Jaquette de la première édition Seghers d'Hélène ou le Règne végétal.

Héléne ou le Règne végétal

Sommaire


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Titre

Préface
fleur rouge (La)
Chambre de la douleur
Rue du sang
Amis sauvages
maison d'Hélène (La)
dernier verre (Le)
Pour un cheval
Hélène ou le règne végétal
aventure marine (L')
17 juin 43
étrange douceur (L')
Toi
chevaux et les chiens (Les)
Comme au temps des fées
Devant cet arbre immense
haie longue: 1 km (La)
Qui marche sur la mer
Depuis le temps
série noire (La)
Paysage de mon amour
droit à la parole (Le)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Préface

A ma femme.

 

Je n’ai pas écrit ce livre. Il m’a été dicté au long des mois par une voix souveraine et je n’ai fait qu’enregistrer, comme un muet, l’écho durable qui frappait à coups redoublés l’obscur tympan du monde. La parole m’a été accordée par surcroît, afin de retransmettre quelques-unes de ces étonnantes vibrations, quelques-unes de ces mystérieuses palabres qu’il nous est donné d’intercepter, parfois, dans les couloirs de la détresse.

Le poète vit dans une prison de rues, de gens, d’immeubles, de klaxons, de bris de vaisselles, de ventres ouverts, de larmes, de pluies, de rires, de trains saouls. Il nous délivre.

Je vous délivre un permis sur le réseau dangereux de la beauté. Je n’ai que les droits du plus faible. Je suis passé avant vous au guichet.

Les trains qui partent nous emmènent à travers des illusions féroces au-devant d’un massif stellaire qui pèse peu dans la balance de l’éternité.

Mais à quoi bon s’aventurer dans ces coulisses dérisoires, sur ce théâtre bohémien dont tous les drames nous sont depuis longtemps connus ?

Je ne cèle point que ces poèmes m’arrivent de bien plus loin que moi-même et que, vous autres, je vous entretiens d’un monde fugace, inaccessible comme un feu d’herbes et tout environné de maléfices.

Je vous fais voir un pays sans horizon possible mais maintes fois reconnaissable au chef orné de garance et de pourpre.

Je vous fais part d’une nouvelle qui vous intéresse directement, d’une grande nouvelle. O , Poésie, écarte-toi de ton miroir ! Je parle d’un monde pour des jeunes gens et pour des hommes de tous âges. Je parle de ce qui m’arrive. Je parle d’un monde absous par sa colère. Et peut être, entendrez-vous cette voix volontairement monocorde, désarçonnée, à bas du cheval dans l’allée, derrière cette grille à triple verrous, derrière cette grille, derrière cette âme, cette voix, O jeunes gens et vous hommes de tous âges, peut-être entendrez-vous cette voix qui frappe, qui veut entrer, qui frappe, O jeunes gens, qui frappe comme vous à la porte de son destin et qui chante sous les balles.

R.G.C.

 

 


 

 

 

 

La fleur rouge

 

 

A la place du ciel

Je mettrai son visage

Les oiseaux ne seront

Même pas étonnés

 

Et le jour se levant

Très haut dans ses prunelles

On dira "le printemps

Est plus tôt cette année"

 

Beaux yeux belle saison

Viviers de lampes claires

Jardins qui reculez

Sans cesse l'horizon

 

On fait déjà les foins

Le long de ses paupières

Les animaux peureux

Viennent à la maison

 

Je n'ai jamais reçu

Tant d'amis à ma table

Il en vient chaque jour

De nouvelles étables

 

L'un apporte sa faim

Un autre la douleur

Nous partageons le peu

Qui reste tous en coeur

 

Qu'un enfant attardé

Passe la porte ouverte

Et devinant la joie

Demande à me parler

 

Pour le mener vers moi

Deux mains se sont offertes

Si bien qu'il a déjà

Plus qu'il ne désirait

 

La chambre est encombrée

De rivières sauvages

Dans le foyer s'envole

Une épaisse forêt

 

Et la route qui tient

En laisse les villages

Traîne sa meute d'or

Jusque sous les volets

 

Tous les fruits merveilleux

Tintent sur mon épaule

Son sang est sur ma bouche

Une flûte enchantée

 

Je lui donne le nom

De ma première enfance

De la première fleur

Et du premier été.

