Pierre Fougeyrollas

Pierre Fougeyrollas (1922-2008)

 


Sommaire

 

Introduction : psychanalyse et marxisme

 

1-l'heritage de Freud et ses limites

2-l'obscurantisme lacanien

3-Quelques problèmes pédagogiques actuels

 

4-Conclusions

 

5-Extraits de la discussion

 

6-Reponse de Pierre Fougeyrollas

 

 

 

 

 

 

 

 

PSYCHANALYSE FORMATION DE LA PERSONNALITE ET EDUCATION

(Le texte de cette conférence de Pierre Fougeyrollas (1922-2008) est tiré d’une brochure de la Selio Arguments N°3 de 1976. C’est l’année où l’auteur, alors militant de l’OCI, publie un livre intitulé Contre Levi Strauss Lacan Althusser, chez l’éditeur Savelli-Rome)

(disponible au format pdf)


 

 

 

 

INTRODUCTION : PSYCHANALYSE ET MARXISME

Il faut partir des faits actuels, c'est-à-dire de l'importance considérable de la psychanalyse autour de nous et de la complaisance avec laquelle elle est utilisée dans la société capitaliste.

Secondairement ou complémentairement, il faut savoir que la psychanalyse a fait l'objet d'une interdiction complète de la part de la bureaucratie stalinienne. Trotsky écrivait, ce propos : « La tentative de déclarer la psychanalyse incompatible avec le marxisme et de tourner le dos sans cérémonie au freudisme est trop simpliste ou plutôt trop simplette. »

Le rôle joué par la psychanalyse non seulement dans certaines pratiques médicales mais encore dans les recherches sur la formation et le développement de la personnalité contemporaine nous amène à nous interroger sur la part scientifique et sur la part idéologique dans le mouvement psychanalytique.

Nous essaierons de répondre à cette interrogation en nous plaçant du point de vue du marxisme. Rappelons que, selon l'expression de Lénine, « le marxisme n'est pas un dogme, mais un guide pour l'action ». Et rappelons que, selon Trotsky, « le marxisme est l'expression consciente du processus historique inconscient ».

Or la psychanalyse apparaît, à ses origines, comme une tentative d'exploration et d'expression consciente des processus inconscients du psychisme, et, on pourrait dire, des processus inconscients de la formation et du développement de la personnalité. Il y a donc une certaine analogie, c'est-à-dire une analogie limitée, entre les démarches qui sont à la source du marxisme, et les démarches qui sont à la source de la psychanalyse. J'ai dit : une analogie limitée, car si Marx, à partir de l'apparition du prolétariat sur la scène de l'histoire, développe une théorie complète de l'idéologie, si Marx aboutit, entre 1845 et 1848, à la découverte du matérialisme historique, il n'en va pas de même pour Freud. Ses découvertes s'Inscrivent dans un horizon idéologique borné, celui de la bourgeoisie, et de la petite bourgeoisie européenne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Nous reviendrons sur ce qu'il peut y avoir d'analogique et sur les limites de cette analogie dans cet exposé.

Ajoutons, toutefois, qu'une autre forme d'analogie peut être également saisie entre, d'une part, la dégénérescence actuelle générale de l'idéologie bourgeoise et, d'autre part, la trahison du marxisme dans le stalinisme et par le stalinisme.

Il faut donc sortir du faux débat, de la fausse confrontation entre une psychanalyse qui, comme celle de Lacan, est une trahison éhontée du freudisme, et le stalinisme qui est le contraire du marxisme à travers une terminologie pseudo-marxiste. Car au-delà du débat entre l'idéologie réactionnaire obscurantiste lacanienne et l'idéologie bureaucratique contre-révolutionnaire des appareils staliniens se posent les vrais problèmes de l'appréciation du mouvement psychanalytique par l'analyse marxiste.

Nous entreprendrons cette tâche en examinant successivement :

1. L'héritage de Freud et ses limites,
2. L'obscurantisme lacanien,
3. Quelques problèmes pédagogiques actuels.

 

1-L'HERITAGE DE FREUD ET SES LIMITES

 

L'œuvre de Freud est une œuvre composite. Dans cette œuvre de Freud s'opposent des tendances matérialistes, scientifiques et des tendances idéalistes, idéologiques. Il faut savoir que Freud a commencé sa carrière intellectuelle par la chimie. Puis, pour des raisons de réussite sociale, de difficultés traversées dans la Vienne de la fin du XIXe siècle, il s'est orienté vers la pathologie, notamment la pathologie des maladies mentales. Mais dans une lettre à son ami Fliess, postérieure à la découverte de la psychanalyse, Freud dit qu'il est convaincu que, dans l'avenir, les troubles de la sexualité pourront être guéris par des moyens biochimiques, mais que, comme pour l'instant on ne dispose pas de ces moyens, en attendant, il faut bien faire quelque chose. Aussi la psychanalyse serait-elle, dans l'esprit de Freud, une solution d'attente, faute de moyens biochimiques qui l'emporteront un jour. Nous sommes là devant un matérialisme médical. Nous ne sommes pas devant un matérialisme dialectique. La société n'entre pas en jeu. C'est un matérialisme de médecin de la fin du XIXe siècle. Mais ce matérialisme de la fin du XIXe siècle, chez les médecins de cette époque, apparaît comme infiniment éclairé par rapport à certaines productions et sous-productions idéologiques actuelles dont nous aurons à parler tout à l'heure. Donc la psychanalyse, c'est le détour qu'il a fallu faire, faute d'avoir des moyens biochimiques destinés à guérir les troubles psycho-sexuels. Pour essayer d'évaluer l'importance des tendances matérialistes et des tendances idéalistes dans l'œuvre de Freud, je vous propose de considérer que, dans cette œuvre, il y a trois périodes :

 

 

1. une période allant de 1895 à 1914 ; 1895-1900: découverte de la psychanalyse ; 1900-1914 : affirmation de la psychanalyse et aussi construction d'une société de psychanalystes, enfin conquête d'un public en Autriche, en Allemagne et ensuite en direction des Etats-Unis ;

2. une période allant de 1914 à 1934: période où la psychanalyse a déjà triomphé dans un certain nombre de secteurs, et où Freud va développer sa théorie de la structure de la personnalité ;

3. une dernière période allant de 1934 à 1939: c'est une période tragique : Freud est atteint d'un cancer de la mâchoire dont il mourra, et il y a un cancer de caractère historique qui déborde la personne de Freud, c'est l'hitlérisme, lequel hitlérisme va envoyer ses troupes à Vienne. Freud et les amis de Freud devront payer une rançon très élevée aux nazis pour qu'il puisse achever sa vie, pour qu'il puisse aller mourir à Londres.

Si nous reprenons rapidement ces périodes : dans la 1ère période, Freud découvre la réalité du psychisme inconscient, mais il la découvre, non pas à travers une spéculation, non pas à travers un développement métaphysique. Freud en arrive à l'hypothèse de l'inconscient dans son expérience de thérapeute, dans son expérience de médecin, tentant de guérir certaines maladies mentales. C'est à partir des symptômes névrotiques, des rêves et des actes manqués que Freud se livre à l'hypothèse de l'existence d'un psychisme inconscient, plus important que le psychisme conscient et lui servant en réalité d'infrastructure.

Et dans le même temps, en liaison étroite avec sa thérapeutique, Freud est amené à découvrir que le contenu de ce psychisme inconscient est sexuel, c'est-à-dire lié aux états d'une vie sexuelle qui commence à la naissance et non pas à la puberté, en tant que processus à travers lequel l'individu se construit comme personnalité singulière en relation avec une certaine recherche de la jouissance. Les grandes découvertes de Freud on les voit déjà apparaître dans L'interprétation des rêves (1900). Les grandes découvertes de Freud sont les découvertes de cette période : c'est la fondation de la psychanalyse qui représente une percée vers une saisie scientifique des processus psychiques.

 

 

Il est intéressant d'évoquer, à propos de cette première période, le concept de refoulement, parce que ce concept va jouer un rôle à travers les diverses étapes de la carrière intellectuelle de Freud. Lorsque Freud se trouve en présence de l'inconscient dans le traitement de ses malades, notamment de ses grandes névrotiques, il se pose le problème de la genèse de cet inconscient. D'où vient-il ? Freud, dans un certain nombre des textes de L'interprétation des rêves, de L'introduction à la psychanalyse et des Trois essais sur la théorie de la sexualité, répond que l'individu, à la naissance, est doté d'un ensemble de pulsions, c'est-à-dire d'un équipement animal. La société, dans laquelle il se trouve que nous sommes insérés, cette société, à travers l'organisation familiale, exerce sur nous un certain nombre de pressions. On va nous contraindre dans l'exercice de nos instincts alimentaires, excrétiques, sexuels, et ces pressions de la société exercées par la mère, par le père vont être intériorisées ; Freud dit même introjetées par la personnalité en formation, de telle sorte que nous n'aurons plus besoin du gendarme parental et que nous deviendrons notre propre gendarme. Dans cette interaction de la société avec ses pressions et de la nature avec ses pulsions, Freud fait de la dialectique sans le savoir, comme tous ceux qui ont fait une recherche scientifique véritable. Et cette dialectique fait que Freud dépasse le niveau du matérialisme purement médical puisqu'il fait intervenir la relation société-nature. Alors l'inconscient, c'est au fond le produit du refoulement, c'est-à-dire l'effet de ce processus à travers lequel la société fait obstacle, par exemple, à nos pulsions incestueuses, homosexuelles ou même hétérosexuelles, mais d'une manière telle que nous n'en avons pas conscience. Le refoulement est lui-même un processus inconscient générateur de l'inconscient. Donc l'inconscient n'est pas énigmatique chez Freud, il n'est pas mystérieux. On pourrait dire qu'il y a inconscient parce qu'il y a société. La base réelle de l'inconscient c'est l'exploitation de l'homme par l'homme et la répression des forces vitales qui en résulte, bien que Freud n'aille pas jusque-là.

 

 

2e étape : 1914-1934: on admet qu'il y a un tournant en 1914 dans l'œuvre de Freud avec l'article « Introduction au narcissisme ». Voici très brièvement de quoi il s'agit. Dans la 1ère période (1895-1900), Freud dit : il y a l'instinct sexuel (libido) et aussi un instinct du moi, de l'intérêt, un instinct de conservation. Bien entendu, toutes les œuvres de cette période montrent que la puissance de la libido l'emporte de loin sur la puissance de cet instinct de conservation, de cet intérêt. Mais Freud pense qu'il existe, juxtaposé dans l'inconscient à la libido. En 1914, Freud constate que, en fait, la libido peut se manifester et se manifeste de deux façons :

—        la libido objectale • le sujet investit sur un objet ;
—        celle dans laquelle la libido revient comme un boomerang sur le sujet. On s'aime, et Freud constate que la libido de l'enfant est une libido fondamentalement narcissique.

L'amour que l'enfant, le garçon porte à sa mère, c'est en fait l'amour qu'il se porte à lui-même à travers sa mère. La phase de puberté n'a pas été traversée. Il n'y a pas une véritable capacité d'investissement objectal ; c'est en fait une sexualité auto-érotique qui est en cours. Alors la découverte du narcissisme est quelque chose de très important parce qu'elle élimine l'hypothèse assez faible du second instinct, l'hypothèse de l'instinct du moi. En réalité, dans l'inconscient, tout est libidinal. En 1914, Freud a été jusqu'au bout de l'explication par la sexualité.

Mais la libido, si j'ose parler à la place de Freud, fonctionne dialectiquement. Elle comporte une contradiction interne entre son aspect objectal et son aspect narcissique. Aussi, à partir de la découverte du narcissisme, Freud peut-il se donner une explication globale des névroses, quel que soit le syndrome névrotique auquel il ait affaire. Freud peut dire que la névrose résulte d'une- insuffisance du dépassement du narcissisme infantile. La névrose, c'est un reflux vers le narcissisme infantile, vers l'auto-érotisme qui se traduit par une incapacité d'investissement objectal. Et c'est à partir de cette découverte que Freud va aboutir à sa « deuxième topique », c'est-à-dire, en fait, à sa conception de la structure de la personnalité, avec les trois instances que l'on sait : le ça, le moi et le surmoi.

