Sommaire
Et toi mon cœur pourquoi bats-tu
Comme un guetteur mélancolique
J’observe la nuit et la mort
Stavelot (1899)
L'amour
L’anneau se met à l’annulaire
Après le baiser des aveux
Ce que nos lèvres murmurèrent
Est dans l’anneau des annulaires
Mets des roses dans tes cheveux
Or nous regardions les cygnes
Nager ce soir plein de tiédeur
Sur le grand lac où se résignent
Les branches des saules pleureurs
Et c'était l'heure où le jour meurt
S'en est allée l'amante
Au village voisin malgré la pluie
Sans son amant s'en est allée l'amante
Pour danser avec un autre que lui
Les femmes mentent mentent
Je ne sais plus si je l'aime
Ni si l'hiver sait mon péché
Le ciel est un manteau de laine
Et mes amours s'étant cachés
Périssent d'amour en moi-même
Acousmate
J'entends parfois une voix quiète d'absente
Dire de petits mots
Qui font que j'aimerai chaque douleur présente
Et tout l'espoir des prochains maux
Mots finissant en el comme le nom des anges
O puérilités
Le ciel que l'on médite et le miel que l'on mange
Fraîcheur du miel ô ciel d'été
Maréï
Dis-le moi, mon amour est-il vrai que tu m'aimes
Une étoile a donc lui sur nos fronts certains soirs
Ah ! mon corps connaîtra tous les deuils des carêmes
Pour payer le bonheur que lui vaut cet espoir
Dis-le-moi, mon amour est-il vrai que tu m'aimes
Car je veux si c'est vrai le crier dans la nuit
Se peut-il que ma bouche et mes tristes poèmes
N'aient encore en ton âme apporté quelque ennui
Car Orphée amoureux fut tué par les femmes
Et je sais que souvent la nature entend mieux
Les sanglots de la lyre et les pleurs de nos âmes
Que les belles ôtoi vers qui vont nos grands yeux
Mon amour si tu veux nous irons par les sentes
Près de nous voleront des oiseaux en émoi
Nous aurons pour calmer nos deux bouches ardentes
Des myrtilles pour toi mais ta bouche pour moi
L'écureuil a peut-être oublié des noisettes
Sur la haie or mes dents sauront bien les briser
Et tes dents les croquer. Des oiseaux sur nos têtes
Chanteront et j'aurai pour ma peine un baiser
Nous irons si tu veux par la triste bruyère
Dans l'espoir d'en trouver de la blanche veux-tu
Il faudra mon amour pour rentrer chez ta mère
Que la nuit soit venue et que tout se soit tu.
Le bon sommeil
Ses lèvres sont entr’ouvertes
Le soleil est levé
Il se glisse en la chambre
Malgré les volets
Il fait tiède
Ses lèvres sont entr’ouvertes
Et ses yeux sont clos
Le visage est si calme que je devine des rêves
Quiets et doux
Très doux
Je me souviens d’avoir révé
Que l’on vivait
Autour
D’un grand pommier d’amour
Par de doux jours pareils aux nuits sans lune
Et l’on passait le temps à caresser les chats
Tandis que les filles brunes
Cueillaient des pommes une à une
Pour les donner aux chats
Ses lèvres sont entr’ouvertes
O les calmes respirs
Ce matin la grande chambre st si tiède
Dehors les oiseaux chantent
Et des hommes travaillent déjà
Tic tac tic tac
Je sors sur la pointe des pieds
Pour ne pas troubler le bon sommeil
La chaste Lise
La journée a été longue
Elle est passée enfin
Demain sera ce que fut aujourd’hui
Et là-bas sur la montagne
Le soir descend sur le château enchanté
Nous sommes las ce soir
Mais la maison nous attend
Avec la bonne soupe qui fume
Et dès l’aube demain
Le dur labeur
Nous reprendra
Hélas
Bonnes gens
Ô mon coeur j'ai connu la triste et belle joie
D'être trahi d'amour et de l'aimer encore
Ô mon coeur mon orgueil je sais je suis le roi
Le roi que n'aime point la belle aux cheveux d'or
Rien n'a dit ma douleur à la belle qui dort
Pour moi je me sens fort mais j'ai pitié de toi
Ô mon coeur étonné triste jusqu'à la mort
J'ai promené ma rage en les soirs blancs et froids
Je suis un roi qui n'est pas sûr d'avoir du pain
Sans pleurer j'ai vu fuir mes rêves en déroute
Mes rêves aux yeux doux au visage poupin
Pour consoler ma gloire un vent a dit Ecoute
Elève-toi toujours. Ils te montrent la route
Les squelettes de doigts terminant les sapins
Le son du cor
Mon amour est comme un fiévreux que seul apaise
Le poison qui nourrit son mal et dont il meurt
Mon sens comme celui d'un tel que folie lèse
N'exprime plus qu'injuste et très vaine fureur
Je t'avais crue si blanche et tu es noire hélas
O toi géhenne sombre ô toi nuit sans étoiles
L'amour a incanté mes yeux tristes et las
Et tout est irréel comme embrumé de voiles
Peut-être es-tu très pure immaculée ô toi
Qu’à travers ma folie j'ai proclamée impure
J'ai les yeux de l'Amour qui sont troubles d'émoi
De veilles et de pleurs et des maux qu'il endure
Vae soli
Hélas s'en sont venus à la male heure
Diogène le chien avec Onan
Le grimoire est femme lascive et pleure
De chaud- désir avec toi maintenant
Or la bouche
Que voudrait ta caresse est lointaine
Des reines
Désirent entrer dans ta couche
Car delà le réel ton désir les brûla
Hélas tes mains tes mains sont tout cela
Et l'estampe est chair douce
Au prolétaire
Ô captif innocent qui ne sais pas chanter
Écoute en travaillant tandis que tu te tais
Mêlés aux chocs d’outils les bruits élémentaires
Marquent dans la nature un bon travail austère
L’aquilon juste et pur ou la brise de mai
De la mauvaise usine soufflent la fumée
La terre par amour te nourrit les récoltes
Et l’arbre de science où mûrit la révolte
La mer et ses nénies dorlotent tes noyés
Et le feu le vrai feu l’étoile émerveillée
Brille pour toi la nuit comme un espoir tacite
Enchantant jusqu’au jour les bleuités du site
Où pour le pain quotidien peinent les gars
D’ahans n’ayant qu’un son le grave l’oméga
Ne coûte pas plus cher la clarté des étoiles
Que ton sang et ta vie prolétaire et tes moelles
Tu enfantes toujours de tes reins vigoureux
Des fils qui sont des dieux calmes et malheureux
Des douleurs de demain tes filles sont enceintes
Et laides de travail tes femmes sont des saintes
Honteuses de leurs mains vaines de leur chair nue
Tes pucelles voudraient un doux luxe ingénu
Qui vînt de mains gantées plus blanches que les leurs
Et s’en vont tout en joie un soir à la male heure
Or tu sais que c’est toi toi qui fis la beauté
Qui nourris les humains des injustes cités
Et tu songes parfois aux alcôves divines
Quand tu es triste et las le jour au fond des mines
Le ciel se couvre un matin de mai
Sous les citronniers tordus ombraculifères
O matin parfumé mais le soir est venu
Que mon âme était fraîche et même j'ai connu
La raison d'être des sphères
Notre machine ronde elle tourne et m'endort
Où la vie est mortelle et vit après la mort
En latin c'est terra l'Allemand l'appelle Erde
Un clair écho peut-être a su répondre Merde
Alors j'ai su que seuls pouvaient vivre en s'aimant
Les bons vers immortels qui s'ennuient patiemment
Or le ciel était bleu comme une meurtrissure
Mais soleil je te veux louer
Car tu revins et fis claquer sur la nature
Des rayons tout à coup cinglés comme des fouets
Il me revient quelquefois
Il me revient quelquefois
Ce refrain moqueur
Si ton cœur cherche un cœur
Ton cœur seul est ce cœur
Et je me deux
D’être tout seul
J'aurais voulu venir dans une ville et vivre
Et cela peut-être l'ai-je lu dans un livre
Que toujours il fait nuit dans la ville
Mais cela se songe seulement
Et je me voudrais fuir
Je voudrais l'inconnu de ce pays du soir
Je serais comme un aigle puisqu'il n'y aurait pas
Des soleil a fixer
Que seuls fixent les aigles
Mais la nuit noire peut-être la lune maladive
Mais des hiboux des soirs
Ululant dans le noir
Mais cela se songe seulement
C'est pourquoi je me deux
Qui sait ce qui sera
Le grand sera toujours
Le vil sera toujours
La mort mourra toujours
Il ne faut pas
Sonder les devenirs
Même si nous pouvons
Savoir les avenirs
Il ne faut pas sonder les devenirs
Il vaut mieux vivre et jouir de la fraicheur des soirs
Ou l'on s'endort en rêvant aux dela sans espoir.
