Jaquette de la première édition Seghers d'Hélène ou le Règne végétal.
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Préface A ma femme.
Je n’ai pas écrit ce livre. Il m’a été dicté au long des mois par une voix souveraine et je n’ai fait qu’enregistrer, comme un muet, l’écho durable qui frappait à coups redoublés l’obscur tympan du monde. La parole m’a été accordée par surcroît, afin de retransmettre quelques-unes de ces étonnantes vibrations, quelques-unes de ces mystérieuses palabres qu’il nous est donné d’intercepter, parfois, dans les couloirs de la détresse. Le poète vit dans une prison de rues, de gens, d’immeubles, de klaxons, de bris de vaisselles, de ventres ouverts, de larmes, de pluies, de rires, de trains saouls. Il nous délivre. Je vous délivre un permis sur le réseau dangereux de la beauté. Je n’ai que les droits du plus faible. Je suis passé avant vous au guichet. Les trains qui partent nous emmènent à travers des illusions féroces au-devant d’un massif stellaire qui pèse peu dans la balance de l’éternité. Mais à quoi bon s’aventurer dans ces coulisses dérisoires, sur ce théâtre bohémien dont tous les drames nous sont depuis longtemps connus ? Je ne cèle point que ces poèmes m’arrivent de bien plus loin que moi-même et que, vous autres, je vous entretiens d’un monde fugace, inaccessible comme un feu d’herbes et tout environné de maléfices. Je vous fais voir un pays sans horizon possible mais maintes fois reconnaissable au chef orné de garance et de pourpre. Je vous fais part d’une nouvelle qui vous intéresse directement, d’une grande nouvelle. O , Poésie, écarte-toi de ton miroir ! Je parle d’un monde pour des jeunes gens et pour des hommes de tous âges. Je parle de ce qui m’arrive. Je parle d’un monde absous par sa colère. Et peut être, entendrez-vous cette voix volontairement monocorde, désarçonnée, à bas du cheval dans l’allée, derrière cette grille à triple verrous, derrière cette grille, derrière cette âme, cette voix, O jeunes gens et vous hommes de tous âges, peut-être entendrez-vous cette voix qui frappe, qui veut entrer, qui frappe, O jeunes gens, qui frappe comme vous à la porte de son destin et qui chante sous les balles. R.G.C. |
La fleur rouge
A la place du ciel
Je mettrai son visage
Les oiseaux ne seront
Même pas étonnés
Et le jour se levant
Très haut dans ses prunelles
On dira "le printemps
Est plus tôt cette année"
Beaux yeux belle saison
Viviers de lampes claires
Jardins qui reculez
Sans cesse l'horizon
On fait déjà les foins
Le long de ses paupières
Les animaux peureux
Viennent à la maison
Je n'ai jamais reçu
Tant d'amis à ma table
Il en vient chaque jour
De nouvelles étables
L'un apporte sa faim
Un autre la douleur
Nous partageons le peu
Qui reste tous en coeur
Qu'un enfant attardé
Passe la porte ouverte
Et devinant la joie
Demande à me parler
Pour le mener vers moi
Deux mains se sont offertes
Si bien qu'il a déjà
Plus qu'il ne désirait
La chambre est encombrée
De rivières sauvages
Dans le foyer s'envole
Une épaisse forêt
Et la route qui tient
En laisse les villages
Traîne sa meute d'or
Jusque sous les volets
Tous les fruits merveilleux
Tintent sur mon épaule
Son sang est sur ma bouche
Une flûte enchantée
Je lui donne le nom
De ma première enfance
De la première fleur
Et du premier été.
Chambre de la douleur
La porte est bien fermée
Une goutte de sang reste encore sur la clé
Tu n’es plus là mon père
Tu n’es pas revenu de ce côté-ci de la terre
Depuis quatre ans
Et dans la chambre je t’attends
Pour remmailler les filets bleus de la lumière
La première année j’eus bien froid
Bien du mal à porter la croix
Et j’usai mes belles mains blanches
A raboter mes propres planches
Déjà prêt à partir sans toi
Puis ce fut le printemps la pâques
Je te trouvai au fond de chaque
Sillon dans chaque grain de blé
Et dans la fleur ouverte aux flaques
Impitoyables de l’été
Jamais plus les oiseaux n’entreront dans la chambre
Ni le feu
Ni l’épaule admirable du soir
Et l’amour sera fait d’autres mains
D’autres lampes O mon père
Afin que nous puissions nous voir.