 


 

 

 

 

Chambre de la douleur

 

La porte est bien fermée

Une goutte de sang reste encore sur la clé

 

Tu n’es plus là mon père

Tu n’es pas revenu de ce côté-ci de la terre

Depuis quatre ans

 

Et dans la chambre je t’attends

Pour remmailler les filets bleus de la lumière

 

La première année j’eus bien froid

Bien du mal à porter la croix

Et j’usai mes belles mains blanches

A raboter mes propres planches

Déjà prêt à partir sans toi

 

Puis ce fut le printemps la pâques

Je te trouvai au fond de chaque

Sillon dans chaque grain de blé

Et dans la fleur ouverte aux flaques

Impitoyables de l’été

 

Jamais plus les oiseaux n’entreront dans la chambre

Ni le feu

Ni l’épaule admirable du soir

 

Et l’amour sera fait d’autres mains

D’autres lampes O mon père

Afin que nous puissions nous voir.

 

 


 

 

 

 

Rue du sang

 

Je pense à toi rue de province où je passai

Au petit trot de l'averse avec ma fiancée

 

C'était un soir de lampes basses en novembre

Avec des cris d'enfants déments au fond des chambres

 

Des chiens maigres hantaient le ciel et les couloirs

Et l'on croisait des hommes morts des hommes noirs

 

Tu n'avais encor droit qu'à la troisième page

Des journaux Pas de crimes Rien que des tapages

 

Nocturnes et des viols vraiment c'était banal

Seulement dans tes murs sanglotait un cheval

 

Aujourd'hui tu es la plus belle sous les branches

On te lave à grande eau comme une robe blanche

 

On te marque à jamais au chiffre du soleil

On te parcourt de phonographes et d'abeilles

 

Un doux clochard abrite en ses mains un oiseau

Ivre à midi il se signe dans le ruisseau

 

Il éclabousse tous les yeux de ses prunelles

Quand il veut repartir c'est le Christ qui chancelle.

 


 

 

 

 

 

La maison d'Hélène

 

Il a suffi du liseron du lierre

Pour que soit la maison d'Hélène sur la terre

 

Les blés montent plus haut dans la glaise du toit

Un arbre vient brouter les vitres et l'on voit

Des agneaux étendus calmement sur les marches

Comme s'ils attendaient l'ouverture de l'arche

Une lampe éparpille au loin son mimosa

 

Très tard les grands chemins passent sous la fenêtre

Il y a tant d'amis qu'on ne sait plus où mettre

Le pain frais le soleil et les bouquets de fleurs

Le sang comme un pic-vert frappe longtemps les coeurs

Ramiers faites parler la maison buissonnière

Enneigez ses rameaux froments de la lumière

Que l'amour soit donné aux bêtes qui ont froid

A ceux qui n'ont connu que la douceur des pierres

 

Sous la porte d'entrée s'engouffre le bon vent

On entend gazouiller les fleurs du paravent

Le coeur de la forêt qui roule sous la table

Et l'horloge qui bat comme une main d'enfant

 

Je vivrai là parmi les roses du village

Avec les chiens bergers pareils à mon visage

Avec tous les sarments rejetés sur mon front

Et la belle écolière au pied du paysage.

