Maurice Dommaget (1888-1976) et son épouse Eugénie (photo Le Maitron)…
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Sommaire |
• Les conditions
• La République arrachée
• Les mesures sociales
• Louis Blanc
• Les courants socialistes en février
• Auguste Blanqui
• Le ralliement de l'église
• Explication de l'échec prolétarien
• Le manifeste communiste
• Leçons du manifeste de la révolution de 1848
Le drapeau rouge en 1848 et sous la IIe République
Chapitre 1 : la révolution de février
• Du drapeau rouge en général
• Les drapeaux des barricades
• Apparition des premiers drapeaux rouges
• Succès du drapeau rouge : ses causes
• La thèse lamartinienne
• La thèse proudhonienne
• Le drapeau rouge gagne la province
Chapitre 2 : Lamartine, Blanqui, Proudhon, le gouvernement et le drapeau rouge
• L'effervescence du 25 février
• La sommation de l'ouvrier Marche
• Le discours de Lamartine
• Réactions et mesures d'apaisement
• Riposte de Blanqui
• Nouvelle offensive et délibération du 26 février
• Nouvelle riposte de Blanqui
• Décisions gouvernementales
• Défaite du drapeau rouge
Chapitre trois : des journées de février aux journées de juin
• Eclipse du drapeau rouge jusqu'au 13 mai
• La diatribe de Victor Hugo
• Les journées de juin
Chapitre 4 : sous la répression et la réaction
• Caractère et rayonnement international du drapeau rouge
• Manifestations diverses en 1849
• Le plaidoyer d’Alfred Delvaux 1850
• Après le coup d'état du 2 décembre 1851
(texte écrit en 1928 par le syndicaliste-révolutionnaire Maurice Dommanget, secrétaire général de la Fédération unitaire de l’enseignement de 1926 à 1928 dont il fut un des fondateurs, et publié en mars 1948 par les Editions Spartacus)
Numérisé par Robert Duguet.
Les conditions
La révolution de 1848 ne fut ni dans son origine, ni dans son caractère
une révolution sociale, mais elle pouvait le devenir malgré l'insuffisance des
conditions objectives.
Elle débuta politiquement par un sursaut populaire à la suite de
l'interdiction du banquet du 12e arrondissement. Pourtant, le régime paraissait
solide, presque inébranlable, aussi bien aux républicains qu'aux dynastiques.
Sans doute, depuis 15 ans existait dans le pays, comme l'a reconnu Alexis de
Tocqueville, le sentiment de l'instabilité « ce sentiment précurseur des
révolutions qui souvent les annonce, qui quelquefois les fait naître ». Mais
on s'habitue à tout. Des faits significatifs indiquaient cependant que le
malaise, l'incertitude, la peur du lendemain, sur la base de la crise économique
pouvait permettre à la classe ouvrière, sautant sur l'occasion, de déborder
l'opposition bourgeoise.
La situation des travailleurs de l'industrie et des petits paysans sur
leur « mouchoir de poche » à la veille des événements de février, est
loin d'être éclaircie et mériterait une étude poussée et minutieuse. Toutefois
ce que nous savons indique bien qu'à côté des industriels et des nantis
aristocrates et bourgeois, la misère des masses laborieuses atteignait
l'insupportable qu'exploitait une habile propagande socialiste et des essais de
groupement remarquables. N'oublions pas que les femmes en falbalas et les
hommes en froc, traversant le vieux faubourg Antoine pour se rendre à une fête
à Vincennes au mois de juillet 1847, s'étaient vu siffler au cri de "à
bas les voleurs" ! Et pourtant les ouvriers menuisiers du faubourg
dépositaires de la tradition révolutionnaire et travaillés par le ferment
socialiste étaient privilégiés puisqu'il gagnait dans les trois francs par jour
!
C'est que la moyenne du salaire en France n'atteignait pas alors 1,80
Fr. pour une journée de 13 heures. Pour bien déterminer l'état de la classe
ouvrière : il faudrait placer en regard du gain le prix des choses afin
d'établir la valeur du salaire réel ; il faudrait connaître l'étendue du
chômage, s'occuper de la durée du travail, de l'hygiène, de l'habitat, du
régime des ateliers ; il faudrait établir la proportion inquiétante des
exemptés du service militaire, dresser la statistique du nombre des
délinquants, des enfants abandonnés, des déposants à la caisse d'épargne, des
indigents soutenus par les organismes d'assistance, des ouvriers logeant en
garni. Rien que sur ces deux points, à Paris, en compte dans l'hiver 1847 –
1848 d'après le moniteur, près de 400 000 personnes secourues, soit un
tiers de la population et dans l'année 24 833 ouvriers logeant en garni
dont 160 007 est un 160 761 occuper et 8132 chômeurs.
En province, malgré des adoucissements, l'exploitation est encore
inouïe, surtout chez les femmes et les enfants, particulièrement dans les
multiples établissements religieux qui pratiquaient la « charité chrétienne
» à rebours. C'est ce qui explique par exemple à Lyon en février la
violence des réactions populaires contre les ouvroirs et cet anticléricalisme
de classe, que nous avons retrouvé de nos jours au début de la révolution
espagnole. Agricol Perdiguier, le « Saint Vincent
de Paul du compagnonnage », l'ami de la romancière socialiste George Sand,
plus tard l'adversaire des fédérés à Bercy, a donné dans le journal de Delescluze, "la révolution démocratique et sociale", des statistiques de
salaire en province qui font dresser les cheveux sur la tête.
Aussi, quand on considère tous ces faits, on ne peut douter que
l'ouvrier mécanicien Marche représentait « un moment de la révolution
prolétarienne » lorsque face aux gouvernants de l'Hôtel de ville, il posait
brutalement les revendications populaires en frappant le parquet de la crosse
de son fusil. Bien qu'on ait dit qu'en ce début de révolution, la République
n'avait pas d'ennemis, qu'elle n'avait que des embarras, il est certain que ce
jeune Spartacus concentrant dans ses regards l'électricité et imposant silence
aux nouveaux représentants gouvernementaux de cette révolution sociale qui, en
juin, quelque mois plus tard s'affirmera sur les barricades. Les ouvriers
faméliques, victimes du capitalisme exploiteurs passeront alors, suivant la
célèbre formule de Marx, « de l'arme de la critique à la critique des armes
». Mais sans cadres, sans plan, sans but défini, ils seront décimés.
La république arrachée
Que représentait, au fond, le gouvernement provisoire sorti des combats
de février ?
C’était, selon Karl Marx, « un compromis entre les différentes
classes qui avaient renversées de concert le trône de juillet mais dont les
intérêts étaient opposés ». D'accord. Toutefois, presque tous les hommes de
l'hôtel de ville appartenaient à la bourgeoisie, même Ledru-Rollin et Flocon,
de la petite bourgeoisie républicaine. La classe ouvrière n'avait que deux
représentants, le timide Louis Blanc, dont le livre socialiste sur
l'organisation du travail avait eu un immense succès et le mécanicien Alexandre
Martin dit Albert, ouvrier authentique et fils de petits cultivateurs, ancien
membre des Sociétés Secrètes. Encore est-il bon de remarquer que Louis Blanc et
Albert ne furent admis dans l'aéropage gouvernemental que sous la menace d'en
appeler au peuple et en qualité de « secrétaire », tout comme du reste
Flocon et Armand Marrast.
Lamartine, porte-parole ou plutôt barde du gouvernement provisoire avait
bien compris, l'un des premiers en France, que la question sociale se posait
comme le grand problème de la politique intérieure du XIXe siècle. Il sentait
très bien l'injustice des rapports entre ouvriers et patron ; mais c'était un
bourgeois de situation et d'idées, un bourgeois qui éprouvait un dégoût profond
de la classe ouvrière assimilée toujours à la populace, un bourgeois qui
ramenait la réalisation du socialisme à quelques institutions d'assistance. Sa
spécialité dans le gouvernement fut de dompter publiquement la bête populaire à
coups de belles phrases et, en privé, par des flatteries, des largesses aux
chefs de clubs, des mesures positives de répression.
Un fait significatif est bien révélateur marque les premiers pas de ce
gouvernement qui contrairement à sa première déclaration n'avait qu'un rapport
assez lointain avec "les droits les progrès et la volonté du
peuple" dont le sang généreux avait coulé une fois de plus. La République
n'aurait point été proclamée sans la pression extérieure de ces combattants
armés dont Raspail se fit l'orateur et sans la pression intérieure des hommes
de La Réforme siégeant à l'hôtel de ville. Raspail, échappé des prisons,
ne se contenta pas de faire dédaigneusement la leçon à tous les dynastiques se
pavanant sur les tapis de la maison commune. Il lança un ultimatum ordonnant la
proclamation officielle de la république dans un délai de deux heures. Bien
mieux, une fois dans la rue, il monta sur une borne, brandit sa canne et
balayant toutes les hésitations proclama au nom du peuple : « la république
une et indivisible », devise que des ouvriers transcrivirent au charbon sur
une bande de toile et agitèrent à la lueur des flambeaux devant le siège du
gouvernement.
Le délai fixé par Raspail n'était pas écoulé que les murs de la capitale
se couvraient d'affiches répondant aux vœux le plus pressant du peuple. Suivant la formule imaginée et dure de Louis Blanc – un autre
rescapé des cachots, – il avait fallu faire violence aux « valets de
Louis-Philippe » pour les « métamorphoser en brillants papillons
républicains ».
Ainsi débuta la
révolution de 1848. Les combattants durent arracher la République à ceux qui se
déclaraient sortis « d'acclamation et d'urgence de la voix du peuple et des
députés des départements ».
Les mesures
sociales
On pense bien que le contenu social d'une république établie dans ces
conditions devait être forcément peu de choses. La chute du drapeau rouge
devant le drapeau tricolore l'indique assez.
Ce contenu dépendait essentiellement du rapport des forces entre les
deux grandes classes rivales : la classe ouvrière et la classe bourgeoise.
C'est ce qu'on pourrait montrer par un parallèle par un parallèle entre le
mouvement ascensionnel des masses populaires ou de la réaction et les textes
officiels. Mais surtout il faudrait suivre de près la traduction de ces textes
dans la réalité vivante car il convient de faire large part à la duperie.
Le droit au travail avec l'engagement de le satisfaire, proclamé le 25
février, aboutit après les journées de juin à une promesse toute théorique sans
aucune obligation de l'État et telle que tous les gouvernements l'avaient formulée
jusque-là.
La création immédiate des ateliers nationaux le 26 février, décision
complétée le 27 par l'établissement de quatre séries de travaux de terrassement
aboutit sous l'égide du ministre des travaux publics, l'antisocialiste Marie,
chargé de l'exécution, à la résurrection des anciens ateliers de charité.
C'était une forme détournée d'assistance par le travail, un « misérable
expédient » selon le mot de Louis Blanc. On fit même de ces étranges
ateliers, par la propagande et l'embrigadement militaire, un instrument de
combat contre les socialistes jusqu'au jour où s'avérant inutiles et même
nuisibles on les liquida le 21 juin.
La commission du gouvernement pour les travailleurs dits du Luxembourg,
créé le 28 février, installée le 1er mars, groupa anarchiquement des corps
d'ouvriers et des représentants du patronat en même temps que quelques hommes
d'études et des économistes à tendances socialiste ou démocratique. Ce fut, un
dégorgeoir, une soupape de sûreté, un exutoire. Karl Marx l'a défini « une
synagogue socialiste dont les grands prêtres Louis Blanc et Albert avaient pour
mission de découvrir la terre promise, de publier le nouvel évangile et
d'occuper le prolétariat parisien ». Le rédacteur du Manifeste Communiste
ajoute en raillant : « à la différence du pouvoir profane, cette chapelle
n'avait à sa disposition, ni budget, ni pouvoir exécutif. Le cerveau devait à
lui tout seul abattre les fondements de la société bourgeoise. Tandis que le
Luxembourg cherchait la pierre philosophale, on frappait, à l'hôtel de ville,
la monnaie ayant cours. »
Rien de plus vrai. Cette commission était impuissante. Elle n'avait pas
d'argent. Elle ne correspondait même pas un ministère du travail dont elle
proposa du reste en vain la création ; elle ne jouait qu'un rôle officieux. Et
émettait les théories, des projets, écoutait des rapports et des discours qui
avaient pour effet, bien que ne dissimulant pas les obstacles à vaincre,
d'exciter le désir des uns, la haine des autres. Quand les ouvriers réclamaient
le socialisme en fait, elle offrait de l'aveu même de Louis Blanc, « le
socialisme en théorie ». Il est d'ailleurs juste de noter que sous le
rapport des bonnes intentions, ce fut un tout petit peu, suivant le mot de
Louis Blanc "le socialisme en pratique ».
C'est sur le rapport du Luxembourg que le gouvernement décréta la
diminution d'une heure de la journée de travail ce qui la ramenait à 10 heures
à Paris, à 11 heures en province. « Un travail manuel trop prolongé,
affirmait le décret, non seulement ruine la santé du travailleur, mais encore
en l'empêchant de cultiver son intelligence, porte atteinte à la dignité de
l'homme ». Le même jour et dans le même décret sur proposition du
Luxembourg, l'hôtel de ville abolit le marchandage ou tâcheronnat comme «
essentiellement injuste, vexatoire et contraire aux principes de la fraternité
». Ces décisions n'étaient que bluff, rien n'était prévu comme moyen
d'application. Le gouvernement ne les vota du reste à contrecœur et comme
l'avoue Garnier – Pagès par ce que « le salut public parlait dans le moment
plus haut que toutes les considérations secondaires ».
C'est en se plaçant à la tête du mouvement coopératif que la commission
fit œuvre utile et durable. Elle ouvrit cette période héroïque de la
coopération de production, tout à la gloire de la classe ouvrière française,
qui montra au monde qu'une importante élite de travailleurs était capable en
pleine société capitaliste de se soustraire à la tutelle du patronat et de se
préparer à la gestion collective en réalisant la démocratie économique à
l'atelier.
Par ailleurs la commission inaugura la procédure d'arbitrage entre
patrons et ouvriers, se transformant par la force des choses en une sorte de
conseil des prud'hommes nationale. Sur ce plan encore et grâce surtout aux efforts
personnels de Louis Blanc, la vérité oblige à reconnaître que son action
s'avéra efficace. Mais ce n'était point sur un plan socialiste, c'était pour
amortir la lutte des classes, moteur principal de la révolution.
Louis Blanc
Louis Blanc est le symbole du socialisme opportuniste pacifique et
réformiste en pleine révolution de 1848. À ce titre, c'est une figure
extrêmement attachante et qui a tenté divers biographes, en dernier lieu
Monsieur Édouard Renard
[1]
.
Mais ces auteurs n'ont cherché ni à retrouver l'origine de l'attitude de Louis
Blanc ni à en indiquer les traits essentiels. Tentons la chose à leur place
dans la mesure où le permet la brièveté de notre contribution.
D'abord, il faut dire à la décharge de Louis Blanc qu'en 1848 le
prolétariat était seulement en formation. Il n'était qu'en voie de séparation
de la petite bourgeoisie : il liait son action à celle de cette dernière et il
subordonnait en général son intérêt à l'intérêt de la petite bourgeoisie. Le
socialisme, d'autre part, malgré et peut-être à cause des élaborations
idéologiques de toute une phalange de penseurs restait confus, vague, diffus,
sans limites précises. C'était pour le plus grand nombre une aspiration vers
les réformes économiques et sociales. Des républicains modérés s'y ralliaient.
L'instinct de Blanqui et la science de Marx annonçaient déjà, il est vrai, le
socialisme nettement révolutionnaire et prolétarien, mais Blanqui n'atteignait
qu'une infime minorité et Marx était presque inconnu en France.
Dans la riche galerie des grandes figures du socialisme de la Monarchie
de Juillet Louis Blanc tient une des premières places comme écrivain et comme
homme politique. On lui doit l'Organisation du Travail, ouvrage bref, si
bref qu'il ne dépasse pas la dimension d'un article de revue. C'est un écrit
sans but original qui puise son inspiration dans le saint-simonisme, le
fouriériste, le babouvisme mais qui a le double avantage de n'être en pleine
période de développement prolétarien et de formation idéologique du socialisme
(1839), d'être à la portée des ouvriers, de leur donner une formule d'action
simple, sinon claire.
Comme homme politique, Louis Blanc s'est contenté de manier la plume
sous la Monarchie de Juillet dans le progrès du Pas-de-Calais, le bon sens,
la revue pour les républicaines, la revue du progrès, le journal du peuple et
la réforme, tandis que Blanqui, Barbès et autres, s'organisaient dans les
sociétés secrètes et luttaient dans la rue les armes de la main contre le
pouvoir. Plus tard Louis Blanc se trouvera investi de mandats électoraux et
l'on doit noter ici cette attitude postérieure pour éclairer son comportement
en 1848. En effet, la Commune le trouvera de l'autre côté de la barricade et il
termina sa carrière politique comme parlementaire radical, oscille toutefois à
l'opportunisme de Gambetta. Ainsi, parti du socialisme à tendance
prolétarienne, nous voyons Louis Blanc aboutir au radicalisme bourgeois, et
cela dans le même temps où des vétérans du socialisme utopique et apolitique
inclinaient sous la leçon des faits vers le socialisme prolétarien.
C'est tout à fait significatif et il est logique en somme que le premier
socialiste qui est pratiqué la participation au pouvoir bourgeois offre à nos
méditations une telle évolution.
Quand la révolution de février éclate, à la faiblesse des conditions
objectives indiquées plus haut vint s'ajouter pour Louis Blanc une faiblesse
subjective résultant de sa formation par trop livresque, de sa méconnaissance
des élans, des poussées, des enthousiasmes populaires, de ses fréquentations
bourgeoises, de sa complexion et de son caractère. L'impression qui se dégage
de sa personnalité, c'est le manque de cran, d'énergie, de décision, la
promptitude au découragement, la peur de l'action directe des masses, l'abattement
physique rapide. Son opportunisme sort peut-être encore plus de là que de la
faiblesse des conditions matérielles de l'époque.
Quel contraste de tempérament, par exemple, entre Louis Blanc et
Lamartine ! Celui-ci de haute stature, de voix mal, respirait la force.
Celui-là, comme dit Vienney, « avait l'air de
sortir de la pose de l'autre ». Louis Blanc était, en effet, de taille
enfantine, le Figaro dit qu'à vingt pas il « avait l'air d'un jeune
poupard ». A l'assemblée, il lui fallait un escabeau pour déborder la
tribune suffisamment. Sans doute, ceci n'est pas un vice rédhibitoire ; le cas
du petit Blanqui le prouve. Mais comment ne pas noter que dans toutes les
grandes circonstances, Louis Blanc se trouvait mal ? Le 25 février, quand
Lamartine fit son discours sur le drapeau rouge dont la formule fameuse était
d'ailleurs soufflée par Marrast, on vit Louis Blanc se trouver mal au grand dam
du tribun vaniteux qui manquait sa péroraison. Le 15 mai 1848, quand
l'assemblée fut envahie par les manifestants, Louis Blanc tomba épuisé sur les bancs. Ses collègues de l'assemblée n'avaient
qu'à l'interrompre quelque peu pour le désemparer, ses collègues du
gouvernement provisoire n'avaient qu'à le presser, qu'à insister, qu'à évoquer
une chose ou une autre pour le faire capituler sur les points qui lui tenaient
le plus à cœur. A combien de reprises ne donna t'il pas où ne fut-il pas
prêt à donner sa démission ? Le 24 février, quand se posa la question de la
proclamation de la République, le 28 février quand fut décidée la création de
la commission du Luxembourg, le 17 mars, quand le prolétariat tenant la rue,
pouvait conquérir son hégémonie… À chaque fois, il revint sur sa décision, il
se laissa circonvenir, il transigera ou il capitula.
Au temps de la monarchie de juillet, il s'était laissé prendre aux affirmations
grandiloquentes, aux marques d'émotions du prince Louis-Napoléon. En pleine
révolution de 1848, il se laissa prendre de même aux belles phrases et aux
effusions de ses collègues bourgeois. Plus tard, à Londres, on le vit un moment
tout prêt à se jeter dans les filets de Ledru-Rollin. Le 16 avril 1842, Louis
Blanc fut joué, humilié par Lamartine comme un enfant. Sans Marrast, il était
arrêté. Cette épreuve ne lui servit pas de leçons.
Louis Blanc était loin, comme on le voit, d'avoir de la volonté. Chose
curieuse même, le peu de volonté dont il disposait servait à endiguer le flot
populaire. Fort de la confiance des ouvriers il se permettait de résister à
leurs exigences, alors qu'il s'inclinait devant la résistance de ses rivaux
bourgeois. C'est pourquoi ceux-ci se servirent de lui comme d'un paratonnerre
pour se préserver de la foudre prolétarienne. « Il a sauvé la société des
ravages d'une inondation socialiste, emportée, aveugle, révolutionnaire » ainsi
que l'a dit un chef d'école sociale réformiste de l'époque. Et en effet, Louis
Blanc réalise le type accompli du socialiste ou du travailliste promu
gouvernant bourgeois à une époque de crise sociale et qui ne peut pas faire
autrement que trahir la cause prolétarienne.
Louis Blanc était d'autant plus désigné pour servir de sabots d'enrayage
à l'action des masses qu'il n'avait pas de tempérament révolutionnaire et qu'il
était tout à fait apte à entretenir les illusions populaires.
Bien qu'il ait défini quelque part la politique comme « la force mise
au service du droit », Louis Blanc s'oppose toujours à l'organisation de la
force, à l'utilisation de la violence prolétarienne. Il demandait la
révolution… À condition qu'elle ne fut pas révolutionnaire. « Cette
révolution si nécessaire, a-t-il écrit, il est facile de l'accomplir
pacifiquement ». Tout ce qui se disait dans les clubs l'épouvantait. Il
n'avait pas confiance dans la sagesse d'une foule ouvrière. Il avoua avoir été
effrayé rien qu'à l'idée de la manifestation populaire projetée pour le 17 mars
1848. Aussi, en juin 1848, Louis Blanc resta-t-il tranquillement au
Palais-Bourbon pendant que le sang des prolétaires lavait les pavés de la
capitale. Plus tard, en 1870, son attitude ne variera pas. Tout en
reconnaissant l'incapacité du gouvernement de la Défense nationale, il croira
par de simples démarches (!) mettre Trochu en demeure de quitter le pouvoir ;
il refusa de participer à la journée du 31 octobre. Après le 18 mars 1871, il
dira comme une flétrissure aux membres du comité central : « vous êtes des
insurgés ! » On comprend qu'Auguste Blanqui était depuis toujours la bête
noire de Louis Blanc. Il représentait la dictature révolutionnaire du
prolétariat, la fin du socialisme de la phrase : c'était tout l'opposé.
Mais, dira-t-on, dans ce gouvernement provisoire de 1848 où il est
conquis par cette bourgeoisie qu'il croit conquérir, que va faire Louis Blanc
pour conserver les bonnes grâces de la classe ouvrière, comment s'y
prendra-t-il pour se maintenir dans une position aussi fausse ? C'est bien
simple. Il emploiera une méthode qui a fait ses preuves… Il prodiguera les
promesses alléchantes. De la pharmacopée bourgeoise il sortira tous les
narcotiques bons pour endormir les travailleurs. Il écrivait dans son histoire
de 10 ans : « la patience est une vertu républicaine ». Maintenant il
exhortera les faméliques au calme, il leur expliquera que la réduction des
heures de travail porterait atteinte aux forces productives, il préparera
académiquement des réformes qui ne peuvent être obtenues que révolutionnairement…
Et le plus fort est qu'à l'encontre de ses émules d'aujourd'hui, Louis Blanc
était probablement de bonne foi. Ce n'est pas que, par moments, il n'ait senti
avec amertume le rôle de dupe qu'on lui faisait jouer, mais il était pris dans
l'engrenage de l'État bourgeois. Il n'avait pas assez de volonté pour s'en
dégager.
L'exaspération, le désespoir des insurgés de juin proviennent évidemment
de bien des facteurs. Qui osera soutenir que l'escamotage de Louis blanc n'y
fut pas pour quelque chose ?