 

 

En réalité, d'ailleurs, il n'y a pas une première topique et une deuxième topique. En réalité, il y a une tentative de caractérisation du psychisme, qui fait intervenir 'l'inconscient, le préconscient, la conscience. Puis, il y a une tentative de définition de la personnalité. Alors, cette tentative se fait selon les trois instances du ça, du moi, et du surmoi. Et nous retrouvons dans la formation du moi et du surmoi la dialectique nature-société dont j'ai parlé tout à l'heure. Freud dit « nous arrivons à la vie avec un ça ». Le ça, c'est notre équipement pulsionnel qui ne diffère pas tellement d'un individu à un autre, qui est l'équipement pulsionnel de l'espèce.

Mais dans le contact avec le monde extérieur, c'est-à-dire le monde social, familial, se constitue, à la périphérie du ça, une nouvelle instance qui est le moi.

Donc, c'est bien la dialectique nature-société qui est génératrice du moi, de la personnalité en formation. Nous allons voir après qu'avec Lacan, tout se passe comme si ces banalités n'avaient pas été admises, comme si on voulait les refuser. En fait, le « moi » se ségrège à partir du « ça » dans le contact avec la réalité sociale et Freud, là encore dialecticien sans le savoir, sans le vouloir, est obligé de se donner un dernier concept pour expliquer que les normes de la société ne sont pas seulement subies par l'individu, mais intériorisées, introjetées. Pour expliquer cette intériorisation, il faut recourir à une troisième instance qui est le « surmoi », né de l'idéal du « moi ». Le « surmoi », c'est la société, la socialité plus précisément, qui s'est intériorisée en chacun de nous. C'est la part d'idéologie (Freud ne le dit pas mais on le découvre assez facilement), c'est la part d'idéologie que nous avons en
nous. Même si nous voulons détruire la société bourgeoise, nous avons un « surmoi » bourgeois comme d'autres ont eu un surmoi féodal, esclavagiste, etc. Le « surmoi » de Freud, c'est une tentative d'explication, au niveau de la psychologie et au niveau de la formation de la personnalité individuelle, de ce que Marx avait déjà découvert, établi au niveau du devenir socio-historique et des relations entre les classes constitutives de la société.

Un problème va se poser à partir de la structure « ça-moi-surmoi ». Ou bien l'on prétend expliquer seulement à partir d'elle, comme la plupart des psychanalystes, la personnalité, son développement, sa formation, ses déformations, sa pathologie. Alors, bien sûr, on tombe dans le psychologisme. Ou bien on recourt au matérialisme historique.

A partir des problèmes de la deuxième topique, freudienne, il y a la grande question qui demeure : est-ce qu'on va articuler le « ça » à la société existante dans laquelle baignent les individus ? Est-ce qu'on va aller jusqu'au bout dans l'explication du « surmoi », notamment en considérant que le « surmoi » est répressif et que cette répression a déterminé un syndrome névrotique ?

Suffit-il de remettre le « surmoi » en place, ou faut-il s'interroger sur la société environnante ? Est-ce que ce n'est pas la société qui est « pathogène », est-ce que la multiplication des névroses dans la période du capitalisme agonisant d'aujourd'hui peut être simplement expliquée par des « surmoi » qui se « déglinguent », ou doit-elle être rapportée à la société et aux instruments de classe de cette société ?

 

 

Ici se pose la question majeure de l'explication de la psychanalyse par elle-même, pour elle-même et en elle-même, selon une prétendue autonomie psychique dans laquelle la plupart des psychanalystes prétendent ne pas tomber, mais à laquelle ils reviennent, comme le chien de l'Ecriture à son vomissement, dans leur pratique et dans leur conception véritable. Si vous en trouvez un qui soit différent de cela, amenez-le moi !

Dans sa dernière période, Freud va se livrer à des spéculations. L'un de ses recueils d'articles s'appelle d'ailleurs « Métapsychologie » ; c'est assez révélateur. Freud va prendre du champ par rapport à sa pratique médicale, par rapport à ses expériences de thérapeute, et va se livrer à des spéculations dans lesquelles il va évoquer Schopenhauer, Nietzsche et d'autres. Freud aboutit, à ce moment-là, à un troisième éclairage des problèmes de l'inconscient et de la sexualité.

Selon lui, deux forces, deux principes sont à l'œuvre à travers les êtres vivants, spécialement les êtres humains. L'un de ces principes, il l'appelle Eros, ce n'est plus la libido, c'est en quelque sorte la puissance d'amour, quelque peu divinisée ; c'est le Dieu-Amour des Grecs qui sert de référence. L'autre c'est Thanatos, c'est-à-dire la mort.

Freud nous indique que, à l'intérieur de l'être vivant, c'est-à-dire dans l'organisme, il y a une certaine présence de l'inorganique. Claude Bernard avait déjà découvert, avant Freud, que l'organique est toujours fait de biochimique, il est toujours fait de physico-chimique.

Pour Freud, cela donne lieu à une spéculation selon laquelle, à l'intérieur de la puissance de créativité propre à la vie, c'est-à-dire l'Eros, il y a une puissance de mort qui se traduit par l'automatisme de répétition.

Lorsque nous ne sommes pas capables de dépasser un stade de notre vie psychosexuelle, nous sommes voués à la répétition. Et cet automatisme de répétition, c'est la mort au cœur même de la vie et c'est ce qui aboutira au syndrome névrotique, voire à la psychose. Ce qui n'est pas vécu avec un minimum de conscience est voué à une répétition dans l'opacité, dans l'inconscience. Alors, depuis toujours et pour toujours, Eros et Thanatos sont en conflit et Freud à ce moment-là tombe dans la métaphysique.

Freud n'a absolument pas expliqué la montée de l'hitlérisme par rapport à la bourgeoisie allemande, au capitalisme international, à l'affrontement entre le prolétariat et la bourgeoisie ; l'hitlérisme devient dans sa pensée un effet de Thanatos, un effet de la puissance de mort. Nous refluons donc sur des idées de caractère métaphysique et religieux. L'homme est maudit, cela ne marchera jamais bien, et, après avoir gravi quelques cimes, on est voué à redescendre dans les abîmes.

Ces dernières spéculations freudiennes vont affecter le concept de refoulement dont je parlais tout à l'heure. Le refoulement, c'est le résultat des pressions sociales contre nos pulsions animales, c'est la dialectique nature-société. Mais s'il y a une puissance mortelle, mortifère de l'inorganique dans l’organique, il y a une autre source du refoulement qui ne tient plus à la relation nature-société, qui est une source absolument incontrôlable. Elle ne se rapporte plus à des expériences thérapeutiques. Rien ne vient plus la justifier dans la pratiquer du Docteur Freud. Aussi ce refoulement « originaire », antérieur à la relation nature-société, va-t-il être l'un des points de référence favoris de Lacan dans son interprétation-rectification du freudisme.

 

 

Avant de passer à Lacan, je voudrais marquer que les découvertes de Freud ont eu des limites. Et ces limites, il faut les préciser, sans quoi on risquerait de créditer la psychanalyse freudienne d'une pertinence qu'elle n'a pas complètement.

a-La première limite sur laquelle Freud a buté, c'est la sexualité féminine. Il faut tout de même le rappeler. La petite fille est pensée par lui entièrement par rapport au garçon. D'une manière générale chez Freud, la femme, c'est l'homme moins le pénis, ce qui est une conception apparaissant aujourd'hui comme très largement erronée, insuffisante, mystificatrice. Et il est important de voir comment Freud a buté là-dessus.

b-D'autre part, la deuxième limite de Freud, qui est une limite culturelle, c'est son « europocentrisme ». Freud a écrit notamment un très mauvais livre qui s'appelle « Totem et Tabou », qui est fait avec les indications de l'ethnologie coloniale de l'époque où on compare les « primitifs » avec les enfants et les névrotiques. Chose désolante ! Cela montre que Freud n'a pas pu sortir du système culturel de l'Occident judéo-chrétien. Notamment dans la théorie de l'Œdipe, « pierre de touche » de la psychanalyse, selon les propres termes de Freud. La théorie de l'Œdipe demande aujourd'hui, pour le moins, à être repensée et dépassée quant à la formulation que Freud lui a donnée.

c-La troisième limite, c'est le psychologisme freudien. Lorsque Freud sort de son cabinet, sort du lieu où se trouvent le divan et les névrotiques, et lorsqu'il prétend éclairer par sa psychanalyse le monde environnant et son histoire, alors Freud sombre dans le psychologisme et nous donne des développements idéologiques qui n'ont plus rien de scientifique.

 

2-L'OBSCURANTISME LACANIEN

 

Il est bon de rappeler que du vivant même de Freud, la psychanalyse, la Société de psychanalyse, ont été secouées par des polémiques internes et une succession de scissions. Et il est bon de rappeler que toutes ces scissions ont eu lieu par rapport à la question sexuelle, à l'explication sexuelle des névroses et, plus généralement, du fonctionnement de l'inconscient et de la personnalité.

 

 

C'est d'abord la rupture d'Adler qui, lui, va évoluer vers une espèce de psychologie sociale réformiste en liaison d'ailleurs avec la social-démocratie autrichienne et ses options politiques.

Cela va être ensuite la rupture de Jung qui, lui, va aboutir à une interprétation quasi théologique de ce qu'il appelle l'inconscient collectif, les archétypes soi-disant présents en nous à partir du devenir souterrain des civilisations.

Ce qui s'est écarté de Freud et de la problématique de Freud s'est révélé beaucoup moins vivace, beaucoup moins créateur que le développement de cette problématique. Il fut un temps où on se réclamait d'Adler ou de Jung. Ce temps est bien passé, et l'on peut dire qu'à titre posthume, Freud l'a emporté ; il l’a emporté parce qu'effectivement les découvertes de la psychanalyse, les découvertes de l'inconscient et de son contenu sexuel demeurent une percée vers une connaissance scientifique du psychisme, alors que les spéculations d'Adler ou de Jung ont tourné le dos à une telle orientation.

Cependant, la psychanalyse a été profondément secouée par la deuxième guerre mondiale. Un nombre important d'analystes étaient d'origine juive allemande ou autrichienne. Certains ont péri par le fait de l'hitlérisme, d'autres ont émigré aux Etats-Unis. Aussi la psychanalyse, après la deuxième guerre mondiale, Freud ayant disparu, est-elle devenue quelque chose d'assez différent de la psychanalyse du temps de Freud.

Cela veut dire que cette psychanalyse, qui a pour centre principal les Etats-Unis, est devenue une psychanalyse d'adaptation à la société capitaliste en décomposition. Cette dégénérescence de la psychanalyse à l'américaine a entrainé un certain nombre de critiques. Et précisément Lacan, en 1953, prononce un discours retentissant au Congrès international de psychanalyse à Rome. Ce discours, que dans les milieux lacaniens on appelle le « Discours de Rome », est, en somme, la fondation du lacanisme ; on le trouve dans Ecrits sous le titre « Fonction et rôle de la parole et du langage en psychanalyse ».

 

 

Dans ce discours de Rome, Lacan s'adresse aux dirigeants, à la majorité américaine de la Société internationale de psychanalyse, et il dénonce avec beaucoup de sarcasmes le côté « adaptatif » de la psychanalyse américaine. li ne parle pas, naturellement, de bourgeoisie, de dégénérescence bourgeoise de la psychanalyse. Il dit : la psychanalyse d'Outre-Atlantique a dégénéré en techniques des « human relations » et même du « human engineering », de l'art d'avoir de bonnes relations à des fins commerciales, mercantiles, etc., de l'art du conditionnement des individus pour qu'ils fonctionnent. Moi, je dis dans le cadre de la société capitaliste. Mais Lacan ne va pas jusque-là.

Cette dénonciation de la dégénérescence de la psychanalyse d'Outre-Atlantique par Lacan a fait naturellement impression. Et un certain nombre d'analystes ou de gens qui naviguent autour de la psychanalyse voient dans Lacan l'homme qui levé le drapeau de la critique contre l'embourgeoisement « yankee » de la psychanalyse.

