1930-1934

La bataille laïque

L'enfant a le droit de connaître, le droit d'apprendre à observer, le droit de tirer, pour lui-même les conséquences qui lui conviendront de son éducation laïque.

Aucune hiérarchie sociale, aucun système de valeurs préétabli, aucun dogme ne doit déflorer la fraîcheur de son éveil et de son entrée dans la société. S'il accepte telle ou telle règle de vie, tel ou tel mode de pensée, parmi ceux qui lui seront également proposés, c'est par une inclination naturelle, ou mieux encore, à la suite de ses propres réflexions sur les choses qui l'entourent.

Ces principes de la laïcité prolétarienne impliquent l'emploi de méthodes d'éducation appropriées aux objectifs à atteindre. Nous ne faisons qu'indiquer au passage la nécessité de développer la pédagogie nouvelle, favorisant le libre épanouissement de la personnalité enfantine; les méthodes actives, favorisant l'éducation par l'action de l'enfant sur les choses qui l'entourent; les communautés scolaires, organisant la vie collective des enfants...

Marceau Pivert, l'Eglise et l'Ecole (1932)

 

 

Les raisons de notre démission, par Jean Zyromski et Marceau Pivert

Le Populaire, 29 octobre 1930.


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Lundi soir, la Commission exécutive de la Fédération de la Seine a procédé à l’élection d’un secrétaire général et d’un secrétaire général adjoint, en remplacement de Jean Zyromski et de Marceau Pivert, démissionnaire. Emile Farinet a été désigné comme secrétaire général; Jacques Grumbach et Chabrier comme secrétaires adjoints.

La démission de Jean Zyromski et de Marceau Pivert est la conséquence du vote du Conseil fédéral maintenant la candidature socialiste pour le 2° tour de scrutin à l’élection législative du 20°.

Cette démission fut remise à la C.E. du 6 octobre, mais sur les instances de la C.E. unanime, Jean Zyromski et Marceau Pivert acceptèrent de ne la rendre effective et publique qu’après la fin de la campagne municipale de Belleville, afin de ne gêner à aucun moment l’action de la Fédération.

Le compte rendu du Conseil fédéral du 30 septembre n’ayant pas été publié pour des raisons semblables, nous reproduisons aujourd’hui le compte rendu analytique de l’intervention de Zyromski qui explique son attitude ainsi que celle de Marceau Pivert.

« Je prends la parole pour soutenir un point de vue que je partage depuis longtemps et qui correspond chez moi à une conviction profonde.

Que l’on me fasse l’amitié de ne pas conclure qu’en soutenant ce point de vue, je caresse l’espérance d’une alliance quelconque avec le Parti communiste, que je pense à une éventualité de front unique électoral, que je cherche à empêcher la campagne de calomnies et d’outrages déchaînée contre nos militants et contre notre Parti. Non, je ne suis pas si « naïf » et, passez-moi le terme, si « imbécile ».

Ce qui me détermine c’est la conception générale d’une méthode de lutte efficace contre le bolchevisme et la volonté de reconquérir la fraction du prolétariat qui reste encore sous son emprise.

Entre le bolchevisme et le socialisme, ce n’est pas la lutte de classe qui joue, mais c’est une lutte « au sein de la classe ouvrière », comme le dit explicitement notre résolution unanime de Toulouse (1928), et c’est ce caractère spécial, spécifique, qui détermine ma conduite.

Notre action contre le bolchevisme, que nous menons avec persévérance et âpreté, n’a de sens que si elle n’est viciée  » par aucune liaison avec la bourgeoisie », comme le dit la résolution du Congrès fédéral extraordinaire de juillet 1929.

Sinon, c’est la raison même du Parti qui se trouve mise en cause; nous sommes le Parti de l’unité ouvrière; nous entendons représenter l’ensemble de la classe ouvrière et non pas une fraction ou une secte du prolétariat.

Ce qui nous guide, ce n’est pas encore une fois l’espoir de « convertir » ou de « désarmer » les chefs communistes, ni les fonctionnaires de ce Parti, c’est l’assurance qu’en agissant comme nous le demandons, nous pourrons rassembler plus sûrement les prolétaires de l’usine et de l’atelier dont un certain nombre restent encore sous l’emprise du bolchevisme.

On nous dit qu’il n’y a pas danger réactionnaire avec le dispositif des forces du 1er tour: en réalité il y a le pire des dangers, c’est celui qui consiste à être, même involontairement, un instrument entre les mains de la bourgeoisie réactionnaire, contre le « parti communiste ». N’oubliez pas que nous vivons dans la Seine, dans un milieu où certains groupements capitalistes influents, sous l’égide de M. Billiet, n’hésitent point à utiliser les divisions prolétariennes.

Je sais que le Parti communiste n’a pas eu scrupule lui, à accepter cela pour battre notre Parti, notamment à Limoges, en 1928. Là-bas, les forces réactionnaires ont cyniquement le candidat communiste Fraisseix contre notre candidat.

Après tout, c’est le rôle de la bourgeoisie d’agir ainsi, alternativement pour exaspérer les divisions et les haines. Mais le devoir d’un parti comme le nôtre est de faire en sorte que la manœuvre bourgeoise soit rendue impossible.

Le parti bolchevik agit autrement ? Parbleu ! Notre méthode est essentiellement distincte de la sienne. Ne pratiquons pas un « bolchevisme à rebours ».

Depuis un an nous avons toujours agi « contrairement à ce qu’aurait fait le parti bolchevik » quand il s’est agi de définir notre attitude dans les 2e tours de scrutin.

Si nous agissons autrement aujourd’hui, ce serait une faute lourde. La scission de 1920 a eu pour conséquence particulièrement dans l’agglomération parisienne, de déplacer le centre de gravité du Parti et de rétrécir sensiblement sa base prolétarienne.

Cette situation a même influencé notre politique et certains griefs adressés à ‘action de nos élus municipaux n’ont pas en réalité d’autre cause. Mais il faut travailler sans relâche à élargir notre base prolétarienne et j’ai la certitude que la pratique que certains préconisent, si elle peut aboutir à des succès électoraux immédiats, a pour résultat d’accentuer le déplacement du centre de gravité dont je parlais tout à l’heure.

Notre méthode, basée sur une rigoureuse politique de classe, est susceptible de ne pas donner autant de succès électoraux, mais je crois sa force de pénétration socialiste incomparablement plus puissante.

Au fond, ce qui nous divise, c’est que nous n’envisageons pas sous le même angle l’action socialiste aux élections; pour certains d’entre nous, c’est la « tactique électorale » et dans cette terminologie même, on sent toute la différence de conception: pour nous l’action socialiste aux élections n’est qu’un élément de l’action générale du socialisme et doit être toujours subordonnée aux caractères fondamentaux du socialisme.

J’adresse à la Fédération de la Seine un appel pressant pour qu’elle adopte le point de vue que je soutiens. Je n’ignore point que la décision de retirer le candidat socialiste est douloureuse, que la situation même apparaît comme plus difficile que dans d’autres hypothèses, que le devoir apparaît singulièrement douloureux. N’importe. Il le faut et j’ai la conviction qu’en vous parlant ainsi, je reste en accord avec la raison d’être du socialisme. Je regrette de ne pouvoir aujourd’hui répondre à l’appel qui m’a été adressé en vue de l’unanimité, de cette unanimité que j’ai pu réaliser souvent dans notre fédération. Mais si on peut, si l’on doit accepter des compromis et des sacrifices au point de vue tactique, il nous est impossible de le faire quand on sent profondément que c’est la raison d’être du socialisme qui est en cause. »

 [les caractères changent dès lors de taille, signifiant la fin du discours]

« A cela nous n’avons qu’à ajouter quelques brèves observations complémentaires.

D’abord, que les bolcheviks ne sauraient se servir, eux, de cette divergence entre socialistes, parce que « disqualifiés » par leur propre pratique.

Le succès électoral de Belleville-Saint-Fargeau ne modifie à aucun degré, au contraire, notre point de vue. Nous redoutons que le succès même n’incite le Parti à pratiquer systématiquement une tactique dangereuse, et particulièrement dangereuse dans l’agglomération parisienne, alors que nul socialiste n’a le droit d’ignorer les manœuvres machiavéliques de M. Billiet que la presse soumise à son obédience dissimule à peine. Nous ferons tous nos efforts pour dénoncer les traquenards de la bourgeoisie et pour empêcher le Parti de tomber dans ses pièges.

L’argument que nous allons avoir à réfuter sur la nécessité d’enlever par tous les moyens les positions électorales stratégiques du Parti communiste ne saurait tenir si l’on considère ce qu’est véritablement l’action socialiste aux élections, et si l’on veut conduire une action de pénétration prolétarienne profonde et efficace.

La discussion « a posteriori » sur les chiffres et les voix obtenus ne nous a pas paru « probante ». Même en restant sur le terrain choisi, nous avons d’importantes réserves à faire. Mais encore une fois le problème n’est pas là. Il s’agit de savoir si, étant donné un certain dispositif sur l’échiquier électoral, notre Parti risque ou ne risque pas d’être utilisé par la bourgeoisie arbitre. Dans l’hypothèse du premier tour Belleville-Saint-Fargeau, l’affirmation était incontestable.

Il est également incontestable que les dispositifs de cette nature influent inéluctablement sur le caractère même de la lutte socialiste au deuxième tour. Il y a affaiblissement, pour ne pas dire plus, du caractère socialiste de la propagande.