Dans son discours à l'enterrement de Barbès, Louis blanc magnifiant le «
Bayard de la démocratie » signala qu'en celui-ci « le penseur engendra
le soldat ». S'il est une image qui ne s'applique pas à Louis blanc c'est
bien celle-là. En lui le penseur fut loin d'engendrer le combattant. On
comprend que sur le tard il ait fait cette confidence à un de ses amis : «
si j'avais à recommencer ma vie, je me détacherais de la politique pour ne
m'occuper que de littérature ».
Les courants socialistes en février
Quand surgissent les barricades de février 1848, la France, « terre
classique des révolutions », est également le pays par excellence des
théories socialistes. Paris, depuis une vingtaine d'années, est considéré par
les novateurs des deux mondes comme la Mecque du socialisme.
Ce n'est pas par hasard que des Allemands comme Weitling, Marx, Engels, Ewerbeck, Herwegh, qu'un Italien comme Mazzini, qu'un russe
comme Bakounine, qu'un polonais comme Lelewel – pour
ne citer que ces quelques noms – sont venus y prendre les contacts
indispensables. Ce cri de la république démocratique et sociale qui suscitera
tant de combattants et de martyrs aux quatre coins de l'Europe, il est parti
depuis longtemps des bords de la Seine et c'est à Vendôme, sur les bords du
Loir, que l'intrépide et grand Babeuf avait posé dans toute son ampleur, dès la
fin du XVIIIe siècle, la question sociale sur l'échafaud. N'oublions pas
l'affirmation d'Henri Heine qui fut en relation à Paris même avec l'élite des
talents et des génies de l'époque : « les Français sont le peuple – élu de
la nouvelle religion, c'est dans leur langue qu'ont été formulés les premiers
évangiles et les premiers dogmes. Paris est la nouvelle Jérusalem et le Rhin
est le Jourdain qui sépare du pays des philistins la terre consacrée à la
liberté ».
Quelles sont les courants de la pensée socialiste quand le gouvernement
provisoire s'installe à l'hôtel de ville ?
Il y a le saint-simonisme. Le maître est mort depuis près d'un quart de
siècle, laissant une école au rayonnement considérable dans l'élite
intellectuelle mais qui s'est finalement discrédité par ses folies mystico –
burlesque. Elle n'avait jamais été populaire
malgré son aspiration à l'affranchissement de « la classe la plus nombreuse
et la plus pauvre ». Elle ne pouvait prétendre à une influence sérieuse sur
les hommes des barricades. L'école ou plutôt ce qu'il en reste est d'ailleurs
divisé. Le Père Enfantin qui a prévu la crise, cette fameuse omelette se
retournant, rentre sous sa tente. D'autres prennent peur. Parmi ceux qui
agissent, Olinda Rodriguez va soutenir la réforme bancaire, la participation
aux bénéfices, le droit des femmes ; Duveyrier participera aux travaux de la
commission du Luxembourg ; Bareste fondera la
république ; enfin et surtout Hippolyte Carnot participera au gouvernement en
tant que ministre de l'instruction publique. Avec Raynaud et Charton il
établira, entre autres choses, l'école d'administration.
Le fouriérisme, lui
aussi, recrute surtout parmi les intellectuels, mais il a toutefois des assises
populaires. La révolution le trouve en plein essor grâce à l'évolution
politique, à la propagande intense et habile, au sens de l'organisation de
Victor considérant. Un peu partout les membres de l'école sociétaire avaient
mis sur pied des coopératives de consommation, des coopératives de production,
des essais phalanstériens vulgarisant l'idée d'association, polarisant de
larges couches. La librairie sociétaire de la rue de Beaune, avec ses 40
filiales en province, ses publications de tout genre et à la portée de toutes
les bourses était un modèle. Aussi ne doit-on pas s'étonner, aussitôt après les
journées révolutionnaires, du rapide succès du club et du journal la
Démocratie pacifique, prélude à l'élection de Considérant, dans le Loiret.
C'est dans la
librairie fouriériste qu'avaient été éditées des brochures sur «
l'organisation du travail » de Math Briancourt et de Forest, vendu autour
de 5000 exemplaires. Leur titre indique assez que la formule si populaire en
février n'est point l'apanage de Louis blanc. Mais il faut rendre à César ce
qui appartient à César. Il est incontestable que c'est Louis blanc dans le
Bon Sens et dans la Revue du Progrès d'abord, dans son ouvrage, tiré
à plusieurs éditions ensuite, qui a véhiculé le plus la formule. Ses écrits ont
été lus par la génération qui a versé son sang sur les barricades. Ils ont été
médités par tous ceux – et ils étaient nombreux – que rongeait alors la fièvre
sociale. Auguste Blanqui, si sévère pour Louis Blanc homme d'État, reconnaît
que Louis blanc penseur socialiste a dit « d'excellentes choses ». Et,
en effet, après avoir fait une critique de la concurrence qui rappelle celle de
Fourier, Louis blanc entend se servir de la concurrence pour l'éliminer et en
même temps développer la sécurité sociale et la gestion collective par la
multiplication des ateliers sociaux, grâce au concours de l'État devenu le
levier de la révolution.
C'est cet étatisme
de Louis blanc qui répugnait à Proudhon, aussi hostile au gouvernement qu'à
l'exploitation de l'homme par l'homme. Par le lancement de ses pétards : «
la propriété c'est le vol », « Dieu c'est le mal ! » Il avait acquis chez
les prolétaires pénétrés d'esprit de révolte un prestige au moins égal au
prestige de Louis blanc. D'autant plus que la bourgeoisie apeurée faisait du
démolisseur bisontin, une sorte de Vouivre, un monstre du socialisme.
Cependant, en ce début de la révolution, Proudhon ne crée ni un club ni un
journal et son influence reste insaisissable. On ne pourra parler de
proudhonisme que plus tard et c'est seulement fin mars qu'il lancera le
Représentant du Peuple dont il fera bien vite, en dehors et au-dessus des
partis et des sectes, un puissant instrument d'agitation.
Au contraire de
Proudhon, le communiste Pacifique, Étienne Cabet, est à la tête d'une
organisation solide et bien ramifiée quand la révolution éclate. L'Icarisme vise à la transformation de la société par la
juxtaposition d'éléments alvéolaires. Il séduit beaucoup d'ouvriers malheureux
par la perspective de colonies modèles. Son journal le Populaire, son
club « la société fraternelle centrale » – ou Robert Owen se produira –
sont bien fréquentés. Du reste, Cabet, qui ne manque pas de sens politique
malgré son utopisme sait mettre une sourdine à ses principes communistes pour
brasser des masses. En cela il ressemble Blanqui. Mais fidèle à sa fameuse
déclaration : « si je tenais une révolution dans ma main, je la tiendrais
fermée », l'auteur du voyage en Icarie repousse en thèse générale et à tous
les moments décisifs le recours aux forceps transmis par la tradition
babouviste.
C'est Blanqui qui
représente authentiquement cette tradition soigneusement entretenue dans les
sociétés secrètes, couvée dans les prisons, expérimentée dans les émeutes. Il
groupe d'emblée dans son club ce que Lamartine appelait les chevaliers
l'impossible : les républicains, les communistes de l'avant-veille, tous ces
rescapés de la monarchie de juillet unis à des réformateurs de toutes nuances.
Ce socialisme de ralliement et de combat, réaliste, éclectique, résorbant un
théoricien communiste – matérialiste comme Dezamy, un
écrivain fouriériste comme Toussenel, un philosophe
comme Renouvier, les futurs communards Millière,
Jules Miot, Henri Brissac constitue un courant tout à fait remarquable qui
prélude à ce vaste front unique des socialistes préconisé un an plus tard, – un
an trop tard, – par Victor Considérant.
D'autres aspects de
la pensée socialiste retiennent alors l'attention. Il suffit de citer les noms
évocateurs de Pierre Leroux, de FV Raspail, de Vidal, de Pecquer,
de Buchez et même dans une certaine mesure de Lamennais. Quant au marxisme qui
vient de refouler l’influence de Weitling dans la Ligue des Communistes c'est en
Belgique, c'est à Londres qu’il a posé ses fondations. Et s'il a pu en quelque
sorte couronner idéologiquement la révolution de février par l'élaboration du Manifeste
Communiste, c'est parce que suivant la formule consacrée, il a pu joindre
et combiner aux leçons de la philosophie allemande et de l'évolution économique
anglaise les riches apports de tous ces courants du socialisme français.
Auguste Blanqui
Dans les premiers mois de la révolution, il n'y a vraiment qu'un homme
parmi les chefs d'école républicains et socialistes qui voit clair au point de
vue social et qui cherche à orienter les masses en conséquence : c'est Blanqui.
Il symbolise comme l'a reconnu Marx, le communisme révolutionnaire et la
dictature du prolétariat.
Raspail et Cabet adoptent certes, une attitude d'opposition. Mais le
premier, depuis son irruption à l'Hôtel de Ville, se tient à l'écart des
manifestations et des pressions populaires. Quant au second, rebelle comme nous
l'avons vu, à tout remaniement de l'arme révolutionnaire, il se rangea en fait
du côté du Gouvernement Provisoire à toutes les grandes journées.
Proudhon discernait bien « l'incapacité rare » des hommes au
pouvoir, intrigants et « blagueurs de première force ». Il les devinait,
menant la révolution à « une mystification de plus ». Mais il n'avait
pas d'orientation nette et ne sortait de sa « solitude » que pour œuvrer
avec les Rollinistes et leurs auxiliaires les Barbésistes.
En ce en cette période de mortelles illusions rares, alors que la
révolution n'était comme on l'a dit et c'est très juste que « le romantisme
en politique », quand tous ou presque s'abandonnaient à l'euphorie,
Blanqui, s'appuyant sur la Société Républicaine Centrale et quelques
clubs sympathisants dénonçait avec force « la comédie de 1830 qui
recommençait ». Il protestait tout de suite contre l'abus des concessions,
la duperie ou la timidité des mesures gouvernementales, l'abandon du drapeau
rouge : il montrait l'impossibilité de la victoire démocratique et du triomphe
du socialisme sans l'intervention dirigeante de la classe ouvrière. Il
préconisait des mesures révolutionnaires indispensables, les seuls pouvant
maintenir la dynamique prolétarienne, les seuls pouvant amener dans un avenir
proche le concours immense des masses populaires, car il voyait plus loin et
plus haut que son club et que les 150 clubs de la capitale, banlieue comprise.
Ces mesures qui restent pour une large part les directives de toute
révolution à son aurore sont les suivantes : rupture avec les anciens gouvernants
et les hauts fonctionnaires de l'ancien régime ; pas d'élections prématurées ;
des armes, du pain, l'affranchissement fiscal, le droit de réunion et le droit
de coalition aux travailleurs. Au lieu de préconiser trois mois de misère à
mettre au service de la République dans le même temps les nouveaux Curtius
s'infligeaient 200 Fr. par jour pour leur quote-part de martyrs et de
pénitence, Blanqui posait hardiment le principe : « du pain pour tous ou
pour personne ».
Sans prononcer une seule fois le mot de communisme qui effrayait et
parce que dans son horoscope le communisme « terme final de l'Association » figurait
comme effet non comme cause, sans égarer les ouvriers dans la recherche de la
pierre philosophale par l'alambic de la commission du Luxembourg. Blanqui en se
plaçant sur le plan des intérêts ouvriers et tout en passionnant les
consciences rejoignait Babeuf et annonçait Lénine. Il allait vers l'idéal par
le réel. Il traçait la ligne politique d'un socialisme réaliste dans lequel les
nécessités révolutionnaires, les aspirations démocratiques, les revendications
populaires les plus pressantes alliées aux plus hautes visées politiques
formaient un tout indivisible. Comme on comprend que réactionnaire de droite,
réacteurs de gauche, fricoteurs et renégats aient concentré leurs feux sur lui,
qu'il l'ait contraint à la défense personnelle en lui assénant par derrière un
coup de massue terrible
[2]
! Malgré son dédain de la calomnie, Blanqui fut obligé de riposter aux
accusations infâmes portées contre lui. Son offensive fut enrayée, le doute fut
sommé dans bien des esprits, le camp révolutionnaire fut en proie aux
dissensions, la conquête des larges masses ne put se faire.
Marx, qui a bu dans la chope de Flocon, ne s'est rendu compte qu'après
coup de la place éminente occupée par Blanqui dans la lutte des classes au
cours des événements de 48. Comment s'étonner que tant d'hommes du rang n'aient
pas vu clair au moment crucial ? Le mot de la situation a été donné par
Tocqueville, adversaire lucide qui ne pouvait voir Blanqui sans dégoût et
horreur :
« Il y a eu des révolutionnaires plus méchants que ceux de 1848, mais je
ne pense pas qu'il y en ait eu de plus sots ; ils ne surent ni se servir du
suffrage universel, ni s'en passer. S'ils avaient hardiment saisi la dictature,
ils auraient pu la tenir quelque temps dans leurs mains. Mais ils imaginèrent
niaisement qu'il suffisait d'appeler la foule à la vie politique pour l'attacher
à leur cause et que, pour faire aimer la République, c'était assez de donner
des droits sans procurer des profits ».
L'idylle de février, après la montée du 17 mars, finit dans les
fusillades et les égorgements de juin suivant une courbe constamment descendante.
En quatre mois toutes les illusions étaient dissipées, les espoirs de la
Révolution sociale étaient enterrés pour 20 ans.
Le prolétariat apprenait à ses dépens qu'il ne doit point pécher par
excès de confiance.
Ralliement et revirement de l'église
En particulier, et c'est un point sur lequel il convient d'insister, il
ne sut pas voir clair dans le jeu souple et subtil de l'église catholique.
Celle-ci s'était dressée tout au long de la monarchie de juillet contre
la Révolution, les droits de l'homme, le suffrage universel, l'université. Elle
avait répandu les thèses du pape Grégoire XVI dans son encyclique Mirari Vos qualifiant la liberté de conscience
de fausse et absurde, la liberté de la presse de « funeste, exécrable ». La
majorité écrasante des prêtres avait soutenu Louis-Philippe. Or, quelques jours
après la victoire populaire clergé et chef du parti catholique adhérèrent à la
République et à la Révolution. Les mêmes gens d'église qui avait glorifié «
les principes de servitude, d'inégalités et de division sociale » et qui
s'étaient opposés « aux progrès sociaux » – pour reprendre des
expressions du journal l'Atelier – paraissaient gagnés par l'ambiance nouvelle. D'autant plus que le Gouvernement Provisoire
comptait parmi ses membres, Lamartine, le grand poète chrétien des Harmonies,
et comme ministre de l'instruction publique Hippolyte Carnot, qui proclamait
l'avènement du règne de l'Évangile, l'unité de la patrie et de la religion et
invitait les évêques à substituer à l'ancienne formule des prêtres le Domine Salvam fac Republicam. (Seigneur, sauve la République !)
Les prélats, dans leurs mandements, invoquaient Dieu, Jésus-Christ et
les principes de l'église primitive pour exhorter le clergé et les fidèles à
l'obéissance au régime républicain. Ils déclaraient se rallier à « l'esprit
de liberté » et Monseigneur Parisis, évêque de Langres, parlant de la
trilogie républicaine s'écriait lyriquement : « liberté, égalité,
fraternité, mort sublime ! » Montalembert, de son côté, affirmait que la
théologie catholique a proclamé « le droit divin des peuples et qu'il n'y
aurait pas « de meilleur et de plus sincères républicains que les catholiques
français ». Partout, aux vitrines des papetiers, s'étalaient les gravures
du Curé Patriote, cocarde tricolore au tricorne, montant la garde en
lisant son bréviaire, de la République présentée au monde par la religion, de
Jésus-Christ premier représentants du peuple avec l'écharpe tricolore en
sautoir…
D'autre part, bien différents des sans-culottes de la déchristianisation
jacobine, les insurgés de 1848, même ceux qui se réclamaient de l'athéisme, ne
se livrèrent à aucune violence iconoclaste. On en vit s'incliner devant les
crucifix. Il y en eut enfin qui se postèrent à l'entrée d'un couvent de
jésuites pour le protéger. Et comment s'en étonner quand on sait que les
ouvriers socialistes groupés autour de l'Atelier, que Pierre Leroux,
George Sand et tant d'autres invoquaient Dieu et voyait un socialiste dans
Jésus ? Le conspirateur Armand Barbès n'avait-il pas dit en recevant l'aumônier
des prisons après sa condamnation à mort en 1839 : « je suis chrétien et la
religion ne doit pas être un des moindres soutiens de la cause républicaine ? » Aussi bien, Gustave Lefrançais a-t-il pu parler
de la « christôlatrie » commune alors à toutes
les écoles socialistes. N'oublions pas qu'à l'office du 4 mars, célébrée par
décret à la Madeleine et dans toutes les églises de Paris, assistèrent des
délégations d'ouvriers, de condamnés politique et de loges maçonniques.
Les arbres de la liberté furent pris souvent dans les jardins des
congrégations et enrubannés par des religieux. Le clergé en grande pompe les
bénit au chant des hymnes sacrés, jusque dans le jardin du Luxembourg, en
présence de Louis blanc et Albert. On vit même à Lyon, la fameuse formation
armée révolutionnaire des Voraces participer à l'inauguration symbolique
dans le même temps où le curé de la paroisse Saint Just, prenant d'étranges
licences avec l'histoire et l'enseignement des livres saints, montrait « le
fils du charpentier de Nazareth » mort « sur l'arbre de la liberté ».
Hélas ! L'eau bénite avec laquelle on aspergea les arbres de la liberté
ne leur fut pas profitable. La plupart de ces arbres crevèrent et la liberté
qu'ils représentaient, prix glorieux de son courage et de son sang, ne tarda
pas à être ravie au peuple français. Il pourra mesurer alors la valeur des
belles périodes de Lamartine dans sa fameuse circulaire aux agents
diplomatiques, quand il annonçait que les mots de Liberté, Egalité, Fraternité
appelait sur le berceau de la république « les bénédictions de Dieu et des
hommes ».
Le 17 mars 1848, note justement Karl Marx, le prolétariat fait voir «
son corps gigantesque ». Du coup, le clergé ne perd pas de temps. Tout de
suite il découvre son vrai visage. La panique cléricale n'est pas moindre que
les paniques gouvernementales et capitalistes. On lâche les convictions de
fraîche date du haut de la chair et dans les journaux confits en dévotions.
Comme les capitalistes au guichet des banques lâchent les billets dans
lesquelles ils n'ont plus confiance. La concomitance est frappante.
Bien significative aussi est la remarque faite par Pierre Leroux à
l'Assemblée nationale lors des massacres de juin quand on légifère sur la
transportation sans jugement des prolétaires. L'ancien rédacteur de La Revue
Encyclopédique fait observer que parmi les hommes de l'Évangile, et prêtres
présents, pas un ne s'élève contre cette inique mesure. « Il lisent leur
bréviaire et ne prennent pas la parole », note-t-il amèrement. Pierre
Leroux ignorait sans doute qu'une bonne partie de ces enfants de la garde
mobile dont les fusils faisaient merveille sur les travailleurs affamés
sortaient de la société Saint François-Xavier et de la pieuse école de l'abbé Bervanger. Il ne savait pas que ces jeunes qui se
montrèrent si cruels trouvaient asile en pleine bataille dans les multiples
maisons religieuses de la capitale.
Aussitôt l'insurrection vaincue, Sénart à la présidence de l'assemblée
s'écria : « remerciez Dieu ! Remerciez Dieu ! » Le clergé, par
profession comme par inclination, ne manqua pas de remercier Dieu, en effet. Il
assista, en nombre, à la cérémonie officielle organisée place de la Concorde.
Sur un immense autel que dominait un dais de 20 m de haut, l'évêque de Langres
officia assisté des évêques d'Orléans et de Quimper :
trois prélats députés, qui s'étaient montrés inaccessibles à toute « charité
chrétienne » et muets comme des carpes lors de la généreuse intervention de
Pierre Leroux ! Un autre service religieux fut dit ensuite à la Madeleine, en
l'honneur des « braves morts en combattant pour la société attaquée par la
barbarie ». Comme les choses se répètent : 23 ans plus tard, l'abbé du Marhallac'h, député du Morbihan, dira la même messe des
massacreurs au plateau de Satory !
Qu'après le général Cavaignac, sauveur du moment, vienne Louis-Napoléon
Bonaparte, le sauveur numéro 1, l'église se vautrera à ses pieds. À la suite du
coup d'état du 2 décembre il ne se trouva que deux évêques pour s'imposer une
certaine réserve dans leur langage et Victor Hugo a pu dire à propos du Te Deum
du 1er janvier 1852 :
« Prêtre, ta messe, écho des feux de peloton,
Est une chose impie,
Derrière toi, le bras ployé sous le menton,
Rit la mort accroupie »
Bientôt l'évêque de Rennes saluera en Napoléon III « de tous les
monarques français depuis Saint-Louis le plus dévoué à l'Eglise et à son œuvre
de civilisation et de progrès ». Quant au journal catholique l'Univers,
il fera ouvertement l'apologie des dragonnades et de la révocation de l'édit de
Nantes, jettera feux et flammes contre la révolution, la République et le
socialisme. Tout n'est-il-t-il pas, pour le mieux ? Le ciel, selon le mot de
Pie IX, avait acquitté « la dette de l'Eglise envers la France ».
Explication de l'échec prolétarien
Tous ces faits parlent haut. Ils vérifient, certes, le mot pittoresque
de Kautsky, à savoir que l'église catholique « a l'estomac assez bon pour digérer n'importe quel régime politique ». Mais il
établissait aussi que c'était folie de croire à une conversion sincère de sa
part : la vérité, c'est qu'en dépit de ces mimétiques affirmations
progressistes, elle est toujours prête à retourner à son vomissement
réactionnaire. Et comment ne le ferait-elle pas plus qu'elle est par son
essence, par sa structure, par sa tradition historique une puissance totalitaire
?
Les vrais démocrates, les socialistes de 1848 ont eu tort de croire à
l'alliance de la République et de l'Eglise. Comme ils ont eu tort de ne pas
pousser plus énergiquement à l'épuration afin de nettoyer l'armée, la
magistrature, la diplomatie, les grandes administrations de toutes les
créatures de régime déchu. « On ne nettoie pas les écuries d'Augias avec un
plumeau » écrivait Chamfort.
Ils ont eu tort également de se satisfaire de phraséologie creuse au
lieu de s'intéresser à l'élévation immédiate du niveau de vie des masses, en
préconisant les mesures sociales et financières diamétralement opposées à celle
que prit le gouvernement des banquiers et des jongleurs. Car « il faut faire
vivre le pauvre » comme disait en l'an II Jean Bon Saint-André si l'on veut
qu'ils soutiennent la révolution. Or, bien loin de s'assurer le concours des
ouvriers, le gouvernement les a dressés contre lui par ses décisions
inopérantes qui les laissaient dans une condition plus misérable qu'auparavant,
avec un chômage accru et une montée en flèche des denrées de première
nécessité. Bien loin de s'assurer le concours des paysans, l'Hôtel de ville les
dressa contre lui en renforçant l'impôt foncier de 126 millions – chiffre
énorme pour l'époque – et en ne libérant pas les dettes hypothécaires s'élevant
à 500 millions, tout en laissant croire par surcroît, que la victoire des
travailleurs urbains menaçait les lopins de terre.
Comment expliquer que l'avant-garde révolutionnaire parisienne qui
arrivait à grouper dans la rue 150 à 200 000 personnes pour faire pression
sur le Gouvernement Provisoire n'ait pu obtenir plus de résultats positifs ?
Ici encore toute une étude serait nécessaire. Contentons-nous
d'effleurer quelques points.