Mais les critiques de la psychanalyse avaient commencé bien avant Lacan. Et si l'on disposait d'un tableau, on pourrait montrer le rôle central de la psychanalyse américaine, et dire que par rapport à ce rôle central il y a eu des tentatives de critiques, dont certaines peuvent être qualifiées de critiques de gauche et d'autres de critiques de droite. Car on peut dénoncer la société bourgeoise en aspirant à la société 'communiste, en participant à la lutte du prolétariat contre cette société, ce qui signifie une critique de gauche. On peut aussi dénoncer la société bourgeoise actuelle en disant qu'elle va aux abîmes et qu'il faut revenir à une société aristocratique avec un pouvoir plus musclé, etc. Le fascisme est une critique de droite. Il ne suffit pas de critiquer la dégénérescence américaine de la psychanalyse pour être crédité d'une critique de gauche, d'une critique révolutionnaire, d'une critique libératrice. La critique de gauche de la psychanalyse, elle avait d'ailleurs été amorcée, dès les environs de 1920-1923, par des hommes comme Reich, comme Marcuse et comme Fromm.

 

 

Bien qu'il ait abouti à une impasse, Reich dit des choses dans sa Révolution sexuelle qui sont extrêmement intéressantes. Il montre l'épanouissement de la vie sexuelle dans la période de la révolution d'Octobre et dans la période qui a immédiatement suivi cette dernière. Ensuite il montre que la réaction bureaucratique stalinienne s'est traduite par un retour à la répression sexuelle, par un retour à des thèmes et à des pratiques familialistes, natalistes, etc.

Mais lorsque Reich prétend expliquer le fascisme, notamment le fascisme hitlérien, et lorsqu'il voit dans le type « patriarcal » de la famille allemande la source du fascisme hitlérien, il sombre dans le psychologisme. Car cette famille bourgeoise, cette famille « patriarcale », au sens de Reich, s'explique à partir de la domination de classe des propriétaires fonciers et des capitalistes ; ce que ne fait pas Reich.

Reich, au contraire, inverse les rapports réels. Aussi l'ascension, la « résistible ascension de Hitler », comme dira plus tard Brecht, devient pour Reich irrésistible puisque, dans la structure fondamentale de la famille allemande « patriarcale », il y avait, en quelque sorte en germe, l'hitlérisme. Dérisoire psychologisme, qui ne permet pas d'affronter l'hitlérisme et qui désarme les masses par rapport à lui !

Donc, Reich a tenté une critique de gauche, mais il a échoué. Marcuse a tenté, lui aussi, une critique de gauche, et il a également échoué. Il a abouti, dans sa vie américaine, à accuser le prolétariat, d’embourgeoisement ou de semi-embourgeoisement, et à s'en remettre aux marginaux (minorités ethniques, étudiants, hippies et même marginaux sexuels) afin de relayer le prolétariat soi-disant fatigué dans la lutte révolutionnaire, en fait, dans la lutte pour ce que Marcuse appelle la « libération totale ». Là aussi, il y a un abandon complet du terrain du matérialisme historique.

Autrement dit, le freudo-marxisme est né d'une préoccupation légitime. Celle d'articuler les découvertes de Freud au matérialisme historique, et les freudo-marxistes ont eu raison de poser ce problème. Seulement ils n'ont pas pu, ils n'ont pas su le traiter scientifiquement et ils ont glissé à travers le psychologisme, déjà présent chez Freud dans des variantes de l'idéologie bourgeoise dont s'est nourri depuis quelques années en Angleterre, en France et ailleurs ce qu'on a appelé le « gauchisme », notamment les formes notoirement décomposées de ce « gauchisme ». Précisons bien que Lacan ne se situe pas du tout dans ce secteur-là. Il ne se situe pas du côté de Reich et de Marcuse. D'ailleurs Lacan ne cite presque pas Reich et Marcuse, sauf une ou deux fois et en termes extrêmement critiques. A mon avis, la critique de la psychanalyse officielle par Lacan n'est pas une critique de gauche, comme celles de Reich et de Marcusse ; c'est une critique de droite, et je dirais même d'extrême-droite.

 

 

Cette °critique, celle du Discours de Rome, s'exprime particulièrement bien dans cette citation tirée du Séminaire XI : « l'inconscient est structuré comme un langage ». C'est le point de départ du lacanisme. Lacan nous dit que, depuis Freud, il y a quelque chose de nouveau qui s'est passé ; ce seraient les découvertes de la linguistique. Alors, les héritiers de Freud devraient bénéficier de ces découvertes pour interpréter correctement l'héritage freudien. Au reste, voici la citation que nous venons d'évoquer :

« La majorité de cette assemblée a quelques notions de ce que j'ai avancé ceci : l'inconscient est structuré comme un langage qui se rapporte à un champ qui nous est beaucoup plus accessible qu'au temps de Freud. Je l'illustrerai par quelque chose qui est matérialisé sur un plan assurément scientifique par ce champ qu'explore, structure, élabore Lévi-Strauss, et qu'il a épinglé du titre de pensée sauvage. »

Lacan nous invite donc, pour comprendre l'inconscient découvert par Freud, à prendre pour base le structuralisme dont l'expression achevée se trouve dans Lévi-Strauss.

Pour Lévi-Strauss, il y a à l'origine de toute la réalité humaine la puissance combinatoire permanente de l'esprit. Qu'est-ce que c'est que cet esprit ? C'est le point de départ absolu. Aussi est-il mystérieux, énigmatique, comme tous les points de départs métaphysiques et théologiques.

Vous vous donnez cette puissance combinatoire de l'esprit, et, à partir de là, tout s'enchaîne. C'est ça l'idéologie lévi-straussienne. Cette puissance combinatoire est génératrice de structures qu'on trouve dans la langue, dans les systèmes de parenté, dans les systèmes économiques, etc. Un système économique serait le produit, à un moment donné, de la puissance combinatoire de l'esprit, et cette puissance combinatoire de l'esprit aurait engendré l'esclavagisme, le féodalisme, enfin le capitalisme. C'est toujours la puissance combinatoire de l'esprit, et elle seule, qui serait l'œuvre dans l'histoire. La pensée sauvage, c'est cet ouvrage où Lévi-Strauss dit qu'au néolithique on n'était pas moins intelligent que maintenant ; seulement c'étaient d'autres combinaisons que la puissance combinatoire de l'esprit engendrait. Quant à la suite de notre citation de Lacan, elle est encore plus révélatrice :

« Avant toute expérience, avant toute déduction individuelle, avant même que s'y inscrivent les expériences collectives qui ne sont rapportables qu'aux besoins sociaux, quelque chose organise ce champ, en inscrit les lignes de forces initiales, c'est la fonction que Claude Lévi-Strauss nous montre être la vérité de la fonction totémique et qui en réduit l'apparence, la fonction classificatoire primaire. »

C'est ce que j'appelais, car Lévi-Strauss l'appelle ainsi, la puissance combinatoire de l'esprit, une puissance combinatoire mystérieuse constituant un commencement absolu pour toute réalité. Et Lacan termine en précisant :

« Dès avant que des relations s’établissent qui soient proprement humaines, déjà certains rapports sont déterminés, ils sont pris dans tout ce que la nature peut offrir comme support qui se dispose dans des thèmes d’opposition. La nature fournit, pour dire le mot, des signifiants, et ces signifiants organisent de façon inaugurale les rapports humains, les structurent et les modèlent. »

Alors, vous êtes avertis, n'ayez pas l'idée saugrenue de chercher la relation entre l'animal humain et son environnement, n'ayez pas l'idée saugrenue de chercher dans la pratique productive de l'espèce humaine quoi que ce soit pour expliquer ce qui est de l'ordre de l'esprit. Il y a une puissance combinatoire qui travaille ; on ne sait pas sur quoi elle s'appuie, d'où elle vient, etc. C'est le pur mystère et, naturellement, les faits humains, les relations entre les individus, le tissu des sociétés sont des effets, des résultats de cette puissance combinatoire mystérieuse de l'esprit humain.

Dans Matérialisme et empiriocriticisme, Lénine critiquait certains idéologues de 1908 en les stigmatisant et en dénonçant ce qui chez eux venait de Berkeley, évêque idéaliste de Grande-Bretagne du début du XVIIIème siècle. Lénine notait que Berkeley était un évêque anglican et l'appelait toujours l'évêque Berkeley. Moi, je me permettrai de dire aujourd'hui que cet évêque, en fait d'idéalisme, était un enfant de chœur à côté de Lacan.

Car pour écrire ce que je viens de lire, c'est-à-dire pour expliquer que, avant toute relation sociale, avant toute existence psycho-sociale réelle, il y a la puissance combinatoire de l'esprit, il faut se situer à l'extrême pointe de l'idéalisme obscurantiste et mystique. Aussi peut-on dire et doit-on dire que l'évêque Berkeley n'était qu'un enfant de chœur à côté de ce pape de l'idéalisme qu'est Lacan.

 

 

D'ailleurs, dans le discours de Rome, Lacan s'en prend à Goethe. Comme on le sait, l'Evangile selon Saint-Jean commence par la fameuse affirmation : « Au commencement était le verbe. » Dans son Faust, Goethe fait dire à Méphistophélès : « Au commencement était le verbe ? Non. Au commencement était l'action. » Et Marx était particulièrement attaché à cette phrase parce qu'effectivement Goethe, penseur bourgeois, penseur qui ne pouvait pas avoir atteint les horizons de la classe ouvrière et du matérialisme dialectique, n'en avait pas moins déjà compris que ce n'était pas la théorie qui était première mais la pratique. Alors, au commencement était non le verbe, mais l'action. Lacan revient là-dessus, dans le discours de Rome, et il dit : « Contrairement au renversement goethéen, c'est la parole qui est première. »

Cela signifie que la thèse fondamentale du lacanisme, à savoir que « l'inconscient est structuré comme un langage », a pour base non l'unité scientifique entre la théorie (freudienne) et la pratique (psychanalytique) mais la vieille lubie (théologique et métaphysique) selon laquelle le verbe serait créateur de toutes choses. C'est cela le « modernisme » lacanien !

A partir de là, Lacan est condamné à une conception complètement linguistique du psychisme et de toute réalité humaine. Il nous dit « l'inconscient, c'est le discours de l'autre ». Cela veut dire que, actuellement, j'essaie d'articuler certaines paroles et d'utiliser certains termes consciemment, mais qu'il y a, derrière, un certain inconscient. L'inconscient, comme discours de l'autre, signifie qu'il y aurait, en moi, moi et l'autre. Par-là, on reflue sur une théorie de l'aliénation, coupée de toute référence à l'exploitation, réalité qui ne vient même pas à l'idée de Lacan. L'exploitation du travail social serait dans cette perspective une des manifestations parmi tant d'autres de la puissance combinatoire de l'esprit. On ne voit pas pourquoi on s'y attarderait !

Dans un séminaire, Lacan revient à Hegel, à la dialectique du maître et de l'esclave, mais uniquement sur le plan d'une figuration symbolique de l'aliénation. Autrement dit, nous sommes aliénés, on l'a toujours été et on le sera toujours. C'est la vieille chanson judéo-chrétienne qui a bercé des générations et des générations avant nous, mais dont nous ne sommes pas forcés d'accepter qu'elle nous berce encore.

 

 

A cela, j'ajouterai trois choses pour caractériser l'entreprise de Lacan.

a-Le désir, parce que ça, ça fait des ravages. Ce n'est pas le désir qui fait des ravages, mais c'est ce que Lacan dit du désir qui fait des ravages dans un certain secteur intellectuel. Naturellement, Freud, dans Trois essais sur la théorie de la sexualité, part de constatations tout à fait matérialistes. On a faim, on va essayer de manger ; on a soif, on va essayer de boire ; et à un moment donné, on a envie de faire l'amour, eh bien, on va essayer de faire l'amour. Pour Freud, il y a le besoin qui est d'origine physiologique ; puis il y a le vécu de ce besoin et la conduite de réalisation de ce besoin. Freud ne fait pas un mystère du besoin sexuel. Le besoin sexuel s'inscrit dans l'organisme humain, c'est-à-dire dans un système qui, lorsqu'il connaît un déséquilibre, tend à faire ce qu'il faut pour rétablir l'équilibre. Pour Freud, c'est très clair, le besoin sexuel est à la base, et le désir, c'est le vécu de ce besoin sexuel.

