Grand Elan

Sommaire


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Titre

Terre natale
grande vacance (La)
Europe
Marée montante
Ciel de pâques
Amis les anges
Poème a Alain Gerbault
Job
Place Bretagne
forçat mutilé (Le)
Reprendre pied
Soie naturelle
premier homme (Le)
Odeurs du jour
Cicatrices
esprit du feu (L')
Haut cheval sur le mur
Vie Rêvée (La)
Jour de Dieu
Mouvements respiratoires
30 mai 32
Nouveau départ
Point mort
découverte de l'Amérique (La)
Destin
chant du prisonnier (Le)
fleur de l'âge (La)
croisades (Les)
Fleur
Hurle coeur
Tapisseries des rues
Raisons de santé
Pas du blé
Mehr Licht
âge d'or (L')
31 janv 40
Couleur des esclaves
Halte en campagne
inutile aurore (L')
Parler du ciel
Comme un enfant perdu
Bon teint
Nativité
chute des corps (La)
Partage des eaux

 

 

 

 

 

Terre natale

 

Aujourd'hui ou jamais

Tes paumes voyageuses

Retiendront mon visage

Et je t'appartiendrai

 

Du plus loin du plus près

Douce marée qui monte

Bouche dure entravée

Par ces corps sans rivets

 

Je sens ton souffle noir

A deux doigts de ma gorge

Chaque heure tu me pousses

Un peu plus loin en moi

 

O fleurs tachées de sang

Terres plantées en hommes

Miracle des chevaux

Palissade des blés

 

Le matin a levé

Ses écluses de gaze

Décor de passereaux

Sur le fond des vallées

 

C'est à vous que je vais

Collines-Babylone

Roseraies suspendues

A ces ailes fermées

 

A vous aussi jardins

Complices de l'enfance

Où veille nuit et jour

Un paisible gardien

 

Adieu toits bouleversants

Où nichaient nos misères

Etages surpeuplés

De mages et d'enfants

 

Ville froide étendue

Sur tes débarcadères

Orgues des cheminées

Oublieuses du vent

 

Enfin c'est bien fini

Mes mains me reconnaissent

Et je porte à mon coeur

Un peu de laine épaisse

 

Aujourd'hui ou jamais

Chaleur de mes vingt ans.

 


 

 

 

 

 

La grande vacance

 

Tendres fruits de mes yeux

Fougères du regard

Voici que le sang bouge

Et que déjà repart

La terre

 

Les jardins sont fleuris

Et des roses cratères

S'échappe le miel blond

Où j'aiguise mes mains

 

Des hommes bordent les chemins

Mais si j'avance encore

Je suis pris dans le ciel

Au fond des dragues d'or

 

Alors je reste là

Sans ride sans murmure

Soulevant dans mon sein

Des caissons de verdure

 

Et quand l'heure a fixé

Le soleil à son pôle

Je m'enfuis emportant

Mon ombre sur l'épaule.

 


 

 

 

 

Europe

 

Nuit partout

Le monde est plein d'ombres qui marchent

Sang noir, coquelicots, ruisselez sur les marches

Un cadavre inconnu empoisonne les blés

 

Il y a des femmes qui pleurent

Un vieux casque rouillé où sont poussées des fleurs

Les odeurs de la terre

L'oeil brillant d'un fusil sous les cils des bruyères

Et la main qui retient les paupières du feu

 

Les uns forcent les neiges

D'autres ont pris la mer au sortir du collège

Quelques-uns crucifiés saignent dans les haubans

Dieu a quitté la cène

On manque de pain blanc

 

Ah dormir dans les branches

Mais le ciel à son tour livre ses avalanches

Salut les passereaux

L'écolier dévidait son cœur sous son sarrau

 

Garde ton beau visage

Le dernier coup de feu sauve le paysage

Et ton bras se soumet aux amis de passage.

