Poèmes à Madeleine

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Madeleine Pagès (1892-1965) fiancée au poète en 1915...

 

Titre Page

Voici quelques pauvres fleurettes 611
Le ciel est d'un bleu profond 612
Côte 146 613
A Madeleine 614
C'est une nuit d'orage 616
Chef de pièce 617
Lueurs 618
Les neuf portes de ton corps 619
Le deuxième poème secret 622
Le troisième poème secret 624
Peu de chose 627
Pour madeleine seule 628
J'espère une lettre de toi 629
Le quatrième poème secret 631
L'hiver revient mon âme cil trille 632
Le septième poème secret 633
Le neuvième poème secret 634
Le onzième poème secret 635
La tranchée 636
Le ... Poème secret 637
Paris 638

 

 

 

 

 

 

Voici quelques pauvres fleurettes
De merisier et de lilas…
Si Mai chez vous a plus de fêtes
Chez nous il a bien plus d’éclats
Mais ce sont nos seules fleurettes
Brins de merise et de lilas…

 


 

 

 

 

 

Le ciel est d’un bleu profond
Et mon regard s’y noie et fond

Un invisible obus miaule
J’écris assis au pied d’un saule

Suite calligrammes

 


 

 

 

 

 

Cote 146

 

Plaines Désolation enfer des mouches Fusées le vert le blanc le rouge
Salves de 50 bombes dans les tranchées comme quand à quatre on fait claquer pour en faire sortir la poussière un grand tapis
Trous semblables à des cathédrales gothiques
Rumeur des mouches violentes
Lettres enfermées dans une boîte de cigares venue d'Oran
La corvée d'eau revient avec ses fûts
Et les blessés reviennent seuls par l'innombrable boyau aride
Embranchement du Decauville
Là-bas on joue à cache-cache
Nous jouons à colin-maillard
Beaux rêves
Madeleine ce qui n'est pas à l'amour est autant de perdu
Vos photos sur mon cœur
Et les mouches métalliques petits astres d'abord
A. cheval à cheval à cheval à cheval
0 plaine partout des trous où végètent des hommes
0 plaine où vont les boyaux comme les traces sur le bout des doigts aux monumentales pierres de Gavrinis
Madeleine votre nom comme une rose incertaine rose des vents ou du rosier
Les conducteurs s'en vont à l'abreuvoir à 7 km d'ici
Perthes Hurlus Beauséjour noms pâles et toi Ville sur Tourbe
Cimetières de soldats croix où le képi pleure
L'ombre est de chairs putréfiées les arbres si rares sont des morts restés debout
Ouïs pleurer l'obus qui passe sur ta tête

 


 

 

 

 

 

À Madeleine 

 

Je serre votre souvenir comme un corps véritable
Et ce que mes mains pourraient prendre de votre beauté
Ce que mes mains pourraient en prendre un jour
Aura-t-il plus de réalité ?
Car qui peut prendre la magie du printemps ?
Et ce qu’on en peut avoir n’est-il pas moins réel encore
Et plus fugace que le souvenir ?
Et l’âme cependant prend l’âme même de loin
Plus profondément plus complètement encore
Qu’un corps ne peut étreindre au corps.
Mon souvenir vous présente à moi comme un tableau de la création
Se présentait à Dieu le septième jour
Madeleine mon cher ouvrage
Que j’ai fait naître brusquement
             Votre deuxième naissance
Nice les Arcs Toulon Marseille Prunay Wez Thuizy Courmelois Beaumont-sur-Vesle
Mourmelon-le-Grand Cuperly Laval St-Jean-sur-Tourbe Le Mesnil Hurlus
Perthes-lès-Hurlus Oran Alger
Et j’admire mon ouvrage
Nous sommes l’un à l’autre comme des étoiles très lointaines
Qui s’envoient leur lumière…
Vous en souvenez-vous ?
Mon cœur
Allait de porte en porte comme un mendiant
Et vous m’avez fait l’aumône qui m’enrichit à jamais
Quand noircirai-je mes houseaux
Pour la grande cavalcade
Qui me ramènera près de vous ?
Vous m’attendez ayant aux doigts
Des pauvres bagues en aluminium pâle comme l’absence
Et tendre comme le souvenir
Métal de notre amour métal semblable à l’aube
Ô Lettres chères lettres
Vous attendez les miennes
Et c’est ma plus chère joie
D’épier dans la grande plaine où s’ouvrent comme le désir les tranchées
                    Blanches les tranchées pâles
D’épier l’arrivée du vaguemestre
Les tourbillons de mouches s’élèvent sur son passage
Celles des ennemis qui voudraient l’empêcher d’arriver
Et vous lisant aussitôt
Je m’embarque avec vous pour un pèlerinage infini
Nous sommes seuls
Et je chante pour vous librement joyeusement
Tandis que seule votre voix pure me répond
Qu’il serait temps que s’élevât cette harmonie
Sur l’océan sanglant de ces pauvres années
Où le jour est atroce où le soleil est la blessure
Par où s’écoule en vain la vie de l’univers
Qu’il serait temps, ma Madeleine, de lever l’ancre !

