Renélène en âme commune,

par Ghislaine Lejard.

Article paru dans la revue Spered Gouez n° 23 en 2017

(Renélène, signature commune élaborée par René sous un dessin autoportrait du poète lié à celui d’Hélène.)

 

 



Hélène Cadou née le 4 juin 1922 à Mesquer est décédée à Nantes le 21 juin 2014 soit 63 ans après le décès de René ; elle fut celle qui en porta le souvenir et ne cessa de dire cette communion qui fut la leur depuis leur rencontre à Clisson le 17 juin 1943. Une communion qui jamais ne s’achèvera, elle était son âme sœur : « Depuis le temps que je t’invente / fatalement tu me ressembles. » R G Cadou. 4 vers d’Hélène font écho à ces 2 vers :

« Peut-être arriverai-je
Sur le seuil du dernier soir
Avec mon âme comme une eau tranquille
Dans la tienne. » (1)

En ce mois de juin 2014, elle est enfin allée le rejoindre dans son éternité, en leur éternité sur les « routes du ciel ».

« Mais laissez laissez-moi aller
Il est là de l’autre côté
Peut-être qu’il aurait bien froid
Dans une éternité sans moi ! » (2)

Hélène avait rencontré l’écriture de René Guy Cadou à 15 ans, son père Julien Laurent lui avait donné à lire Brancardiers de l’aube que Georges Cadou le père de René lui avait offert. Hélène aime la poésie et étudiante en lettres à Nantes elle publie ses premiers poèmes sous le pseudonyme de Claire Jordanne ; elle participe en 1943 à un recueil collectif Sillages. Le groupe demande à un jeune poète René Guy Cadou de parrainer cette publication, ils se rencontreront le 17 juin 1943 à Clisson, ce sera pour Hélène et René le coup de foudre que le poète retrace dans son poème intitulé justement 17 juin 1943.(3)

Elle écoutera, conseillera et lira les poèmes de René Guy Cadou pendant toutes les années que le couple passera à Louisfert. Écrira-t-elle durant ces années ? nul ne le sait. Elle cesse de publier, il semble que la présence de René et l’écriture de René Guy (4) la comblent et nourrissent sa passion pour la poésie.

Après la mort du poète le 21 mars 1951, Hélène ne cessera de parler de René au présent, « Dans ce présent des peintres et des poètes qui arrête le temps et donne à chaque lumière à chaque sensation un goût d’éternité. »  (Philippe Delerm) (5)

Il faudra attendre 50 ans pour que Hélène livre ses souvenirs ; au crépuscule de sa vie, elle osera dévoiler de leur intimité à Louisfert et parler de la douloureuse expérience de la maladie qui emportera René ; elle publiera une magnifique autobiographie : C’était hier et c’est demain (6), elle y révèle une expérience amoureuse au-delà même de la présence, le texte est un hymne d’amour charnel et spirituel , intact malgré les années d’absence !: «  Les années passèrent, le temps s’épaissit, et pourtant aujourd’hui encore, il me suffit de fermer les yeux, dans le silence, pour deviner, sous ma  main, la chaleur de ton poignet, pour sentir en moi cette paix rassurée. » (7)

Hélène incarne l’aimante, l’amante dans l’esprit du Fin’amor, elle porte en elle et pour toujours l’amour qui l’a fait naître, l’amour présent et déjà absent… « Tu es en moi pour toujours » (8). Durant plus de 60 ans, elle vivra dans cette « grande joie silencieuse » dont parlait René Guy Cadou, car Hélène a cette capacité, malgré l’absence, de vivre à « cœur ouvert » et de regarder « les éclats de soleil / Et les bourgeons au fond des ombres. »

Après des années de silence poétique qui correspondent au temps partagé avec René et 5 ans après sa mort, Hélène entre définitivement en poésie ; elle publie en 1956, en ce douloureux mois anniversaire de mars, un recueil : Bonheur du jour aux éditions Seghers. Elle s’adresse à René, lui redit son amour et sa gratitude et livre aux lecteurs le sens même de son retour en écriture : redonner vie à René Guy en prolongeant sa parole et en le faisant communier à la sienne :

« Je sais que tu m’as inventée
Que je suis née de ton regard
Toi qui donnais la lumière aux arbres
Mais depuis que tu m’as quittée
Pour un sommeil qui te dévore
Je m’applique à te redonner
Dans le nid tremblant de mes mains
Une part de jour assez douce
Pour t’obliger à vivre encore… »

