Poèmes retrouvés après la mort d'Apollinaire

Sommaire

(Retour en page d'entrée)

Le tombeau d'Apollinaire au Père Lachaise revu par un héritier du marquis de Sade...


Titre Page

Mardi gras 705
Mort de Pan 707
Triptyque de l'homme 3 L'orgueilleux 710
Aurore d'hiver 710
Triptyque de l'homme 1 Les poltrons 711
Triptyque de l'homme 2 La maison de cristal 712
Les doukhobors 715
René 715
Lecture 715
Parmi le tan et le plantain 717
Nocturne 719
Les poètes 720
L'assassin 722
Fête 723
Le condor 724
Le morpion 725
L'avion 725
Le singe 726
L'araignée 727
Le vent souffle dans l'ile 730
A Francis Picabia 731
Mon alambic 732
Réclame pour la maison Walk-Over 733
Je suis au bord de l'océan sur une plage 734
Arrivée du paquebot 735
Montparnasse 736
Le 10 août avant-veille du départ 738
Qu'est-ce qui se passe 739
Au secteur... 59 740
La nuit descend comme une fumée rabattue 741
Je suis la vie 742
Endurcis-toi vieux cœur 744
Inscriptions pour des gravures 745
Inscription à broder sur un coussin 746
Enseigne peinte pour un bureau de tabac 746
La mort ô vie 747
Puisque les jours nous abandonnent 748
Mon ami je pense à toi 749
Quadrature du cercle 750
L'oiseau et le bouquet 751
L’Amérique 752
L'oiseau et le bouquet 753
L’Europe 752

 

 

 

 

Mort de Pan

 

Flore et le chaud Phébus revenaient sur la terre,
Toujours les flots grondants se brisaient sur Cythère,
Et la blonde Vénus, adorée en ces lieux,
Dans son temple écoutait le chant des hymnes pieux.

L’Olympe s'emplissait. Le Maître du tonnerre
Mandait tous ses enfants qui venaient vers leur père.
Une étrange terreur était alors aux cieux;
Les puissants immortels étaient devenus vieux.

Mais tout à coup le ciel s'abîme dans l'espace,
Et la race divine en un instant trépasse,
Cependant qu'une voix crie au monde confus :

« Jésus va naître enfin et son règne commence;
II naît pauvre à Bethléem; son royaume et immense :
Pan !le Grand Pan est mort et les dieux ne sont plus! »

 

 



 

 

 

 

Mardi gras

A mon ami Jehan Loques

 

Dans le jour vert, mauve ou rose
Sur lequel plane un ciel d'ennui,
Dans la nuit
Où passent les pierrots couronnés de roses,
Fantômes pâles qui rôdent en la nuit,
Nuit plus étoilée que les nuits habituelles
Stellée de gemmes au scintillement pâle,
(Perle, opale,
Émeraude et spinelle)
Courent en chantant, Arlequins, Colombines,
Polichinelles au nez crochu,
Mousquetaires, marquises, diablotines,
Sous une pluie multicolore; et s'illumine
La ville en fête et jouent mirlitons, mandolines,
Tandis qu'au loin le roi déchu,
Le roi des fous est brûlé par son peuple, las!
Hélas! Carnaval, le roi Carnaval flambe!
Le roi flambe!
Chansons! Feux de Bengale
Champagne! Dithyrambe!
Le roi Carnaval flambe,
Et le canon là-bas tonne son glas.
Et la lune, veilleuse d'or pâle
Éclairant la nuit stellée de gemmes pâles
(Rubis, Émeraude, Opale)
Semble la lampe merveilleuse
De quelque gigantesque Aladdin,
La Lampe éclairant dans le jardin
Les arbres dont les fruits sont pierres précieuses,
(Perles, rubis, émeraudes, opales)
Et meurt le bruit,
Et meurt la nuit,
Et point le jour, le jour pâle.

