où dansent quelques jeunes soldats serbes auprès d’une pucelle endormie
Le fantassin blond fait la chasse aux morpions sous la pluie
Un belge interné dans les Pays-Bas lit un journal où il est question de moi
Sur la digue une reine regarde le champ de bataille avec effroi
L’ambulancier ferme les yeux devant l’horrible blessure
Le sonneur voit le beffroi tomber comme une poire trop mûre
Le capitaine anglais dont le vaisseau coule tire une dernière pipe d’opium
Ils crient Cri vers le printemps de paix qui va venir Entends le cri des hommes
Mais mon cri va vers toi mon Lou tu es ma paix et mon printemps
Tu es ma Lou chérie le bonheur que j’attends
C’est pour notre bonheur que je me prépare à la mort
C’est pour notre bonheur que dans la vie j’espère encore
C’est pour notre bonheur que luttent les armées
Que l’on pointe au miroir sur l’infanterie décimée
Que passent les obus comme des étoiles filantes
Que vont les prisonniers en troupes dolentes
Et que mon cœur ne bat que pour toi ma chérie
Mon amour ô mon Lou mon art et mon artillerie
Nîmes, le 17 janvier 1915
XI
Guirlande de Lou
Je fume un cigare à Tarascon en humant un café
Des goumiers en manteau rouge passent près de l’hôtel des Empereurs
Le train qui m’emporta t’enguirlandait de tout mon souvenir nostalgique
Et ces roses si roses qui fleurissent tes seins
C’est mon désir joyeux comme l’aurore d’un beau matin
Une flaque d’eau trouble comme mon âme
Le train fuyait avec un bruit d’obus de 120 au terme de sa course
Et les yeux fermés je respirais les héliotropes de tes veines
Sur tes jambes qui sont un jardin plein de marbres
Héliotropes ô soupirs d’une Belgique crucifiée
Et puis tourne tes yeux ce réséda si tendre
Ils exhalent un parfum que mes yeux savent entendre
L’odeur forte et honteuse des Saintes violées
Des sept Départements où le sang a coulé
Hausse tes mains Hausse tes mains ces lys de ma fierté
Dans leur corolle s’épure toute l’impureté
Ô lys ô cloches des cathédrales qui s’écroulent au nord
Carillons des Beffrois qui sonnent à la mort
Fleurs de lys fleurs de France ô mains de mon amour
Vous fleurissez de clarté la lumière du jour
Tes pieds tes pieds d’or touffes de mimosas
Lampes au bout du chemin fatigues des soldats
— Allons c’est moi ouvre la porte je suis de retour enfin
— C’est toi assieds-toi entre l’ombre et la tristesse
— Je suis couvert de boue et tremble de détresse
Je pensais à tes pieds d’or pâle comme à des fleurs
— Touche-les ils sont froids comme quelqu’un qui meurt
Les lilas de tes cheveux qui annoncent le printemps
Ce sont les sanglots et les cris que jettent les mourants
Le vent passe au travers doux comme nos baisers
Le printemps reviendra les lilas vont passer
Ta voix, ta voix fleurit comme les tubéreuses
Elle enivre la vie ô voix ô voix chérie
Ordonne ordonne au temps de passer bien plus vite
Le bouquet de ton corps est le bonheur du temps
Et les fleurs de l’espoir enguirlandent tes tempes
Les douleurs en passant près de toi se métamorphosent
— Écroulements de flammes morts frileuses hématidroses —
En une gerbe où fleurit La Merveilleuse Rose
Tarascon, 24 janvier 1915
XII
Si je mourais là-bas...
Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l’étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace
Comme font les fruits d’or autour de Baratier
Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L’amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie
— Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur —
Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
Ô mon unique amour et ma grande folie
30 janvier 1915, Nîmes
La nuit descend
On y pressent
Un long un long destin de sang
XIII
La mésange
Les soldats s’en vont lentement
Dans la nuit trouble de la ville
Entends battre mon cœur d’amant
Ce cœur en vaut bien plus de milles
Puisque je t’aime éperdument
Je t’aime éperdument, ma chère
J’ai perdu le sens de la vie
Je ne connais plus la lumière
Puisque l’Amour est mon envie
Mon soleil et ma vie entière
Écoute-le battre mon cœur
Un régiment d’artillerie
En marche mon cœur d’Artilleur
Pour toi se met en batterie
Écoute-le petite sœur
Petite sœur je te prends toute
Tu m’appartiens je t’appartiens
Ensemble nous faisons la route
Et dis-moi de ces petits riens
Qui consolent qui les écoute
Un tramway descend vitement
Trouant la nuit, la nuit de verre
Où va mon cœur en régiment
Tes beaux yeux m’envoient leur lumière
Entends battre mon cœur d’amant
Ce matin vint une mésange
Voleter près de mon cheval
C’était peut-être un petit ange
Exilé dans le joli val
Où j’eus sa vision étrange
Ses yeux c’était tes jolis yeux
Son plumage ta chevelure
Son chant les mots mystérieux
Qu’à mes oreilles on susurre
Quand nous sommes bien seuls tous deux
Dans le vallon j’étais tout blême
D’avoir chevauché jusque-là
Le vent criait un long poème
Au soleil dans tout son éclat.
Au bel oiseau j’ai dit « Je t’aime »
Nîmes, le 2 février 1915
XIV
Parce que tu m’as parlé de vice
Tu m’as parlé de vice en ta lettre d’hier
Le vice n’entre pas dans les amours sublimes
Il n’est pas plus qu’un grain de sable dans la mer
Un seul grain descendant dans les glauques abîmes
Nous pouvons faire agir l’imagination
Faire danser nos sens sur les débris du monde
Nous énerver jusqu’à l’exaspération
Ou vautrer nos deux corps dans une fange immonde
Et liés l’un à l’autre en une étreinte unique
Nous pouvons défier la mort et son destin
Quand nos dents claqueront en claquement panique
Nous pouvons appeler soir ce qu’on dit matin
Tu peux déifier ma volonté sauvage
Je peux me prosterner comme vers un autel
Devant ta croupe qu’ensanglantera ma rage
Nos amours resteront pures comme un beau ciel
Qu’importe qu’essoufflés muets bouches ouvertes
Ainsi que deux canons tombés de leur affût
Brisés de trop s’aimer nos corps restent inertes
Notre amour restera bien toujours ce qu’il fut
Ennoblissons mon cœur l’imagination
La pauvre humanité bien souvent n’en a guère
Le vice en tout cela n’est qu’une illusion
Qui ne trompe jamais que les âmes vulgaires
3 février 1915
XV
Nos étoiles
La trompette sonne et résonne
Sonne l’extinction des feux.
Mon pauvre cœur je te le donne
Pour un regard de tes beaux yeux
Et c’est l’heure tout s’endort
J’écoute ronfler la caserne
Le vent qui souffle vient du Nord
La lune me sert de lanterne
Un chien perdu crie à la mort
La nuit s’écoule lente lente
Les heures sonnent lentement
Toi que fais-tu belle indolente
Tandis que veille ton amant
Qui soupire après son amante
Et je cherche au ciel constellé
Où sont nos étoiles jumelles
Mon destin au tien est mêlé
Mais nos étoiles où sont-elles
Ô ciel mon joli champ de blé
Hugo l’a dit célèbre image
Booz et Ruth s’en vont là-haut
Pas au plafond sur le passage
Comme au roman de Balao
Duquel je n’ai lu qu’une page
Un coq lance « cocorico »
Ensemble nos chevaux hennissent
A Nice me répond l’Echo
Tous les amours se réunissent
Autour de mon petit Lou de Co
L’inimaginable tendresse
De ton regard parait aux cieux
Mon lit ressemble à ta caresse
Par la chaleur puisque tes yeux
Au nom de Nice m’apparaissent
La nuit s’écoule doucement
Je vais enfin dormir tranquille
Tes yeux qui veillent ton amant
Sont-ce pas ma belle indocile
Nos étoiles au firmament
3 Février 1915.
XVI
Dans un café à Nîmes
Vous partez — Oui c’est pour ce soir —
Où allez-vous Reims ou Belgique
Mon voyage est un grand [trou] noir
À travers notre République
C’est tout ce que j’en peux savoir —
Y fûtes-vous — Dans la Lorraine
J’ai fait campagne tout d’abord
J’ai vu la Marne et j’ai vu l’Aisne
J’ai frôlé quatre fois la mort
Qui du Nord est la souveraine
J’ai reçu deux éclats d’obus
Et la médaille militaire
Blessé c’est dans un autobus
Que je m’en revins en arrière
Près d’un espion en gibus
Il voulait fuir Mes mains crispées
L’étranglèrent Ce vilain mort
Me servit de lit Les Napées
Et toutes les Nymphes du Nord
Sur le chemin s’étaient groupées
Et disaient d’une douce voix
Tandis que couleur d’espérance
Bruissait le feuillage du bois
« Bravo petit soldat de France »
Puis je fis un signe de croix —
Caporal qui vas aux tranchées
Heureux est ton sort glorieux
Là-bas aux lignes piochées
À vos fusils impérieux
Les victoires sont accrochées
Dans un dépôt nous canonniers
Attendons notre tour de gloire
Vous êtes partis les premiers
Nous remporterons la victoire
Qui se jette au cou des derniers —
Canonnier ayez patience
Adieu donc — Adieu caporal —
Votre nom — Mon nom l’Espérance
Je suis un canon un cheval
Je suis l’Espoir Vive la France
4 février 1915.
XVII
Rêverie sur ta venue
Mon Lou mon Cœur mon Adorée
Je donnerais dix ans et plus
Pour ta chevelure dorée
Pour tes regards irrésolus
Pour la chère toison ambrée
Plus précieuse que n’était
Celle-là dont savait la route
Sur la grand-route du Cathai
Qu’Alexandre parcourut toute
Circé que son Jason fouettait
Il la fouettait avec des branches
De laurier-sauce ou d’olivier
La bougresse branlait des hanches
N’ayant plus rien à envier
En faveur de ses fesses blanches
Ce qu'à la Reine fit Jason
Pour ses tours de sorcellerie
Pour sa magie et son poison
Je te le ferai ma chérie
Quand serons seuls à la maison
Je t'en ferai bien plus encore
L'amour la schlague et cotera
Un cul sera noir comme un Maure
Quand ma maîtresse arrivera
Arrive ô mon Lou que j'adore
Dans la chambre de volupté
Où je t'irai trouver à Nîmes
Tandis que nous prendrons le thé
Pendant le peu d'heures intimes
Que m'embellira ta beauté
Nous ferons cent mille bêtises
Malgré la guerre et tous ses maux
Nous aurons de belles surprises
Les arbres en fleur les Rameaux
Pâques les premières cerises
Nous lirons dans le même lit
Au livre de ton corps lui-même
- C'est un livre qu'au lit on lit -
Nous lirons le charmant poème
Des grâces de ton corps joli
Nous passerons de doux dimanches
Plus doux que n'est le chocolat
Jouant tous deux au jeu des hanches
Le soir j'en serai raplapla
Tu seras pâle aux lèvres blanches
Un mois après tu partiras
La nuit descendra sur la terre
En vain je te tendrais les bras
Magicienne du mystère
Ma Circé tu disparaîtras
Où t'en iras-tu ma jolie
À Paris dans la Suisse ou bien
Au bord de ma mélancolie
Que jamais jamais on n'oublie
Alors sonneront sonneront
Les trompettes d'artillerie
Nous partirons et ron et ron
Petit patapon ma chérie
Vers ce que l'on appelle le Front
J'y ferai qui sait des prouesses
Comme font les autres poilus
En l'honneur de tes belles fesses
De tes doux yeux irrésolus
Et de tes divines caresses
Mais en attendant je t'attends
J'attends tes yeux ton cou ta croupe
Que je n'attende pas longtemps
De tes beautés la belle troupe
M'amie aux beaux seins palpitants
Et viens-t'en donc puisque je t'aime
Je le chante sur tous les tons
Ciel nuageux la nuit est blême
La lune chemine à tâtons
Une abeille sur de la crème.