Dès années plus tard, pour le n° 25 de la revue À Contre Silence, Hélène confiera au poète Christian Bulting : « Non seulement survivre, mais aussi tenter de poursuivre le dialogue, d’apporter une réponse à celui qui m’avait tout donné. »

Hélène ne cessera de donner rendez-vous à René et pour elle, la nuit ne sera jamais totale, car toujours au creux de la nuit, une lampe veille ; elle ne connaîtra pas la désespérance, elle sait que après l’ombre et la souffrance le printemps revient :

« Il y avait tant de silence
Tant de présence dans cette chambre
Toutes les lampes
Sur nos lèvres le même sourire
Que lorsqu’ELLE est venue vers toi
Elle avait le visage du printemps. »(9)

La poésie d’Hélène prolonge le dialogue amical que René Guy avait avec la nature. Elle le rejoint en ce même amour pour le monde animal et végétal où elle ne cesse de se ressourcer. Elle est bien Hélène du règne végétal et le monde toujours entre dans la chambre, comme il le faisait en la maison d’école à Louisfert ; l’arbre, l’oiseau, la fontaine…viennent se réchauffer en la maison d’Hélène, en la chambre d’Hélène : « À l’heure où la fenêtre boit/ l’eau douce de la nuit… » (10)

Dès ce recueil, le bonheur du jour, il y a déjà cette atmosphère commune que souligne Jean Rouaud dans la préface de la réédition aux éditions Bruno Doucey (11) : « On est heureux de retrouver cet attirail commun au jeune couple fait de lampes basses et de rosées, de pivoine et de gel sur la vitre, de pommiers et de migrations d’oiseaux. »

Ce regard qu’elle ne cessera de porter sur le monde a été initié par René Guy, elle le prolonge, allant même jusqu’à se demander si sa poésie ne vit pas à travers elle une transmutation :
 « Est-ce la poésie d’un autre en moi transmuée ?»(12)
Entre Hélène et René le dialogue jamais ne s’interrompra :

« Vous parliez de silex
De cendre
De refus
Mais à la pointe de l’espoir
Il y a ce front tendu
Le dialogue qui se perpétue. » (13)

Si René Guy a donné naissance à Hélène, à son tour Hélène donnera naissance à René Guy, il devient l’enfant qu’elle n’a pas eu, elle le porte en elle, Hélène orpheline de sa maternité ; comme une mère, elle berce celui qui n’est plus en une berceuse aux accents universels :

« Dors mon enfant paré de lys et de silence
Dors sur le grand vaisseau qui traverse le temps
la nuit est douce

Je rentre sous la lampe avec ton souvenir
plus calme qu’un goéland
Dors mon petit enfant

Dors toi qui connus le malheur de vivre
Dors… » (14)

« [La] Chambre de la douleur »(15) que connut René Guy, il la lègue à Hélène…comme lui qui a écrit au-delà des absences, Hélène écrira au-delà de l’Absent. Ces deux vers, écrits par René Guy dès le 17 juin 1943, jour de leur rencontre, ont un accent prémonitoire : « Sans rien dire, je pris rendez-vous dans le ciel / Avec toi pour des promenades éternelles. »(16) L’autre déjà absent de son vivant !

Après la mort de René, la maison d’école de Louisfert, haut lieu de la poésie du XX ème siècle, Hélène en fera une maison de mémoire. Ce lieu plus que tout autre lui sera essentiel, elle en sera des années la gardienne, elle accueillera et ouvrira tous les étés durant ses années de retraite ce temple de la poésie qui fut aussi le temple de leur amour. Elle y retrouvait charnellement la présence de René qui n’a cessé d’y demeurer. Elle y écrivit sûrement …

Hélène jusqu’à la fin de sa vie continuera à vivre à la hauteur de leur relation, à la hauteur de la Poésie de l’homme aimé ; elle vivra une ascèse amoureuse à la poursuite du Graal perdu. L’Absent lui apprend que tout est don, que tout ce qui est donné est sauvé, que la mort ne peut rien contre l’Amour.