Or, que fait Lacan de cela ? Lacan renverse complètement le rapport. Il affirme que le désir c'est un résultat de la loi du signifiant. Car le signifiant ne parvenant jamais à signifier suffisamment ce qu'il veut signifier, il en résulte une espèce de tension purement spirituelle. Et cette tension, on ne sait pas comment, vient accrocher et mettre en mouvement nos corps. Chez Lacan, ce n'est plus le désir qui résulte du besoin sexuel, c'est le besoin sexuel qui résulte, on ne sait trop pourquoi ni comment, du fonctionnement de la loi du signifiant donnant lieu au désir. En fait, ce n'est pas si énigmatique que ça. Car avant Lacan il y a eu les curés, pour s'exprimer vulgairement. Et ça fait 2 000 ans que les curés disent quelque chose sur le désir.

Ils disent que le désir est une forme de perdition parce que, au lieu de désirer telle femme, ce qui m'est demandé, c'est de désirer Dieu et l'union avec Dieu. En même temps, on m'invite à considérer que jamais je n'arriverai à assouvir mon désir, parce que le seul moyen ce serait l'union avec l'infini du Créateur. Il y a tout un tas de spéculations cléricales qui ont amené certains extrémistes à s'émasculer, dans les premiers temps du christianisme. Lacan, c'est ça. C'est une espèce de platitude cléricale donnée dans un langage prétentieux, dans un jargon quasi inaccessible et qui finalement ne nous dit que cette pauvreté-là.

Toute la conception du désir et de la sexualité chez Lacan est une conception d'origine cléricale, ce sont les formes les plus obscurantistes du christianisme qui nous sont ici redonnées. Lacan aime dire et redire dans ses séminaires : « II n'y a pas de rapport sexuel, » Pour lui, il y a seulement deux masturbations parallèles. Bien sûr, la relation sexuelle peut dégénérer en une double masturbation, et Reich a dit des choses aussi sur la précarité de la relation sexuelle, sur les dangers de la répétition, de la monotonie, etc. Il a dit aussi que le rapport sexuel existe, n'en déplaise à Lacan. Et insister sur la négation du rapport sexuel, c'est, en fait, renverser d'une manière idéaliste la sexualité et la rapporter à cette soi-disante puissance du signifiant, à la puissance combinatoire de l'esprit, dont le désir serait un résultat et dont le besoin sexuel serait seulement l'un des multiples effets.

 

 

b- Dans un autre texte des Ecrits qui s'intitule La signification du phallus, Lacan s'est livré à des spéculations sans bornes. Le signifiant des signifiants, nous dit-il, les anciens l'avaient découvert : c'est le phallus. Ne sommes-nous pas au niveau du sexisme le plus vulgaire ? En fait, les anciens, c'est avant tout l'esclavagisme. Engels a dit que dans le régime capitaliste, la femme est le prolétaire de l'homme. Cela veut dire, en outre, que, dans le régime esclavagiste, la femme est l'esclave de l'homme et que, dans le régime féodal, la femme est le serf de l'homme.

Fondamentalement, les relations entre les sexes reproduisent les relations sociales de base, c'est-à-dire les rapports sociaux de production constitutifs de la société. Si l'on dit le phallus est le signifiant des signifiants, on reproduit l'idéologie phallique, phallocratique qui est liée à la division de l'humanité en classes.

Lacan proteste et dit : « C'est symbolique », le phallus est symbolique. En fait, si vous lisez ce texte, La signification du phallus, vous verrez qu'il tourne autour du pot, si j'ose dire, pour finalement ne pas sortir de l'idée fondamentale que l'homme vit dans l'angoisse de perdre son pénis, et que la femme, la petite fille, la jeune fille vit dans la détresse de ne pas disposer dans son corps d'un pénis. C'est l'aspect le plus obscurantiste, le plus réactionnaire du freudisme qui se trouve ici utilisé à partir de l'idéologie philosophique de Heidegger.

Lacan dit : « La femme n'ex-siste pas. »Le mot exister ainsi coupé, c'est du Heidegger plus ou moins bien traduit par Lacan. Ça veut dire que l'être viril se manifeste dans une projection. C'est donc un symbole phallique. Et, comme la femme est en creux, elle ne peut pas se projeter. Alors la femme n'ex-siste pas. Moyennant quoi, Lacan ajoute que peut-être la sexualité féminine, c'est la face cachée de Dieu.

Toutes ces platitudes cléricales, toutes ces banalités archaïques sont exprimées dans un jargon qui donne l'impression que « ça pense », alors que ça ne pense pas tellement ! Et ce qu'il y a de navrant, c'est de voir des gens qui estiment, à juste titre, que les femmes doivent lutter pour leur libération et que les rapports entre les sexes doivent changer, et qui, en même temps, sombrent dans les spéculations lacaniennes.

Leur moyen de s'en tirer, c'est de dire : c'est symbolique. Alors, je dis : symbolique de quoi ? Car dès lors qu'on parle du phallus, et non du symbole S, il me semble que le symbolisme prend une signification tout à fait déterminée.

 

 

c- Enfin Lacan s'accroche à la notion de refoulement originel. Pour lui, le refoulement ce n'est pas l'effet des pressions de la société sur l'individu et ses pulsions. Ce n'est même pas « l'automatisme de répétition » ; ce n'est même pas l'inorganique présent dans l'organique. Le refoulement, c'est le fait que le signifiant n'arrive jamais à se signifier complètement. C'est le fait que nous, créatures, nous ne sommes pas le Créateur. Nous ne sommes pas Dieu : vieille chanson cléricale.

Dans le spectacle qu'il a donné à la télévision, il y a un an et demi, Lacan affirmait : qui vous dit que ce soit la famille qui engendre la répression, et que ce ne soit pas une répression beaucoup plus fondamentale qui engendre la famille ? Par-là, il n'entendait pas la répression de la classe dominante, mais une répression dans les abîmes, une répression dans les profondeurs ténébreuses de l'inconscient tel qu'il l'imagine.

En fait, la doctrine de Lacan est une idéologie métapsychanalytique. Elle part de la psychanalyse, mais pour aboutir à son intégrale idéologisation. Le lacanisme, c'est une idéologie chrétienne, cléricale, obscurantiste par sa référence au désir de l'absolu, de l'infini, et par sa récusation de la réalité des rapports sexuels. C'est, en même temps, une idéologie fascisante par la reprise du thème heiddegerien de l'homme comme « être-pour-la-mort ».
Le lacanisme sent effectivement la mort, celle de la bourgeoisie. C'est une idéologie de la bourgeoisie agonisante à l'époque de la putréfaction impérialiste. Les vers grouillent dans le cadavre, c'est vrai, mais c'est un cadavre historique et non pas un mystérieux cadavre symbolique selon la « loi du signifiant ». Cette idéologie cléricale et fascisante ne tente même pas d'expliquer, par rapport à la pratique, la formation et le développement du psychisme. D'emblée, elle s'installe dans le mystérieux, dans l'énigmatique, dans le refoulement originaire, dans la « loi » inexprimable du signifiant. Bien sûr, je sais ce que répondrait Lacan : tout ce qui appartient à la réalité humaine ne peut s'exprimer que dans un langage. C'est vrai ; tout ce qui s'exprime, s'exprime dans un langage. Mais rien, absolument rien ne permet d'en conclure, n'autorise à en conclure que tout ce qui existe est linguistique.

Parler d'amour et faire l'amour sont deux choses différentes. Parler de produire un objet et produire cet objet sont deux choses différentes. Ceux qui nieraient cette évidence auraient, je crois, besoin de réfléchir à cet égard à leur état mental, et plus fondamentalement à la nature de la lubie idéaliste. Chez Lacan, cette lubie va jusqu'à son terme : tout est réduit à l'expression, tout est réduit au langage comme dans l'idéalisme d'un Berkeley, cette forme extrême et ridicule de la spéculation idéologique.

 

QUELQUES PROBLEMES PEDAGOGIQUES ACTUELS

 

Le lacanisme n'est pas une simple extravagance. Il n'est pas étonnant que Lacan ait produit ça et qu'il y ait des lacaniens, si l'on admet que nous en sommes historiquement à ce que Lénine appelle le stade suprême du capitalisme, à savoir l'impérialisme, dont il caractérise les traits de parasitisme et de putréfaction à tous les niveaux, y compris le niveau culturel, et si l'on admet que nous vivons l'agonie du capitalisme comme disait Trotsky, c'est-à-dire .l'agonie de tout un système de civilisation dans lequel les forces productives de l'humanité ont cessé de croître. Il faut constater que c'est toute la créativité qui est en question.

La bourgeoisie n'est plus en mesure aujourd'hui d'engendrer de nouveaux systèmes intellectuels. Elle ne peut que répéter des systèmes antérieurs en les obscurcissant. Le lacanisme, de ce point de vue, est un syndrome historique, celui de la société capitaliste en train de crever poussé à l'extrême.

Qu'est-ce qu'il faut faire de Lacan ? L' « interprétation » de Freud par Lacan représente une telle régression, une telle réaction sur toute la ligne, qu'il n'y a rien à en tirer, si ce n'est la signification historique que revêt pour nous cette idéologie du pourrissement, de la décomposition et de la mort. En revanche, il faut revenir aux découvertes de Freud avec l'idée que ces découvertes doivent être articulées au matérialisme historique pour permettre aux chercheurs de cheminer vers une connaissance scientifique des phénomènes psychologiques.

 

 

Il y a une question souvent débattue parmi les pédagogues qui montrent que sans référence aux découvertes de Freud, on ne peut pas résoudre la question posée. Je parle de la fameuse question des « dons ». Vous savez que des gens comme Sève se sont occupés de ces questions. Sève dit : ceux qui affirment que votre enfant n'est pas doué sont des réactionnaires. Sur ce point, il a raison, car l'idéologie des « dons », l'idéologie selon laquelle, à la naissance, existeraient des « dons » qui nous permettraient de devenir de grands mathématiciens, de grands artistes, tandis que l'absence de ces « dons » nous amènerait à balayer le caniveau, est une idéologie monstrueuse que la bourgeoisie ne cesse d'utiliser pour la défense de ses intérêts de classe. A quoi se rattachent le racisme prétendant que certains peuples sont doués, et d'autres moins ou pas doués, ainsi que le sexisme prétendant que les hommes ont une intelligence de l'abstrait et que les femmes sont bonnes pour les activités affectives ou émotionnelles.

Tout cela, ce sont des formes de l'idéologie bourgeoise devenues d'autant plus virulentes que la bourgeoisie est entrée en décadence. Car, au XVIIIème siècle, il y avait des penseurs bourgeois comme Diderot ou Helvetius, qui allaient en sens inverse, niaient ces soi-disantes inégalités de nature entre les individus, entre les sexes ou entre les peuples.

Aujourd'hui, on n'a jamais autant disposé de moyens pédagogiques pour permettre l'épanouissement de la personnalité. Mais jamais aussi le gâchis, dans la formation de cette personnalité, n'a été aussi considérable. Cela, c'est la bourgeoisie pourrissante, décadente, et pas seulement ce que Sève, dans une longue étude sur la question des dons, appelle le « pouvoir gaulliste ».

La psychanalyse nous apporte quelque chose dans ce domaine. Ce qu'elle nous apporte, c'est le conditionnement biographique auquel Sève en tant que stalinien entend ne pas se référer, parce qu'il ne peut pas se référer à quelque chose qui serait un apport comme celui de Freud n'entrant pas dans le cadre du schéma idéologique stalinien.