 


 

 

 

 

Marée montante

 

Plus loin que l'œil

Au fond des torrides mémoires

Au fond des ruchers blonds alourdis de butin

La mer change l'allure et les draps du matin

 

Rien dans les mains

Rien dans les voiles

Pas même au bord du ciel

Un taffetas d'étoiles

Seulement la maison qui ferme le chemin

 

Je danse sur mon sang

Comme un danseur de corde

J'ai rompu dans mon cœur

Le pain noir des discordes

Et tous les jours passés

C'est encor mon destin.

 


 

 

  

 

Ciel de Pâques

 

Soleil

Bien plus que le soleil

La tête en haut de l'arche

Et le sang frissonnant qui coule sur les marches

Le miel bleu descendu dans le coeur des vergers

Les langes du couchant à peine ravagés

Et la main de l'ami qui bat

Comme une enseigne

 

Voici le ciel ouvert sur les neiges qui saignent

Décombres de lilas appuyés sur le champ

Hirondelles perdues

Fantômes attachants

Et tes bras saisonniers aussi lourds que l'averse

Arrêtez le soleil

Je tombe à la renverse

Et déjà mes poumons se remplissent de fleurs

 

Ah que se lève en toi cette obscure douceur

Que tes yeux dans mes yeux tombent en larges flaques

Plus fidèles que nous

Sont les cloches de Pâques.

 


 

 

 

 

Amis les anges

 

Au seuil du feuillet blanc

C'est ta main qui m'accueille

Derrière « Amis les Anges » on coupe les lilas

 

La nuit s'arrête là

La mer secoue ses branches

On entend les oiseaux descendus sur les planches

Ta voix s'est effacée

Mais la roue chante encore

 

Une larme a suffi pour changer le décor

Tu vois

Je me rappelle

Un jour

Ce fut le coeur tout bruissant d'étincelles

Et le vent où tintait la cloche des départs

 

La porte s'est fermée

Ma lampe a brûlé tard

Sur la table vernie j'avais laissé ta part.

 


 

 

 

 

 

Poème à Alain Gerbault

 

Tu n'es pas fait de la même glaise que nous

C'est un autre torrent qui brise tes genoux

De quel monde inconnu tiens-tu ces belles hanches

Ces colombes de sel qui nichent dans tes branches

Ton pas n'a pas franchi le seuil de nos prisons

Tu ignores le gel et le nom des saisons

Et tes bras sont peuplés de voyageurs étranges

O toi dont la peau sent le soleil et l'orange

Qui traces ton sillon dans le sable des mers

 

Connaîtras-tu jamais nos sourires amers

Nos épaules fanées ces poitrines fragiles

Et les relents d'acier qui ternissent nos îles

Tu marches sans compter dans l'écume et le temps

Dans l'air où tout est clos personne ne t'attend

La chambre où tu es né glisse sur ses persiennes

Mais c'est une autre odeur qui flotte que la tienne

 

Ami féroce et blond sans étoile et sans port

Tu n'as pour passager que ton coeur à ton bord

Plus loin que l'horizon dans les steppes d'eau verte

Peut-être cherches-tu quelque vague déserte

Ou quelque liane d'or pour y nouer ton sang

Tes cheveux sont poudrés du soufre des tempêtes

Le flot ronge à demi l'écorce de ta tête

La voile monte haut sous ton hâle puissant.

 

Que t'importe aujourd'hui nos plaies et nos frontières

Tout se donne ou se prend entre le ciel et l'eau

Le jour qui s'est levé gicle dans la lumière

Et tu es plein d'éclaboussures Alain Gerbault.

 


 

 

 

 

Job

 

Laissez-moi la lumière

Ce visage étonné où je baigne mes mains

Et ma couche de pierres dans le frais du chemin

Pour aujourd'hui pas davantage

Je porte sur le dos la laine des orages

La flamme du torrent réchauffe mes genoux

 

Ce matin le soleil s'est levé entre nous

Et de la terre où monte une obscure tendresse

Un arbre cherche au fond des nuages

Sa caresse.