Je n'avais qu'un coeur de chair
Et l'ai voulu porter
Poerter en ex-voto
Mais j'en ai vu d'argent
D'argent sous les regards mornes
Des Nortes-Dames
Et j'ai vu même alors
Des coeurs en or
Pres de Sacré-Coeur de marbre
Des Sacrés-Coeurs de plaitre
Dans les cathedrales
Et je fus tout honteux
Et j'ai caché mon coeur de chair
Mon coeur vivant
Sanguinolent
Je suis sorti
Regardant avec effroi
Les coeurs d'or ou d'argent qui rutilent la-bas
Comme mon coeur m'embarrassait
Sous terre je l'ai enterré
Loin des moines passant
Et des eglises
Jetez des iris noirs
Des iris noirs a pleines mains
Avec des lauriers-roses
Le cercle « la fougère » Littéraire et stavelotain
Air : A Ménilmontant
Les braves Stavelotains
S'embêtant soirs et matins
Fondèr'nt un cercl' littéraire
De la fougère
Mais en fait d'littérature
Il n'y en a pas plus qu'au
Congo que dans la nature
Qu'à la cascad' de Coo
On essaie d'poétiser
La couqu' l'lard les ch'veux frisés
La cultur' des pomm' de terre
A la fougère
On prend quelques jolies filles
On leur donne un p'tit bécot
Puis l'soir on va-t'en famille
A la cascad' de Coo
Aux séanc's de chez Constant
On boit ferme et entre-temps
On parle un p'tit peu d'l'Affaire
A la fougère
Puis c'est un sieur Albert Auguste
Qui dit des vers de Frans Cop
O fée des vers beaux mais bien plus
Que la cascad' de Coo
Les séanc's ont lieu l'jeudi
On répète une comédie
Où l'on parl' pas d'adultère
A la fougère
On rit on s'baise et l'on s'aime
Il ne manque que du Clicquot
Pour être plus joyeux qu'même
La cascad' de Coo
Jamais les crépuscules ne vaincront les aurores
Etonnons-nous des soirs mais vivons les matins
Méprisons l'immuable comme la pierre ou l'or
Sources qui tariront Que je trempe mes mains
En l'onde heureuse
Rhénanes (1902-1902)
Un soir d’été
Le Rhin
Qui coule
Un train
Qui roule
Des nixes blanches
Sont en prière
Dans la bruyère
Toutes les filles
À la fontaine
J’ai tant de peine
J’ai tant d’amour
Dit la plus belle
Qu’il soit fidèle
Et moi je l’aime
Dit sa marraine
J’ai la migraine
À la fontaine
J’ai tant de haine
Élégie
Le ciel et les oiseaux venaient se reposer
Sur deux cyprès que le vent tiède enlaçait presque
Comme un couple d'amants à leur dernier baiser
La maison près du Rhin était si romanesque
Avec ses grandes fenêtres son toit pointu
Sur lequel criait par instants la girouette
Au vent qui demandait si doucement Qu'as-tu
Et sur la porte était clouée une chouette
Nous parlions dans le vent auprès d'un petit mur
Ou lisions l'inscription d'une pierre mise
A cette place en souvenir d'un meurtre et sur
Laquelle bien souvent tu t'es longtemps assise
— Gottfried apprenti de Brühl l'an seize cent trente
Ici fut assassiné
Sa fiancée en eut une douleur touchante
Requiem aeternam dona ei Domine --
Le soleil au déclin empourprait la montagne
Et notre amour saignait comme les groseilliers
Puis étoilant ce pâle automne d'Allemagne
La nuit pleurant des lueurs mourait à nos pieds
Et notre amour ainsi se mêlait à la mort
Au loin près d'un feu chantaient des bohémiennes
Un train passait les yeux ouverts sur l'autre bord
Nous regardions longtemps les villes riveraines
Mille regrets
Un soir rhénan transparent pour ma nostalgie
Dans l'auberge survint deux par deux une noce
Nostalgie cigares pipes courbées en crosses
Ci-git m'amour mal culotté ô tabagie
Du dicke Du L'amour revient en boumerang
L'amour revient à en vomir le revenant
Ils ont demandé tant de ces bouteilles longues
Comme les longs cyprès d'un grand jardin rhénan
Un phonographe énamouré pour dix pfennigs
Chanta l'amour à quatre voix de chanteurs morts
Des châtrés enrhumés en métal ces ténors
Qui n'ont jamais connu la vie ce féminin
La noce de la ville en face à l'autre rive
Et les cigares à deux gros et blonds wie du
La mienne aussi mon vieux était blonde aux yeux doux
Mais pas d'ici Seigneur que votre règne arrive
Mangez les tartines comme du pain bénit
Que la mariée soit soûle comme une grive
Je me souviens Amour que votre règne arrive
On ne respire plus Bonsoir la compagnie
Bonsoir la compagnie J'entends un bruit de rames
Dans la nuit sur le Rhin et le coucou chanter
Puis j'ai jasé d'amour de l'amour regretté
Avec tous les sapins changés en bonnes femmes
Passion
J'adore un Christ de bois qui pâtit sur la route
Une chèvre attachée à la croix noire broute
A la ronde les bourgs souffrent la passion
Du Christ dont ma latrie aime la fiction
La chèvre a regardé les hameaux qui défaillent
A l'heure où fatigués les hommes qui travaillent
Au verger pâle au bois plaintif ou dans le champ
En rentrant tourneront leurs faces au couchant
Embaumé par les foins d'occidental cinname
Au couchant où sanglant et rond comme mon âme
Le grand soleil païen fait mourir en mourant
Avec les bourgs lointains le Christ indifférent
Crépuscule
Ruines au bord du vieux Rhin
On s'embrasse bien dans votre ombre
Les mariniers qui voient de loin
Nous envoient des baisers sans nombre
La nuit arrive tout à coup
Comme l'amour dans ces ruines
Du Rhin là-bas sortent le cou
Des niebelungs et des ondines
Ne craignons rien des nains barbus
Qui dans les vignes se lamentent
Parce qu'ils n'ont pas assez bu
Écoutons les nixes qui chantent
La vierge à la fleur de haricot à Cologne
La Vierge au brin fleuri est une Vierge blonde
Et son petit Jésus est blond comme elle l’est
Ses yeux sont bleus et purs comme le ciel ou l’onde
Et l’on conçoit qu’elle ait conçu du Paraclet
Deux Saintes veillant dans les volets du triptyque
Pensent béatement aux martyres passés
Et s’extasient d’ouïr le plain-chant des cantiques
Des petits anges blancs dans le ciel entassés
Les trois dames et l’enfant vivaient à Cologne
Le haricot poussait dans un jardin rhénan
Et le peintre ayant vu de hauts vols de cigognes
Peignit les séraphins qui chantent maintenant
Et c’est la Vierge la plus douce du royaume
Elle vécut au bord du Rhin pieusement
Priant devant son portrait que maître Guillaume
Peignit par piété de chrétien ou d’amant
Plongeon
Pour une tête pour pêcher les perles du fleuve
Du vert qui est bleu et jaunit qu'il neige ou pleuve
Dans l'eau d'acier ton ombre te précédera
Les vents chantent Jouhé les cors cornent Trara
Tête en bas les yeux ouverts pêche la perle
Chois tout nu jambes ouvertes y grec ou pairle
Et des vapeurs pleins de mouchoirs descendent le Rhin
Sur l'autre rive et en rampant s'enfuit un train
Les Bacs