 

 


 

 

 

 


Aurore d'hiver

 

L'aurore adolescente
Qui songe au soleil d'or,
— Un soleil d'hiver sans flammes éclatantes
Enchantée par les fées qui jouent sous les cieux morts,
L'Aurore adolescente
Monte peu à peu
Si doucement qu'on peut
Voir grelottante
Rosir l'aurore pénétrée
De la fraîcheur de la dernière vêprée.
Et le soleil terne, enchanté,
Se montre enfin, sans vie,
Sans clarté,
Car les fées d'hiver les lui ont ravies,
Et l'aurore joyeuse
Heureuse,
Meurt
Tout en pleurs
Dans le ciel étonné
Quasi honteuse
D'être mère d'un soleil mort-né.

 


 

 

 

 


Triptyque de l'homme

I

Les poltrons

 

La Fée aux blanches mains a regardé le loin
Où son féal Gauvain chevauchait en silence,
Elle aperçoit alors le malencontre Arloin
Qui sur le gué brandit sa lourde et longue lance.

Gnomes et Korrigans au visage chafoin
Ont l'air de se moquer, mais restent à distance,
On distingue là-bas le rythme de leur danse.
La rousse Fée alors du combat est témoin.

Rutilent au soleil les métaux des armures.
Le bruit de fer couvre la voix et les murmures
Du torrent. Les preux songent à d'autres combats.

…Or, perverse, pour les exciter, sur ses hanches
Laissant tomber ses cheveux, la Fée aux mains blanches
Levant un peu la tête aperçoit tout là-bas

Les écuyers des preux cachés emmi les branches.

 


 

 

 

 


II

La maison de cristal

 

Gauvain cherchait Myrdhinn et cornait dans la nuit
Des ombres vagues erraient dans Brocéliande.
Le preux s'apeurait : « Est-ce sabbat? Rien ne luit.
Myrdhinn connaît ma voix, Dieu fasse qu'il l'entende. »

Le cor pleurait et l'écho répétait... Un bruit,
Un cri tout à coup; lors Gauvain songea : « Minuit,
Est-ce Lilith qui clame? Faut-il que j'attende
Le jour pour chercher l'Enchanteur? Hélas, si grande

Est la forêt que la voix de mon cor s'y perd!
Cornons plus fort. Peut-être pourra-t-il m'entendre
... La nuit, les bois sont noirs et se meurt l'espoir vert

Avec le jour... » — Un cri : « J'aime ta tristor tendre,
Vivlian! » — « C'eSt lui! », dit Gauvain qui vit
Sous cloche de cristal par la Fée asservi

Myrdhinn qui souriait irréel et ravi.

 


 

 

 

 


III

L'orgueilleux

 

Or, le Bel Inconnu, Giglain, fils de Gauvain,
Fatigué, descendit de cheval et près d'une
Fontaine s'assit et pensa : « Serait-ce en vain
Que je suis un héros et de la loi commune

Ne peut-on pas sortir? » Mais lors il se souvint
Qu'il mangeait, qu'il dormait, et qu'il aimait le vin,
Et que, seul, la nuit et souvent même à la brune,
Il avait peur de spectres vagues sous la lune;

Puis il toussa songeant : « Les hommes sont mortels et toujours
Et toujoursvquoi qu'on fasse, hélas! ils seront tels! »
Lors il eut souvenir de fêtes triomphales,

De tournois où toujours il vainquit... Mais le preux
Connut que les Héros sont cruels et peureux.
Puis il s'enorgueillit pensant aux hommes pâles

Qui diraient ses hauts faits... imaginés par eux.