Enfin, en relevant attentivement les résolutions même du Parti, la déclaration récente de la C.A.P. et du groupe socialiste au Parlement au sujet de l’action électorale, approuvée unanimement au Congrès de Bordeaux, il me semble que nous sommes fidèles à ces décisions, fidèles à leur esprit, fidèles à la pensée de leur rapporteur, notre camarade Léon Blum. »

Deux militants syndicalistes tunisiens persécutés

Le Populaire, 30 août 1932.


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Illégalement condamnés
ils se voient refuser l’amnistie…

Depuis 1925 deux militants syndicalistes tunisiens sont exilés pour avoir fondé des syndicats! Sous prétexte de « complot contre la sûreté de l’État » on a frappé de bannissement six hommes coupables d’avoir voulu organiser leurs frères de misère. Ils ont fondé la Confédération générale du Travail tunisienne, comprenant surtout des travailleurs indigènes et demeurée dans l’autonomie par rapport à la C.G.T. et à la C.G.T.U. Trois condamnés ont terminé leur peine. Des trois autres, chassés pour dix ans, non seulement de Tunisie mais aussi de France, l’un Mohamed Ali, est mort. Les deux survivants sont Moktar el Ayari et Finidori.

Moktar el Ayari est un vieux militant du syndicat des tramways qui a déjà été retenu en prison en 1922 lors du « complot » monté par Millerand. On n’a rien pu relever contre lui à ce moment. C’est d’ailleurs un « ancien combattant » titulaire de la croix de guerre ! « Il se fit remarquer au retour par ses idées extrêmement avancées » écrit le procureur. Révoqué, il est nommé secrétaire du syndicat. « Pourquoi, après avoir combattu, pour la France pendant la guerre, luttez-vous maintenant contre elle ? » lui demanda le procureur. Car lutter contre la Compagnie des tramways de Tunis, qui est une compagnie belge, c’est lutter contre la France !

Finidori a été employé municipal, puis gérant de L’Avenir Social, journal « syndicaliste-communiste », qualifié d’« individu dangereux » et présenté comme un « communiste notoire et convaincu ». On l’accuse d’avoir été le destinataire d’une lettre adressée par l’ « Union Mondiale de combat en faveur de l’égalité des races ». Cette lettre ne lui est jamais parvenue puisqu’il était incarcéré et qu’on la lui a confisquée…

Il a fallu une véritable forfaiture pour affirmer que les accusés avaient eu « une résolution d’agir, concertée et arrêtée ayant pour but de détruire ou de changer le gouvernement, ou d’exciter les citoyens ou habitant à s’armer contre l’autorité du protectorat… etc. » La seule action, la seule résolution d’agir en commun qu’on puisse établir c’est celle de grouper les travailleurs dans leurs syndicats pour la défense de leurs moyens d’existence…

Voilà le crime qu’expient deux militants !

Or, l’amnistie a été votée pour les cléricaux alsaciens, sous la dernière législature. Ils avaient été condamnés en vertu des articles 87 et 89 du Code pénal. Les syndicalistes tunisiens l’ont été en vertu de l’article 91. On pouvait espérer que le projet déposé par le gouvernement Herriot rectifierait sur ce point l’amnistie Tardieu. La déclaration ministérielle ne contient-elle pas un engagement précis? « Profondément attachés au respect de toutes les libertés syndicales, etc… » Eh bien ! non ! Le projet d’amnistie a oublié les fondateurs de la Confédération générale du Travail tunisienne. Moktar et Finidori ne constateront, dans leur exil, aucune différence entre Herriot et Tardieu !

Soit ! Mais le groupe socialiste au Parlement ne laissera pas s’accomplir ce deuxième geste de classe. Il déposera un amendement en faveur des condamnés frappés par application de l’article 91. Il exigera au besoin un vote public et les syndicalistes pourront compter alors ceux qui sont effectivement « respectueux des libertés syndicales ».


 

Notre laïcité

Chapitre 5 du livre L’Eglise et l’Ecole, édition Figuières (1932) et Démopolis (2010)


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En face des artifices plus ou moins habiles des nouveaux ralliés, en face des timidités républicaines déterminées par des intérêts de classe, dressons maintenant notre laïcité prolétarienne.

Si l'enfance pouvait avoir conscience des attentions que lui portent les réactionnaires, avec leur prétention de baser toute l'éducation sur la religion et le respect des hiérarchies sociales…, ou les bourgeois démocrates, avec leur souci de dogmatisme métaphysique, elle résumerait assez bien la situation qu'on veut lui faire par cette boutade: « En somme il s'agit de savoir à quelle sauce je serai mangée ». Plus exactement, « quel est le conformisme social auquel on prétend me soumettre ». La laïcité véritable nait précisément à partir du moment où une société déterminée abandonne cette prétention de peser sur la destinée de la génération montante pour lui imposer une certaine manière de comprendre les choses et de classer les valeurs.

Seul, le prolétariat peut admettre cette sorte de désintéressement supérieur, cette confiance en l'avenir.

La laïcité dans l'éducation consistera donc à former les enfants, non plus en fonction d'un ordre social déterminé, mais pour eux-mêmes, Elle se connaîtra au souci constant exprimé par l'éducateur de se libérer de tous les dogmes nés de besoins sociaux non permanents. Par exemple, le respect des engagements contractés de plein gré, la sincérité, la droiture, la probité sous toutes ses formes sont naturellement des exigences permanentes de la vie en société. Quelles que soient les perturbations sociales passées ou à venir, on n'imagine pas des relations entre les hommes qui ne seraient pas basées sur ce minimum de sécurité. Mais les prétendus devoirs envers une prétendue divinité ont des origines trop transparentes dans la lutte des classes pour qu'un éducateur laïque consente à les enseigner. Sans doute, les croyants habitués à faire le bien sous la menace d'une punition ou en vue d'une récompense ne peuvent imaginer que la morale laïque se suffise à elle-même. Du moment que leur Dieu législateur et rémunérateur disparaît de l'horizon, la morale s'écroule avec lui, la vie animale reprend ses droits. Faut-il invoquer pour leur répondre le martyrologe des innombrables victimes de l'intolérance religieuse, inventeurs, savants, ou simples travailleurs aux prises avec la matière et affranchis par le jeu de leur propre expérience, des fantasmagories intéressées? Faut-il rappeler que leur désir de savoir, leur besoin de comprendre, leur courage, leur moralité en un mot, ont su porter jusqu'au sacrifice de leur vie la lutte héroïque pour la défense de leurs idées ? La conscience de participer à un immense effort collectif, pour libérer l'humanité de ses servitudes, pour maîtriser peu à peu les forces de la nature ne suffit-elle pas à des milliers et des milliers de militants pour marcher allègrement à travers un monde hostile ? La preuve est faite qu'un homme sans croyances religieuses peut vivre honnêtement de même que la preuve est faite que des fripons authentiques, pillards des deniers publics, faussaires et criminels de tous calibres s'abritent volontiers derrière le paravent de la religion, Il n'y a pas nécessairement relation entre la morale d'un individu, c'est-à-dire sa conduite dans la vie de tous les jours et ses affirmations métaphysiques ou théologiques. Cette simple observation nous suffit pour justifier notre conception de la laïcité dans l'éducation. Celle-ci consistera avant tout à faire des hommes, c'est-à-dire des êtres pensant par eux-mêmes, armés des principaux enseignements qui résultent de l'expérience humaine : langage, raisonnement, science, histoire, connaissance du milieu et du temps, mais armés aussi contre les déterminismes déformants de la vie en société. Des hommes à l'esprit mobile, et non des vieillards fossilisés, pensant par ordre ou incapables de sortir du cycle de leurs idées routinières. Des hommes d'action, ayant l'amour de l'action, et décidés à pétrir, dans la mesure de leurs forces, la société et le monde où ils sont jetés. Et pour commencer, des hommes habitués à regarder en face toute la réalité sociale : non pas celle qu'on se complaît à décrire dans les livres; non pas celle qu'une imagination fertile aurait tendance à dessiner mais celle qui existe vraiment, faite de la chair et de la misère de millions d'hommes travaillant, s'épuisant, mourant pour que d'autres jouissent et se reposent.

Ah ! comme la « neutralité » dans laquelle certains voudraient enfermer le concept   « laïcité » hurle et vibre sous la bourrasque de ces vérités sociales pudiquement dissimulées

La laïcité n'est pas seulement une morale, un principe d'action, c'est une règle fondamentale de la pensée elle-même. C'est la science transposée dans le domaine de l'éducation. Comment penser sainement lorsqu'on se refuse à voir une parcelle quelconque du monde ou de la société dont on n'est qu'une infime partie ? Par quel orgueil ou par quelle mutilation volontaire croit-on limiter l'exercice de la raison à certains objets inoffensifs pour l'équilibre social ?
L'enfant a le droit de connaître, le droit d'apprendre à observer, le droit de tirer, pour lui-même les conséquences qui lui conviendront de son éducation laïque.
Aucune hiérarchie sociale, aucun système de valeurs préétabli, aucun dogme ne doit déflorer la fraîcheur de son éveil et de son entrée dans la société. S'il accepte telle ou telle règle de vie, tel ou tel mode de pensée, parmi ceux qui lui seront également proposés, c'est par une inclination naturelle, ou mieux encore, à la suite de ses propres réflexions sur les choses qui l'entourent.