Rue du sang
Je pense à toi rue de province où je passai
Au petit trot de l'averse avec ma fiancée
C'était un soir de lampes basses en novembre
Avec des cris d'enfants déments au fond des chambres
Des chiens maigres hantaient le ciel et les couloirs
Et l'on croisait des hommes morts des hommes noirs
Tu n'avais encor droit qu'à la troisième page
Des journaux Pas de crimes Rien que des tapages
Nocturnes et des viols vraiment c'était banal
Seulement dans tes murs sanglotait un cheval
Aujourd'hui tu es la plus belle sous les branches
On te lave à grande eau comme une robe blanche
On te marque à jamais au chiffre du soleil
On te parcourt de phonographes et d'abeilles
Un doux clochard abrite en ses mains un oiseau
Ivre à midi il se signe dans le ruisseau
Il éclabousse tous les yeux de ses prunelles
Quand il veut repartir c'est le Christ qui chancelle.
La maison d'Hélène
Il a suffi du liseron du lierre
Pour que soit la maison d'Hélène sur la terre
Les blés montent plus haut dans la glaise du toit
Un arbre vient brouter les vitres et l'on voit
Des agneaux étendus calmement sur les marches
Comme s'ils attendaient l'ouverture de l'arche
Une lampe éparpille au loin son mimosa
Très tard les grands chemins passent sous la fenêtre
Il y a tant d'amis qu'on ne sait plus où mettre
Le pain frais le soleil et les bouquets de fleurs
Le sang comme un pic-vert frappe longtemps les coeurs
Ramiers faites parler la maison buissonnière
Enneigez ses rameaux froments de la lumière
Que l'amour soit donné aux bêtes qui ont froid
A ceux qui n'ont connu que la douceur des pierres
Sous la porte d'entrée s'engouffre le bon vent
On entend gazouiller les fleurs du paravent
Le coeur de la forêt qui roule sous la table
Et l'horloge qui bat comme une main d'enfant
Je vivrai là parmi les roses du village
Avec les chiens bergers pareils à mon visage
Avec tous les sarments rejetés sur mon front
Et la belle écolière au pied du paysage.
Amis sauvages
Je parle d'animaux qui n'ont pas de parents
De sourds bondissements inconnus des poitrines
Beaux hommes sangliers
Que j'apaise d'un doigt
La bauge de mes yeux
Est pleine de pervenches
Soulevez les forêts
Et portez-les en moi
Je viens à vous cerviers
Amis des plaines blanches
Longs renards comme un jour
D'automne un peu couvert
Biches dont les flambeaux
Ensoleillent l'hiver
Je viens à vous passants
Du monde invulnérable
Perdrix au songe bleu
Qui laissez en rêvant
Tomber des champs de blé
Au-dessus de ma table
Je viens à toi surtout
Gardienne des chansons
Trésor de la vallée
Fille des sauges douces
Qui trouves pour m'aimer
La chaleur des moissons.
Le dernier verre
Du temps que tu étais à Saint-Hilaire-du-Touvet
Du temps que tu apprenais l'alphabet
De la douleur
Que chaque jour un ami se levait
Pour amarrer ton coeur
Je me souviens
O profiteur de tous les biens de la terre
Aux environs de la Noël
On s'écrivait
Et souvent tu traçais de grands itinéraires
Dans le ciel
Pour le plaisir de nous avoir avec toi
Dans le même wagon-couloir
Je me souviens
Ton oeil agite encor la mer comme un mouchoir
De la vie tu parlais sans cesse
Et tu n'avais pas de tristesse
Quand tu montrais tes mains percées
Par les clous d'or de la beauté
Si nous avons échangé de dures paroles
Et confronté parfois rudement nos épaules
Si j'ai brisé la lampe entre ton coeur et moi
Je te demande pardon Maurice Langlois.