 


 

 

 


Lecture

 

Le moine de Santabarem
Vêtu de noir et ses mains pâles étendues
Clama « Lilith »
Et dans la nuit blême
Ululait une orfraie et le moine dit :
« Je vois Lilith qui vole poursuivie
Par trois anges... »
— Ici s'arrête le grimoire rongé des vers
Et je songe à la nuit, la lune
A son premier quartier.
Et je songe aux Empereurs byzantins.
J'aperçois quelque autel dans un nuage
D'encens
Je fleure des roses de Jéricho,
Et je vois briller des yeux adamantins de crapauds
Et je songe au grimoire,
Au parchemin rongé,
A quelque chambre noire
Où vit retiré un alchimiste.
Et je rêve et le jour prend teinte d'améthyste
Et je ne sais pourquoi
Je songe de femme à barbe et de colosse triste
Et je frissonne d'entendre en ma chambre derrière moi
Comme un bruissement de soie.

 


 

 

 

 


Les Doukhobors

 

Les Doukhobors, ô frères, mes frères lointains
Et la Mort qui n'existe pas est venue leur dire :
« Venez! vous serez armés de sabres, de lances, de fusils,
Vous porterez des étendards, vous serez vêtus d'uniformes
                  Et vous tuerez des hommes
                  Si je vous le dis,
Car l'Empereur ne veut pas tuer d'hommes,
                  Lui! »

Les Doukhobors, ô frères, mes frères lointains.
Ayant de tuer la nolonté précise et touchante, innocente,
La nolonté plus forte encor de résister
Pâles géants, Noëls altruistes et impies
Partirent et puis un jour voyant près d'eux
Héroïque et inerte Matvei Lebédeff
Les chevaux sauvages hennissent dans les Steppes
On crie au loin, du milieu des Steppes où l'on est libre.
                    Les Doukhobors
Aiguisèrent leurs épées claires
Pattes pour fendre les chairs
                   Et se teinter de sang

Ils ont creusé le sol
Et le pétrole a jailli
Sur le jet de la source bleuâtre
Source d'enfer empuantie,
Ils ont jeté les fusils, les épées, les lances
Les idoles étendards que l'on a peur de perdre et qui flambent très bien,
Les Doukhobors las des patries
Ont fait flamber les étendards.
La Mort qui n'exige pas sonna la charge.
                   Les cosaques chargèrent
Mais ils eurent peur d'en trop tuer
Et ce n'était pas fraternité

Les Doukhobors ô frères, mes frères lointains,
Menaçante la Mort qui n'exige pas leur dit :
                  « Vous me niez!
Tout meurt et tout est malade autour de moi
                  Vous me niez!
Je mourrai, (quand on meurt, je meurs)
                  Sur votre liberté
Et sur, votre mensonge car je suis éternelle
Et vous n'aurez jamais la liberté réale
(Entre temps vous serez mes égaux et libres rien qu’en moi)
                 Que vous voulez mondiale. »

Les Doukhobors.; le soleil qui radiait
Dut paraître à leurs yeux extasiés
                Espérant des remous
                              Océaniques
Des nations, là-bas, du côté d'Occident ou d'Amérique
Le cou tranché d'une tête immense, intelligente
Dont le bourreau n'osait montrer
La face et les yeux larges pétrifiés
                A la foule ivre
Et quel sang, et quel sang t'éclabousse, ô monde
               Sous ce cou tranché!

 


 

 

 

 


Parmi le tan et le plantain
Et les ruines légendaires
Chaque richard stavelotain
Ingurgitant diverses bières
Et comptant les jours révolus
En bon bourgeois songe aux affaires
Pour le reste ce sont mystères
Jusqu'au mariage c'est l'us
A Stavelot pas de putain
Le nu mérite les galères
Chère cache ce blanc tétin!
Et tous pourraient jeter pierres
Les jeunes gens sont impollus
Et des défunts célibataires
Sont encore puceaux dans leurs bières
Jusqu'au mariage c'est l'us.

