Paul Dirméikis interprétant Cadou.

Héléne ou le Règne végétal - L'Héritage fabuleux

Sommaire


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Titre

Ce que disait l'épicière de Saint Benoit sur Loire
Louis Parrot
Paille et velours
Quelque part
Me voici
Pensez il en restera toujours quelque chose
Pour plus tard
Sans savoir que la nuit
Entre Louisfert et Saint Aubin
Je pense a toi Gilles
Déménager
héritage fabuleux (L')
Moineaux de l'an 1920
D'ou venons nous? Qui sommes nous? Où allons-nous?
géorgique d'été (La)
Hommage à Pablo Picasso
Mémoires
Après Dieu le déluge
Source de vie

 

 

 

 

 

 

Ce que disait l'épicière de Saint Benoît sur Loire

 

Aveugle je suis pour vous voir

Disait la vieille en son fauteuil

L'épicière de Saint-Benoît-sur-Loire

Mais de Monsieur Jacob je me souviens bien

Allez du côté de la basilique

Et par la voie étroite

Avancez jusqu'au choeur

Vous le trouverez à genoux

A genoux est-il possible

Quand on est faible comme fil ?

Lorgnons d'or fin et gros sabots

Monsieur Jacob sait ce qu'il faut

On voit beaucoup gens de Paris

Hocher la hure quand il prie

Mais je sais bien moi qui vous parle

Que Monsieur Jacob ça lui tarde

De frotter l'huis du Paradis

Croyez-vous c'est un érudit !

Disent personnes bonnes à battre

Plus raisonneuses que savates

Monsieur Jacob moi je le sais

Et vous le dis sauf le respect

C'est Belzébuth dans un corset

Mais tel qu'enfin le clan adverse

Des Anges pareils à l'averse

Le considèrent le grandissent

En un sublime sacrifice.

 


 

 

 

 

 

Paille et velours

 

O profondeur ! Paille et velours dans la chapelle

Lumière éteinte et pas éteints et pour toujours

Quel est donc cet oiseau de marais qui rappelle

Comme un ange navré en cette fin de jour?

Odeur et profondeur ! Les niches ont des Saintes

Toutes petites avec des couleurs déteintes

Et je pense au service à fleurs de Soeur Lucie

Maintenant qu'elle est veuve et qu'elle a bien vieilli

Et qu'elle prie le soir ainsi que font les mortes

Près des portraits du Christ et d'Alain Barbe-Torte

Sur les lys épuisés Dieu semble rajeuni

Un Dieu d'avant le jeune et le Père en le Fils

Rayonnant de crins blonds mal peigné de la barbe

Et douloureux parfois comme on voit les guimbardes

Où restent accrochés des branchages d'azur

Dans l'angle du village appuyées contre un mur

O profondeur ! Soleil unique et chanterelle !

Voici vingt ans ! à pied vingt ans ! mais qui rappelle

D'un bout à l'autre de ma vie? Ah quel oiseau

Se distingue et me fait cette farce cruelle

De m'appeler à moi du fond de ses roseaux ?

Afin que je te loue mon Dieu que je rassemble

Pour une envie de fuir immédiate mes membres

Et que je te salue comme un bonheur nouveau.

 


 

 

 

 

 

Louis Parrot

 

Dans les rues de Poitiers

La nuit on entend rire et l'on entend crier

Frappe à la porte il frappe

 

Perdue la clé il frappe

Personne il frappe

Personne

 

La lampe et les dahlias

Le phonographe

Toujours le phonographe

Il pleut

Il est chez lui

 

Est-ce toi Ursule

La laide la seule

Ursule

 

Il pleut

Et au-dessus des toits la misère circule

 

Mais dans la grande nuit de Poitiers

La lampe et les dahlias

Le phonographe

Toujours le phonographe.

 


 

 

 

 

 

Me voici

 

Me voici dans la vingt­neuvième année de mon âge

Avec beaucoup de litres vides derrière moi

Compte jamais réglé sur l'éternelle ardoise

Qui masque de son mieux la misère du toit

De feuillage investi comme un enfant posthume

Ah !c'est bien moi ! Je n'ai pas changé de costume

Et le rideau d'indienne qui m'épouvantait

 

Flotte à nouveau sur le vieux monde d'aujourd'hui

Et me voici dans la vingt­neuvième année de mon âge

Où ce n'est plus tout à fait comme autrefois

Quand on vivait avec de bons sauvages

Aux fautes de français douces comme un patois

Mais le temps de s'aimer féroce et plus vivace

Lié dans son espoir aux graines de plein vent

Qui reniflent le sol épais où se ramassent

Les sèves et le sel d'un prodigieux printemps.