4 février 1915
XVIII
Adieu
L’amour est libre il n’est jamais soumis au sort
O Lou le mien est plus fort encor que la mort
Un cœur le mien te suit dans ton voyage au Nord
Lettres Envoie aussi des lettres ma chérie
On aime en recevoir dans notre artillerie
Une par jour au moins une au moins je t’en prie
Lentement la nuit noire est tombée à présent
On va rentrer après avoir acquis du zan
Une deux trois A toi ma vie A toi mon sang
La nuit mon cœur la nuit est très douce et très blonde
O Lou le ciel est pur aujourd’hui comme une onde
Un cœur le mien te suit jusques au bout du monde
L’heure est venue Adieu l’heure de ton départ
On va rentrer Il est neuf heures moins le quart
Une deux trois Adieu de Nîmes dans le Gard
Nîmes, le 5 février 1915
XIX
Vais acheter une cravache
En peau de porc jaune en couleur
Si je n'en trouve que macache
Prendrai mon fouet de conducteur
Nîmes, le 7 février 1915
XX
Les moutons noirs des nuits d'hiver
S'amènent en longs troupeaux tristes
Les étoiles parsèment l'air
Comme des éclats d'améthystes
Là-bas tu vois les projecteurs
Jouer l'aurore boréale
C'est une bataille de fleurs
Où l'obus est une fleur mâle
Les canons membres génitaux
Engrossent l'amoureuse terre
Le temps est aux instincts brutaux
Pareille à l'amour est la guerre
Ecoute au loin les branle-bas
Claquer le drapeau tricolore
Au vent dans le bruit des combats
Qui durent du soir à l'aurore
Salut salut au régiment
Qui va rejoindre les tranchées
Dans le ciel pâle éperdument
Sur lui la victoire est penchée
Mon cœur embrasse les deux fronts
Front de Toutou front de l'armée
Ce qu'ils ont fait nous le ferons
Au revoir ô ma bien-aimée
Nîmes, le 7 février 1915
XXI
Sonnet du huit février 1915
Lundi 8 février ma biche
Ma biche part
Suis inquiet elle s’en fiche
Buvons du marc
Vrai qu’au service de l’Autriche
(Patate et lard)
Le militaire est très peu riche
Je m’en fous car
Il peut bien vivre d’Espérance
Même il en meurt
Au doux service de la France
Un Artilleur
Mon âme à ta suite s’élance
Adieu mon cœur
Nîmes, le 8 février 1915
Poème du 9 février 1915
XXIII
Quatre jours mon amour pas de lettre de toi
Le jour n'existe plus le soleil s'est noyé
La caserne est changée en maison de l'effroi
Et je suis triste ainsi qu'un cheval convoyé
Que t'est-il arrivé souffres-tu ma chérie
Pleures-tu Tu m'avais bien promis de m'écrire
Lance ta lettre obus de ton artillerie
Qui doit me redonner la vie et le sourire
Huit fois déjà le vaguemestre a répondu
"Pas de lettre pour vous" Et j'ai presque pleuré
Et je cherche au quartier ce joli chien perdu
Que nous vîmes ensemble ô mon cœur adoré
En souvenir de toi longtemps je le caresse
Je crois qu'il se souvient du jour où nous le vîmes
Car il me lèche et me regarde avec tristesse
Et c'est le seul ami que je connaisse à Nîmes
Sans nouvelles de toi je suis désespéré
Que fais-tu Je voudrais une lettre demain
Le jour s'est assombri qu'il devienne doré
Et tristement ma Lou je te baise la main
Nîmes, le 12 février 1915
XXIV
Nîmes le 11 mars 1915
De toi depuis longtemps je n’ai pas de nouvelles
Mais quels doux souvenirs sont ceux où tu te mêles
Lou, mon amour lointain et ma divinité
Souffre que ton dévot adore ta beauté
C’est aujourd’hui le jour de la grande visite
Et tous mon cher amour nous partirons ensuite
C’est question de jours Je ne te verrai plus
Ils ne reviendront plus les beaux jours révolus
Sais-je, mon cher amour, si tu m’aimes encore ?
Les trompettes du soir gémissent lentement
Ta photo devant moi, chère Lou, je t’adore
Et tu sembles sourire encore à ton amant.
J’ignore tout de toi ! Qu’es-tu donc devenue
Es-tu morte es-tu vive et l’as-tu renié
L’amour que tu promis un jour au canonnier
Que je voudrais mourir sur la rive inconnue
Que je voudrais mourir dans le bel Orient
Quand Croisé j’entrerai fier dans Constantinople
Ton image à la main mourir en souriant
Devant la douce mer d’azur et de sinople
Ô Lou ma grande peine ô Lou mon cœur brisé
Comme un doux son de cor ta voix sonne et résonne
Ton regard attendri dont je me suis grisé
Je le revois lointain lointain et qui s’étonne
Je baise tes cheveux, mon unique trésor,
Et qui de ton amour furent le premier gage
Ta voix, mon souvenir, s’éloigne, ô son du cor.
Ma vie est un beau livre et l’on tourne la page
![]() |
Transcription: Adieu mon Lou mes larmes tombent |
Et souviens-toi parfois du temps où tu m’aimais
L’heure
Pleure
trois
fois
![]() |
Transcription: À treize heures trente on ira chez le major |
Prenons-les par le flan
Rantanplan tire lire
Garde-moi bien toutes les lettres que tu m’as écrites
Et dont tu n’es que la dépositaire
Tu dois me les rendre quoi qu’il arrive
À moins que je ne meure
Ce qui se peut fort bien
Mon Lou mon Lou chéri j’ai des baisers plein les lèvres
Je t’en mets sur les yeux sur tes cheveux
Fauves partout partout des baisers affolés
Amour en cristal de Baccarat
Amour brisé en mille morceaux
Quel verrier miraculeux
Pourrait te raccommoder
J’entends le vent se plaindre au-dessus des garrigues
Et ronfler la caserne aux cent mille fatigues
Un chien pleure à la mort comme mon cœur saignant
Je perds tout sauf l’honneur ainsi qu’à Marignan
J’ai perdu mes amours Où sont-elles allées
Sont-ce elles dont j’entends les plaintes désolées
Ô tête trop lourde front en feu mes yeux tristes
Ô pourpres avenirs comme des améthystes
Trajectoires de vie que mon cœur va suivant
Comme un obus lancé qui traverse le vent
La nuit est temps propice à celui qui soupire.
J’ai goûté le meilleur je vais goûter le pire
Mais je t’aime ma Lou comme on n’a pas aimé
Et quand tu seras vieille Enfant mon cœur mon âme
Souviens-toi quelquefois de moi
![]() |
Transcription: FLÈCHE SAIGNANTE |
Adieu mon Lou chéri je t’aime infiniment
Si je pars avant de t’avoir revue
Je t’enverrai mon adresse
Et tu m’écriras si tu veux
Adieu mon Lou je baise tes cheveux
Adieu mon Lou Adieu
Nîmes le 11 mars 1915
XXV
Faction
Je pense à toi ma Lou pendant la faction
J'ai ton regard là-haut en clignements d'étoiles
Tout le ciel c'est ton corps chère conception
De mon désir majeur qu'attisent les rafales
Autour de ce soldat en méditation
Amou, vous ne savez ce que c'est que l'absence
Et vous ne savez pas que l'on s'en sent mourir
Chaque heure infiniment augmente la souffrance
Et quand le jour finit on commence à souffrir
Et quand la nuit revient la peine recommence
J'espère dans le Souvenir ô mon Amour
Il rajeunit il embellit lorsqu'il s'efface
Vous vieillirez Amour vous vieillirez un jour
Le Souvenir au loin sonne du cor de chasse
Ô lente lente nuit ô mon fusil si lourd
Nîmes, le 25 mars 1915
XXVI
La ceinture
LA MUSE
Depuis longtemps déjà je t’ai laissé tout seul
Cependant me voici t’apportant mon mensonge
Poète sois joyeux tu sembles un linceul
Regarde-moi c’est moi je ne suis pas un songe
LE POÈTE
Ô muse je tremblais de ne plus te revoir
Voici ton doux regard, voici ta robe ouverte
Et ta ceinture enfin qui me fait concevoir
Un exquis dénouement devant cette mer verte
L’AMOUR
Va te t’excite pas pas ta Muse qui revient
Ne t’aime maintenant plus qu’à travers l’espace
Mais prends-lui deux baisers comme un suprême bien
Et sois content surtout, puisque tout lasse et passe
LE POÈTE
Mais Amour tu sais bien que je suis maladroit
Dérobe sa ceinture en m’en fais ma couronne
Je me contenterai de penser à l’endroit
Où pressait ce ruban sur sa belle personne
LA MUSE
Poète me voici j’ai deux baisers pour toi
Je t’aimerais toujours d’un amour platonique
Mais toi tu m’appartiens je suis ta seule loi
Et reçois ma ceinture en un don magnifique
LE POÈTE
J’adore ta ceinture ô Muse mon amour
Elle est ronde comme le monde et ta mamelle
Elle est ouverte au centre ainsi ta bouche pour
Rire, et longue comme un vers à rime éternelle
Elle est mon art elle est ma vie et ma douleur
Elle est l’illusion elle est toute lumière
Elle la grande beauté la multiple couleur
Et ma muse en second puisque part la première
Elle est ta forme aussi car elle a pris ton corps
Elle a saisi ton corps comme une belle proie
Va-t’en va-t’en là-bas vers les Ests et les Nords
Où t’entraînent l’Amour la Bravoure et la Joie
Et quand je m’en irai là-bas ou bien ailleurs
Ma muse me suivra ta ceinture idéale
Irréel arc-en-ciel aux sept belles couleurs
Qui décorent ce soir le ciel sur la mer pâle
LA MUSE
Adieu je pars adieu tu m’attends à jamais
L’Amour s’impatiente et la nuit va descendre
LE POÈTE
Eh que m’importe à moi puisque moi je t’aimais
Ce soir j’ai dénoué ta ceinture à jamais
Et toi tu n’as de moi pas même un brin de cendre
L’AMOUR
Espère dans l’Amour Poète il reviendra
Te ramener ta Muse avec sa robe ouverte
Ce que l’Amour a dit Poète il le fera
Adieu la nuit descend et la mer n’est plus verte
LE POÈTE
Adieu petit Amour petit enfant ingrat
Enfin me voici seul dans la nuit incolore
Toi qui n’existes pas CEINTURE je t’adore
Nîmes, le 29 mars 1915
L’attente
On attend le moment de gagner la victoire
On espère l’amour, on espère la gloire
On cueille des lilas
Derniers lilas pareils à des baisers très las
On attend des baisers plus doux que cette lune
Et les fleurs du printemps tombent l’une après l’une
La couille de Japonais rôtie et remplie de chiures de mouche
Le puceron du rosier
C’est une perspective mieux que celle de Nevsky
Une couleuvre avec un archevêque
Le pape est généralissime
On a joué la Brabançonne et les nerpruns fermaient l’horizon
On portait des poteaux télégraphiques de rechange
Les alluvions les plus récentes
Ô tranchée blanche ouverte comme un œuf à la coque
Les grenouilles immobiles la tête hors de l’étang
Tes cheveux aussi doux que des morceaux de sucre
Il y a une horloge qui ne montre que le blanc de l’œil
Tes nichons rempliraient un quart de cavalerie
Escalier en spirale plus beau roman des temps modernes
Elle a des poils en fils de fer barbelés
Narines chevaux de frise
Mais où est le sycophante pour que je revoie
Au moins la figue
Cette petite fille avait le grade de commandant
Toutes tatouée des seins exactement comme des bananes
Il y a ici un ancien marin qui a sodomisé un Hindou
Le veau d’or a tiré son coup
La boulangère est avec le Sénégalais
Les cages dorées où sont les Japonaises
Nuit et nuit et les lilas qui meurent
Il faut tourner rapidement en suivant une courbe du second degré
Pour revenir aux jours les plus charmants des jours passés qui pleurent
Un servant
fait comme Diogène faisait et se branle devant l’Armée
Il y a aussi quelqu’un
Qui se fait pomper le cyclope avec une pompe à bicyclette
Courmelois, fin mai / début juin 1915
XVIII
Et prends bien garde aux Zeppelins
Aux Zeppelins de toute sorte
Ceux des Boches sont pas malins
Ceux des Français sont bien plus pleins
Et prends bien garde aux Zeppelins
Chaque officier français en porte
Nîmes, le 31 mars 1915
XXIX
Ô naturel désir pour l'homme être roi
On est revêtu de la carte de son royaume
Les fleuves sont des épingles d'acier semblables à tes veines où roule l'onde trompeuse de tes yeux
Le cratère d'un volcan qui sommeille mais n'est pas éteint
C'est ton sexe brun et plissé comme une rose sèche
Et les pieds dans la mer je fornique un golfe heureux
C'est ainsi que je l'aime la liberté
Et je veux qu'elle seule soit la loi des autres
Mais je suis l'ennemi des autres libertés
Nîmes, le 1 avril 1915
XXX
Train militaire
Nous marchons, nous marchons d’un immobile pas.