 

Tous les ruisseaux vont paître en chantant les gazons

La femme se dévêt au pied de la maison

Des coqs étincelants pavoisent les casernes

Et toi

Dont le coeur est une sourde lanterne

Tu marches sans souci des feux de l'horizon

 

Ah je puis bien parler de mes mains

De mes larmes

De cet immense amour

Car c'est tout ce que j'ai

Ma tête est couronnée de roses et de ronces

 

A chaque pas mon Dieu c'est vrai que je m'enfonce

Un peu plus dans le ciel

Pour moi se lève encore la poitrine des herbes

Une place est gardée au milieu des brebis

Et les étoiles font comme un vol de perdrix.

 


 

 

 

 

Place Bretagne

 

 

 

 

 

Est-ce toi qui reviens et défroisses la porte

O vrilles de son sang fleurissez l'escalier

Mais la fée qui chantait dans la serrure est morte

Rien ne remplira plus mes paumes délabrées

 

Où es-tu maintenant à quel anneau d'auberge

Auras-tu attaché ton cheval de bonheur

Pour quel Orient nouveau as-tu quitté la berge

Pour quel siècle doré laisses-tu passer l'heure

 

Je ne te cherche plus dans les ports et les bouges

Ni devant cette table où s'allumait ta main

Tu es loin dans la nuit et le ciel est tout rouge

Parce que ton beau corps saigne aux quatre chemins

 

Poète crucifié par ta volonté même

Pâle de ta pâleur amoureux de tes clous

C'est ta croix que je porte en portant le poème

Et je n'avance pas si je marche à genoux

 

O visage hivernal où se nouait l'aventure

Où te retrouverai-je ailleurs que dans ces murs

Ailleurs qu'entre cet air et cette saison close

Et sur ma douce épaule achevant ton murmure

 

Tu ne jailliras plus au tournant de la lampe

Au bord des vagues d'or qui bercent le plafond

Les lampes sont fanées la douleur suit la rampe

Et ton regard se perd dans les yeux trop profonds

 

Prunelles endormies de la Place Bretagne

Où vacillait jadis le coeur de mon ami

L'ombre a tout effacé Lentement je m'éloigne

Celui que j'attendais ne viendra plus ici.

 


 

 

 

 

Le forçat mutilé

 

Feutre des souvenirs

Paupières ô tourterelles

Chaume du coeur couvert

De limons et d'années

Me rendrez-vous mes mains

 

Clémences saisonnières

Toujours entre les yeux

Le toit bleu qui voltige

L'épaule et la mansarde

Havres de mon amour

Et la mer ses goélands

Sur les plus hautes tours

 

O femme que j'avais

Cernée de tiges molles

Enfant qui bondissais

Dans son ventre léger

Me reconnaîtrez-vous

Si je force la porte

 

C'est un homme qui parle

Entre les autres hommes

Et cache dans sa voix

Une âme mutilée

Ah rendez-lui ses mains

Il a beaucoup pleuré.

 


 

 

 

 

Reprendre pied

 

Ecartez-vous de moi sinistres de l'enfance

Visages maquillés où tournait l'aventure

Il est temps de hisser la grande voix des hommes

Terre où j'aurai vécu glisse entre mes genoux

 

Nous avons trop roulé dans les goudrons des villes

Héros inattendu d'une mort tranquille

Qui tracera jamais une croix sur mon front

Je serai dans le ciel près de la porte ouverte

Mais tu m'arracheras les yeux en pure perte

 

Hublots sertis de bleu maintenant je vois clair

Mon sang est traversé d'étoiles et d'éclairs

Et si j'ouvre les bras de blancs rayons s'envolent

Seigneur confondez-moi par vos bonnes paroles

 

Arrêtez les chardons les orties du chemin

Baignez de pleurs de joie les bords du lendemain

Que notre règne arrive

Et que l'air soit secoué d'une peur délicieuse

 

Reviens sur le tapis belle main moissonneuse

Tu n'emporteras pas la page tachée d'or

Tout reste entre la lampe et ma triste figure.

