Le Coeur définitif - Que la Lumière soit

Sommaire


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Titre

inconnue de la seine (L')
Guy Bigot
nuit lorsque les femmes très pieuses (La)
Dans le soleil
Sylvain Chiffoleau
Oiseaux
Confession générale
Cantique d'automne
Que la Lumière soit
Sur une toile de Guy
Blues du mangeur de citron (Le)
Amitié à Jean Jegoudez

 

 

 

 

 

 

L'inconnue de la Seine

 

O tardive et si tôt épuisée ! lointaine épouse !

En ce printemps d'avant la Manne en cette année

De pêchers roses de violettes

O neige à moi!

Comme un gobelet d'étain dans le feu

Doucement fond! Gonfle la rive où dort encor la liqueur précieuse du frai

 

Dans les draps de Satan la blanchisseuse rêve

L'ouvrier fatigué laisse pendre sa main

Comme un fruit de la vigne

Tout doré de sommeil

Là-haut contre la treille éplorée du matin

 

Je passe sous des ponts endormis

Sous des chaînes de bateaux longs et plats

Je découvre Paris

Notre-Dame à genoux sur un quai de la Seine

Entourée de pigeons et de gamins maudits

 

Mais je veux m'en aller plus loin ! porter ma lampe

Comme un cœur difficile et triste d'émigrant

Sous la mer bleue pareille à une grande chambre

Tendue de toile peinte aux couleurs de couchant

 

L'Ecosse a des châteaux peuplés d'ombres qui mènent

Le deuil de leur amour en des salles fermées

J'arriverai un soir comme une humble marchande

Vendeuse de fruits d'or et de gants parfumés

 

J'entrerai je dirai : c'est la morte de France

L'Inconnue de ces nuits sans bords où vous hantiez

A travers bois traînant des filets à palombes

Quand la plus belle au monde était déjà couchée

 

Je ne suis rien je vous apporte le silence

L'apaisement et le silence et non l'amour

Comme un baiser de graine tiède que l'averse

Fait germer en avril sur le pavé des cours

 

Mais les oiseaux ont bu la neige les oiseaux

Chantent dans le jardin fleuri du couvent

Je ne serai pas une nonne vêtue de blanc

Tant qu'il y aura de l'eau dans les fleuves

 

C'est à mon amour en Paris

C'est au lilas de mon enfance

A la mansarde illuminée

C'est à ce piano mécanique

Abandonné dans les orties

C'est à vous tous que je souris.

 


 

 

 

 

Guy Bigot

 

Derrière

Derrière le mur

Là-'bas

Derrière l'hôtel de la gare

Derrière la mer

Au loin

Derrière la porte

Dites ! derrière

Derrière cette vie

Derrière le gros verre à vitres des journée

Qu'y a-t-il pour me rassurer?

Un mur de briques ?

Une porte ?

Le soleil arrêté

 

Comme un camion sur la route?

 

Qui de vous m'achèvera, Messieurs ?

Ah ! Ah!

Qui m'achèvera ?

Comme une feuille morte

Sous le pas du facteur

 

Comme un blessé de la dernière heure

A midi juste

Entre les lignes.

 


 

 

 

 

La nuit lorsque les femmes très pieuses...

 

La nuit lorsque les femmes très pieuses dorment

Et qu'un cheval se met à rire doucement

Dans l'escalier tourmenté de la lune

Comme un automobiliste en panne

Je voudrais

Tout seul

Attendant l'aube

Pénétrer dans une église de campagne

 

Je ne suis pas à même de comprendre

Les personnages de ces murs

Leur inquiétude est pourtant mienne

Et ça se sent dans la peinture

 

Jésus comptait trente-trois ans

Quand tu revins d'Abyssinie

Trente-trois ans le Paradis !

Trente-sept la sépulture!

 

Dis! Jean Arthur es-tu mon Christ ?

Tes quatre membres sur la croix

Fusées de ce feu d'artifice !

 

L'église est fraîche

Douce et bleue

Tabac en feuilles

Quand il pleut

 

O poésie !

Rimbaud ! Rimbaud !

 


 

 

 

 

Dans le soleil

 

Je voudrais mourir dans le soleil

Un jour d'été

Sans savoir pourquoi

Mourir

Tombé comme ça Loin des fermes

 

Sur la route une automobile

A toute allure conduite

Par une jeune fille

Un cheval blanc devant l'église

Une porte qui s'ouvre au loin

 

Et déjà cinq cents mouches

Un rat

Dans l'eau de l'herbe

Autour du ventre

Comme un sac plein de chats

 

Mais pas d'histoires dans les journaux

Pas de visites domiciliaires

Cette fois

Ah ! cette fois

Le mort n'est pas un héros.