 


 

 

 

 


Retourne à l'Aréthuse au fond clair de Sicile
Ecoute choir les fruits au lac d'inanité
N'attente au massacreur qui des jardins t'exile
Errer au site où l'hydre a sifflé l'autre été

 


 

 


 

Nocturne

 

Le ciel nocturne et bas s'éblouit de la ville
Et mon cœur bat d'amour à l'unisson des vies
Qui animent la ville au-dessous des grands cieux
Et l'allument le soir sans étonner nos yeux

Les rues ont ébloui le ciel de leurs lumières
Et l'esprit éternel n'est que par la matière
Et l'amour et humain et ne vit qu'en nos vies
L'amour cet éternel qui meurt inassouvi

 


 

 

 

 

Les poètes

 

Au siècle qui s'en vient hommes et femmes fortes
Nous lutterons sans maîtres au loin des cités mortes
Sur nous tous les jours le guillotiné d'en haut
Laissera le sang pleuvoir sur nos fronts plus beaux.

Les poètes vont chantant Noël sur les chemins
Célébrant la justice et l'attendant demain
Les fleurs d'antan se sont fanées et l'on n'y pense plus
Et la fleur d'aujourd'hui demain aura vécu.

Mais sur nos cœurs des fleurs séchées fleurs de jadis
Sont toujours là immarcescibles à nos cœurs tristes
Je marcherai paisible vers les pays fameux
Où des gens s'en allaient aux horizons fumeux

Et je verrai les plaines où les canons tonnèrent
Je bercerai mes rêves sur les vastes mers
Et la vie hermétique sera mon désespoir
Et tendre je dirai me penchant vers Elle un soir

Dans le jardin les fleurs attendent que tu les cueilles
Et n'est-ce pas ? ta bouche attend que je la veuille?
Ah! Mes lèvres! Sur combien de bouches mes lèvres ont posé
Ne m'en souviendrai plus puisque j'aurai les siennes

Les siennes Vanité! Les miennes et les siennes
Ah! Sur combien de bouches les lèvres ont posé
Jamais jamais heureux toujours toujours partir
Nos pauvres yeux bornés par les grandes montagnes

Par les chemins pierreux nos pauvres pieds blessés
Là-bas trop [près] du but notre bâton brisé
Et la gourde tarie et la nuit dans les bois
Les effrois et les lèvres l'insomnie et les voix

La voix d'Hérodiade en rut et amoureuse
Mordant les pâles lèvres du Baptiste décollé
Et la voix des hiboux nichés au fond des yeuses
El l'écho qui rit la voix la voix des en allés

Et la voix de folie et de sang le rire triste
De Macbeth quand il voit au loin la forêt marcher
Et ne songe pas à s'apercevoir des reflets d'or
Soleil des grandes lances des dendrophores

 


 

 

 


L'assassin

 

Chaque matin quand je me lève
Une femme se dresse devant moi
Elle ressemble à tout ce qu'hier
J'ai vu de l'univers

Le jour d'avant j'ai pénétré
Dans cette chevelure
Forêt profonde forêt obscure
Où poussent et s'entrelacent
Les branches de mes pensées
Et aux usines de la face
O mon ennemie matinale
On fondait et façonnait hier
Tous les métaux de mes paroles

Et dans ses poings qui la défendent
Masses de fonte impitoyables
Je reconnais je reconnais
Les marteaux-pilons
De ma volonté

 


 

 

 

 


Fête

 

Un cor sonnait au fond de mon cœur ténébreux
On y chassait les biches de mes souvenirs
Et cette forêt qui pousse en moi et où l'on corne
                Je l'ai portée au bois

 


 

 

 

 


Le condor

 

Cet oiseau s'appelle condor
Et que les filles ne l'ont-elles!
Savez-vous quoi? Il n'est pas d'or
L'anneau merveilleux d'Hans Carvel.

 


 

 

 

 


Le morpion

 

Imitons la ténacité
De cet insecte qu'on méprise
Dames, messieurs qui vous grattez
Il ne lâchera jamais prise.

 


 

 

 


Le singe

 

Lorsqu'à la cave sa main serve
Porte la viande de conserve,
On peut sans fouler la méninge
Dire : l'homme descend du singe.

 


 

 


 

L'araignée

 

On sait même chez le Papou
Que la trop crédule Araignée
S'est avec un rasoir saignée
Pour les yeux enjôleurs du Pou.