 


 

 

 

 

Le premier homme

 

Visage de douceur

Animal et charnu

Regard tissé d'épis

De graves étincelles

Oh la tête d'un homme

A peine reconnue

 

Mais déjà sur le bord

Du sillon s'abandonne

Un pied lourd et marqué

De récentes douleurs

Et le corps tout entier

Suit la vague du cœur

 

L'épaule continue

Le clapotis des hanches

O front teinté du sang

Limpide des sommets

Pique à ces tempes bleues

Une étoile à cinq branches

 

Il est sur le chemin

L'églantier de la terre

Obscur jaillissement

De la chair et des mains

Aurore morfondue

Dans les plis du mystère.

 


 

 

 

 

Soie naturelle

 

Prunelles graminées

Robes de blanche écorce

Eaux calmes

Pilotis d'un ciel imaginé

J'octobre dans la ville ouverte

Où je suis né

 

Croix peinte de rosée

Fenêtre qui supporte

Et mon corps

Et l'élan de ces mains retardées

Efface les silos de lune sous la porte

 

O soleil épagneul allongé sur la terre

Que tu sois

Pour la langue épaisse des meulières

Et jusque dans le oeeur ahurissant des blés

 

Ce matin ma maison s'est levée la première.

 


 

 

 

 

Cicatrices

 

Je ne résiste plus à ce cœur qui me blesse

Au souffle qui retient mes lèvres éventées

La pâleur de mon front suffit à ma noblesse

Et rien sinon la nuit ne peut plus me tenter

 

J'ai secoué les livrées les cris de mon enfance

Dans le vent matinal où glissait l'horizon

Mon remords et le miel avaient un goût de rance

Les oiseaux avaient mis le feu à ma maison

 

Prairies qui dérobez l'écran bleu des collines

Couchez-moi dans les plis robustes de vos seins

Lentement sur la croix mon ombre se dessine

Et j'ai perdu les clés magiques du chemin

 

Adieu belles épaules ô vergers de ma peine

Et toi source de lait où j'attisais les mots

Il fait clair dans mes yeux mais ce n'est plus la peine

J'ai la lourde douceur des autres animaux

 

Je vis au ras de terre dans les avoines folles

Mêlant ma bouche amère aux rouilles des sillons

Inutiles les mains les poses les paroles

Mais seulement la scie musicale du grillon

 

Une étoile a tendu ses rets dans le feuillage

La lampe s'est brisée en sautant le rideau

Terre bourdonne encor. Roule tes coquillages

Et que ton noir soleil soit mon Eldorado.

 


 

 

 

 

Odeur du jour

 

Je serai là

J'attendrai

La poitrine écartée de tes mains et des ronces

Le front toujours tranché par un rayon nouveau

 

Maintenant la maison s'en va à la dérive

La table a des remous et des reflets d'eau vive

La lampe descendue aiguise le matin

Tout est clair

On entend ton nom sur le chemin

Les yeux changent de face

 

Plus près de moi se lève

Une ombre douce et nue

Le soleil fait la roue

 

La houle diminue

Six heures

Au pied du lit

Une tête inconnue.

 


 

 

 

 

Haut cheval sur le mur

 

Haut cheval sur le mur

Etoile de naissance

Tu conduis l'horizon

Mais ton amour n'est plus

A la taille de l'homme.

 


 

 

 

 

L'esprit du feu

 

Feu

Devant lequel je suis seul ce soir

Avec mes mains et cette armure végétale

Où se brise mon sang

Profitons du moment

Pour tout dire

Steppe rouge beauté

Lassos de tendre chair

Je suis le cavalier qui traverse cet air

Où le fauve bondit dans les cercles de flamme

Feu sur moi sur mon front

Dans mes yeux difficiles

Et sur la vitre lourde éclaboussée d'embruns

 

A travers ces doigts joints

Ces armures éteintes

Est-ce toi beau pays perdu qui me reviens

O terres dévorées de houblons et de vignes

Hectares de soleil arrachés à mes pas

Je vous tiens dans mes yeux

Et vous n'en sortez pas

C'est ici ma maison

Et ton si haut visage mon père

Le clocher dans le ciel au fond d'un pli sévère

L'auberge parcourue de femmes et de chevaux

Sur la joue du couchant La paume d'un ruisseau

Et mes bras suspendus à ces arbres qui saignent

Passager c'est ici que commence mon règne

Enfant nourri de ciel à genoux sur les toits

Apprivoisant Jésus dans la glu de sa croix

Jamais las de passer sur son coeur une éponge

Seigneur

Et ce printemps fut son premier mensonge

 