Nous buvons au bidon à la fin du repas
Le dernier arbre en fleurs qu’avant Dijon nous vîmes
(Car c’est fini les fleurs des environs de Nîmes)
Etait tout rose ainsi que tes seins virginaux
Ma vie est démodée ainsi que les journaux
D’hier et nous aimons ô femmes vos images
Sommes dans nos wagons comme oiseaux en cages
Te souvient-il encor du brouillard de Sospel
Une fillette avait ton vice originel
Et notre nuit de Vence avant d’aller à Grasse
Et l’hôtel de Menton Tout passe, lasse et casse
Et quand tu seras vieille ô ma jeune beauté
Lorsque l’hiver viendra après ton bel été
Lorsque mon nom sera répandu sur la terre
En entendant nommer Guillaume Apollinaire
Tu diras « Il m’aimait » et t’enorgueilliras
Allons ouvre ton cœur Tu m’as ouvert tes bras
Les souvenirs ce sont des jardins sans limite
Où le crapaud module un tendre cri d’azur
La biche du silence éperdu passe vite
Un rossignol meurtri par l’amour chante sur
Le rosier de ton corps où j’ai cueilli des roses
Nos cœurs pendent ensemble au même grenadier
Dont les fleurs de grenade entre nos cœurs écloses
En tombant une à une ont jonché le sentier
Les arbres courent fort les arbres courent courent
Et l’horizon vient à la rencontre du train
Et les poteaux télégraphiques s’énamourent
Ils bandent comme un cerf vers le beau ciel serein
Ainsi beau ciel aimé chère Lou que j’adore
Je te désire encore ô paradis perdu
Tous nos profonds baisers je me les remémore.
Il fait un vent tout doux comme un baiser mordu
Après des souvenirs des souvenirs encore
Entre Châtillon-sur-Seine et Chaumont, le 5 avril 1915
XXXI
Il y a
Il y a des petits ponts épatants
Il y a mon cœur qui bat pour toi
Il y a une femme triste sur la route
Il y a un beau petit cottage dans un jardin
Il y a six soldats qui s'amusent comme des fous
Il y a mes yeux qui cherchent ton image
Il y a un petit bois charmant sur la colline
Et un vieux territorial pisse quand nous passons
Il y a un poète qui rêve au ptit Lou
Il y a un ptit Lou exquis dans ce grand Paris
Il y a une batterie dans une forêt
Il y a un berger qui paît ses moutons
Il y a ma vie qui t'appartient
Il y a mon porte-plume réservoir qui court, qui court
Il y a un rideau de peupliers délicat, délicat
Il y a toute ma vie passée qui est bien passée
Il y a des rues étroites à Menton où nous nous sommes aimés
Il y a une petite fille de Sospel qui fouette ses camarades
Il y a mon fouet de conducteur dans mon sac à avoine
Il y a des wagons belges sur la voie
Il y a mon amour
Il y a toute la vie
Je t’adore
Entre Bar-sur Aube et Troyes, le 5 avril 1915
XXXII
Ma Lou, je coucherai ce soir dans les tranchées
Qui près de nos canons ont été piochées
C’est à douze kilomètres d’ici que sont
Ces trous où dans mon manteau couleur d’horizon
Je descendrai tandis qu’éclatent les marmites
Pour y vivre parmi nos soldats troglodytes
Le train s’arrêtait à Mourmelon le Petit
Je suis arrivé gai comme j’étais parti
Nous irons tout à l’heure à notre batterie
En ce moment je suis parmi l’infanterie
Il siffle des obus dans le ciel gris du nord
Personne cependant n’envisage la mort
Et nous vivrons ainsi sur les premières lignes
J’y chanterai tes bras comme les cols des cygnes
J’y chanterai tes seins d’une déesse dignes
Le lilas va fleurir. Je chanterai tes yeux
Où danse tout un chœur d’angelots gracieux
Le lilas va fleurir, ô printemps sérieux
Mon cœur flambe pour toi comme une cathédrale
Et de l’immense amour sonne la générale
Pauvre cœur pauvre amour Daigne écouter le râle
Qui monte de ma vie à ta grande beauté
Je t’envoie un obus plein de fidélité
Et que t’atteigne ô Lou mon baiser éclaté
Mes souvenirs se sont ces plaines éternelles
Que virgules ô Lou les sinistres corbeaux
L’avion de l’amour a refermé ses ailes
Et partout à la ronde on trouve des tombeaux
Et ne me crois pas triste et ni surtout morose
Malgré toi malgré tout je vois la vie en rose
Je sais comment reprendre un jour mon petit Lou
Fidèle comme un dogue avec des dents de Loup
Je suis ainsi mon Lou mais plus tenace encore
Que n’est un aigle alpin sur le corps qu’il dévore
Quatre jours de voyage et je suis fatigué
Mais que je suis content d’être parti de Nîmes
Aussi mon Lou chéri je suis gai je suis gai
Et je ris de bonheur en t’écrivant ces rimes
Cette boue est atroce aux chemins détrempés
Les yeux des fantassins ont des lueurs navrantes
Nous n’irons plus aux bois, les lauriers sont coupés
Les amants vont mourir et mentent les amantes
J’entends le vent gémir dans les sombres sapins
Puis je m’enterrerai dans la mélancolie
Ô ma Lou, tes grands yeux étaient mes seuls copains
N’ai-je pas tout perdu, puisque mon Lou m’oublie
Dix-neuf cent quinze, année où tant d’hommes sont morts
Va-t’en va-t’en aux Enfers des Furies
Jouons jouons aux dés les dés marquent les sorts
J’entends jouer aux dés les deux artilleries
Adieu petite amie ô Lou mon seul amour
Ô mon esclave enfuie
Notre amour qui connut le soleil pas la pluie
Fut un instant trop court
La mer nous regardait de son œil tendre et glauque
Et les orangers d’or
Fructifiaient pour nous. Ils fleurissent encor.
Et j’entends la voix rauque
Des canons allemands crier sur Mourmelon
— Appel de la tranchée —
Ô Lou, ma rose atroce, es-tu toujours fâchée
Avec des yeux de plomb
Ô Lou Démone-Enfant aux baisers de folie
Je te prends pour toujours dans mes bras ma jolie
Deux maréchaux des logis jouent aux échecs en riant
Une diablesse exquise aux cheveux sanglants se signe à l’eau bénite
Quelqu’un lime une bague avec l’aluminium qui se trouve dans la fusée des obus autrichiens
Un képi de fantassin met du soleil sur cette tombe
Tu portes au cou ma chaîne et j’ai au bras la tienne
Ici, on sable le champagne au mess des sous-officiers
Les Allemands sont là derrière les collines
Les blessés crient comme Ariane
O noms plaintifs des joies énormes
Rome Nice Paris Cagnes Grasse Vence Sospel Menton Monaco Nîmes
Un train couvert de neige apporte à Tomsk en Sibérie des nouvelles de la Champagne
Adieu mon petit Lou adieu
Adieu, Le ciel a des cheveux gris
Mourmelon-le Grand, le 6 avril 1915
XXXIII
Mon très cher petit Lou je t’aime
Ma chère petite étoile palpitante je t’aime
Corps délicieusement élastique je t’aime
Vulve qui serre comme un casse-noisette je t’aime
Sein gauche si rose et si insolent je t’aime
Sein droit si tendrement rosé je t’aime
Mamelon droit couleur de champagne non champagnisé je t’aime
Mamelon gauche semblable à une bosse du front d’un petit veau qui vient de naître je t’aime
Nymphes hypertrophiées par tes attouchements fréquents je vous aime
Fesses exquisément agiles qui se rejettent bien en arrière je vous aime
Nombril semblable à une lune creuse et sombre je t’aime
Toison claire comme une forêt en hiver je t’aime
Aisselles duvetées comme un cygne naissant je vous aime
Chute des épaules adorablement pure je t’aime
Cuisse au galbe aussi esthétique qu’une colonne de temple antique je t’aime
Oreilles ourlées comme de petits bijoux mexicains je vous aime
Chevelure trempée dans le sang des amours je t’aime
Pieds savants pieds qui se raidissent je vous aime
Reins chevaucheurs reins puissants je vous aime
Taille qui n’a jamais connu le corset taille souple je t’aime
Dos merveilleusement fait et qui s’est courbé pour moi je t’aime
Bouche ô mes délices ô mon nectar je t’aime
Regard unique regard-étoile je t’aime
Mains dont j’adore les mouvements je vous aime
Nez singulièrement aristocratique je t’aime
Démarche onduleuse et dansante je t’aime
Ô petit Lou je t’aime je t’aime je t’aime
Courmelois, le 8 avril 1915
XXXIV
I
Le ciel est étoilé par les obus des Boches
La forêt merveilleuse où je vis donne un bal
La mitrailleuse joue un air à triples croches
Mais avez-vous le mot — Mais oui le mot fatal —
Aux créneaux, aux créneaux, laissez là les pioches.
On sonne GARDE À VOUS rentrez dans vos maisons
CŒUR obus éclaté qui sifflait sa romance
Je ne suis jamais seul, voici les deux caissons
Tous les dieux de mes yeux s’envolent en silence
Nous vous aimons ô Vie et nous vous agaçons
Les obus miaulaient un amour à mourir
Les amours qui s’en vont sont plus doux que les autres
Il pleut Bergère il pleut et le sang va tarir
Les obus miaulaient Entends chanter les nôtres
Pourpre Amour salué par ceux qui vont périr
Le Printemps tout mouillé la Veilleuse l'Attaque
Il pleut mon âme il pleut mais il pleut des yeux morts
Ulysse que de jours pour rentrer dans Ithaque
Couche-toi sur la paille et songe un beau remords
Qui PUR EFFET DE L'ART soit aphrodisiaque.