 


 

 

 

 

Sylvain Chiffoleau

 

Les souvenirs que j'ai sont vagues de grand large

Qui retombent parfois sur les pays déserts

Hôtel des Chiffoleau ! tes chambres à cordages

Ballottent mon esprit comme un enfant des mers !

 

Je me souviens de litres bus

Je me souviens de longues veilles

Minuit! Tous les mots défendus

Au matin la puce à l'oreille !

 

Et toujours cet ami discret

Entrant sans bruit dans ma mémoire

" Le soleil est chaud, fait exprès

Mais c'est ta fraîcheur qu'il faut boire ! "

 

Nous avons marché sur des plages

A la recherche d'un pied nu

Les vivants de notre entourage

Ont trouvé l'idée saugrenue

 

Mais le soir dans ton triste hôtel

La Boule d'Or si bien nommée

D'embruns et de ciel embrumée

Roulait au fond de nos prunelles

 

Chiffoleau fils de Sylvain père

Le passé tient dans notre verre !

 


 

 

 

 

 

 

Oiseaux! balles perdues...

 

Oiseaux ! balles perdues

Dans le grand ciel d'octobre

Qu'un désir de clarté

A longtemps soutenus

 

Où allez-vous tomber

Sur quel pays profane

Bouclé de vents violents

Et de hautes ciguës ?

 

Je vous ai vus partir

Au début de septembre

Mélangés aux derniers

Fétus de la moisson

 

L'aile à peine mouillée

Par une nuit d'attente

Tandis que le soleil

Neigeait sur ma maison

 

Gardez-vous dans l'espoir

Insensé de croisières

Et d'espaces nouveaux

Sans cesse à mesurer

 

Le souvenir du toit

Profond comme l'ornière

Où le char des saisons

A longtemps hésité ?

 

Mais qu'importe à l'oiseau

Qui porte dans le rêve

L'abandon de son aile

Et les grands alizés

 

Le regret du poète

Et son amour pareil

Au doux vrombissement

D'un insecte doré

 

Voyageurs de ma vie

Qui parcourez sans peine

Cet océan de brume

Entre le monde et moi

 

Je reste à vous attendre

Au bord de ma fenêtre

Soleils tant attendus

Par les jours de grands froids !

 


 

 

 

 

Confession générale

 

Seigneur ! me voici peut-être à la veille de te rencontrer !

Il fera nuit ! Je serai là debout à la barrière du pré

Tu sais ! Comme dans ce tableau de Gauguin où apparaît le peintre

En gros sabots avec sa pèlerine de croquant que les pluies d'automne ont déteinte

Je t'attendrai Toi ou ton Ange ou quelqu'un de ton Cérémonial

Entre les quatre planches du ciel pareilles à un confessionnal

O Toi qui viens sur le chemin pour me parler et me confondre

Voici que le boîtier de ma vie s'ouvre sur les rouages de la honte

Et que tout mon passé dégringole soudain pauvre mur de bibliothèque

Livrant ses pages non coupées et nombre de dessins obscènes

Plus besoin de dissimuler ô mon Dieu ! plus besoin

De se donner des gants trop grands et le tintouin

De ressembler à travers soi à quelqu'un d'autre

Puisque ta main de sang me soupèse les côtes.

 


 

 

 

 

Cantique d'automne

 

C'est de ce lieu et de cette date comme Goethe écrivit jadis de Valmy

Qu'est né ce pays d'automne qui est aussi le domaine de l'esprit

Pas seulement celui qui fait courir Paris des Cabarets jusqu'au libraire

Mais cet Esprit semblable au Feu parcourant toutes les veines du tonnerre

Qui met l'angoisse dans les os à l'encoignure la plus propice

Pour éclater comme un tocsin parmi les fusées d'artifice

L'esprit couleur de corde et de journaux brûlés

Voici qu'il pleut sur les dahlias et que la grande allée

Du ciel est pleine de gens en grisaille et de fiacres

Et que les arbres à longs bras largement puisent dans le sang pour le surlendemain du Sacre

O routes empennées ! chevaux lents à venir

Que se passe-t-il dans l'officine de l'avenir ?

Que trame-t-on contre celui qui dans le belvédère de sa chambre

N'a pas le temps de faire mijoter sa cassolette d'encre ?

J'écris ce soir tout ce qui passe par la tête de Dieu

Et tant pis si je m'emploie de travers à résumer le Mélodieux

 

Peut-être au fond du temps qu'une bête demeure

Toute seule sous les remparts de la nuit

Laissez-moi écouter mon cœur

Comme une démarche amie!