11 août 1915

 


 

 

 

 

C'est une nuit d'orage
Le tonnerre fait rage
La mitrailleuse aussi
Mais je suis bien ici
Je pense à vous ma fée
De raisins noirs coiffée

 


 

 

 

 

Chef de pièce

 

Le margis est à sa pièce
Il dort dans son abri à côté du canon
Il vit avec ses servants et partage leur cuistance
Il écrit auprès d’eux à Madeleine
Il joue avec eux tous sept comme des enfants
Il songe à la Grande Chose qui va venir
Il admire le merveilleux enthousiasme des bobosses
Décidemment le courage a grandi partout
Et l’on est sûr on est certain de la Grande Chose
Il pensera tout ce temps-là à Madeleine

 


 

 

 

 

Lueurs

 

La montre est à côté de la bougie qui végète derrière un écran fait avec le fer-blanc d'un seau à confiture
Tu tiens de la main gauche le chronomètre que tu déclencheras au moment voulu
De la droite tu te tiens prêt à pointer l'alidade du triangle de visée sur les soudaines lueurs lointaines
Tu pointes cependant que tu déclenches le chronomètre et tu l'arrêtes quand tu entends l'éclatement
Tu notes l'heure le nombre de coups le calibre la dérive le nombre de secondes écoulées entre la lueur et Ia détonation
Tu regardes sans te détourner tu regardes à travers l'embrasure
Les fusées dansent les bombes éclatent et les lueurs paraissent
Tandis que s'élève la simple et rude symphonie de la guerre
Ainsi dans la vie mon amour nous pointons notre cœur et notre attentive piété
Vers les lueurs inconnues et hostiles qui ornent l'horizon le peuplent et nous dirigent
Et le poète est cet observateur de la vie et il invente les lueurs innombrables des mystères qu'il faut repérer
Connaître ô Lueurs ô mon très cher amour

 


 

 

 

 

 

Les Neuf portes de ton corps

 

Ce poème est pour toi seule Madeleine
Il est un des premiers poèmes de notre désir
Il est notre premier poème secret ô toi que j’aime
Le jour est doux et la guerre est si douce
S’il fallait en mourir

Tu l’ignores ma vierge à ton corps sont neuf portes
J’en connais sept et deux me sont celées
J’en ai pris quatre j’y suis entré n’espère plus que j’en sorte
Car je suis entré en toi par tes yeux étoilés
Et par tes oreilles avec les Paroles que je commande et qui sont mon escorte

Œil droit de mon amour première porte de mon amour
Elle avait baissé le rideau de sa paupière
Tes cils étaient rangés devant comme les soldats noirs peints sur un vase grec paupière rideau lourd
De velours
Qui cachait ton regard clair
Et lourd
Pareil à notre amour

Œil gauche de mon amour deuxième porte de mon amour
Pareille à son amie et chaste et lourde d’amour ainsi que lui
O porte qui mènes à ton cœur mon image et mon sourire qui luit
Comme une étoile pareille à tes yeux que j’adore
Double porte de ton regard je t’adore