 


 

 

 

 

L'avion

 

Français, qu'avez-vous fait d'Ader l'aérien?
Il lui remit un mot, il n'en reste plus rien.

Quand il eut assemblé les membres de l'ascèse
Comme ils étaient sans nom dans la langue française
Ader devint poète et nomma l'avion.

O peuple de Paris, vous, Marseille et Lyon,
Vous tous fleuves français, vous françaises montagnes
Habitants des cités et vous gens des campagnes,
L'instrument à voler se nomme l'avion.

Cette douce parole eût enchanté Villon,
Les poètes prochains la mettront dans leurs rimes,

Non, tes ailes, Ader, n'étaient pas anonymes.
Lorsque pour les nommer vint le grammairien
Forger un mot savant sans rien d'aérien
Où le sourd hiatus, l'âne qui l'accompagne
Font ensemble un mot long comme un mot d'Allemagne.

Il fallait un murmure et la voix d'Ariel
Pour nommer l'instrument qui nous emporte au ciel
La plainte de la brise, un oiseau dans l'espace
Et c'est un mot français qui dans nos bouches passe.

L'avion! l'avion! Qu’il monte dans les airs,
Qu’il plane sur les monts, qu'il traverse les mers,
Qu'il aille regarder le soleil comme Icare
Et que plus loin encore un avion s'égare
Et trace dans l'éther un éternel sillon
Mais gardons-lui le nom suave d'avion
Car du magique mot les cinq lettres habiles
Eurent cette vertu d'ouvrir les ciels mobiles.

Français qu'avez-vous fait d'Ader l'aérien?
II lui restait un mot, il n'en reste plus rien.

 


 

 

 

 


Le vent souffle dans l'île. Il a plu, l'herbe humide
Fille de celle-là qu'il cueillait en rêvant
Prend un grand voile roux feuilles mortes devant
De Jean-Jacques Rousseau le triste tombeau vide.

 


 

 

 

 

À Francis Picabia

 

Praxitèle est un bandagiste
Ton orteil droit
A chanté pouilles
Au cavalier qui à Venise en a trois
En Asie Mineure ou bien en Champagne
Où les cerfs apportent leurs andouillers
Pour quels Messieurs vous le savez
Et si tu danses le tango
Noli me tangere

 


 

 

 

 


Mon ALAMBIC vos yeux ce sont mes ALCOOLS
Et votre voix m'enivre ainsi qu'une eau-de-vie
Des clartés d'astres saouls aux monstrueux faux cols
Brûlaient votre ESPRIT sur ma nuit inassouvie

 


 

 

 

 


Réclame pour la maison Walk Over

Air connu.

 

Il flotte dans mes bottes
Comme il pleut sur la ville
Au diable cette flotte
Qui pénètre mes bottes!

O vain tout parapluie
Fût-il grand comme un toit,
Pour de mauvais ribouis,
O le vain parapluie

Je n'eus pas la raison
D'aller à « Falk over » Là, point de trahison!...
Je n'eus point de raison!...

C'est bien la pire empeigne
Qu'on vend hors de chez toi
« Walk over », noble enseigne,
Mes pieds ont tant de peine!

 


 

 

 

 


Je suis au bord de l'océan sur une plage,
Fin d'été : je vois fuir les oiseaux de passage.
Les flots en s'en allant ont laissé des lingots :
Les méduses d'argent. Il passe des cargos
Sur l'horizon lointain et je cherche ces rimes
Tandis que le vent meurt dans les pins maritimes.

Je pense à Villequier « arbres profonds et verts »
La Seine non pareille aux spectacles divers
L'Église les tombeaux et l'hôtel des pilotes
Où flotte le parfum des brunes matelotes.

Les noirceurs de mon âme ont bien plus de saveur.

Et le soleil décline avec un air rêveur
Une vague meurtrie a pâli sur le sable
Ainsi mon sang se brise et mon cœur misérable
Y déposant auprès des souvenirs noyés
L'échouage vivant de mes amours choyés.

