Présentation

Pdf Word

Ce site se conçoit dans une mise à jour permanente : je présente à mes lecteurs un travail qui est en construction, l’objectif que je me suis fixé est de regrouper l’ensemble des écrits de Marceau Pivert, ainsi que les contributions d’autres auteurs susceptibles d’enrichir ce dossier. C'est donc aussi un appel à contribution.

En 1980, j’avais retrouvé dans la bibliothèque d’un militant trotskyste le texte de « L’Eglise et l’Ecole », édité chez Figuières en 1932 ; par les moyens qui étaient à notre portée à l’époque je l’ai fait connaître dans la gauche du PS, où la question laïque allait très vite se trouver posée dans l’exercice du pouvoir. La situation créée par la loi Savary et les mobilisations profondes qu’elle allait susciter dans le pays, devait aboutir en 1984 à une défaite sans précédent du mouvement laïque. Il fallait renouer avec les traditions laïques du mouvement socialiste et Pivert était à nouveau au rendez-vous. Il a fallu attendre l’informatique et les moyens qu’elle mettait à disposition des militants pour faire une édition électronique de ce texte. Remarqué par une petite maison d’édition, Démopolis, ce texte a été réédité en 2010. Le titre a été édulcoré : l’édition de 1932 s’intitule « l’église et l’école, perspectives prolétariennes », Démopolis titre « l’église et l’école ». Ce qui est déjà contestable.

Par ailleurs celui qui en a écrit la préface, Eddy Khaldi, est partisan, comme ancien savaryste actif des années 1982-1984, de l’unification « laïque » de l’éducation nationale, inspiré du projet de la défunte FEN (Fédération de l’Education Nationale), très exactement l’inverse des positions qui ont été celles de Marceau Pivert : dans la tradition de la bourgeoisie, lorsque celle-ci était une classe révolutionnaire, dans celle de « l’effort prolétarien » de la Commune, non seulement le socialisme à l’époque et Pivert en particulier était contre l’octroi de subventions aux écoles privées, mais de plus il s’agissait de maintenir l’interdiction des congrégations enseignantes, en particulier des jésuites. Il ne s’agissait donc pas de donner un statut public aux écoles confessionnelles, qui pour la plupart sont dirigées aujourd’hui encore par des congrégations religieuses enseignantes, et de les faire entrer dans le système d’Education Nationale. La pensée d’Eddy Khaldi s’inspire de l’héritage du mitterandisme dans ce que ce militant à fait dans les allées du pouvoir au cœur du processus de négociation entre le gouvernement Mitterand-Mauroy et la hiérarchie catholique. Mêlé ce point de vue aux positions de Pivert et de la Gauche Révolutionnaire ce n’est guère acceptable.

On relève aussi dans l’extrême gauche française, en particulier dans les écrits d’intellectuels qui appartiennent au NPA ou dans les courants de la gauche du Front de Gauche des positions pour le moins troublantes : ainsi Michaël Löwy a écrit dans la revue « Contretemps » un article intitulé « Opium du peuple ? Marxisme critique et religion ». Cet universitaire est lié au courant LCR qui donnera naissance au NPA et le livre paru sur Che Guevara a été rédigé en collaboration avec Olivier Besancenot, ex-candidat présidentiel de la LCR. Il est membre de l’association ATTAC, de la Fondation Copernic et d'Espaces Marx. Dans cet article il tente de démontrer en tordant dans le sens qui lui convient les écrits de Marx et d’Engels que, dans la religion, le cri de la créature opprimée contre « cette vallée de larmes » rejoint le combat pour l’émancipation socialiste. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de la gauche et de l’extrême gauche, notamment depuis les mouvements anticoloniaux de la fin de la IVème république, qu’on trouve cette compromission réactionnaire avec les principes sociaux du Christianisme. Michaël Löwy se permet d’écrire :

« Il est apparu en France, entre 1936 et 1938, un mouvement de chrétiens révolutionnaires qui rassemblait plusieurs milliers de militants qui soutenaient activement le mouvement ouvrier, en particulier son aile plus radicale (les socialistes de gauche de Marceau Pivert). Leur mot d’ordre principal était : « Nous sommes socialistes parce que nous sommes chrétiens »... »

Quand on connaît un peu l’histoire du pivertisme, les positions de la Gauche Révolutionnaire et la part prise par Pivert dans le combat laïque, la polémique contre Maurice Thorez engageant le PCF sur l’orientation de la main tendue aux catholiques, le rôle qu’il assigne au socialisme dans la lutte contre toutes les œuvres sociales de la religion catholique au sein du prolétariat, on se demande où Michaël Löwy a trouvé ces « milliers de chrétiens révolutionnaires » qui auraient rejoints le pivertisme. La mise au point de Pivert dans la brochure SFIO contre le PCF est très claire, nous y renvoyons nos lecteurs.