Qu'est-ce que le conditionnement biographique ? Freud nous dit que, à partir du moment où nous naissons, une « dialectique » se déploie entre nous et nos parents, notre environnement familial, etc., à travers laquelle nous nous construisons. Ce conditionnement biographique intervient à travers les trois étapes de la sexualité infantile. Ce qui veut dire que, nés dans la même famille, des enfants vont recevoir des conditionnements biographiques différents parce que leur place n'est pas la même dans la famille, et que la relation qui va s'établir entre les parents et avec les enfants ne sera pas la même selon les cas, selon le rang parmi les frères et les sœurs. Ainsi le conditionnement biographique freudien nous ramène au problème que je posais au départ : ou bien le psychologisme, ou bien une articulation avec le matérialisme historique. Le conditionnement biographique freudien est une découverte relative au processus de la formation de la personnalité. Mais cette découverte ne se suffit pas à elle-même. Le conditionnement biographique est un conditionnement dans une famille appartenant à telle classe déterminée qui fait que les possibilités de l'enfant sont déjà amputées ou atrophiés au moment même où il sort du ventre de sa mère, dans cette famille déterminée appartenant à une classe déterminée.

Alors Sève, incapable d'intégrer les découvertes freudiennes, oscille entre une « théorie » de l'uniformité de l'individu, de l'égalitarisme abstrait par laquelle il lui faut justifier un certain rôle de l'individu dans l'histoire, et ce fameux « culte de la personnalité » qui est l'un des concepts les plus pittoresques du stalinisme prétendant expliquer ce que nous appelons, nous, la réaction bureaucratique, la dégénérescence stalinienne du Parti bolchevique et de l'Etat ouvrier en Russie par un culte venu on ne sait d'où, ni pourquoi ni comment, autour de la personnalité de Staline, ou autour de la personnalité de quelques chefs, grands ou petits.
Cette notion de culte de la personnalité dont Sève n'a pas effectué le dépassement critique montre que, à partir du stalinisme, il est absolument impossible de poser les problèmes de l'articulation du conditionnement biographique, comme découverte freudienne, et du matérialisme historique, comme méthode d'analyse 'de la société dans ses structures et dans son développement.

 

 

Ensuite se pose la question des institutions dans leur rapport à l'éducation. L'éducation se développe d'abord dans une institution qui s'appelle la famille elle se poursuit dans une institution qui s'appelle l'école. La formation et le développement du sur-moi se font à partir de la réalité institutionnelle, de la famille et de l'école. Ou bien l'on est marxiste, et l'on sait que la réalité même de l'institution appartient à la super-structure de la société et que, par conséquent, cette réalité de l'institution n'est explicable que par l'infrastructure, c'est-à-dire les rapports sociaux de production, les classes et la lutte de classes qui les exprime ; ou bien l'on isole l'institution. Car si le freudisme porte en lui un danger permanent de psychologisme, il existe d'autres théorisations idéologiques de l'institution chez des gens comme Althusser, ou comme Foucault. Ces théorisations traitent de l'institution en la coupant de son fondement, de ce que Marx appelait la base réelle de la société, les rapports sociaux de production, et en font une espèce de force propre, en elle-même énigmatique. C'est là, répétons-le, que nous aboutissons à une espèce de « ou bien, ou bien » fondamental. Ou bien l'on pense que l'oppression, la répression sont des phénomènes résultant de l'exploitation de classe du travail social ; et, dans ce cas-là, on est marxiste, du moins, on a adopté un point de départ marxiste. Ou bien on croit que l'oppression et la répression sont des phénomènes fondamentaux, très généraux, dont l'exploitation du travail est un aspect, un résultat, un cas particulier ; et, dans ce cas, on tourne le dos au marxisme. Ainsi la relation enseignant-enseigné est ce qu'elle est aujourd'hui parce que la base de cette relation est la société de classe dominée par le capital, ce que nous pensons. Ou bien la relation enseignant-enseigné procède d'un « discours », comme dit Lacan, en lui-même oppressif. Ce soi-disant caractère oppressif de l'enseignement et de l'enseignant par rapport à l'enseigné existerait indépendamment de toute base à rechercher dans l'exploitation du travail social, dans la structure de classe de la société.

Entre, d'un côté, les spéculations althussériennes sur les « appareils idéologiques d'Etat », les spéculations de Lourau sur « l'analyse institutionnelle », les spéculations de Foucault sur l'univers carcéral et, d'un autre côté, le marxisme, il y a un choix à faire. Certes, les phénomènes dont s'occupent Foucault et Lourau existent, mais ce que Lourau et Foucault reprennent, c'est une conception non marxiste et anti-marxiste qui s'est déjà dessinée dans toutes les tentatives antérieures de concevoir la superstructure, plus ou moins indépendamment ou soi-disant de manière autonome, vis-à-vis de l'infrastructure.
Dénoncer des formes d'oppression et de répression comme étant relativement indépendantes du mode d'exploitation du travail social, c'est régresser en deçà du marxisme et participer à des diversions idéologiques.

En fait, l'insatisfaction des besoins d'éducation, qui sont immenses à notre époque et de plus en plus vécus consciemment comme tels, est une donnée extrêmement importante. La satisfaction de ces besoins d'éducation (quantitativement et qualitativement) ne peut pas être obtenue dans le cadre actuel. Le mode de production capitaliste fait absolument obstacle à la satisfaction des besoins éducationnels fondamentaux. Par conséquent, les éducateurs munis de leurs aspirations et de leurs illusions cherchent une pédagogie « libératrice » comme si elle pouvait naître et fonctionner dans le cadre du capitalisme agonisant. En vérité, nous ne résoudrons pas ces problèmes par l'intervention d'une pédagogie libératrice. C'est la révolution sociale à l'Ouest et la révolution politique à l'Est, c'est la révolution mondiale réalisant la destruction du système mondial du capitalisme qui peuvent, seules, ouvrir la voie à une pratique apte à satisfaire, un jour, les besoins généraux et fondamentaux d'éducation que nous commençons à découvrir actuellement.

C'est pourquoi, aujourd'hui, la transmission des savoirs, contribution à la formation de la force de travail, la transmission des savoirs, tellement attaquée par nos « gauchistes » et « super-gauchistes », est, dans cette période d'obscurantisme et de barbarie bourgeoise croissante, plus importante que les soi-disantes novations pédagogiques, que les soi-disantes pédagogies auto-libératrices, qui ne sont, en fait, que des duperies, et qui placent leurs fidèles dans l'impuissance.

 

CONCLUSIONS

 

Concluons brièvement par les idées suivantes

Il n'existe pas actuellement de sciences humaines, de sciences sociales, de sciences de l'homme et de la société. Tout ça, ce sont des idéologies, ce sont des expressions déformées et inversées des rapports réels de production, qui se masquent sous le nom de « sciences sociales », « sciences humaines », « sciences de l'homme et de la société », etc. Ce qui existe aujourd'hui, c'est la méthode et les acquis du matérialisme historique. Et puis, soyons justes, ce qui existe ce sont quelques découvertes ponctuelles, quelques découvertes partielles, effectuées en dépit des idéologies se baptisant « sciences de l'homme », etc. Il existe quelques découvertes partielles, ponctuelles, faites par tel ou tel économiste, sociologue ou historicien bourgeois, mais qui ne constituent pas un ensemble véritablement scientifique. D'ailleurs, il ne faut pas s'en attrister, car le matérialisme historique nous montre que l'exploitation de l'homme par l'homme dans le mode de production capitaliste engendre l'opacité des rapports de production réels, engendre, à travers l'idéologie, l'impossibilité de saisir d'une manière scientifique la réalité sociale dans laquelle nous vivons. On peut se réclamer du matérialisme historique, mais ça ne veut pas dire qu'on parviendra à dissiper, par soi seul et par un effort seulement intellectuel, l'opacité engendrée par le mode de production capitaliste.

Il n'y a pas actuellement à espérer que par un bel effort se réclamant du marxisme quelques grands penseurs fassent une psychologie scientifique ou une sociologie scientifique, une histoire ou une économie scientifique tant que le mode de production capitaliste sera là Le matérialisme historique ce sont les bases, c'est la méthode, c'est la percée décisive, mais le matérialisme historique enseigne que ce n'est pas la conscience qui peut précéder la pratique révolutionnaire. La différence entre les marxistes et les non-marxistes, c'est que les marxistes savent pourquoi il y a cette opacité. Sève, lui, s'enfonçant dans les ténèbres staliniennes, donne, dans l'étude à laquelle je me référais tout à l'heure, des exemples de l'URSS, « pays du socialisme réalisé » selon lui.

Dans son livre Marxisme et théorie de la personnalité, le même Sève se livre à de multiples contorsions conceptuelles pour récuser non pas les sous-produits obscurantistes de la psychanalyse, mais le freudisme lui-même. Et, dans un ouvrage ultérieur, écrit en collaboration avec C. Clément et P. Bruno, notre stalinien ne va guère plus loin.

En fait, le stalinisme, en tant qu'idéologie de justification de la bureaucratie usurpatrice et parasitaire, est devenu, depuis 1933, le contraire du marxisme dont il utilise frauduleusement la terminologie. Cette idéologie bureaucratique sclérosée peut modifier certaines formes de son expression ; elle peut se donner les apparences publicitaires de la « rigueur » ou de l' « ouverture ». Mais, elle est, par nature, incapable de distinguer entre les découvertes scientifiques de Freud et ses préjugés idéologiques, entre le freudisme et la psychanalyse dégénérée d'aujourd'hui dont le lacanisme est l'expression achevée.

Rappelons, enfin, contre les manœuvres de l'appareil stalinien et contre le gauchisme décomposé, que l'éducation, sa pratique et sa théorie, ne peut en elle-même s'ériger en processus de libération individuelle et collective ni en propédeutique à la révolution.

Faire de la révolution un effet, une conséquence de l'éducation, de ce que certains appellent maintenant la conscientisation, c'est tomber dans la vision idéologique des choses, dans une manière de doctrine de l'évangélisation de type chrétien contre laquelle, précisément, le marxisme s'inscrit en faux.

L'éducation est, en fait, un terrain d'affrontement entre les classes. C'est un secteur d'activité des sociétés dans lesquelles nous vivons. Au lieu de rêver d'une « éducation libératrice », il nous appartient donc d'aider les éducateurs, comme travailleurs, dans leurs luttes contre la bourgeoisie et l'Etat bourgeois.

Face aux tentatives présentes de la bourgeoisie en vue du démantèlement de l'enseignement public et de la destruction des acquis éducationnels, résultant de l'action historique du mouvement ouvrier révolutionnaire, les travailleurs de l'enseignement mènent des combats défensifs qui, en fait, mettent en cause la domination de classe de la bourgeoisie et la survie de son Etat. C'est là que se situent les vrais problèmes de l'éducation et non dans les soi-disantes « novations » pédagogiques.

Ces « innovations » sont la forme idéologique derrière laquelle tentent de se dissimuler les entreprises réactionnaires et obscurantistes de la bourgeoisie et de son Etat bourgeois.

C'est pourquoi les progrès dans la- connaissance de la formation et du développement de la personnalité, et la réalisation des aspirations pédagogiques les plus élevées passent, à notre époque, par la préparation consciente, c'est-à-dire organisée de la révolution prolétarienne.

 

EXTRAITS DE LA DISCUSSION

 

1er intervenant : On pourrait partir de deux constatations : d'abord que la famille est la dernière ramification de la société, la cellule de base donc de notre société actuelle. D'autre part, la famille semble être le milieu démographique où se développe la personnalité de l'enfant. Quand on part de ces deux constatations, on peut essayer de démasquer les principes fondamentaux et organiques de la famille, pour ensuite essayer de donner une définition de la personnalité et de la nature humaine. Prenons un exemple : les Kibboutz d'Israël. A l'opposé de ce qui se passe dans une famille bourgeoise où seule la mère assure l'éducation de l'enfant, dans un kibboutz d'Israël, le rôle éducateur de la mère est secondé par l'aide d'une éducatrice, donc par un fonctionnaire de l'Etat qui conseille plus ou moins la famille dans l'éducation à donner à l'enfant.

Cette participation, qui s'avère donc être ainsi l'ingérence de l'Etat dans le développement de l'enfant, permet de reproduire ainsi le système économico-politique de l'Etat d'Israël qui est un pays en état de guerre et un pays où va s'exercer une pression considérable sur les citoyens afin que ceux-ci continuent leur action au sein de l'Etat d'Israël. Donc c'est également d'une certaine façon l'ingérence, où s'exerce un contrôle à tous les niveaux. Que nous apprend cet exemple ?