Oreille droite de mon amour troisième porte
C’est en te prenant que j’arrivai à ouvrir entièrement les deux premières portes
Oreille porte de ma voix qui t’a persuadée
Je t’aime toi qui donnas un sens à l’Image grâce à l’Idée

Et toi aussi oreille gauche toi qui des portes de mon amour est la quatrième
O vous les oreilles de mon amour je vous bénis
Portes qui vous ouvrîtes à ma voix
Comme les roses s’ouvrent aux caresses du printemps
C’est par vous que ma voix et mon ordre
Pénètrent dans le corps entier de Madeleine
J’y entre homme tout entier et aussi tout entier poème
Poème de son désir qui fait que moi aussi je m’aime

Narine gauche de mon amour cinquième porte de mon amour et de nos désirs
J’entrerai par là dans le corps de mon amour
J’y entrerai subtil avec mon odeur d’homme
L’odeur de mon désir
L’âcre parfum viril qui enivrera Madeleine

Narine droite sixième porte de mon amour et de notre volupté
Toi qui sentiras comme ta voisine l’odeur de mon plaisir
Et notre odeur mêlée plus forte et plus exquise qu’un printemps en fleurs
Double porte des narines je t’adore toi qui promets tant de plaisirs subtils
Puisés dans l’art des fumées et des fumets

Bouche de Madeleine septième porte de mon amour
Je vous aie vue ô porte rouge gouffre de mon désir
Et les soldats qui s’y tiennent morts d’amour m’ont crié qu’ils se rendent
O porte rouge et tendre
O Madeleine il est deux portes encore
Que je ne connais pas
Deux portes de ton corps
Mystérieuses

Huitième porte de la grande beauté de mon amour
O mon ignorance semblable à des soldats aveugles parmi les chevaux de frise sous la lune
liquide des Flandres à l’agonie
Ou plutôt comme un explorateur qui meurt de faim de soif et d’amour dans une forêt vierge
Plus sombre que l’Érèbe
Plus sacrée que celle de Dodone
Et qui devine une source plus fraîche que Castalie
Mais mon amour y trouverait un temple
Et après avoir ensanglanté le parvis sur qui veille le charmant monstre de l’innocence
J’y découvrirais et ferais jaillir le plus chaud geyser du monde
O mon amour ma Madeleine
Je suis déjà le maître de la huitième porte

Et toi neuvième porte plus mystérieuse encore
Qui t’ouvres entre deux montagnes de perles
Toi plus mystérieuse encore que les autres
Porte des sortilèges dont on n’ose point parler
Tu m’appartiens aussi
Suprême porte
À moi qui porte
La clef suprême des neuf portes

O portes ouvrez-vous à ma voix
                                     Je suis le maître de la Clef

 


 

 

 

Le deuxième poème secret

 