II
Je t'écris, ô mon Lou, de la hutte en roseaux
Où palpitent d'amour et d'espoir neuf cœurs d'hommes
Les canons font partir leurs obus en monômes
Et j'écoute gémir la forêt sans oiseaux
Il était une fois en Bohême un poète
Qui sanglotait d'amour puis chantait au soleil
Il était autrefois la comtesse Alouette
Qui sut si bien mentir qu'il en perdit la tête
En perdit sa chanson en perdit le sommeil
Un jour elle lui dit « Je t'aime ô mon poète »
Mais il ne la crut pas et sourit tristement
Puis s'en fut en chantant « Tire-lire Alouette »
Et se cachait au fond d'un petit bois charmant
Un soir, en gazouillant son joli tire-lire
La comtesse Alouette arriva dans le bois
« Je t'aime ô mon poète et je viens te le dire
« Je t'aime pour toujours Enfin, je te revois
« Et prends-la pour toujours, mon âme qui soupire »
Ô cruelle Alouette au coeur dur de vautour
Vous mentîtes encore au poète crédule
J'écoute la forêt gémir au crépuscule
La comtesse s'en fut et puis revint un jour :
« Poète, adore-moi, moi, j'aime un autre amour »
Il était une fois un poète en Bohême
Qui partit à la guerre on ne sait pas pourquoi
Voulez-vous être aimé, n'aimez pas, croyez-moi
Il mourut en disant : « Ma comtesse, je t'aime »
Et j'écoute à travers le petit jour si froid
Les obus s'envoler comme l'amour lui-même
III
Te souviens-tu mon Lou de ce panier d'oranges
Douces comme l'amour qu'en ce temps-là nous fîmes
Tu me les envoyas un jour d'hiver à Nîmes
Et je n'osais manger ces beaux fruits d'or des anges
Je les gardais longtemps pour les manger ensemble
Car tu devais me retrouver à Nîmes
De mon amour vaincu les dépouilles opimes
Pourrirent J'attendais Mon cœur la main me tremble
Une petite orange était restée intacte
Je la pris avec moi quand à six nous partîmes
Et je l'ai retrouvée intacte comme à Nîmes
Elle est toute petite et sa peau se contracte
Et tandis que les obus passent, je la mange
Elle est exquise ainsi que mon amour de Nîmes
Ô soleil concentré riche comme mes rimes
Ô savoureux amour, ô ma petite orange
Les souvenirs sont-ils un beau fruit qu'on savoure
En mangeant j'ai détruit mes souvenirs opimes.
Puissé-je t’oublier mon pauvre amour de Nîmes
J'ai tout mangé l'orange et la peau qui l'entoure
Mon Lou pense parfois à la petite orange
Douce comme l'amour le pauvre amour de Nîmes
Douce comme l'amour qu'en ce temps-là nous fîmes
Il me reste une orange
un cœur un cœur étrange
IV
Tendres yeux éclatés de l’amante infidèle
Obus mystérieux
Si tu savais le nom du beau cheval de selle
Qui semble avoir tes yeux
Car c’est Loulou, mon Lou, que mon cheval se nomme,
Un alezan brûlé
Couleur de tes cheveux, cul rond comme une pomme,
Il est là tout sellé
Il faut que je reçoive ô mon Lou la mesure
Exacte de ton doigt
Car je veux te sculpter une bague très pure
Dans un métal d’effroi
Courmelois, le 8 avril 1915
XXXV
Agent de liaison
Le 12 avril 1915 tormoha
L
’ombre d’un homme et d’un cheval au galop se profile sur le mur
Ô sons Harmonie Hymne de la petite église bombardée tous les jours
Un harmonium y joue et l’on n’y chante pas
Mon cœur est comme l’horizon où tonne et se prolonge
La canonnade ardente de cent mille passions
Ah miaulez Ah miaulez les chats d’enfer
Le 12 avril 1915
Ô ciel ô mon beau ciel gemmé de canonnades
Le ciel faisait la roue comme un phénix qui flambe
Paon lunaire rouant Ainsi-soit-il
On disait du soleil Mahomet Mahomet
Je suis un cri d’humanité
Je suis un silence militaire
Dans un bois de bouleaux de hêtres de noisetiers
Ensoleillé comme si un trusteur y avait jeté ses banques
Je me suis égaré
Canonnier n’entendez-vous pas ronfler deux avions boches
Mettez votre cheval dans le bois Inutile de le faire repérer
Adieu mon bidet noir
Un pont d’osier et de roseaux un autre un autre
Une grenouille saute
Y a-t-il encore des petites filles qui sautent à la corde
Ah petites filles Y a-t-il encore des petites filles
Le soleil caressait les mousses délicates
Un lièvre courageux levait le derrière
Ah! petites et grandes filles
Il vaut mieux être cocu qu’aveugle
Au moins on voit ses confrères
Enfermons-nous ensemble en mon âme
Ô mon amour chéri qui portes un masque aveugle
Une petite fille nue t’en souviens-tu
T’en souviens-tu
Étouffait une colombe blanche sur sa poitrine
Et me regardait d’un air innocent
Tandis que palpitait sa victime
Soldat Te souviens-tu du soir Tu était au théâtre
Dans la loge d’un ambassadeur
Et cette jeune femme pâle et glorieuse
Te branla pendant le spectacle
Dis-moi soldat dis-moi t’en souviens-tu
Te souviens-tu du jour où l’on te demanda la schlague
Devant la mer furieuse
Dis-moi Guillaume dis-moi t’en souviens-tu
Après les ponts le sentier Attention à la branche
Brisée
Ah brise-toi mon cœur comme une trahison
Et voilà la Branche brisée
Un carré de papier blanc sur un buisson à droite
Où est le carré de papier blanc
Et me voici devant une cabane
Que procède un luxe florissant
De tulipes et de narcisses
À droite canonnier et suivez le sentier
Enfin je ne suis plus égaré
Plus égaré
Plus égaré
Tu peux faire mon Lou tout ce que tu voudras
Tu ne me mettras plus mon Lou dans l’embarras
Une baïonnette dont ne sait si elle est boche française ou anglaise sert de tisonnier
![]() |
Transcription: Entends chanter les flammes dans la petite cabane |
Vous avez un laissez-passer
Agent de liaison
Le mot
C’était c’était La Ville où Lou je t’ai connu
Ô Lou mon vice
LE 12 avril 1915
Un agent de liaison traversait au galop un terrain découvert
Puis le soir venu il grava sur la bague
Gui aime Lou
Le 12 avril 1915 Tormoha Manitangène
Lamahona
Lamahonette
Un homme de ma batterie pêchait dans le canal
Y a partout des sentinelles
Baïonnette au canon devant le commandant d’armes
Je m’en fous amenez-moi votre lieutenant
Enfin je me tirai de cette infanterie
Je ne sais pas comment
Te souviens-tu du jour où cette fille sage
S’arracha quatre dents
Afin de te donner un précieux témoignage
De son amour ardent
L’ombre d’un cavalier et d’un cheval s’allonge sur le sol
La villa du Cafard est dans le bois X
Les chatons des noisetiers nuances les mousses
Et les lichens sont pâles
Comme les joues de Lou quand elle jouit
Quel prince du Bengale donne un feu d’artifice cette nuit
Et puis
Et puis
Et puis je t’aime
13 avril 1915
XXXVI
Ô Lou ma très chérie
Faisons donc la féerie
De vivre en nous aimant
Étrangement
Et chastement
Nous ferons des voyages
Nous verrons des parages
Tout pleins de volupté
Des ciels d’été
Et ta beauté
Mes mains resteront pures
Mon cœur a ses blessures
Que tu me panseras
Puis dans mes bras
Tu dormiras
Par de jolis mensonges
Des faux semblants des songes
Tu feras qu’éveillé
Ait sommeillé
Émerveillé
Ce cerveau que je donne
Pour ta grâce ô démone
Ô pure nudité
De la Clarté
Du pâle été
Ainsi j’évoque celle
Qui te prendra ma belle
Par l’Art magicien
Très ancien
Que je sais très bien
Les philtres les pentacles
Les lumineux spectacles
T’apportent agrandis
Les paradis
Les plus maudits
Nous aurons je te jure
Une volupté pure
Sans ces attouchements
Que font déments
Tous les amants
Et purs comme des anges
Nous dirons les louanges
De ta grande beauté
Dans ma Clarté
De Pureté
Douce douce est ma peine
Ce soir je t’aime à peine
Mon cœur fini l’hiver
Il vient d’Enfer
Du feu du fer
J’ai charmé la blessure
De cette bouche impure
Aime ma chasteté
C’est la Clarté
De ta beauté
Courmelois, le 14 avril 1915
XXXVII
Mon cœur j’ai regardé longtemps ce soir
Devant l’écluse
L’étoile ô Lou qui fait mon désespoir
Mais qui m’amuse
Ô ma tristesse et mon ardeur Lou mon amour
Les jours s’écoulent
Les nuits s’en vont comme s’en va le jour
Les nuits déroulent
Le chapelet sacrilège des obus boches
C’est le printemps
Et les oiseaux partout font leurs bamboches.
On est contents
On est content au bord de la rivière
Dans la forêt
On est content La mort règne sur terre
Mais l’on est prêt
On est prêts à mourir pour que tu vives
Dans le bonheur
Les obus ont brûlé les fleurs lascives
Et cette fleur
Qui poussait dans mon cœur et que l’on nomme
Le souvenir
Il reste bien de la fleur son fantôme
C’est le désir
Il ne vient que la nuit quand je sommeille
Vienne le jour
Et la forêt d’or s’ensoleille
Comme l’Amour
Les nuages s’en vont courir les mondes
Quand irons-nous
Courir aussi tous deux les grèves blondes
Puis à genoux
Prier devant la vaste mer qui tremble
Quand l’oranger
Mûrit le fruit doré qui te ressemble
Et sans bouger
Écouter dans la nuit l’onde cruelle
Chanter la mort
Des matelots noyés en ribambelle.