 


 

 

 

 

 

Quelque part

 

Oh ! quelque part dans une villa vide du bord des mers

Dis mon amour ! avec des fleurs dégénérées et des asters

Dans la maison d'un garde-chasse ou bien peut-être

Dans la petite chambre en bois blanc d'un vieux prêtre

Quelque part tout au fond d'un hôtel de province

Qui sent la suie mouillée le cuivre et les harnais

Ou plus loin si tu veux dans un pays malade

Et fréquenté des seules bêtes de forêt

O mon amour en cet octobre je t'emporte

A travers cette pluie de sang des feuilles mortes

Comme un enfant qui cherche à préserver le nid

Surveillé deux saisons La terre se chamarre

De garance et de pourpre et l'on entend les gares

Rappeler longuement les trains bleus qui ont fui

Que ce soit en un lieu très humble avec des lampes

Aux vieilles mèches difficiles à remonter

Des meubles bas de la poussière sur la rampe

Et des plumes en moins aux coqs du vaisselier

Car nous avons un goût tenace pour ces choses

Qui naissent de nous-mêmes singulièrement

Et les pâles soleils qui tombent du couchant

Ajoutent dans le temps à leur métempsycose.

 


 

 

 

 

 

Pensez, il en restera toujours quelque chose

 

Mon Dieu je pense à vous comme à un homme

Assis sur la dernière plate-forme de la Tour Eiffel

Et qui roule tranquillement une cigarette

Au-dessus de tous ces gens qui se noient

Voici longtemps que nous n'avons passé

Ensemble des vacances

La dernière fois souvenez-vous en

C'était très peu de temps avant la guerre

Quelque part dans un petit port de mer

Et vous partiez de bon matin

Serrant sur votre épaule un lourd paquet d'enlarmes

Plus tard oh ! bien plus tard nous dûmes nous retrouver

En novembre sur une route qui montait

Les bois étaient rouillés et il pleuvait

Des malfaiteurs revenaient de l'exercice

O mon Dieu ne trouvez-vous pas que c'est dommage

Lorsqu'on est comme moi amoureux de voyages

De vous attendre à la maison comme on attend

Le vieux facteur rural après mil neuf cents ans

Votre château du ciel ! mais c'est mon Athénée !

Athénée tu es le cinéma de mon enfance

La palissade du piano et le silence

Le grand chambardement dans la pièce à côté

Celle qui donne juste sur l'éternité.

 


 

 

 

 

 

Pour plus tard

 

Je pense à toi qui me liras dans une petite chambre de province

Avec des stores tenus par des épingles à linge

Bien entendu ce sera dans les derniers jours de septembre

Tu te seras levé très tôt pour reconduire

Une vieille personne qui t'est chère avec son vieux sac de cuir

Tu auras bu dans tous les bistrots autour de la gare

Tu auras peur soudain et tu rentreras dare-dare

« Mon Dieu pardonnez-moi d'être sans volonté

Je suis malade de luzerne et je fréquente les cafés

J'ai bu bien davantage que de coutume des absinthes

Mais Bernadette et Sueur Chantal sont mes Saintes »

Tu t'assiéras dans le jour maigre tu liras

Mes vers « O mon Dieu se peut-il que ce poète

Me mette des douleurs de ventre dans la tête

Que je m'enfante et que je vive en moi comme un posthume enfant

Qui souffre de rigueur et renifle en plein vent »

Et le Seigneur dira : Bénis soient de la gare

Les bistrots pour t'avoir redonné la mémoire.