Les têtes de l'opposition de gauche, Blanqui, Raspail, Cabet ne
s'entendaient pas et Barbès, jouissant d'un grand prestige dans les masses,
soutint le gouvernement dans son ensemble dans son offensive contre Blanqui et
se fit réacteur à toutes les grandes journées « trois fois en trois mois » pour
reprendre l'expression même dont se sert Proudhon dans ses Confessions d'un
Révolutionnaire. Deuxième point. Les clubs qui effarouchaient les bourgeois
du faubourg Saint-Germain vendant leurs selles et
abattant leurs chevaux de race étaient, au fond, de l'aveu même de
conservateurs clairvoyants aussi peu inquiétants pour la paix sociale que
l'était le jockey club. Ils formaient un dégorgeoir, un exutoire à la base
comme le Luxembourg au sommet. Ils étaient plus innocents que dangereux. «
On m'annonce qu'il y a à Paris 34 clubs écrit l'Illustration du 18 mars. Tant
mieux ! J'en voudrais 100 ; mais nous y arriverons. Un seul serait bien plus à
craindre ». Ce qu'il fallait, ce n'était pas une poussière de parlottes où
l'on jouait dangereusement au croque-mitaine révolutionnaire. Pas d'atomisation
et de déviation. La situation demandait un mouvement syndical et un mouvement
politique capable de pratiquer l'unité d'action. Mais la classe ouvrière de
1848 ne sut pas trouver la structure politique et économique lui donnant une
force de combat efficace. Sur ce plan d'importance, pas plus Marx, présent à
Paris, que Blanqui, toujours attentif aux problèmes d'organisation n'eurent
l'idée de cette forme de cristallisation populaire. Tout au plus, Blanqui, à
deux reprises, montra-t-il des velléités d'organisation politique
[3]
.
Le manifeste communiste
Assurément, le manifeste communiste formulait un programme de
revendications et de réformes immédiates tout à fait remarquables, programme
qu'Engels a mis au point et adapté dans une lettre du 26 mars à son beau-père
Émile Blank. Mais il faut bien reconnaître que sur le plan de l'organisation
appropriée à la lutte révolutionnaire en cours, le manifeste communiste reste
dans les brouillards flottants. Au demeurant, eût-il apporté à ce sujet quelque
lumière, son enseignement n'eût point porté.
Il n'arriva à Paris qu'à la fin du mois de mars sous l'espèce de
l'édition allemande et au moment où beaucoup de réfugiés germaniques partaient,
étaient partis ou allaient partir se jeter dans la fournaise d'outre-Rhin.
On ne peut donc parler d'influence même indirecte du Manifeste
Communiste sur les ouvriers révolutionnaires de Paris, ce qui a été
formellement reconnu par Engels. Du reste sa diffusion pendant la révolution
n'a laissé jusqu'ici aucune trace. Mais son apparition historique à cette
époque n'en constitue pas moins l’événement de premier ordre dont le centenaire
est fêté en bien des lieux et à juste titre tout autant que le centenaire de la
révolution de 1848.
Manifeste révolutionnaire et révolution manifeste se rejoigne en effet
comme deux flammes ardentes. On ne peut donc les séparer artificiellement et
après avoir parlé de l'une il n'est que juste de dire quelques mots de l'autre.
Ils constituent un aboutissement, leurs antécédents sont les mêmes et ce serait
fausser la perspective historique que de les considérer intrinsèquement d'en
faire une sorte de hiatus dans la poussée en avant du prolétariat.
De même qu'on ne peut s'expliquer la révolution de 1848 sans la
révolution de 1789 – 1793, pour comprendre
vraiment le Manifeste Communiste il convient de le relier aux textes qui l'ont
précédé et qui jalonnent l'histoire du socialisme et de la classe ouvrière à
partir de la fin du XVIIIe siècle. Rien ne serait plus intéressant qu'un
ouvrage qui insérerait chacun d'eux dans leur ambiance respective, qui en rechercherait
les inspirateurs et les rédacteurs, qui en soulignerait la portée par une ample
analyse historique et idéologique.
Le Manifeste des
Enragés de Jacques Roux, adopté unanimement en
1793 par la section parisienne des Gravilliers, dans
le quartier même où la première Internationale devait siéger, marque en pleine
sans-culotterie l'affirmation du socialisme sur le plan de la consommation et
nous aurions aujourd'hui plus d'un enseignement à en tirer.
Le Manifeste des
Plébéiens (15 brumaire, en quatre), mûri dans la
prison d'Arras, condense en des pages tout aussi
ardentes, qu'enflamme la sainte colère de l'indignation et de la révolte,
l'essentiel des thèses communistes familières à Babeuf. Ce n'était, de l'aveu
de son auteur, qu'une esquisse, un précis sommaire, un avant-goût, la pierre
d'attente d'un « grand manifeste » proclamant à la face de la société
des « fripons » l'égalité de fait, « dernier but de l'art social » aux dires de Condorcet.
Le Manifeste des
Egaux, en l'an IV, qui prend précisément comme
épigraphe cette affirmation retentissante, énonce et condense par la plume
éloquente de Sylvain Maréchal à la fois les idées directrices du premier
mouvement politique communiste révolutionnaire et les aspirations confuses d'un
peuple qui vient de faire l'expérience terrible d'une révolution ayant assis de « nouveaux tyrans », de « nouveaux Tartuffes politiques » à la
place des anciens. Ce texte dans lequel voisinent des affirmations de lutte de
classe, d'anarchisme, d'égalitarisme ascétique avec des réminiscences jacobines
pose les principes de la révolution sociale et du communisme plébéien avec la
Commune comme alvéole de la société. Les revendications du socialisme sur les
plans de la production et de la consommation énoncées dans les deux précédents manifestes
s'y marient et déjà on y trouvera un souci de conjuguer les réformes immédiates
et les buts ultimes comme de riposter point par point aux arguments des
adversaires que nous retrouverons dans le manifeste communiste. Sans doute on
ne s'y adresse qu'aux « peuple de France » considérée comme l'instrument
et le bénéficiaire du plus vaste dessein, de la « sainte entreprise » conçue
et organisée en vue du « bonheur commun », sans doute il n'y est point
question de l'organisation et de l'action internationale des travailleurs mais
le communisme y est nettement envisagé comme un idéal universel à l'échelle
mondiale. On le représente aussi et déjà dans sa phase dernière comme substituant
l'administration des choses au gouvernement des hommes, comme supprimant ce «
chaos » qui, « sous le nom de politique règne depuis trop de siècles»,
formule qui passera dans le Manifeste Communiste où il est annoncé que
par suite de l'évolution socialiste « les pouvoirs publics perdront leur
caractère politique » et que la société deviendra « une association ou
le libre développement de chacun sera la condition du libre développement de
tous ».
Le Manifeste de la
Démocratie (1847), mise au point et complément du Manifeste
Sociétaire paru six ans plus tôt et dû comme celui-ci au phalanstérien
Victor Considérant, mesure le chemin progressif parcouru par la doctrine
socialiste au point de vue critique sur la base du développement capitaliste,
de l'antagonisme des classes, des études historiques et économiques, de
l'apport saint-simonien, fouriériste, oweniste. Mais
il mesure en même temps le chemin rétrograde parcouru au point de vue
démocratique, communiste et révolutionnaire par suite d'un demi-siècle de
propagande et de lutte sous des formes clandestines, conspiratives,
parlementaires ou utopiques ayant masqué plus ou moins le précieux enseignement
du Manifeste des Egaux et de la tradition sans-culotte.
J'ai montré
ailleurs tout ce que Marx et Engels doivent à Victor Considérant, tout ce
qu'ils ont emprunté au Manifeste de la Démocratie, il serait faux
néanmoins d'avancer, après Tcherkerov, que le Manifeste
Communiste n'est qu'un démarquage du chef de l'Ecole sociétaire. Certes,
Marx et Engels ont reconnu ce qu'ils devaient à leurs devanciers. Mais il nous
appartient, à notre tour, de reconnaître et de proclamer bien haut que le
manifeste est aussi dans une large mesure, le résultat de leurs études et de
leurs recherches personnelles. Ils lui ont donné par surcroît une allure, une
facture, un tour de main qui en fait le meilleur manuel de la révolution
prolétarienne et du socialisme.
Leçons du manifeste
et de la révolution
Est-il besoin de le
dire ? Le Manifeste se ressent forcément et des particularités qui présidèrent
à son élaboration et de l'époque même où il fut rédigé. Non seulement il s'y
trouve des pointes contre d'autres fractions socialistes dont la Fédération des
Communistes son initiatrice, devait nécessairement user, mais on y relève des
prophéties dans l'immédiat qui se sont avérées fausses. D'autre part si l'idée
de la dictature impersonnelle du prolétariat y est, le mot n'apparaît que dans
une œuvre postérieure : Le 18 brumaire. Les mesures immédiates sont à
peu près les mêmes que celles des babouvistes. Elle ne saurait nous suffire aujourd’hui.
On y parle, ni de la Russie, ni des États-Unis, les deux pôles actuels du monde
et pas plus des huit heures que du 1er mai qui devait jouer un si grand rôle
moteur dans la lutte internationale du prolétariat. On ne fait qu'y entrevoir
la grève générale. La symbolique révolutionnaire est absente ainsi – et pour
cause – que la question des rapports du socialisme avec le syndicalisme, la
coopération, le parlementarisme et le municipalisme. Dans sa réaction contre
l'utopisme, le Manifeste va peut-être trop loin en se refusant à toute esquisse
des grandes lignes de la société socialiste. Marx saura du reste reconnaître
plus tard qu'un homme comme Fourier a eu "le pressentiment et
l'expression imaginative d'un monde nouveau ». Enfin les problèmes connexes
de la bureaucratisation du mouvement ouvrier et de la formation d'une caste
directoriale prenant la place de la classe capitaliste ne sont pas soupçonnés.
Marx et Engels ne
se dissimulait pas les lacunes, les insuffisances, voire les erreurs du
Manifeste. En 1872, 34 ans après son apparition, il en fait l'aveu à la face du
monde. Mais ils se sont toujours refusés à le rajeunir, à le mettre au point et
en cela ils ont eu raison. Leur texte doit être pris tel quel. Il est
indivisible. C'est un tout, une date. Toute retouche le gâterait. On ne saurait
le modifier en quoi que ce fut.
On peut, on doit prendre en considération ces points fondamentaux. Mais
se refuser, comme certains fanatiques plus marxistes que Marx lui-même, à en
critiquer ou en adapter certaines parties sur le plan actuel du socialisme,
c'est dogmatiser, c'est tomber dans l'idolâtrie, c'est ressembler à ces
croyants stupides qui voient la solution de tous nos maux dans la Bible, ce
livre de sang et de boue d'un autre âge, œuvre de ténèbres sillonnée de
quelques éclairs. La vérité qui éclate à tous les yeux c'est que le monde
marche et très vite. La planète subit des bouleversements inouïs. En
élargissant sans cesse son horizon, elle élargit nécessairement l'enseignement
du Manifeste, lui donnant des perspectives insoupçonnées, l'enrichissant
d'applications nouvelles. C'est ainsi que Kautsky, à une certaine époque,
Lénine, Rosa Luxembourg, Léon Trotsky – pour ne citer
que ces quatre fortes personnalités – ont pu par leurs travaux, par leurs actes, préciser, rectifier, compléter sur bien des points l'apport de Marx.
Fait curieux, il
n'y a pas dans la si riche littérature socialiste un texte d'une aussi grande
importance que le Manifeste Communiste et qui soit passé si longtemps
inaperçu. On pourrait à ce sujet se livrer à des développements bien propres à
retenir l'attention. Mais aujourd'hui, après 100 ans d'existence et bien plus
que ne le soulignait Engels le 1er mai 1890 le manifeste est devenu « l'ouvrage
le plus répandu, le plus insurrectionnel de toute la littérature socialiste, le
programme commun de plusieurs millions de travailleurs de tous les pays, depuis
la Sibérie jusqu'à la Californie ».
Puisse le
prolétariat s'inspirer de ses directives générales dans les formidables luttes
qu'un avenir immédiat lui réserve ! Puisse t'il s'inspirer aussi des tragiques
leçons de 1848, leçons qu'en quelques pages concises, ardentes et sanglantes
Blanqui tirait déjà, dès le troisième anniversaire de la révolution de février.
Le drapeau rouge en 1848 et sous la IIème République
1
Chapitre 1 : La révolution de février
Du drapeau
rouge en général
Le drapeau rouge
apparaît au premier rang dans presque toutes les tentatives, les épreuves et
les batailles du peuple ouvrier. Faire l'histoire ou plutôt esquisser
l'histoire du drapeau rouge équivaut donc à retracer partiellement l'histoire
du prolétariat. Mais c'est la retracer sous un angle particulier, car le fait
d'arborer le drapeau rouge est un trait révélateur d'une certaine maturité
sociale, d'un certain degré de conscience sociale, d'un sûr instinct
révolutionnaire ou parfois, plus simplement, d'un esprit de révolte
élémentaire.
En même temps,
faire l'histoire du drapeau rouge c'est, en quelque sorte, concrétiser
l'histoire prolétarienne et socialiste, car c'est prendre dans cette histoire
un objet réel présentant par rapport à d'autres traductions de l'action
ouvrière l'avantage d'être mesurable et tangible, ce qui évite de gros risques
d'erreur. C'est en outre entrer dans le domaine du symbolisme prolétarien et
révolutionnaire qui mérite attention et étude au même titre que la symbolique
religieuse ou nationale.
Le déploiement du
drapeau rouge est encore intéressant à étudier en ce sens qu'il s'accompagne
d'une série de phénomènes ressortissant aux logiques collectives ou mystiques
jouant d'une façon concrète dans les conditions sociales de notre époque. Il
est indiscutable, en effet, que la classe ouvrière et le socialisme, même quand
celui-ci se réclame de la science, sont travaillés et parfois dominés par une
mystique et que, comme l'écrit Antonio Labriola, pourtant féru de matérialisme
historique, « il n'y a pas de fête de l'histoire qui ne soit précédée,
accompagnée, suivie par des formes déterminées de conscience que celle-ci soit
superstitieuse ou expérimentale ».
Dégager la
signification mentale, morale, sociale qu'implique le déploiement du drapeau
rouge, pénétrer l'âme d'une collectivité dans la mesure où elle se révèle par
cet acte, c'est aussi, pour une large part, faire connaissance avec sa coutume,
repérer ses habitudes qui livrent beaucoup mieux ressorts intimes et forces
profondes que des motions de clubs ou de congrès, que des discours de leaders.
Enfin, l'histoire
du drapeau rouge est liée si étroitement à l'hagiographie socialiste, à
l'héroïsme, au sacrifice, au martyrologue de la classe ouvrière, qu'elle prend, par la force
des choses, les caractères d'une épopée. Les masses en ont comme l'intuition et
les orateurs populaires le sentent si bien, que l'évocation du drapeau rouge «
rouge du sang de l'ouvrier », fait partie des leviers habituels
inspirant le fanatisme et poussant au combat.
Ces
considérations sont d'ordre général et nous aurons l'occasion de les développer
dans un ouvrage consacré à la question. Pour l'instant, profitant du centenaire
de la révolution de 1848, nous nous limitons à retracer l'histoire du drapeau
rouge au cours de ce grand événement et jusqu'à la chute de la IIe République.
Les drapeaux des barricades
Février 1848 ! En
48 heures, les masses parisiennes, irrésistibles, règlent leurs comptes au
régime. Comme l'a écrit un insurgé, 100 000 soldats déterminés à mourir
n'aurait pu sauver la monarchie. Neuf ans plus tard, Bakounine évoquant avec émotion
les barricades « dressées comme des montagnes et s'élevant jusqu'aux toits »,
il verra encore « ses » nobles ouvriers, dans l'ivresse du triomphe,
chantant des airs patriotiques et « brandissant des drapeaux rouges »
[4]
En effet, c'est
surtout sous les plis du drapeau rouge que les ouvriers se lèvent et
combattent. Le fait est indéniable. Mais aller au-delà, pousser plus loin
l'affirmation, c'est tomber dans l'erreur.
Il n'est pas
croyable, ainsi que l'écrit Louis Blanc,
[5]
que sur les barricades
de février 1848 le peuple n'ait arboré que des drapeaux rouges. Tout s'inscrit
en sens contraire.
D'abord, nous
avons un témoignage qui n'est point négligeable c'est celui de Léonard Gallois.
Dans sa Lettre aux citoyens membres du Gouvernement Provisoire, il fait
remarquer que « sur quelques-unes des barricades de 48 on vit apparaître le
drapeau rouge » qui, ajoute-t-il un peu plus loin « flotta toujours à
côté des trois couleurs »
[6]
.
L'argument tiré
des illustrations contemporaines
[7]
où l'on voit figurer sur
les barricades à la fois le drapeau tricolore et le drapeau rouge était
considéré mais ne saurait être décisif étant donné l'à peu près qui caractérise
les dessins de ce genre. Mieux vaut admettre que nul ne
peut se porter garant de la couleur des drapeaux sur les 1600 barricades qui
hérissaient la capitale le matin de la journée du 24. D'autant plus que les
consignes données aux bureaux de la Réforme et dans les autres centres
dirigeants de l'insurrection défendaient d'arborer un autre drapeau que le
drapeau tricolore
[8]
.
Certes, les
événements sont souvent plus fort que les hommes, et nous ne saurions
sous-estimer l'importance du facteur spontané dans les mouvements de masse.
Néanmoins, on peut présumer que les bourgeois et les petits boutiquiers qui
tenaient certaines barricades, ont suivi, nombreux, cette consigne. Au surplus,
le fait qu'au cours des journées de juin, trois mois plus tard, les prolétaires
exaspérés et désespérés arboraient encore le drapeau tricolore dans une forte
proportion, vient montrer surabondamment qu'après avoir eu tort de minimiser
les cas d'apparition du drapeau rouge sous Louis-Philippe, Louis blanc a eu
tort de surestimer la diffusion du drapeau rouge sur les barricades de la
république naissante. La seule explication qu'on puisse fournir de cette
position, c'est que Louis blanc était guidé sans doute par le désir de
justifier a posteriori son attitude au sein du gouvernement provisoire. Mais
cette explication n'est pas une excuse et l'histoire n'a que faire des
considérations objectives et des plaidoyers pro domo.
Cette réserve
fondamentale acquise, il est juste de reconnaître qu'au cours des combats de la
révolution de février, le drapeau rouge a vraiment conquis droit de cité. Il ne
s'agit plus cette fois d'une apparition partielle, en quelque sorte
moléculaire. Il s'agit de son apparition sur une grande échelle. Dans un
magnifique élan spontané, les ouvriers de Paris prirent, en général, le drapeau
rouge comme signe de ralliement.
Le 21 février
pourtant, au crépuscule de cette timide journée d'émeutes qui raffermit
l'aveugle Guizot, une bande, armée d'échalas arrachés dans les vignes, défilent
derrière un drapeau noir. Mais ce n'est qu'une velléité puisqu'on ne revoit que
très peu de cet emblème au cours des jours suivants
[9]
.
Apparition
des premiers drapeaux rouges.
La question de
l'apparition des premiers drapeaux rouges en février 1848 est controversée. Si
l'on s'en rapporte à Auguste Nougarède, ils surmontèrent dès le 22 les
barricades élevées à l'entour de l'Hôtel de Ville.
[10]
.
Mais Victor Bouton
énonce formellement que le premier drapeau rouge fut planté le 23 à la
barricade du coin de la rue Cléry et de la rue du Petit Carreau. Il nous
apprend même dans quelles circonstances :
« On avait
abattu une voiture de vidange et un fiacre dont le store fut arboré en signe de
drapeau… Personne ne le vit avec frayeur ; il avait son ridicule. Mais il
servit d'exemple, et la fantaisie vint aux insurgés de ce véritable quartier de
l'émeute de hisser les stores rouges au-dessus des voitures qu'ils
renversaient. »
[11]
D'après le même
auteur, le drapeau rouge flottant boulevard Bonne Nouvelle à l'angle de la rue
Poissonnière avait été obtenu par un procédé identique.
[12]
Comme les choses se
répètent dans le temps et dans l'espace ! Cette utilisation des stores de
voiture en guise de drapeau par les insurgés de 1848, n'est-ce pas la
reproduction pure et simple du geste des Suisses de Châteauvieux à Nancy en
1790 ?
Au témoignage de
Louis Ménard, toujours le 23 février, mais rue Saint-Martin, le drapeau rouge
se serait trouvé lié à la fraternisation grâce à l'héroïsme d'un gamin de 15
ans. Au moment où la troupe s'apprêtait à faire feu, ce gamin se serait élancé
vers elle et s'enveloppant dans les plis d'un drapeau rouge, aurait crié : «
tuez, si vous l'osez ! » Ce geste audacieux et pacifique, suivi de
l'approche des insurgés sans armes, détermina les soldats à fraterniser. Le
fait est rapporté par Lourdoueix sans spécifier qu'il
s'agit d'un drapeau rouge, et la teneur de cette version fait plutôt croire
qu'il s'agit d'un drapeau tricolore. Il est possible que Louis Ménard ait été
induit en erreur car un journal du temps rapporte le même fait en le situant
toutefois rue Saint-Honoré. Dans cette troisième version, le combattant
juvénile « s'élance tenant un drapeau tricolore à la main, debout sur la
barricade » et « roule le drapeau autour de son corps ».
[13]
C'est un drapeau
rouge qui dominait le formidable réduit de la porte Saint-Denis qu'Odilon
Barrot tenta vainement de faire tomber sans combat au pouvoir des troupes du
général Bedeau
[14]
.
Voici maintenant
deux faits très nets de répudiation du drapeau tricolore. À la caserne des
municipaux, faubourg Saint-Martin, l'officier se trouva contraint de remettre
au peuple le drapeau placé au-dessus de la porte afin d'éviter une lapidation
et l'emblème fut ensuite promenée en trophée dans les rues.
[15]
Au poste du « grand carré des Champs-Élysées » le drapeau fut
pris, déchiré et jeté à la foule.
[16]
D'autre part, c'est
précédé d'un drapeau rouge que se déroula la grande manifestation se dirigeant
vers la Madeleine par le boulevard des Capucines et dont le heurt avec la
troupe amena la fusillade célèbre.
[17]
Et ce serait encore avec un drapeau rouge qu'aurait eu lieu la sombre
promenade des cadavres dans la nuit du 23 au 24 février, promenade dont
l'influence fut capitale pour la généralisation et le succès de l'insurrection.
[18]
Le 24 au matin, des
barricades du quartier des rues de Cléry et des Jeuneurs sont surmontées, il
est vrai, de petits drapeaux tricolores apportés des maisons voisines et sur
lesquels sont inscrits les mots « Vive la réforme ! »
[19]
, mais le même jour la foule qui pénètre aux Tuileries a pour emblème
le drapeau rouge. Le velours grenat du trône déchiré et découpé sert à
confectionner à la fois un bonnet rouge dont on orne la statue de Spartacus, et
des insignes qui brillent bien vite sur la poitrine des gardes nationaux et des
combattants. L'homme du peuple qui saute sur le trône pour y proclamer la République,
un drapeau rouge à la main, et un peu plus tard, quand la chambre tergiversera,
discutant la question de la régence, c'est en brandissant un drapeau rouge avec
la mention "Vive la République!" qu'une
jeune fille à cheval apparaîtra, dit-on, devant le palais Bourbon.
[20]
Le soir du 24,
quand 200 000 hommes au moins engorgent les rues et les abords de l'Hôtel
de Ville dans l'ivresse de la victoire et l'impatience de la proclamation de la
république, des drapeaux rouges et aussi des drapeaux noirs « flottent en
lambeaux au bout des baïonnettes ». La question s'agite dans la foule
fiévreuse et hésitante à la voix des orateurs, ici d'arborer le drapeau rouge,
là de déployer le drapeau noir. Cependant après la proclamation de la République
– et Lamartine en témoigne – « un drapeau tricolore fut arboré à une fenêtre
» de l'édifice communal.
[21]
Succès du
drapeau rouge, ses causes.