Ô Lou tout dort
J’écris tout seul à la lueur tremblante
D’un feu de bois
De temps en temps un obus se lamente
Et quelquefois
C’est le galop d’un cavalier qui passe
Sur le chemin
Parfois le cri sinistre de l’agace
Monte Ma Main
Dans la nuit trace avec peine ces lignes
Adieu mon cœur
Je trace aussi mystiquement les signes
Du Grand Bonheur
Ô mon amour mystique ô Lou la vie
Nous donnera
La délectation inassouvie
On connaîtra
Un amour qui sera l’amour unique
Adieu mon cœur
Je vois briller cette étoile mystique
Dont la couleur
Est de tes yeux la couleur ambiguë
J’ai ton regard
Et j’en ressens une blessure aiguë
Adieu c’est tard
Courmelois, le 15 avril 1915
XXXVIII
Mon Lou ma chérie Je t'envoie aujourd'hui la première pervenche
Ici dans la forêt on a organisé des luttes entre les hommes
Ils s'ennuient d'être tout seuls sans femme faut bien les amuser le dimanche
Depuis si longtemps qu'ils sont loin de tout ils savent à peine parler
Et parfois je suis tenté de leur montrer ton portrait pour que ces jeunes mâles
Réapprennent en voyant ta photo
Ce que c'est que la beauté
Mais cela c'est pour moi c'est pour moi seul
Moi seul ai droit de parler à ce portrait qui pâlit
À ce portrait qui s'efface
Je le regarde parfois longtemps une heure deux heures
Et je regarde aussi les 2 petits portraits miraculeux
Mon cœur
La bataille des aéros dure toujours
La nuit est venue
Quelle triste chanson font dans les nuits profondes
Les obus qui tournoient comme de petits mondes
M’aimes-tu donc mon cœur et ton âme bien née
Veut-elle du laurier dont ma tête est ornée
J’y joindrai bien aussi de ces beaux myrtes verts
Couronne des amants qui ne sont pas pervers
En attendant voici que le chêne me donne
Sa guerrière couronne
Et quand te reverrai-je ô Lou ma bien-aimée
Reverrai-je Paris et sa pâle lumière
Trembler les soirs de brume autour des réverbères
Reverrai-je Paris et les sourires sous les voilettes
Les petits pieds rapides des femmes inconnues
La tour de Saint Germain-des-Prés
La fontaine du Luxembourg
Et toi mon adorée mon unique adorée
Toi mon très cher amour
Je t’aime tout plein
tout gentiment
Mon joli ptit Lou
et je t’embrasse
Courmelois, le 18 avril 1915
XXXIX
Au soleil
J’ai sommeil
Lou je t’aime
Mon poème
Te redit
Ce lundi
Que je t’aime
Lou, Loulou
Me regarde
Ce ptit loup
Se hasarde
À venir
Voir courir
Sur ma lettre
Le crayon
Qui visite
Mon ptit Lou
Vite vite
Je te quitte
Et vais vite
Sur Loulou
Courmelois, le 19 avril 1915
XL
Un rossignol en mal d’amour
Chante et rechante tour à tour
Sur le mode
Majeur
Puis le mode mineur
Et je voudrais qu’il prît le ton de l’ode
Afin de te chanter à ce déclin de jour
Ma très chère ptit Lou ma très chèreamour
Courmelois, le 20 avril 1915
XLI
Scène nocturne du 22 avril 1915
Gui chante pour Lou
Mon ptit Lou adoré Je voudrais mourir un jour que tu m'aimes
Je voudrais être beau pour que tu m'aimes
Je voudrais être fort pour que tu m'aimes
Je voudrais être jeune jeune pour que tu m'aimes
Je voudrais que la guerre recommençât pour que tu m'aimes
Je voudrais te prendre pour que tu m'aimes
Je voudrais te fesser pour que tu m'aimes
Je voudrais te faire mal pour que tu m'aimes
Je voudrais que nous soyons seuls dans une chambre d'hôtel à Grasse pour que tu m'aimes
Je voudrais que nous soyons seuls dans mon petit bureau près de la terrasse couchés sur le lit de fumerie pour que tu m'aimes
Je voudrais que tu sois ma sœur pour t'aimer incestueusement
Je voudrais que tu eusses été ma cousine pour qu'on se soit aimés très jeunes
Je voudrais que tu sois mon cheval pour te chevaucher longtemps, longtemps
Je voudrais que tu sois mon cœur pour te sentir toujours en moi
Je voudrais que tu sois le paradis ou l'enfer selon le lieu où j'aille
Je voudrais que tu sois un petit garçon pour être ton précepteur
Je voudrais que tu sois la nuit pour nous aimer dans les ténèbres
Je voudrais que tu sois ma vie pour être par toi seule
Je voudrais que tu sois un obus boche pour me tuer d'un soudain
amour
Lilith et Proserpine (aux enfers)
Nous nous aimons sauvagement dans la nuit noire
Victimes de l’ascèse et produits du désespoir
Chauves-souris qui ont leurs anglais comme les femmes
Le Petit Lou
Faut pas parler comm’ ça, on dit coulichonnette
Lilith
J’ai créé la mer Rouge contre le désir de l’homme
Proserpine
J’ai fait sortit de son lit le Léthé
J’en inonde le monde comme d’un hippomane
L’oiseau d’éternité du moutier de Heisterbach
Je suis l’éternité
Mort belle de la Beauté
Je mords la mirabelle de l’Été
Flambant Phénix de la Charité
Pélican de la prodigalité
Aigle cruel de la Vérité
Rouge-gorge de la sanglante clarté
Corbeau de la sombre bonté
Qu’est devenu le moine hébété
La prière Abaissement qui élève |
La joie Ah Ah Ah Ah |
Le Remords
Toutes deux, appelez-moi votre père
Et l’Art est notre fils multiforme
Je m’ouvre la poitrine Entrez c’est notre demeure
il y a une horloge qui sonne les heures
La 45e batterie du 38e
Les chevaux hennissent Éteignez les lumières
Les caissons sont chargés Empêchez les hommes de dormir
Entends miauler les tigres volants de la guerre
Gui
Je pense à toi ma lou et ne pense pas à dormir
Le Ptit Lou
Je suis dans ton dodo et de loin près de toi
Le monde ou bien Les gens du monde
Mon ptit Lou je veux te reprendre
Oublie tes soldats pour mes fêtes.
L’Avenir
Lou et Gui et vous Toutou faut que vous voyez tous trois
De merveilleux rivages
Une ville enchantée comme Cordoue
En Andalousie. Les gens simples séduits par votre cœur
Et votre fantaisie
Vous donneront des fleurs des cannes à sucre
Vous pourrez voir encore plus loin si vous voulez
La nature des tropiques
Une ville blanche à vingt minutes de la ville un petit pays sur la mer avec de belles maisons dans des parcs
Vous louerez un palais où de toutes les fenêtres
Lou touchera les palmes avec ses mains
Les chevreaux les ânes les mules ravissanres
Comme des femmes
Et aussi expressives quand au regard seront avec vous
Gui
L’avenir m’intéresse et mon amour surtout
Mais l’art et les artistes futurs ne m’intéressent pas.
À Paris, il y aura la Seine
Et le regard de mon ptit Lou
Chœur des jeunes filles mortes en 1913
Quand les belles furent au bois
Chacune tenait une rose
Et voilà qu’on revient du bois
N’avons plus rien entre les doigts
Et les jeunes gens de naguère
S’en vont ne se retournent pas
Ceux qui nous aimèrent naguère
Emportent la rose à la guerre
Ô mort mène-nous dans le bois
Pour retrouver la rose morte
Et le rossignol dans le bois
Chante toujours comme autrefois
Courmelois, le 22 avril 1915
LXII
Amour-Roi
Dites-moi
La si belle
Colombelle
Infidèle
Qu’on appelle
Petit Lou
Dites où
Donc est-elle
Et chez qui
— Mais chez Gui
Courmelois, le 23 avril 1915
XLII
La nuit
S’achève
Et Gui
Poursuit
Son rêve
Où tout
Est Lou
On est en guerre
Mais Gui
N’y pense guère
La nuit
S’étoile et la paille se dore
Il songe à Celle qu’il adore
Nuit du 27 avril 1915
LXV
Jolie bizarre enfant chérie
Je vois tes doux yeux langoureux
Mourir peu à peu comme un train qui entre en gare
Je vois tes seins tes petits seins au bout rose
Comme ses perles de Formose
Que j’ai vendues à Nice avant de partir pour Nîmes
Je vois ta démarche rythmée de Salomé plus capricieuse
Que celle de la ballerine qui fit couper la tête au Baptiste
Ta démarche rythmée comme un acte d’amour
Et qui à l’hôpital auxiliaire où à Nice
Tu soignais les blessés
T’avait fait surnommer assez justement la chaloupeuse
Je vois tes sauts de carpe aussi la croupe en l’air
Quand sous la schlague tu dansais une sorte de kolo
Cette danse nationale de la Serbie
Jolie bizarre enfant chérie
Je sens ta pâle et douce odeur de violette
Je sens la presqu’imperceptible odeur de muguet de tes aisselles
Je sens l’odeur de fleur de marronnier que le mystère de tes jambes
Répand au moment de la volupté
Parfum presque nul et que l’odorat d’un amant
Peut seul et à peine percevoir
Je sens le parfum de rose rose très douce et lointaine
Qui te précède et te suit ma rose
Jolie bizarre enfant chérie
Je touche la courbe singulière de tes reins
Je suis des doigts ces courbes qui te font faite
Comme une statue grecque d’avant Praxitèle
Et presque comme une Ève des cathédrales
Je touche aussi la toute petite éminence si sensible
Qui est ta vie vie même au suprême degré
Elle annihile en agissant ta volonté tout entière
Elle est comme le feu dans la forêt
Elle te rend comme un troupeau qui a le tournis
Elle te rend comme un hospice de folles
Où le directeur et le médecin-chef deviendraient
Déments eux-mêmes
Elle te rend comme un canal calme changé brusquement
En une mer furieuse et écumeuse
Elle te rend comme un savon satiné et parfumé
Qui mousse soudain dans les mains de qui se lave
Jolie bizarre enfant chérie
Je goûte ta bouche ta bouche sorbet à la rose
Je la goûte doucement
Comme un khalife attendant avec mépris les Croisés
Je goûte ta langue comme un tronçon de poulpe
Qui s’attache à vous de toutes les forces de ses ventouses
Je goûte ton haleine plus exquise que la fumée
Tendre et bleue de l’écorce du bouleau
Ou d’une cigarette de Nestor Gianaklis
Ou cette fumée sacrée si bleue
Et qu’on ne nomme pas
Jolie bizarre enfant chérie
J’entends ta voix qui me rappelle
Un concert de bois musette hautbois flûtes
Clarinettes cors anglais
Lointain concert varié à l’infini
Tu te moques parfois et il faut qu’on rie
Ô ma chérie
Et si tu parles gentiment
C’est le concert des anges
Et si tu parles tristement c’est une satane triste
Qui se plaint
D’aimer en vain un jeune saint si joli
Devant son nimbe vermeil
Et qui baisse doucement les yeux
Les mains jointes
Et qui tient comme une verge cruelle
La palme du martyre
Jolie bizarre enfant chérie
Ainsi les cinq sens concourent à te créer de nouveau
Devant moi
Bien que tu sois absente et si lointaine
Ô prestigieuse
Ô ma chérie miraculeuse
Mes cinq sens te photographie en couleurs
Et tu es là tout entière
Belle
Câline
Et si voluptueuse
Colombe jolie gracieuse colombe
Ciel changeant ô Lou ô Lou
Mon adoré
Chère chère bien-aimée
Tu es là
Et je te prends toute
Bouche à bouche
Comme jadis
Jolie bizarre enfant chérie
Courmelois, le 28 avril 1915
XLVI
Rêverie
Ici-bas tous les lilas meurent
Je rêve aux printemps qui demeurent
Toujours
Ici-bas les lèvres effleurent
Sans rien laisser de leur velours…
Je rêve au baisers qui demeurent
Toujours
Poème du ptit Lou
I
Le vrai, mon Enfant, c'est ton Rêve
Tout meurt mon Cœur la joie est brève
Ici
Mais celui que Amour élève
Est délivré de ce souci
Pour lui toujours dure le Rêve
Ici
Amours passés fleur qui se fane
Illusion pour le profane
Mais nous
Broutons la Rose comme l'Âne
Rose qui jamais ne se fane
Pour nous…
II
Un seul bouleau crépusculaire
Sur le mont bleu de ma Raison
Je prends la mesure angulaire
Du cœur à l’âme et l’horizon
C’est le galop des souvenances
Parmi les lilas des beaux yeux
Et les canons des indolences
Tirent mes songes vers les cieux
III
Ton amour ma chérie m’a fait presqu’infini
Sans cesse tu épuises mon esprit et mon cœur
Et me rend faible comme une femme
Puis comme la source emplit la fontaine
Ton amour m’emplit de nouveau
De tendre amour d’ardeur et de force infinie
IV
C’était un temps béni nous étions sur les plages
— Va-t’en de bon matin pieds nus et sans chapeau —
Et vite comme va la langue d’un crapaud
Se décollaient soudain et collaient les collages
Dis l’as-tu vu Gui au galop
Du temps qu’il était militaire
Dis l’as-tu vu Gui au galop
Du temps qu’il était artiflot
À la guerre ?