Si l’on consulte le site de l’Ours, qui est le site officiel des archives socialistes, on aura quelque peine à y trouver des traces des écrits de Marceau Pivert : celui qui a été le principal dirigeant de la Gauche Révolutionnaire de la SFIO durant la crise sociale qui commence avec les émeutes du 6 février 1934 et qui s’achève avec les glissements des représentations du mouvement ouvrier en France, PCF et SFIO, dans le social-chauvinisme et l’union sacrée, ce dirigeant d’un courant de masse du socialisme n’y trouve aucune place. Marceau a été condamné à l’enfer « socialiste ».

En revanche se trouvant à l’intersection des différentes tentatives de regrouper la gauche radicale, dans la période révolutionnaire d’avant-guerre, en exil à Mexico, puis dans la question coloniale après la Libération, il fera l’objet d’enquêtes historiques précises de la part de deux historiens issus de deux courants se réclamant du trotskysme. Les données proprement historiques, faits et dates, citations sont reprises aux deux ouvrages consacrés à Pivert et au pivertisme. Quant aux conclusions idéologiques, je ne les reprends pas à mon compte, elles concernent la critique trotskyste en tant que telle. La discussion doit rester ouverte sur ce point…

Le livre de Jean Paul Joubert, « Révolutionnaires de la SFIO » publié en 1977 aux presses de la fondation nationale des sciences politiques, est une vaste et sérieuse enquête historique essentiellement axée sur la période 1930-1940. La période qui va de la Libération à la mort de Marceau en 1958, alors qu’il rompt définitivement avec la SFIO lorsque celle-ci ouvre la porte à De Gaulle et à la Vème République, est à peine ébauchée. Jean Paul Joubert était pour son travail d’historien formé à l’école de Pierre Broué et comme militant un cadre de l’OCI (Organisation Communiste Internationaliste - lambertiste), dans la région de Grenoble. L’enquête historique commencée vraisemblablement en 1974 ou 1975 s’inscrit dans une période où le nouveau parti socialiste, né en juin 1971 sous la direction de François Mitterand connaît une ascension fulgurante. Joubert reprend globalement la position de Léon Trotsky sur Pivert, caractérisant le courant qu’il construit dans la SFIO, comme centriste. Cette caractérisation s’applique aux courants qui se détachent des partis traditionnels du mouvement ouvrier et qui évoluent vers une position anticapitaliste. Les trotskystes soulignent leur instabilité politique et leur composition hétéroclite ; les centristes ne sont plus exactement sur une orientation réformiste et ils ne sont pas encore gagnés au programme révolutionnaire. C’est grosso modo la grille de lecture de Trotsky qui sera reprise par les trotskystes. Dans les faits la période d’avant-guerre verra un certain nombre de formations politiques se détacher des organisations staliniennes et réformistes, particulièrement la Gauche Révolutionnaire en France et le POUM en Espagne, mais aucune ne répondra positivement à la proposition de Trotsky de rejoindre une IVème Internationale qu’ils estimaient autoproclamée. Joubert reconnaît que Pivert et ses camarades ont cherché, à partir de leur héritage politique propre, les voies et les moyens de construire un outil pour résister à la fois au stalinisme et à la social-démocratie, de se hisser à hauteur d’une situation où la course au deuxième conflit impérialiste était engagée. Il considère que Trotsky était pris dans une situation personnelle absolument épouvantable qui ne lui permettait pas de nourrir ce mouvement qui se dégageait à gauche du mouvement socialiste. Mais pour les militants que nous sommes, aujourd’hui en 2014, les conclusions qu’il tire sur la situation qui s’ouvre avec la renaissance du parti socialiste d’Epinay, sont pour le moins contestables : le pronostic a été infirmé par l’histoire. Les organisations révolutionnaires dans le début de la décennie 1970-1980, et en particulier l’OCI, pensaient qu’on était entrés dans la « période de l’imminence de la révolution prolétarienne », la suite des événements mondiaux indiqua qu’on était pas du tout dans ce type de situation. L’internationale socialiste devait jouer un rôle d’adaptation au nouvel âge du capitalisme, le néo-libéralisme. De plus nous n’avons pas fini de payer la note pour l’effondrement du modèle soviétique et l’existence du modèle chinois qui n’a pas encore révélé toute l’horreur des répressions pratiquées sous la grande révolution prolétarienne de Mao. Le stalinisme n’a pas fini de  servir de formidable repoussoir pour justifier le capitalisme comme modèle économique indépassable. Les organisations de la IVème Internationale qui ont par ailleurs passé leur temps à se taper dessus, n’ont pas été saisies comme incarnant une alternative possible. Dans la conclusion de son livre Joubert, met en cause la possibilité de construction de courants gauches au sein du parti de François Mitterand. La référence de Chevènement et du CERES de l’époque au pivertisme était purement formelle. D’abord il y a eu des gauches dans le parti socialiste, le CERES, les amis de Poperen autour de « Synthèse Flash », puis la « gauche socialiste » de Dray-Mélenchon, puis « Nouveau Monde » de  Mélenchon-Emmanuelli, « Démocratie et Socialisme » de Gérard Filoche enfin les courants PRS de Mélenchonet « Forces Militantes » de Marc Dolez qui donneront naissance au Parti de Gauche. La caractéristique de ces gauches c’est qu’elles sont fondées sur la nostalgie de la vieille Union de la Gauche, avec chez Chevènement et Poperen un caractère nettement adapté à l’appareil du PCF. Les courants gauches du PS d’Epinay ont plus à voir avec la continuité du guesdisme, de Zyromski qu’avec la Gauche Révolutionnaire. La critique peut s’étendre jusqu’au Front de Gauche. Joubert a raison sur ce point : le pivertisme était lui un courant révolutionnaire.