Le 25, le drapeau
rouge est en passe de devenir le drapeau national, et le bruit se répand que le
Gouvernement Provisoire l'a adopté
[22]
. Cabet l'affirme et dit même que les nouveaux gouvernants l'ont «
fait arborer »
[23]
Daniel Stern et Louis combes vont jusqu'à
dire que même « on préparait un drapeau »
[24]
. Sur les mairies, les postes, à l'Hôtel
de Ville flottait l'étendard rouge
[25]
qu'une colonne du peuple provoquant un ordre du gouvernement voulait
arborer sur le château de Vincennes. Le Béarnais équestre de l'hôtel de ville
était transformé en porte-drapeau révolutionnaire
[26]
et, aux alentours de la maison commune, le drapeau rouge se voyait
aux fenêtres et jusque sur les toits
[27]
. La rosette rouge, par ailleurs, fleurissait les boutonnières, même
d'étrangers. Et l'on vit jusqu'à un agent secret de la police russe parcourir
la capitale « avec une énorme tresse de laine rouge à la boutonnière »
[28]
Cette victoire
éclatante du drapeau et de la couleur rouge s'explique très bien. Le drapeau
tricolore peu à peu dépopularisé par la monarchie de juillet ne pouvait
résister à la suprême épreuve de l'insurrection victorieuse.
Aux yeux d'un grand
nombre d'ouvriers, avoue Madame d'Agoult « le règne de Louis-Philippe, la
paix à tout prix, les bassesses du pays légal avaient enlevé tout prestige au
drapeau tricolore ». Ils voulaient, en le quittant, « marquer avec éclat
qu'il répudiait 17 années d'un gouvernement corrupteur »
[29]
.
C'est aussi l'avis
d'un certain nombre de bourgeois intellectuels qui, d'opposants, s'étaient
faits combattants et épousaient la cause du peuple ouvrier. L'un d'entre eux,
Louis Ménard, alors âgé de 26 ans, note que le drapeau tricolore était souillé
par les années de honte sous la Monarchie de Juillet "auxquelles il
ajoute 15 ans de despotisme sous l'empire »
[30]
Renoncer au drapeau
tricolore, c'était donc condamner une politique révolue.
Et quoi de plus
naturel que le drapeau rouge, après avoir été à la peine, fût à l’honneur ?
Comment peut-on admettre que le peuple aux bras nus sortant des barricades et
se dirigeant instinctivement sur l'Hôtel de Ville au lendemain du combat, eût
pu abandonner son emblème ?
« L'ayant voulu
pour le combat, dit Louis blanc il le voulait après la victoire »
[31]
.
C'est ce que
reconnaît Madame d'Agoult à peu près dans les mêmes termes. Elle dit, en
parlant des ouvriers :
« Ils entendaient
garder après la victoire le drapeau du combat »
[32]
.
Les travailleurs
comprenaient en outre que les institutions nouvelles réclamées par eux ne
pouvaient reprendre purement et simplement le drapeau des institutions
anciennes. Leur volonté de réformes profondes s'exprimait dans le changement du
drapeau. Et cela d'autant plus qu'ils craignaient des complots royalistes et
que le Gouvernement Provisoire ne leur inspirait qu'une confiance limitée.
Ces dispositions
rendaient chères au peuple la conquête d'un langage qui le rassura contre la
crainte de voir la République être autre chose qu'une halte sur la route des
révolutions.
[33]
Nous tenons ces
lignes de Louis Blanc, mais Tridon est plus
explicite. Il fait de l'étendard rouge de 48 le drapeau de la franchise
sociale. C'est, dit-il, « celui qui est du haut des barricades repoussait
tout compromis et tout atermoiement hypocrite. Son éclatante couleur gênait les
caméléons »
[34]
.
Blanqui et ses
partisans s'en faisaient bien cette idée-là. On sait, du reste, que Blanqui ne
fut pas étranger à la rédaction des pages sur 48 que nous a laissé son disciple Tridon et d'où ces lignes sont extraites.
Pour les lutteurs
des sociétés secrètes, ces farouches et obstinés « républicain de la veille
» qui encadraient par la force des choses les masses maintenant en
ébullition, le drapeau rouge représentait autre chose encore. C'était comme un
vieil ami
[35]
. Ils l'avaient adopté secrètement depuis des années comme symbole de
leurs aspirations. A présent que l'inconscient collectif avait joué, renversant
les barrières fragiles derrière lesquelles on avait essayé de contenir leur
emblème, ils s'attachaient davantage à celui-ci et considéraient son triomphe
comme de rigueur. Ils y voyaient – on l'a dit et c'est fort juste – « la
pieuse consécration d'un souvenir »
[36]
.
Il convient de
tenir compte de ce sentiment intime et de bien saisir la réalité psychologique
qu'il implique si l'on veut apprécier à sa juste valeur la passion qui poussait
les révolutionnaires éprouvés à faire adopter le drapeau rouge comme drapeau de
la légalité nouvelle.
Quant aux
considérations tirées de l'érudition et qui auraient porté le peuple à revêtir «
la pourpre pour son joyeux événement »
[37]
– la pourpre ayant été de tout temps la couleur affectée aux honneurs
suprêmes – il est évident qu'on ne peut pas les retenir. Il y avait, certes,
des révolutionnaires érudits qui voyaient dans l'adoption du drapeau rouge une
imitation des souverainetés spirituelles et temporelles de jadis. Il s'en
trouvait qui, sachant la place importante occupée par l'étendard rouge dans la
série des drapeaux nationaux, ne manquait pas de rattacher le présent au passé
et de trouver là une justification. Mais des pensées de cet ordre étaient
certainement étrangères à la majorité des insurgés de 48. Elle ne fut pas
étrangère, en tout cas, au ralliement au drapeau rouge d'une démocratie
curieusement barbouillée de bonapartisme, comme Hippolyte Castille, si l'on en
juge par ces lignes qu'il écrivit après coup, six ans plus tard :
"Le drapeau
rouge était bien choisi quoi de plus beau que le rouge ! Il enchante l'œil
comme une fanfare enchante l'oreille : il est sonore comme un hallali dans les
bois. Sa couleur est celle du sang et par conséquent de la vie. Le rouge excite
au combat. Les soldats romains s'habillaient de rouge pour que l'ennemi ne vît
pas leurs blessures. Le rouge resplendit dans les pompes de l'église. C'était
la couleur de l'oriflamme gauloise et du vieux drapeau français. Les fédérés de
1790, luttant contre la réaction au pouvoir, levèrent le drapeau rouge : chaque
fois qu'un tas de pavés s'est dressé au coin d'un carrefour contre la
monarchie, on a presque toujours vu flotter un guidon rouge au sommet. Au total
quelque antécédent historique ou symbolique qu'on puisse lui donner, cette
couleur rouge exprimait à Paris au XIXe siècle, je ne sais quel sentiment
insurrectionnel qui devait lui attirer fort légitimement l'anathème du parti
conservateur.
Par un intérêt du
même genre, les sectes socialistes ne virent pas plus tôt étinceler cette
flamboyante bannière, qu’elles accoururent comme abeilles à la ruche. Et dès
lors il ne manqua plus qu'un acte public pour que toutes les petites églises du
socialisme deviennent un parti. »
[38]
Le drapeau devient
le point de ralliement des opprimés, et au-delà de l’aspiration à devenir une
classe politique en capacité de gouverner la société.
La thèse lamartinienne
On a prétendu que
le peuple obéissait à une inspiration sauvage. A des sentiments de haine, à une
volonté de menaces, en réclamant le drapeau rouge. Lamartine a particulièrement
soutenu cette thèse. Il fait du drapeau rouge le « signe de terreur et de
détresse » et va jusqu'à dire que « la masse flottante et indécise de
ces hommes pauvres et ignorants ramassés dans les faubourgs » arborèrent le
drapeau rouge « seulement parce que cette couleur excite les hommes comme
les brutes ».
Exagération et
outrance lamartinienne mise à part, que faut-il penser de cette thèse qui a été
réfutée dès 1849 par Charles Robin ? Qu'il y ait eu parmi les insurgés des
hommes décidés à faire revivre contre les bourgeois des mesures terroristes
employées en 1793 – 1794 à l'égard des aristocrates, des prêtres et de certains
riches, cela ne fait aucun doute. Trop de républicains socialistes étaient
nourris de la tradition révolutionnaire pour oublier ses leçons. Il leur
paraissait tout indiqué de transposer sur le plan nouveau les méthodes des "grands
ancêtres". Mais ce qu'on peut affirmer, c'est que très rares furent
les hommes qui exprimèrent formellement de telles pensées.
On ne doit surtout
pas oublier que le 25 février, date de la grande offensive spontanée en faveur
du drapeau rouge, était le jour de l'enthousiasme, de la fraternité, des
grandes illusions. C'est donc une gageure que d'en faire, à la façon de
Lamartine, le jour de combat d'un parti terroriste qui n'existait pas et ne le
pouvait en tant que tel. Tout au plus peut-on dire que quelques noyaux
d'insurgés travaillés par le souvenir de 93 s'agitaient sans lien et sans chefs
au milieu de la foule immense. C'est seulement après les journées des 15 – 16
février et la déception qui s'ensuivit que les partisans du terrorisme auraient
pu faire quelques progrès. On donne comme indice les symboles, les formules et
les titres de la première révolution dont les clubs et la presse crurent devoir
faire usage. Mais il ne convient pas d'attacher une importance excessive à tout
ce plaquage. D'ailleurs une consultation de la simple liste des clubs permet de
remarquer qu'aucun de ceux-ci ne se place sous l'égide d'un signe quelconque
rappelant le terrorisme. Plus significative encore est la déclaration au
gouvernement provisoire des blessés de la célèbre barricade Saint-Merri faisant appel à la clémence, au pardon et se
terminant par une main tendue à leurs anciens adversaires considérés maintenant
comme « des frères en la sainte République ». Blanqui qu'on
représenterait volontiers comme le chef des terroristes, s'était élevé au
procès des 15 contre 93, « épouvantails bon pour les portières et les
joueurs de dominos ». Il dénoncera un peu plus tard toutes les singeries
des pseudos – montagnard s'obstinant à « battre les sentiers d'autrefois
sous une vieille panoplie » quand « la science a forgé pour le peuple
des armes plus sûres, frayé devant ses pas une route plus large et plus directe
»
[39]
.
A la même époque, la
République rouge, journal de ses partisans, déclarera aux bourgeois :
« Notre drapeau
vous effraie, vous avez vu 93 infliger à la noblesse un châtiment terrible et
vous, qui n'avez pas la conscience nette, vous craignez qu'on en fasse autant.
Si c'est la peur qui vous tient, sachez ce que nous sommes : le drapeau rouge
n'est pas le drapeau du sang. »
[40]
.
On trouve dans La
Bouche d'Acier, l'Ami du Peuple des affirmations analogues et
Proudhon a pu écrire que le peuple s'opposait à faire une répétition de 1793.
[41]
Maître du pavé, les
travailleurs ne se livrèrent à aucun pillage ni à aucun crime. Des hommes en
haillons gardèrent des trésors et les palais. Des charpentiers, par souci de
l'ordre, réintégrèrent à la prison des Madelonnettes un gréviste de 1845 qu'ils
venaient de délivrer. Les conservateurs, les riches, les aristocrates, Monsieur
de Falloux en tête, reconnurent alors au peuple de Paris une « générosité », une « délicatesse » surpassant celle de beaucoup du corps politique
ayant dominé la France
[42]
. D'un autre côté, si la question de l'abolition de la peine de mort
en matière politique fut posée au conseil du gouvernement provisoire par
Lamartine, le 25 février, le décret du lendemain sur la même matière fut pris à
l'instigation de Louis blanc, partisan du drapeau rouge
[43]
. Ce décret, par ailleurs, affirme solennellement dans sa partie
justificative qu'au cours des mémorables journées de la révolution en cours «
le gouvernement provisoire a constaté avec orgueil que pas un cri de vengeance ou
de mort n'est sorti de la bouche du peuple ».
[44]
Si le peuple pêcha,
ce fut donc par indulgence et magnanimité. Cette clémence assura non seulement «
l'impunité à tous ceux qui avaient trempé dans les crimes et dans les
turpitudes de la monarchie », mais permit leur féroce vengeance trois mois
plus tard.
Lamartine lui-même
a reconnu dans son compte rendu présenté le 6 mai à l'Assemblée Constituante,
que le drapeau rouge avait été réclamé, non pas comme « comme un symbole de
menaces et de désordre mais comme un drapeau momentané de victoire »
[45]
La thèse
proudhonienne
[46]
Proudhon reconnaît
l'idée de Terreur que la bourgeoisie attache surtout au drapeau rouge. Il voit
dans l'abolition de la peine de mort une manifestation du même état d'esprit et
se défend « de faire du terrorisme » en soutenant le drapeau rouge. Il
est frappé de ce fait que la première préoccupation du Gouvernement Provisoire
a été l'exclusion du drapeau rouge, ce qui prouve l'importance attachée par les
gouvernants aux emblèmes.
La conséquence
logique pour Proudhon, c'est que le Gouvernement Provisoire devait au moins
tacher de « comprendre » le nouveau drapeau et le « réconcilier avec
les honnêtes gens. Cette satisfaction était due aux hommes des
barricades ».
Au lieu de cela,
les « pauvres politiques » du Gouvernement Provisoire croyant donner
satisfaction au peuple, ont décrété des mesures telles que la mise en
accusation de Guizot, Proudhon s'insurge :
« Vous ne comprenez
du peuple que la vengeance. Tandis que le peuple est à la révolution sociale,
vous vous croyez tantôt sous la Terreur, et vous abolissez le drapeau rouge et
la peine de mort, tantôt sous la Charte, et c'est la Charte que vous restaurez
en décrétant l'homme qui mieux que vous sut la défendre ».
« Comprendre » le nouvel étendard, cela veut donc dire pour Proudhon ne pas voir dans
le peuple que des passions farouches comme au temps de la Sans-Culotterie, mais
devinez ses modernes aspirations émancipatrices et, pourrait-on dire,
constructives, c'est s'élever à l'intelligence, à la
hauteur de la révolution.
« La révolution, on
ne peut le nier, a été faite par le drapeau rouge ; le Gouvernement Provisoire
a décidé de conserver le drapeau tricolore. Pour expliquer ce désaveu, Monsieur
de Lamartine a fait des discours, le National, des dissertations. Le rouge,
disent-ils, fut autrefois la couleur de la royauté ; le rouge est la couleur
des Anglais ; c'est aussi celle de l'exécrable Bourbon, tyran des deux Sicile.
Le rouge ne peut être la couleur de la France.
On ne dit point que
le rouge est la couleur de la justice, la couleur de la souveraineté… Renier le
drapeau rouge, la pourpre ! Mais c'est la question sociale que vous éliminez.
Toutes les fois que le peuple vaincu par la souffrance, a voulu exprimer en
dehors de cette légalité juridique qu'il assassine, ses vœux et ses plaintes,
il a marché sous une bannière rouge. Il est vrai que le drapeau rouge n'a pas
fait le tour du monde comme son heureux rival le drapeau tricolore. La justice,
a très bien dit Monsieur de Lamartine, n'est pas allé plus loin que le
Champ-de-Mars. Elle est si terrible, la justice, qu'on ne saurait trop la
cacher. »
Ainsi selon
Proudhon, le drapeau rouge représente la question sociale. C'est le symbole de
la révolution, de la souveraineté populaire. À ce titre, il ne saurait être
particulier à un pays. Aussi Proudhon lui assigne d'ores et déjà un caractère
international. Nous reviendrons sur ce point. Mais ce qu'il faut noter ici,
c'est la tendre affection que vous Proudhon – bien qu'il s'en défende – à
l'étendard écarlate.
Après avoir déclaré
qu'il se souciait, au fond, du drapeau rouge « comme de tous les drapeaux du
monde », après avoir réfuté les arguments fournis pour justifier son
éviction, cette opération lui arrache ces cris du cœur :
« Pauvre drapeau
rouge ! Tout le monde l'abandonne ! Eh bien ! Moi, je t'embrasse, je te serre
contre ma poitrine ».
Le drapeau
rouge gagne la province
De la capitale, la
Révolution de février gagna la province. Le drapeau rouge n'y eut pas moins de
succès qu'à Paris.
Bakounine raconte
que, venant de Bruxelles et arrivant à pied de Valenciennes, le chemin de fer
ayant été détruit, il vit une foule enthousiaste et « des drapeaux rouges
dans toutes les rues, sur toutes les places et sur les édifices publics »
[47]
.
C'est toute une
étude qui mériterait d'être consacrée à la pénétration alors du drapeau rouge
en province. Notons seulement à titre d'indication et après Gabriel Perreux
[48]
qu'il fallut une proclamation spéciale pour interdire le drapeau
rouge à Valenciennes (16 février), qu'à La Tour-du-Pin il fut hissé à la
sous-préfecture, qu'à Arbois il fut arboré sur le clocher de l'église.
À Amiens, à cause
de royalistes et de modérés, le modeste guidon rouge des prisonniers politiques
de Doullens provoqua des désordres. La place de l'Hôtel de ville eut sa scène
du drapeau rouge, comme à Paris. Aux cris de « A bas le drapeau rouge ! » Répondaient
ceux de « Vive la République ! » Il fallut que Martin Bernard, venant
d'échapper à un coup de baïonnette, parlementât avec le corps municipal.
« La couleur rouge,
dit-il, n'est pas une couleur proscrite c'est en définitive, celle des trois
couleurs qui représentent plus spécialement le peuple. À ce titre, cette
couleur ne peut pas lui inspirer de la haine. Elle peut tout au plus être
l'objet d'une observation vient veiller hante dans un intérêt de conciliation
nationale… »
Pendant qu'il
prononçait ces paroles, ses compagnons de captivité défendaient le guidon avec
vigueur. Finalement, par crainte de le voir tomber aux mains des royalistes, le
guidon, coupé en pièce, fut partagé pour orner les boutonnières des victimes de
la monarchie de Juillet.
[49]
.
Naturellement, les
Lyonnais se distinguèrent par leur empressement à adopter le drapeau rouge,
bien que l'étendard tricolore ait été attaché à la balustrade de la mairie lors
de la proclamation de la République. Le drapeau rouge continua à flotter malgré
les mesures prises par le Gouvernement Provisoire.
Dès qu'Emmanuel
Arago, délégué du gouvernement, arriva à Lyon le 18 février, il se concerta
avec le maire bourgeois Laforest pour substituer le drapeau tricolore au
drapeau rouge. Ce dernier n'était, d'après eux, qu'un insigne de circonstances,
le drapeau des « dangers » de la patrie, « des inquiétudes et
des périls ». L'effervescence passée, il devait disparaître
[50]
. Cette résurgence du sens donné au drapeau de la loi martiale en 1789
est à signaler. De la part d'Arago et Laforest, ce ne fut sans doute qu'un
habile subterfuge destiné à couvrir une opération qui s'avérait délicate. Le
plus curieux est que Léonard Gallois interpréta, lui aussi, dans le même sens
l'apparition du drapeau rouge en 48 en écrivant :
« Il ne fut pas autre
chose dans la circonstance que le déploiement de la loi martiale du peuple
contre le despotisme révolté »
[51]
On ne peut le nier
: c'est bien là le retour à la tradition révolutionnaire la plus lointaine du
drapeau rouge en France. Suivant cette thèse, le peuple de 48 comme le peuple
de la grande révolution n'aurait fait que retourner le drapeau de la loi
martiale contre ses promoteurs et ainsi, à nouveau, le symbole de la répression
armée serait devenu le symbole de l'insurrection armée.
Cette thèse qui ne
tient compte, ni de la tradition révolutionnaire postérieure à la première
révolution ni des aspirations sociales représentées par le drapeau rouge en 48,
n'embrasse qu'un aspect trop restreint de la question pour répondre à la
réalité complexe. On s'étonne qu'elle ait pu être soutenue précisément dans ce
brasier social qu'était Lyon, là où des ouvrières ovalistes en manifestant le
1er mars avec des drapeaux rouges, pour demander à la fois une augmentation de
salaire et une réduction à 10 heures de la journée de travail montraient le
caractère revendicatif de l'étendard écarlate, caractère accentué à la même
période par son déploiement au cours de défilés de grévistes se rendant à la
préfecture et à l'Hôtel de Ville.
Ces manifestations
n'empêchèrent pas, poussèrent peut-être même Emmanuel Arago à proclamer les
couleurs nationales « avec leurs nouvelles modifications » et, dit
l'officiel Moniteur :
« Une heure après,
la cocarde et le ruban rouge avaient en partie disparu de tous les chapeaux et
de toutes les boutonnières et était remplacé par les couleurs nationales que
chacun semblait heureux de reprendre. ».
Lamartine, Blanqui, Proudhon, le gouvernement et le drapeau rouge
C'est le 1er mars
qu'Emmanuel Arago obtenait l'éviction de la couleur rouge à Lyon. A cette date,
la question du drapeau rouge était réglée sur le plan gouvernemental. Mais, à
son sujet, de graves difficultés avaient surgi, mettant en péril le Gouvernement
Provisoire.
Le 25 février
[52]
, dès l'aube, la place de grève était noire de monde. Le peuple,
enfiévré par le succès et méfiant par souvenir, reprenait son opposition. La
lenteur et la tiédeur du Gouvernement Provisoire lui faisait craindre, comme en
1830, une victoire sans lendemain. Son premier acte fut significatif. Le
drapeau rouge arboré, la veille, au-dessus de l'entrée principale de l'Hôtel de
Ville qui avait été enlevée dans la nuit – sans doute à l'instigation des
nouveaux gouvernants – fut remplacé aux acclamations de la foule par l'une des
enseignes écarlates plantées sur les barricades. Des drapeaux rouges flottaient
au-dessus de la multitude qui paraissait rassemblée sous le signe de la couleur
rouge (ceintures, brassards, foulards, rubans, etc.). Les cris de « Vive le
drapeau rouge ! » retentissaient de toutes parts.
L'Hôtel de Ville
était débordé. Les cours, les escaliers, les couloirs, les vestibules, les
salles, les bureaux étaient envahis par une cohue en délire. Cette agitation
dura toute la journée, s'apaisant parfois pour redoubler ensuite. A plusieurs
reprises, par la diminution des clameurs et des poussées dans les couloirs de
la Maison commune, le Gouvernement Provisoire put croire le calme rétabli. Mais
l'accalmie n'était qu'apparente. À chaque fois, le bouillonnement presque
disparu à la surface remuait les profondeurs et bientôt la foule sans cesse
renouvelée de la place de grève reprenait le tumulte et, par une poussée vigoureuse,
encombrait un peu plus l'Hôtel de Ville. Au milieu de ce tohu-bohu, de rudes
poignes agitaient sans désemparer le rouge étendard. Le peuple, avec
insistance, criait ou plutôt le hurlait : « le drapeau rouge ! Vive le
drapeau rouge ! ». Frémissant, il réclamait la proclamation de son drapeau.
Un fait bien anodin
[53]
vint renforcer ses exigences. Dans le grand salon de l'hôtel de ville
dont les fenêtres donnent sur la place, un jeune chirurgien venait de penser un
blessé qu'il eut l'idée de présenter à la foule. Les applaudissements
répondirent à ce geste. Alors, le chirurgien eut une autre idée. À l'aide de
ses ciseaux de pansements, il découpa le velours rouge d'un canapé et en fit un
bandage sur la tête du blessé. L'effet produit sur la foule fut grand et incita
le médecin à découper le second canapé dont il lança les morceaux d'étoffe sur
la place. Le groupe qui le reçut cria : « il faut en faire un drapeau ! » Aussitôt
de nouveaux étendards furent improvisés et les cris en faveur du drapeau redoublèrent.
La foule,
irrésistible, envahit une fois de plus l'Hôtel de Ville. Des coups de feu
éclatèrent et les cris de « le drapeau rouge ! Le drapeau rouge ! » Retentirent
jusque dans la salle du Trône. Marie et Lamartine tentèrent encore d'apaiser le
tumulte : ils y réussirent partiellement, il n'y avait alors avec eux que
Garnier – Pagès comme membre présent du Gouvernement Provisoire. Ils se
réunirent pour aviser, Lamartine était prêt à céder ; il trouvait que le peuple
était dans la logique des événements, car à la situation nouvelle devait
correspondre un symbole nouveau. Mais Garnier – Pagès et Marie résistaient. Ils
avaient peur, en adoptant le drapeau rouge, d'entrer dans la voie des excès.
Lamartine, nullement convaincu par ses deux collègues, hésitait toujours quand
une nouvelle poussée des manifestants vient arrêter la délibération
[54]
C’est ici que se
place vraisemblablement l'épisode le plus dramatique de la journée.