Ces principes de la laïcité prolétarienne impliquent l'emploi de méthodes d'éducation appropriées aux objectifs à atteindre. Nous ne faisons qu'indiquer au passage la nécessité de développer la pédagogie nouvelle, favorisant le libre épanouissement de la personnalité enfantine; les méthodes actives, favorisant l'éducation par l'action de l'enfant sur les choses qui l'entourent; les communautés scolaires, organisant la vie collective des enfants.

Certes, ce genre de «  laïcité » n'est pratiqué qu'imparfaitement, parce que tout l'appareil capitaliste pèse sur la spontanéité de l'instituteur et de l'élève ; on comprend mal une leçon d'histoire faisant au prolétariat sa place plus importante après tout que celle des rois ou des empereurs du 19ème siècle. On admet difficilement une leçon d'arithmétique commerciale sur « les actions » analysant le mécanisme du profit capitaliste. Et l'idée paraîtrait étrange d'enseigner à des apprentis ajusteurs la monographie économique du fer... ou les conditions de fonctionnement du Cartel de l'Acier. Une leçon sur « la patrie » illustrée par des documents authentiques relatifs à l'internationale sanglante des industries de guerre ferait dresser les cheveux sur la tête de bien des inspecteurs. Et si un professeur s'avisait d'expliquer la théorie des crises économiques au cours d'une leçon de géographie ou d'économie politique, il s'attirerait peut-être des observations sévères. Quant aux leçons d'instruction civique sur le syndicalisme ou sur le mouvement socialiste comment donc, à l'école, décrire sans péril les phases de l'expérience prolétarienne aux jeunes travailleurs ? Cependant, en dépit des instructions officielles, la laïcité perce chaque jour un peu la carapace d'indifférence et de neutralité que la société capitaliste dispose autour de ses écoles.

Ce sont les adversaires eux-mêmes qui violent cyniquement cette neutralité. L'expectative, le silence, le néant sont impossibles à observer, nous l'avons montré, sur chaque problème, sur chaque matière prêtant à discussion, l'instituteur s'enhardit souvent jusqu'à présenter les thèses adverses ; il fait discuter les élèves, il habitue leurs oreilles à entendre plusieurs affirmations contradictoires. Parfois, même, il répond à leurs questions; il fournit des documents, indique des lectures, encourage les recherches, sollicite les controverses, fortifié par tous les moyens, la formation de l'esprit critique, la pratique du doute méthodique. Son rôle est plutôt de protéger contre le milieu, contre l'époque, contre lui-même, la jeune personnalité en voie de formation. Aucun dogmatisme ne doit transparaitre dans son enseignement. Les vérités mathématiques les plus abstraites devraient être découvertes, par un effort permanent d'initiation concrète ; mais non pas imposées comme autant de vérités révélées.

Cette laïcité protectrice de l'enfance et génératrice des libérations les plus décisives ne peut d'ailleurs s'épanouir largement que dans l'enseignement prolongé jusqu'à 15 ou 16 ans.

Bien loin de manquer son but sous prétexte qu'elle ne fait pas appel au sentiment religieux. elle formera des esprits rebelles aux croyances imposées, libres de toute contrainte, entièrement orientés vers l'action sociale, c'est-à-dire des esprits heureux de la correspondance entre leur formation et les exigences de leur époque, prêts à accueillir toutes les transformations dues à la science et à la technique, prêts à les favoriser, prêts à les faire fructifier dans le domaine de la peine des hommes.(1)

Notre, laïcité, protestation permanente d'une classe en mouvement contre toutes les forces qui tendent à la paralyser, mérite vraiment de concentrer toutes les fureurs des conservateurs sociaux. Le temps n'est pas éloigné où les neutralistes et les cléricaux réconciliés la dénonceront comme un péril social, c'est-à-dire un péril pour leurs privilèges. Juste retour des choses ! Notre laïcité est cependant sûre de vaincre, car elle exprime la tendance instinctive d'une classe vers sa libération économique, et cette tendance coïncide avec le besoin incoercible de connaissance, la soif de savoir et de comprendre qui caractérisent la science.

Notes :

1 Cf. la Lettre à un ouvrier sur la culture et la révolution de Jean Guéhenno dans Europe, 15 février 1931. On y trouvera des tendances d'esprit renforçant singulièrement cette thèse.


 

Le Parti socialiste et les Congrégations


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I. - Le problème

L'émotion provoquée par les fameux articles 70 et 75 a de nouveau attiré l'attention sur le cléricalisme. C'est notre camarade Ernest Lafont qui, à la Commission des finances, s'est élevé avec vigueur contre les prétentions de la réaction. Déjà, au Comité central de la Ligue des Droits de l'Homme, où cette question est posée depuis plusieurs années, Kahn et Lafont ont résisté au courant de résignation ou de régression tendant à considérer la législation actuelle sur les congrégations comme « exceptionnelle » et « inadmissible ». Par ailleurs, notre éminent camarade Léon Blum accepterait volontiers l'idée du « droit commun » pour les congrégations si l'Eglise, par exemple, nous permettait d'instituer le monopole de l'Enseignement.

De toutes les interprétations données par ceux de nos camarades qui ont pris position dans la controverse, aucune, semble-t-il, n'a apporté au militant marxiste la clé d'une solution qui devrait être, nécessairement, aussi éloignée du libéralisme bourgeois que de l'autoritarisme clérical. Il semble que le Parti n'ait pas encore suffisamment l'expérience des analyses sociologiques si abondantes et si pénétrantes dans certaines autres sections de I.O.S. (Et je songe aux commentaires lumineux qu'Otto Bauer a rédigés sur le Programme de Linz.) Nos idées générales sur les grandes questions politiques sont encore-trop souvent déterminées par des raisonnements ou des traditions qui ne sont pas strictement « nôtres ». C'est pour apporter ma modeste contribution à une solution socialiste du problème des congrégations, que je me propose d'en faire un examen rapide.

II. — Les faits

Dès que s'est effectuée la séparation du pouvoir civil et du pouvoir religieux, les congrégations ont été plus ou moins en lutte avec le pouvoir civil : Saint Louis, Philippe le Bel, Louis XI, Louis XIV (déclaration de 1681), Louis XV (suppression de l'ordre des Jésuites), ont ainsi, tour à tour, résisté aux retours offensifs du cléricalisme sous sa forme la plus insidieuse. Parcourons donc les principales étapes de cette histoire édifiante.

Au XVIe siècle, les communautés religieuses doivent, pour exister, être autorisées par le roi. « Conservateur, protecteur et exécuteur des lois de l'Eglise », M. Rousse définit ainsi le rôle du monarque « Il fait de la vie monacale et de la société conventuelle une institution publique dont la surveillance et la garde lui sont confiées, et qui a, dans l'ordre général de l'Etat, son rang, son emploi, ses sujétions et ses privilèges. »

Avec l'ascension au pouvoir de la bourgeoisie révolutionnaire, le rôle politique des congrégations est violemment attaqué. « Les ordres religieux, dira Barnave, sont contraires à la société » et Garat « Les établissements religieux sont la violation la plus scandaleuse des droits de l'homme. » En fait, les vœux monastiques solennels sont interdits le 13 février 1790 et les congrégations séculaires et confréries sont supprimées le 18 août 1792.

Mais la stabilisation économique de la bourgeoisie et son besoin de consolider son pouvoir en utilisant les ressources d'une centralisation rigoureuse, d'une Université docile et d'une Eglise prête à rendre tous les services, ramène bientôt les congrégations. Les Oratoriens rentrent à Juilly, les Pères de la Foi à Belley et à Amiens, les Cisterciens au Montcenis et, à Paris, le préfet de police recense, en 1801, 62 maisons religieuses. Toutefois le contrôle du pouvoir civil est organisé par le décret du 3 messidor an XII, qui exige des confréries une demande d'autorisation.

Le retour de la monarchie permet d'observer un phénomène très analogue à celui qui se développe sous le signe du Bloc National. La réaction voudrait bien donner des gages à ses fidèles alliés et favoriser leur développement, mais elle n'ose pas trop montrer son vrai visage. Le mot de Louis XVIII, rapporté par M. de la Gorce, pourrait être mis dans la bouche de nos Bonneton d’aujourd’hui :

« Que les Pères Jésuites reprennent le nom et l'habit de la congrégation ; qu'ils s'occupent sans bruit de leurs affaires, et ils n'ont rien à craindre. » En 1815 et 1816, les missions étrangères, les Lazaristes, les Pères du Saint-Esprit et les Prêtres de Saint-Sulpice rentrent par ordonnance royale. Mais les ultras de la Terreur blanche mènent une telle musique sur tout le territoire que Charles X, lui-même, après une campagne véhémente de M. de Montlosier, retire, le 16 juin 1828, aux congrégations non autorisées, le droit d'enseigner dans les petits séminaires. En 1845, c'est le sinistre Thiers qui mène le combat contre les Jésuites. Il s'en repentira vite, d'ailleurs, après le mouvement révolutionnaire de 1848 et les fusillades de Juin qui rassemblent spontanément toutes les forces de la bourgeoisie, de la féodalité, de l'ancienne noblesse et du haut clergé. En 1850, Thiers est prêt à donner l'enseignement primaire aux congrégations ! Contre le prolétariat qui s'éveille à la lutte de classes, il faut en effet élever le rempart de la religion d'Etat et du monopole clérical de l'Enseignement (loi Falloux) ; suivant le même M. de la Gorce déjà cité, « on eut si peur des socialistes, qu'on oublia de redouter les Jésuites ».