L'océan a jeté son manteau bleu de roi
Il rit sauvage et nu maintenant dans l'effroi
De ce qui vit. Mais lui défie à la tempête
Qui chante et chante et chante ainsi qu'un grand poète.

 


 

 

 

 


Arrivée du paquebot

 

Songeais au Cydalises Flûtes les astres d'or
Ces Balaams très doux n'effacent le trésor
Au sein des nuits de mai les Françoises pâmées
Eouteront chanter Hymen ô bien-aimées
Les Rossignols cachés Insulaire es-tu mort
Oiseaux des grèves Ah! Tambour oh! Homme il dort

Montre tes seins tes yeux Aurore Aurore Au
                                                                          ro
                                                                          r
                                                                          e
Ecrivons la vengeance oh! Venge-nous le B
                                                                          o
                                                                          re

Perdant est revenu     osmose           ô doux aux doigts
Ma pipe américaine as-tu songé parfois
A la pensée de l'écho les rois ont pris les rois

Et s'avançant alors un homme fut vers elle
Et lui dit je t'adore ô putain d'Isabelle
Il porte au bout du doigt ton nom avec ton Son
Disant qu'un ver à soie a dans un beau cocon
Tissé tes longs cheveux auxquels nu je m'essuie
En tétant lentement tes mamelles de truie

 


 

 

 

 


Montparnasse

 

 

 


 

 

 

 


Le 10 août avant-veille du départ

 

 


 

 

 

 

Qu'est-ce qui se passe

 

Je monte la garde à la poudrière
I y a un chien très gentil dans la guérite
Il y a des lapins qui détalent dans la garrigue
II y a des blessés dans la salle de garde
Il y a un fonctionnaire brigadier qui pince le nez aux ronfleurs
Il y a une route en corniche qui domine de belles vallées
Pleines d'arbres en fleurs qui colorent le printemps
Il y a des vieillards qui discutent dans les cafés
Il y a une infirmière qui pense à moi au chevet de son blessé
Il y a de grands vaisseaux sur la mer déchaînée
Il y a mon cœur qui bat comme le chef d'orchestre
Il y a des Zeppelins qui passent au-dessus de la maison de ma mère
Il y a une femme qui prend le train à Baccarat
Il y a des artilleurs qui sucent des bonbons acidulés
Il y a des alpins qui campent sous des marabouts
Il y a une batterie de 90 qui tire au loin
Il y a tant d'amis qui meurent au loin

 


 

 

 

 


Au secteur... 59

 

Au secteur cinquante-neuvième
              On reçoit les colis
Romans quels qu'ils soient je les aime
Policiers, voleurs je les lis

Mais surtout romans d'aventures
              Pas de romans d'amour
Il faut des coups et des blessures
Comme on en voit ici chaque jour

De longs romans très populaires
              Qui n'en finissent pas
Un pauvre prince une bergère
Qui s'égarent à chaque pas

Des Indiens dans les broussailles
              Un bandit sous le lit
La justice avec ses tenailles
On tremble quand on lit

Dumas, Féval, Eugène Sue
               Hugo, Gaboriau
Et cette liste que j'ai sue
Au temps que j'étais au maillot

Pauvre civil liseur de livres
               De romanciers anglo-
Saxons, méninges ivres!
Envoyez-m'en donc un ballot.

 


 

 

 

 


La nuit descend comme une fumée rabattue
Je suis triste ce soir que le froid sec rend triste
Les soldats chantent encore avant de remonter

Et tels qui vont mourir demain chantent ainsi que des enfants
D'autres l'air sérieux épluchent des salades
J'attends de nouveaux poux et de neuves alertes
J'espère tout le courage qu'il faut pour faire son devoir
J'attends la banquette de tir
J'attends le quart nocturne
J'attends que monte en moi la simplicité de mes grenadiers
J'attends le grog à la gnole
       Qui nous réchauffe
       Dans les tranchées
La nuit descend comme une fumée rabattue
Les lièvres et les hases bouquinent dans les guérets