Cette ascèse est le terreau de sa poésie et elle est habitée de spiritualité, elle fait écho à la quête spirituelle de René Guy, une spiritualité qui rejoint la figure christique, source d’inspiration et d’espérance, un Christ pour Hélène « aux innombrables visages transitoires. » (17)

En la bibliothèque de René et Hélène, figuraient de nombreuses œuvres mystiques du XIIéme au XVII ème  parmi lesquels : Saint François d’Assise, Sainte Thérèse d’Avila, Saint Jean de la Croix…

La poésie d’Hélène est une poésie lumineuse, vivante et si parfois elle est teintée de mélancolie, elle n’est jamais triste, car toujours habitée ; c’est une poésie du dépouillement, une poésie de méditation et de contemplation. La sérénité l’habite à l’image du visage d’Hélène, lumineux et serein. Elle était habitée d’une joie et d’une paix intérieures.

C’était une femme solaire, pour ceux qui ont eu la grande joie de la rencontrer, elle était bien vectrice entre le visible et l’invisible.

Fragile, fidèle et d’une grande force spirituelle ; une grande dame tout autant qu’une grande poète ce que dit parfaitement le poète Gilles Baudry : « Pour avoir su élever au-dessus de l’absence un chant d’amour dans une tonalité qui aurait pu être crépusculaire et qui est nuptiale ; pour nous avoir appris que la perte irréparable pouvait être porteuse de vie, vous êtes une grande dame de la poésie. »

Elle a su écrire une poésie de douceur, de confiance et d’apaisement, qui a pu transfigurer à travers les mots la vie et la mort, elle a pu restituer la vie sans René, en un va et vient entre la terre et le ciel, entre hier et aujourd’hui. Cette poésie de dialogue avec l’aimé, avec les éléments, avec les êtres, avec Dieu et les lecteurs, c’est une poésie de l’éveil spirituel, elle est « une quête permanente de l’éternité. » Sylvie Karila (19)

Cette écriture, sculpte les mots et les poèmes, elle fait jaillir ce qui n’était pas visible comme le sculpteur donne à voir la forme qui se cache au cœur de la pierre.

Sa poésie dit le monde et en une peinture « spirituelle » fait naître un paysage de l’âme où se retrouvent Hélène et René en une âme commune ; en communion d’esprit et d’âme, ils feront œuvres différentes, la lumière de l’un éclaire l’œuvre de l’autre. La parole de l’un fait naître la parole de l’autre :

« De cette mort
Non mortelle
Tu renais en vivante vie
En ce jour d’hui

Ta parole me fait parler
En ce jour vivant
Quand toi tu es
Depuis si longtemps
Racine parmi les racines. »  (20)

Ils marchaient ensemble, humainement, affectivement, spirituellement et poétiquement ; qu’ils marchent maintenant : « Par des avenues éternelles/ Vers des banlieues perdues de l’Univers. » (21)
Elle et lui nous laissent en héritage, une poésie selon la belle formule de Gilles Baudry : « Pétrie d’une humanité rayonnante, d’une sensibilité chaleureuse. »

(Hélène Cadou a obtenu le prix Verlaine en 1990
Elle a été élue membre de l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire en 1993
Elle était Chevalier dans l’Ordre national du Mérite et Chevalier dans l’Ordre des  Arts et Lettres.)

 


 

Notes

(1) Cantate des nuits intérieures, éditions Seghers, 1958.
(2)Le bonheur du jour, éditions Seghers, 1956
(3)17 juin 43, PVE, Hélène ou le règne végétal, page 260.
(4)Hélène n’appelait jamais l’époux René Guy, mais René, lorsqu’elle parlait du poète, elle le nommait René Guy.
(5)Préface de C’était hier et c’est demain, éditionsdu Rocher
(6) Ibidem
(7) Ibidem, pages 50-51
(8)Ibidem, page 148
(9)Le bonheur du jour
(10)Ibidem.
(11)Bruno Doucey, 2012
(12)Cantate des nuits intérieures
(13)Ibidem.
(14)Ibidem.
(15)Allusion au poème que Cadou écrivit sur la mort de son père Georges, Chambre de la douleur, Hélène ou le règne végétal, PVE, page 254.
(16) 17 juin 43, PVE, Hélène ou le règne végétal, page 260.
(17)Ibidem.
(18)Référence ?
(19)Revue Signes n° 15-16 Hélène et René Guy Cadou (p.74).
(20)Hélène Cadou  Mise à jour, Librairie Bleue, 1989
(21)Cantate des nuits intérieures