Les bacs du Rhin s’en vont et viennent
Au long de la belle saison
Et les passeurs qui les déchaînent
Dorment dessus dans la maison
Les bacs du Rhin y vont et viennent
Passant la vie et le trépas
Radeaux perdus on ne voit pas
Dans l’eau les chaînes qui les tiennent
Le passeur a dans la maison
Un petit lit qui n’est qu’un coffre
Un saint Christophe à qui l’on offre
Des fleurs dans la belle saison
Un chapelet et des bouteilles
Pleines jusqu’à leur long goulot
De vrai vin clair comme le flot
D’or comme ses boucles d’oreilles
Et lorsque la cloche a sonné
Dans la nuit sur la rive adverse
Sous les étoiles sous l’averse
Le vieux passeur jure en damné
Chaussé de sandales d’étoffe
A pas sourds il va déchaîner
Et laissant la cloche sonner
Invoque le bon saint Christophe
Sur l’autre rive Entrez Jésus
Passez beau gars Venez la belle
Le bac est mieux qu’une nacelle
Pour prier pour aimer dessus
Parfois on a meilleure charge
Landaus charrettes c’est selon
De beaux vapeurs passent en long
Et le bac toujours passe en large
Passeur passe jusqu’au trépas
Les bacs toujours s’en vont et viennent
Et les chaînes qui les retiennent
Dans l’eau claire ne se voient pas
D’ahan les passeurs les déchaînent
Il faut passer il faut passer
Passer et puis recommencer
Les bacs du Rhin y vont et viennent
Le dôme de Cologne
Ton dernier architecte ô Dôme devint fou
Ça prouve clairement que le bon Dieu se fout
De ceux qui travaillent à sa plus grande gloire
Voilà ce que je sais Dôme de ton histoire
Témoin Hiram c'est sot calcul bâtir pour Dieu
Tu dresses tes deux tours gothiques au milieu
D'une place moderne aux dorures d'enseignes
Pourtant par tes vitraux chaque couchant tu saignes
Jusqu'au Rhin ivre d'or et sous le vent fréquent
Le sang du Christ-soleil et du bon pélican
Mais sois moderne et que tes prêtres déifiques
Tendent entre tes tours des fils télégraphiques
Et tu deviendras luth alors et l'ouragan
Fera gémir aux fils un hymne extravagant
Dôme merveille entre les merveilles du monde
La tour Eiffel et le Palais de Rosemonde
Les cigognes noires et blanches tout l'été
Imitent sur tes tours ton immobilité
Tu recèles la pourriture des rois mages
Tes respirs sont d'encens tes soupirs de nuages
O Dôme je ne suis pas le seul à t'aimer
Les anges chaque hiver viennent se déplumer
Sur tes tours et les plumes fondent comme neige
Quand revient Carnaval charnel et sacrilège
Les chevaux des chars hennissent en crescendo
Primo vers tes cent gargouilles et secundo
Vers tes chevaux en bois de Richmodis-Ado
Dans un bénitier plein Kobbes trempe sa trogne
Prés d'un cuirassier blanc qui pince sans vergogne
Les fesses d'une demoiselle de Cologne
Des funkes ne tricotant plus car ils sont gris
Des onze mille vierges se croient les maris Ira
Et les bedeaux ont peur de leurs fusils fleuris
Le bestevater ému confesse aux trois rois mages
Que sa femme a des seins mous comme des fromages
Et qu'une autre Gertrude accepte ses hommages
Marizibill qui chante en doux plat allemand
T'élit pour rendez-vous avec son gros amant
Drikkes imberbe et roux qui rote éperdument
Et la Venetia lasse de ses névroses
Viendra vouer à Dieu demain lundi des roses
Ses linges menstruels tachés d'hématidroses
O Dôme ô l'auférant que le ciel a chapé
D'azur fourré d'hermine ô grand cheval houppé
De croix dont les vertus sont celles du pentacle
Regimbe hennis renâcle
Mes durs rêves formels sauront te chevaucher
Mon destin au char d'or sera ton beau cocher
Qui pour brides prendra les cordes de tes cloches
Sonnant à triples croches
Mois le Dôme est l'église d'un dieu merveilleux
Créé par l'homme car l'homme a créé les dieux
Comme dit Hermès Trismégiste en son Pimandre
Et tourné vers une statue au regard tendre
J’ai dit à la mère de Dieu Toi qui souris
Mets au bord des chemins des rosiers tout fleuris
Et les cueilleurs de roses diront des prières
Quand les routes en mai deviendront des rosaires
Poèmes à Yvonne (1903)
Aujourd'hui de cinq à six heures, suivi la voisine divine. Restif dirait "feique". Pas osé lui donner les vers faits hier.
Journal, 14 avril 1903.
Vous dont je ne sais pas le nom ô ma voisine
Mince comme une abeille ô fée apparaissant
Parfois à la fenêtre et quelquefois glissant
Serpentine onduleuse à damner ô voisine
Et pourtant soeur des fleurs ô grappe de glycine
En robe verte vous rappelez Mélusine
Et vous marchez à Petits Pas comme dansant
Et quand vous êtes en robe bleu-pâlissant
Vous semblez Notre-Dame des fleurs ô voisine
Madone dont la bouche est une capucine
Sinueuse comme une chaîne de monts bleus
Et lointains délicate et longue comme un ange
Fille d'enchantements mirage fabuleux
Une fée autrefois s'appelait Mélusine
Ô songe de mensonge avril miraculeux
Tremblante et sautillante ô vous l'oiselle étrange
Vos cheveux feuilles mortes après la vendange
Madone d'automne et des printemps fabuleux
Une fée autrefois s'appelait Mélusine
Êtes-vous Mélusine ô fée ô ma voisine
Vendredi-Saint été à la fenêtre. Fronçai, sourcils à cause soleil. Ma voisine a ri, puis « Ne vous fâchez pas si je ris! » Nous somme, sortis ensemble au Bois. Elle a été à Monaco chez les Dames de Saint-Maur. Nous avons passé notre enfance en face l'un de l'autre, Sentimentalité et sympathie et pourtant fait noce au Casino de Paris. Je lui ai écrit prose et vers.
Journal, 27 avril 1903.
Vous êtes un verger plein de tentations
Pour la faim des passants ce sont des capucines
Des lambrusques et des fleurs de la Passion
Qui offrent tendrement deux couronnes d'épines
Vous êtes un verger de printemps et d'automne
Où les arbres se bombent au ciel monotone
Où les printemps des fleurs et l'automne des fruits
Parfument sous le ciel en même temps les nuits
Les pétales tombés des branches fruitières
Sont vos ongles cruels couleur de fleur de mai
Les pétales flétris sont comme vos paupières
O vous le printemps pur et l'automne pâmé
Lettre-poème
Beaux fruits défendus
Paradis perdu
Vase où toute fleur
Meurt avec bonheur
Jonchée de pétales
De rose hivernale
O blondeur d'abeille
Volant au soleil
Fille-fleur ô reine
Des clartés sereines
Vos cheveux qui sont
Tels des scorpions
Ont tué mon coeur
Pour vous faire honneur
Dans ma litanie
Moi je vous bénie
Vierge ou Zodiaque
Je suis un peu braque
Puisque je suis fou
D'une qui s'en fout
Qui en aime un autre
Et........
Pendant que sous le ciel
Je tiens la chandelle.