 


 

 

 

 

 

Entre Louisfert et Saint-Aubin

 

Entre Louisfert et Saint-Aubin-des-Châteaux

Il y a un ruisseau qu'on nomme le Néant

On le traverse à pied sec

Les yeux secs également

Et l'on marche pressé dans cette nuit soudaine

Qui bave sur les bords

Qui fait mal aux pommiers

Vers un village épais comme un fond de citerne

Juste sous la gouttière de l'éternité

Ah ! que le vin est bon quand l'amitié propose

Qu'il est doux d'écouter et de humer le vent

Quand l'ami parle de canards qui se posent

Là-bas très loin à la surface des étangs

Et comme malgré soi on pense au Téméraire

Qu'on trouva un matin dévoré par les loups

Sur un étang gelé tandis que la lumière

D'un plafond gris et blanc tombe sur nos genoux.

 


 

 

 

 

 

Sans savoir que la nuit

 

Quand les soirs sont plus courts et que le ciel est comme

La calville qui est une espèce de pomme

Quand on est seul avec sa femme et qu'on entend

Dans la nuit les charrois bénévoles du temps

Attentif au fruit roux qui tombe, au moindre cri

Tiens Hélène ! voici la carriole d'Esprit

Dans la montée de Pont-aux-Moines qui ramène

Les bêtes et les puits qui ont brisé leur chaîne

Les chiens qui veilleront au pied de notre lit

Tout peut s'éteindre maintenant tu peux parler

O mon amour tu peux me dire que je suis

Coupable, me briser, tu peux me laisser là

O parfaite tu peux oser la lampe est basse

Les volets sont fermés chez les voisins d'en face

Et la carriole du boulanger est passée

Et c'est comme une nuit d'avant notre rencontre

Quand tu marchais vers moi sans savoir que la nuit

Se féconde et devine en elle son aurore

Noyée d'arbres d'oiseaux et de jardins fleuris.

 


 

 

 

 

 

Déménager

 

Triste vie

Auras-tu fermé la porte

A temps?

 

Souvent quand les déménageurs passaient

Dans leur voiture empanachée

S'arrêtant au 18 ou su 5 de la rue

Tu te taisais

Tu prenais l'air à la fenêtre

 

Aujourd'hui c'est ton tour, va !

Tu peux partir

Et loger sous les ponts douteux de l'avenir

 

Ne trouera plus la nuit

Ta lampe

Et le dernier feuillet

Dans la boue ramassé

Ira pourrir au loin

Sous les feuilles

 

Mais un feu toujours neuf

Brûle en la cheminée.

 


 

 

 

 

 

Je pense à toi Gilles...

 

Je pense à toi Gilles né en dix neuf cent soixante-quinze

Dans une famille très vieille France de province

Tu as vingt ans et le siècle est bien près de finir

Comme une vache maigre qui ne donne que son cuir

Mais déjà tu connais les trois-quarts de l'Europe

Et les quelques parties du monde limitrophes

Tu reviens sans plaisir dans la maison de tes parents

A l'occasion d'un service mortuaire ou d'un accident

Tu t'assieds près de ton père et tu trouves insipide

Sa lecture de Malaparte de Steinbeck ou de Gide

Quant aux poètes qui sont là sur les rayons

Privés de miel depuis O combien de saisons

Tu t'attaches sans plus à la face stellaire –

Pour l'anecdote - de Guillaume Apollinaire

Et tu ne comprends pas que le Pauvre Jacob

Ait pu grimper au ciel sans échelle de corde

Toi aussi tu écris des vers et les traduis

En quatre langues à mesure que tu produis

Tu as eu ton portrait dans le New-York Herald

Et tu brises dans le jardin des vieux des digitales

Pour bien montrer ta triste force et accuser

Ton refus d'être un homme et celui d'exister.

 


 

 

 

 

 

L'héritage fabuleux

 

Mon Fils ! Laisse-moi t'appeler ainsi

Encor que tu ne sois pas né

Soumis aux lois tardives des gelées

Au vent noir à la pluie grandiose de l'orage

Voici que je te parle ce soir comme à un homme

Quand la journée a été chaude et qu'on a bu

O mon absent définitif ! La vie est comme

Un peu de buée sur la cuirasse d'une bue

Je mêle ton enfance improbable à la mienne

Dans la chambre du fond à tentures d'indienne

Près des archives du passé qui sentent l'encre

Le carton imprimé la poussière de craie

Je t'emmène avec moi comme faisait mon père

Très loin derrière le mur bas du cimetière

Pour que je puisse parler fort sans qu'on entende

De l'autre côté de nous ma voix qui tremble

Peut être attendais-tu de moi d'autres paroles

Une attitude un peu moins veule

Et voulais-tu comme linceul

M'enrouler dans des paraboles ?