Feu si lent à mourir

Rideau d'algues et de gaze

Quelle ombre sur mon front

Vais-je me repentir

Voici des casinos et des amis sans âge

Les sentiers de la mer où je vais en pleurant

Le vent de sel qui me rend

Mon paisible langage

Regardez

J'ai peuplé d'un geste ces vitraux

Voici l'enfant divin à l'abri sous l'agneau

Sa mère reposée dans le regard des mages

Et Joseph déchirant le ciel

Comme une image

Tout mon passé à l'eau

O mer pour qui j'ai fait ce retour en arrière

Me reconnaîtras-tu si j'ouvre la barrière

Et si je tends la main à tes dieux sidéraux

Mais non

Et c'est la ville au fond qui me harcèle

Le tourbillon des rues qui me remet en selle

O mer je meurs de froid

Partage ton manteau

 

Il fait clair sur le monde

Et sur la Sainte Face

Mon Dieu crucifiez-moi à la porte d'en face

Que je voie seulement le soleil se lever

Je tire sur mes yeux le rideau des collines

Je veux beaucoup d'oiseaux picorant ma poitrine

Et ces prunelles bleues où paissent vos troupeaux

C'est un adieu pour vous étages sans tendresse

Lumières sans duvet

Quatrièmes vitesses

Lentement je m'assois au soleil

Et je ris

Tous les murs écroulés

Les épaules trop basses

Je vois

Et c'est curieux dans l'air tout ce qui passe

 

C'est d'abord un jardin où sommeille l'enfance

Des roses mutilées parodient la souffrance

Des portes en s'ouvrant assombrissent les pas

Puis c'est un homme seul qui s'avance

Et qui saigne

Il est beau

Car le sang lumineux qui le baigne

Touche son front si blanc que rien ne ternira

Enfin voici le feu

Où je brûle mes ailes

O mains mes pauvres mains effroyables gazelles

Arrêtez ce flot noir où mon coeur se repent

Je veux vivre à tâtons

Dans l'ombre de moi-même

Ne savoir jamais plus

Le nom de ce que j'aime

Puisqu'au bout de la nuit

C'est toi qui me reprends.

 


 

 

 

 

La vie rêvée

 

Si la vie n'était pas

La seule la première

A quoi bon la rosée

Sur le front du matin

 

La croix serait levée

Plus haut que ton visage

Gouffre d'ailes et de bleu

Ravisseur du chemin

 

Et rien ne resterait

De ces tremblantes larmes

Qu'un peu de sel amer

Au fond de tes deux mains

 

Mais les oiseaux sont là

Sous les palmes obliques

Un arbre cache au ciel

Ses épaules gothiques

 

La rampe du rosier

Dérobe la maison

L'agneau cherche plus haut

Son miel et sa toison

 

Tout le jour écarté

Quand s'allument les fleuves

C'est l'homme au fond des cours

Qui déplie sa peau neuve.

 


 

 

 

 

Jour de Dieu

 

Tu ne reviendras plus dans le chaud de l'étable

Tandis que tes deux mains saignent sur les rosiers

 

Tu vas et tu souris

Les pampas de tes yeux soulèvent des gazelles

Soudain les arbres font un doux cliquetis d'ailes

La cloche du souper berce le monastère

 

Je marche près de Toi

Ta croix est plus légère

Et nous nous arrêtons souvent sous les tonnelles

 

On parle à ceux qui boivent

La femme qui mendiait son fils était bien brave

Tu te souviens Seigneur

Celui qu'on a trouvé

Avec un gros bouquet de sang sur le côté

 

Tous les cours se dérident

Tu es loin

Et la croix a laissé un grand vide

Mais ta photographie est sur la cheminée.