Lettre-poème
Mes pauvres yeux sont pleins de vous
Comme un étang de clair de lune
Et je vous prie à deux genoux
Ô blonde qui paraissez brune
Yeux brûlants dans mon coeur vous laissâtes deux trous
Vous avez yeux aimés de vagues reflets roux
On vous prendrait pour deux oiseaux qui se ressemblent
Noirs oiseaux lourds de nuits yeux d'amour lourds de mort
Naïfs comme au beau temps des Dames de Saint-Maur
Et tristes quand aux cils de troubles larmes tremblent
Poèmes divers (1900-1917)
Un son de cor
A fait gémir
Ceux qui veillent en leurs chaumières
Le bel inconnu est arrivé
Il a vu
La belle inconnue
L’a prise en croupe
Et l’auférant a henni
Ils ont fui dans le loin sombre
Là-bas delà le lac où des étoiles sombrent
La nuit
Près des grands saules pleureurs
Ils ont fui
Par les forêts et par les plaines
As-tu rêvé de ta légende prochaine
Mystérieux voleur d’infante
Et toute la langueur et la vieillesse
Des âmes de jadis
Sont venues pleurer en moi
Le gonfanon du chevalier
Est de sinople qui espère
Il flotte au loin ô mon âme en ton émoi
Et la vie s’en va là-bas
Lente et qui espère
Infante qui meurt tristement
Parmi les nains et les bouffons
En un castel de fées
Les fées les douces fées Hideuses hideuses fées
Les lilas et l’iris et la rose de Jéricho
En un castel de fées
Où des jongleurs enchantés
Attiraient les passants
Par l’harmonie étrange
Des archiluths et des théorbes
Se mariant
A l’âme des violons
Et l’âme claire des larmes
Il n’est point comme moi
Dans les transes de la chambre endormie
Il n’a point vu d’inconnue
Se pencher sur son lit
Et le baiser au front
Mais toi Passant triste
Passant pauvre comme moi
Chemine avec moi
A l’heure où nous allons
Par des matins très mornes
Chercher la vie monotone
— Car nous avons peur de mourir —
Nous voudrions mourir
Car le siècle est tout noir
En chapeau haut de forme
Et pourtant nous courons
Et puis quand sonne l’heure
L’heure d’être passif
Aux tâches quotidiennes
Notre être se dédouble
Et nous ne songeons plus
Ecoute passant
Ecoute et puis sans nous connaître
Nous nous séparerons
Viens La grand-route au loin poudroie
La Clef
Pour te guider ô toi que j’aime
Vois la veilleuse est allumée
Sont clos mes yeux tout pleins de gemmes
Ouvre tes yeux puisque tu m’aimes
Ouvre pour moi tes yeux fermés
Mets de l’huile dans la veilleuse
J’ai perdu la clef de mes yeux
Mes yeux aux pierres précieuses
Cherche la clef prends la veilleuse
J’emporte la veilleuse adieu
Oh je ne veux pas que tu sortes
L’automne est plein de mains coupées
Non non ce sont des feuilles mortes
Ce sont les mains de ceux qui sortent
Adieu je pars sommeille en paix
J’ai cherché longtemps sur les routes
Passant n’as-tu pas vu la clef
Rentre au logis la belle Ecoute
Tant d’yeux sont clos au bord des routes
Le vent fait pleurer les saulaies
J’ai cherché longtemps par les villes
Où est la clef des yeux fermés
Des clefs J’en ai vu mille et mille
Reste avec moi dans notre ville
Tu ne la trouveras jamais
J’ai cueilli ce brin de bruyère
Mets-le sur ton cœur pour longtemps
Il me faut la clef des paupières
J’ai mis sur mon cœur les bruyères
Et souviens-toi que je t’attends
Je m’achemine vers la ville
Où rêve celui qui m’attend
Je viens à lui Mais m’attend-il
Voici les portes de la ville
Où j’ai laissé mon cœur d’antan
Ouvre si tu m’attends encore
C’est moi c’est moi ta bien-aimée
Ton amoureux hier est mort
Par pitié m’attend-il encore
Hélas j’ai vu ses yeux fermés
Toc Toc Il a fermé sa porte
Et ses yeux pleins de pierreries
Quel est donc ce mort qu’on emporte
Tu viens de toquer à sa porte
Et je suis veuve aux pieds meurtris
J’ai jeté la clef dans le lac
Soient toujours clos les yeux fermés
Je suis veuve le jour de Pâques
Des amants vont au bord du lac
Où je ne reviendrai jamais
La clef des yeux dans l’eau se rouille
Je la rapporterai demain
Mais les yeux que la mort verrouille
La Mort L'Amour La clef se rouille
La nuit descend dans les chemins
Au bord du lac sont les sandales
Et la veilleuse consumée
Sur la robe ont chu des pétales
Deux anneaux d’or près des sandales
Au soleil se sont allumés
Passèrent deux cueilleurs de roses
Vois-tu pas deux anneaux briller
Je vois des fleurs fraîches écloses
Je vois tes yeux je vois nos roses
Je vois deux anneaux d’or à tes pieds
Le printemps
Le printemps laisse errer les fiancés parjures
Et laisse feuilloler longtemps les plumes bleues
Que secoue le cyprès où niche l'oiseau bleu
Prince charmant du conte et de tendre aventure
A l'aube une madone a pris les giroflées
Elle viendra demain cueillir les églantines
Pour mettre aux nids des colombes qu'elle destine
Aux pigeons qui le soir semblent des Paraclets
Au petit bois de citronniers s'énamourèrent
D'amour que nous aimons les filles éperdues
Tout l'horizon palpite ainsi que leurs paupières
Et parmi les citrons leurs cœurs sont suspendus
Mes sœurs j'aime l'Amour Mes sœurs nous l'aimons toutes
Mes sœurs l'Amour qui m'aime est peut-être égaré
Nous chercherons l'Amour ô sœur énamourée
Adieu nos cœurs dont le sang tombe goutte à goutte
Elles cherchent l'Amour qui par divin dépit
D'avoir un soir été surpris à la fontaine
Sur les iris céleurs d'yeux morts faisant pipi
Ternit la source et l'horizon de son haleine
Elles se hâtent vers le vallon décevant
Où des pigeons peut-être ont devancé l'Amour
Mais loin du val des fruits l'enfant s'est dressé pour
Lancer des flèches d'or aux beaux citrons mouvants
Et leurs cœurs sont percés La flèche marque l'heure
Ou elles ont un soir ouï cette source qui pleure
Cette source nocturne et vu l'Amour vengé
Qui laisse errer leur peine à travers les vergers
Les pétales tombés des pêchers qui fleurissent
Sont les ongles cruels des tendres bien-aimées
Les cerisiers défleuriront au mois de mai
Leurs fleurs sont des bourgs qui là-bas se rapetissent
Que de jardins autour des villages lointains
0 hameaux sans clocher où vont les oiseleurs
Vienne le vent Adieu les bourgs de tout à l'heure
Où des gestes fatals étaient si clandestins
Les villages au vent deviennent des paupières
Voyez voyez cligner des yeux les cerisiers
Passent les oiseleurs et leurs cages d'osier
Pour les simples oiseaux qui pour nous pépièrent
Villages au soleil vous avez des jardins
Où les œillets sont gris parmi les autres plantes
Oh les lézards avec dédain
Laissent passer presque maudites les tarentes
Les jardins à leurs murs ont des tentations
Pour la faim des passants Ce sont des capucines
Des lambrusques et des fleurs de la Passion
Qui offrent tendrement deux couronnes d'épines
Les bourgs et les jardins au printemps sont ardents
Le jour de mimosas la nuit de lucioles
Et les princesses nues vont de loin regardant
Le pollen lumineux et les feux qui feuillolent
Puis tout à coup l'horizon vert s'est déchiré
Montrant le violet des mers impétueuses
Le naufrage solaire aux princesses heureuses
De voir mourir un dieu qui dût les adorer
Gonfle-toi vers la nuit ô mer Les yeux des squales
Jusqu'à l'aube ont guetté de loin avidement
Des cadavres de jour rongés par les étoiles
Parmi le bruit des flots et les derniers serments
C'était une mer tiède et à peine infidèle
Sans regret apportant aux rives le canot
Où le printemps chantait pour consoler les belles
Qui crurent aux aveux évoqués par l'anneau