 


 

 

 

 

Amis sauvages

 

Je parle d'animaux qui n'ont pas de parents

De sourds bondissements inconnus des poitrines

 

Beaux hommes sangliers

Que j'apaise d'un doigt

La bauge de mes yeux

 

Est pleine de pervenches

Soulevez les forêts

Et portez-les en moi

 

Je viens à vous cerviers

Amis des plaines blanches

Longs renards comme un jour

D'automne un peu couvert

Biches dont les flambeaux

Ensoleillent l'hiver

 

Je viens à vous passants

Du monde invulnérable

Perdrix au songe bleu

Qui laissez en rêvant

Tomber des champs de blé

Au-dessus de ma table

 

Je viens à toi surtout

Gardienne des chansons

Trésor de la vallée

Fille des sauges douces

Qui trouves pour m'aimer

La chaleur des moissons.

 


 

 

 

 

Le dernier verre

 

Du temps que tu étais à Saint-Hilaire-du-Touvet

Du temps que tu apprenais l'alphabet

De la douleur

Que chaque jour un ami se levait

Pour amarrer ton coeur

Je me souviens

O profiteur de tous les biens de la terre

Aux environs de la Noël

On s'écrivait

Et souvent tu traçais de grands itinéraires

Dans le ciel

Pour le plaisir de nous avoir avec toi

Dans le même wagon-couloir

Je me souviens

Ton oeil agite encor la mer comme un mouchoir

De la vie tu parlais sans cesse

Et tu n'avais pas de tristesse

Quand tu montrais tes mains percées

Par les clous d'or de la beauté

Si nous avons échangé de dures paroles

Et confronté parfois rudement nos épaules

Si j'ai brisé la lampe entre ton coeur et moi

Je te demande pardon Maurice Langlois.

 


 

 

 

 

Pour un cheval

 

Cheval pour avoir dit l’amour tu as une âme

Lève haut tes belles jambes comme les femmes

 

Tu passes à travers le ciel et l’abat-jour

Tu fais le mort avec les chiens et l’on accourt

 

Aux fenêtres pour admirer ta gymnastique

De rêve cheval de fiacre cheval de cirque

 

L’enfant ne sait toi tu dénichas le soleil

Tu promènes ta queue comme un essaim d’abeilles

 

Tu broutes les vitraux le gaz et l’edelweiss

Tranquillement puis tu remues les fesses

 

Et ris c’est merveilleux le rire d’un cheval

Ton Alexandre était un fat O Bucéphale

 

Pour te dompter il n’est que la riche héritière

Marie Reine du ciel fille de la lumière

 

Parfois l’aube te prend dans la nasse des blés

Tu es tout seul tu as envie de t’en aller

 

Vers des pays de trèfle rouge et de luzerne

Mais le soir tu t’endors entre tes deux lanternes

 

Le long d’un quai sans fin et sous l’épais brouillard

Tu songes à des boutons d’or dans la nuit noire

 

Envole-toi Le sang s’épuise à travers l’aile

Abandonne ton ombre à la terre et que celle

 

Du passereau qui va dans le soleil levant

Rafraîchisse ton front comme un poisson d’argent.

 


 

 

 

 

Hélène ou le Règne végétal

 

 

Tu es dans un jardin et tu es sur mes lèvres

Je ne sais quel oiseau t'imitera jamais

Ce soir je te confie mes mains pour que tu dises

A Dieu de s'en servir pour des besognes bleues

 

Car tu es écoutée de l'ange tes paroles

Ruissellent dans le vent comme un bouquet de blé

Et les enfants du ciel revenus de l'école

T'appréhendent avec des mines extasiées

 

Penche-toi à l'oreille un peu basse du trèfle

Avertis les chevaux que la terre est sauvée

Dis-leur que tout est bon des ciguës et des ronces

Qu'il a suffi de ton amour pour tout changer

 

Je te vois mon Hélène au milieu des campagnes

Innocentant les crimes roses des vergers

Ouvrant les hauts battants du monde afin que l'homme

Atteigne les comptoirs lumineux du soleil

 

Quand tu es loin de moi tu es toujours présente

Tu demeures dans l'air comme une odeur de pain

Je t'attendrai cent ans mais déjà tu es mienne

Par toutes ces prairies que tu portes en toi.