Et cet aveu savoureux situe bien nos positions respectives. La réaction, en effet, va s'en donner à cœur-joie sous les auspices de Badinguet. Dès le 31 janvier 1852, les congrégations sont officiellement favorisées, reconnues d'utilité publique, pour un grand nombre, et parfaitement « intégrées » dans l'appareil gouvernemental de l'Empire. Le prosélytisme des moines ne va pas cependant sans provoquer des incidents : En 1853, les Jésuites de Saint-Etienne ; en 1861, les Capucins d'Hazebrouck et les Rédemptoristes de Douai sont frappés de suspension pour quelques mois par des arrêtés préfectoraux.

Après la chute de l'Empire et l'échec de la Commune, dans le tumulte des passions réactionnaires qui agitent les Versaillais, on retrouve, au premier rang des ennemis irréductibles de la République, les congrégations : d'où la bataille entre une bourgeoisie libérale dont le développement économique exigeait certaines libertés et une aristocratie âpre et bornée qui se dispute sur la forme de réaction à imposer au pays. La moitié des enfants sont soumis à l'influence congréganiste. L'enseignement supérieur est en grande partie réservé aux élèves des jésuitières. En 1879, la Chambre vote l'interdiction d'enseigner pour tout membre d'une congrégation non autorisée. Le Sénat résiste. Le gouvernement passe outre et prend les décrets de 1880 : dissolution de la Compagnie de Jésus, 261 communautés sont dissoutes par la suite.

Par ailleurs, les privilèges fiscaux exorbitants dont jouissaient les congrégations sont peu à peu modifiés en 1884 et 1895.

Enfin la loi de 1901, réglant le droit d'association (« Aux associations elle donne la liberté, aux congrégations elle la refuse, dit clairement le sénateur Vallé, rapporteur du projet ») est votée à la suite d'événements qu'il n'est pas inutile de rappeler. (Ce projet était le trente-quatrième du même genre depuis 1871.)

En 1898-99, l'action politique des congrégations s'était manifestée encore plus impudemment que de coutume. La tentative de coup d'Etat de Déroulède, le 23 février 1899, avait amené une investigation assez sérieuse dans certains « monastères industriels ».

Seignobos en résume ainsi les résultats « Par ses sœurs de dévotion, surtout l'œuvre très lucrative de Saint-Antoine de Padoue, « par son journal politique quotidien, la Croix, qui servait de modèle aux Croix publiées dans la plupart des diocèses, par son Comité électoral Justice-Egalité, elle dirigeait un mouvement violent contre les francs-maçons, les juifs et le gouvernement républicain. »

Et Francis de Pressensé, dans son discours en faveur de la loi de i901, précisait: « J'aurai dû énumérer aussi ces maisons des « Assomptionnistes dans lesquelles on a pu pénétrer à la suite de certaines opérations de justice et où l'on a découvert des hommes qui se livraient à toutes sortes de trafics et de métiers et, en particulier, à la confection d'une presse à la fois pieuse et pornographique, édifiante et calomniatrice, de sacristie, de caserne, et de mauvais lieu... des hommes qui, sous le signe sacré de la Rédemption, prêchaient le meurtre et le pillage, louaient les massacres d'Alger, déversaient à jet continu la calomnie et l'outrage... Et, de plus, alors qu'on est entré dans le cloître sous prétexte de n'en plus sortir, vous savez qu'on s'occupe d'élections, que l'on a formé même des comités électoraux et une ligue électorale qui étend son réseau sur toute la France. »

Le gouvernement Waldeck-Rousseau avait une intention purement défensive. La lutte s'exaspéra encore après des manifestations comme celle du pèlerinage national de Paray-le-Monial, organisé par un Jésuite. Et la loi de 1901 fut votée... Elle avait été renforcée par des amendements : ainsi l'autorisation serait accordée par une loi.

Le ministère Combes, dès 1901, après des élections qui mirent aux prises cléricaux et anticléricaux, refusa en bloc toutes les autorisations.

En sorte que, de plein droit, les congrégations non autorisées devraient être, à l'heure présente, dissoutes si, à la faveur de prorogations successives et surtout de la défaillance totale des gouvernements bourgeois d'après-guerre, les dispositions du titre III de la loi de 1901 n'étaient pas lettre morte (1).

Les, articles 70 et 71, subrepticement introduits dans le budget de 1929 (et qui ont donné à trois ministres radicaux une occasion de fausser compagnie à l'Union Nationale) avaient pour objet d'une part l'attribution de biens ecclésiastiques aux associations diocésaines, d'autre part l'autorisation à certaines congrégations « missionnaires ».

C'était un retour aux bonnes traditions la France redevenant la fille aînée de l'Eglise et alimentant généreusement la propagande internationale en faveur de la foi catholique !

III. — Les missions

On ne s'est pas suffisamment préoccupé de ce néologisme juridique « Les congrégations missionnaires ». S'il ne s'agissait que des noviciats, la loi du 7 juillet 1904 les autorise ! Mais, en plus, la loi de finances prévoyait des maisons de formation, d'hospitalisation, de retraite, et un siège social. Un statut provisoire, accordé par décret, permettait, en fait, le transport des biens des congrégations dissoutes... Autant dire que la législation de défense de l'Etat laïque s'écroulait.

Le motif invoqué par M. Briand (dont les conversations et les relations avec les représentants du Saint-Siège ne datent pas d'hier) est particulièrement savoureux : « Les missions défendent, à l'étranger, le privilège de la France ! » Voire ! Faudrait-il compter par le menu l'histoire des événements de Syrie ? Une minorité de 300.000 chrétiens, organisés et dominés par une puissante armature politico-économico-religieuse : les Jésuites, brimant, exaspérant, révoltant deux millions de Musulmans qui ne connaissent guère de la France que les officiers et les cléricaux ! Faudrait-il suivre pas à pas les explorateurs en soutane de la brousse soudanaise ou des provinces chinoises, précédant et favorisant la conquête, par la « civilisation capitaliste » de millions d'hommes durement exploités ? Une page de Mirbeau montre sous son vrai jour l'œuvre à laquelle, en général, se consacre le missionnaire.

« Partout où il y a du sang versé à légitimer, des pirateries à consacrer, des violations à bénir, de hideux commerces à protéger, on est sûr de voir ce Tartufe britannique, poursuivre, sous prétexte de prosélytisme religieux ou d'étude scientifique, l'œuvre de conquête abominable. Son ombre audacieuse et féroce se profile sur la désolation des peuples vaincus, accolée à celle du soldat égorgeur et du skylock rançonnier. Dans les forêts vierges, où l'Européen est plus justement redouté que le tigre, au seuil de l'humble paillotte dévastée, entre les cases incendiées, il apparaît, après le massacre, comme, les soirs de bataille, l'écumeur d'armée qui vient détrousser les morts. Digne pendant, d'ailleurs, de son concurrent le missionnaire catholique, qui, lui aussi, apporte la civilisation au bout des torches, à la pointe des sabres et des baïonnettes. »

Et puis, ils sont assez plaisants, ces ultra-patriotes, qui nous assurent que le rayonnement de la pensée française a besoin des missions catholiques. Influence française au point de vue commercial ? oui ! Débouchés, clients, marchés ; quand ces messieurs parlent de la France, c'est de la France capitaliste qu'il s'agit. Mais la nôtre, celle des travailleurs, celle de la laïcité, celle de la démocratie n'ont rien à gagner à la propagation de la foi catholique à travers le monde. N'est-ce pas, d'ailleurs, le pape lui-même, dans une récente Encyclique adressée à ses premiers évêques chinois (oui, ils en ont aussi, eux !), qui nous fournit la meilleure réponse ?

« Le seul nom de l'Eglise catholique, c'est-à-dire universelle, indique parfaitement qu'elle s'adresse à toutes les nations, qu'elle ouvre ses bras à tous les peuples et que, dans son sein, par la divine volonté du Christ, son fondateur, il n'existe aucune distinction, ni de race, ni de peuple. L'Eglise se garde bien de s'immiscer ou de s'engager dans les affaires civiles et politiques, elle n'a jamais toléré que les missionnaires favorisent, par leur action, les desseins ou les intérêts des puissances étrangères. (13 juin 1926.) »

Ainsi donc, l'Eglise n'admet pas la distinction des nationalismes étroits en concurrence sur les marchés du globe. Elle a un rôle plus élevé... Ce n'est pas au service de tel ou tel impérialisme qu'elle se porte (du moins théoriquement), c'est au service d'une doctrine, d'une autorité, d'une institution ayant un caractère manifestement international.

De sorte que le problème des Congrégations, celui, en particulier, des Missions, échappe à l'analyse étroite d'une conception politique nationale. Il est à son niveau sur le plan même du mouvement historique de -la classe prolétarienne, et c'est par l'idéologie socialiste, et par elle seulement, que nous en trouverons une solution satisfaisante et cohérente.

(A suivre.)