Mais tu vis à ton tour dans une école de campagne Parmi des livres démodés et des châtaignes

Et tu sanglotes près du feu quand je reviens

Très tard d'un monde obscur qui est déjà le tien

Il se peut que tu meures avec moi

Que nous n'ayons pour témoigner

Qu'une même tombe avec un rosier

N'oublie pas cependant que je te lègue

Quelque chose de fabuleux comme un village nègre

 

Dans la forêt voilà cent ans

Si l'imagination te fait défaut 0 mon fils pense

A un wagon abandonné

A une malle des Indes

A quelques fruits de coloquinte

Dans une coupe

Au fond d'une chambre.

 


 

 

 

 

 

Moineaux de l'an 1920

 

 

Moineaux de l'an 1920

La route en hiver était belle !

Et vivre je le désirais

Comme un enfant qui veut danser

Sur l'étang au miroir trop mince

 

O toi qui m'as connu mon père

Tu témoigneras pour moi s'il le faut

Dans le prétoire à peu près vide des années

Je ne suis point venu sur cette place ensoleillée où c'est la fête

Avec des intentions de sergent de ville ou de marchand de bêtes

Et s'il me plaît à moi de laisser rire

Et de pleurer tout seul dans l'allée

Qu'est-ce que ça peut faire aux juges ?

Dites ! Qu'est-ce que ça peut faire un enfant sous la roue

Quand il y a de jolies femmes sur les bancs

Et que l'air est particulièrement doux ?

 

Condamnez celui qui veille sur les lys et les absinthes

Les secondes lui battent dans le coeur comme des graines dé coloquinte

 

Je suis là pour tout accepter et je ne plaide pas innocent

je crois en Dieu parce qu'il n'y a pas moyen de faire autrement

Parce que c'est tout à fait extraordinaire

D'être né un jour de Carnaval au fond de la Brière

Où rien n'est travesti

Où tout se règle à l'amiable entre deux coups de fusil

 

J'ai revu cette nuit les compagnons de mon enfance

Qui pourraient vivre chantournés avec des barbes comme des crédences

Ce sont les prêtres de ma religion

Mais leurs fils ne sont pas dans le secret de notre Opération

Tu t'es fait des copains partout dans ta mémoire

Tu peux partir à jeun

Tu sais bien qu'au matin

Sous des pommiers

Dans la rue triste d'une ville

Quelqu'un sera debout qui te tendra les mains

 

Je voudrais vous rejoindre ainsi qu'un parent oublié et sans fixer de date

Mais votre continent est inconnu et les eaux sont trop profondes sur les cartes

Je songe à vous auprès d'Hélène en le fouillis de ma maison

Mais on ne refait pas l'histoire de Jeanne et il n'y a pas de raison

Pour que ce soit toujours le même qui entende

Le cri des hommes qui ont mal et le gémissement des plantes

 

Mille tendresses à vous tous

Que je ne connaîtrai jamais

Et je peux bien mourir en douce

Nul de vous n'en aura regret

 

Je suis debout dans mon jardin à des kilomètres de la Capitale

Je retrouve contre la joue du soir l'inclinaison natale

Les oiseaux parlent dans la haie

Un train sans voyageurs passe dans la forêt

Et ma femme a cueilli les premières ficaires

Quelques-uns de ceux que j'aime sont assis dans des cafés littéraires

Je ne les envie pas ni les méprise pour autant

Mon chien s'ennuie

Et c'est peut-être le printemps

 

Et tout à l'heure je vais jaillir du sol comme une tulipe

Vous achevez vos palabres aux Deux-Magots ou bien au Lipp

Je monte dans ma chambre et prépare les feux

J'appareille tout seul vers la Face rayonnante de Dieu

 

Ah ! Croyez-moi je ne suis pour rien dans ce qui m'arrive

J'ai vingt-neuf ans et c'est un tournant suffisamment décisif

Je connais vos journaux et vos grands éditeurs

Ça ne vaut pas une nichée de larmes dans le coeur

 

Abattez-moi comme un ormeau domanial au bord de la grande forêt rouge

Vous ne pourrez jamais rien contre ce chant qui est en moi et qui s'échappe par ma bouche

Que m'importe l'interdit des lâches et que mon Lied ne soit jamais enregistré

Il est porté par le bouvreuil et l'alouette jusqu'à la haute cime des blés

 

Buvez quand même 0 fils ingrats! buvez

Mes larmes et dans l'instant désaltérés

Crachez sur moi

Crachez bien droit

Comme des hommes

Cadou s'en moque.