La
sommation de l'ouvrier Marche
Des hommes armés
pénétrèrent dans la salle des séances, firent résonner bruyamment les crosses
de leurs fusils sur le plancher et, résolus, se campèrent en face des
gouvernants. L'un d'eux, Marche, un mécanicien qui pouvait avoir dans les 25
ans, se fit le porte-parole de ses camarades. C'était un homme de stature
moyenne, mais droite est forte. Il avait la « physionomie intelligente et
obstinée », le visage noirci par la fumée de la poudre et ses yeux lançaient
du feu. L'électricité du peuple, dit Lamartine, semblait concentrée dans son
regard. Tout respirait en lui la fermeté. Il roulait dans sa main gauche un
lambeau d'étoffe rouge et tenait de sa main droite le canon de son arme. Il
parlait en termes clairs qu'il appuyait de coups de crosse ou de gestes montrant,
en bas, la foule prête, sur un signe, à intervenir. Ses lèvres tremblantes de
colère l'empêchaient d'articuler pleinement toutes ses injonctions. Porteur
d'une pétition d'inspiration phalanstérienne, il était devenu, en cette heure
critique où se jouait peut-être le sort de la révolution, la personnification
du prolétariat des faubourgs, de l'immense peuple misérable et spolié, tout
frémissant d'impatience, de révolte et l'espoir. C'est le programme de la
révolution sociale qu'il développa pour la première fois en ce lieu, à coups de
formules à l'emporte-pièce, en un exposé nu, brutal, entier mais qui atteignait
à la plus haute éloquence parce qu'il exprimait d'instinct des aspirations
enflammées de tous les exploités du globe. On peut croire en l'occurrence
Lamartine qui écouta jusqu'au bout l'exposé sans interrompre quand, détaillant
à sa façon les plaintes et les exigences jetées fébrilement par l'orateur, il
déclare que ce fut « le programme de l'impossible ».
« Nous ne voulons
pas, dit en terminant l'ouvrier en armes, que la révolution soit escamotée
encore une fois. Il nous faut la preuve que vous êtes avec nous. Cette épreuve,
vous la donnerez, en décrétant le drapeau rouge, symbole de nos misères et de
la rupture avec le passé ».
Lamartine, répondant
aux délégués s'éleva, avec la magie de son éloquence, contre les doutes
injurieux qui venaient d'être formulés et réclama pour le Gouvernement
Provisoire, encore à pieds d'œuvre, confiance et crédit. Mais les ouvriers
demeurèrent impassibles et farouches. « Il semblait, dit Freyssinet, qu'il
se fussent bouché les oreilles pour échapper à la séduction ». Leur chef ne
laissa pas achever le grand orateur :
« Il nous faut,
dit-il, non de belles paroles, mais un engagement formel. Voulez-vous, oui ou
non, décréter le drapeau rouge ! Le peuple s'impatiente et veut une réponse ».
C'est alors que
Lamartine aurait eu une idée qui devait sauver la situation. Sur un autre ton,
il aurait dit aux délégués :
« Vous réclamez le
drapeau rouge ! Vous voulez sur l'heure l'imposer à la France ! La question est
trop grave pour être réglée ici entre nous. Le peuple seul peut la trancher.
Allons le consulter ! »
Sur ce, suivi de
ses collègues, des délégués et de divers citoyens, il se serait dirigé vers
l'escalier principal pour descendre haranguer le peuple.
D'après la propre
version de Lamartine, après la riposte à l'orateur populaire, la délégation
armée s'en serait retournée rejoindre la foule et c'est seulement à la suite
d'un assaut plus furieux de celle-ci, que Lamartine sauvé par quelques citoyens
aurait été porté en pleine sédition, sous la voûte. Là, un drapeau rouge
flottait au-dessus de la houle humaine qui scandait : « le drapeau rouge !
Le drapeau rouge ! »
Après mille
difficultés Lamartine put, en montant sur une chaise, dominer sérieusement la
foule qu'il dépassait déjà de sa taille imposante. Il parvint à parler et c'est
alors que prodiguant « dans un effort suprême toutes les ressources d'une
éloquence consommée »
[55]
il prononça son célèbre discours.
Le discours
de Lamartine
Il commença par
calmer ou plutôt par attendrir le peuple en lui rappelant sa victoire soudaine,
complète, inespérée, rapide et couronnée par la formation d'un gouvernement
dévoué et digne.
« Voilà, dit-il, ce
qu'a vu le soleil d’hier ! Et que verrait, reprit-il, le soleil d'aujourd'hui !
Il verrait un autre peuple, d'autant plus
furieux qu'il a moins d'ennemis à combattre, se défier des mêmes hommes qui l'a
élevés hier au-dessus de lui, les contraindre dans leur liberté, les avilir
dans leur dignité, les méconnaître dans leur autorité qui n'est que la vôtre,
substituer une révolution de vengeance et de supplice à une révolution
d'unanimité et de fraternité ; et commander à son gouvernement d'arborer en
signe de Concorde l'étendard de combat à mort entre les citoyens d'une même
patrie, ce drapeau rouge qu'on a pu élever quelquefois quand le sang coulait
comme un épouvantail contre des ennemis, ce drapeau qu'on doit abattre aussitôt
après le combat, en signe de réconciliation et de paix. J'aimerais mieux le
drapeau noir qu'on fait flotter quelquefois dans une ville assiégée, comme un
linceul, pour désigner à la bombe les édifices neutres consacrée à l'humanité,
et dont le boulet et la bombe même des ennemis doivent s'écarter. Voulez-vous
donc que le drapeau de votre République soit plus menaçant et plus sinistre que
celui d'une ville bombardée ! »
Après avoir ainsi
enchâssé habilement dans la vieille thèse de la bourgeoisie quelques arguments
de circonstances, tout en frappant par des images horribles l'imagination
populaire, le barde continua :
« Citoyens ! Vous
pouvez faire violence au gouvernement, vous pouvez le commander de changer le
drapeau de la nation et le nom de la France, si vous êtes assez mal inspirés et
assez obstinés dans votre erreur pour lui imposer une République de parti et un
pavillon de terreur. Le gouvernement, je le sais, est aussi décidé que moi-même
à mourir plutôt que se déshonorer en vous obéissant. Quant à moi jamais ma main
ne signera ce décret. Je repousserai jusqu'à la mort ce drapeau de sang, et
vous devez le répudier plus que moi, car le drapeau rouge que vous nous
rapportez n'a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, traîné dans le sang du
peuple, en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde, avec le
nom, la gloire et la liberté de la patrie ».
Mais le tribun ne
resta pas sur cet effet. Il parla en ministre des affaires étrangères s'écriant
:
« Si vous m'enlevez
le drapeau tricolore, sachez-le bien, vous enlevez la moitié de la force
extérieure de la France, car l'Europe ne connaît que le drapeau de ses défaites
et de ses victoires dans le drapeau de la République et de l'Empire. En voyant
le drapeau rouge, elle ne croira voir que le drapeau d'un parti ; c'est le
drapeau de la France, c'est le drapeau de nos armées victorieuses, c'est le
drapeau de nos triomphes qu'il faut relever devant l'Europe. La France et le
drapeau tricolore, c'est une même pensée, un même prestige, une même terreur,
au besoin, pour nos ennemis »
[56]
Une immense
acclamation salua la fin du discours de Lamartine. La « harpe d'or » avec
une fois de plus captivé et subjugué l'auditoire. La tempête se calma. Ce qui
entourait le prestigieux orateur lui servait chaleureusement. Le drapeau rouge
le plus proche, prétend Garnier Pagès, fut « lacéré et jeté sur le pavé » et
l'on doit sans doute placer à ce moment la disparition du drapeau rouge ornant
la statue équestre de l'Henri IV
[57]
.
Lamartine, en
remontant dans l'édifice, put croire à la victoire du drapeau tricolore. Il
n'en était rien. Non pas que la foule fut à même de relever l'erreur
monumentale dont l'auteur de l'Histoire des Girondins s'était rendu
coupable. Cette foule ignorait certainement que le 17 juillet 1791 un drapeau,
le drapeau rouge de la plèbe n'avait été traîné ni autour du Champ-de-Mars ni
dans le sang du peuple pour la bonne raison qu'il n'existait pas. Elle ignorait
également que le seul drapeau rouge existant lors du massacre du Champ-de-Mars
était le drapeau de la loi martiale, c'est-à-dire, en fin de compte, « des
citoyens actifs », de la bourgeoisie au pouvoir. Elle savait encore moins
que Mailly s'était vu condamné à mort en 1791, entre autres choses, pour
n'avoir fait porter au Champ-de-Mars, qu'un « drapeau de poche » si
petit que le peuple ne l'avait pas aperçu
[58]
, et qu'en conséquence, si le sang coula, c'est parce que le drapeau
rouge de la répression bourgeoise ne fut pas suffisamment déployé.
Le peuple qui
écoutait Lamartine confondant deux drapeaux, il est vrai de même couleur, mais
de nature diamétralement opposée, le drapeau rouge du passé et le drapeau rouge
du présent aurait pu confondre à son tour le tribun. Car si l'on admet que
Lamartine ait été de bonne foi en avançant que le drapeau rouge n'avait fait
que le tour du Champ-de-Mars, il faut admettre par réciprocité qu'il était de
mauvaise foi en affirmant que le drapeau rouge n'avait jamais fait d'autres
circuits. Cette affirmation destinée à préparer l'antithèse ou plutôt le jeu de
mot final du discours, était un véritable défi à la réalité des choses. Non
seulement en effet le drapeau rouge dont la plèbe réclamait la proclamation
avait déjà fait son petit tour de France, Lamartine n'était pas sans savoir,
mais celui-ci ne pouvait ignorer qu'il avait flotté sur de nombreuses
barricades la veille et l'avant-veille, ce qui représentait tout de même autre
chose que le tour du Champ-de-Mars. Par ailleurs, Lamartine savait très bien
que si les travailleurs avaient arrosé le drapeau rouge de leur sang généreux,
le drapeau tricolore avait trempé effectivement dans le sang du peuple.
N'était-il point Le drapeau des quinze années d'hécatombes de l'empire ? Et,
bien qu'ayant siégé « au plafond » dans la chambre de la monarchie de
juillet, Lamartine pouvait-il faire croire qu'il oubliait les massacres de
Lyon, de la rue Transnonain, du cloître Saint-Merry, etc? Que valait, au surplus, la gloire et la
liberté invoquée en faveur du drapeau tricolore ? Sans doute, le drapeau tricolore
était le drapeau de la Révolution Française, mais précisément Lamartine lui
retirait son auréole de liberté en faisant du drapeau rouge, à sa place, le
drapeau de la sans-culotterie, c'est-à-dire de la période où le mouvement
ascensionnel de la révolution fut au plus haut ! Enfin, le drapeau tricolore
n'était-il point aussi le drapeau de la réaction thermidorienne, du despotisme
impérial et de la monarchie censitaire ? Il représentait donc des régimes
liberticides au moins autant que la liberté naissante. Quant à son auréole de
gloire, qu'importait après tout ! La vraie gloire n'est-elle pas celle du
Travail, de la Science et de la Libération ? Sur le plan militaire, est-ce que
le drapeau de la monarchie absolue n'avait pas flotté à Marignan, à Rocroi, à
Denain, à Fontenoy, portant également dans ses plis d'éclatantes victoires ?
Mais où Lamartine
dépassait les bornes de l'impudence, c'était quand il parlait de terreur à un
peuple qui – nous l'avons montré – avait fait preuve après la victoire d'une générosité
sans exemple. Comme l'a rappelé Louis Blanc, oubliait-t-il que « cent mille
ouvriers, armés de pied en cap et affamés, veillaient sur Paris avec une
sollicitude héroïque, [que] les sanguinaires, partisans du drapeau rouge, alors
maîtres du pavé, empêchaient qu'un cheveu ne tombât de la tête de qui que ce
fut ; [que] les maisons des riches étaient gardées par dépôt et [que] des
hommes en haillons faisaient sentinelle à la porte de leurs calomniateurs »
[59]
Le peuple ainsi
trompé et bafoué eût dû se cabrer. Il fut ébloui par le cliquetis des mots
sonores et vides : c'est l'évidence même. Toutefois, à défaut de connaissances
et avec le sentiment de leur impuissance momentanée, la plupart des vieux
combattants avaient leur instinct et leur expérience. Déjà, la délégation
conduite par l'ouvrier Marche, avait traduit devant Lamartine la méfiance des
éternels bernés. C'est assez dire que les dithyrambes du poète furent loin de
séduire tout le monde.
Réactions et mesures d'apaisement
Un témoin raconte
qu'à l'instant même où Lamartine venait d'obtenir d'une partie du peuple
l'abandon du drapeau rouge, il s'en déployait un aux fenêtres de l'Hôtel de
Ville présenté aux vivats de la foule par « l'un des insurgés qui l'avait
teinté de leur sang sur les barricades de Lyon »
[60]
. Un peu plus tard, une députation de partisans de Blanqui va encore
disputer au tribun son triomphe. Aussi dans son récit des événements, Lamartine
tout en se taillant le beau rôle, est contraint de faire état à plusieurs
reprises de « l'obstination forcenée » de ceux qui, fanatiques du
drapeau rouge, « s'obstinaient à ne rien entendre ». Même après sa «
confidence » comme ministre des affaires étrangères, laquelle, prétend-il, «
impressionna » surtout, – ce qui est très possible, car c'est la partie
solide de son discours – Lamartine parle encore d'irruption dans la Maison
commune et des « groupes les plus obstinés »
[61]
. La presse de l'époque reconnaît, de son côté, qu'après
l'attendrissement de la foule à la suite de la péroraison de Lamartine, de «
nouvelles colonnes s'avançaient, armées de sabres, de baïonnettes ; elles
frappent aux portes, elles s'accumulent dans les salles » au point que
l'orateur doit faire entendre sa voix « à la multitude en fureur »
[62]
. Bref, jusqu'à la fin de la journée, les membres du gouvernement
provisoire eurent à lutter contre les partisans irréductibles du drapeau rouge
qui « repoussés mais non lassés, ne se retirèrent qu'afin de se concerter
pour le lendemain »
[63]
.
Pour apaiser les
esprits et comme conclusion de la journée, le gouvernement publia une
proclamation qui disait :
« Citoyens de
Paris,
Le coq gaulois et
les trois couleurs étaient nos signes vénérés quand nous fondâmes la République
en France ; ils furent adoptés par les glorieuses journées de juillet. Ne
songeons pas, citoyens, à les supprimer ou à les modifier ; nous répudirions les plus belles pages de votre histoire, votre
gloire immortelle, votre courage, qui s'est fait connaître sur tous les points
du globe. Conservons donc le coq gaulois, les trois couleurs ; le gouvernement
provisoire le demande à votre patriotisme »
[64]
.
En outre, à la même
date du 25 février, le ministre provisoire de la Guerre, Subervie,
lança à l'armée un ordre du jour dans lequel il adjurait les soldats « au
nom du pays et de l'honneur » de ne pas quitter leur drapeau.
Quant à l'ouvrier Marche
qui, sur la question du drapeau rouge, représenta en ces circonstances « un
moment de l'histoire prolétarienne », nous le retrouvons en avril comme
candidat patronné par Le Populaire, journal de Cabet, puis au 15 mai
dans la foule qui envahit l'Assemblée Nationale. Il se place alors devant le
banc d'Hippolyte Carnot qui, le reconnaissant, essaie d'entamer la conversation
avec lui. Mais Marche reste « froid, impassible et laconique comme à
l'hôtel de ville ». Le 17 juin, il est un des fondateurs du Club du
Peuple, présidé par A. Esquiros, rejeton du Club
Blanqui. Aux journées de juin, il aurait combattu comme chef de barricades
faubourg Saint-Antoine. Pour échapper à la répression, il émigra en Amérique.
Là-bas, non perdu de vue par les blanquistes, il était encore en 1879 à la tête
d'un établissement agricole.
[65]
La riposte
de Blanqui
Cependant, au plus
fort de la tempête, Blanqui, arrivé dans la capitale depuis la veille, se
concertait avec quelques partisans du côté du Palais-Royal. Critiques amères,
imprécations et menaces dominaient la conversation quand l'ancien détenu Vilcoq parut. Il raconta ce qui s'était passé et cita les
paroles essentielles de Lamartine
[66]
. Blanqui vit là un défi qu'il fallait relever et c'est alors qu'il
rédigea un manifeste qui, avec le recul du temps, nous apparaît comme la contre-proclamation
gouvernementale.
Qu'il l'ait dictée
ou écrite, on discute à ce sujet et peu importe. C'est bien son style, ses
phrases courtes, incisives, énergiques et il ne saurait être question un seul
instant de retenir l'affirmation d'Alphonse Lucas
[67]
reprises par Victor Pierre
[68]
et Quentin Beauchard
[69]
, qui attribue ce manifeste à Lacambre :
« Au
gouvernement provisoire,
Les combattants
républicains ont lu avec une douleur profonde la proclamation du gouvernement
provisoire qui rétablit le coq gaulois et le drapeau de tricolore.
Le drapeau
tricolore inauguré par Louis XVI a été illustré par la République et par
l'empire ; il a été déshonoré par Louis-Philippe.
Nous ne sommes
plus, d'ailleurs, ni de l'Empire ni de la Ière République.
Le peuple arborait
la couleur rouge sur les barricades de 1848. Quand on ne cherche pas à la
flétrir.
Elle n'est rouge
que du sang généreux versé par le peuple et la garde nationale.
Elle flotte,
étincelante, sur Paris ; elle doit être maintenue.
Le peuple
victorieux n'amènera pas son pavillon »
[70]
.
Le terme «
rétablit » au début du manifeste indique bien que la victoire du drapeau
rouge était considérée jusque-là comme un fait acquis, et c'est pour répondre
en quelque sorte au coup de force du Gouvernement Provisoire que le texte
s'achève sur une déclaration de guerre en règle, car il ne faut pas s'y
tromper, le noyau qui poussait ainsi à la résistance était le même qui savait
faire parler la poudre.
On porta le texte à
imprimer et l'affiche, rouge de couleur, fut apposée nuitamment. Il paraît même
qu'une copie du texte fut déposée à la façon d'un ultimatum sur la table des
délibérations du Gouvernement Provisoire par la délégation des blanquistes dont
il est parlé plus haut au moment où elle se retirait
[71]
.
Le soir à la salle
du Prado, où les blanquistes armés et coiffés nombreux du bonnet rouge se
trouvaient réunis, il y avait de l'électricité dans l'air. C'était une
atmosphère de bataille. Crousse qui présidait posa
carrément le problème de la conquête du pouvoir. Mais Blanqui, après avoir
sondé les chances d'un mouvement, jeta à tous ces hommes résolus des paroles
d'apaisement
[72]
.
Ainsi, le grand
mouvement populaire favorable au drapeau rouge, endiguée par Lamartine et qui
rebondit le soir dans l'avant-garde, se trouve maîtrisé cette fois par celui
qui personnifie la Révolution. On admire la puissance de Lamartine apaisant le
lion populaire. Mais de quelle force de séduction, de quel prodige oratoire
Blanqui ne dût-il pas user pour faire renoncer à
l'action cette salle frémissante et prête au sacrifice, l'élite révolutionnaire
de la capitale, forgée au cours d'années d'émeutes, d'attentats, de complots et
de propagande clandestine : toute une épopée !
Nouvelle offensive
et délibération du 20 février
Cependant, le péril
n'était pas conjuré pour le Gouvernement Provisoire.
L'agitation
réapparut avec le jour sur la place de l'hôtel de ville. Le flot populaire
battit une fois de plus l'édifice communal. Le peuple s'entêtait à réclamer le
drapeau rouge. Cette obstination prouve avec quelle passion il était attaché à
son oriflamme.
Les colonnes, cette
fois, pour être aussi nombreuses que la veille, paraissaient moins bruyantes,
en même temps plus résolues : on sentait une préparation. D'autre part, 5 à
6000 citoyens armés avaient été recrutés nuitamment par le Gouvernement
Provisoire pour lui faire un rempart de leurs corps. D'autre part, les drapeaux
rouges « aux larges plis et à la couleur brillante » qui flottaient,
avaient été visiblement confectionné avec soin.
[73]
Le Gouvernement Provisoire
dut se réunir pour délibérer encore. Il était maintenant au complet. La
discussion dura près de trois heures
[74]
. Louis blanc demanda le changement du drapeau. Il développa les arguments
que la délégation de la veille et la proclamation de Blanqui avaient déjà fait
valoir. Il ajouta que le drapeau rouge réclamé par un peuple magnanime n'avait
rien de sanguinaire ni de sauvage. Il rappela, en historien de la révolution,
l'origine du drapeau tricolore et fit remarquer son anachronisme en 1848, car
il ne pouvait plus être question de réconcilier la monarchie et la bourgeoisie
en combinant les couleurs du Tiers parisien à la couleur blanche du roi. Enfin
au drapeau des préjugés monarchiques et du compromis entre les classes, il
proposa le drapeau rouge, symbole de l'unité.
Lamartine répondit
à Louis blanc en reprenant les grandes lignes de son discours de la veille. Il
affirma, d'autre part, que le drapeau tricolore bien loin de signifier la
diversité des classes, était plutôt le symbole de leur union. Il ajouta, au
surplus, que la France ne pouvait changer d'emblème à chaque révolution. Par
ailleurs, Carnot s'étonna que Louis blanc déchire en quelque sorte l'histoire
de la révolution qu'il avait écrite : Ledru-Rollin fil l'apologie du drapeau de
la Convention, un autre membre évoqua la marseillaise dont le drapeau tricolore
est inséparable
[75]
.
La discussion se
prolongeait. Louis blanc ne voulait pas céder car, pour être seul ou presque
seul au sein du Gouvernement Provisoire, il savait qu'il n'en traduisait pas
moins l'opinion des masses qui s'agitaient à l'intérieur et à l'extérieur de
l'édifice. Lamartine commençait, paraît-il, à être ébranlé quand le banquier Goutchaux, lui aussi membre du gouvernement, parut.
Allait-on, dit-il, se plier devant un ultimatum ? Si l'on fléchissait, la force
déjà triomphante n'amènerait-elle pas à bref délai la guerre civile, le froid
et le terrorisme ? Et les affaires ? Croit-on qu'elles pourraient reprendre
avec le drapeau rouge ? Goudchaux termina en déposant
son portefeuille. Cette intervention fut décisive. Le débat se termina et la
proclamation suivante fut adoptée, unanimement
[76]
:
« Le gouvernement
provisoire déclare que le drapeau national et le drapeau tricolore dont les
couleurs seront rétablies dans l'ordre qu'avaient adopté la république
française ; sur ce drapeau sont écrits ces mots : République Française,
Liberté, Egalité, Fraternité, trois mots qui expliquent le sens le plus étendu
des doctrines démocratiques, dont ce drapeau est le symbole, en même temps que
ses couleurs en continuent les traditions.
Comme signe de
ralliement, et comme souvenir de reconnaissance pour le dernier acte de la
révolution populaire, les membres du Gouvernement Provisoire et les autres
autorités porteront la rosette rouge, laquelle sera placée aussi à la hampe du
drapeau »
[77]
.
Dans une affiche
datée également du 26 février et s'adressant à la nation, le Gouvernement Provisoire
disait en outre :
"Conservons
avec respect ce vieux drapeau républicain dont les trois couleurs ont fait le
tour du monde.
Montrons que ce
symbole d'égalité, de fraternité, est en même temps le symbole de l'ordre et de
l'ordre le plus réel et durable, puisque la justice en est la base et le peuple
entier l'instrument »
[78]
.
Nouvelle
riposte de Blanqui
De même qu'il avait
répondu à la proclamation de la veille, Blanqui répondit à la nouvelle
proclamation du gouvernement provisoire mais, cette fois, par un écrit plus
substantiel et plus nourri de détails. Le premier texte était un avertissement
comminatoire, celui-ci est un avertissement prophétique. Il repousse les
équivoques perfidement semées et indique les raisons de tradition, les
sentiments de reconnaissance et de dignité qui poussent républicains comme
ouvriers à rejeter le drapeau tricolore pour s'attacher au drapeau rouge. Il
fut adopté par le Club du Collège de France, satellite de la société
républicaine centrale, club de Blanqui. Mais on ignore s'il eut les honneurs de
l'affichage.