Et puis le jour revint ensoleiller les places
D'une ville marine apparue contremont
Où des temples s'ouvraient dédiés à Mammon
Sur les toits se reposaient les colombes lasses
Ville dormante et pâle de l'aube venue
Sur les terrasses pourtant viennent errer celles
Qui traîtresses demain dérouleront l'échelle
Et pâmées recevront l'amant dans leurs bras nus
La barque s'en allait et les princesses mirent
Leurs pieds dans l'onde calme où chaque jour s'admirent
Les génies des grottes des alentours tandis
Que les terrasses sont désertes à midi
Puis les princesses amoureuses à la nage
Gagnèrent la grand'barque aux barcarols chantants
Et l'on vogua jusqu'au pays des Lotophages
Cueillir des cœurs nouveaux et les fleurs du printemps
Or des grèves d'Irlande aux côtes de la Chine
On les a vues partout celles que j'imagine
Les peuples accouraient acclamer leur bateau
Dans les golfes profonds sur les caps digitaux
Et les chansons d'Europe issues des laides plèbes
Redisaient l'ardeur des rameurs du renouveau
Pendant que s'éveillait d'un sommeil de pavots
Une jonque égarée en la mer des Célèbes
Farces solennelles d'équinoxe fée
J’ai créé votre allégresse éblouie et tendre
Puisque imaginer pour un homme c'est créer
Comme écrit Hermès Trismégiste en son Pimandre
Et vrai tout est joyeux réel et hors de moi
Les vents ont expiré couronnés d'anémones
Les étoiles le soir couronnent la Madone
O vierge signe pur d'un pur troisième mois
O Notre-Dame très réelle et nécessaire
Mets au bord des chemins des rosiers tout fleuris
Pour que de leurs mains les cueilleurs de roses prient
Quand les routes en mai deviendront des rosaires
Avenir
Quand trembleront d’effroi les puissants les ricombres
Quand en signe de peur ils dresseront leurs mains
Calmes devant le feu les maisons qui s’effondrent
Les cadavres tout nus couchés par les chemins
Nous irons contempler le sourire des morts
Nous marcherons très lentement les yeux ravis
Foulant aux pieds sous les gibets les mandragores
Sans songer aux blessés sans regretter les vies
Il y aura du sang et sur les rouges mares
Penchés nous mirerons nos faces calmement
Et nous regarderons aux tragiques miroirs
La chute des maisons et la mort des amants
Or nous aurons bien soin de garder nos mains pures
Et nous admirerons la nuit comme Néron
L’incendie des cités l’écroulement des murs
Et comme lui indolemment nous chanterons
Nous chanterons le feu la noblesse des forges
La force des grands gars les gestes des larrons
Et la mort des héros et la gloire des torches
Qui font une auréole autour de chaque front
La beauté des printemps et les amours fécondes
La douleur des yeux bleus que le sang assouvit
Et l’aube qui va poindre et la fraîcheur des ondes
Le bonheur des enfants et l’éternelle vie
Mais nous ne dirons plus ni le mythe des veuves
Ni l’honneur d’obéir ni le son du canon
Ni le passé car les clartés de l’aube neuve
Ne feront plus vibrer la statue de Memnon
Après sous le soleil pourriront les cadavres
Et les hommes mourront nombreux en liberté
Le soleil et les morts aux terres qu’on emblave
Donnent la beauté blonde et la fécondité
Puis quand la peste aura purifié la terre
Vivront en doux amour les bienheureux humains
Paisibles et très purs car les lacs et les mers
Suffiront bien à effacer le sang des mains
Quand trembleront d’effroi les puissants les ricombres
Quand en signe de peur ils dresseront leurs mains
Calmes devant le feu les maisons qui s’effondrent
Les cadavres tout nus couchés par les chemins
Nous irons contempler le sourire des morts
Nous marcherons très lentement les yeux ravis
Foulant aux pieds sous les gibets les mandragores
Sans songer aux blessés sans regretter les vies
Il y aura du sang et sous les rouges mares
Penchés nous mirerons nos faces calmement
Et nous regardons aux tragiques miroirs
La chute des maisons et la mort des amants
Or nous aurons bien soin de garder nos mains pures
Et nous admirerons la nuit comme Néron
L’incendie des cités l’écroulement des murs
Et comme lui indolemment nous chanterons
Nous chanterons le feu la noblesse des forges
La force des grands gars les gestes des larrons
Et la mort des héros et la gloire des torches
Qui font une auréole autour de chaque front
La beauté des printemps et les amours fécondes
La douleur des yeux bleus que le sang assouvit
Et l’aube qui va poindre et la fraicheur des ondes
Le bonheur des enfants et l’éternelle vie
Mais nous ne dirons plus ni le mythe des veuves
Ni l’honneur d’obéir ni le son du canon
Ni le passé car les clartés de l’aube neuve
Ne feront plus vibrer la statue de Memnon
Après sous le soleil pourriront les cadavres
Et les hommes mourront nombreux en liberté
Le soleil et les morts aux terres qu’on emblave
Donnent la beauté blonde et la fécondité
Puis quand la peste aura purifié la terre
Vivront en doux amour les bienheureux humains
Paisibles et très purs car les lacs et les mers
Suffiront bien à effacer le sang des mains
Un dernier chapitre
Tout le peuple se précipita sur la place publique
Il vint des hommes blancs des nègres des jaunes et quelques rouges
Il vint des ouvriers des usines dont les hautes cheminées ne fumaient plus à cause de la grève
Il vint des maçons aux vêtements maculés de plâtre
Il vint des garçons bouchers aux bras teints de sang
Des mitrons pâles de la farine qui les saupoudrait
Et des commis de commerçants de toutes sortes
Il vint des femmes terribles et portant des enfants ou en ayant d'autres accrochés à leurs jupes
Il vint des femmes pauvres mais effrontées plâtrées maquillées aux gestes étranges
Il vint des estropiés des aveugles des culs de jatte des manchots des boiteux
Il vint même des prêtres et quelques hommes mis avec élégance
Et hors la place la ville semblait morte ne tressaillant même pas
Les villes sont pleines d'amour et de douleur
Deux plantes dont la mort est la commune fleur
Les villes que j'ai vues vivaient comme des folles
Et vomissaient le soir le soleil des journées
Les villes chaque nuit [ceignant] une auréole
Feignaient d'être soleil tant qu'il n'était point né
Villes chair de ma vie j'aime vos nuits solaires
J'ai promené mon cœur par vos soirs blancs et froids
Et libre jusqu'au jour j'ai foulé sans colère
Les ombres projetées par les statues des rois
Les meurt-de-faim les sans-le-sou voyaient la lune
Étalée dans le ciel comme un œuf sur le plat
Les becs de gaz pissaient leur flamme au clair de lune
Les croque-morts avec des bocks tintaient des glas
Ô maisons dans la nuit Ô lits pleins de râles
De la mort des amants du bonheur des époux
Punaise au ciel du lit simulant une étoile
Et la bête à deux dos qui se tâtait le pouls
Au clair nul des bougies tombaient vaille que vaille
Des faux cols sur des flots de jupes mal brossées
Des couples d'ombres célébraient leurs accordailles
À mes yeux de dehors dans les rez-de-chaussée
La ville aux feux de nuit semblait un archipel
Des femmes demandaient l'amour et la dulie
Mais à mes yeux de mâle horreur je me rappelle
Les passantes du soir n'étaient jamais jolies
Puis le jour revenait mais parfois sans soleil
Dresser les maisons côte à côte au bord des rues
Où s'égarent nos vies aux autres vies pareilles
Les vies traînant leur ombre en passant dans la rue