 


 

 

 

 

 

D'où venons-nous? Qui sommes-nous? Où allons-nous?

 

1-

 

Dans la calèche emballée du sommeil

Dis ! vieil homme ! en cette nuit de printemps

Sur le route aux bourgeons nouveaux

Où me mènes-tu ? Où conduis-tu cet enfant

Qui dort sous l’épaisse couverture de voyage

Avec son pauvre rêve à ses pieds

Et l’allure accélérée du paysage ?

Ah ! Cocher ! Cocher ! Tu ris doucement dans ton manteau

Tu as vu la pluie d’avril dans les lilas

Et les pommiers s’allumer un à un

Sur l’océan plus calme des campagnes !

Belle nuit décidément pour qui veut vivre et qui le sait

Belle nuit pour un cocher

Mais pour cet enfant endormi ?

Qu’importe d’où je viens ? Qu’importe mon visage ?

Et que j’aie dû souffrir mille vies avant moi

Qu’importe ce printemps ! O cocher que t’importe

La grêle d’un poing noir dans l’orage des portes

Qu’importe si je paie mon passage et le tien

Ah ! Jette-moi contre la borne !

 

2-

 

Que suis-je dans ma vie ? Ah ! j’aurais dû noter

Quelque part sur un coin de ciel toutes mes courses

Ou comme un chapardeur de lune m’en tenir

Tout près du bord à des incursions en douce

Cet enfant que j’étais qui donc me le rendra ?

Que je le serre comme une brassée d’herbes dans mes bras !

Je vin qui bout ce soir dans les cuves du monde

A cette odeur de sang qui trouble les cerveaux

Mais ceux qui ont brisé les poignets de l’enfance

Voudraient-ils nous meurtrir et nous tuer à nouveau ?

Ah ! J’ai confiance ! J’ai confiance en cette vie !

Ce ne peut être en vain que les charniers fleurissent

Et que sur le miroir impalpable des nuits

Se profile la flamme éternelle des lys !

Laissez-moi seul dans le matin !

Laissez-moi parcourir

Le petit lotissement à vendre de l’avenir !

Mon Dieu ! C’est moi Cadou ! Je voudrais posséder

Ce carré de lupin et le monde à côté

Mais voyez-vous depuis trente ans

Je n’ai pas réuni la somme

Fait-on confiance à ses enfants

Quand c’est le Seigneur qu’on se nomme ?

 

3-

 

Je renonce au bonheur de vivre mais non pas

A celui d’être un homme effronté

Parodie l’harmonieux instant où tu es ivre

Et profère en rêvant des paroles sacrées !

Où allons-nous ? Vers quel butoir incertain de l’espace

Quelle petite vie au détour du matin

Qui renifle hébétée dans le café des tasses

L’indigent et cruel mélange du destin ?

Mais s’enivrer est vain et les pluies qui reviennent

Ont cette odeur de temps qui ranime les cors

Ceux-là qui font sonner les heures diluviennes

A l’horloge inexacte et stérile des corps

D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?

Avec des bleus aux yeux et des plaies aux genoux ?

Quand on a comparu sur les bancs de l’enfance

Et acquis sans effort l’acquiescement de Dieu

Ah ! Peut-on réfuter l’Admirable Conscience

Comme une manifestation du merveilleux ?

Mais qu’importe la fièvre et le Mot du verdict

Si la Terre aussi bien que le Ciel est unique !

 


 

 

 

 

 

La géorgique d'été

 

Comme un torchon qui brûle admirez la campagne

Tout en haut du grand mât paisible de l'été !

Les jupons du soleil moussent divin champagne

Dans les salons du vent pleins d'oiseaux irrités !

 

Toujours les lys ! Toujours cette blancheur diffuse !

Vierge végétale il est temps de gréer

Et de grandir en Dieu la ferme bienheureuse

Qui traîne son boulet de lumière à son pied !