La deuxième enquête sérieuse consacrée à Pivert est signée Jacques Kergoat et fut publiée en juin 1994 aux éditions de L’atelier. Sociologue de formation, Jacques Kergoat a milité au PSU en 1972 dont il a été le secrétaire parisien. Les positions de la fédération parisienne entre en conflit avec Michel Rocard qui la dissout et impose des réadhésions individuelles. Il entre dans la direction de la LCR dans laquelle il restera jusqu’à sa mort en 1999. Comme militant il a joué un rôle de premier plan dans la création de la Fondation Copernic et deviendra le rédacteur en chef de la revue Politis : sa démarche, dans une période de décomposition des organisations du vieux mouvement ouvrier, PS et PCF,  s’inscrivait dans une volonté de rassemblement de la gauche de rupture anticapitaliste et donc de reconstruction d’une pensée de l’émancipation. Comme historien il a particulièrement travaillé sur la période du front populaire. Laïque de par ses origines familiales et bretonnes, Kergoat fut certainement un cas d’exception au sein d’une direction LCR qui a fait bien des concessions au gauchisme d’après 1968. La question laïque prend une place dans sa biographie plus conforme à ce qu’était la personnalité profonde de Pivert. La connivence de Kergoat avec lui ne pouvait qu’être évidente, et elle donnait une lumière qui était plus conforme à la réalité que l’enquête de Joubert. Il aurait sans doute été de toutes les initiatives accompagnant l’acte de naissance du NPA. En tout cas son itinéraire, notamment dans la Fondation Copernic, en prenait le chemin. Sa biographie est plus complète que celle de Joubert, qui a essentiellement centré son analyse sur la période du Front Populaire. La période d’après-guerre fait l’objet d’une analyse plus détaillée, c’est le retour à la « vieille maison », la fédération de la Seine reprise par une équipe de pivertistes, le molletisme, surtout la question coloniale qui va éloigner Pivert des tentations de la guerre froide et le resituer sur une perspective de lutte pour l’indépendance des peuples contre le système colonial, jusqu’à la rupture finale avec la SFIO, lorsque celle-ci ouvre la porte à De Gaulle et au coup d’Etat bonapartiste de 1958. Le livre de Kergoat est une biographie complète qui mêle l’homme public, le militant fraternel, le meneur d’hommes, l’ami, l’homme privé, l’enseignant passionné de pédagogie expérimentale, le père que le travail de Joubert qui se centre sur le dirigeant politique dans une période essentiellement circonscrite à la période 1930-1940. On peut être sensible à la présentation de Kergoat, celle de l’homme dans toutes ses dimensions, dans sa vérité fraternelle. C’est Marceau…

La grille de lecture sur le « centrisme » de Pivert reste sensiblement la même que celle de Jean Paul Joubert. Trotsky parlait à propos de Pivert de « menchevisme de gauche ». La critique trotskyste porte sur le caractère hétéroclite des organisations centristes et y oppose le modèle léniniste du parti. Sur ce point important, aussi bien Joubert que Kergoat, sont sensiblement sur la même ligne, même si trente ans après l’assassinat de Trotsky pour l’un, et cinquante ans pour l’autre, ils introduisent quelques bémols. Le premier dit que les conditions dans lesquelles était placé Trotsky ne lui permettaient pas de mener une discussion dans des conditions propres à faire avancer les choses dans le bon sens, le deuxième a déjà quelques sympathies pour un parti ouvert permettant à chaque courant, s’inscrivant dans un processus de rupture avec la social-démocratie et le stalinisme,  de trouver sa place et d’échanger dans un creuset commun, le parti comme lieu « d’expérimentation sociale ». Soixante seize ans après la proclamation de la IVème Internationale sous l’autorité de Léon Trotsky, où en sont aujourd’hui les organisations qui s’en réclament ? La critique du « centrisme » part du présupposé du programme révolutionnaire fondé sur l’héritage du bolchévisme et de la IVème internationale qui en est la représentation clé en mains. Il y a un bilan à tirer sur ce point, qui représente l’histoire de toute une génération révolutionnaire, celle qui s’est construite après la grève générale de 1968 à la fois contre De Gaulle et le stalinisme. Y a-t-il eu échec du pivertisme ? Dans la période de la crise révolutionnaire de 1936, Pivert et ses camarades pouvait-ils faire autre chose que ce qu’ils ont fait, alors que le stalinisme était loin d’avoir donné toute sa dimension contre-révolutionnaire ? Le modèle léniniste défendu par les organisations de la IVème Internationale a-t-il permis que le courant révolutionnaire sorte des marges du mouvement ouvrier ? Bien des questions pourraient être posées aujourd’hui. Marceau est un des nôtres et son apport à la pensée et à l’action révolutionnaire mérite de continuer à nous interpeller.