La nuit descend comme un agenouillement lit
Et ceux qui vont mourir demain s'agenouillent
Humblement
L’ombre est douce sur la neige
La nuit descend sans sourire
Ombre des temps qui précède et poursuit l'avenir

 


 

 

 

 


Je suis la vie

Quand je songe à Dalize,

 

Je suis la Vie... Je suis le Son et la Lumière...
Je suis la Chair des Hommes...
Je suis la substance sacro-sainte qui sert
La Pensée d'où jaillit l'Art, l'Amour qui console...

Je suis la Grandeur de la Vie,
Je suis la Chair des Hommes...
qu’on me vende ou qu'on me prostitue,
je ne sers que les grandes choses...

Tout jaillit de mon marbre,
et aussi naturellement
que la fleur jaillit de l'arbre,
au printemps...

qu'à l'ombre de la nuit succède la Lumière
des jours...
que l'enfant naît de sa mère
toujours...

Tout le monde a couché sur l'orgueil de mon corps
et j'ai versé la jouissance à tout le monde
aux faibles comme aux forts,
j'ai donné leur part de la Chair des Hommes...

Mais dans la maison où je prolongeais la Vie,
et qui avait l'air d'un hôpital —
il y avait des filles et des filles pâles,
jalouses de me voir vautrée avec leurs mâles.
et l'on m'a dit qu'Elles s'appelaient « Les Patries! »

Les jalouses Patries m'ont déchirée un jour,
Moi ! la Pensée, Moi, l'Art, et Moi, l'Amour!
Mais malgré leurs flèches sûres,
mon corps est splendide toujours.

Car elles ont fleuri, mes blessures,
et les mâles, brûlant toujours d'anciennes fièvres,
heureux que tout mon corps ne soit que lèvres,
Déjà, aux creux du lit moite, encore, se recouchent...

 


 

 


Endurcis-toi vieux cœur entends les cris perçant.
Que poussent les blessés au loin agonisants
Hommes poux de la terre ô vermine tenace

 


 

 


Inscriptions pour des gravures

I

Vous qui m'écoutez Belle
Bien que je sois bien loin

II

Comme un grave empereur
Qui saurait l'avenir

III

Une créole de la Havane
Créée par Dieu l'amour la damne

IV

Allô la Destinée
Comment envoyer des baisers

 


 

 

 


Inscription à broder sur un coussin

(Avec d'autres ornements)

                Je suis la discrète balance
                De ce que pèse ta beauté

                              ENSEIGNE PEINTE
                POUR UN BUREAU DE TABAC

                Instruments et accessoires
                Pour jouer la musique des Savanes

 


 

 

 

 


Inscription à broder sur un coussin

(Avec d'autres ornements)

                Je suis la discrète balance
                De ce que pèse ta beauté

                              ENSEIGNE PEINTE
                POUR UN BUREAU DE TABAC

                Instruments et accessoires
                Pour jouer la musique des Savanes

 

 

 


 

 

 

 


La Mort ô Vie attend son tour
Où fut la Ville sont les Cippes
La Haine crie où fut l'Amour
L'Iris est l'Ombre des Tulipes
Comme la Nuit après le Jour

 


 

 

 


Puisque les jours nous abandonnent
Comme une guirlande fanée
Cherchons ailleurs une couronne
                 Abandonnée

Sera-ce un nimbe ou l'auréole
De nos transfigurations
Une lumière ou le symbole
                 Des passions

Des passions qui furent flammes
Et qui brûlèrent notre cœur
Tel vient un cortège de femmes
                 A l'air vainqueur

 


 

 

 

 