 

Mes amis morts et toi maman mon père Georges

Vous êtes là comme une poussière de foin dans ma gorge

Vous me parlez vous m'empêchez de respirer

C'est peut-être pourquoi j'ai envie de chanter

 

Ah ! Chanter l'arbre et la noire hirondelle qui plane

Au-dessus de l'ennui comme un aéroplane !

Chanter le myosotis et la fleur de souci

Plus chaude que ma chienne avec ses six petits !

 

Les ormeaux du passé ont des feuilles plus vertes

Que la philosophie en pages des romans

Et les routes sans lieues pour une âme déserte

Ont des relais d'auberge autrement consolants !

 

Le teint de brique du village

S'adoucit d'un lys épanoui

Le ciel entrouvre son corsage

Sur mille petits seins blottis

 

Que l'Amoureuse - Dieu la garde !

Se donne en herbe dans les champs !

En levrette ou à la hussarde

L'été féconde le printemps !

 

Fille ingénue s'éveille épouse

Confuse encor de sa beauté

Sur le seuil les vieilles qui cousent

Se souviennent d'avoir fauté

 

« Tel été que me prit l'Eugène

Je m'en allais sur dix-sept ans

Faut pas compter sur les parents

Quand on a levé dans la gêne ! »

 

Beaux yeux battus de l'églantine

Et les mamelles du sureau !

Mon Dieu ! mon Dieu ! Qu'est ce qu'il me faut

Pour que ma chair tienne tranquille?

 

J'ai signé des poèmes tristes

Magnifiant la nuit des banlieues

O Poésie dit-on pas mieux

Le moineau sur un toit d'église

 

Quand il a plu dans les jardins

Que la rosée pure sandale

Soulève à peine les pétales

De l'aurore sur les chemins?

 

Le ciel de la mi-juin pour qui chante les Nombres

Et les secrets rapports entre le monde et Soi

S'éclaire en fin de jour d'un vol bas de colombe

Qui souligne sans bruit la misère du toit

 

Entrouvre la fenêtre et souviens-toi de vivre

Quand circulent dans l'air mille insectes nouveaux

Voyelles toujours bleues de l'Admirable Livre

Dont le miel de l'année parfume les cerveaux

 

O Poète il est temps d'adorer sans mélange

Les manifestations sanglantes du couchant

Le démon de l'amour n'est peut-être qu'un ange

Que l'été a chargé d'un pouvoir dévorant.

 


 

 

 

 

 

Hommage à Pablo Picasso

 

Où le pinceau de Picasso a passé la peinture ne repoussera plus

Je veux dire la peinture dérisoire qui est la honte de tous les gens du cru

Le Malaguène est tombé comme un vautour sur les terrains d'équarrissage de la France

C'est d'une orange et de bleu-roi que ce monstre d'amour fait sa pitance

Ce fils de Toulouse-Lautrec passablement bàtardé de la Goulue

Dans ses primes années ne fut pas autre que le Gréco le voulut

Et quant à la leçon posthume du sieur Ingres

Max Jacob dit : Pablo n'est point artiste-pingre

Donneur de sang ! Donneur à voir ! Par lui-même exalté

Le peintre se veut libre dans l'éternité

Brisant la règle d'or et retrouvant la ligne

Faussée pendant mille ans par la grâce du cygne

Toujours à l'opposé de qui le voit grandir

La main sur le plumage maigre d'un oiseau-lyre

Il étrangle dans l'oeuf le poussin de la gloire

Et peint des arlequins-martyrs de mémoire

Pablo Picasso règne ! A soixante et huit ans

Le vieil Indien fait voir au monde idiot ses dents

S'il est des lions couchés dans les cages du Louvre

Il est des portes de prison qu'il faut qu'on ouvre

Et c'est l'honneur de Picasso d'avoir ouvert

A coups de poings sanglants de cubes et d'éclairs

Le Paradis d'un temps fasciné par l'Enfer.