La nuit la douce nuit est si calme ce soir que l'on n'entend que quelques rares éclatements
Je pense à toi ma panthère bien panthère oui puisque tu es pour moi tout ce qui est animé
Mais panthère que dis-je non tu es Pan lui-même sous son aspect femelle
Tu es l'aspect femelle de l'univers vivant c'est dire que tu es toute la grâce toute la beauté du monde
Tu es plus encore puisque tu es le monde même l'univers admirable selon la norme de la grâce et de la beauté
Et plus encore mon amour puisque c'est de toi que le monde tient cette grâce et cette beauté qui est de toi
Ô ma chère Déité chère et farouche intelligence l'univers qui m'est réservé comme tu m'es réservée
Et ton âme a toutes les beautés de ton corps puisque c'est par ton corps que m'ont été immédiatement accessibles les beautés de ton âme
Ton visage les a toutes résumées et j'imagine les autres une à une et toujours nouvelles
Ainsi qu'elles me seront toujours nouvelles et toujours toujours plus belles
Ta chevelure si noire soit-elle est la lumière même
diffusée en rayons si éclatants que mes yeux ne pouvant la soutenir la voient noire
Grappes de raisins noirs colliers de scorpions éclos au soleil africain noeuds de couleuvres chéries
Onde ô fontaines ô chevelure ô voile devant l'inconnaissable ô cheveux
Qu'ai-je à faire autre chose que chanter aujourd'hui cette adorable végétation de l'univers que tu es Madeleine
Qu'ai-je à faire autre chose que chanter les forêts moi qui vis dans la forêt
Arc double des sourcils merveilleuse écriture sourcils qui contenez tous les signes en votre forme
Boulingrins d'un gazon où l'amour s'accroche ainsi qu'un clair de lune
Mes désirs en troupeaux interrogatifs parcourent pour les déchiffrer ces rimes
Écriture végétale où je lis les sentences les plus belles de notre vie Madeleine
Et vous cils roseaux qui vous mirez dans l'eau profonde et claire de ses regards
Roseaux discrets plus éloquents que les penseurs humains ô cils penseurs penchés au-dessus des abîmes
Cils soldats immobiles qui veillez autour des entonnoirs précieux qu'il faut conquérir
Beaux cils antagonistes antennes du plaisir fléchettes de la volupté
Cils anges noirs qui adorez sans cesse la divinité qui se cache dans la retraite mystérieuse de ta vue mon amour
Ô touffes des aisselles troublantes plantes des serres chaudes de notre amour réciproque
Plantes de tous les parfums adorables que distille ton corps sacré
Stalactites des grottes ombreuses où mon imagination erre avec délices
Touffes vous n'êtes pas l'arche qui donne le rire sardonique et fait mourir
Vous êtes l'hellébore qui affole vous êtes la vanille qui grimpe au parfum tendre
Aisselles dont la mousse retient pour l'exhaler les plus doux parfums de tous les printemps
Et vous toison agneau noir qu'on immolera au charmant dieu de notre amour
Toison insolente et si belle qui augmente divinement ta nudité comme à Geneviève de Brabant dans la forêt
Barbe rieuse du dieu frivole et gracieusement viril qui est le dieu du grand plaisir
Ô toison triangle isocèle tu es la divinité même à trois côtés touffue innombrable comme elle
                                           Ô jardin de l'adorable amour
                        Ô jardin sous-marin d'algues de coraux et d'oursins et des désirs arborescents
                                           Oui forêt des désirs qui grandit sans cesse des abîmes et plus que l'empyrée.

 


 

 

 

 

Le troisième poème secret

 

Toi dont je répandrai le sang grâce à l’amour ô ma vierge qui allumes la lampe
Ouïs le son profond des canons qui t’acclament et t’accueillent ma reine
Ouïs les cliquetis des épées qui t’appellent ô très belle victime

Toi dont je pénétrerai la chair jusqu’à l’écume ardente où la chair et l’âme se convulsent ensemble
Ouïs le cri terrible de la tempête qui te secoue mon beau vaisseau
Toi dont la croupe libre se balance ainsi qu’un beau vaisseau sur la mer parfumée

Toi, temple dont je serai le prêtre ardent et dévot et farouchement unique
Entends monter le cri d’amour d’une armée qui soupire vers l’amour
D’une armée de fidèles qui n’adorent que le terrible et belliqueux dieu de l’amour

attols singuliers de la guerre

Coraux de tous les bonheurs

Belles fleurs inécloses
des aveux de l’espoir
Ô mon tendre amour Madeleine
un tremblement léger
mon haleine ton haleine ô Madeleine

Une goutte de pluie par pitié sur notre très cher Amour ô Madeleine

Toi dont la pensée me secoue comme Samson secouait le temple de Dagon
Toi dont les seins cupules adorables se tendent vers moi si loin que je passe sur eux comme sur un pont de roses un pont double de neige au soleil pour venir jusqu’à toi
Imagine les canons tendus terriblement comme mon désir vers l’ennemi.