 


 

 

 

 

 

L'aventure marine

 

Sur la plage où naissent les mondes

Et l'hirondelle au vol marin

Il revenait chaque matin

Les yeux brûlés de sciure blonde

Son coeur épanoui dans ses mains

 

Il parlait seul son beau visage

Ruisselait d'algues l'horizon

Le roulait dans ses frondaisons

D'étoiles et d’oeillets sauvages

Amour trop fort pour sa raison

 

« Soleil disait-il que l'écume

Soit mon abeille au pesant d'or

Je prends la mer et je m'endors

Dans la corbeille de ses plumes

Loin des amis restés au port

 

Ah que m'importent ces auberges

Et leurs gouttières de sang noir

Les rendez-vous du désespoir

Dans les hôtels meublés des berges

Où les filles font peine à voir

 

J'ai préféré aux équipages

Le blanc cheval de la marée

Et les cadavres constellés

Qui s'acheminent vers le large

A tous ces sourires navrés

 

La mort s'en va le long des routes

Parfume l'herbe sur les champs

Il fait meilleur dans le couchant

Parmi les anges qui écoutent

Les coraux se joindre en tremblant »

 

Il disait encor maintes choses

Où de grands cris d'oiseaux passaient

Et des feux rouges s'allumaient

Sur sa gorge comme les roses

Dans les premiers matins de mai

 

On vit s'ouvrir les portes claires

Les sémaphores s'envoler

Et des ruisseaux de lait couler

Vers les étables de la terre

D'où l'homme s'en était allé

 

Ebloui par tant de lumière

Il allait regardant parfois

La fumée courte sur le toit

L'épaule ronde des chaumières

Sans regretter son autrefois

 

Car il portait sur sa poitrine

Les tatouages de son destin

Qui disent « soleil et bon grain »

A tous les hommes qui devinent

L'éternité dans l'air marin.

 


 

 

 

 

17 juin 43

 

Tu étais la présence enfantine des rêves

Tes blanches mains venaient s'épanouir sur mon front

 

Parfois dans la mansarde où je vivais alors

Une aile brusquement refermait la lumière

 

J'appelais je disais que vienne enfin la grande

La belle la toujours désirable et comblée

 

Et j'allais regarder souvent à la fenêtre

Comme si le bonheur devait entrer par là

 

Ce fut par un matin semblable à tous les autres

Le soleil agitait ses brins de mimosa

 

Des peuplades d'argent descendaient la rivière

Les enfants avaient mis des bouquets sur le toit

 

Aussitôt que je vis tes yeux je te voulus

Soumise à mes deux mains tremblantes à mes lèvres

 

Capable de reprendre à la nuit son butin

De fleurs noires et de vénéneuses caresses

 

Tout le jour je vis bleu je ne pensai qu’à toi

Tu ruisselais déjà le long de ma poitrine

 

Sans rien dire je pris rendez-vous dans le ciel

Avec toi pour des promenades éternelles

 


 

 

 

 

L'étrange douceur

 

Comme un oiseau dans la tête

Le sang s'est mis à chanter

Des fleurs naissent c'est peut être

Que mon corps est enchanté

 

Que je suis lumière et feuille

Le dormeur des porches bleus

L'églantine que l'on cueille

Les soirs de juin quand il pleut

 

Dans la chambre un ruisseau coule

Horloge aux cailloux d'argent

On entend le blé qui roule

Vers les meules du couchant

 

L'air est plein de paille fraîche

De houblon et de sommeil

Dans le ciel un enfant pêche

Les ablettes du soleil

 

C'est le toit qui se soulève

Semant d'astres la maison

Je me penche sur tes lèvres

Premier fruit de la saison.