Je songe à ces parents féroces qui poursuivent

Nuit après jour la liberté de leur enfant

Et qui le parquent dans des barricades de cuivre

Croyant le préserver d'un ange itinérant

Mais l'enfant possédé du désir de connaître

La longue pluie pareille au vol des oiseaux froids

Fait un faux pas soudain au bord de la fenêtre

Rejoignant les pays qui ne reviendront pas.

 


 

 

 

 

Que la lumière soit

 

O nuit ! salle d'attente où brûle un feu de lèpre

Vieille gare des pluies seule et désaffectée

Quel voyageur maudit saccage tes fenêtres

Qui baignent des prairies de panonceaux crevés ?

 

Serait-ce moi ? Serais-je un larron de moi-même

Bagnard d'un monde absous qui cherche à retrouver

Sous la pâle fumée des solitudes d'Ouest

La flamme et le parfum de sa demeure hantée ?

 

Nuit pareille à mon chant la vérité dispose

Du temps qui met un sexe à l'âme de l'enfant

Ce n'est pas pour les chiens que je métamorphose

En rose rouge l'étamine du couchant!

 

J'ai trop vécu sous le boisseau et dans l'attente

D'une nuit d'Idumée que de patients oiseaux

Feraient neiger sur les décombres de ma chambre

Comme un miroir promis à des soleils nouveaux.

 

Mais voici qu'aujourd'hui un homme entre les hommes

A choisi par-delà ses astres préférés

La planète déchue tombée comme une pomme

Sur la dernière marche de l'éternité.

 


 

 

 

 

Sur une toile de Guy

 

La maison où je voudrais vivre

Serait dans une toile de Guy Bigot

Avec des morceaux de lune sous les solives

Et une odeur épaisse de chevaux.

 

Mais comment nous tenir à deux dans cette chambre

Où l'on a mis toutes les pommes pour l'hiver

Entre les roues d'ustensiles monotones

Abandonnés depuis la Grande Guerre?

 

Qu'importe le sommeil si celle qui m'emporte

Dans l'osier de ses bras comme un enfant noyé

S'habitue lentement au mouvement des portes

Dans la maison de Guy aux murailles chaulées !

 

Le peintre qui l'a faite et ce pourquoi j'admire

N'avait pour se mirer que l'ongle d'un enfant

Gens du pays ! veuillez briser la tirelire

Où son génie puisa les ressources du temps.

 

Maison de mon ami maison que tu me donnes

Et que l'ombre promène en des lieux sidéraux

Tu ne seras hantée par Dieu ni par personne

Sauf par Hélène et moi et par mes animaux.

 


 

 

 

 

 

 

Le blues du mangeur de citron

 

Le blues que je chante n'est pas fait pour les gens de la ville

Le blues que je chante n'est pas fait pour les gens de la ville

Les gens de la ville ne comprennent que les choses écrites

Le blues que je chante je le chante pour les mangeurs de citron

Le blues que j'ai fait pour les mangeurs de citron

C'est en pleurant que je le chante

 

Car manger du citron est bien amer

Quand on ne partage pas avec l'épouse

Car manger du citron est bien amer

Quand on a traversé la mer

 

Le blues que je chante n'est pas fait pour les gens de la ville

Mais pour les grands singes de la forêt

Et s'il couvre tous les bruits de fouets et de machines

C'est que je le chante tout bas à mes fils

 

Le blues que j'ai fait pour les mangeurs de citron

J'en réserve un pépin amer

Le blues que j'ai fait pour les mangeurs de citron

Je ne suis pas seul à le chanter.

 


 

 

 

 

Amitié à Jean Jégoudez

 

Si vous m'aimez oh ! que ce soit difficilement

Comme on aborde un pays disgracié !

Je ne révèle ma tendresse

Que par les épines des haies

 

Amitié à Jean Jégoudez !

Il n'a pas craint de venir chez moi

A travers champs à travers bois

Par un matin jonché de neige !

 

Les dessins de mon ami sont comme les clés de Barbe-Bleue

Que l'automne a tachées

Et qu'un vieux garde-chasse entre deux verres d'une eau-de-vie très forte

Rapporte à la mairie du village

 

Le personnage central évolue

Dans un mystérieux conte de fées

Qui pourrait être tout aussi bien

Le plus poignant chapitre du Grand Meaulnes

 

Bonheur et honneur à ce peintre

Qu'un amour nouveau illumine

Son oeuvre est comme un beau pelage de bête

Abîmé par les chevrotines !