Intercalées dans l'an c'étaient des journées veuves
Les vendredis sanglants et lents d'enterrements
Des blancs et des tout noirs venus des cieux qui pleurent
Quand la femme du diable a battu son amant
Le jour s'arrondissait le bon œuvre de pierre
Les remparts entouraient les murs et les maisons
La gloire des statues les croix des cimetières
La rumeur des hommes en oraison
L'oraison innombrable de la vie qui se grise
Qui veut vivre et mourir dans l'amour et l'effroi
Les usines sont plus hautes que les églises
Et les villes le jour ce sont des soleils froids
Le mendiant
Passant tu chercheras dans l’ombre cimmérienne
Mon fantôme pareil à la réalité
Mais le passeur aura voué mon corps aux chiennes
Mon spectre juste aux gueules du tricapité
Et me tenant au bord du fleuve sur qui volent
Les obscures migrations des oiseaux blancs
Je me lamenterai faute de ton obole
Au passage des riches comme moi tremblants
Sois-tu maudit Rien n’est tombé dans ma sébile
Va-t’en vers le spectacle où des acteurs feront
Gémir les femmes grâce aux grimaces flébiles
Je n’ai que ma douleur pour émouvoir Caron
Et vivant je mendie de chaque aube à la brune
Et je cesse ma plainte quand le jour s’éteint
Je reviendrai demain avec mon infortune
Voir flamber l’aurore l’Électre du matin
Tu méprises ma peine et la tienne peut-être
Ta douleur de toujours mon malheur de jamais
Nous pleurâmes C’était quand nous venions de naître
Et les yeux secs j’attends Si Thanatos m’aimait
Puisque tu veux nier la douleur positive
Adapte un masque hilare et drape l’oripeau
Va L’histrion tire la langue aux attentives
J’attends que passe Thanatos et son troupeau
Le suicidé
Trois grands lys Trois grands lys sur ma tombe sans croix
Trois grands lys poudrés d’or que le vent effarouche
Arrosés seulement quand un ciel noir les douche
Majestueux et beaux comme sceptres des rois
L’un sort de ma plaie et quand un rayon le touche
Il se dresse sanglant c’est le lys des effrois
Trois grands lys Trois grands lys sur ma tombe sans croix
Trois grands lys poudrés d’or que le vent effarouche
L’autre sort de mon cœur qui souffre sur la couche
Où le rongent les vers L’autre sort de ma bouche
Sur ma tombe écartée ils se dressent tous trois
Tout seuls tout seuls et maudits comme moi je crois
Trois grands lys Trois grands lys sur ma tombe sans croix
Languissez languissez blanc chapeau d'Ophélie
Vous flotterez encore entre les nénuphars
Et passant au bord du lac les Hamlets blafards
Sur la flûte joueront les airs de la folie
Vous cherrez chez les morts sur le sombre gazon
Qu’éclaire tristement une face d'Hécate
Quand trop simple chapeau du rocher de Leucate
Tombera des Saphos la froide déraison
Et voici le Loquet panaché des sirènes
Il trompa les marins qu'aiment ces oiseaux-là
Il ne tournera plus au remous de Scylla
Où chantaient les trois voix suaves et sereines
Ballade
La châtelaine pâle a dit
De la tour nul ne sortira
Passent lundi mardi jeudi
Plus ne chantent les trois jongleurs
Oh les jongleurs avez-vous peur
On leur a offert des festins
Mais point n’en veulent les jongleurs
Voudraient cheminer le matin
Et les trois jongleurs ont pâli
La châtelaine est dans son lit
Dame à la servante
Vous fûtes avant d’être à mon service Anna
Femme de chambre chez une prima donna
Qui vous styla si bien étant très difficile
Qu’Hébé ne pourrait rien reprendre à votre style
Pourtant vous n’êtes pas franche mais en dessous
Vous me volez parfois et même quelques sous
Vous avez une voix qui m’agace et m’étonne
Vous employez toujours la troisième personne
Et ni femme ni fille esclave seulement
Hors de l’humanité n’êtes qu’un instrument
Chanson
Je suis la rose
Fraîche et mi-close
Je me marie
Je suis flétrie
Je suis un lys
Vienne mon fils
La blanche fleur
Penche et se meurt
Cet oiseau langoureux et toujours irrité
C'est un arc Ton luth c'est sur ton cœur qu'il tire
Parce que son destin n'était que ton martyre
Et son aveuglement le ciel de ta clarté
Aux vergers d'Avallon par les pommes tenté
Le chantre en maraudant a laissé choir la myrrhe
La dame sur la tour sourit quand on l'admire
Errons dans l'ombre où l'hydre a sifflé l'autre été
La Sainte Élisabeth tend la dernière rose
Au soldat qui tricote et qui marche pieds nus
Quand la nuit baise au front un enchanteur morose
Pipe
Le chemin qui mène aux étoiles
Est pur sans ombre et sans clarté
J’ai marché mais nul geste pâle
N’atténuait la voie lactée
Souvent pour nouer leurs sandales
Ou pour cueillir des fleurs athées
Loin des vérités sidérales
Ceux de ma troupe s’arrêtaient
Et des chœurs porphyrogénètes
S’agenouillaient ingénument
C’était des saints et des poètes
Égarés dans le firmament
J’étais guidé par la chouette
Et n’ai fait aucun mouvement
Le jupon
Bonjour Germaine Vous avez un beau jupon
Un beau jupon de reine et de reine cruelle
Que j’en tâte la soie Une soie du Japon
Qu’orne un large volant d’ancienne dentelle
Cette cloche de soie où le double battant
De vos jambes tinta le glas de mes caprices
J’en sonne ma Germaine le sein haletant
Et les mains appuyées sur vos hanches complices
Votre chambre ma cloche est un charmant clocher
Où mes mains sur la soie déchirent mes oreilles
Les patères gibet des jupons accrochés
Balancent des pendus soyeux qui m’émerveillent
Immobile comme un hibou la lampe veille
La nudité des fleurs c’est leur odeur charnelle
Qui palpite et s’émeut comme un sexe femelle
Et les fleurs sans parfum sont vetues par pudeur
Elles prévoient qu’on veut violer leur odeur
La nudité du ciel est voilée par des ailes
D’oiseaux planant d’attente émue d’amour et d’heur
La nudité des lacs frissonne aux demoiselles
Baisant d’élytres bleus leur écumeuse ardeur
La nudité des mers je l’attife de voiles
Qu’elles déchireront en gestes de rafale
Pour dévoiler au stupre aimé d’elles leurs corps
Au stupre des noyés raidis d’amour encore
Pour violer la mer vierge douce et surprise
De la rumeur des flots et des lèvres éprises
Funérailles
Plantez un romarin
Et dansez sur la tombe
Car la morte est bien morte
C'est tard et la nuit tombe
Dors bien dors bien
C'est tard et la nuit tombe
Dansons dansons en rond
La morte a clos ses yeux
Que les dévots prient Dieu
Dors bien dors bien
Que les dévôts prient Dieu
Cherchons-leur des prie-Dieu
La mort a fait sa ronde
Pour nous plus tard demain
Dors bien dors bien
Pour nous plus tard demain
Plantons un romarin
Et dansons sur la tombe
La mort n'en dira rien
Dors bien dors bien
La mort n'en dira rien
Priez les dévots mornes
Nous dansons sur la tombe
La mort n'en saura rien
Dors bien dors bien
Prière
Quand j'étais un petit enfant
Ma mère ne m'habillait que de bleu et de blanc
O Sainte Vierge
M'aimez-vous encore
Moi je sais bien
Que je vous aimerai
Jusqu'à ma mort
Et cependant c'est bien fini
Je ne crois plus au ciel ni à l'enfer
Je ne crois plus je ne crois plus
Le matelot qui fut sauvé
Pour n'avoir jamais oublié
De dire chaque jour un Ave
Me ressemblait me ressemblait
L’enfant d’or
Dans la barque fuyait près d’une ombre la reine
Quand les tambours battaient et lorsque les sanglots
Secouaient le monarque ainsi que la carène
Qui tremble à l’horizon sur l’écume des flots
La chanson des rameurs sur les vagues se traîne