« Nous ne sommes
plus en 93 ! Nous sommes en 1848 ! Le drapeau tricolore n'est pas le drapeau de
la République. C'est celui de Louis-Philippe et de la Monarchie.
C'est le drapeau
tricolore qui guidait les vicaires de la royauté contre les républicains de
juin 1832, d'avril 1834, 2 mai 1839.
C'est le drapeau
tricolore qui présidèrent au massacre de la rue Transnonain,
de Lyon, de Saint-Étienne. Il s'est baigné vingt fois dans le sang des
ouvriers.
Le peuple a arboré
les couleurs rouges sur les barricades de 48 comme il les avait arborées dans
ses trois nobles défaites de juin, d'avril, de mai.
Hier encore elles
flottaient glorieuses au front de nos édifices. Aujourd'hui la réaction les
renverse ignominieusement dans la boue et ose les flétrir de ses calomnies.
On dit que c'est un
drapeau de sang ; de quel sang est-il donc teint ? De celui des martyrs, ses
défenseurs. Il est pur comme leur gloire.
Depuis 1832, il est
le seul drapeau de la République ! Sa chute est un outrage au peuple, une profanation
de ses morts. On va ombrager leur tombeau du drapeau de ses ennemis.
Déjà la réaction se
déchaîne. Des hommes soudoyés par la faction royale parcourent les rues,
l'insulte et la menace à la bouche, arrachent les couleurs rouges de la
boutonnière des citoyens.
Ce sont toujours
les mêmes procédés des réactions : la brutalité, la violence.
Républicains,
ouvriers, c'est votre drapeau qu'on renverse ! Ecoutez-bien, s'il tombe, ce
drapeau, la république ne tardera pas à le suivre"
[79]
.
Quand on examine de
près les deux manifestes sur le drapeau rouge sortis de la plume de Blanqui et
qu'on les compare aux considérations sur le même sujet formulées un mois après
par Proudhon, quelques remarques s'imposent.
D'abord, il y a
entre les textes une différence de forme exprimant une différence de nature qu’expliquent
les événements. Il est certain que les appels véhéments de Blanqui sont rédigés
en pleine bataille et qui sentent la poudre ne peuvent rendre le même son que
les gloses rétrospectives de Proudhon. C'est là, sans nul doute, ce qui frappe
à première vue, mais ce n'est point ce qui doit retenir notre attention.
Pour Blanqui, le
drapeau rouge est le drapeau, le seul drapeau de la République. Cette
interprétation peut sembler étrange, historiquement, étant donné que le drapeau
tricolore a été l'emblème de la République. Mais de même que ce drapeau avait
été l'étendard de l'Empire, il devint le drapeau de la Monarchie de
Louis-Philippe et, à ce titre ne tarda pas à être l'objet de la désaffection
populaire. Après l'enterrement du général de Lamarque le drapeau rouge était,
en fait, le drapeau de la République. Un grave journal de la bourgeoisie le
reconnaît puisqu'il écrit :
« Nous ne voulons
pas de la République, nous ne voulons pas davantage une troisième restauration,
ni drapeau blanc, ni drapeau rouge »
[80]
.
Pour Blanqui, non
seulement le drapeau rouge est le drapeau républicain, mais il a été conquis de
haute lutte par les combattants des barricades, ceux de février comme de toute
la tradition révolutionnaire de la monarchie de juillet. Voilà son titre
essentiel, incontestable. Mais Blanqui spécifie en même temps que la République
dont le drapeau rouge est l'image n'est point celle de 93. Aucune idée de
terrorisme ne peut donc s'y rattacher et il n'est rouge que du sang généreux
des insurgés de 1832 à 1848. Cette affirmation répétée avec insistance et que
complète dans le texte du Collège de France les deux exclamations
significatives du début indiquent que, dans l'esprit de Blanqui, il s'agit
d'une République ayant un contenu différent de la république jacobine,
autrement dit qu'il s'agit d'une république sociale. Tel était l'idéal pour
lequel combattait effectivement les insurgés du temps de Louis-Philippe, y
compris ceux qui vainquirent sur les barricades de février. L'Enfermé qui
a vécu tous ces mouvements le sait mieux que quiconque. Il ne le dit pas
expressément. Il se borne à rappeler aux ouvriers que le drapeau rouge est leur
étendard.
On ne peut pourtant
pas se tromper sur la nature de ses sentiments et toute interprétation restrictive
serait fausse. En histoire, comment sciences naturelles – et la remarque en a
déjà été faite – pour atteindre la réalité, il convient de regarder les choses
avec l'œil du physiologiste qui va au fond, plutôt qu'avec l'œil du peintre
saisi par l'aspect extérieur.
La vérité, c'est
que Blanqui ne conçoit la République en dehors du socialisme, ni le socialisme
en dehors de la République. Dès 1834, dans Le Libérateur, Blanqui ne
séparait pas sa conception républicaine de son désir de « refonte sociale » et
déclarait très nettement que si la République devait tromper cette espérance,
il cesserait d'être républicain
[81]
. Dans le formulaire des saisons, il affirme que la République est «
le gouvernement de l'égalité »
[82]
. Mais il n'est pas besoin de remonter si loin. Dans son adresse aux
sociétés populaires, daté du 31 mai à mars 1848, un mois après ses manifestes
sur le drapeau rouge, Blanqui prouve avec force l'identité de ses opinions
républicaines et de ses aspirations socialistes, terminant sur ces propositions
significatives :
« La République,
pour nous, c'est l'émancipation complète des travailleurs ! C'est l'avènement
d'un ordre nouveau qui fasse disparaître la dernière forme de l'esclavage, le
prolétariat »
[83]
.
Sur la foi des
apparences, on ne saurait donc établir de différence fondamentale entre les
textes de Blanqui et de Proudhon. Tous trois ont finalement le même sens, tous
trois assignent au drapeau rouge la même valeur symbolique bien que les deux
premiers ne parlent pas de la République sociale et que le dernier ne parle pas
de la République.
Décisions
gouvernementales
A la suite de la
proclamation et du décret du 25 février, comme de la proclamation du 26 non
suivie d'une réaction populaire suffisante pour en amener l’annulation, le
drapeau rouge « tombait » selon l’expression de Blanqui. Il ne
s'agissait pour le pouvoir que de faire exécuter ses décisions.
Le 26, Caussidière, délégué de la République au département de la
police, fit afficher l'avis suivant :
« Conformément au
décret du gouvernement provisoire de la République du 23 février 1848 par
lequel il adopte les trois couleurs, disposées comme elle l'était pendant la
République, le délégué du gouvernement provisoire au département de la police,
ordonne à tous les chefs des monuments publics, et, en leur absence, au
concierge des dits monuments, d'y arborer de suite un drapeau de la plus grande
dimension possible, portant les couleurs ainsi placées :
bleu, rouge et blanc ;
de telle sorte que le bleu, tenant à la lance, le rouge soit au milieu,
et que le blanc flotte ».
C'est dans une
circulaire adressée dans chaque département au commissaire du gouvernement
provisoire que celui-ci précise de mieux sa position au regard des drapeaux. Il
y est dit nettement :
« Le drapeau et la
cocarde tricolore sont les seuls insignes nationaux auxquels les citoyens se
rallient, la République n'en reconnaît pas d'autres. Le drapeau rouge est un
appel à l'insurrection, le bonnet rouge retrace des souvenirs de sang et de
deuil. C'est provoqué à la désobéissance aux lois et à la violence que
d'arborer ces tristes emblèmes."
[84]
Une circulaire de
F. Arago, ministre de la Marine, en date du 5 mars, prescrit que le pavillon de
la République sera « bleu à la gaine, rouge au milieu, blanc au battant »
[85]
.
On remarquera
l'ordre des couleurs dans cette circulaire comme dans l'affiche de Caussidière. Il n'est plus le même que dans le drapeau de
la monarchie de juillet, celui-ci, comme aujourd'hui, est bleu à la hampe,
blanc au centre avec le rouge flottant, la hampe étant surmontée d'un coq
gaulois.
En rétablissant
l'ordre ancien des couleurs, on se donnait donc l’air de changer de drapeau, de
renouer la tradition révolutionnaire, de reprendre l'étendard de la Ière
République. Mais, comme aux termes du décret du 17 pluviôse an II, le bleu est
à la hampe, le blanc au milieu et le rouge flottant à l'extrémité, on ne tarda
pas à revenir alors à l'ordre des couleurs de la monarchie de juillet,
[86]
tout en se réclamant de la tradition révolutionnaire. Par ailleurs,
la proscription du bonnet phrygien que le gouvernement provisoire s'était livré
et se livrait à « un misérable subterfuge »
[87]
.
C'est pourtant sur
la base de la proclamation du 26 février que Louis Blanc parle de la « conservation
conditionnelle »
[88]
du drapeau tricolore.
Il n'est pas niable
que pour faire consentir au peuple le maintien du drapeau tricolore, on s'est
décidé à ne plus reprendre tel quel le drapeau de Louis-Philippe. En ce sens,
et dans une faible mesure, on donnait satisfaction au peuple, plutôt on faisait
semblant de lui donner satisfaction. D'un autre côté, on ne froissait ni
l'armée, ni les orléanistes puisqu'en somme on conservait leur drapeau, et
surtout, on rassurait complètement la bourgeoisie qui en vertu de l'équivoque
savamment entretenue, assimilait à tort le drapeau rouge aux violences et à la
terreur de 1793. En ce sens également, la proclamation du 26 représente un
compromis. Elle est le reflet des contradictions internes du Gouvernement Provisoire.
Elle met en évidence les deux courants antagonistes qui se heurteront bientôt à
point tel qu'ils mettront en péril la République.
Défaite du
drapeau rouge
Mais il était
chimérique de prétendre satisfaire à la fois l'immense armée des travailleurs
et les chefs prétoriens de l'armée, comme il était ridicule, sous prétexte de
ne pas « donner aux orléanistes un signe de ralliement"
[89]
de reprendre à peu de chose près leur propre drapeau. Et ce n'est
point parce qu'à la hampe du drapeau les gouvernants bourgeois avaient accordé
une toute petite place au rouge de la « Révolution sociale » et de «
l'abolition du salariat » que les mots « Banque de France » et «
exploitation de l'homme par l'homme » ne se lisaient plus dans ses plis. On
ne marie pas le feu et l'eau ; on ne combine pas le drapeau tricolore avec le
drapeau rouge : c'est l'un ou c'est l'autre. Il faut opter. La proclamation,
comme toute opération de circonstance pouvait, il est vrai, donner le change un
moment. L'évolution irrésistible et rapide de la bataille des classes la
condamnait.
Il est bien
visible, au demeurant, que cette rosette rouge juxtaposée au drapeau tricolore
est imposée comme un signe aux membres du Gouvernement Provisoire, n'existait
que pour sauver les apparences. C'était dans la proclamation, un test de
circonstances, une clause de style, sans plus. C'est si vrai que dans ses
prescriptions du 27 février, un homme comme Caussidière n'a pas même cru devoir faire mention de la rosette rouge à placer à la hampe
du drapeau. Certes, on peut arguer que le 30 avril 1848, le Gouvernement
Provisoire, en fixant le costume des représentants du peuple, marqua quand même
un certain attachement à la couleur rouge. Il décida, en effet, que les
représentants auraient une « ceinture tricolore en soie garnie d'une frange
en or à graine d'épinard » et, en même temps « à la boutonnière gauche,
un ruban rouge sur lequel seront dessinés les faisceaux de la république ». Mais
cette ultime décision, prise à l'heure où le sens des élections effrayait même
la majorité du gouvernement, fut dictée vraisemblablement par une raison
tactique : le désir de réagir, tout au moins symboliquement, contre le
glissement à droite. Elle ne pouvait tromper personne et Alexandre Dumas écrivit
à juste titre en la commentant :
« il y a beaucoup à parier que pas un des représentants ne
prendra le costume décrété par le Gouvernement Provisoire… »
[90]
.
Louis Blanc
s'illusionne donc grandement quand il affirme :
« Loin d'avoir été
rejeté, la couleur rouge fut adoptée solennellement comme symbole du pouvoir
révolutionnaire ».
[91]
.
En fait, comme dans
presque tous les compromis, il y avait une partie perdante. Dans les périodes
révolutionnaires modernes où le mouvement ascensionnel, où le dynamisme est
représenté par la classe ouvrière, c'est celle-ci qui forme la partie perdante
des compromis. Les questions de drapeau ont plus d'importance qu'on ne croit.
En résistant, en maintenant le drapeau tricolore, la bourgeoisie maintenait
l'ancien état de choses, la République de façade. Elle escamotait la
révolution.
« Un moment de
terreur, d'hésitations, de faiblesse, et la France symbolisée par le drapeau de
la détresse, roulait peut-être dans l'abîme de la barbarie et du meurtre ».
C'est ce qu'avoue,
à l'époque, un journal essentiellement bourgeois comme l'Illustration
[92]
. Il souligne à sa manière que le 25 février, jour décisif, marqua un
tournant dans la Révolution : il ajoute :
« Cette minute ne
vint pas… »
Et il rend grâce à
Lamartine qui par son « éloquence inspirée » sut « ramener à la
raison une multitude égarée et préserver la jeune révolution qui commençait à
"s'épurer ».
[93]
« Il a réussi dans
cette entreprise qui semblait au-dessus des forces et du courage d'un homme. Sa
victoire a été l'une des plus belles victoires remportées par le génie du
patriotisme et de l'éloquence ».
Même son de cloche,
en somme, dans le Journal des Débats qui proclame qu'en répudiant « noblement
et courageusement » le « drapeau d'une seule couleur qui était l'emblème
du sang et du carnage », la Révolution commençait à « s'épurer ».
La défaite du
drapeau rouge signifiait la défaite des travailleurs. C'est pourquoi
Lamartine qui personnifie la résistance aux vagues d'assaut populaire en faveur
du drapeau rouge fut et reste, aux yeux des conservateurs et des républicains
bourgeois, le grand héros des 25 et 26 février, bien qu'en bonne justice – et
c'est un aspect de la question qui ne saurait être traité ici – on devrait
reconnaître que Flocon, en canalisant la partie la plus malheureuse de la
multitude vers le donjon de Vincennes – soumis pourtant depuis le matin même –
a opéré la plus habile des diversions
[94]
.
Maintenant, que
Lamartine ait éprouvé peu après à l'Assemblée Constituante, l'ingratitude de
ses collègues et des autres députés bourgeois, cela ne change rien à l'affaire.
Aussi bien, Félix Mornand, l'un des premiers
secrétaires du Gouvernement Provisoire, encore sous le coup de « cette
première secousse pour faire dévier le char de la révolution » avait écrit
:
« Gloire au
gouvernement et gloire à Lamartine! On pourra quelque
jour détruire le premier et méconnaître le second ; on pourra critiquer leurs actes… Mais il ne faut jamais oublier les services qu'ils
ont rendus à la patrie dans cette minute décisive ! »
En fait, à la suite
de son intervention éloquente, Lamartine, déjà grand poète fut sacré grand
orateur, grand homme d'État. On en fit un sauveur. On le porta aux nues.
Lui-même devint infatué de sa personne au point d'exagérer tout ce qu'il avait
fait pour la Révolution de 1848 et de transformer son récit de cet événement en
une approximation historique.
Pourtant, étant
donné les services qu'il avait rendus à sa classe, Lamartine n'avait pas besoin
de se tailler le beau rôle et, comme l'a écrit un historien bourgeois
postérieur, il avait le droit – sur le plan bourgeois évidemment – «
d'affronter l’histoire et la postérité sans redouter ni le jugement de l'une,
ni les ingratitudes de l'autre ».
Analysant le drame
des événements, Blanqui se montrait sceptique quant aux résultats à inscrire à
l'actif des journées de février. Aussi bien s'écriait-il dans une proclamation
: « changement de décor, maintien du fond ».
En ce qui concerne
le drapeau, c'était encore trop peu dire, car le mince décor changé sous la
pression populaire des 25 et 26 février ne tarda pas à disparaître. Le décret
du 5 mars 1848, tout en se référant une fois de plus à la tradition
révolutionnaire, reprit l'ordre des couleurs de la monarchie censitaire. Ainsi
en huit jours, se trouvait rétabli, au coq près, le drapeau de Louis-Philippe.
Chapitre 3 : Des journées de février aux journées de juin.
Eclipse du
drapeau rouge jusqu'au 15 mai.
La bourgeoisie, par
toute une série de mesures, prouvait donc son attachement au drapeau tricolore.
Mais tous les «
esprits surexcités par l'avènement de la démocratie », toutes ces « individualités
sans lien et sans suite » dont parle dédaigneusement Corbon
[95]
– autrement dit l'avant-garde du prolétariat – tenait, de son côté,
au drapeau comme à la couleur rouge. C'est ainsi que les Montagnards ou gardes
du peuple de Caussidière avaient bien la blouse
bleue, mais leur ceinture et leur cravate étaient en laine rouge
[96]
. On le vit mieux le 27 février, jour où, au dire de Lamartine, le
gouvernement voulait « constater par une solennité authentique la défaite
des partisans du drapeau rouge"
[97]
. Lamartine se trouva contraint de reconnaître que le cortège, en partant
de l'Hôtel de Ville, comprenait « quelques drapeaux rouges et un grand
nombre de rubans rouges aux habits »
[98]
. Au surplus ce même jour, vers 11 heures du matin, une cinquantaine
de révolutionnaires polonais s'était réunis dans la cour de la mairie du 11e
arrondissement avec, comme emblème, un drapeau rouge portant en lettres noires
: Vive la Pologne ! Et, dans une cérémonie quasi officielle, Bouley de la Meurthe, colonel de la 11e légion, les avait
présentés à la garde nationale en présence du général polonais Divernieki et du nouveau maire David d'Angers
[99]
.
A partir de ce
jour, le drapeau rouge subit incontestablement une nouvelle éclipse. Il
n'apparaît même plus à l'état sporadique. Il est difficile de trouver sa place
dans les grandes journées du 17 mars et du 16 avril.
Si l'on croit La
République de Bareste, au 17 mars, les
40 000 citoyens qui se rassemblent place de la Concorde, la plupart en
blouse, donc des ouvriers, tenaient à la main « de petits drapeaux
tricolores montés sur des baguettes à la longueur des doigts ». Il y avait
par ailleurs, surmontant la foule, « d'immenses drapeaux aux couleurs
nationales »
[100]
. Un journal modéré confirme qu'on « voyait de loin le drapeau
tricolore se déployer »
[101]
. Remarquons également que la célèbre légion des brésiliennes avait
une bannière aux couleurs nationales. C'est un fait aussi que sur 147
dénominations de clubs parisiens relevés à la date du 30 mars, pas un ne porte
le nom du drapeau rouge, et que sur 171 journaux parisiens parus de février à
juin, aucun ne porte le même nom
[102]
. Il est significatif que les proclamations de la société républicaine
centrale (club Blanqui) n'en font pas mention.
Significative est
aussi l'attitude de Cabet répondant le 27 février à la presse qui avait défini
le ruban rouge comme le « ruban du communisme » et les trois couleurs
comme « le signe de ralliement de tout ce qui veut le respect de la famille
et de la propriété ». Le leader du communisme pacifique traita ces mots d'"odieuse
calomnie », ajoutant un peu plus loin : « … Nous déclarons qu'il est
faux que le drapeau rouge soit le drapeau du communisme »
[103]
Deux jours après, dans un appel au Gouvernement Provisoire, Cabet
désavouait à nouveau le drapeau rouge : « Nous approuvons, écrit-il, le
drapeau tricolore plutôt que le drapeau rouge". Il est vrai que pour
atténuer sans doute la portée de ce désaveu, il le faisait suivre de deux séries
de réticences. S'adressant toujours au gouvernement, il disait :
« Pourquoi
avez-vous fait arborer le drapeau rouge à l'hôtel de ville, à la poste, etc.…
etc., aux acclamations du peuple, pour le destituer ensuite, comme si c'était
une influence réactionnaire ?
Comment avez-vous
pu rétablir le coq gaulois devenu si impopulaire ? Et comment après l'avoir
abandonné, devant la manifestation du peuple, après n'en avoir pas parlé dans
votre programmation en faveur du drapeau tricolore (ce qui faisait croire que
vous l'abandonniez définitivement) comment pouvez-vous rétablir enfin ce coq dépopularisé
?
[104]
»
On ne saurait non
plus sous-estimer l'attitude d'un journal de combat comme La Commune de
Paris, tribune des clubs et organes de Sobrier.
Non seulement on n'y trouve aucune apologie du drapeau rouge, mais on y fait de
la cocarde tricolore le « signe de l'affranchissement du peuple français ». Et
à l'occasion de la fête consacrée à la distribution des drapeaux de la
République, ce journal écrit « qu'il serait opportun que la cocarde
tricolore reparût à tous les chapeaux, à toutes les boutonnières. » Du
reste, le manifeste des sociétés secrètes (16 avril 1848), reproduit dans le
même organe, s'abstient de se prononcer sur la question du drapeau.
[105]
Plus ferme fut,
certes, l'attitude du communiste révolutionnaire Dézamy qui, répondant en mars
non seulement à la presse, mais au Débat, défendit franchement le
drapeau « souillé et sanglant des barricades »
[106]
.
Il est vrai qu'au
15 mai, l'attitude de Sobrier est bien différente.
Ses hommes portent à la boutonnière un ruban de laine rouge et l'on fait savoir
le matin aux délégués des départements afin, si une collision s'élève, qu'on ne
tire pas sur eux. « C'est notre signe de ralliement », dit l'un d'eux
[107]
. Au cours de la démonstration, bannière des corporations et des
fleuves, drapeaux avec l'inscription pour la Pologne sont déployés. Ces
emblèmes pénètrent avec le flot des manifestants jusque dans l'enceinte de
l'Assemblée Nationale. Il y en a de tricolores, mention en est faite. On peut
avancer qu'il y en a de rouges bien qu'aucun texte formel ne puisse étayer
cette affirmation. Mais la façon dont Lamartine, retraçant l'envahissement de
l'Assemblée, évoque les drapeaux en rappelant les journées du drapeau rouge en
février, est une indication très nette. On sait, d'autre part, que le drapeau
du club Blanqui fut déployé place de la Concorde et ce drapeau, comme la carte
d'entrée du club, était rouge.
[108]
Pour le surplus, il est permis de suppléer à l'insuffisance des
précisions symboliques fournies tant sur l'organisation intérieure des clubs
que sur la journée du 15 mai, en se rappelant que les clubs se livraient à la
surenchère.
La diatribe
de Victor Hugo.
Au cours des
élections à l'assemblée constituante, puis à la législative, il va sans dire
que les candidats conservateurs se servirent du drapeau rouge comme un
épouvantail pour entraîner les citoyens hors des voies socialistes. A cette
occasion, on peut dire que l’image fameuse – et fausse – du tour du
Champ-de-Mars fit le tour de France et servit à nouveau la cause des puissants
du jour.
Est-ce jalousie de poète
? Victor Hugo ne fit pas mention de cette métaphore dans sa profession de foi
aux élections du 4 juin 1848. Ce « cri de l'ainé poussé par une bouche
éloquente »
[109]
et, par ailleurs bel exemple d'utilisation réactionnaire du drapeau
rouge dans la bataille électorale. Et quelle utilisation ! On en jugera par ce
tableau de la « République rouge » tracé dans la première partie :
« Deux Républiques
sont possibles.