D'abord que la famille avec un grand F n'est pas en soi un univers clos, comme voudrait le dire une certaine idéologie véhiculée dans notre société ; ce n'est pas un univers clos qui serait basé sur les relations exclusives entre le père, la mère et l'enfant, mais qu'il s'agit bien d'une notion toute relative qui, en fait, défend les conditions sociales de l'Etat envisagé puisque, dans l'exemple d'Israël, cet univers clos s'ouvre par l'ingérence justement d'un fonctionnaire d'Etat.

D'autre part, on constate que la famille devient le lieu où s'expriment également les pressions sociales, les pressions politiques. D'autre part, elle est le champ où se jouent des relations fondées sur des rapports de force.

Cet exemple, que l'on idéalise souvent dans notre société, et qui est pris dans une société dite socialiste ou avancée, remet donc en cause à lui seul, la notion quasi métaphysique et divine de la famille. Voir, dans notre société, l'image véhiculée par l'idéologie judéo-chrétienne de la Sainte-Famille, famille bien close sur des relations exclusives père-mère-enfant, qui serait un univers sacré et renfermé sur lui-même. C'est ce que dit l'idéologie dominante. On peut alors s'interroger sur la véritable nature de la famille et sur son rôle objectif dans la formation de l'enfant et de sa personnalité. En effet, quelle lutte vise une politique qui voudrait légiférer en vue d'une politique familiale ? Voir, notamment, les idées qu'avance Debré. La famille est donc une structure de base qui se trouve être, en dernière analyse, le lieu où se perpétue l'accumulation des richesses : elle est, en somme, la cellule qui reproduit fidèlement ou plus ou moins fidèlement le système de cumul et d'héritage, qui reproduit donc les relations économiques figées de la société capitaliste. On voit donc bien que la famille est, en dernière analyse, basée sur l'avoir. Et c'est une famille aux contraintes d'autant plus fortes que la fortune y est grande. On comprend dès lors qu'une société basée sur l'égoïsme vise, en fait, à institutionnaliser, à légaliser cet état de choses objectif. En fait, on veut faire croire à une idéologie transcendantale pour « expliquer » un état de fait. Il faut donc partir de cet état de fait sur lequel est plaquée une idéologie pour justifier cet état de fait.

2ème intervenant : La société capitaliste qui est basée sur la propriété par une classe de toute la fortune et sur l'aliénation et l'exploitation de l'homme par l'homme, vise donc, en fait, à fixer définitivement ces relations. Aussi voulant défendre ses intérêts, la classe dominante enserre-t-elle les masses dans son carcan (cf. le rôle des tabous). Ce carcan est névrotisant pour les individus en établissant avec rigidité à chacun son rôle ; par exemple, le rôle du père qui est considéré comme le chef de la famille en vertu de l'idée du chef, ou le rôle de la mère éducatrice et conciliante à laquelle la femme doit se conformer, ou encore l'enfant « désordonné » qu'il faut rééduquer. Justement, le fait que dans une société existent des tabous bien précis se trouve mis en question quand on étudie d'autres sociétés où, par exemple, le tabou de l'inceste n'est pas un tabou transcendantal.

Dans d'autres sociétés, la famille est basée sur le tabou de l'inceste comme, par exemple, dans l'ancienne Egypte. Mais les familles possédantes pouvaient pratiquer facilement l'inceste, alors que les familles de paysans n'en avaient absolument pas le droit. Ce qui prouve bien qu'il n'y a pas une morale, mais qu'il y a des morales adaptées aux divers rapports de production. On constate donc que les relations père-mère-enfant ne sont que la justification idéologique d'un état, d'un rapport de production imposé par la classe possédante, et que les règles morales deviennent ainsi l'émanation directe de ce rapport. Il n'existe donc pas de famille avec un grand F, mais bien une famille qui serait considérée plutôt comme un groupe de personnes réglé par des lois qui ne sont ni transcendantales ni métaphysique, quoi qu'en dise la société capitaliste, mais bien par les lois économiques. C'est là un exemple intéressant puisque, si on regarde ce qui se passe actuellement, la société stalinienne utilise, elle aussi, la famille comme un frein contre le mouvement des masses pour l'émancipation. La famille sert donc aussi au régime bureaucratique pour contrôler ce qui se pense, ce qui se fait parmi les individus.

3ème intervenant : La monogamie est-elle une nécessité pour les individus qui possèdent, en vue de perpétuer leur richesse et leur pouvoir, vu que là aussi la personnalité de l'enfant se formant dans cet archétype, reflet de la société de classe ou de caste, celle-ci ne peut que se développer en fonction même de ces relations, et donc être profondément marquée par cette idéologie ? On peut prendre deux cas : d'abord, le cas de la représentation sexuelle, puisque comme l'a dit un camarade, la liberté sexuelle qui signifierait, en réalité, la satisfaction de nos pulsions, est aussi une remise en cause des relations paternalistes ainsi que des rôles de père, de chef et de gendarme. Ensuite, d'une certaine façon, elle démobiliserait une partie importante des forces productives, ce qui donc s'inscrit en contresens des relations de production et de rentabilité dans la société de caste ou de classe. Et la répression sexuelle qui se fait donc, au nom de la religion serait donc, en fait, issue des rapports de production dans notre société. L'état de frustration qui en découle par la non-liberté sexuelle est donc à l'origine de l'agressivité, ce qui dément les études de Konrad Lorenz qui voudraient dire qu'il y a une agressivité originaire, naturelle ; ce qui d'ailleurs est mis considérablement en brèche par les études de sciences naturelles qui sont faites sur les animaux, où l'on voit bien que l'animal est agressif en cas de besoin seulement.

4ème intervenant : La société, jusque dans la cellule familiale, institue, la notion de don (cf. l'idéologie judéo-chrétienne qui parle des dons de la grâce). En fait, elle érige ainsi en réalité originelle la notion de don, de qualités intrinsèques d'un individu et, par-là, désigne le rôle du chef. On voit donc que la famille, qui est la base de la transmission du premier savoir de l'enfant, qui est un savoir-vivre, ne sert, en fait, qu'à fixer ce savoir-vivre au niveau auquel la classe dominante a voulu que reste cette famille. On voit bien que la famille, de même que la « nature humaine », est le produit de conditions sociales. On voit donc bien que l'homme n'est pas une entité intrinsèque, mais qu'il est bien une histoire et un produit de cette histoire. Il n'existe pas une « nature humaine » et une « famille en soi ». Cette dernière n'est en fait que le reflet et la justification idéologique des lois qui régissent les rapports de production, des rapports de force entre les classes de la société.

 

REPONSE DE PIERRE FOUGEYROLLAS

 

J'ai l'impression que dans la commission « Bonneuil-Mannoni », dans la commission sur le structuralisme et la linguistique et dans la commission dite de défense des acquis scolaires et culturels, se sont manifestées de véritables oppositions et qu'il faudra, dans la suite de ce stage, que ces oppositions soient davantage exprimées pour que l'on voie plus clair. Les autres exposés seront d'excellentes occasions pour développer ces oppositions et pour que chacun en tire les clarifications qu'il peut espérer. En ce qui concerne la commission dite de la
« nature humaine » et de la famille, c'est un peu plus compliqué. L'opposition, dans la commission « Bonneuil-Mannoni », se situe entre ceux qui mettent l'accent sur le caractère différent des méthodes employées à Bonneuil vis-à-vis d'enfants débiles ou traumatisés par rapport aux techniques employées dans les « dépotoirs » où l'on met actuellement ce genre d'enfants, et ceux qui ne croient pas ou guère à la portée de cette différence.

 

 

Il y a évidemment une première réaction très naturelle, très spontanée : c'est peut-être mieux, pour le gosse et pour ses parents, que ce gosse soit dans une institution comme Bonneuil plutôt que dans les dépotoirs asilaires classiques. Mais d'autres camarades sont plus sensibles à la prétendue théorisation que Maud Mannoni fait ouvertement à l'occasion de l'expérience de Bonneuil, et les textes montrent que Mannoni se réclame en permanence du lacanisme le plus intransigeant.

Alors, faut-il adopter une attitude mi-chèvre, mi-chou, mi-figue, mi-raisin et essayer de discerner le bon, le mauvais, voir la possibilité de certaines méthodes, et la négativité de l'idéologie lacanienne ? J'ai l'impression que si l'on part comme ça on n'arrivera pas, ou on n'arrivera nulle part.

Un camarade s'est posé le problème de savoir s'il y avait un rapport direct entre l'expérience telle qu'elle est pratiquée à Bonneuil par rapport aux enfants, et le lacanisme. Alors j'avoue que moi je suis désarmé pour répondre, puisque je ne connais l'expérience de Bonneuil que de deuxième main. Je constate, quand même, quelque chose d'étrange : à Bonneuil, il n'y a pas de savoir, il y a une manière d'être ; il n'y a plus de médecin, plus de malade. A Bonneuil, on se réfère plus ou moins ouvertement à une espèce de spontanéité généreuse involontairement chrétienne, qui envelopperait les enfants de cette atmosphère d'amour à la faveur de laquelle on retrouverait une espèce de goût de vivre. Voilà bien un culte de la spontanéité !
Ce culte semble être la règle d'or, à Bonneuil. Or nous sommes obligés de remarquer que le lacanisme, comme doctrine à prétention psychanalytique, à prétention freudienne, se présente, dans les travaux du « maître », comme un dogmatisme tout à fait extrême.
Et les lacaniens sont, parmi les psychanalystes, ceux qui acceptent le moins la discussion avec les autres psychanalystes, et bien entendu, à plus forte raison avec ceux qui ne sont pas psychanalystes.

Dans ses interventions à la télévision, Lacan a dit « Je ne parle pas ici pour les idiots, c'est-à-dire pour les non-analystes. » Ça, c'est assez loin de la spontanéité de Bonneuil.
N'est-ce pas intéressant qu'il y ait une connexion de fait entre des appels au spontanéisme et une idéologie d'extrême dogmatisme comme le lacanisme ? Est-ce que ça ne veut pas dire que le spontanéisme n'est qu'une pure et simple apparence dans ce cas comme dans d'autres ?
Le spontanéisme dit : on ne va pas faire un discours en règle, on ne va pas institutionnaliser un rapport, on va laisser s'exprimer ce qui surgit. Or, qu'est-ce qui surgit ? La subjectivité. Et cette subjectivité est-elle fondamentalement spontanée ? Non. Elle a été conditionnée, pétrie et repétrie par l'idéologie résultant des rapports de classes. Quand je dis : je fais table rase de ce que j'ai dans la tête, je vais m'exprimer spontanément, ça veut dire en clair que je ferais abstraction des idées comprises par la réflexion et l'expérience pour laisser les préjugés idéologiques dominants s'exprimer à travers cette subjectivité qui est mienne. Qu'est-ce, en effet, que cette subjectivité ? C'est celle d'un petit bourgeois. Donc, ma spontanéité n'est pas quelque chose de généreux, de poétique ; c'est simplement la reproduction, à travers ma parole, de ce qui m'a été fourni, à titre de norme sociale, par la classe dont je suis issu.
Il faut faire un sort particulier au spontanéisme. Le spontanéisme de Bonneuil, ce sont des gens qui vont chercher en les payant des occasions d'expérience pour en tirer ensuite des films ou des livres, qui vont chercher une forme différée d'enrichissement, fonctionnant parfaitement à l'intérieur de la société bourgeoise et dont les pratiques pédiatriques et psychothérapiques sont données comme pouvant cautionner l'idéologie qu'ils répandent de telle sorte que, pour ma part, je ne dirai pas que leur spontanéisme .et leur action psychothérapique doivent être retenues comme quelque chose de positif. Je dirai, plutôt que l'existence de Bonneuil ou d'institutions de ce genre est une caution donnée à la bourgeoisie pour maintenir la grande majorité des enfants constituant des cas pathologiques dans les conditions asilaires générales que l'on sait.