C’était un temps béni le temps du vaguemestre
— on est bien [plus] serré que dans un autobus —
Et des astres passaient que singeaient les obus
Quand dans la nuit survint la batterie équestre
Dis l’as-tu vu Gui au galop
Du temps qu’il était militaire
Dis l’as-tu vu Gui au galop
Du temps qu’il était artiflot
À la guerre ?
C’était un temps béni jours vagues et nuits vagues
Les marmites donnaient aux rondins des cagnats
Quelques aluminium où tu t’ingénias
À limer jusqu’au soir d’invraisemblables bagues
Dis l’as-tu vu Gui au galop
Du temps qu’il était militaire
Dis l’as-tu vu Gui au galop
Du temps qu’il était artiflot
À la guerre ?
Courmelois, le 11 mai 1915
XLVII
Je rêve de revoir mon ptit Lou pour toujours
Ô nuances des frondaisons pendant les matins lourds
Creux où joue le jour comme aux cassures d’un velours
Ô temps souffre qu’en moi-même je retourne en arrière
Dans les commencements de cette longue guerre
Voici la mer et les palmiers
Et cette grande place où tu la vis naguère
Sous son grand canotier
Ô temps reviendra-t-il le temps où nos deux âmes
Comme deux avions ennemis se rencontreront
Pour l’idéal combat où mon Lou tu réclames
La verge d’Aaron
Puisque tu es cœur éternel La FEMME
Et que je te connais
Onde qui fuit porte sur rien insaisissable flamme
Ou gamin pied de nez
Ou bien ô mon cher cœur tu es cette musique
Qui monte nuit et jour du creux des bois profonds
Et tes bras blancs levés en geste prophétique
Annoncent ce que font
Et tout ce que feront les longs troupeaux des hommes
Vénus sous ton regard chargé de volupté
Te crier leur Désir dire ce que nous sommes
Et ce qu’avons été
Puis s’en aller mourir par le matin livide
Afin que tes beaux yeux aient le droit de choisir
L’esclave le plus beau pour orner ton lit vide
Afin de t’assouvir
Et sans aller mourir par le matin livide
Afin que ton caprice ait le droit de choisir
L’esclave encor plus beau pour orner le lit vide
Selon ton bon plaisir
Ô Lou je te revois sur la grande-place à Nice
Dans le matin ambré
Un obus vient mourir sur le canon factice
Que les boches ont repéré
Courmelois, le 12 mai 1915
XLVII
En allant chercher des obus
Toi qui précèdes le long convoi qui marche au pas
Dans la nuit claire
Les testicules pleins le cerveau tout empli d’images neuves
Le sergent des riz pain de sel qui jette l’épervier dans le canal bordé de tilleuls
L’âme exquise de la plue Jolie me parvient dans l’odeur soudaine des lilas qui déjà tendent à défleurir dans les jardins abandonnés
Des Bobosses poudreux reviennent des tranchées blanches comme les bras de l’Amour
Je rêve de t’avoir nuit et jour dans mes bras
Je respire ton âme à l’odeur des lilas
Ô Portes de ton corps
Elles sont neuf et je les ai toutes ouvertes
O Portes de ton corps
Elles sont neuf et pour moi se sont toutes refermées
À la première porte
La Raison Claire est morte
C`était t’en souviens-tu le premier jour à Nice
Ton œil de gauche ainsi qu`une couleuvre glisse
Jusqu’à mon cœur
Et que se rouvre encore la porte de ton regard de gauche
À la seconde porte
Toute ma force est morte
C`était t’en souviens-tu dans une auberge à Cagnes
Ton œil de droite palpitait comme mon cœur
Tes paupières battent comme dans la brise battent les fleurs
Et que se rouvre encore la porte de ton regard de droite
À la troisième porte
Entends battre l’aorte
Et toutes mes artères gonflées par ton seul amour
Et que se rouvre encore la porte de ton oreille de gauche
À la quatrième porte
Tous les printemps m’escortent
Et l’oreille tendue entends du bois joli
Monter cette chanson de l`amour et des nids
Si triste pour les soldats qui sont en guerre
Et que se rouvre encore la porte de ton oreille de droite
À la cinquième porte
C`est ma vie que je t’apporte
C’était t’en souviens-tu dans le train qui revenait de Grasse
Et dans l`ombre tout près tout bas
Ta bouche me disait
Des mots de damnation si pervers et si tendres
Que je me demande ô mon âme blessée
Comment alors j’ai pu sans mourir les entendre
Ô mots si doux si forts que quand j’y pense il me semble que je les touche
Et que s’ouvre encore la porte de ta bouche
À la sixième porte
Ta gestation de putréfaction ô Guerre avorte
Voici tous les printemps avec leurs fleurs
Voici les cathédrales avec leur encens
Voici tes aisselles avec leur divine odeur
Et tes lettres parfumées que je sens
Pendant des heures
Et que se rouvre encore la porte de ta narine de gauche
À la septième porte
Ô parfums du passé que le courant d’air emporte
Les effluves salins donnaient à tes lèvres le goût de la mer
Odeur marine odeur d’amour sous nos fenêtres mourait la mer
Et l’odeur des orangers t’enveloppait d’amour
Tandis que dans mes bras tu te pelotonnais
Quiète et coite
Et que se rouvre encore la porte de ta narine de droite
À la huitième porte
Deux anges joufflus veillent sur les roses tremblantes qui supportent
Le ciel exquis de ta taille élastique
Et me voici armé d`un fouet fait de rayons de lune
Les amours couronnés de jacinthe arrivent en troupe
Et que se rouvre encore la porte de ta croupe
À la neuvième porte
Il faut que l`amour même en sorte
Vie de ma vie
Je me joins à toi pour l’éternité
Et par l’amour parfait et sans colère
Nous arriverons dans la passion pure ou perverse
Selon ce qu’on voudra
À tout savoir à tout voir à tout entendre
Je me suis renoncé dans le secret profond de ton amour
Ô porte ombreuse ô porte de corail vivant
Entre les deux colonnes de perfection
Et que se rouvre encore la porte que tes mains savent si bien ouvrir
Courmelois, le 13 mai 1915
XLIX
L’amour le dédain et l’espérance
Je t'ai prise contre ma poitrine comme une colombe qu'une petite fille étouffe sans le savoir
Je t'ai prise avec toute ta beauté ta beauté plus riche que tous les placers de la Californie ne le furent au temps de la fièvre de l'or
J'ai empli mon avidité sensuelle de ton sourire de tes regards de tes frémissements
(J’ai eu à moi à ma disposition ton orgueil même quand je te tenais courbée et que tu subissais ma puissance et ma domination)
J’ai cru prendre tout cela ce n'était qu'un prestige
(Et je demeure semblable à Ixion après qu'il eut fait l'amour avec le fantôme de nuées fait à la semblance de celle qu'on appelle Héra ou bien Junon l'invisible
Et qui peut prendre qui peut saisir des nuages qui peut mettre la main sur un mirage et qu'il se trompe celui-là qui croit emplir ses bras de l'azur céleste
J'ai bien cru prendre toute ta beauté et je n'ai eu que ton corps
Le corps hélas n'a pas l'éternité
Le corps a la fonction de jouir mais il n'a pas l'amour
Et c’est en vain maintenant que j'essaie d'étreindre ton esprit
Il fuit il me fuit de toutes parts comme un noeud de couleuvres qui se dénoue
Et tes beaux bras sur l'horizon lointain sont des serpents couleur d'aurore qui se lovent en signe d'adieu
Je reste confus je demeure confondu
Je me sens las de cet amour que tu dédaignes
Je suis honteux de cet amour que tu méprises tant
Le corps ne va pas sans l'âme
Et comment pourrais-je espérer rejoindre ton corps de naguère puisque ton âme était si éloignée de moi
Et que le corps a rejoint l'âme
Comme font tous les corps vivants
Ô toi que je n'ai possédée que morte
Et malgré tout, cependant que parfois je regarde au loin si vient le vaguemestre
Et que j'attends comme un délice ta lettre quotidienne mon cœur bondit comme un chevreuil lorsque je vois venir le messager
Et j'imagine alors des choses impossibles puisque ton coeur n'est pas avec moi
Et j’imagine alors que nous allons nous embarquer, tous deux, tout seuls peut-être trois, et que jamais personne au monde ne saurait rien de notre cher voyage vers rien mais vers ailleurs et pour toujours
Sur cette mer plus bleue encore plus bleue que tout le bleu du monde
Sur cette mer où jamais l'on ne crierait : « Terre »
Pour ton attentive beauté mes chants plus purs que toutes les paroles monteraient plus libres encore que les flots
Est-il trop tard mon coeur pour ce mystérieux voyage
La barque nous attend c'est notre imagination
Et la réalité nous rejoindra un jour
Si les âmes se sont rejointes
Pour le trop beau pèlerinage
Allons mon coeur d'homme la lampe va s'éteindre
Verses-y ton sang.