Notes :

(1) Il y a actuellement 913 ordres religieux autorisés (dont 4 d'hommes: Lazaristes, Missions étrangères, Spiritains et Sulpiciens). En plus, les congrégations non autorisées, installées en violation de la loi de 1901, sont nombreuses et voici les principales les Capucins, près de Dinard; les Rédemptoristes, à Guiguen (Ille-et-Vilaine), Rennes, les Sables d'Olonne, Montauban; les Carmélites, à Aire, la Tronche (Isère), Bordeaux; les Frères des Ecoles chrétiennes, les Pères de la Compagnie de Marie, les Réparatrices, les Dames des Sacré-Cœur, à Nantes; les Lazaristes, à Alger, Oran, Constantine; les Dominicains (Confrérie du Rosaire, Fraternité du Tiers-Ordre), les Bénédictins, à la Pierre-qui-Vire (Yonne); les Jésuites, à Versailles, Sarlat, Évreux, Poitiers et Paris.

 


 

La commune et l'effort prolétarien

Chapitre 7 de l’Eglise et l’Ecole, Ed. Figuières (1932), réédité par Démopolis (2010).


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Pour supprimer la lutte de classes, il faudrait commencer par supprimer les classes ! Le capitalisme, prisonnier de ses contradictions, ne peut songer à cette solution héroïque. Il identifie ses besoins de classe avec ceux de la société dans son ensemble. Mais il arrive que les exigences de la production différencient la classe dirigeante en sous-classes dont les intérêts s'opposent au moins temporairement. La production industrielle et la production agricole, par exemple, ne se développent pas suivant le même processus. La noblesse terrienne et la féodalité financière n'ont pas les mêmes objectifs, ni la même optique sociale. Enfin les aspirations du prolétariat peuvent coïncider, dans une certaine mesure, et, au moins en apparence avec celles de la bourgeoisie la plus avancée, en période ascendante; mais celle-ci obéit au rythme de la production pour augmenter son profit, tandis que celui-là l'utilise pour hâter sa propre libération économique, dont il connaît le processus.

Ces quelques indications générales vont être vérifiées par l'expérience de la Commune et la naissance des lois laïques.
En ce qui concerne le contenu de l'éducation, on trouve au journal Officiel de la Commune (n° du 20 avril 1871), les textes suivants :

« Les délégués de la société « L'Education Nouvelle » ont été reçus hier par les membres de la Commune, auxquels ils ont remis une requête :
« A la Commune de Paris,
Considérant la nécessité qu'il y a dans une République à préparer la jeunesse au gouvernement d'elle-même par une éducation républicaine qui est à créer ;
Considérant que la question d'éducation, laquelle n'est exclusive d'aucune autre, est la question mère, qui embrasse toutes les questions politiques et agricoles, et sans la solution de laquelle il ne sera jamais fait de réformes sérieuses et durables ;
Considérant que les maisons d'instruction et d'éducation entretenues par la commune ou par le département ou par l'Etat doivent être ouvertes aux enfants de la collectivité, quelles que soient les croyances intimes de chacun d'eux ;
Les soussignés demandent d'urgence, au nom de la liberté de conscience, au nom de la justice :
Que l'instruction religieuse ou dogmatique soit laissée tout entière à l'initiative et à la discrétion libre des familles, et qu'elle soit immédiatement et radicalement supprimée, pour les deux sexes, dans toutes les écoles, dans tous les établissements dont les frais sont payés par l'impôt ;
Que ces maisons d'instruction et d'éducation ne contiennent, aux places exposées aux regards des élèves ou du public, aucun objet de culte, aucune image religieuse ;
Qu'il n'y soit enseigné ou pratiqué en commun ni prières, ni dogmes, ni rien de ce qui est réservé à la conscience individuelle ;
Qu'on n'y emploie exclusivement que la méthode expérimentale ou scientifique, celle qui part toujours de l'observation des faits, quelle qu'en soit la nature, physiques, moraux, intellectuels ;
Que toutes les questions du domaine religieux soient complètement supprimées dans tous les examens publics et principalement dans les examens pour brevets de capacité ;
Qu'enfin les corporations enseignantes ne puissent plus exister que comme établissements privés ou libres.
La qualité de l'enseignement étant déterminée tout d'abord par l'instruction rationnelle, intégrale, qui deviendra le meilleur apprentissage possible de la vie privée, de la vie professionnelle, de la vie politique et sociale - la société l'Education nouvelle émet, en outre, le vœu que l'instruction soit considérée comme un service public de premier ordre - qu'en conséquence elle soit gratuite et complète pour tous les enfants des deux sexes, à la seule condition du concours pour les spécialités professionnelles.
Enfin, elle demande que l'instruction soit obligatoire, en ce sens qu'elle devienne un droit à la portée de tout enfant, quelle que soit sa position sociale et un devoir pour les parents ou pour les tuteurs ou pour la société.
Au nom de la société « l'Education Nouvelle a, les délégués nommés à la séance du 26 mars 1871 à l'Ecole Turgot : Henriette Garotte, J. Manier, J. Rama, Rheimo, Maria Verdure, »

Le Journal Officiel ajoute :

« Il a été répondu aux délégués que la Commune était entièrement favorable à une réforme radicale de l'éducation dans le sens qu'ils indiquaient; qu'elle comprenait l'importance capitale de cette réforme et qu'elle considérait la présente demande comme un encouragement à entrer dans la voie où elle était résolue à marcher. »

Les dispositions prises par certains maires, membres de la Commune, soulignent nettement l'état d'esprit du moment :

Voici par exemple, la décision de Régère, maire du Vème arrondissement (24 avril 1874) :

« Au nom de la liberté de conscience..., il est interdit à l’instituteur de mener ou de faire conduire les enfants à l’église, au temple ou à la synagogue ; il lui est interdit de faire ou de faire faire des répétitions de catéchisme ou de donner des dispenses pour aller aux enterrements religieux. »

Quant au régime juridique institué par la Commune en ce qui concerne les cultes, c’est celui de la séparation complète (dès le 3 avril).

« La Commune de Paris,
Considérant que le premier des principes de la Révolution française est la liberté, que la liberté de conscience est la première des libertés, que « le budget des cultes » est contraire à ce principe, puisqu’il impose les citoyens  contre leur propre foi ; en fait que le clergé a été complice des crimes de la monarchie contre la liberté.
Décrète :
Article 1 : L’Eglise est séparée de l’Etat ;
Article 2 : Le budget des cultes est supprimé ;
Article 3 : Les biens dits de mainmorte appartenant aux congrégations religieuses, meubles et immeubles, sont déclarés propriétés nationales ;
Article 4. - Une enquête sera faite immédiatement sur ces biens, pour en constater la nature et les mettre à la disposition de la Nation.
Signé : La Commune de Paris. »

Enfin, le 12 mai 1871, la délégation de l'Enseignement de la Commune observe : « Bientôt l'enseignement religieux aura disparu des écoles de Paris. Cependant, dans beaucoup d'écoles reste sous forme de crucifix, de madones, le souvenir de cet enseignement. Les instituteurs et institutrices devront faire disparaître ces objets dont la présence offense la liberté de conscience. Tous les objets de cet ordre qui seraient en métal précieux seront inventoriés et envoyés à la Monnaie. »

Ainsi, pendant cette courte période si chargée d'événements, la Révolution prolétarienne triomphante se débarrasse résolument des vestiges de la religion d'Etat, des influences religieuses dans l'éducation, des prérogatives économiques de la classe cléricale. Cette indication confirme, par, sa netteté, les tendances véritables de la classe ouvrière. Ces tendances, même lorsque l'histoire officielle ne les enregistre pas, ont joué un rôle essentiel dans l'élaboration des lois laïques. On a dit que la République n'aurait pas été possible si l'héroïque sacrifice de la Commune n'en avait avancé l'heure. On peut dire que la laïcité de l'enseignement, elle aussi, a été préparée et rapprochée par les initiatives vigoureuses de la première révolution ouvrière.

Le rappel des initiatives et des tendances de la Commune en matière d'éducation est déjà une première rectification à l'opinion courante suivant laquelle c'est à la bourgeoisie libérale exclusivement, ou mieux encore à quelques hommes qu'on doit la législation de 1880-87. En vérité cette législation résulte d'un triple effet : les besoins économiques de la production industrielle, qui exigent une main d'œuvre instruite.

L'idéologie jacobine, prolongeant, à travers les vicissitudes du XIXème siècle le libéralisme d'une classe révolutionnaire en qui la masse des opprimés reconnut longtemps l'initiatrice. L'effort propre du prolétariat en faveur d'une éducation intégrale.

Sur ce dernier point, mal connu, il n'est pas inutile d'apporter quelques documents. Tout le mouvement socialiste antérieur à Karl Marx fait à l'éducation une confiance absolue pour la résolution de la question sociale. Celui que Benoît Malon (1) appelle le doyen du collectivisme, Constantin Pecqueur, devine l'importance de ce facteur de transformation sociale et trace même les grandes lignes de ce qu'on appelle aujourd'hui « l'Ecole Unique ».

« Rendre les degrés inférieurs gratuitement accessibles à tous, et les degrés secondaires accessibles à l'élite des élèves des degrés inférieurs et de même les degrés supérieurs à l'élite des degrés secondaires. »

Et en même temps, le caractère de classe des institutions scolaires est nettement dénoncé par ce précurseur.