L'une abattra le
drapeau tricolore sous le drapeau rouge, fera des gros sous avec la colonne,
jettera bas la statue de Napoléon et dressera la statue de Marat, détruira
l'Institut, l’école Polytechnique et la Légion d'Honneur, ajoutera à l'auguste
devise : Liberté, Egalité, Fraternité, l'option : ou la mort fera banqueroute,
ruinera les riches sans enrichir les pauvres, anéantira le crédit, qui est la
fortune de tous, et le travail, qui est le parent de chacun, abolira la
propriété de la famille, promènera des têtes sur des piques, remplira les
prisons par le soupçon et les videra par le massacre, mettra l'Europe en feu et
la civilisation en cendres, fera de la France la patrie des ténèbres, égorgera
la liberté, étouffera les arts, décapitera la pensée, niera Dieu ; remettra en
mouvement ces deux machines fatales qui ne vont pas l'une sans l'autre, la
planche aux assignats et la bascule de la guillotine ; en un mot fera
froidement ce que les hommes de 93 ont fait ardemment, et, après l'horrible
dans le grand que nos pères en vu, nous montrera le
monstrueux dans le petit. »
[110]
Le morceau est
superbe mais d'une partialité révoltante. Il est trop facile de charger ainsi
la République sociale de tous les péchés d'Israël en la confondant avec la terreur
de 1793, et d'auréoler ensuite la République bourgeoise des réformes arrachées
pour la plupart au programme des systèmes socialistes abhorrés. On triomphe à
bon compte et l'on peut trancher souverainement :
« De ces deux
Républiques, celle-ci s'appelle la Civilisation, celle-là s'appelle la
Terreur."
Quelle aberration !
Camille Pelletan qui a consacré un livre pieux à la mémoire de Victor Hugo est
obligé d'avouer que le morceau « manque de bienveillance »
[111]
. Évidemment, et c'est même trop peu dire, Mais les esprits inquiets,
les prétendus amis de la civilisation que menaçait, paraît-il, le débordement
des affiches socialistes et montagnardes, attendaient, haletants, une
consolation. Le grand poète qui était un « républicain du lendemain » la
leur donnait sous une forme lyrique mais frelatée. Ils n'en demandaient pas
plus.
Les
journées de juin.
La consolation
était bien mince et de courte durée. Paris devait connaître avant la fin du
mois la terrible « insurrection de la faim ». Trois jours durant, prolétaires
en activité et prolétaires sans travail licenciés des ateliers nationaux,
livrèrent dans les rues, avec une sauvage énergie, une bataille sanglante aux
troupes des généraux d'Afrique, les Cavaignac et les Lamoricière.
Alors réapparut «
le drapeau de la barricade, le guidon du pauvre, l'oriflamme de Jacques
Bonhomme, en haillons rouges toujours vaincu qui pend, criblé de balles, au
bout d'une perche »
[112]
. Comme l'écrit Hippolyte Castille en sa langue colorée :
« N'a-t-il pas son
honneur, lui aussi, aux yeux de la sédition et sa gloire d'un moment au fond
des noirs carrefours »
[113]
.
Cet honneur, une
feuille provocatrice Le Napoléon Républicain s'essayait alors à le
souiller. Douze jours avant le début de l'insurrection, il demandait au peuple
de se souvenir du « drapeau rouge du Champ-de-Mars », sachant très bien
que cette évocation pouvait agir comme un ferment de révolte
[114]
.
Cependant, le
drapeau rouge ne fut point arboré unanimement comme on pourrait le croire et comme
l'ont accrédité les écrivains socialistes, en dernier lieu Alexandre Zévoès
[115]
. Les insurgés se servirent aussi de drapeaux tricolores et l'on doit
même admettre, étant donné la louche participation des agents légitimistes au
début du mouvement, que quelques drapeaux blancs flottèrent le premier jour
[116]
.
Sur la première
barricade, à la hauteur de la porte Saint-Denis, c'est une bannière tricolore
qu'une femme planta. Ceci se passait le 23 juin
[117]
. Le 26, l'ami de Bakounine, Ivan Tourgueniev, aperçut au sommet de
cette barricade « un étroit drapeau rouge, qui remuait à droite et à gauche
sa petite langue mordante et menaçante ». Il était entouré de drapeaux
tricolores « brodés d'or »
[118]
.
Le 23 au matin, à
la formidable barricade de la porte Saint-Martin, l'une des femmes qui occupe
le sommet agite un drapeau tricolore
[119]
. Quand les troupes du général Damenne reprirent, au prix de lourdes pertes, les barricades de la place Maubert, elles
s'emparèrent d'un drapeau tricolore orné dans la zone blanche d'un bonnet rouge
[120]
.
Le drapeau rouge
flotta le 24 sur la mairie du huitième arrondissement et le 25 sur la colonne
de juillet
[121]
L'étude des
journées de juin amène à faire des remarques en ce qui concerne le drapeau
rouge.
Tout d'abord, il
est certain que les drapeaux tricolores étaient en plus grand nombre que les
drapeaux rouges sur les barricades. H. Castille, témoin oculaire, l'affirme
nettement
[122]
et il n'y a pas lieu de mettre en doute, sur ce point particulier,
son récit objectif est sincère. D'autant plus que ce sont les bannières
tricolores des ateliers nationaux qui servirent, en général, de signe de
ralliement. Mais il est bon d'ajouter que bonnet rouge figurait souvent soit au
milieu soit à la pointe des drapeaux aux couleurs nationales. Par ailleurs, à
mesure que le caractère social de l'insurrection se dégageait, les drapeaux
rouges flottèrent plus nombreux. Cette remarque a été faite par Madame d'Agoult
[123]
qui note, le 23, n'avoir vu que des drapeaux tricolores et qui, au
cours de sa relation de la journée du 25, écrit que « des drapeaux rouges se
multipliaient ».
Tout en admettant
la portée générale de cette remarque, il convient de faire exception pour le
vieux foyer des insurrections parisiennes
[124]
.
Félix Pyat qui
avait parcouru le faubourg Antoine avec Dupont de Bussac en suppliant les
travailleurs de renoncer à engager une lutte funeste, a raconté comment, de la
Bastille au Trône, il vit construire plus de cent barricades.
« Sur chacune
d'elles, écrit-il, flottait un drapeau rouge portant l'insigne du travail,
c'est-à-dire l'outil d'un métier ; sur l'un c'était l'équerre et le compas, ;
sur l'autre, le marteau et le ciseau ; sur un troisième, une presse et
composteur ; ainsi de suite, chacun son symbole. Cela ne valait-il pas les sigles,
les lions et autres bêtes de proie, emblèmes des maîtres ? Les combattants
s'étaient rangés naturellement ainsi par ordre d'états, par corporations, se
connaissant mieux pour mieux se défendre, en vrais frères et amis, en
compagnons. Nobles soldats et nobles drapeaux d'une guerre sainte pour la plus
juste des causes… »
Il ajoute, plein
d'amertume, évoquant l'issue de la lutte :
« Ah! ces nobles drapeaux du travail, j'eus la douleur de les
voir pris et rapportés en trophée, troués et sanglants, au bureau de l'Assemblée
bourgeoise, par des fils du peuple, par les mobiles de Paris, par des frères
conduits contre leurs frères à la grande joie des maîtres, triomphant dans le
sang de tous… »
[125]
En province, c'est
surtout dans l'agglomération lyonnaise que la révolte de juin 48 trouvera sa
répercussion. Déjà, le 15 mai, jour de l'envahissement du Palais Bourbon, le
drapeau noir avait été arboré à Givors
[126]
. Le 24 juin, à la Croix-Rousse, les ouvriers informés des événements
de la capitale se tenaient prêts à épauler leurs frères parisiens. Le signal de
convocation, d'après un rapport officiel, était donné en hissant sur le fort
des Bernardines, un drapeau rouge auquel devait répondre le flottement de même
couleur sur le fort de Montessuy
[127]
.
Caractère
et rayonnement international du drapeau rouge.
Après les
meurtrières journées de juin et la répression impitoyable qui suivit, il est à
peine besoin de dire que le drapeau rouge subit encore un recul sur la scène
politique en France. Mais, chose curieuse, c'est précisément à cette époque
qu'il prit son caractère international, il devint l'emblème de la fraternité
humaine et de la révolution socialiste universelle.
C'est à Proudhon
qu'on en est redevable et nous l'avons déjà signalé en passant.
En mars 1848, à la
suite des élections à l'Assemblée Constituante, Proudhon avait fait paraître
une brochure intitulée Solutions du Problème social dans laquelle il
passait au crible de la critique les actes du Gouvernement Provisoire et la
façon parlementaire dont on comprend l'exercice du suffrage universel. Dans
cette brochure, Proudhon saluait le drapeau rouge non seulement en tant que
symbole de la souveraineté populaire dans un pays, mais en tant que symbole de
l'union de tous les peuples par-dessus les frontières. Il disait :
« … Et puisque tous
les hommes aiment le rouge, ne serait-ce pas aussi que le rouge est le symbole
de la fraternité humaine !
… Gardons, si vous
voulez, le drapeau tricolore, symbole de notre nationalité. Mais souvenez-vous
que le drapeau rouge et le signe d'une révolution qui sera la dernière. »
Il ajoutait :
« Le drapeau rouge
! C'est l'étendard fédéral du genre humain. »
[128]
Cette formule
étincelante fit fortune. Elle fut reprise par les partisans de Blanqui. Ils en
firent la devise d'un de leurs organes éphémères La République rouge.
Dans ce journal, du reste, il était souligné qu'à l'encontre du drapeau
tricolore, le drapeau rouge ne fait pas « la conquête de l'Europe par la
guerre, » mais qu'il porte dans ses plis « l'avenir pacifique de l'humanité »
[129]
.
Ainsi véhiculé
par les proudhoniens et les blanquistes, l'idée internationaliste attachée au
drapeau rouge fut assurée du succès.
Et comme peu
après, en juillet, le poète révolutionnaire allemand Freiligrath chanta le
drapeau rouge au lieu et place du drapeau noir – rouge – or, il se trouva que, concrètement, l'emblème socialiste écarlate
commença son tour du monde. À la vérité, il avait déjà pénétré en Belgique, et
des Polonais – tout au moins à Paris – s'étaient déjà groupés sous ses plis. Il
ne faisait même que réapparaître en Allemagne, puisque trois siècles avant les
paysans du Ried l'avaient arboré dans leur révolte
[130]
, et que plus récemment, dans le club l'Association Ouvrière, fondée
le 13 avril 1848 à Cologne par Gottschalk, il ornait la tribune, mariant sa
couleur avec le rouge des écharpes et des bonnets dont certains ouvriers en
blouse avaient cru devoir se ceindre et se coiffer
[131]
.
Quoi qu'il en soit, il reste que l'on peut - et,
jusqu'à nouvel ordre – que l'on doit dater de cette époque le rayonnement
international du drapeau rouge. Ce rayonnement, tout au moins européen, fut
pressenti alors par le journaliste Charles Robin qui préparait une histoire de
la révolution de 1848. À la suite de longues dissertations sur le rejet
momentané de l'étendard rouge en France, Robin prédit son adoption comment
emblème de la « confédération des peuples européens ». Et comme la
Russie tsariste est, à cette époque, le foyer de l'oppression, Robin annonce
même que c'est sous les plis de la bannière rouge européenne que les Russes
seront refoulés « dans les steppes ». Ainsi, le drapeau rouge «
terreur du despotisme » sauve la liberté.
[132]
Mais ce rayonnement du drapeau rouge que le recul
du temps nous permet d'établir et que pressentirent quelques rares esprits,
échappa aux contemporains.
Il y eut même, en France, un socialiste notoire
comme Pierre Leroux qui rompit ouvertement avec la tradition populaire du
drapeau rouge. Le 5 septembre 1848, à la tribune de l'Assemblée nationale, il
déposa un projet de constitution « le plus délirant, a-t-on pu écrire, qu'un
réformateur n’ait jamais conçu ». Dans le double but de « se conformer à
la science » et de détruire le germe « des collisions futures qui
pourraient résulter de drapeaux différents dans la nation, Pierre Leroux
invitait l'assemblée à adopter comment emblème national un drapeau blanc – or –
Azur et pourpre. Le blanc était affecté à « la gérance, l'unité », l'or
au corps scientifique, l'azur au corps législatif, la pourpre au corps exécutif
[133]
. Pierre Leroux sacrifiait sur l'hôtel d'une unité imaginaire à la
fois le drapeau national et le drapeau social, le drapeau du passé et le
drapeau de l'avenir, le symbole de l'unité nationale et l'emblème de l'unité
humaine.
Manifestations
diverses en 1849.
L'assemblée, -
est-il besoin de le dire ? - accueillit par un immense éclat de rire les
fantaisies du réformateur, mais le fait qu'elles aient pu se produire indiquent
surabondamment que le drapeau rouge ne jouissait plus du succès d'antan. Il
n'avait pourtant pas perdu tout crédit dans les masses, puisqu'à Montargis
(Loiret), pour l'anniversaire de la République (février 1849), les mariniers
plantèrent un nouvel arbre de la liberté, orné de nombreux oriflammes
tricolores au milieu desquels flottaient au vent l'immense flamme rouge
[134]
. À Alger, le même jour, on voulait promener dans la ville des
drapeaux rouges, mais l'accueil fait précédemment par la population aux
bannières de même couleur, auraient déconcerté les partisans du rouge qui
renoncèrent à leur projet
[135]
. D'après le ministre Faucher, le drapeau rouge aurait été pourtant
arboré ce jour-là à la Guillotière, dans la Drôme, et à Carcassonne
[136]
, cependant qu'à Toulouse d'après une autre version, un garde national
en faction devant la cathédrale au moment du Te Deum, avait cru devoir
se coiffer du bonnet rouge
[137]
.
Les comptes-rendus
des banquets de février 1849 confirment que le drapeau tricolore est le grand
triomphateur. Il suffit de lire un journal comme La Révolution démocratique
et sociale de Charles Delescluze pour s'en assurer. Pourtant dans l'un de ses numéros paru avant ces banquets, ce journal avait fait
une apologie en règle du drapeau rouge en s'appuyant sur l'histoire, à
commencer par l'antique Gaule dont il fut l'emblème.
L'article
[138]
insistait sur le caractère national du drapeau rouge et ne faisait
que glisser en quelque sorte sur son caractère social.
« Pourquoi
aujourd'hui le peuple semble-t-il disposé à abandonner le vieux drapeau
tricolore, pour revenir au vieux drapeau gaulois ! On a tout fait pour lui
remettre sous les yeux la couleur rouge. On semblait vouloir lui rappeler que
ce fut celle de ses ancêtres. La première Assemblée nationale dominée par la
réaction capitaliste fait une loi de sang contre les attroupements… La Gironde
invente le bonnet rouge : le peuple l'adopte. Les insurrections républicaines
sous Louis-Philippe ont arboré le drapeau rouge ; Lyon s'est battu sous cette
couleur.
Au 21 février, le
drapeau rouge fut le vrai drapeau de la révolution. Chacun, sans qu'il y ait eu
de mot d'ordre, se trouva la poitrine parée d'un ruban rouge. Lamartine
commença la réaction en substituant le drapeau tricolore au drapeau rouge.
Le peuple a un sens
profond. Et je savais que la révolution de février était le point de départ de
l'unification définitive de la France. Plus de classe, de nobles, de bourgeois,
de prolétaires : des égaux, un peuple, voilà la révolution de février. Pourquoi
trois couleurs pour représenter l'un !
L'avenir décidera
si le drapeau tricolore continuera à être le drapeau de la France.
Le drapeau rouge
symbole de l'unité remonte aux origines de la nation. Il est donc digne de
respect. Prétendre qu'il est un signe d'assassinats, de pillages, c'est
insulter à la mémoire de nos vieux, c'est méconnaître l'histoire, c'est
répudier tout le passé de notre race ».
Au début d'avril
1849, le drapeau rouge paru dans un banquet socialiste de 50 à 60 cultivateurs
à Saint Léon, arrondissement de Cusset (Allié)
[139]
. À Paris, barrière Poissonnière, au banquet des prêtres socialistes
le 19 avril 1849, on remarque que les nombreux commissaires circulant autour
des tables étaient décorés d'un brassard rouge
[140]
. C'est encore en 1849 que Jean Bousquet, ce cafetier de Moissac
(Tarn-et-Garonne), qui devait mourir à Jersey après avoir eu les honneurs de
l'horizon funèbre de Victor Hugo, fut traduit puis acquitté devant la cour
d'assises de Montauban pour exposition publique de bonnets et drapeaux rouge
[141]
. Furent acquittés également par le jury d'Indre-et-Loire, le 6
juillet 1849, l'instituteur Rouault, l'adjoint Avenet,
le terrassier Coulan, ce dernier coiffé au rouge
symbolique, pour avoir crié entre autres, à la croix, le 13 mai 1849 Vive le
drapeau de la Montagne!cri interprété par les
assistants comme en faveur du drapeau rouge
[142]
.
Il faut bien
l'avouer, l'évocation du drapeau rouge gênait tout ceux – et ils étaient
nombreux – qui, en vue d'une victoire aux élections à l'assemblée législative,
travaillaient à la fusion des montagnards et des socialistes. Par une sorte
d'accord tacite, les uns et les autres étudièrent la question du drapeau qui
divisait, pour ne retenir, dans le programme commun, que ce qui pouvait unir.
Ce n'est pas par hasard que le serment et la déclaration pourtant assez
explicite imposée aux candidats « démocrates – socialiste »
[143]
passait sous silence le drapeau de la nouvelle formation.
Mais comme il
arrive toujours, les contradictions internes refoulées par artifice
momentanément, devaient éclater par la force irrésistible des choses, à la
première occasion. Le 13 juin 1849, lorsque à la suite de l'expédition de Rome,
éclata l'affaire dite du Conservatoire des Arts et Métiers, on vit surgir à la
fois le drapeau rouge et le drapeau tricolore. Au début de la manifestation qui
préluda aux combats de rue, dans les environs du Château-d ‘Eau, a paru un
drapeau rouge, porté par des hommes en blouse.
[144]
D'un autre côté, le drapeau des étudiants porté tout d'abord par Lebalye était tricolore
[145]
. À Lyon, l'émeute parisienne trouva sa répercussion le 15 juin, et
c'est autour d'un drapeau rouge que se rallièrent les deux ou trois cents
premiers insurgés répondant au rappel battu à la Croix-Rousse
[146]
. Commentant le coup manqué du 13 juin dans un café de Civray
(Vienne), le plafonnier Godu aurait dit, entre autres
choses, que le drapeau tricolore « n'est pas le vrai drapeau républicain ».
Arrêté, il fut acquitté.
[147]
Quant à Garibaldi,
le héros de la république romaine, quant aux hommes de son héroïque légion, ils
pouvaient bien se revêtir de la symbolique chemise rouge, leur drapeau n'en
était pas moins aux couleurs italiennes après avoir été noir – deuil de la
patrie lointaine – avec au centre l'image du Vésuve en flammes
[148]
. Aussi le général Oudinot, commandant en chef du corps
expéditionnaire français n'eut à interdire, à la date du 9 juillet 1849 que «
le port du bonnet rouge et des bérets de même couleur, signe de terreur et
d'anarchie »
[149]
.
Et si l'épopée des
chemises rouges a pu favoriser le développement de l'étendard socialiste en
jouant dans l'inconscient collectif par l'entremise de facteurs qu'on peut
seulement soupçonner, on sait d'une façon sûre que le hasard présida uniquement
au choix de la couleur symbolique de Garibaldi. Quant à sa date d'origine, elle
est controversée. Hayward et Frischhauer prétendent
que la chemise rouge fut choisie à Montevideo parce qu'une maison de commerce
solda tout un stock destiné aux ouvriers des grands abattoirs argentins, afin
que les traces sanglantes ne fussent pas visibles après leur travail. Cette
hypothèse ferait remonter la fameuse chemise rouge à 1842. Bordone dit que Garibaldi à New York, faisait partie d'une compagnie de pompiers dont
l'uniforme consistait en une chemise rouge, et fixe à ce moment l'emploi de la
chemise rouge par Garibaldi. Cette hypothèse ferait remonter l'origine de la
chemise rouge à 1850.
[150]
Notons, puisque
nous sommes sur ce point un peu spécial que, plus près de nous, en 1928 – 1930,
la chemise rouge fut reprise par les adhérents du Khudal-Khidmatgar (serviteurs de Dieu), mouvement national hindou de la province de Punjab,
dirigé par Ghaffar-Khan. Mais on ignore dans quelle
mesure le rouge traditionnel du socialisme ou le souvenir de l'épopée
Garibaldienne ont pu déterminer ce renouveau de la chemise rouge. Il paraîtrait
que c'est pour donner au groupement une réalité tangible en lui enlevant tout
caractère occulte, que Ghaffar-Khan aurait proscrit
le port de la chemise rouge
[151]
164. Cette raison qui a sa valeur, n'explique pas le choix de la
couleur.
Il ne faudrait pas
induire de quelques-uns des faits cités plus haut, que le rayonnement du
drapeau rouge subit un temps d'arrêt en 1849. N'est-ce pas un phénomène digne
de remarque que le ralliement public au drapeau rouge opéré à Londres par le
vieux lutteur chartiste Julien Harnay, le 31 décembre
1849, lors de la fête fraternelle regroupant 300 républicains socialistes
d'interrogation ? Après avoir exprimé sa foi profonde en la victoire de la
classe ouvrière dans tous les pays, ce vétéran termina son exposé en affirmant
:
« Le drapeau rouge
flottera sur le monde entier et groupera tous les peuples derrière lui »
[152]
On mesurera le
chemin parcouru à Londres par l'emblème révolutionnaire, si l'on note que le 10
avril 1848, à la grande démonstration chartiste dont Harney était l'un des chefs de file, il n'y avait pas eu un drapeau rouge, mais des bannières
multicolores, bien que de nombreux ouvriers démocrates se fussent décorés de
l'Églantine rouge
[153]
. Le drapeau du chartisme n'était pas rouge et la couleur
révolutionnaire des ouvriers français n'avait été représenté dans ses
démonstrations que par des bonnets et des rosettes rouges
[154]
.
Le 10 novembre
1850, à Londres, comme pour faire écho aux vieil Harney,
les proscrits démocrates – socialiste français, allemands, polonais et hongrois
réfugiés en Angleterre - s'affirmèrent pour le drapeau rouge. Leur appel
énergique finit sur ces mots :
« Plus de guerre
nationale ! Les bannières que les despotes avaient élevées entre les nations
qui s'étaient partagées sont désormais tombées pour nous et les peuples
confondus n'ont plus qu'un drapeau sur lequel nous avons écrit avec le sang
fécond de nos martyrs : République Universelle Démocratique et Sociale. »
[155]
C'est peut-être la
première fois que dans un écrit rendu public, des démocrates – socialistes de
diverses nations ne se contentent pas d'adopter le drapeau rouge mais répudient
leur drapeau national.
Le plaidoyer
d'Alfred Delvau (1850).
En France, durant
les années 1850 et 1851 qui marquent l'extermination systématique du parti de
la Montagne, le drapeau rouge ne paraît pas. Mais Anatole Leray le salue, dans Le
Drapeau du Peuple comme le drapeau de la République Sociale et comme le
futur drapeau de la République Universelle. Extrait en sera transcrit dans l'Almanach
de la vile Multitude pour 1851
[156]
.
De son côté Alfred Delvau, « secrétaire intime » de Ledru-Rollin mais
blanquiste d'inclination, consacre une large place au drapeau rouge dans le
tome 1 (seul paru) de son ouvrage historique sur la révolution de 1848. C'est
un plaidoyer chaleureux et agressif.
Reprenant
l'argumentation soutenue dans le journal de Delescluze et qui était d'ailleurs
peut-être de lui, Delvau évoquait d'abord la gloire
incluse dans les plis pourprés de l'étendard gallique.
"Le drapeau
rouge était l'unique labarum de nos pères qui l'avaient tenu très haut et ferme
dans toute leurs victoires. Les gaulois, race d'aventuriers indépendants,
braves et purs l'avaient porté dans toute l'Europe, dans toute l'Asie, en
Grèce, en Thrace, en Galacie, en Perse, dans l'Inde.