Pour un cheval
Cheval pour avoir dit l’amour tu as une âme
Lève haut tes belles jambes comme les femmes
Tu passes à travers le ciel et l’abat-jour
Tu fais le mort avec les chiens et l’on accourt
Aux fenêtres pour admirer ta gymnastique
De rêve cheval de fiacre cheval de cirque
L’enfant ne sait toi tu dénichas le soleil
Tu promènes ta queue comme un essaim d’abeilles
Tu broutes les vitraux le gaz et l’edelweiss
Tranquillement puis tu remues les fesses
Et ris c’est merveilleux le rire d’un cheval
Ton Alexandre était un fat O Bucéphale
Pour te dompter il n’est que la riche héritière
Marie Reine du ciel fille de la lumière
Parfois l’aube te prend dans la nasse des blés
Tu es tout seul tu as envie de t’en aller
Vers des pays de trèfle rouge et de luzerne
Mais le soir tu t’endors entre tes deux lanternes
Le long d’un quai sans fin et sous l’épais brouillard
Tu songes à des boutons d’or dans la nuit noire
Envole-toi Le sang s’épuise à travers l’aile
Abandonne ton ombre à la terre et que celle
Du passereau qui va dans le soleil levant
Rafraîchisse ton front comme un poisson d’argent.
Hélène ou le Règne végétal
Tu es dans un jardin et tu es sur mes lèvres
Je ne sais quel oiseau t'imitera jamais
Ce soir je te confie mes mains pour que tu dises
A Dieu de s'en servir pour des besognes bleues
Car tu es écoutée de l'ange tes paroles
Ruissellent dans le vent comme un bouquet de blé
Et les enfants du ciel revenus de l'école
T'appréhendent avec des mines extasiées
Penche-toi à l'oreille un peu basse du trèfle
Avertis les chevaux que la terre est sauvée
Dis-leur que tout est bon des ciguës et des ronces
Qu'il a suffi de ton amour pour tout changer
Je te vois mon Hélène au milieu des campagnes
Innocentant les crimes roses des vergers
Ouvrant les hauts battants du monde afin que l'homme
Atteigne les comptoirs lumineux du soleil
Quand tu es loin de moi tu es toujours présente
Tu demeures dans l'air comme une odeur de pain
Je t'attendrai cent ans mais déjà tu es mienne
Par toutes ces prairies que tu portes en toi.
L'aventure marine
Sur la plage où naissent les mondes
Et l'hirondelle au vol marin
Il revenait chaque matin
Les yeux brûlés de sciure blonde
Son coeur épanoui dans ses mains
Il parlait seul son beau visage
Ruisselait d'algues l'horizon
Le roulait dans ses frondaisons
D'étoiles et d’oeillets sauvages
Amour trop fort pour sa raison
« Soleil disait-il que l'écume
Soit mon abeille au pesant d'or
Je prends la mer et je m'endors
Dans la corbeille de ses plumes
Loin des amis restés au port
Ah que m'importent ces auberges
Et leurs gouttières de sang noir
Les rendez-vous du désespoir
Dans les hôtels meublés des berges
Où les filles font peine à voir
J'ai préféré aux équipages
Le blanc cheval de la marée
Et les cadavres constellés
Qui s'acheminent vers le large
A tous ces sourires navrés
La mort s'en va le long des routes
Parfume l'herbe sur les champs
Il fait meilleur dans le couchant
Parmi les anges qui écoutent
Les coraux se joindre en tremblant »
Il disait encor maintes choses
Où de grands cris d'oiseaux passaient
Et des feux rouges s'allumaient
Sur sa gorge comme les roses
Dans les premiers matins de mai
On vit s'ouvrir les portes claires
Les sémaphores s'envoler
Et des ruisseaux de lait couler
Vers les étables de la terre
D'où l'homme s'en était allé
Ebloui par tant de lumière
Il allait regardant parfois
La fumée courte sur le toit
L'épaule ronde des chaumières
Sans regretter son autrefois
Car il portait sur sa poitrine
Les tatouages de son destin
Qui disent « soleil et bon grain »
A tous les hommes qui devinent
L'éternité dans l'air marin.