Toi qui es si belle, ô beauté, que le monde est un socle pour ton apothéose
Envoie-moi tes seins comme des pigeons voyageurs pour me dire ton amour
Non, garde-les plutôt dans le doux colombier et dis-moi le roucoulement des deux colombes aimées

Ô figue mûre et secrète que je désire, dont j’ai faim je ne serai pas un sycophante
Écoute les mots les plus tendres, ô Madeleine, écoute mon oraison Madeleine
Écoute-moi tout près de toi malgré l’éloignement te dire que je t’aime

Ô Fée qui te transformes selon ma volonté en panthère ou en cavale
Toi qui es selon mon désir une divinité ou bien un ange
Toi qui es si je le veux la princesse vierge et lointaine ou la femme ardente ou la reine cruelle
Toi qui es aussi quand je désire ma sœur exquise ou l’adorable esclave
Toi qui es le lys, Madeleine aux beaux cheveux et toi qui es la rose
Toi qui es le geyser, toi qui es la sagesse toi qui es la folie ou l’espoir aux yeux graves
Toi qui es l’univers tout entier j’ai soif de tes métamorphoses

Gui aime Madeleine

je t’aime ma Madeleine
Je t’aime Gui.

9 octobre 1915

 


 

 

 

 

Peu de chose

 

Combien qu’on a pu en tuer
Ma foi
C’est drôle que ça ne vous fasse rien
Ma foi
Une tablette de chocolat aux Boches
Ma foi Feu
Un camembert pour le logis aux Boches
Ma foi Feu
Chaque fois que tu dis  feu ! Le mot se change en acier qui éclate là-bas
Ma foi
Abritez-vous
Ma foi
Kra
Ils répondent les salauds
Drôle de langage ma foi

 


 

 

 

Pour Madeleine seule

 

Lune candide vous brillez moins que les hanches
               De mon amour
Aubes que j'admire vous êtes moins blanches
               Aubes que chaque jour
J'admire ô hanches si blanches
Il y a le reflet de votre blancheur
Au fond de cet aluminium
Dont on fait des bagues
Dans cette zone où règne la blancheur
               O hanches si blanches

 


 

 

 

 

J'espère une lettre de toi
Tes lettres d'amour sont des roses
De l'absence et de notre foi
Épine et parfum de tes proses

Un oiseau chante ne sais où
C'est je crois ton âme qui veille
Parmi tous les soldats d'un sou
Et l'oiseau charme mon oreille

Tandis qu'il chante le canon
Répète le non taciturne
Éclat et non parole Non
Que répète l'écho nocturne

Non ennemi tu n'auras point
Ni les villes ni les campagnes
Ni ma ville amour en a soin
Entends l'amour qui m'accompagne

Écoute il chante tendrement
Je ne sais pas sur quelle branche
Il est partout qui va m'aimant
Nuit et jour semaine et dimanche

Et que dire de cet oiseau
Que dire des métarmophoses
Du chant en âme doux morceau
Du cœur en lys du corps en roses

Car cet oiseau c'est mon amour
Et mon amour c'est une fille
La rose est moins parfaite et pour
Moi seul l'oiseau bleu s'égosille

Oiseau bleu comme le cœur bleu
De mon amour au cœur céleste
Ton chant si doux répète-le
— J'attends ta lettre comme un geste

Tu m'ouvriras les bras et puis
Tu me répètera je t'aime
Ainsi vont les jours et les nuits
Amour bleu comme le cœur même

 


 

 

 

 

Le quatrième poème secret

 

Ma bouche aura des ardeurs de géhenne
Ma bouche te sera un enfer de douceur
Les anges de ma bouche trôneront dans ton cœur
Ma bouche sera crucifiée
Et ta bouche sera la barre horizontale de la croix
Et quelle bouche sera la barre verticale de cette croix
Ô bouche verticale de mon amour
Les soldats de ma bouche te prendront d'assaut tes entrailles
Les prêtres de ma bouche encenseront ta beauté dans son temple
Ton corps s'agitera comme une région pendant un tremblement de terre
Tes yeux seront alors chargés de tout l'amour qui s'est amassé dans les regards de l'humanité depuis qu'elle existe
Mon amour ma bouche sera une armée contre toi
Une armée pleine de disparates
Variée comme un enchanteur qui sait varier ses métamorphoses
Car ma bouche s’adresse aussi à ton ouïe et avant tout
Ma bouche te dira mon amour
Elle te le murmure de loin
Et mille hiérarchies angéliques s’y agitent qui te préparent une douceur paradisiaque
Et ma bouche est l’Ordre aussi qui te fait mon esclave
Et me donne ta bouche Madeleine
Je prends ta bouche Madeleine