Si l'on va jusqu'au bout, on devra porter un tel diagnostic. Il reste que certains camarades auront raison de dire : mais ces enfants, en attendant la révolution prolétarienne et l'instauration du socialisme, il faut bien s'en occuper. Bien sûr, il faut s'en occuper. Et si j'étais à Bonneuil, comme infirmier ou comme médecin, j'essaierais de faire mon travail dans les conditions qui me seraient données, du mieux possible, là où je serais inséré, mais en mettant en garde les autres contre les illusions idéologiques nées de ce type d'action. Que nous ayons, les uns et les autres, affaire à des conditions qui ne sont pas créées pour nous, mais qui nous sont données par la société capitaliste, que dans ces conditions nous ne devions pas être inertes, cela ne fait pas de doute. Aussi faut-il rechercher un certain mieux dans les relations que nous pouvons établir. Mais ce qui est important, c'est de ne pas se laisser emporter par les illusions idéologiques répandues à l'occasion de ces pratiques professionnelles et de ces expériences dites d'avant-garde.

 

 

Dans la commission sur le structuralisme, on retrouve une opposition tout à fait comparable : il y a ceux qui disent que l'étude de textes, avec l'analyse structurale, c'est un peu moins médiocre que les études des textes tout à fait plates, mécanistes et vulgaires auxquelles la bourgeoisie avait conduit dans l'enseignement sorbonnard d'avant 1968. Nous avons tous eu, entre les mains, des documents sur ce genre d'études. Il y a les autres qui disent : attention à l'idéologie structuraliste, car cette dernière est porteuse d'obscurantisme.

Que faut-il faire ? Faut-il mettre l'accent sur une certaine approche qui pourrait sembler meilleure et plus novatrice que l'ancienne approche ? Ou faut-il s'attacher particulièrement à l'effet, à la résultante idéologique qui est venue se greffer sur elle et qui sont aujourd'hui l'objet central de notre débat.

Car, que Saussure ait voulu rompre avec l'ancienne spéculation métaphysique sur les langues, qu'il ait voulu prendre les langues comme des systèmes de mots, chaque mot se définissant à l'aide d'autres mots, et qu'il ait tenté de dégager des structures, des invariants à l'intérieur de ces systèmes de mots, il n'y a pas lieu de le lui reprocher. Nous sommes aujourd'hui mieux armés pour étudier les diverses langues que nous ne l'étions avant Saussure, Troubezkoy, Chomsky et Jakobson, par exemple. Mais il s'agit là d'un parti pris scientifique délibéré de considérer les systèmes de phonèmes, c'est-à-dire les systèmes de sons. Et je disais hier en commission que la phonologie peut être tenue pour scientifique dans la mesure où elle s'est rapprochée des sciences naturelles et même des ensembles- logico-mathématiques en traitant le fonctionnement des combinaisons possibles de sons élémentaires abstraction faite de la référence au signifié social.

On ne va pas reprocher aux mathématiciens de travailler sur des objets abstraits. Ce qu'il faut savoir, c'est que ces objets sont abstraits, au sens littéral du terme, de pratiques concrètes initiales sans lesquelles ils n'existeraient pas. Même pour les plus abstraits d'entre eux. On ne va pas reprocher à la logique de réfléchir aux combinaisons entre termes abstraits. Aussi bien, la phonologie a aujourd'hui des applications dans-les méthodes audio-visuelles d'apprentissage des langues étrangères.

Là où l'escroquerie lévi-straussienne commence, c'est quand on prétend partir de la phonologie, pour expliquer la réalité sociale dans son ensemble, dans ses soi-disantes structures d'ensemble.

Lévi-Strauss procède par analogie. De ce que la langue est un phénomène humain par excellence, il conclut que ce qui se passe dans la langue se passe aussi dans le système de parenté et dans le système économique en méconnaissant délibérément que, pour aboutir à la science phonologique, il a fallu faire abstraction de la relation concrète entre les phonèmes mutuellement combinés et les rapports sociaux fondamentaux qui les supportent. C'est là qu'on passe, disons-le, des découvertes phonologiques incontestables à la mystification idéologique structuraliste. Car le structuralisme n'est pas né de la linguistique qu'il a parasitée. Le structuralisme est né de ce qui l'a précédé dans ce domaine-là, qui était le fonctionnalisme. Il faut rappeler que, face au marxisme, la bourgeoisie au début du XXe siècle a tenté de répondre par le fonctionnalisme.

Le fondateur du fonctionnalisme, c'est Malinowski, qui est allé observer et étudier dans le Pacifique. Et le fonctionnalisme, ça consiste à dire : la société, c'est un tout. Dire que la société est un tout c'est une vérité. C'est une vérité partielle. Mais cette vérité est compromise par un parti pris inconscient consistant à considérer la société en évacuant toute considération de contradiction, à l'intérieur de cette totalité. Or, le matérialisme historique étudie bien la société comme une totalité, comme une structure. Mais le matérialisme historique ne sépare pas la totalité sociale de son contenu qui est la contradiction : contradiction entre forces productives et rapports de production dans le processus de la révolution sociale, contradictions entre classe dominante et classes exploitées à travers toute la lutte des classes.
Le fonctionnalisme apparaît comme une tentative de détourner les esprits des chercheurs du marxisme, de combattre le marxisme en mettant en avant le concept de totalité préalablement vidé de son contenu, à savoir la contradiction et, plus spécifiquement, la lutte des classes. Comme le fonctionnalisme, après la deuxième guerre mondiale, était une barque pourrie qui faisait eau de toute part, la bourgeoisie a créé une nouvelle figure idéologique. Le structuralisme, c'est le fonctionnalisme s'accrochant frauduleusement aux découvertes phonologiques de la linguistique.

La structure, ce n'est rien d'autre que la totalité réduite à la langue. C'est le même concept, mais c'est la totalité par référence constante à la réalité linguistique. Un pas de plus a été franchi dans l'obscurantisme idéaliste. On ne dira pas seulement comme Malinowski : la société est un tout dont chaque aspect n'a de réalité qu'en tant qu'il appartient à ce tout. On dit : ce tout fonctionne comme une langue. Finalement, il s'agit de parasitisme idéologique. L'idéologie de la bourgeoisie a parasité la linguistique et les découvertes phonologiques qui n'ont véritablement rien à voir avec les spéculations de Lévi-Strauss, prétendant tirer argument de la phonologie pour développer une conception uniquement idéologique.

 

 

Reste la question de l'étude des textes : le marxisme n'a jamais été pour l'étude des textes à partir d'une référence purement extérieure. Ça n'a aucun rapport avec la dialectique. Aussi vais-je ici sauter sur l'intervention du camarade Bertrand parlant de Germinal : « on savait bien que Zola était réactionnaire, puisqu'il a condamné la Commune ». Bon ! C'est une indication politique historique. Certains camarades disent qu'en étudiant, à l'aide d'une approche linguistique structurale, un texte de Germinal, on découvrirait le caractère réactionnaire à l'intérieur même du texte. A quoi Bertrand répond : on n'en a pas besoin puisqu'on le savait déjà.

Je me permettrai de mettre Bertrand en garde contre l'accusation de dogmatisme, et je vais prendre un autre exemple : avant Zola, il y a eu Balzac. Balzac écrivait : « J'ai rédigé mon œuvre, La Comédie Humaine, à la lumière de deux flambeaux : la monarchie et la religion. » C'est une déclaration réactionnaire, ça.

Marx connaissait parfaitement cette déclaration. N'empêche qu'il affirmait que les romans balzaciens étaient le miroir incomparable de la société bourgeoise du temps de la Restauration et de la monarchie de Juillet. Alors, camarades, ça donne des inquiétudes, ça ! On peut éventuellement faire des déclarations réactionnaires et, en même temps, écrire une œuvre qui est ce miroir incomparable où Marx dit qu'il y avait plus à prendre, pour étudier les rapports sociaux fondamentaux en France, sous la Restauration et la monarchie de Juillet, que dans les spéculations des idéologues de fa même époque.

Par conséquent, la position politique d'un auteur, d'un savant peut être en contradiction avec l'apport réel de ce créateur dans tel ou tel domaine de la culture. Par conséquent, il n'est pas suffisant que Zola ait fait des déclarations contre la Commune. Je considère Germinal, L'Assommoir, La Terre comme des œuvres assez réactionnaires. Les ouvriers et les paysans vus par les lunettes déformantes d'un petit bourgeois, qui avait par ailleurs des positions non réactionnaires dans l'affaire Dreyfus, par exemple, mais qui appartenait à une classe déterminée et qui n'était pas sur les positions de classe du prolétariat.

Il reste que si l'on répond aux partisans de la sémiotique par des arguments de cette sorte, ils vont dire « ça ne marche pas, ce truc-là ». Car l'approche des textes, à la manière structurale, par l'intérieur, pour voir les combinaisons de phonèmes et, plus loin, de sémantèmes, d'éléments signifiants entre eux, comporte un inconvénient insurmontable : c'est l'opposition absolue à la dialectique. Hegel ce n'était pas Marx, c'était seulement Hegel. Mais il a parlé à maintes reprises de la Phénoménologie de l'esprit jusqu'à .la Science de la logique, de l'interaction permanente de l'intérieur et de l'extérieur. Une analyse dialectique doit, si j'ose dire, aller en permanence de l'intérieur à l'extérieur et vice versa.

Dans Pour Marx, Althusser s'emploie à démontrer que le cours de la révolution d'Octobre ne doit pas être expliqué par des facteurs extérieurs. Il y tient énormément. Qu'est-ce qu'il y a derrière cela qui n'est pas dit ? C'est le refus du trotskysme et l'agression contre ce dernier. Que dit Trotsky ? Il dit que la défaite de la Révolution allemande en 1923 est la cause fondamentale (extérieure mais qui va devenir intérieure) de la réaction bureaucratique qui va engendrer le stalinisme en URSS. Alors, si vous vous repliez à l'intérieur de l'URSS, en disant l'Allemagne, c'est extérieur, la Chine, c'est extérieur, etc. , vous construisez une totalité purement abstraite, purement idéologique. Il n'y a qu'une seule totalité, au niveau historique actuel, c'est le marché mondial, construit par la bourgeoisie. Et la réponse se situe au niveau de cette totalité. Lorsque Althusser isole la soi-disant totalité soviétique, il essaie d'apporter une justification nouvelle à la funeste « théorie » de la construction du socialisme dans un seul pays. Certes, la référence à l'extérieur n'est pas suffisante. Si l'on explique quelque chose uniquement par l'extérieur, c'est une forme de mécanisme. La référence à l'intérieur n'est pas non plus suffisante : elle conduit à diverses formes de formalisme, d'idéalisme. C'est la dialectique de l'extérieur et de l'intérieur qui est le seul moyen de dégagement de la signification. Ce qu'il y a de périlleux dans la sémiotique, dans la sémiologie, c'est la coupure avec l'histoire. C'est le refus de l'histoire. Et la bourgeoisie actuelle, consciemment ou inconsciemment, refuse l'histoire parce que cette histoire lui annonce sa mort.

Elle voudrait figer dans la considération de totalités fermées sur elles-mêmes, de structures isolables du reste la réalité mouvante ; autre manière de dire : « arrête toi instant ; tu es si beau ». C'est le mot de Goethe, mais repris par une bourgeoisie en train de crever.
Disons que le marxisme, dans le domaine de la sémiotique, est plus à faire qu'il n'est fait. Bien entendu, si vous me disiez de choisir entre Plékhanov et Barthes, naturellement je choisirais Plékhanov, comme direction de pensée ; mais Plékhanov est dérisoirement insuffisant.

C'est du mécanisme, Plékhanov. Et nous ne sommes pas condamnés au mécanisme.
On n'est pas obligé d'être avec Barthes, d'être avec les spécialistes de la sémiotique aujourd'hui. De ce point de vue le marxisme est encore à faire et il est normal que ce soit difficile de faire fonctionner le marxisme dans les conditions d'obscurcissement, d'opacité propres à la société capitaliste agonisante. Mais c'est tout de même une option qu'il faut prendre.