« ...Cependant, vous, pauvres, vous avez déjà moins en lumières et en bien-être; c'est pourquoi voici des écoles primaires où vous n'apprendrez pas grand'chose,... entrez... Vous, enfants bien né, vous avez déjà plus de bonheur et de développement ; c’est pourquoi voici des collèges royaux, de hautes écoles de science, de lettres, d’art, entrez. » (2)

Auguste Blanqui, l’admirable figure révolutionnaire, dont on imagine l’existence partagée entre les barricades et la prison, était d’un idéalisme romantique lorsqu’il parlait de l’instruction du peuple :

« Les communistes n’ont à espérer l’approximation de leur idéal que de la diffusion de l’instruction. Il y a eu à toute époque des théories communistes. Cela se conçoit. De grandes intelligences peuvent y deviner l’idéal de l’organisation sociale. L’application a toujours échoué contre l’ignorance, les Lumières sont la condition « sine qua non » du communisme. Il ne devient possible que par elles, il en est la conclusion obligée ». (3)

A la fin de l’Empire, les objectifs qu’il propose sont aussi précis que limités :

« Les travailleurs n’ont donc en ce moment qu’une marche à suivre : réunir leurs efforts pour se garantir contre l'autocratie du capital, puis pour obtenir
1- La liberté complète de la presse, sans entraves fiscales, sans répression draconienne; la liberté de  réunion et d'association ; la liberté du colportage ;
2- L'affectation annuelle d'une somme de 500 millions à l'instruction publique » (4)

Dans les congrès ouvriers de cette période de réorganisation prolétarienne, la même revendication tient une place éminente.
On sait que les expositions internationales, nées de l'extension de la production industrielle, ont favorisé la naissance et le développement des organisations ouvrières : en 1862, Napoléon III envoie à Londres 750 délégués ouvriers et c'est à la suite de cette rencontre que l'Internationale est créée. En 1867, l'Exposition a lieu à Paris, il y a encore des délégués officiels mais déjà, des délégués libres, dont Eugène Varlin (5) , participent aux travaux. En 1873, 105 délégués participent à l'exposition ouvrière de Vienne et voici les conclusions concernant l'instruction professionnelle, et générale

« Organiser :
1- l'instruction et l'éducation professionnelle pour assurer l'enfant arrivant à l'âge d'homme, sa liberté d'abord, et ensuite les moyens de rendre à la société les services qu'il en a reçus ;
2- L'Instruction et l'Education générales indispensables au développement de ses facultés morales et intellectuelles, et à la connaissance de ses droits et de ses devoirs envers la société.
Aidé de ces deux leviers, le prolétariat pourra bientôt, nous en avons le ferme espoir, prendre la place qui lui appartient, dans l'ordre social, et, soulevant les obstacles qui s'opposent à son entier développement, s'épanouir libre et digne, à la surface de la civilisation » .(6)

Au Congrès ouvrier de Paris (2-10 octobre 1876), c'est le professeur Auguste Desmoulins (7) qui rapporte sur la 4ème question et qui fait adopter ses conclusions en faveur d’une « éducation nationale laïque, obligatoire et gratuite, à tous les degrés».
Nous pourrions multiplier les exemples et justifier plus fortement encore notre affirmation : la classe ouvrière, prenant conscience d'elle-même, aspire de toutes ses forces à une éducation professionnelle et générale aussi complètes que possible. (8)

Notes :

1 Benoît Malon est un militant ouvrier, communard, journaliste et écrivain (1841-1893) En février 1871, Benoît Malon fut élu député, socialiste révolutionnaire, de la Seine mais démissionna, avec Victor Hugo et d'autres députés républicains, pour protester contre la cession de l'Alsace-Lorraine.
Le 26 mars il est élu au Conseil de la Commune et maire de l'arrondissement des Batignolles dont il organisa la défense pendant la Semaine sanglante. Il siège à la commission du Travail et de l'Échange, et vote contre la création du Comité de Salut public. Après la Semaine sanglante, il s'exila à Lugano, en Suisse, puis en Italie où il participa au mouvement ouvrier. En décembre 1871, il adhère à la Fédération jurassienne de tendance bakouniniste. Il publie La Troisième défaite du Prolétariat français.
Rentré en France après l'amnistie de 1880, Benoît Malon présida le congrès socialiste de Saint-Etienne (1882)qui vit la rupture entre réformistes (possibilistes) menés par Paul Brousse, dont il faisait désormais partie, et guesdistes (marxistes). Socialiste indépendant, il fut le fondateur, avec Elie Peyron et le premier directeur, de 1885 à sa mort, de La Revue socialiste qui fut ouverte à toutes les tendances du socialisme français. Il publia de nombreux ouvrages, dont Le Socialisme intégral (1891) qui influença toute une génération de militants et dans lequel il défend la création d'un Ministère de l'Assurance sociale.
2 Constantin Pecqueur, 1839
Additif RD Pecqueur
3 Blanqui, Critique Sociale, t II, p.70
4 Id. (1869).
5 Cf. Rapport d'ensemble publié chez Mme veuve Motel. 83, rue Bonaparte, Paria.
7 Desmoulins, Auguste, professeur, militant républicain et franc-maçon, procrit par Napoléon III en 1863.
8 Quelques-uns, comme les « collectivistes rationnels », réunis dans le « Cercle d'études philosophiques et sociales » (1876-1886), demandant «l'éducation physique et le développement intellectuel intégral, avec un égal soin, de tous les enfants, jusqu'à leur majorité ».
Voir la question de l’enseignement professionnel : ce qui est posé comme premier ce n’est pas l’enseignement du savoir-faire mais l’enseignement général, lié au savoir-faire.


 

Extrait principal de la résolution unanime du congrès de Nancy de la SFIO  sur la question de la laïcité

9-12 juin 1929


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…Dans sa bataille quotidienne, le socialisme trouve devant lui l’Eglise, hostile de même qu’à partir de la révolution française, l’Eglise s’est alliée aux adversaires des droits de l’homme, de la République et de la démocratie, que la papauté n’ a pas cessé de les condamner en principe et le clergé de les combattre en fait, de même elle a fait un pacte dès la naissance du socialisme avec le grand capitalisme.

Le capitalisme a mis sa puissance au service des prétentions cléricales; l’Eglise a mis son pouvoir au service du privilège capitaliste. Tels ils se trouvent toujours étroitement associés dans la commune résistance aux aspirations populaires, tels ils s’unissent en Italie pour asservir le peuple à la double contrainte de l’oppression dictatoriale et de la tutelle cléricale, tels on les voit en France s’appuyant l’un sur l’autre, poursuivre ensemble la conquête du pouvoir politique, peser ensemble sur leurs communs intérêts sur les gouvernements, les assemblées, la presse et le corps électoral, enfin s’assurer ensemble, par la pression et la menace, la soumission des individus et des familles qu’ils tiennent à leur merci.

Pour toutes ces raisons tant doctrinales que politiques, le PS est anticlérical, c'est-à-dire au sens propre du terme, résolument opposé aux empiétements de l’Eglise sur tout ce qui n’est pas du domaine de la conscience. Le PS est anticlérical en tant qu’il rencontre l’Eglise dans toutes les entreprises de réaction politique et de conservatisme social. L’anticléricalisme pour lui, loin d’être raillerie mesquine ou persécution sectaire, signifie au contraire défense de la liberté pour tous, protection assurée de tous, contre toutes les forces coalisées de contrainte et devient une forme de sa lutte de classe.

 


 

 

La guerre sous la direction de notre bourgeoisie? A aucun prix! Par Marceau Pivert

Intervention de Marceau Pivert au congrès de Mulhouse de la SFIO, juin 1935.


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LE PRESIDENT. – (…) Je donne maintenant la parole à notre camarade Marceau Pivert.

Une voix. – Il est encore de la Seine!

MARCEAU PIVERT. – Je suis prêt à me retirer si le Congrès le désire, mais je pense qu’il n’est pas inutile de préciser ici la position des camarades qui ont voté contre le Rapport du Groupe parlementaire. Notre vote a le sens d’une protestation. En effet, pendant qu’on refuse de consulter le Parti, celui-ci s’est engagé dans une politique que mon ami Zyromski approuve sans doute, mais que l’ensemble du Parti ne peut pas approuver, attendu que le problème ne lui a pas été posé.

Nous protestons contre cette situation. Et nous nous désolidarisons immédiatement des conclusions qu’ont tirées nos camarades trotskystes. S’il y a désaccord au sein de la Bataille socialiste sur le problème de la Défense nationale, ce n’est pas d’aujourd’hui.

L’HEVEDER. – Cela ne nous intéresse pas, cette histoire-là!

MARCEAU PIVERT. – L’Hévéder me fera l’amitié de penser que puisque tout à l’heure il applaudissait Zyromski, il n’est pas tout à fait indifférent à nos positions respectives.

Aussi bien, autant il y a de discordance sur une question qui n’est pas à l’ordre du jour du Congrès (ce contre quoi nous protestons), autant tout à l’heure, et demain, vous constaterez notre solidarité complète sur la motion concernant la conquête du pouvoir, présentée par la « Bataille socialiste ». (Quelques applaudissements.)

C’est donc maintenant une protestation que nous apportons ici. Mais cette protestation, je veux la préciser. Nous condamnons des attitudes qui expriment une politique qui ne peut pas être celle du Parti socialiste. Je ne reprendrai pas ce qu’on a dit; ce que nous avons dit à la C.A.P. contre la défense passive; ce que nous avons dit à propos du fameux passage du discours de Léon Blum, ce que nous n’approuvons pas; ce que nous avons dit également à propos d’un certain nombre d’attitudes du Groupe parlementaire qui semblent laisser intégrer le Parti socialiste dans la politique internationale de notre bourgeoisie comme le vote des accords de Rome. En protestant contre tout cela, nous jugeons que c’est l’expression d’une politique fausse dont les événements internationaux sont en train de préparer la faillite. Alors, ici, nous nous séparons nettement d’un certain nombre de camarades et nous prenons date; car enfin, et surtout depuis la déclaration de Staline, il y a des événements et des renversements sur lesquels il faudra bien que le Parti se prononce.