 


 

 

 

 

Mouvements respiratoires

 

Poumons mes deux ramiers

Lumière de ma gorge

Ainsi mon sang se noue

Au sang lourd de l'horloge

Ainsi les ailes vont

Pourrir dans les halliers

 

La terre a des frissons

Sous ses tempes de pierre

Le passereau dérobe

Un grain d'or aux paupières

Mais la main se consume

Au bord du cendrier

 

Loin de mes yeux déjà

S'enveniment les voiles

Le vent secoue la neige

Eparse des étoiles

Et je vis lentement

Comme un germe oublié

 

Je vis de peu d'amour

Seigneur je suis sans ride

N'ouvrez pas sur mon front

Les espaces livides

N'ouvrez pas dans mes yeux

Les portes ignorées

 


 

 

 

 

30 mai 1932

 

Il n'y a plus que toi et moi dans la mansarde

Mon père

Les murs sont écroulés

La chair s'est écroulée

Des gravats de ciel bleu tombent de tous côtés

Je vois mieux ton visage

Tu pleures

Et cette nuit nous avons le même âge

Au bord des mains qu'elle a laissées

 

Dix heures

La pendule qui sonne

Et le sang qui recule

Il n'y a plus personne

Maison fermée

Le vent qui pousse au loin une étoile avancée

 

Il n'y a plus personne

Et tu es là

Mon père

Et comme un liseron

Mon bras grimpe à ton bras

Tu effaces mes larmes

En te brûlant les doigts.

 


 

 

 

 

Nouveau départ

 

Table où sont nées mes mains

Falaises de la lampe

Fleuves qui soulevez le couchant

Et la rampe

Griffes du chèvrefeuille

Tendres joues du rosier

Écoutez c'est mon pas tremblant Dans l'escalier

 

Soudain

Comme un sanglot

Le vent secoue la porte

Ah regardez mes yeux

C'est tout ce que j'emporte

Un visage d'ami fuyant entre les cils

Des hectares dorés

Le frai neigeux d'avril

L'écusson du soleil sur cette saison morte.

 


 

 

 

 

 

Point mort

 

J'aurai tout oublié

 

Les pampres les visages les paroles déliés

La tête et les mains vides

Pas même sur le front le secret d'une ride

Pas même dans des yeux une larme ignorée

 

Je serai là

Au bord du toit

Au bord des branches

Guettant dans l'envolée la robe la plus blanche

Entre mes deux poumons la croix fraîche de l'air

J'aurai tout oublié

De ce que j'ai souffert

 

Le monde s'en ira soulevé par des ailes

Des sourires nouveaux brouteront mes prunelles

Au ciel il y aura table mise

Le soir

Et ce banc de clarté suffira pour m'asseoir

Rien ne saura troubler le bon vent

Ni mon somme

 

Prisonnier de mes mains

Et de ma face d'homme Je suis là

Et j'attends

Mon coeur qui se balance au vieux gibet du sang.

 


 

 

 

 

La découverte de l'Amérique

 

Avec mes bras épais ruisselants de cordages

Chair tant de fois meurtrie sur les herses du vent

O poings réconciliés je tente le voyage

Salut à toi soleil céréale du sang

 

Dans mon cœur est l'eau douce et ces filles de Gênes

Fileuses de printemps au pied de ma maison

Et tandis que renaît l'écorce des carènes

Je danse sur le fil tendu de l'horizon

 

Amour mon compagnon que s'allume la voile

Que cet horrible sein la fasse monter haut

L'étrave de nos fronts a fendu les étoiles

Et jamais notre ciel n'a connu de repos

 

Buvez voici l'alcool ô lèvres mensongères

Pour ton ventre voici le doux venin du blé

La mort n'a pas franchi les noirs embarcadères

Et rien ne troublera ces hommes attablés

 

Mais qui pleure ce soir quand la fièvre me gagne

Quelle gorge si belle où planter le couteau

Peaux rudes vous faut-il la misère d'un pagne

A vous que j'ai cousues dans les plis d'un drapeau

 

Plus loin toujours plus loin et que dans les tempêtes

Au milieu des hoquets formidables de l'eau

Jaillissent seulement les éclats de vos têtes

Et vos jurons d'amour canailles matelots

 