 

 

Comment, sur le plan de l'enseignement public, aboutissons-nous à la défense des acquis ? Que faut-il considérer comme acquis ? Est-ce que l'histoire falsifiée qui a modelé la Ille République, puis la IVe en traversant le régime de Vichy, et qui continue plus ou moins à fonctionner actuellement, est-ce que cette histoire à la Lavisse, qui nous dit que la Commune de Paris c'est un déchirement affreux, une guerre entre Français, et qui nous dit qu'avec Jules Ferry on est allé porter la civilisation en Asie et en Afrique est un acquis à défendre ?
Le colonialisme de la bourgeoisie n'est en rien un acquis. L'anti-ouvriérisme fondamental, la position de classe contre la Commune, contre les révolutions, la défiguration de la Révolution française, par les héritiers ingrats de la bourgeoisie devenue réactionnaire, ne sont pas des acquis qu'il faut défendre.

Tout ça, il faut le liquider ! Et, dans notre métier d'enseignant, nous avons, dans les conditions politiques actuelles, le loisir de mener cette lutte, sans pour autant croire qu'elle soit suffisante pour changer radicalement les choses.

C'est à travers les illusions de nos collègues, entretenues par les appareils du stalinisme et du réformisme, qu'il nous faut avancer vers la révolution sociale et vers la construction du parti révolutionnaire sans laquelle cette révolution ne pourra pas atteindre son point historique de non-retour. Et ce n'est pas une affaire idéologique, que ce combat !

Je répondrai maintenant à Marie-Line qui a tiré la sonnette d'alarme en disant : « Bon, vous nous avez expliqué que ce n'est pas le changement des mentalités qui va précéder et déclencher la révolution. » Elle accepte ça ; elle est bien aimable. Mais elle ajoute :
« Moi je suis à l'école, je suis institutrice, je crois qu'il y a quelque chose à faire. » Il faut donc lui dire : Oui, il y a quelque chose à faire à l'école. Il n'est pas question de faire son boulot de syndicaliste ou son boulot de militant politique, et de « s'écraser » dans sa classe, ni d'employer les méthodes pédagogiques les plus vétustes, les plus réactionnaire, en croyant que ce sont des acquis et en attendant du mouvement général des masses la transformation ou la destruction de tout ça.

Oui, il y a quelque chose à faire en permanence à l'école, dans le sens le plus novateur. Ce n'est pas nous qui nous opposons à la novation. C'est la bourgeoisie qui empêche la novation depuis les obstacles aux inventions pharmaceutiques jusqu'à l'inhibition de la créativité dans tous les domaines.

Mais nous ne devons pas passer de nos tentatives personnelles de novations pédagogiques à l'illusion idéologique qu'elles pourraient, comme telles, contribuer à la détermination de la révolution.

Que nous soyons en permanence en état de recherche, de tentatives de novation et que nous devions être dans cet état à l'intérieur de nos classes, cela me paraît absolument normal. Encore faut-il le faire sans illusions. Si l'on pose la question : y a-t-il une pédagogie révolutionnaire ? Je dis non, pour ma part. Seul le prolétariat, dans son mouvement objectif, porte en lui la révolution, et non pas telle ou telle pédagogie.

 

 

Par ailleurs, Jean-Joseph nous dit « les bases de la famille ne sont pas transcendantales ». Je dois dire que je trouve irritante la référence aux kibboutzim. Car il est impossible de considérer ce qui se passe actuellement à l'intérieur de l'Etat sioniste sans faire une référence directe à la situation coloniale de cet Etat, à son rôle comme instrument de l'impérialisme dans le cadre du Moyen-Orient.

Qu'il se soit passé certaines choses, dans l'histoire d'Israël, qu'il y ait eu un aspect communautaire dans le militantisme sioniste, ça je le crois. Mais le contenu véritable de l'Etat sioniste est un contenu de guerre. Il y a eu dans l'Allemagne, entre 1914 et 1918, comme Lénine l'a analysé, une espèce d'étatisation de guerre, de tendance au capitalisme d'Etat. C'était lié à la situation de guerre. Alors je n'aime pas qu'on présente les expériences des kibboutzim comme des novations au-delà de la famille, alors qu'il s'agit de palliatifs à la situation de guerre entre l'Etat sioniste et les masses arabes du Moyen-Orient et, spécifiquement, le peuple palestinien.

C'est la dialectique de l'intérieur et de l'extérieur qu'il faut comprendre. Sur la famille, je ferai de très brèves remarques : la famille « cellule fondamentale de la société », c'est un slogan bourgeois, qui date d'un peu plus de cent ans.

Lorsque l'industrialisation capitaliste a arraché des millions d'hommes et de femmes à leurs anciennes communautés villageoises, pour les jeter comme prolétaires dans l'enfer industriel-capitaliste, je dirai que des atteintes ont été portées par le capitalisme à la famille. On a séparé les parents des enfants, on a séparé les hommes des femmes ; on a créé un bétail prolétarien dont Marx disait qu'il n'avait ni patrie, ni famille. Et c'est au moment où la bourgeoisie est destructrice de la famille ouvrière qu'elle chante idéologiquement les louanges de la famille en général.

La fonction de cette idéologie familialiste, c'est de faire en sorte que les masses qui occupent les faubourgs ne soient pas les nouveaux barbares menaçant la cité. C'est une tentative de leur redonner des normes petites-bourgeoises alors que l'exploitation capitaliste détruit, pour elles, les conditions d'une existence familiale et d'un épanouissement des individualités à travers un minimum d'existence familiale.

Jean-Joseph pose la question : peut-on changer la société en changeant la famille ? Non, il faut voir le mouvement objectif. Le mouvement objectif, dans toutes les sociétés, c'est que la famille, loin d'être une cellule de base, est un produit de la société ; ce qu'il y a dans le rapport homme-femme, mari-épouse et dans le rapport parent-enfant vient des rapports de classe sous-jacents. La famille est bien le lieu de la première formation de la personnalité. Mais elle n'est pas un pilier sur lequel repose la société bourgeoise. En tant qu'institution, la famille fait partie de la superstructure de la société ; elle n'est pas une infrastructure de la société. Remplacer la famille par ce que l'on appelle la communauté, ce n'est pas faire la révolution. Au demeurant, je n'ai rien contre les communautés. Les gens qui forment des communautés, je considère que c'est leur affaire, à condition qu'ils ne viennent pas me donner cette affaire comme une tache d'huile qui en se répandant à travers la société nous ferait passer sans combat au socialisme. Car cela, c'est l'idéologie communautaire, néo-évangéliste, et idéaliste que je dénonce. Mais que les gens vivent en communautés, est une autre affaire. Et je n'ai pas lieu de jouer les curés dans ce domaine, non plus que dans aucun autre.

Il faut enregistrer que la société, en se transformant, transforme la famille. Et nous, nous entendons préparer la révolution prolétarienne ce qui est la seule façon d'aller vers une société nouvelle sur la base de laquelle il y aura quelque chose qui viendra remplacer la famille et qui ne sera plus la famille.

A un moment donné, J. Joseph a parlé de monogamie, comme moyen pour conserver la richesse. Dans d'autres systèmes, la polygamie a été un parfait moyen de conserver la richesse. Monogamique ou polygamique la famille est une institution qui exprime des rapports de production, des rapports de propriété sous-jacents.

 

 

Claudine a parfaitement raison de dire que, dans sa commission sur la famille et la « nature humaine », il y avait eu une dénonciation du pseudo-concept idéologique de la nature humaine. Je disais hier, dans cette commission, que l'idéologie de la bourgeoisie tend à nous faire mettre au concept de la nature ce qui est le produit de l'histoire sociale ; ex.: le sexisme, le racisme.

Nicole a dit : « l'idéologie, est-ce qu'il' n'y a pas danger à la surestimer comme le font certains, ou danger à la sous-estimer ? Que faut-il faire ? » Autrement dit, si nous dénonçons ceux qui prétendent mettre au compte de l'idéologie séparée de ce qu'elle exprime, des rapports sociaux fondamentaux, un pouvoir propre contre lequel il n'y aurait rien à faire, est-ce que le fait que nous parlions de l'idéologie ne prouve pas qu'il y a quelque chose à faire par rapport à elle ? Alors, comment pouvons-nous dire qu'une prédication ne déterminera pas la révolution et comment pouvons-nous nous livrer à la critique de l'idéologie ?

La réponse est la suivante : la révolution éclate lorsque les masses sont en mouvement et brisent les structures politiques sociales et économiques qui les étouffent. Ce déclenchement ne dépend de personne.

La révolution ayant éclaté, triomphe ou ne triomphe pas. C'est Octobre après Février, ou c'est, après le 25 avril 1974, le piétinement actuel de la Révolution portugaise, selon que les masses, le prolétariat ont ou n'ont pas à leur disposition un parti ouvrier révolutionnaire capable d'exprimer jusqu'au bout les intérêts fondamentaux de la classe ouvrière contre la bourgeoisie et contre les appareils contre-révolutionnaires qui fonctionnent au compte de la bourgeoisie à l'intérieur même du mouvement ouvrier.

La critique de l'idéologie n'est pas une prédication qui permettrait de mettre en branle les masses ; la critique de l'idéologie est capitale seulement pour et dans la construction d'un parti ouvrier révolutionnaire, internationaliste, et c'est pourquoi, dans la mesure où nous cheminons dans cette direction, la critique de l'idéologie a une importance, et c'est dans ce militantisme patient, acharné, difficile que se situe le dépassement de la contradiction évoquée par. Nicole.

 

 

L'intervention de Marie-Lyne a été brève, mais importante, pathétique parce qu'elle nous dit : tu causes tu causes... et l'école fonctionne.

Je lui réponds :

Nous ne sommes pas des enseignants émasculés, nous fonctionnons bien que la bourgeoisie agonisante nous enlève de plus en plus les moyens de fonctionner et d'exister comme enseignants.

Le carcan dans lequel nous sommes enfermés ne peut être combattu par la simple dénonciation d'illusions idéologiques. Nicole a dit fort bien que derrière les justifications idéologiques de l'ordre bourgeois il y avait toujours la même idéologie sempiternelle, c'est-à-dire la religion. On ne dénoncera jamais assez le caractère profondément religieux de l'obscurantisme des idéologies de la bourgeoisie agonisante.

Je voudrais terminer par la question de nos écoles. Nous sommes dans nos lycées, dans nos universités, dans l'institution enseignante. Nous avons à transmettre des savoirs en vue de contribuer à produire la force de travail. C'est évident. Cet enseignement étant celui de la bourgeoisie dans le cadre de la bourgeoisie, c'est-à-dire du mode de production capitaliste, il est répressif et oppressif. Ce qu'il détériore, c'est le potentiel de créativité de l'enfant. C'est vrai. Alors, pourquoi l'enfant ne se mettrait-il pas à barbouiller sur les murs, à faire n'importe quoi, au nom de sa « créativité » ?

Je constate que les partisans quasi religieux de la « pédagogie libératrice » qui veulent permettre l'expression sans limite de la créativité de l'enfant, ont recours le plus souvent à des moyens plastiques plutôt qu'à des moyens verbaux. On aime que l'enfant sculpte, qu'il peigne. Mais n'a-t-on pas oublié l'importance de la création verbale ?

En fait, il y a la transmission des savoirs, il y a aussi la créativité.

Il y a enfin l'esprit critique. Ce terme ne suffit pas pour préparer la révolution. N'empêche qu'il doit apporter sa contribution dans l'expérience que les individus, à travers les masses, peuvent faire de l'histoire contemporaine.

La bourgeoisie, dans son jeune temps, parlait de l'esprit critique. Elle en parle de moins en moins aujourd'hui. Elle sombre dans un obscurantisme de plus en plus épais et préfère les horoscopes aux attitudes voltairiennes et en règle générale la magie, la sorcellerie, la religion à la science.

N'avons-nous pas, en tant qu'enseignants, à utiliser la situation qui est la nôtre, pour contribuer à l'éveil de l'esprit critique ? Car développer l'esprit critique revient à notre conclusion d'hier : la bourgeoisie nous a donné des armes, retournons-les contre elle, et écrasons là !