Voici notre position en quelques mots qui sont surtout un appel pour que les travailleurs, non seulement dans le Congrès, mais en dehors du Congrès, nous entendent.

Nous ne sommes pas non plus d’accord avec nos camarades trotskystes, qui traduisent les paroles de Staline comme une trahison pure et simple, et qui font aujourd’hui de l’antibolchevisme. Nous ne voulons pas faire cela. Il y a un grand pays que nous voulons défendre, nous aussi; nous ne confondons pas… (applaudissements) … nous ne confondons pas la Russie des Soviets, son édification, ses créations, avec Staline, et si… (applaudissements de Molinier)… et si le problème de la défense de l’U.R.S.S. se pose, et si vous devez, en conscience, le résoudre, c’est parce que, camarades, il y a actuellement un grand trouble dans la classe ouvrière; mais nous ne voulons pas que ces difficultés sur lesquelles la classe ouvrière n’est pas d’accord – elle n’était pas d’accord bien antérieurement à notre pays, elle est encore plus en désaccord maintenant, internationalement – ces questions dites de « défense nationale », nous ne voulons pas qu’elles soient des obstacles à la reconstitution de l’unité ouvrière, nous ne voulons pas qu’il y ait préalablement à la reconstitution de l’unité ouvrière, des conditions, des chartes à signer ou des idéologies à imposer à ce sujet; nous constatons que notre désaccord avec ceux de nos camarades qui voudraient faire passer l’unité par le canal d’un certain nombre de principes; même si nous sommes d’accord avec les principes, nous voulons que l’unité organique soit recherchée coûte que coûte, en dépit du divorce considérable qu’il y a actuellement entre la nouvelle position de l’Internationale communiste et celle de l’Internationalisme prolétarien en lutte contre la guerre. L’unité d’abord, et à l’intérieur de l’unité, eh bien! nous défendrons notre position que je résume ici en deux mots: La guerre sous la direction de notre bourgeoisie? A aucun prix, sous aucun prétexte, jamais! (Applaudissements.) Oui, à aucun prix, sous aucun prétexte; ce que nous reprochons à nos camarades, c’est de ne pas être restés fidèles à la motion que nous avons signée en commun à Tours; nous n’avons jamais accepté d’examiner le cas où un prétendu agresseur hitlérien entrerait sur notre territoire; car, camarades, cela laisse penser implicitement que nous passons l’éponge sur les responsabilités effroyables de notre bourgeoisie capitaliste, depuis Poincaré jusqu’à Tardieu, qui sont aussi coupables qu’Hitler d’avoir conduit la France dans la situation où nous sommes! (Applaudissements.) Les agresseurs, les coupables, sont dans les deux camps, c’est notre régime, c’est notre bourgeoisie qui n’a pas voulu appliquer les traités régulièrement signés, qui n’a pas voulu désarmer, qui n’a pas voulu répondre à l’appel profond des peuples exigeant la paix, des peuples qui ont été trahis; aussi bien nous mettons ces régimes dans le même sac, et notre premier postulat pour la lutte contre la guerre, c’est qu’à aucun prix nous ne nous laisserons museler, juguler, domestiquer ou intoxiquer! Non, sous aucun prétexte nous n’accepterons l’idée de la guerre!

Camarades, ceux qui pensent que l’on peut encore imaginer une invasion de territoire, que l’on peut encore imaginer même un départ, avec un sac qu’on se mettrait sur le dos, savent-ils que c’est en une nuit que des centaines d’avions, des centaines de gaz et des milliers de bombes au phosphore peuvent réduire en cendres les grandes cités et entraîner le meurtre collectif de populations énormes? Savent-ils que quelques minutes après, de l’autre côté, dans d’autres pays, d’autres destructions effroyables seront déclenchées? Savent-ils qu’en même temps ce sera partout une panique comme jamais l’humanité n’en a connue, camarades! Ne sentez-vous pas qu’à ce moment-là, toutes les forces de coercition, tout ce qui maintient la stabilité de l’État bourgeois, tout cela sera ébranlé, tout craquera, tout sera démoli! Nous voulons que le Parti socialiste, dans tous les pays capitalistes, soit précisément l’animateur de la lutte contre la guerre, de manière à saisir l’occasion, à ce moment-là, pour briser les cadres du régime capitaliste, conquérir le pouvoir et faire la paix. (Applaudissements.)

Camarades, ce sera mon dernier mot: Unité organique, malgré les paroles de Staline! Unité et lutte contre la guerre, à tout prix, par la révolution. Le gouvernement des Soviets voit la situation de son point de vue. Nous avons le devoir, nous, de la voir du nôtre, et nous n’acceptons pas de confondre l’intérêt de l’Internationale prolétarienne avec un système provisoire d’alliances d’ailleurs extrêmement fragile! Vous savez, on nous a dit à un moment donné: « Le soldat polonais, c’est l’avant-garde de la civilisation », et c’est un homme qui était encore dans le Parti, qui disait cela! Oui, mais la Pologne est passée à Hitler! On a signé des accords avec Mussolini, mais peut-être Mussolini n’est pas loin de passer de l’autre côté, à moins qu’on lui laisse les mains libres en Éthiopie. Ces marchandages de la bourgeoisie, nous ne pouvons pas permettre que le socialisme y ait une part quelconque, et c’est pourquoi nous crions non seulement au Parti, mais au-delà du Parti, à tout le prolétariat de France: Unifiez-vous, faites un grand parti révolutionnaire, et à l’intérieur de vos organisations unifiées, luttez contre la guerre par tous les moyens, et puisque d’autre part il faut considérer la Russie des Soviets comme un point de mire pour le capitalisme international: défendons la Russie des Soviets! Mais défendons-la non pas en nous laissant embrigader par notre état-major, pour aller nous battre contre les prolétaires allemands; défendons-la par le seul moyen qui nous reste: par la conquête du pouvoir dans notre pays, et par la révolution internationale. (Vifs applaudissements.)


 

Le texte manifeste des néo-socialistes.

Il faut s’entendre ! par Marceau Pivert

Tribune libre de Marceau Pivert dans le Populaire du 27 juillet 1933.


 

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Ainsi donc, on s’occupe du socialisme… Tout le monde est gagné par la contagion… Les classes moyennes se tournent vers le socialisme… Certaines catégories de la classe dirigeante n’y sont pas insensibles non plus. La nation devient socialiste; la démocratie devient socialiste; la jeunesse devient socialiste. Le tout est de savoir exactement de quoi l’on parle ! Et la grande presse, surtout celle de gauche, de monter en épingle le trio néo-socialiste Marquet-Montagnon-Déat. Et d’admirer les audaces vertigineuses de ces constructeurs sans peur sinon sans reproche…

Permettez, camarades ! Voici déjà un symptôme qui doit éveiller l’attention d’un socialiste tout court: Comment expliquer que ces hommes politiques, que ces journaux politiques, que ces « démocrates » soient si empressés à vous louanger ? Ce sont bien les mêmes qui, lorsque le groupe parlementaire défend à la Chambre les contre-projets socialistes, acceptent ou encouragent les multiples lâchages de la pseudo majorité ? Sur le contre-projet Auriol de redressement financier, sur la suppression des périodes de réserve, sur l’office du blé et la fixation d’un salaire minimum pour les ouvriers agricoles, où étaient ces beaux messieurs ? Ils étaient contre ! Ils le restent ! Première cabriole: Ils applaudissent des discours et des intentions dans la mesure où cela les rassure contre le socialisme tout court. Attention au lendemain: Ou bien vous serez fidèles au programme de socialisation… et alors vous verrez VOS journaux changer de ton… ou bien vous trahirez purement et simplement, et alors les cartes seront abattues et le jeu sera clair.

Deuxième symptôme. Cette révolution nationale, qu’attendez-vous pour la faire ? Depuis un an vous tenez à la fois, camarades de la majorité du groupe parlementaire, et le sort des gouvernements dans vos mains et la volonté du Parti en échec… Où est le résultat de « votre » politique, que le Parti vient de désavouer solennellement ? Crédits militaires ? Fonds secrets ? Budget bourgeois ? Tout cela est évidemment utile… mais pour la sécurité du régime capitaliste. Est-il là ce que vous entendez par socialisme dans le cadre national ? L’heure de la conclusion logique d’une telle obstination approche. La tirerez-vous vous-mêmes ? Faudra-t-il vous y aider ?
Car enfin il y a une aberration insupportable dans cette nouvelle position « doctrinale » (?). Les classes moyennes sont en mouvement. Et pour les suivre vous n’hésitez pas à quitter le terrain de classe du prolétariat… Voilà qui est inquiétant.