 


 

 

 

 

Toi

 

Tu es une grande plaine parcourue de chevaux

Un port de mer tout entouré de myosotis

Et la rivière où le nageur descend

A la poursuite de son image

Tu es l'algue marine et la plante sauvage

Comme l'arnica

Tu es pleine de poissons dans ta chevelure

Tu es une belle figure

Plus belle que toi-même

Tu es celle que j'aime

Davantage que le pain

Et davantage aussi que mes mains étendues

Sur chaque versant des collines

Tu es la petite voisine

Du trèfle et la compagne du lézard

Tu t'ensoleilles sur les pierres

Et tu es toujours sur ma joue

Si je pense à ta voix je pense au monastère

A neuf heures du soir quand les voix se répondent

Si je pense à ta bouche il me vient à la bouche

Ce goût de lait de fruits de feuilles traversées

Par les tendres ruisseaux de sève végétale

Et si je pense à toi c'est qu'il faut bien choisir

Entre avenir et souvenir.

 


 

 

 

 

Les chevaux et les chiens

 

Les chevaux et les chiens

Parlent mieux que les hommes

Et savent de très loin

Reconnaître le ciel

 

Ils n'ont pour eux que l'herbe

Et la grave tendresse

Des bêtes qui remuent

Tristement le passé

 

Mais dans leurs yeux inquiets

Des choses et des hommes

Passe parfois l'éclair

D'une saison future.

 


 

 

 

 

 

 

 

Devant cet arbre immense...

 

Devant cet arbre immense et calme

Tellement sûr de son amour

Devant cet homme qui regarde

Ses mains voltiger tout autour

De sa maison et de sa femme

 

Devant la mer et ses calèches

Devant le ciel épaule nue

Devant le mur devant l’affiche

Devant cette tombe encore fraîche

 

Devant tous ceux qui se réveillent

Devant tous ceux qui vont mourir

Devant la porte grande ouverte

A la lumière et à la peur

 

Devant Dieu et devant les hommes

A chaque vie d’être vécue.

 


 

 

 

 

Comme au temps des fées

 

Cette fleur dans la main devient source et cheval

Levez les yeux

Le ciel est un piège infernal

 

Et pris le coeur

Et pris l'oiseau

Mais pas la branche

Chèvre devient la souris blanche

 

Lampe tu es danseuse nue

Violon brisé je t'ai connu

Pain de l'aveugle aux quatre rues

 

Fiacre de nuit tu fus mon âme

Et ma jeunesse mal famée

Fleur la blessure mal fermée

 

Mais toi quel était ton visage

Pour que les filles de ton âge

Prennent plaisir à t'appeler

De tous les noms d'enfant sauvage

 

Fut églantier celle que j'aime

Pensionnaire des passereaux

Son coeur battait sous son sarrau.

 


 

 

 

 

Qui marche sur la mer

 

Qui marche sur la mer

Et n’est point bâtiment

 

Qui vole dans les airs

Et pourtant n’a pas d’ailes

 

Qui peut changer le monde

Et n’en profite pas

 

Qui est toujours plus grand

A chaque fois qu’il tombe

 

Qui fait une fontaine

Enchantée de sa tombe

 

Qui n’a pas un enfant

Mais des milliers d’enfants

 

Qui me hante qui est

Ma face de lumière.

 


 

 

 

 

Depuis le temps que je t'invente

 

Depuis le temps que je t’invente

Fatalement tu me ressembles

Et chaque jour me prends un peu

De ma lumière et de ma nuit.