Vois c'est ma propre main qui fouille tes entrailles

Océan maladif aux pâles intestins

L'écume est sur ma bouche et quand je fais ripaille

C'est ton sang que je bois pour clore le festin

 

Car c'est vrai j'ai voulu sous ton beau masque antique

Sous ta robe tissée d'étoiles et d'oursins

Découvrir ton secret ô femelle atlantique

Et les villes dorées que tu tais avec soin

 

Déjà j'en ai trop dit et ces oiseaux qui passent

Portent dans leurs duvets les odeurs de là-bas

De mes yeux lentement les tiges bleues se cassent

Et j'agrandis le ciel pour la première fois

 

Merci à toi Seigneur et que je vous bénisse

Douces plaies éclairées par l'astre de la croix

Seigneur il est bien temps que ces larmes finissent

Que tu marques nos fronts du grand signe des rois.

 


 

 

 

 

Destin

 

Entre Narp et Arrau

En Basses-Pyrénées

Il est un pont de pierre

Sous lequel je sommeille

 

Quelques truites jalouses

Se disputent mes mains

Et parfois un enfant

Se mire dans ma bouche

 

La vie s'engouffre au fond

De mes tempes sonores

Mon coeur éparpillé

Palpite comme un frai

 

Mais qui réveillera

Ces hanches ces épaules

Ce visage englouti

Dépossédé de bleu

 

Temps passé souverain

Rosée si douce aux lèvres

Entre Narp et Arrau

Ruches de mon destin.

 


 

 

 

 

Le chant du prisonnier

 

O signes par-dessus le Rhin

Soleil et vignes

Pampres des mains

Mon poing lourd retombé

Sur sa haine

 

Pas de larmes

Mais pour décor

Cette croix où je vibre encore

Un ami qui comprend ma peine

 

Ah je vous reverrai visages

Paysages

Belle aube couturée

De barques et d'oiseaux

 

Et vous aussi lilas

Bergers de mon enfance

 

C'est déjà le printemps

Les fleuves vont plus vite

Mon cœur tu te couronnes

De lauriers de sang

 

O chemin parcouru

Entre ces deux poitrines

 

Tendres chairs soulevées

D'un geste de la main

Ton épaule et la mienne

Pour la même aventure.

 


 

 

 

 

La fleur de l'âge

 

Voici le jour naissant

Houblon de la lumière

Le frou-frou des paupières

Et le premier passant

 

Sous le rêve encore chaud

La conscience chemine

Et déjà le soleil

Gonfle ses étamines

 

On marche sans penser

Vers un destin plus clair

L'oiseau lit son passé

Dans la paume de l'air

 

Les voiles des vergers

Lentement se redressent

La terre s'agrandit

D'un halo de tendresse

 

Un sourire suffit

Pour combler ce regard

Tout l'amour est donné

Le coeur a pris sa part

 

Et debout dans le ciel

Offrant des mains béantes

Je glisse peu à peu

Vers une aube qui chante.

 


 

 

 

 

Fleur

 

O fleur

Pour qui ta bouche endormie

Et l'abeille

Cette main sans éclat dans le torrent du jour

Le gai refrain du sang qui remonte son cours

Rien ne traverse plus mon ombre si paisible

O coeur noir

Si tenté de figurer la cible

Qui te remet dans l'axe éblouissant de l'homme

Je suis très loin

Debout

Entre mes bras sauvages

Je bouge

Et mes yeux font en moi le paysage

Je dors

Et mon sommeil trouve des passagers

Fille que me dispute un peu de vent léger

Je ris en écartant tes lèvres fugitives.

 


 

 

 

 

Les croisades

 

Amour

Plus fort que notre amour

Plus fort que la chaleur

Qui remue sous la table

Je pars

Et rien n'est bleu comme cette ombre nue

 

Femme

Tu m'attendras

Chaque moment chaque heure

Me rapproche de toi

Et tu ne comprends pas

 

Dieu parle dans les oliviers

Le sang

Les ronces sur le cœur m'appellent

Et ce corps douloureux que baigne l'horizon

 

Femme plus douce que raison

Plus fidèle que la pluie

Je pars

Et c'est ainsi que tu m'attends

Bras, rose attentive à l'orée des saisons.