La reine et l’enfant d’or agitaient des grelots
Dont la fente évoquait la grenade qu’égrène
Sur l’écho des récifs le chœur des matelots
Belles chairs de cristal les joyaux les squelettes
Tombent au fond des mers où surnagèrent tant
De fleurs de cheveux roux et de rames flottant
Parmi les troupes de méduses violettes
Cortège de ta fuite ou floraison d’effroi
Et des gemmes tombaient du manteau du vieux roi
Le départ
Maudite celle-là qui ayant renoncé
A n'être qu'une amante aime la chaste Gloire
Le surnom de sa vie sera le Désespoir
Et le rire de tous l'écho de sa Pensée
O douce vie ô doux Amour que je rebute
Tendresse du printemps qui me fait défaillir
Un vol d'oiseaux divins monte comme un soupir
Dans le firmament clair de mes pures disputes
Adieu adieu Vous qui m'aimiez oubliez-moi
Laissez-moi seule triste et noire dans la gare
Attendre les yeux secs l'heure de mon départ
Puisque vous le savez je ne vous aime pas
Rayons d'un regard d'homme O cordes de ma lyre
C'est vous qui résonnez quand je chante c'est vous
La cause de l'impossible amour que j'avoue
Et qui m'avez donné la force de le dire
Et cette lyre accorde et mon cœur et ses yeux
Lyre Trop vieille image mot délicieux
Le paysage fuit et sans qu'il m'en souvienne
O train joyeux Quel bruit tu mènes
Hélène
Sur toi Hélène souvent mon rêve rêva
Tes beaux seins fléchissaient quand Pâris t’enleva
Et savais-tu combien d’hommes avaient tes lèvres
Baisé depuis Thésée jusqu’au gardeur de chèvres
Tu étais belle encor toujours tu le seras
Et les dieux et les rois pour toi firent la guerre
Car ton corps était nu et blanc comme ton père
Le cygne amoureux qui jamais ne chantera
Si ton corps toujours nu exercé à la lutte
Inspirait l’amour Hélène fille d’un dieu
Les hymens sans flambeau ni joueuse de flûte
Nombreux qui aux matins cernaient de bleu tes yeux
Avaient avec les ans que n’avouent pas les femmes
Fait souffrir ton visage et tes lèvres fanés
Mais tes grands yeux étaient encor jeunes ô dame
Et le fard sur tes joues recouvrait les années
Mais tu n’étais point vieille et tu dois vivre encore
En quelque bourg de Grèce belle comme alors
Tu n’étais pas plus belle quand te dépucela
Le vainqueur de brigands Thésée qui te vola
Quand on entend la femelle de l’alcyon
Chanter la mort est proche et pour vivre en nos rêves
Immortelle et belle Hélène ô tentation
Bouche-toi les oreilles ô vieille aux douces lèvres
Quand te nomme un héros tous les hommes se lèvent
Hélène ô liberté ô révolutions
Venez venez fillettes
Faut pas rester sur terre
Vaut mieux vaut mieux mourir
Et dardant un rayon
Tandis qu’elles trois courent
Après un papillon
Il enflamme les filles
Les trois fillettes brunes
Soleil Faut-il mourir
On vit trois étincelles
Et puis plus rien Le rêve
Le rêve et le soleil
Et je joue quelquefois du matin à la nuit
Les morceaux de musique acquis par ma grand-mère
Car les musiciens d'Allemagne m'ennuient
Et quand je m'ennuie je m'ennuie comme les pierres
Je passerais ma vie touchant mon piano
En écoutant l'ivoire ordonner l'harmonie
Cet Ivoire que choque parfois mon anneau
L’harmonie des beaux airs de France et d'Italie
Les statues endormies qui rêvent toutes blanches
Dont la soif de mourir jamais ne s’étanche
Les statues blêmies
Des amours souriants et gelés
Sous la neige qui tombe
Songent aux tombes
D’amours morts
Enterrés sur un lit de roses et de verveines
En quelque Cythère lointaine
Il somnole en leur marbre un vague souvenir
D’Hellas endormie
Sous la Séléné d’or
Ô mon âme
Que jamais ne t’étreigne
Le froid des Paros
Sous les soleils d’avril
Les guêpes et les mouches
Ont trompetté leur haine
J’ai la tristesse d’être à la merci d’instincts
Les vers visqueux me guettent
Avec le froid des pluies
Sous terre mon cadavre verdi
Sera ma vie lointaine
Et rien
Un corps décomposé
Fleurissant en fleurs tôt fanées
Fleurs des fiancés
Des trépassés
C’est le destin des hommes
Des hommes qu’on oublie
Guillaume
Oui
Nuit pisane
Les dames pisanes sont descendues rêver
Dans leurs vergers où palpitent des lucioles
Et derrière les murs des flûtes des violes
Disent l’amour perdu que l’on veut retrouver
Puis quand les inconnus ont évoqué leur peine
Ou qu’ils s’en vont à l’heure où doit passer le guet
Avec ses vingt lueurs et son cri fatigué
Elles ont peur de l’ombre et de l’heure prochaine
De l’ombre où jusqu’au jour les lucioles sont
Les larmes d’un regret ardent comme une flamme
Tandis que vous sentez dans la nuit de votre âme
Des violes d’amour vibrer le dernier son
Et l’heure va venir ô belles délicates
Ne sera-ce pas l’heure enfin d’avoir sommeil
Quand passera le guet avec son cri pareil
Aux plaintes de l’amour qui vous rendit ingrates
Alors sur les perrons en écoutant mourir
La source qui languit les Pisanes penchées
Comme leur Tour et par la mort effarouchées
Attendent cependant l’amour qui va venir.
Et sans remords j'ai pénétré dans la forêt
Où les arbres étaient pareils à mes paroles
Tu ne reverras plus les astres Le regret
De leurs lueurs et de leurs vaines hyperboles
Emplira ton destin Et cette humide odeur
De millénaire pourriture de ces feuilles
Ce sera le parfum de l'immobile ardeur
Qui doit t'emplir un jour sans que vif tu le veuilles
Mon destin O Marie est de vivre à vos pieds
En redisant sans cesse Ô combien je vous aime
Ô faible voix ô faible voix qui me trompiez
Je ne sais plus comment on bâtit un poème
J’ai trouvé quelquefois des rythmes langoureux
Qui faisaient palpiter tout l’amour sous les feuilles
Et je ne trouve rien que ces vers malheureux
Qui méditent ma mort pourvu que tu la veuilles
[Leur sillage s’efface]
L'automne et l'écho
Je suis soumis au chef du signe de l'automne
Partant j'aime les fruits je déteste les fleurs
Je regrette chacun des baisers que je donne
Et je vis anxieux dans un concert d'odeurs
Mon automne éternel ô ma saison mentale
Les mains des amantes d'antan jonchent ton sol
Les fleurs ne laissent plus tomber aucun pétale
Les colombes le soir tentent un dernier vol
Or ma vie est debout sur un socle stylite
Vaine qui voit venir les foules que j'attends
Et vers elle souvent mon amante contrite
Vient murmurer L'amour est bleu couleur du temps
Moi je regarde les passants Leurs bouches sèches
Me disent leurs désirs au soleil embrasés
Tel qui songe à l'été voudrait mûrir les pêches
Et tel pour sa laideur demande des baisers
Je regarde et j'écoute et j'entends chaque plainte
Répétée et la plaine et les monts et les bois
S'éveillent et surpris moi je cherche une empreinte
Aux sites où riait l'imiteuse des voix
Puis lorsque j'ai trouvé la place tiède encore
Où je m'étends j'imite des cris incertains
Mais las sur ma clameur toujours la voix sonore
Et qui s'enfuit s'émeut en longs éclats lointains
Et je comprends alors O nymphe tu te moques
De ce que nous aimons les poètes et moi
Et je médite assis aux tragiques époques
Où les femmes toujours ont agi comme toi
Car Orphée fut tué par les femmes
Et Térambe invaincu rampe aux jardins d'été
Je déteste les fleurs parce qu'elles sont femmes
Et je souffre de voir partout leur nudité
Ma vie est recueillie en ma saison factice
Et je feins d'écouter la chute des fruits mûrs
Tandis qu'une araignée entre mes bras se tisse
La toile où tôt cherront les moucherons impurs.