 


 

 

 

 

La haie longue

 

Toi dont la jambe traîne un peu comme une brume

D'été et comme si la douleur te tirait

Lentement vers la terre 0 compagnon que j'ai

Choisi pour les yeux, enfin voici que s'allume

 

Toute ma vie et que je vois l'éternité

Pareille à ce pays mouvant où tu t'enfonces

Avec ta jambe un peu trop lasse dans l'été

Sous les sourcils trop bleus de la nuit qui se froncent

 

Ils marchent près de nous les amis de haut bord,

Grands couturiers de la saison, veneurs des villes

Eteintes, des couchants désolés, vers le port

Au pavillon de clair soleil inaccessible

 

Entre nous deux celle que j'aime et que tu prends

Pour un pommier sauvage, et toujours aussi belle

La poésie comme une graine dans le vent

Qui s'ouvre et se referme aux battements des ailes

 

Des maisons sont couchées sur des enfances basses

Pleines de géraniums et de bouquets chanteurs

Au creux de la vallée ce sont des trains qui passent

Et le convoi des solitudes sans chaleur

 

Mais près d'ici la bonne auberge, la tonnelle

Où volètent les mains fluviales les prénoms

Aimés ; et sur la table ronde qui chancelle

Un verre vide avec des larmes dans le fond.

 


 

 

 

 

La série noire

 

Je me souviens de la maison

Qui descendait le long du fleuve

Et s'arrêtait le soir devant

Le quai Hoche au numéro 5

 

Un homme chantait sur le pont

Une femme lavait des langes

Et leur enfant penchait sur l'eau

Un visage qui n'oublie pas

 

Mais dans la chambre où je vivais

L'homme pleurait devant la femme

Qui n'était plus qui ne serait

Qu'un souvenir pour son enfant.

 

*

 

O mon père j’avais choisi

Ce toit pareil à ton épaule

Et lentement tu devenais

Comme lui un profond sommeil

 

Tu remontais jusqu’à tes mains

Comme aux fontaines du silence

Et ton regard tombait parfois

Sur un passant de l’autre rive

 

Ainsi peut-être pensais-tu

En être quitte avec cet homme

Qui chaque jour aux mêmes heures

S’épouvantait de vivre encore.

 

*

 

Est-ce le Christ ou un ami

Qui frappe si tôt à la porte ?

Ils sont quatre pour l’emmener

Et le conducteur du taxi

 

- Laissez-moi prendre mon manteau

Le vent est fort dans la campagne

- Monsieur ne vous tourmentez pas

Nous-mêmes aurons soin de vous

 

Que le Seigneur ici m’entende

Dit Max Jacob en se signant

Qu’il me permette de mourir

Sur la paille qu’ils ont volé !

 


 

 

 

 

Paysage de mon amour

 

Paysage de mon amour

Tout entier dans ce village

Dont je défais journellement

Les liens de chanvre et de fumée

 

Tuiles baignées de tourterelles

Qui chantez sous la main du soir

Ecailles des saisons nouvelles

Plaques tournantes de l'espoir

 

Prairies des peintres du dimanche

Passerelles des bois dormants

O bêtes qui remuez les hanches

Dans un long rêve de froment

 

Et toi rivière sous les saules

Blanche fenêtre caressée

Par une truite et mon épaule

Et tous les jours qui sont passés

 

Je crois en vous en toutes choses

Qui par souci de vérité

Parlent pour moi trouvent réponse

Dans la raison de mon silence.

 


 

 

 

 

Le droit à la parole

 

Douces bêtes de colère

Douces bêtes délaissées

Une main vous désaltère

De toutes soifs à venir

 

Une feuille en tombant vous donne

Un aperçu de la beauté

Et se glissant sous votre épaule

Vous n'êtes plus tout à fait seules

 

Mais nul ne croit que vous gardez

Par déférence pour les hommes

Un silence qui convient mieux

A la tristesse de nos coeurs

 

Vous avez des conciliabules

Avec le foin qui ne ment pas

Vous épousez les paraboles

Du chardon du trèfle incarnat

 

Sais-je les contes que vous faites

A l'églantier des chemins bleus

Quel amour vous portez en tête

Qui fait que vous baissez les yeux

 

Mais quand surgi d'un rêve d'aube

Votre visage m'apparaît

Plus lumineux que le mien n'est

Je suis sensible à vos reproches.