Mon amie je pense à toi
A ta couleur de soleil à ta grâce
La maison est vide depuis que mon rayon de soleil
Est allé se plonger dans la mer
Si tu vois les sous-marins
Dis leur que je t'aime
Si les nuages s'accumulent
Dis-leur que je t'adore
Si la tempête fait rage contre les rocs du rivage
Dis-leur que tu es ma pierre précieuse
SI quelque grain de sable brille entre les mille grains de sable de la plage
Dis-lui que tu es la seule gemme que j'aime
Quand tu verras le facteur
Dis-lui avec quelle impatience j'attends tes lettres
Je t'envoie mille baisers mille caresses
Qui te rejoindront comme les mots rejoignent l'antenne de la télégraphie sans fil
SI tu vois des blessés
Dis-leur que ma seule blessure est celle que tu as faite à mon cœur
SI tu penses parfois songe que ma pensée est toujours avec toi
Et que je t'adore

 

 


 

 

 

 


Quadrature du cercle

 


 

 

 

 


L'oiseau et le bouquet

 

 


 

 

 

 


L’Europe :

 

« Nations je vous offre et l'ordre et la beauté
Des ruines qui ont la grâce des jeunes filles
Et mes fleuves semblables aux vers des grands poètes
Et tous mes esclavages, toutes mes royautés,
Tous mes dieux charmants qui sont ma foi, qui sont mon art,
Tous ces peuples querelleurs et des fleurs odorantes,
Vous, Églises, où tes aïeules et tes croyants venaient s'agenouiller,
O vieilles maisons, nourrices du progrès,
Carrefours où les âges choisirent leur route et s’en allèrent,
Patries, Patries, Patries dont les drapeaux me vêtent,
Fantômes, ô forêt du génie où chaque arbre est un nom d'homme,
Forêt qui marches à reculons sans que tu t'éloignes,
Je suis tous les fantômes, tous les ombrages,
Les patries, les villes, les champs de bataille,
Amérique, ô ma fille et celle de Colomb. »

 


 

 

 

 


L’Amérique :

 

« Hommes qui souffrez, ô femmes qui aimez, et vous enfants, venez
Puiser l'eau du second baptême
Dans le petit lac bleu où le Mississipi puise son onde,
Je suis l'espoir aux grands espaces et l'avenir sans souvenirs.
Parmi les troupes de chevaux sauvages issus des chevaux d'Europe,
Gambadent les troupeaux de jeunes pensées issues de pensées d'Europe
Et de nouvelles vérités sont révélées à ceux qui sont las des anciennes.
Elles chantent ou pleurent, ou prient ou éclatent de rire
Et préparent de nouveaux travaux.
Un dieu nouveau se dresse dans le canot d'écorce,
Une déesse se peigne en chantant dans les prairies où mûrit le riz sauvage
Et d'autres dieux réclament des héros.
C’est aussi l'arrivée d'un vaisseau.
Ecoutez danser là-bas des voyageurs équivoques dans un bal de quarteronnes,
Ecoutez aussi au loin, derrière les horizons, la plainte,
La plainte de ceux qui meurent en Europe en se rappelant
Des prairies où le riz sauvage mûrit au bord du Mississipi
Et les noires cyprières drapées dans la tillandzia argentée!»

L'Europe et l'Amérique se prirent par la main et, en chœur, chantèrent.

« La mer sépare les deux époux
Ce sont les noces énormes de deux continents.
De l'un jaillit un vaisseau à travers l'océan,
L’Europe féconde l'Amérique,
L’Europe, nom viril dans le langage diplomatique,
C'est-à-dire international qui est le français,
Et l'on entend distinctement l'article masculin,
Tandis que l'article féminin marque bien
Dans la langue des Nations ou langue française,
Le sexe de l'Amérique,
L’Europe étend frénétiquement la rigide péninsule d 'Armor
Et l'Amérique s'étale, largement ouverte,
Où l'isthme humide tressaille aux tropiques.
Amour sublime des nations naissent du couple démesuré
Dont les éléments favorisent les épousailles.
Le vaisseau poursuit son voyage fécondateur,
Les vents gonflent les voiles, ils gémissent,
Et crient la volupté des géants qui s'entr'aiment. »