 


 

 

 

 

 

Mémoires

 

Le gaillard qui m'emmenait avec lui couper l'herbe à perdrix bâcler les foins du côté du Calvaire

Le vieux peintre Baudry qui barbouilla Marat dans sa baignoire avec un assortiment de couleurs sévères

L'un des deux est mort sûrement et quant à l'autre il a laissé le soin à son fils

D'étendre les feuilles d'iris sur la route et de préparer la roue du feu d'artifice

Victor le garde-chasse aurait quatre-vingts ans

Mais toute l'eau qu'il a bu lui a fait mal avec l'anis qu'il ajoutait dedans

Il est couché dans le soleil et pour ce qui est de son chapeau melon il n'ira plus à personne

Quand un verre roule sous la table c'est comme le repos de son âme qui sonne

Qui dira maintenant le poète que je suis devenu

Que la ronce et l'ortie me brûlent la gorge comme un souvenir ému ?

Ai je cherché la gloire et la voie du scandale

Pour vous rejoindre O morts de mon pays natal ?

Ah Soeur Chantal vous qui êtes près de Dieu et qui bien me connûtes

Dites-lui que mon enfance est tendue sur moi comme les cordes d'un luth

Dites-lui que je n'ai aucune raison de me plaindre et encor moins de L'oublier

Que le bruit de ses mains sur la Croix est dans mon âme comme les feuilles de laurier

Tendres parents qui m'avez mis au monde avec ce coeur amoureux et si faible

C'est à vous qu'à travers l'espace je dédie chacun de mes poèmes

Vous ne m'avez point appris ni les façons de l'écrivain ni l'art de faire des vers

Mais je suis sûr de ne pas me tromper quand je vous chante dans les manifestations de l'Univers

Et ce cri qui monte ce soir vers vous comme un oiseau en flèche dans le silence

Dites ! Oh ne dites pas surtout qu'il n'est point la preuve attendue de votre présence.

 


 

 

 

 

 

Après Dieu le déluge

 

Pater noster qui es in coelis

Au milieu des lys et des myosotis

 

Sanctificetur nomen tuum

Par les sacripants et par les brave-hommes

 

Que ton règne arrive et que ta volonté soit faite

Sicut in caelo et in terra

J'ai réuni les lampions de la fête

Bien malin qui les éteindra !

 

Panem nostrum quotidianum da nobis hodie

Ne nous condamne pas à manger les lacets de nos souliers

 

Nous n'avons pas quitté les rives de l'enfance

Oh ! pardonne-nous nos offenses

Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont enfoncé

Dans la poitrine ce goût de vivre comme un clou rouillé

 

Et nos inducas in tentationem

Les présents de Dieu faut bien qu'on les aime !

 

Sed libera nos a malo

Et de nos esprits animaux

 

Ainsi soit-il ! Ainsi soit-il !

Crois-tu donc que ce soit facile ?

 


 

 

 

 

 

Source de vie

 

Ah !quelque part ! là-bas ! être à genoux tout seul dans la crypte

Linge blanc ! lys ! odeurs ! fraîcheur !

Ou bien peut-être près d'un ruisseau à écrevisses

Tout au fond d'un pays meilleur!

Toujours le désir d'embarquer des jarres de vin fort et frais pour les îles

A cause de ce coeur qui bouscule les minutes au lieu de se tenir tranquille

Quels boeufs ! quelles blouses bleues entre le monde et moi !

Ah ! quels marchands ! quels gens à sous!

Mais la voiture d'une petite idée verte dans l'allée

Avec une gentilhommière au bout !

Et qu'est-ce après tout qu'un poète acagnardé dans la campagne

Sinon l'édifice de liège au sommet d'une bouteille de champagne ?

Que l'oeuf rouge du ciel sur le jet d'eau du temps

Explose ! La coquille est précieux récipient

J'y bois l'ombre des bois et la rosée pareille

A la goutte de sang sur un lobe d'oreille

 

O fruits comme des seins à peine formés

Quelle douceur dans mes deux mains !

Puissé-je un jour te retrouver

Profondeur des viviers d'enfance !

 

Les carpes du soleil agitent

Les fonds terreux de l'avenir

Pour une grenouille qui chante

Combien d'oiseaux qui vont mourir!

 

Voici qu'on repart à nouveau

Vers une destinée plus vaine

Toutes les gares du réseau

Ont déjà fermé leurs persiennes

 

Mais quelque part là-bas dans la mémoire d'un jeune homme

Dont la tête penchée est comme un géranium

Quelle fraîcheur dites ! Quelle tombe à surseoir !