Allons ma vie alimente cette lampe d'amour
Allons canons ouvrez la route
Et qu'il arrive enfin le temps victorieux le cher temps du retour
Je donne à mon espoir mes yeux ces pierreries
Je donne à mon espoir mes mains palmes de victoire
Je donne à mon espoir mes pieds chars de triomphe
Je donne à mon espoir ma bouche ce baiser
Je donne à mon espoir mes narines qu'embaument les fleurs de la mi-mai
Je donne à mon espoir mon cœur en ex-voto
Je donne à mon espoir tout l'avenir qui tremble comme une petite lueur au loin dans la forêt
Courmelois, mi-mai 1915
Les attentives
Celui qui doit mourir ce soir dans les tranchées
C'est un petit soldat dont l'œil indolemment
Observe tout le jour aux créneaux de ciment
Les Gloires qui de nuit y furent accrochées
Celui qui doit mourir ce soir dans les tranchées
C'est un petit soldat mon frère et mon amant
Et puisqu'il doit mourir je veux me faire belle
Je veux de mes seins nus allumer les flambeaux
Je veux de mes grands yeux fondre l'étang qui gèle
Et mes hanches je veux qu'elles soient des tombeaux
Car puisqu'il doit mourir je veux me faire belle
Dans l'Inceste et la Mort ces deux gestes si beaux
Les vaches du couchant meuglent toutes leurs roses
L'Aile de l'oiseau bleu m'évente doucement
C'est l'heure de l'Amour aux ardentes névroses
C'est l'heure de la Mort et du dernier serment
Celui qui doit périr comme meurent les roses
C'est un petit soldat mon frère et mon amant
Mais, Madame écoutez-moi donc
Vous perdez quelque chose
– C'est mon cœur pas grand-chose
Ramassez-le donc
Je l'ai donné je l'ai repris
Il fut là-bas dans les tranchées
Il est ici j'en ri, j'en ris
Des belles amours que la mort a fauchées
L'espoir flambe ce soir comme un pauvre village
Et qu'importe le Bagne ou bien le Paradis
L'amour qui surviendra me plaira davantage
Et mes yeux sont-ce pas de merveilleux bandits
Puis quand malgré l'amour un soir je serai vieille
Je me rappellerai la mer les orangers
Et cette pauvre croix sous laquelle sommeille
Un cœur parmi des cœurs que la gloire a vengés
Et tandis que la lune luit
Le cœur chante et rechante lui
« Mesdames et Mesdemoiselles
« Je suis bien mort Ah quel ennui
« Et ma maîtresse que n’est-elle
« Morte en m'aimant la nuit »
Mais écoutez-les donc les mélopées
Ces médailles si bien frappées
Ces cloches d'or sonnant des glas
Tous les muguets tous les lilas
Ce sont les morts qui se relèvent
Ce sont les soldats morts qui rêvent
Aux amours qui s'en sont allés
Immaculés
Et désolés
Le 13 mai de cette année
Tandis que dans les boyaux blancs
Tu passais masquée ô mon âme
Tu vis tout d'un coup les morts et les vivants
Ceux de l'arrière ceux de l'avant
Les soldats et les femmes
Un train passe rapide dans la prairie en Amérique
Les vers luisants brillent cette nuit autour de moi
Comme si la prairie était le miroir du ciel
Étoilé
Et justement un ver luisant palpite
Sous l'Étoile nommée Lou
Et c'est de mon amour le corps spirituel
Et terrestre
Et l'âme mystique
Et céleste
Courmelois, le 15 mai 1915
LX
Silence bombardé par les froides étoiles
Ô mon amour tacite et noir
Lamente-toi, puis soudain éclate en sanglots
Là-bas voici les blanches voiles
Des projecteurs jetés aux horizons d’espoir
Où la terre est creusée ainsi que sont les flots
Adieu la nuit
Tous les oiseaux du monde
Ont fait leur nid
Et chante à la ronde
Ptit Lou je connais bien malgré tout ta douceur
En suivant le Printemps tous les jours sur la route
En me baignant le front dans cette ombreuse odeur
Qui me vient des jardins où je te revois toute
Ainsi je gagnerai le grand cœur embaumé
De l’univers tiède et doux comme ta bouche
Et son tendre visage au bout de la mi-mai
S’offre à moi tout à coup langoureux sur sa couche
De pétales d’iris de grappes de lilas
Ptit Lou d’Amour je sens à mon cou tes bras roses
Cette île de corail qui sort de tes yeux las
Et que sur l’océan de l’Amour tu disposes
« Tu me demandes trop d’aimer sans être aimé
Tu me demande trop peut-être »
Disait en souriant le doux soleil de mai
À la belle fenêtre
« Tu veux que chaque jour
Les longs rayons de mon amour
T’illuminent mon cœur ainsi qu’une caresse
Et toi ,toi que me donnes-tu »
« Turlututu
Dit la fenêtre
Écoute-moi soleil mon maître
Je ne suis belle que par toi
J’existe par ta lumière
À part l’obscurité de la chambre ma foi
Je ne possède rien de rien pénètre-moi
Et tout à coup je deviens belle et je suis claire »
Ainsi ma tendre Lou parlèrent le Soleil
Et la sombre fenêtre
Soudain ce fut la nuit Il vint à disparaître
Elle mourut aussi dans un obscur sommeil
Comme un Phénix Il renaquit toujours pareil
Et son amant La vit renaître
À cette fable il ne faut pas
Chercher une morale
J’entends du bruit ce sont les rats qui pas à pas
Tournent autour de ma cabane en la nuit pâle
Tournent en rond
Et je te baise
Sur ton beau sein fait d’une rose et d’une fraise
Et tu me baises sur le FRONT
Courmelois, le 17 mai 1915
LII
Pétales de pivoine
Trois pétales de pivoine
Rouges comme une pivoine
Et ces pétales me font rêver
Ces pétales ce sont
Trois belles petites dames
À peau soyeuse et qui rougissent
De honte
D’être avec des petits soldats
Elles se promènent dans le bois
Et causent avec les sansonnets
Qui leur font cent sonnets
Elles montent en aéroplane
Sur de belles libellules électriques
Dont les élytres chatoient au soleil
Et les libellules qui sont
De petites diablesses
Font l’amour avec les pivoines
C’est un joli amour contre nature
Entre demoiselles et dames
Trois pétales dans la lettre
Trois pétales de pivoine
Quand je fais pour toi mes poèmes quotidiens et variés
Lou, je sais bien pourquoi je suis ici
À regarder fleurir l’obus à regarder venir la torpille aérienne
À écouter gauler les noix des véhémentes mitrailleuses
Je chante ici pour que tu chantes pour que tu danses
Pour que tu joues avec l’amour
Pour que tes mains fleurissent comme des roses
Et tes jambes comme des lys
Pour que ton sommeil soit doux
Aujourd’hui Lou je ne t’offre en bouquet poétique
Que les tristes fleurs d’acier
Que l’on désigne par leur mesure en millimètres
(Où le système métrique va-t-il se nicher ?)
On l’applique à la mort qui elle ne danse plus
Mais survit attentive au fond des hypogées
Mais trois pétales de pivoine
Sont venus comme de belles dames
En robe de satin grenat
Marquise
Quelle robe exquise
Comtesse
Les belles f...es
Baronne
Écoutez la Mort qui ronronne
Trois pétales de pivoine
Me sont venus de Paris
Courmelois, le 22 mai 1915
LIII
C’est le sifflet dont je me sers
Sur le théâtre de la guerre
Pour siffler les Boches en Vers
En Prose et de toute manière
Et que Lou siffle en ce sifflet
Pour appeler son grand Toutou
À Gui l’An neuf Et mon poulet
Souhaite à Lou l’amour partout
Courmelois, entre le 27 mai et le 4 juin 1915
LIV
Ma sensibilité est devenue aussi aigüe que celle de l'écrevisse...
LV
Lou ma rose
Lou, tu es ma rose
Ton derrière merveilleux n’est-ce pas la plus belle rose
Tes seins tes seins chéris ne sont-ce pas des roses
Et les roses ne sont-ce pas de jolis ptits Lous
Que l’on fouette comme la brise
Fustige les fesses des roses dans le jardin
Abandonné
Lou ma rose ou plutôt mes roses
Tu m’as envoyé des feuilles de rose
Ô petite déesse
Tu crées les roses
Et tu fais les feuilles de roses
Roses
Petites femmes à poil qui se baladent
Gentiment
Elles se baladent en robe de satin
Sur des escarpolettes
Elles chantent le plus beau parfum, le plus fort le plus doux
Lou ma rose ô ma perfection je t’aime
Et c’est avec joie que je risque de me piquer
En faveur de ta beauté
Je t’aime je t’adore je mordille tes feuilles de rose
Rose reine des fleurs Lou reine des femmes
Je te porte au bout des doigts ô Lou ô rose
Au bout des doigts en te faisant menotte
Jusqu’à ce que tu t’évanouisses
Comme s’évanouit le parfum
Des roses
Je t’embrasse ô Lou et je t’adore
Courmelois, le 2 juin 1915
LVI
Lou mon étoile
L’étoile nommée Lou est aussi belle aussi voluptueuse qu’une jolie fille vicieuse
Elle est assise dans un météore agencé comme une automobile de luxe
Autour d’elle se tiennent les autres étoiles ses amies
Autour de l’automobile stellaire s’étend l’infini éthéré
Les Planètes rutilantes se montrent tour à tour comme des déesses callipyges sur l’horizon
La voie Lactée monte comme une poussière derrière
Le météore automobile
Des guirlandes d’astres décorent l’infini
Le météore automobile luxueux et architectural
Comme un palais
Est monté sur un bolide énorme qui tonne à travers les cieux qu’il sillonne d’éclairs
Versicolores et durables comme de merveilleux feux de Bengale
Et doux comme des baisers éternels
Et des rayons de soleils ombragent
Ainsi de beaux arbres
Printaniers
La route diaphane
Ô Lou étoile nommée Lou la plus belle des étoiles
Ô reine des Étoiles
Ton royaume s’étend en plaines animées comme les oiseaux
En plaines mouvantes comme un régiment
De fantassins nomades
Étoile Lou beau sein de neige rose
Petit nichon exquis de la douce nuit
Clitoris délectable de la brise embaumée d’Avant l’Aube
Les autres astres sont ridicules et sont tes bouffons
Ils jouent pour toi des comédies
Fantasmagoriques
Ils font les fous pour que l’Étoile nommée Lou ne s’embête pas
Et parfois les nuits sont mortelles
L’étoile nommée Lou
Traverse des prairies d’asphodèles
Et des fantômes infidèles
Pleuvent dans les abîmes autour d’elle
Mais cette nuit est si belle
Je ne vois que l’étoile que j’aime
Elle est la splendeur du firmament
Et je ne vois qu’elle
Elle est un petit trou charmant aux fesses des nuages
Elle est l’étoile des Étoiles
Elle est l’étoile d’Amour
Ô nuit ô nuit dure toujours ainsi
Mais voici
Les gerbes des obus en déroute
Qui me voile
Mon étoile
Je baisse les yeux vers les ténèbres de ma forêt
Et mon intelligence amoureuse
Devient oiseau
Pour aller revoir plus haut plus haut
Plus haut toujours
Ce petit cœur bleuâtre
Qu’est mon étoile nommée Lou
Ma douce étoile qui fait vibrer au ciel
Des mots d’amour exquis
Qui viennent en lents airs dolents qui correspondent nuance à nuance à chaque chose que je pense
Étoile Lou fais-moi monter vers toi
Prends-moi dans ta splendeur
Que je sois ébloui et presque épouvanté
Que l’espace bleu se creuse à l’infini
Que l’horizon disparaisse
Que tous les astres grandissent
Et pour finir fais-moi pénétrer dans ton paradis
Que j’éprouve une sensation
De bien-être inouï
Que j’absorbe par toute ma chair toute mon âme
Ta lumière exquise
Ô mon paradis
Courmelois, le 3 juin 1915
Le servant de Dakar
LIX
C'est…
C'est la réalité des photos qui sont sur mon cœur que je veux
Cette réalité seule elle seule et rien d'autre
Mon cœur le répète sans cesse comme une bouche d'orateur et le redit
À chaque battement
Toutes les autres images du monde sont fausses
Elles n'ont pas d'autre apparence que celle des fantômes
Le monde singulier qui m'entoure métallique végétal
Souterrain
Ô vie qui aspire le soleil matinal
Cet univers singulièrement orné d'artifices
N'est-ce point quelque œuvre de sorcellerie
Comme on pouvait l'étudier autrefois
À Tolède
Où fut l'école diabolique la plus illustre
Et moi j'ai sur moi un univers plus précis plus certain
Fait à ton image
Courmelois, le 23 juin 1915
LX
Oriande
La fée Oriande vivait dans son château de Rose-Fleur
C'est ici quand ce fut le déclin du printemps l'édification des Roses
Oriande y dort comme un parfum venu dans la dernière lettre et qui repose