Anvers
Anvers on bâtit une tour
Ville trompée un prince arrive
Dix fois de toi fera le tour
Toutes les mains à la dérive
Maigre comme un cou de vautour
Maisons deviennent des lumières
Des corps marchent sans intellect
On dira beaucoup de prières
Pour l'œil un volatile infect
Naît soudain Œufs tricentenaires
Des noms le mien et celui qui
A la saveur du laurier femme
Hôtel
Ma chambre a la forme d’une cage
Le soleil passe son bras par la fenêtre
Mais moi qui veux fumer pour faire des mirages
J’allume au feu du jour ma cigarette
Je ne veux pas travailler — je veux fumer.
Le tabac à priser
Tabaquin tabaquin ma tabatière est vide
Mets-y pour deux sous de tabac mais du fin
Il fait si beau qu'en leurs bastides
Les messieurs de la ville s'en sont venus dîner
Les olives sont mûres et partout l'on entend
Les chants des oliveuses sous les oliviers
Le ciel est beau il fait tiède et je suis bien
Mais je suis si vieux que je me demande
Si je verrai le temps des lucioles
Tabaquin tiens tes deux sous
C'est du fin Merci bien tabaquin
J'ai du bon tabac
Dans ma tabatière
J'ai du bon tabac
Tu n'en auras pas
Flambe flambe ma main ô flamme qui m'éclaire
Ma main illuminant les affres à tâtons
Mon bras fond sous ma main qui allume ma chair
Le soleil
De montagne en montagne joue à saute-mouton
69 6666 ...6 9...
Les inverses 6 et 9
Se sont dessinés comme un chiffre étrange
69
Deux serpents fatidiques
Deux vermisseaux
Nombre impudique et cabalistique
6 : 3 et 3
9 : 3 3 et 3
La trinité
La trinité partout
Qui se retrouve
Avec la dualité
Car 6 deux fois 3
Et trinité 9 trois fois 3
69 dualité trinité
Et ces arcanes seraient plus sombres
Mais j'ai peur de les sonder
Qui sait si là n'est pas l'éternité
Par-delà la mort camuse
Qui s'amuse à faire peur
Et l'ennui m'emmantelle
Comme un vague linceul de lugubre dentelle
Ce soir
Je la connus Ah merdemore
Ensoleillée le dix-neuf août
Je la crus Béatrice ou Laure
Amour et gloire J'étais fou
Lauriers ô touffes d'ellébore
Cité de Carcassonne
Elle passe
Prenant les cœurs un à un
Donnez les cœurs
Tous les bons cœurs
Les mauvais cœurs
Les pauvres cœurs
Vous n'irez jamais
Jusqu'à ses lèvres
Oh les cœurs
Les pauvres cœurs
Elle se lasse
Et met les cœurs dans son panier
Hélas
Les cœurs n'y restent guère
N'y restent pas longtemps
N'y restent pas assez
Pas même un petit printemps
À Tristan Derème redivivus.
Ami je vous écris du fond d’une cantine
Le vent crie et le ciel a sa couleur turquine
Il est bleu mais hostile Il se fait plus d’un an
Que vous n’écrivez plus de lettres Maintenant
Souhaitant m’égaler à vos héros qui meurent
Je conduis conducteur les canons qui demeurent
Quatre-vingt-dix soixante-quinze et cent-vingt long
Mes chevaux argentins volent tel l’aquilon
J’ai reçu ce matin votre noble poème
Je l’ai relu vingt fois et tel qu’il est je l’aime
Vos vers les conducteurs les servants les ont lus
Et les larmes mouillaient les faces des poilus
Je voudrais bien vous voir Je vais partir en guerre
Venez un jour ici
Guillaume Apollinaire
Ce soir est doux ce soir d'hiver tout ouaté
Dans le P. C. ça sent la pipe on fait du thé
Quelle douceur que cet hiver froid mais sans mouches
Les poux cerva ce sont des bêtes peu farouches
On les a sous la main ça peut servir un jour
On les porte sur soi mais ce n'est pas trop lourd
Les mouches Ah grands dieux j'abhorre cette engeance
Qui fut du Dieu vengeur l'ineffable vengeance
Que l'Égypte eut pour plaie et nous l'eûmes aussi
C'était l'été dernier Toutes noires ainsi
Que sont les pianos ces mouches que j'abhorre
Chantaient à leur seigneur Belzébuth Je t'adore
O Cazotte Comment peux-tu l'imaginer
Qu’un soldat quel qu'il fût se laissât entraîner
A voir dans les essaims des mouches innombrables
La plus belle qui soit des femmes adorables
Comme au temps du Diable amoureux
Belzébuth soulevait ses tourbillons affreux
Léo Larguier soldat mystique ô brancardier
Les vers du caporal plaisent au brigadier
Ce secteur 114 est-ce Arras ou peut-être
La ferme Choléra sinon le bois Le Prêtre
Ici la fraise est rouge et les lilas sont morts
La couleuvre se love en la paille où je dors
Quand s’éveille la nuit la Champagne tonnante
La nuit quand les convois traînent leur rumeur lente
À travers la Champagne où tonnent nos canons
Et les flacons ambrés
Et si nous revenons
Dieu Que de souvenirs
Je suis gai pas malade
Et comme fut Ronsard le chef d’une brigade
Agent de liaison je suis bien aguerri
J’ai l’air mâle et fier j’ai même un peu maigri
Des braves fantassins je connais les tranchées
Où les Gloires de pourpre aux créneaux attachées
Attendent que nos bleus les violent enfin
Au nez de Rosalie épouse du biffin
Êtes-vous en Argonne ou dans le Labyrinthe
Moi je ne suis pas loin de Reims la ville sainte
Je vis dans un marais au fond d’un bois touffu
Ma hutte est en roseaux et ma table est un fût
Que j’ai trouvé naguère au bord du Bras de Vesle
Le rossignol garrule et l’Amour renouvelle
Cependant que l’obus rapace en miaulant
Abat le sapin noir ou le bouleau si blanc
Mais quand reverrons-nous une femme une chambre
Quand nous reverrons-nous Mais sera-ce en septembre
Adieu Léo Larguier ça barde en ce moment
105 et 305 le beau bombardement
Je songe au mois de mars à vous à la tour Magne
Où est mon chocolat Les rats ont tout croqué
Et j’ajoute mon cher style communiqué
Duel d’artillerie à minuit en Champagne
Tristesse de l'automne
Vous êtes le soldat de toutes les bontés
A vous voir la douleur tremble fuit et s'étonne
Voyez votre départ attriste cet automne
Et l'h i ver viendra quand vous nous aurez quittés
La guerre continue au rythme monotone
Des grands canons jetant leurs tragiques clartés
Mais quand vous serez loin quelquefois écoutez
Un chant plus doux que n'est la berceuse bretonne
Et plus doux que ne sont les chœurs napolitains
Les chants des barcarols glissant sur la lagune
Qu'un ronron d'avion volant au clair de lune
Que la voix de Memnon dans les tendres matins
Bénodet
Je vous aime ce soir où monte la marée,
Bateaux de Bénodet à la voile azurée,
Pêcheurs de Loctudy dont les filets d'azur
Se confondent avec la mer et le ciel pur.
Cependant que l'Odet bleu comme une prière
Pâlit et que là-bas, chaque phare s'éclaire
L'Odet
Est la plus bleue et la plus claire
Rivière
Loin de la guerre atroce et des coups de canon
Bénodet ne sait pas celle-là qu'il préfère
La mer aux mille écueils ou sa tendre rivière
L'Odet plus douce encore que ne sonne son nom
Mais le temps passe il faudra bien que tu t'en ailles
Laissant Quimper et le Comté de Cornouailles
Un cahier d’anciens croquis
Plein de portraits de femmes jeunes
Un vieux vin dont le goût exquis
En retour réclame des jeûnes
Voici la joie aussi d’entendre
D’ancienne musique tendre
Et ce charme encore nouveau
Tirer du neuf du vieux cerveau
Avoir vieux livres vieux amis
Jouir des jours mûrs de l’automne
Voilà tous les plaisirs hormis
Celui qui toujours nous étonne
Celui que l’on nomme amour
Pour qui seul le monde respire
Par qui tout connaît le retour
Et le départ la nuit le jour
Vivre et mourir ô mieux ô pire
Calligrammes, les profondeurs
[TOUT TERRIBLEMENT]