17 juin 43
Tu étais la présence enfantine des rêves
Tes blanches mains venaient s'épanouir sur mon front
Parfois dans la mansarde où je vivais alors
Une aile brusquement refermait la lumière
J'appelais je disais que vienne enfin la grande
La belle la toujours désirable et comblée
Et j'allais regarder souvent à la fenêtre
Comme si le bonheur devait entrer par là
Ce fut par un matin semblable à tous les autres
Le soleil agitait ses brins de mimosa
Des peuplades d'argent descendaient la rivière
Les enfants avaient mis des bouquets sur le toit
Aussitôt que je vis tes yeux je te voulus
Soumise à mes deux mains tremblantes à mes lèvres
Capable de reprendre à la nuit son butin
De fleurs noires et de vénéneuses caresses
Tout le jour je vis bleu je ne pensai qu’à toi
Tu ruisselais déjà le long de ma poitrine
Sans rien dire je pris rendez-vous dans le ciel
Avec toi pour des promenades éternelles
L'étrange douceur
Comme un oiseau dans la tête
Le sang s'est mis à chanter
Des fleurs naissent c'est peut être
Que mon corps est enchanté
Que je suis lumière et feuille
Le dormeur des porches bleus
L'églantine que l'on cueille
Les soirs de juin quand il pleut
Dans la chambre un ruisseau coule
Horloge aux cailloux d'argent
On entend le blé qui roule
Vers les meules du couchant
L'air est plein de paille fraîche
De houblon et de sommeil
Dans le ciel un enfant pêche
Les ablettes du soleil
C'est le toit qui se soulève
Semant d'astres la maison
Je me penche sur tes lèvres
Premier fruit de la saison.
Toi
Tu es une grande plaine parcourue de chevaux
Un port de mer tout entouré de myosotis
Et la rivière où le nageur descend
A la poursuite de son image
Tu es l'algue marine et la plante sauvage
Comme l'arnica
Tu es pleine de poissons dans ta chevelure
Tu es une belle figure
Plus belle que toi-même
Tu es celle que j'aime
Davantage que le pain
Et davantage aussi que mes mains étendues
Sur chaque versant des collines
Tu es la petite voisine
Du trèfle et la compagne du lézard
Tu t'ensoleilles sur les pierres
Et tu es toujours sur ma joue
Si je pense à ta voix je pense au monastère
A neuf heures du soir quand les voix se répondent
Si je pense à ta bouche il me vient à la bouche
Ce goût de lait de fruits de feuilles traversées
Par les tendres ruisseaux de sève végétale
Et si je pense à toi c'est qu'il faut bien choisir
Entre avenir et souvenir.
Les chevaux et les chiens
Les chevaux et les chiens
Parlent mieux que les hommes
Et savent de très loin
Reconnaître le ciel
Ils n'ont pour eux que l'herbe
Et la grave tendresse
Des bêtes qui remuent
Tristement le passé
Mais dans leurs yeux inquiets
Des choses et des hommes
Passe parfois l'éclair
D'une saison future.
Devant cet arbre immense...
Devant cet arbre immense et calme
Tellement sûr de son amour
Devant cet homme qui regarde
Ses mains voltiger tout autour
De sa maison et de sa femme
Devant la mer et ses calèches
Devant le ciel épaule nue
Devant le mur devant l’affiche
Devant cette tombe encore fraîche
Devant tous ceux qui se réveillent
Devant tous ceux qui vont mourir
Devant la porte grande ouverte
A la lumière et à la peur
Devant Dieu et devant les hommes
A chaque vie d’être vécue.
Comme au temps des fées
Cette fleur dans la main devient source et cheval
Levez les yeux
Le ciel est un piège infernal
Et pris le coeur
Et pris l'oiseau
Mais pas la branche
Chèvre devient la souris blanche
Lampe tu es danseuse nue
Violon brisé je t'ai connu
Pain de l'aveugle aux quatre rues
Fiacre de nuit tu fus mon âme
Et ma jeunesse mal famée
Fleur la blessure mal fermée
Mais toi quel était ton visage
Pour que les filles de ton âge
Prennent plaisir à t'appeler
De tous les noms d'enfant sauvage
Fut églantier celle que j'aime
Pensionnaire des passereaux
Son coeur battait sous son sarrau.
Qui marche sur la mer
Qui marche sur la mer
Et n’est point bâtiment
Qui vole dans les airs
Et pourtant n’a pas d’ailes
Qui peut changer le monde
Et n’en profite pas
Qui est toujours plus grand
A chaque fois qu’il tombe
Qui fait une fontaine
Enchantée de sa tombe
Qui n’a pas un enfant
Mais des milliers d’enfants
Qui me hante qui est
Ma face de lumière.