Sur mon cœur
Entre les deux pétales de cette vernale rose
Mais c'est l'été maintenant
Oriande y vivrait dans son château de Rose-Fleur
Tourné comme nous et l'église vers l'orient
Et c'est le soir des roses
Les vieilles paroles sont mortes au dernier printemps
Des harmonies puissantes et nouvelles jaillissent de mon cœur
Mais Oriande écrit un L
Au ciel
Résigne-toi mon cœur où le sort t'a fixé
Et l'été passera Le printemps a passé
Mais Oriande écrit un O
En haut
Et j'accorde mon luth comme l'on bande un arc
Mais Oriande écrit un U
Sur le ciel nu
Le ciel d'un bleu profond d'un bleu nocturne
D'un bleu qui s'épaissit en souhaits en amour
En puissante joie
Et de mon cœur de poète
De mon cœur qui est la Rose
Oriande ruisselle
Onde parfumée des chansons
Où tu aimes à tremper ton âme
Tandis que la fée s'endort
Oriande s'endort dans son château de Rose-Fleur
Courmelois, le 23 juin juin 1915
LXI
À mon tiercelet
Terrible Aquilan de Mayogre
Il me faudrait un petit noc
Car j’ai faim d’amour comme un ogre
Et je ne trouve qu’un faucon
Courmelois, le 23 juin juin 1915
LXII
Cote 146
Plus de fleurs mais d’étranges signes
Gesticulant dans les nuits bleues
Dans une adoration suprême mon beau ptit Lou que tout mon être pareil aux nuages bas de juillet s’incline devant ton souvenir
Il est là comme une tête de plâtre blanche éperdument auprès d’un anneau d’or
Dans le fond s’éloignent les vœux qui se retournent quelquefois
Entends jouer cette musique toujours pareille tout le jour
Ma solitude splénétique qu’éclaire seul le lointain
Et puissant projecteur de mon amour
J’entends la grave voix de la grosse artillerie boche
Devant moi dans la direction des boyaux
Il y a un cimetière où l’on a semé quarante-six mille soldats
Quelles semailles dont il faut attendre sans peur la moisson
C’est devant ce site désolé s’il en fut
Que tandis que j’écris ma lettre appuyant mon papier sur une plaque de fibro ciment
Je regarde aussi un portrait en grand chapeau
Et quelques-uns de mes compagnons ont vu ton portrait
Et pensant bien que je te connaissais
Ils ont demandé
Qui donc est-elle
Et je n’ai pas su que leur répondre
Car je me suis aperçu brusquement
Qu’encore aujourd’hui je ne te connaissais pas bien
Et toi dans ta photo profonde comme la lumière
Tu souris toujours
Secteur des Hurlus, le 14 juillet 1915
LXIII
Ô délicate bûcheronne
À damner tous les bûcherons
Quel est le matou qui ronronne
En zieutant tes jolis seins ronds
Et moi qui croyais ma parole
Que ce chat c’était un Toutou
Menotte aussi joue un beau rôle
Décidément des chats partout
J’aurai mesure de ta bague
Semaine des quatre jeudis
(Tu vois, je prends tout à la blague)
Ou bien après la guerre, dis
Le papillon qui n’a qu’une aile
S’est envolé ne l’ai pas vu
Mais ton image est là si belle
Me voilà de Douceur pourvu
Secteur des Hurlus, le 14 juillet 1915
LXIV
Ode
Lou Toutou soyez remerciés
Puisque par votre amour je ne suis pas seul
Et je nais de chacune de vos étreintes
Pensée vivante qui jaillit de vous
Lou Toutou je suis votre petit enfant
Je tiens à vous à Lou par le lien ombilical
Jeté sur la terre de France des Vosges à la mer
Ainsi nous sommes unis par la chair et les tranchées
Nous sommes unis par la vie et par la mort
Bénie soit aussi cette guerre qui m’unit à votre douceur
Avant on ne parlait que de paix
Et l’amour s’en allait peu à peu de nos cœurs et de la terre
Aujourd’hui c’est l’amour éperdu où s’accolent
Tous les grands peuples
L’Amour cette guerre
La vraie guerre
Tant de choses nous séparaient
C’était la paix la vilaine paix
Mais nous avons senti tout à coup
Qu’il fallait nous rapprocher nous unir
Pour nous aimer ô noble guerre
Ô noble ô noble amour
Amour sacré qui flamboie et fume
Sur les hypogées tandis que râlent les projectiles
Nous ne combattons point pour conserver la vie
Nous menons l’Amour en grande pompe
Vers la mort
Vers le [seuil] suprême
Où veille la guerrière mort
Ainsi Toutou nous défendons Lou
C’est la grâce c’est à dire ce qu’il y a de plus rare
Dans l’idée de Beauté
Rien n’est plus noble que ce combat
Esthétique et sublime
Toutou Lou écoutez-moi
Aimez-moi
Secteur des Hurlus, le 2 août 1915
LXV
À la partie la plus gracieuse
Toi qui regardes sans sourire
Et de face en tournant le dos
Tu me sembles un beau navire
Voiles dehors et quels dodos
Promet cet édredon de neige
Neige rose de Mézidon
Mars et Vénus le reverrai-je
Cet édredon de Cupidon
Ô gracieuse et callipyge,
Tous les culs sont de la Saint-Jean
Le tien leur fait vraiment la pige
Déesse aux collines d’argent
D’argent qui serait de la crème
Et des feuilles de rose aussi
Aussi belle croupe je t’aime
Et ta grâce est mon seul souci
Secteur des Hurlus, le 4 août 1915
LXVI
Bientôt bientôt finira l’oût
Reverrai-je mon ptit Lou
Mais nous voici vers la mi-août
Ton chat dirait-il « miaou »
En me voyant ou bien « coucou »
Et mon cœur pend-il à ton cou
Dieu qu’il fut heureux ce Toutou
Pouvoir fourrer son nez partout
Mais je n’en suis pas jaloux
Les toutous n’font pas d’mal aux loups
Secteur des Hurlus, le 4 août 1915
LXVII
Fable
Les fleurs rares
Entreprenant un long voyage
Ptit Lou hanté par l’histoire de Jussieu
Au lieu d’un petit cèdre prit Quoi donc Je gage
Qu’on de devinera pas ce que Dieu
Fit prendre à mon ptit Lou une fleur rare
Dont elle ferait don aux serres de Paris
La fleur étant sans prix
Et Dame Lou voyant qu’elle en valait la peine
Froissa pour la cueillir sa jupe de futaine
Mais en passant dans la forêt
Allant prendre son train à la ville prochaine
Ptit Lou vit sous un chêne
Une autre fleur plus belle encore elle paraît
La première fleur tombe
Et la forêt devient sa tombe
Tandis que mon ptit Lou d’un air rêveur
A cueilli la seconde fleur
Et l’entoure de sa sollicitude
Arrivant à la station
Après une montée un peu rude
Pour s’y reposer de sa lassitude
Avec satisfaction
Ptiti Lou s’assied dans le jardin du chef de gare
Tiens dit-elle une fleur Elle est encor plus rare
Et sans précaution
Ma bergère
Abandonna la timide fleur bocagère
Et cueillit la troisième fleur
Cheu Cheu Pheu Pheu Cheu Cheu Pheu Pheu
Le train arrive
Et puis repart pour regagner l’Intérieur
Mais dans le train la fleur se fane et Lou pensive
S’en va chez la fleuriste en arrivant
Ces rares fleurs j’en vais rêvant
Elles sont si rares Madame
Que je n’en tiens plus sur mon âme »
La fleuriste s’exprime ainsi
Et Lou dut se contenter d’un souci
Que lui refuse
Sans lui donner d’excuse
Le directeur (un personnage réussi)
Des serres de la ville
De paris
Malgré tous les pleurs et les cris
De Lou qui dut jeter cette fleur inutile
Et Lou du
Vilain personnage
Quittant le bureau dut
Entreprendre à rebours l’horticole voyage
Je crois qu’il est sage
De nous arrêter
À la morale suivante sans insister
Des Lous et des fleurs il ne faut discuter
Et je n’en dis pas davantage
Secteur des Hurlus, le 12 août 1915
LXVIII
Seconde fable
Le toutou et le gui
Un gentil toutou vit un jour un brin de gui
Tombé d’un chêne
Il allait lever la patte dessus sans gêne
Quand sa maîtresse qui
L’observe l’en empêche et d’un air alangui
Ramasse le gui
Gui jappe le toutou pour toi c’est une veine
Qu’est-ce qui donc te la valut
Vous êtes cher toutou fidèle et résolu
Et c’est pourquoi votre maîtresse
Vous aime avec tendresse
Lui répond
La plante des Druides
Pour la tendresse à vous le pompon
Mais moi je suis l’amour à grandes guides
Je suis le bonheur
La plus rare des fleurs ô touto, mon meilleur
Compagnon puisque plante je n’ai pas de fleur
Vous êtes l’idéal et je porte bonheur »
Et leur
Maîtresse
Étendue avec paresse
Effeuillant indifféremment de belles fleurs
Aux mille couleurs
Aux suaves odeurs
Feint de ne pas entendre
Le toutou jaser avec le gui Leurs
Propos la font sourire et nos rêveurs
Imaginent de comparer leurs deux bonheurs
Cependant qu’Elle les regarde d’un air tendre
Puis se levant soudain auprès d’eux vient s’étendre
Le toutou pour sa part eut bien plus (à tout prendre)
De baisers que le gui
Qui tout alangui
Entre deux jolis seins ne peut rien entreprendre
Mais se contente bien ma foi
De son trône digne d’un roi
Il jouit des baisers les voyant prendre
Et les voyant rendre
Sans rien prétendre
Morale
Il ne faut pas chercher à comprendre
Secteur des Hurlus, le 12 août 1915
LXIX
Troisième fable
Le ptit Lou s’ébattait dans un joli parterre
Où poussait la fleur rare et d’autres fleurs itou
Et Lou cueillait les fleurs qui se laissaient bien faire
Mais distraite pourtant elle en semait partout
Et perdait ce qu’elle aime
Morale
On est bête quand on sème.
Secteur des Hurlus, le 13 août 1915
LXX
Lorsque deux nobles cœurs se sont vraiment aimés
Leur amour est plus fort que la mort elle-même
Cueillons les souvenirs que nous avons semés
Et l’absence après tout n’est rien lorsque l’on s’aime
Secteur des Hurlus, septembre 1915
LXXI
Pressentiment d’Amérique
Mon enfant si nous allions en Amérique dont j’ai toujours rêvé
Sur un vaisseau fendant la mer des Antilles
Et accompagné par une nuée de poissons volants dont les ailes nageoires palpitent de lumière
Nous suivrons le fleuve Amazone en cherchant sa fée d’île en île
Nous entrerons dans les grands marécages où des forêts sont noyées
Salue les constrictors Entrons dans les reptilières
Ouïs l’oie oua-oua les singes hurleurs les oiseaux cloches
Vagues du Prororoca l’immense mascaret
Le dieu de ces immensités les Andes les pampas
Est dans mon sein aujourd’hui mer végétale.
Millions de grands moutons blonds qui s’entrepoursuivent
Les condors survenant neiges des Cordillères
Ô cahute d’ici nos pauvres reptilières
Quand dira-t-on la guerre de naguère
Secteur des Hurlus, septembre 1915
LXXV
Épigramme
Mon adorable jardinière
Toi qui voudrais savoir pourquoi
Nul ne tape sur ton derrière
Ne sait-tu donc pas comme moi
Qu’il ne faut pas battre une femme
Et même avec une Fleur Rare Oui Madame
Secteur des Hurlus, le 22 septembre 1915
LXXVI
Roses guerrières
Fêtes aux lanternes en acier
Qu’il est charmant cet éclairage
Feu d’artifice meurtrier
Mais on s’amuse avec courage
Deux fusants rose éclatement
Comme deux seins que l’on dégrafe
Tendent leurs bouts insolemment
Il sut aimer Quelle épitaphe
Un poète dans la forêt
Regarde avec indifférence
Son revolver au cran d’arrêt
Des roses mourir en silence
Roses d’un parc abandonné
Et qu’il cueillit à la fontaine
Au bout du sentier détourné
Où chaque soir il se promène
Il songe aux roses de Sâdi
Et soudain sa tête se penche
Car une rose lui redit
La molle courbe d’une hanche
L’air est plein d’un terrible alcool
Filtré des étoiles mi-closes
Les obus pleurent dans leur vol
La mort amoureuse des roses
Toi qui fis à l’amour des promesses tout bas
Et qui vis s’engager pour ta gloire un poète
Ô rose toujours fraîche ô rose toujours prête
Je t’offre le parfum horrible des combats
Toi qui sans défleurir sans mourir succombas
Ô rose toujours fraîche au vent qui la maltraite
Fleuris tous les espoirs d’une armée qui halète
Embaume tes amants masqués sur leurs grabats
Il pleut si doucement pendant la nuit si tendre
Tandis que monte en nous cet effluve fatal
Musicien masqué que nul ne peut entendre
Je joue un air d’amour aux cordes de cristal
De cette douce pluie où s’apaise mon mal
Et que les cieux sur nous font doucement descendre
Courmelois, deuxième moitié de mai 1915