C'était le drapeau rouge que déployaient les compagnons de Itrennus en entrant dans Rome conquise. La couleur pourprée représentait la liberté pour
les Gaulois ; et puis ne portait-elle pas, - cette glorieuse oriflamme de nos
ancêtres – cette devise inscrite en lettres de feu, la devise de Constantin « In
hoc signo vince : sous ce signe, tu vaincras ! ». Et
ils avaient vaincu, et avec cet étendard, ils avaient fait le tour du monde, ils
avaient marché à la conquête du monde ! »
Rappelant alors la
fameuse formule par laquelle Lamartine « avait endoctriné la masse trop
électrisable » qui assiégeait l'hôtel de ville, Delfau se faisait pressant,
posait toute une série de questions entrecoupées de considérations historiques
:
« Est-ce que M. de
Lamartine n'est pas français ? Est-ce qu'il oubliait l'origine de la France !
Lui qui a été créé religieux comme l'air a été créé transparent, oubliait-il à
dessein sans doute lorsqu'il faisait de la phraséologie sur le perron de
l'hôtel de ville que le drapeau rouge avait été celui du christianisme. Lui qui
a été créé historien, par un procédé analogue sans doute, oubliait-il que
Charles Martel avait déployé le drapeau rouge en marchant à l'extermination des
sarrasins ; que Charlemagne en avait ombragé et protégé sa tête et son empire,
et qu'il avait marché en avant des chevaliers des croisades ! Une fois tombée –
et cela est arrivé à la bataille de Rousbek – la
France n'avait plus su vaincre ; le drapeau rouge avait servi de linceul à des
soldats ! … Le drapeau blanc qui date de Jeanne d'Arc, et le drapeau tricolore
de 1789, valaient-il le drapeau de nos ancêtres ! Le drapeau tricolore
quoiqu'illustrée par les guerres de la Révolution, n'avait-il pas été souillé,
déshonoré par 18 années de paix honteuse ? M. de Lamartine qui a écrit
l'Histoire des Girondins ne voulait donc pas se rappeler que si le drapeau
rouge qu'il exécrait avait fait « le tour du Champ-de-Mars » c'est dans le sang
du peuple mitraillé par ordre de Bailly, maire de Paris, qu'il avait été trempé
et non dans la boue comme il s'est complu à le dire. Et à ce titre n'était-il
pas cher au peuple ! »
Poursuivant sa
démonstration, Delvau montrait contrairement aux «
deux mensonges en deux phrases » de Lamartine, que le drapeau rouge non
seulement avait fait le tour du monde, et que depuis 1832 il avait fait si l'on
peut dire « le tour des barricades ». Le 24 février en particulier, ne fut-il pas arboré par les combattants ?
« Est-ce que cette
couleur rouge que chacun portait à sa boutonnière, M. de Lamartine tout le
premier, ne symbolisait pas la victoire, la liberté, la République ! »
Et voici la conclusion
:
« Est-ce que, mieux
que les trois couleurs, elle n'était pas digne du respect et de la vénération
du peuple ! Est-ce que ce n'était pas une profanation de faire disparaître le
haillon révolutionnaire pour y substituer un lambeau souillé par tant de
souvenirs néfastes ? Est-ce qu'enfin ce n'était pas renier l’histoire, renier
la patrie que l'abattre de nos monuments ! C'était un crime de lèse-humanité,
de lèse-histoire et de lèse-nationalité ! C'était un pas un immense vers la
réaction, une concession puérile et fatale à des peurs bourgeoises.
Le peuple avait
donc raison de murmurer, raison de s'agiter, raison de rester en armes »
[157]
Cette apologie
étudiée et véhémente de l'étendard ouvrier n'empêche point naturellement sa
proscription.
A défaut du drapeau
rouge pourchassé, les ceintures, cravates, bonnets, casquettes de couleur rouge
constituent autant de signes de ralliement et de protestation contre la
réaction au pouvoir. Nombreux sont les républicains et socialistes qui se
trouvent poursuivis pour avoir exprimé sous cette forme leur opinion. Les
rapports des procureurs généraux fournissent à ce sujet des indications très
intéressantes mais parfois puériles. C'est ainsi qu'on arrive à discuter de la
place occupée par le rouge dans des cravates, et à signaler des globes
d'illumination en rouge « qui reflètent des rayons de sang », vague idée
du fameux spectre rouge. Ces rapports mentionnent qu'à Vialas (Lozère), des
femmes se revêtent en rouge, qu'à Liancourt (Oise) des démocrates portent des
képis rouges ; à Mouron (Ardennes) des calottes rouges ; à Romilly, Nogent
(Aube) et à Saint Bonnet (Hautes-Alpes), des bonnets rouges ; à Roquemaure (Gard)
et à Clamecy (Nièvre), des cravates rouges ; à Figeac (Lot), des bonnets et
ceintures rouges ; Enfin, c'est sous le nom vague et générique de "rouges" que les démocrates sont traqués, et c'est le refrain Vivent les
rouges ! À bas les blancs ! qu'ils chantent le plus souvent
[158]
.
Une particularité
très curieuse mérite d'être signalée à la date du 16 avril 1850, comme se
rattachant à la mystique du rouge liée aux épisodes révolutionnaires. Le fait
se produisit à La Tour-du-Pin (Isère) à l'occasion des funérailles d'un
combattants de février, J.B. Toque, ouvrier tailleur d'habits. Il avait
recommandé à ses amis de l'ensevelir avec un lambeau de velours rouge arraché
au trône de Louis-Philippe. On l'enterra avec cette relique sur sa poitrine
[159]
.
Après le
coup d'état (2 décembre 1851).
A la suite du coup
d'état, dans la lutte sévère qui mit aux prises les démocrates parisiens avec
les prétoriens du nouveau Soulouque (3, 4 décembre 1851), il ne semble pas que
le drapeau rouge fut arboré. Le seul drapeau insurgé dont il est fait mention
est un drapeau tricolore enlevé au poste des Arts et Métiers. Il flotta sur la
puissante barricade érigée rue Saint-Denis, près de la rue Saint Sauveur
[160]
.
En province,
suivant les initiatives locales, les insurgés se soulevèrent où combattirent
indifféremment sous les plis du drapeau tricolore ou du drapeau rouge, sans
qu'on puisse déterminer l'emblème plus généralement adopté. Ainsi, à Montargis,
on se servit d'un drapeau tricolore tandis que les insurgés du Donjon qui
marchait sur La Palisse et les bandes armées des environs de Clamecy arboraient
un drapeau rouge.
[161]
Émile Zola a évoqué
avec chaleur la résistance des insurgés du midi. Il les pourvoit tous d'une
ceinture rouge, donnent à leur chef comme marque distinctive un brassard
d'étoffe rouge, et fait agiter sa cravate rouge un bûcheron prix de frénésie
révolutionnaire. C'est un drapeau rouge que porte la jeune et belle Miette, en
tête de la colonne insurrectionnelle, et il nous peint cette « vierge –
liberté » drapée de rouge grâce à la doublure de son manteau dont le
capuchon la coiffe « d'une sorte de bonnet phrygien »
[162]
. Il apparaît bien que cette fiction littéraire soit empruntée à la
réalité historique car, dans le Var, la colonne de 3 ou 400 hommes venant de
Grimaud et Cogolin avait à sa tête la citoyenne Ferrier, épouse du nouveau
maire de Grimaud. C'était, dit Eugène Ténot, une «
belle jeune femme enthousiaste de la liberté ».
« Elle marchait en
tête des insurgés portant le drapeau rouge, drapée dans un manteau bleu doublé
d'écarlate, le bonnet phrygien sur la tête. Lorsqu'elle entra, ainsi vêtue à
Vidauban, cette foule provençale amoureuse de tout ce qui est excentrique,
pompeux ou théâtral, applaudit à outrance la nouvelle déesse de la liberté »
[163]
La forte répression
qui suit la résistance armée au coup d'état amena pratiquement à la disparition
du drapeau rouge. Mais, dans l'arrondissement de Montluçon, on vit des
démocrates porter des cravates rouges avec « une insolente fierté » et,
dans la Drôme, l'affiche rouge « A bas les aristos ! » fut apposée
[164]
.
Refoulé
matériellement, le drapeau rouge demeure en quelque sorte spirituellement. Il
ne réapparut concrètement sous le second empire qu'en mars 1868 à Bordeaux,
lors de l'agitation qui manqua l'application de la loi Niel sur les gardes
mobiles
[165]
. Mais, par-delà le 4 septembre et le siège de Paris, la Commune en
consacrant le triomphe des fédérés, devait amener la victoire de l'étendard des
travailleurs dans ce même Hôtel de Ville où il avait été proscrit en 1848.
[1] Bibliothèque d'histoire : Édouard Renard, docteur ès lettres, Louis Blanc, sa vie, son œuvre, Hachette, éditeur, un volume 332 pages.
[2] Voir Maurice Dommanget. Un drame politique en 1848, Blanqui et le document Taschereau, Editions des Deux Sirènes.
[3]
Voir Maurice Dommanget :
Blanqui en 1848, édition Grasset
[4] Confessions, traduit du russe par V. Brupbacker. Page 100.
[5] Histoire de la Révolution de 1848, édition de 1880, tome 1, page 117.
[6] Gabriel Perreux, Les Origines du Drapeau rouge en France, Page 76.
[7]
Gabriel Perreux, page 80.
[8] Histoire de la révolution de 1848, par Daniel Stern, tome 1, page 136 note 2.
[9] Lucas Dubreton, Louis-Philippe, page 601.
[10] La vérité sur la révolution de février 1848, Paris, 1850 pages 133
[11] La patrie en danger au 25 février 1848. Conspiration du drapeau rouge, page 10
[12] Idem, page 10
[13] Louis Ménard, Prologue d'une Révolution, réédition page 15, Histoire de 30 heures par Pierre et Paul, 2e édition page 63 la tribune du mouvement, numéro 1.
[14] Garnier Pagès, Histoire de la révolution de 1848, t 1, page 193.
[15] Victor Bouton, page 14 – 15
[16] Choses vues par Victor Hugo, édition 1934, page 421.
[17] Daniel Stern, tome 1 page 136, Eugène Pelletan, Histoire des trois journées de février 1848, page 70. Lamartine, Histoire de la Révolution de 1848, tome 1, page 96.
[18] A.Zéroès, La chute de Louis-Philippe, page 86.
[19] La Tribune Nationale, spécimen du 12 mars 1848.
[20] Eugène Pelletan, page 107 et 150.
[21] Lamartine, tome un, page 154,275,263.
[22] Louis Combes, Episode des curiosités révolutionnaires, page 307.
[23] Les Murailles révolutionnaires, tome un, page 115 – 165 (affiche du Populaire, 27 et 29 février).
[24] Daniel Stern, tome un, page 297 et Louis combes, page 307.
[25] Les murailles révolutionnaires, tome 1, page 115 – 165 (affiche du Populaire, 27 et 29 février).
[26] Louis Combes, page 307.
[27] Louis Blanc, tome 1 page 118
[28] La Russie contemporaine, par Léouton, page 307
[29] Daniel Stern, page 296
[30] Louis Ménard, page 43.
[31] Histoires déjà cités, page 118.
[32] Daniel Stern, page 296.
[33] Louis blancs, page 118.
[34] Œuvres diverses de G.Tridon , page 263.
[35] Louis Ménard, page 48
[36] Louis Ménard, page 43.
[37] Daniel Stern, tome 1, page 370 et aussi L. Combes, page 307.
[38]
Histoire de la seconde République française, tome 1, page 324 – 325.
[39] Banquet des travailleurs socialistes, 1849, voir aussi dans Les Veillées du Peuple, page 61 – 62 sa condamnation de la Convention, du bonnet rouge, etc.
[40] Gabriel Perreux, page 71
[41] Gabriel Perreux, page 71
[42] Garnier Pagès, tome 2, page 124
[43] Louis blancs, tome 1, page 114 – 116, Garnier Pagès, Lamartine, etc.
[44] Le Moniteur, 27 février
[45] Gabriel terreux, page 75
[46] Solutions du Problème social, mars 1848, page 28 – 32.
[47] Confessions, traduction et introduction de Brupsacher, page 99.
[48] Idem, page 51
[49] Dix ans de prison au Mont-Saint-Michel et à la citadelle de Doullens par Martin Bernard, page 204 – 206. La République (de Bareste) 2 mars 1848.
[50] Histoire politique de Lyon pendant la Révolution de 1848 par François Dulacq, page 97 et 101.
[51]
Lettres aux citoyens membres du gouvernement
provisoire, cité parG.Perreux, page 76
[52]
Le récit qui suit est établi d'après les ouvrages
déjà cités et ceux qui sont cités plus loin. Rien de plus trouble que la
relation des journées des 25 et 26 février, ainsi que le remarque le tome six
de l'histoire Lavisse. La plupart des témoins et après eux des historiens ont
confondu les deux journées et en ont mêlé les divers épisodes. Il y eut en fait
deux journées du drapeau rouge comme le reconnaissent Quentin Brochard (La
crise sociale de 1848, chapitre 7) et Gabriel Perreux. Je pense, en outre,
que la délégation Marche en faveur de l'organisation du travail, et la
délégation du drapeau rouge, ne forment qu'une seule et même délégation qui se
place « vers le milieu du jour » termes employés par Corbon
pour situer l'incident qu'il raconte, lequel est lié aux exigences accrues de
la foule. On jugera des concordances et des divergences essentielles par le
tableau suivant, et on sera frappé de la concordance générale de la quatrième
colonne.
[53] Le Siècle, 12 mars 1869 (lettre de Corbon, témoin oculaire), reproduit par Louis blanc, tome 1 page 123 – 125.
[54]
Souvenirs, par
Freyssinet page 21 – 23. Le Correspondant, 1887 Mémoires de Monsieur de
Falloux. Il est certain que Lamartine a d'abord fortement hésité,
contrairement à l'opinion de Louis Ulbach. Sa position n'est devenue nette
qu'au cours des délibérations du 26. L'erreur d'Ulbach vient de la confusion
des deux séances.
[55] Daniel Stern, page 290.
[56] Ces trois extraits du discours de Lamartine sont pris dans le texte fourni par Lamartine lui-même, tome 1 de son histoire, livre 7. Ce texte a été évidemment remanié après coup.
[57] Lamartine, Histoire de la Révolution de 1848, tome à, page 410
[58]
Louis Blanc, page 121 – 122.
[59] Louis Blanc, tome 1, page 123.
[60] Les Veillées du Peuple, numéro 2, article de F. Girard, page 111
[61] Lamartine, tome 1, page 306,400,407.
[62] La Tribune Nationale (organe de Lamennais, A.Esquiros, et J. Schmeltz) numéro 1, 20 février 1848.
[63] Garnier Pagès, tome 1, page 330.
[64] Les Murailles Révolutionnaires, tome 1, page 42
[65] La Révolution de 1848, revue, tome 7, mars avril 1910, numéro 37 page 24 – 25. Juin 1848, par V. Matorel, âge 36. Lettre inédite de Meyer à Lacambre, 10 août 1879.
[66] Victor Bouton, chapitre 11
[67] Les Clubs et les Clubistes, page 213
[68] Histoires de la Révolution de 1848, tome 1, page 65
[69] La crise Sociale de 1848, page 183.
[70] Les Murailles Révolutionnaires, tome 1 page 67, tome 2 page 387. Une autre proclamation porte : « le peuple victorieux ne doit pas amener son pavillon. »
[71] Victor Pierre, tome 1, page 63, Les Veillées du Peuple, idem page 111.
[72]
Les Clubs de Barbès et de Blanqui en 1848 page 8.
Par S. Watermann, page 47 – 50, A. Lucas, page 212 – 214, V. Bouton, page 55 54
– 57, etc.
[73] Lamartine, tome 1, page 420
[74] Garnier Pagès, tome 1, page 340 – 341 et Rapports de la Commission d'Enquête (déposition Goutchaux) page 280. Lamartine ne souffle mot de cette discussion.
[75] Garnier Pagès, tome 1 page 310 – 311 et Louis Blanc, tome 1, page 117 – 119.
[76] Louis Blanc, Garnier Pagès, tome 1, pages 341 – 342 et Quentin – Beauchard, La crise sociale de 1848, page 187.
[77] Les Murailles Révolutionnaires, page 85. Bulletin des lois de la République Française, numéro 1 page 14.
[78]
Les Murailles Révolutionnaires, page 60.
[79] Bibliothèque nationale manuscrits Blanqui, 2581 numéros 100, samedi 26 février 1848 (Au peuple, le Club du Collège de France) Texte inédit.
[80]
Journal des Débats, 10 juillet 1832.
[81] Numéro 1 du Libérateur, de février 1834.
[82] A. Zévoès, Une Insurrection manquée, page 29.
[83]
L'Autographe,
événements de 1870 – 1871, page 42 (fac-similé du manuscrit).
[84] L'intermédiaire des Chercheurs et Curieux, 30 décembre 1939, page 729.
[85] Du Drapeau Français par L. de Bouillié, page 249.
[86] Recueils des Actes administratifs, département de l'Oise, 1848
[87] Louis Ménard, page 44.
[88] Louis Blanc, tome 1, page 119.
[89] A. Vermorel, Les Hommes de 1848, page 89.
[90] Le Mois, numéro 6, page 162.
[91] Louis Blanc, tome 1, page 119.
[92] L'Illustration, 25 mars 1848, page 55 – 56, 29 avril 1848, page 143.
[93] Journal des Débats, 1er mars 1848, éditorial daté du 29 février.
[94]
Cette « grave diversion ». F. Girard ne manque pas de la
prendre en très sérieuses considérations, Les veillées du peuple, page
107.
[95]
Louis Blanc, tome 1, page 125
[96] Daniel Stern, tome 2, page 19.
[97] Lamartine, tome 1, page 433.
[98]
Lamartine, tome 1, page 444.
[99] Le Journal des Débats, 27 février, Le Moniteur, 28 février.
[100] La République, 10 mars.
[101] Journal des Débats, 19 mars.
[102] Rapport de la Commission d'enquête sur l'insurrection de la journée du 23 juin et sur les Evénements du 15 mars, tome 2, pages 99 – 103. Et pages 277 – 380.
[103] Les Murailles Révolutionnaires, tome un, page 115.
[104] Les Murailles Révolutionnaires, tome 1, page 165
[105] La Commune de Paris, 18 – 20 avril 1848.
[106] Les Droits de l'Homme et Gabriel Perreux, les Origines du Drapeau rouge en France, page 71
[107] Les Accusés du 15 mai 1848, par R.Dugai, page 37 – 48 heures (acte d'accusation de Bourges).
[108] Lamartine, Histoire de la Révolution de 1848, tome 2, page 427,428,430. Procès du 13 mai 48. Profil Révolutionnaire par V. Bouton. Page 138. Louis blanc, tome 2, page 97. Les Murailles Révolutionnaires, tome 2, page 553, etc.
[109] Les Affiches rouges par un Girondin, page 216.
[110]
Les Affiches rouges par un Girondin, page 221 – 223. C'est ce passage formant la première partie de sa
profession de foi de Victor Hugo qui fut lu par un adversaire du poète à
l'assemblée législative le 18 juillet 1851 pour mettre le poète en
contradiction avec lui-même. Hugo protesta avec violence contre cette
utilisation partielle de sa profession de foi. Voir Actes et Paroles, avant
l'Exil (Notes Assemblée Législative )
[111] Victor Hugo, Homme politique, page 120.
[112] Les massacres de Juin 1848, page 88.
[113] Idem, page 88.
[114] Daniel Stern, tome 3, page 114. Les Journées de Juin 1848, par Charles Schmidt, page 20.
[115] Monde, numéro 58, très juillet 1930 : Le Drapeau rouge, ses Origines, son Histoire.
[116] Daniel Stern, tome 3, page 211.
[117]
Les
Journées de Juin 1848, par
Charles Schmidt, page 40
[118] Monde, 1er août 1935, Un inédit d'Yvan Tourgueniev.
[119]
Charles
Schmidt, page 40.
[120] Charles Schmidt, page 85, c'est un soldat du premier bataillon de la garde mobile, Oudart, qui enleva ce drapeau d'après Victor Pierre, Histoire de la République de 1848, tome 1 page 393.
[121] Daniel Stern, tome 3, page 201. Schmidt, page 40 et 102, Rapport de la commission d'enquête, tome 1, page 222. Louis Ménard, Prologue d'une Révolution, édition de 1904, page 190.
[122] Les Massacres de Juin 1848, page 86.
[123] Daniel Stern, tome 3, page 166 et 211. Victor Marouk dans Juin 1848, page 45 a fait la même
[124]
Rapport de
la Commission d'enquête sur les Journées de juin, page 122 (déposition de Allard, ancien
député)
[125] L'Internationale, Documents et Souvenirs par James Guillaume, tome 4, page 17 – 18.
[126] Rapport de la Commission d'enquête sur l'Insurrection qui éclaté dans la journée du 23 juin et sur les Evénements du 15 mai, tome 3, page 99 et 100.
[127]
Idem, tome 3, page 99 et 100.
[128] Solutions du Problème social, page 25 – 29.
[129] La République rouge, Les Journaux rouges, par un girondin, page 60. Gabriel Perreux, page 77 – 78.
[130] La Guerre des Paysans en Allemagne, édition de la « bibliothèque marxiste » 8929, page 107.
[131] Nicolaëceski et Manchen-Helfen, Karl Marx, édition française, page 136.
[132] Histoire de la Révolution française de 1848, par Ch. Robin, 1849, tome 1 page 383.
[133] Henri Mougin, Pierre Leroux, page 113 et 130.
[134] Le Loing, 1er mars 1849 (communication de Gauthier, instituteur à Solterre)
[135] Le Mois (d'Alexandre Dumas) 1er avril 1849, numéro 16, page 33.
[136]
Seignobos,
La Révolution de 1848 dans l'Histoire latine, tome 6, page 132.
[137]
Le Mois, numéro 16, 1er avril 1849, page 98.
[138]
La
Révolution démocratique et sociale, 19 février 1849.
[139] La Révolution de 1848, revue tome 6, page 222, septembre – octobre 1909. (Article de E. Dagnan).
[140] Le Mois, page 159 – 160
[141] Le Montauban, 3 novembre 1938 (communication de Jean Bossu).
[142] La Révolution 48, revue tome 1, page 191 – 195 ( O. Tixier, Les Procès politiques dans le département d'Indre-et-Loire pendant la révolution de 48).
[143] Procès des Accusés du 13 juin 1849, page 85 – 81.
[144] Idem, page 43.
[145] Idem, page 150 et 373.
[146] Le Mois d'Alexandre Dumas, 2e année page 213.
[147] La Révolution 48, revue, tome 6, page 507.
[148] Général Hordoux, Garibaldi, page 32, Fernand Haynard, Garibaldi, page 57.
[149] Le Mois d'Alexandre Dumas, 2e année, page 245.
[150] Hordone, idem page 71 – 72. Hayward, idem, page 38. Paul Frischauer, Garibaldi, page 114.
[151] Le Petit Parisien, 29 – 30 mai 1940 (Une étoile nouvelle dans le ciel de l'Indea, par Bouln Kbeck).
[152] A.Rufhstein, Une Epoque du Mouvement ouvrier anglais, page 162 – 133, d'après le Northern star, 4 janvier 1850.
[153] 166, Édouard Dolléans, Le Chartisme, tome 2, page 463. Le drapeau du chartisme était rouge – vert – blanc d'après Benoît Malon, Histoire du Socialisme, page 148.
[154] Idem, tome 1, page 250, 252, 267, 317, tome 2, pages 408.
[155] Institut d'Histoire sociale, Paris, documents photographiques.
[156]
Almanach de la Révolution, 1903, page 9, sur l'ex
– Abbé Leray devenu positiviste, voir Lefrançais, Souvenirs d'un
Révolutionnaire, page 213.
[157] Histoire de la Révolution de février, Paris, 1850.
[158] Histoire de France Lavisse, tome 6, La Révolution de 1848, le Second Empire, par Charles Seignobos, chapitre 2, page 158 – 185.
[159] La Révolution de 1848, revue numéro 40, année 1911, page 311
[160] Histoire du second Empire, par Hippolyte Magen, page 108.
[161]
La Province
en décembre 1851, par
Eugène Ténot, page 9, 10,11, 13,171.
[162] La Fortune des Rougon, édition de 1925, page 34,40, 260.
[163]
Op. Cité,
page 136.
[164]
Seignobos,
page 238.
[165]
Georges Dureau, Le Siège de Paris, page
29.