 


 

 

 

 

L’hiver revient mon âme est triste
Mon cœur ne sait rien exprimer
Peut-être bien que rien n’existe
Hiver de tout hiver d’aimer
Où la peine seule résiste
 
Et pourquoi donc mon cœur bat-il
Par la tristesse qu’il endure
Toi qui m’attends ô cœur gentil
Ne sais-tu pas que je m’azure
Pour te rejoindre plus subtil
 
Je suis le bleu soldat d’un rêve
Pense à moi mais perds la raison
Vois-tu le songe qui s’achève
Se confond avec l’horizon
Chaque fois que ton œil se lève
 
Ô toi que j’aime éperdument
À qui je pense dès l’aurore
Et tout le jour je vais t’aimant
Et quand vient le soir je t’adore

 


 

 

 

 

Le septième poème secret

 

Une grande ardeur en moi
Une grande mollesse ardente en toi
Tu ouvres délicieusement toutes les portes
Je me déguise et je t’emprunte des moustaches et la barbe
Ta toison
Je m’arme de la langue et je creuse un délicieux sentier
Dans la forêt vierge
Madeleine est une jeune bergère
Qui paît le blanc troupeau des brebis de son corps
Madeleine est une jeune bergère d’une merveilleuse beauté
Ses seins sont d’adorables proues
Deux vaisseaux cuirassés qui seront mon escadre
Ma langue est le mineur qui fouille
Dans la mine de houille
Ta toison
J’adore les livres rouges
Gondoles de parade
Qui larguent leurs amarres tressées comme les cheveux noirs
Tes cheveux
Tes cheveux qui sont le crépuscule de toutes les beautés
Et il ne demeure que la tienne
Naviguons sur les yeux de sinople
Il s’y jette les fleuves des veines bleues de la chair si noble
J’adore la source divine qui sourd
Sous
Ta toison
Ma langue sens ma langue
Elle te préparera à l’étreinte profonde
Le soc de la charrue creusera le sillon

Je t’adore mon amour
Entends chanter ô Madeleine pâmée
           Entends chanter et rechanter
                      Le rossignol caché
Le froid revient le froid terrible
                      Sous les toiles tentes
Et je t’écris mon poème que je chante en l’écrivant
Et je t’écris couché par terre
                      Le froid revient, le froid sans feu
                     Car on n’a pas de bois
Je t’adore mon amour, je suis heureux par toi
Et je prends tous les trésors
De ton corps
Dans une immense caresse
Qui fait surgir dans l’hiver une liesse
                                 De tout printemps
                                  Le Lys la Rose
                                  Sous ma caresse

 

 


 

 

 

 

Le neuvième poème secret

 

J'adore ta toison qui est le parfait triangle
                         De la Divinité
Je suis le bûcheron de l'unique forêt vierge
                        O mon Eldorado
Je suis le seul poisson de ton océan voluptueux
                        Toi ma belle sirène
Je suis l'alpiniste de tes montagnes neigeuses
                        O mon alpe très blanche
Je suis l'archer divin de ta bouche si belle
                        O mon très cher carquois
Et je suis le haleur de tes cheveux nocturnes
                       O beau navire sur le canal de mes baisers
Et les lys de tes bras m'appellent par des signes
                       O mon jardin d'été
Les fruits de ta poitrine mûrissent pour moi leur douceur
                      O mon verger parfumé
Et je te dresse ô Madeleine ô ma beauté sur le monde
                     Comme la torche de toute lumière

 


 

 

 

 

Le onzième poème secret

 