Depuis le temps que je t'invente
Depuis le temps que je t’invente
Fatalement tu me ressembles
Et chaque jour me prends un peu
De ma lumière et de ma nuit.
La haie longue
Toi dont la jambe traîne un peu comme une brume
D'été et comme si la douleur te tirait
Lentement vers la terre 0 compagnon que j'ai
Choisi pour les yeux, enfin voici que s'allume
Toute ma vie et que je vois l'éternité
Pareille à ce pays mouvant où tu t'enfonces
Avec ta jambe un peu trop lasse dans l'été
Sous les sourcils trop bleus de la nuit qui se froncent
Ils marchent près de nous les amis de haut bord,
Grands couturiers de la saison, veneurs des villes
Eteintes, des couchants désolés, vers le port
Au pavillon de clair soleil inaccessible
Entre nous deux celle que j'aime et que tu prends
Pour un pommier sauvage, et toujours aussi belle
La poésie comme une graine dans le vent
Qui s'ouvre et se referme aux battements des ailes
Des maisons sont couchées sur des enfances basses
Pleines de géraniums et de bouquets chanteurs
Au creux de la vallée ce sont des trains qui passent
Et le convoi des solitudes sans chaleur
Mais près d'ici la bonne auberge, la tonnelle
Où volètent les mains fluviales les prénoms
Aimés ; et sur la table ronde qui chancelle
Un verre vide avec des larmes dans le fond.
La série noire
Je me souviens de la maison
Qui descendait le long du fleuve
Et s'arrêtait le soir devant
Le quai Hoche au numéro 5
Un homme chantait sur le pont
Une femme lavait des langes
Et leur enfant penchait sur l'eau
Un visage qui n'oublie pas
Mais dans la chambre où je vivais
L'homme pleurait devant la femme
Qui n'était plus qui ne serait
Qu'un souvenir pour son enfant.
*
O mon père j’avais choisi
Ce toit pareil à ton épaule
Et lentement tu devenais
Comme lui un profond sommeil
Tu remontais jusqu’à tes mains
Comme aux fontaines du silence
Et ton regard tombait parfois
Sur un passant de l’autre rive
Ainsi peut-être pensais-tu
En être quitte avec cet homme
Qui chaque jour aux mêmes heures
S’épouvantait de vivre encore.
*
Est-ce le Christ ou un ami
Qui frappe si tôt à la porte ?
Ils sont quatre pour l’emmener
Et le conducteur du taxi
- Laissez-moi prendre mon manteau
Le vent est fort dans la campagne
- Monsieur ne vous tourmentez pas
Nous-mêmes aurons soin de vous
Que le Seigneur ici m’entende
Dit Max Jacob en se signant
Qu’il me permette de mourir
Sur la paille qu’ils ont volé !
Paysage de mon amour
Paysage de mon amour
Tout entier dans ce village
Dont je défais journellement
Les liens de chanvre et de fumée
Tuiles baignées de tourterelles
Qui chantez sous la main du soir
Ecailles des saisons nouvelles
Plaques tournantes de l'espoir
Prairies des peintres du dimanche
Passerelles des bois dormants
O bêtes qui remuez les hanches
Dans un long rêve de froment
Et toi rivière sous les saules
Blanche fenêtre caressée
Par une truite et mon épaule
Et tous les jours qui sont passés
Je crois en vous en toutes choses
Qui par souci de vérité
Parlent pour moi trouvent réponse
Dans la raison de mon silence.
Le droit à la parole
Douces bêtes de colère
Douces bêtes délaissées
Une main vous désaltère
De toutes soifs à venir
Une feuille en tombant vous donne
Un aperçu de la beauté
Et se glissant sous votre épaule
Vous n'êtes plus tout à fait seules
Mais nul ne croit que vous gardez
Par déférence pour les hommes
Un silence qui convient mieux
A la tristesse de nos coeurs
Vous avez des conciliabules
Avec le foin qui ne ment pas
Vous épousez les paraboles
Du chardon du trèfle incarnat
Sais-je les contes que vous faites
A l'églantier des chemins bleus
Quel amour vous portez en tête
Qui fait que vous baissez les yeux
Mais quand surgi d'un rêve d'aube
Votre visage m'apparaît
Plus lumineux que le mien n'est
Je suis sensible à vos reproches.