– Mais non ! proteste cet excellent Montagnon, « nous savons que la classe ouvrière est l’élément principal essentiel« , écrit-il dans l’Oeuvre du 25 juillet.
– Simple affirmation; car ce qui compte, pratiquement, c’est de se soumettre à la volonté de cette classe ouvrière organisée. Et celle-ci s’exprime dans nos Congrès. Ne pas se soumettre aux décisions des Congrès, c’est effectivement mépriser « l’élément principal essentiel » . A moins d’opposer les inorganisés au Parti… Mais alors, le bolchevisme n’est pas où on le suppose !
– Seule notre conception syndicaliste peut sauver les classes moyennes, dit-on encore.
– Non, Montagnon, ce n’est pas votre conception, c’est la FORCE OUVRIÈRE qui jouera le rôle décisif. Écoutons ensemble la voix des travailleurs syndiqués et nous chasserons sans peine les billevesées qui sont, dans le mouvement ouvrier le reflet des inquiétudes des classes menacées.

Est-ce à dire que la volonté de combat soit le privilège de nos néo-socialistes ? La presse bourgeoise s’est bien gardée de faire connaître les moyens de lutte directe immédiate qui ont été proposés au Congrès par presque tous les orateurs ! Contre le fascisme, contre la guerre, pour les actions communes, sur le terrain de classe, avec les partis prolétariens, des idées aussi audacieuses, aussi claires, ont été exprimées. Elles seront portées à la Conférence internationale. Elles se traduiront dans des résolutions accentuant l’opposition de tous les prolétariats à tous les révisionnismes et à toutes les formes de fascisme. Elles marqueront le désir de passer à l’offensive générale.

« Nous constituerons des équipes nouvelles » , écrit Montagnon.

Qu’est-ce à dire ? S’il s’agit de lier plus étroitement que jamais syndicats et partis ouvriers dans la lutte commune, d’accord; mais c’est peut-être autre chose. Une autre équipe gouvernementale mieux outillée pour mater la classe ouvrière ?

Alors qu’on se le tienne pour dit: Dans nos sections, dans nos syndicats, dans nos groupes de défense et dans nos jeunes gardes existent des énergies qui sauront coordonner leurs efforts, résister à tous les assauts et, sur le roc du front international de classe, qui se préparent aux gestes décisifs.

État fort ? Autorité ? Ordre ? Économie dirigée ? Formule à double entente. Parlons clairement: Les travailleurs ne doivent compter que sur eux-mêmes, faire leur besogne eux-mêmes, diriger eux-mêmes l’économie internationale socialisée, organiser eux-mêmes leur sécurité de classe. Et refaire eux-mêmes le plus vite possible, leur unité révolutionnaire. Si c’est cela que veulent certains de nos camarades, pourquoi commencent-ils par s’insurger contre le Parti ? Pourquoi s’obstinent-ils à suivre dans son naufrage un radicalisme qui a donné toute la mesure de son impuissance ?

Oui, Déat, crions notre volonté de vivre le socialisme et de le faire, mais un socialisme qui effraye la bourgeoisie et qui dresse contre nous la haine de tous ceux qu’il menace… non pas un néo-socialisme (?) adapté aux besoins des classes dominantes et auquel toutes les feuilles capitalistes ouvrent largement leurs colonnes!


 

Deux militants syndicalistes tunisiens persécutés, par Marceau Pivert

Paru dans Le Populaire du 30 août 1932.

Illégalement condamnés, ils se voient refuser l’amnistie…


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Depuis 1925 deux militants syndicalistes tunisiens sont exilés pour avoir fondé des syndicats! Sous prétexte de « complot contre la sûreté de l’État » on a frappé de bannissement six hommes coupables d’avoir voulu organiser leurs frères de misère. Ils ont fondé la Confédération générale du Travail tunisienne, comprenant surtout des travailleurs indigènes et demeurée dans l’autonomie par rapport à la C.G.T. et à la C.G.T.U. Trois condamnés ont terminé leur peine. Des trois autres, chassés pour dix ans, non seulement de Tunisie mais aussi de France, l’un Mohamed Ali, est mort. Les deux survivants sont Moktar el Ayari et Finidori.

Moktar el Ayari est un vieux militant du syndicat des tramways qui a déjà été retenu en prison en 1922 lors du « complot » monté par Millerand. On n’a rien pu relever contre lui à ce moment. C’est d’ailleurs un « ancien combattant » titulaire de la croix de guerre ! « Il se fit remarquer au retour par ses idées extrêmement avancées » écrit le procureur. Révoqué, il est nommé secrétaire du syndicat. « Pourquoi, après avoir combattu, pour la France pendant la guerre, luttez-vous maintenant contre elle? » lui demanda le procureur. Car lutter contre la Compagnie des tramways de Tunis, QUI EST UNE COMPAGNIE BELGE!, c’est lutter contre la France! !

Finidori a été employé municipal, puis gérant de L’Avenir Social, journal « syndicaliste-communiste », qualifié d’ « individu dangereux » et présenté comme un « communiste notoire et convaincu ». On l’accuse d’avoir été le destinataire d’une lettre adressée par l’ « Union Mondiale de combat en faveur de l’égalité des races ». Cette lettre ne lui est jamais parvenue puisqu’il était incarcéré et qu’on la lui a confisquée…

Il a fallu une véritable forfaiture pour affirmer que les accusés avaient eu « une résolution d’agir, concertée et arrêtée ayant pour but de détruire ou de changer la gouvernement, ou d’exciter les citoyens ou habitant à s’armer contre l’autorité du protectorat… etc. » La seule action, la seule résolution d’agir en commun qu’on puisse établir c’est celle de grouper les travailleurs dans leurs syndicats pour la défense de leurs moyens d’existence…

Voilà le crime qu’expient deux militants !

Or, l’amnistie a été votée pour les cléricaux alsaciens, sous la dernière législature. Ils avaient été condamnés en vertu des articles 87 et 89 du Code pénal. Les syndicalistes tunisiens l’ont été en vertu de l’article 91. On pouvait espérer que le projet déposé par le gouvernement Herriot rectifierait sur ce point l’amnistie Tardieu. La déclaration ministérielle ne contient-elle pas un engagement précis? « Profondément attachés au respect de toutes les libertés syndicales, etc… » Eh bien! non! Le projet d’amnistie a oublié les fondateurs de la Confédération générale du Travail tunisienne. Moktar et Finidori ne constateront, dans leur exil, aucune différence entre Herriot et Tardieu!

Soit! Mais le groupe socialiste au Parlement ne laissera pas s’accomplir ce deuxième geste de classe. Il déposera un amendement en faveur des condamnés frappés par application de l’article 91. Il exigera au besoin un vote public et les syndicalistes pourront compter alors ceux qui sont effectivement « respectueux des libertés syndicales ».


 

Anticléricalisme prolétarien

1932

Article non signé paru dans Le Populaire du 15 mars 1932.


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Ne pouvant retracer ici dans tous ses détails la démonstration continue à laquelle procède dans son si intéressant ouvrage notre camarade Marceau Pivert (L’Eglise et l’Ecole, Figuière  édit.), nous voudrions insister quelque peu sur la thèse centrale ; la religion est-elle, peut-elle être, pour un socialiste, et pour le parti socialiste, une « affaire privée » ?

Marceau Pivert ne croit pas qu’il soit possible de s’organiser sur le plan prolétarien, et d’entreprendre une action vraiment socialiste, sans risquer tout au moins de perdre la « foi de nos pères ». Il n’accepte pas que l’on dissimule ce risque aux ouvriers croyants que les propagandistes appellent à cette action collective. Et ces propagandistes ne peuvent non plus dissimuler l’effort antagoniste développé par l’Église contre le socialisme. Le prolétariat a notamment besoin d’une laïcisation intégrale de l’enseignement. C’est pour les socialistes chrétiens que la religion est en effet affaire privée : elle ne saurait l’être du point de vue de l’action collective du socialisme organisé.

« Marx a d’ailleurs vivement critiqué cette formule de Goerter. On pourrait sans doute la comprendre, bien logiquement, comme un réflexe de défense des prolétaires à qui un régime politique oppressif voulait imposer une autre religion que la leur. En ce cas, elle signifie : « Laissez-moi libre de choisir ma religion. » Elle n’a plus le même sens si, au sein du mouvement socialiste, elle permet de contrarier plus ou moins directement l’effort d’éducation nécessaire, la rupture de solidarité avec tout l’appareil idéologique utilisé par la bourgeoisie.

Donc, une éducation laïque, une philosophie matérialiste, une conception de la liberté qui signifie une conscience claire des déterminismes mis en jeu, telles sont les directions vers lesquelles semble s’orienter le- mouvement socialiste. Non pas antireligieux, mais areligieux. Non pas  « laïciste », mais intégralement laïque. Non pas persécuteur, mais décidément persuasif, propagandiste et militant.

Sur tous ces points, l’effort socialiste rencontra la volonté obstinée de l’Église qui veut lui barrer la route. Conséquence du phénomène fondamental qui oppose des forces de perturbation et de transformations sociales à des forces de conservation de l’ordre social. Ni en théorie, puisque la religion exprime un besoin de conservation des valeurs, ni en fait puisque la lutte se déroule sous nos yeux, on ne peut donc nier l’existence d’un véritable anticléricalisme prolétarien, on ne peut admettre, comme règle générale, que la religion soit une affaire privée. » (Pages 205-206.)

Cette thèse de Marceau Pivert, fortement étayée, ne peut manquer de fournir l’occasion de discussions particulièrement utiles et intéressantes. Les sections feront bien d’y songer lorsqu’elles seront en quête de sujets de conférences.