Sur tout toi sur ton corps ton intelligence ta raison
J’ai fait déjà de beaux poèmes
Et j'en veux faire moi habitant des bois en ce temps de guerre
J’en veux faire un sur cette jolie petite cagnat
Si bien aménagée au fond de la forêt vierge
Cette petite cagnat que tu m'as préparée dans la forêt vierge
O palais plus beau que celui de Rosemonde le Louvre et l'Escurial
C’est là que j'entrerai pour faire ma plus belle œuvre
Je serai Dieu lui-même et y ferai s'il plaît à Dieu un homme plusieurs hommes même une femme plusieurs femmes même comme fit Dieu lui-même
O petit palais caché de Madeleine
Tu es belle mon amour et tu es une artiste sublime toi qui élèves pour moi le plus beau palais du monde
Madeleine mon architecte adoré
Je jetterai un pont entre toi et moi un pont de chair dure comme le fer un pont merveilleusement suspendu
Toi l’Architecte moi Pontife et créateur d'Humanité
Je t'adore Architecte et toi adore le bâtisseur du pont
Sur lequel comme sur celui d'Avignon tout le monde dansera en rond
Nous-mêmes ô Madeleine nos enfants aussi et aussi nos petits-enfants
                               Jusqu'à la fin des siècles

 


 

 

 

 

La tranchée

 

Je suis la blanche tranchée au corps creux et blanc
Et j'habite toute la terre dévastée
Viens avec moi jeune dans mon sexe qui est tout mon corps
Viens avec moi pénètre-moi pour que je sois heureuse de volupté sanglante
Je guérirai tes peines tes soucis tes désirs ta mélancolie
Avec la chanson fine et nette des balles et l'orchestre d'artillerie
Vois comme je suis blanche plus blanche que les corps les plus blancs
Couche-toi dans mon sein comme sur un ventre bien-aimé
Je veux te donner un amour sans second sans sommeil sans paroles
J'ai tant aimé de jeunes gens
Je les aime comme les aime Morgane
En son castel sans retour
Au haut du mont Gibel
Qui est l'Etna dont s'éloignent vite nos soldats destinés à la Serbie
Je les ai aimés et ils sont morts et je n'aime que Ies vivants
Allons viens dans mon sexe plus long que le plus long serpent long comme tous les corps des morts mis l'un devant l'autre
Viens écoute les chants métalliques que je chante bouche blanche que je suis
Viens ceux qui m'aiment sont là armés de fusils de crapouillots de bombes de grenades et ils jouent silencieusement

 


 

 

 

 

Le... Poème secret

 

Voilà de quoi est fait le chant symphonique de l'amour qui bruit dans la conque de Vénus
Il y a le chant de l'amour de jadis
Le bruit des baisers éperdus des amants illustres
Les cris d'amour des mortelles violées par les dieux
Les virilités des héros fabuleux érigées comme des cierges vont et viennent comme une rumeur obscène
Il y a aussi les cris de folie des bacchantes folles d'amour pour avoir mangé l'hippomane sécrété par la vulve des juments en chaleur
Les cris d'amour des félins dans les jongles
La rumeur sourde des sèves montant dans les plantes tropicales
Le fracas des marées
Le tonnerre des artilleries où la forme obscène des canons accomplit le terrible amour des peuples
Les vagues de la mer où naît la vie et la beauté
Et le chant victorieux que les premiers rayons de soleil faisaient chanter à Memnon l'immobile
Il y a le cri des Sabines au moment de l'enlèvement
Le chant nuptial de la Sulamite
                                            Je suis belle mais noire
Et le hurlement précieux de Jason
Quand il trouva la toison
Et le mortel chant du cygne quand son duvet se pressait entre les cuisses bleuâtres de Léda
Il y a le chant de tout l'amour du monde
Il y a entre tes cuisses adorées Madeleine
La rumeur de tout l'amour comme le chant sacré de la mer bruit tout entier dans le coquillage

 


 

 

 

Paris

 

J’ai vu Paris dans l’ombre
Hypogée où l’on riait trop
Paris une grande améthyste
Ces soldats belges en troupe
Vieilles femmes habillées en Perrette
Après le Pot-au-lait
L’officier-pilote raconte ses exploits
J’ai entendu la berloque
Mais quel sourire celui de celui qui eut sursis d’appel illimité
Ombre de la statue de Shakespeare sur le Boulevard Haussmann
Laideur des costumes civils des hommes qui ne sont pas partis
Les peintres travaillaient
                   Mon cœur t’adore