 

Rien que le sable et l'air

Et ce désir farouche

Ta bouche lourde sur ma bouche

L'empreinte bleue du sein

Dans la paume encor fraîche

 

Ici

L'arbre se fond

Se confond avec l'herbe

Mais l'âme dégagée

A pris de la hauteur

 

Soleil

Eclatement des yeux

Soleil en marche

 

Des mois et des années

Et cette fleur au cœur qui ne s'est pas fanée

Le dernier compagnon

Et le dernier visage

Tous ces haillons dorés qui font le paysage

Une fumée là-bas

La première douceur

 

Jérusalem

Et des oiseaux sont nés

Quand les mains ont jailli

Dans la lumière

Mille hommes chantent

Pleurent de joie

Seigneur

Et c'est la même voix

Le ciel est très doux

Sur les têtes

Des enfants sont partis rechercher les troupeaux

 

Juste le temps qu'il faut

Pour t'aimer

Pour sourire

Pour cerner ton sommeil de gestes maladroits

 

Et maintenant

Dormir

Etre une force reposante

Sur son épaule

Pour longtemps.

 


 

 

 

 

Tapisserie des rues

 

Tapisseries des rues

Façade ô puits avare

Fontaine où ton visage n'aura jamais bu

Parmi ces mains levées

Sur cette place noire

Toi seule te libères

Statue.

 


 

 

 

 

Hurle-coeur

 

Bouquet du temps noirci de ciguës et de larmes

O fleuves dépassés par les chevaux du temps

Vigie de la saison qui aiguise tes armes

Oh les barreaux du ciel tordus entre les dents

 

Mais la terre écartée de son tremplin de glaise

Pâle statue figée dans un songe de feu

Ta pulpe déroulée sur le couchant des braises

La tête couronnée d'un horizon lépreux

 

Plus d'étoile attendue le long des bastingages

Plus de soleil caché dans le fil du couteau

La vie est simple et nue au bord du paysage

Un ramier fait vibrer les harpes du coteau

 

Entre nous les rayons le sang les tiges frêles

Toit léger suspendu sur les charrois du soir

Et les anneaux des jours qui tintent dans les prêles

Glissement de tes mains au fond du désespoir

 

C'est le premier matin la première aventure

Et dédaignant l'ivraie berceuse où tu t'endors

Ecartant de ses yeux ta bouche et la verdure

L'homme rampe à nouveau vers sa truelle d'or.

 


 

 

 

 

Pas de blé

 

Parce que l'homme avait les mains

Semblables à l'averse

Un doux grésillement a couru dans ces chairs

 

Hectares suspendus

A ces bourgeons qui saignent

A la tempe limpide où boivent les ramiers

 

Voici que les pipeaux couvrent le vent fragile

Que déjà s'enveniment

Les lèvres du siffleur

 

Sur le cadastre bleu

Qui porte les orages

Oh les épis du blé en éclairs de chaleur.

 


 

 

 

 

 

Raisons de santé

 

Devant le jour épais qui s'avance à pas lents

Devant l'horrible face à face

O coeur ouvert a tous les vents

Et jusque dans ces bras qui cherchent le courant

Hier demain et à présent

 

Il n'y a rien de nouveau

Sous le soleil de ma poitrine

C'est toujours la même tendresse qui chemine

Le même filet bleu qui baigne mes poumons

Toujours ma chair à l'abandon

 

Plus haut la tête claire

O mon front riverain du ciel et de la terre

Prunelles éclatées dans un printemps trop doux

Je cours

Et je suis fait pour aller à genoux

 

Ne me demandez plus de partager vos armes

Je dispose mes mains autour de ma maison

Et ceci est mon sang et le froment des larmes.

 


 

 

 

 

L'âge d'or

 

Saison des feux des perles

Et mon amour en moi

Comme un arbre

 

O chair tracée à coups de fouet

Un jour

Les liens du sang défaits

Sauvée

Dans ta beauté de marbre

 

Mais tu vivras toujours dans ces lèvres qui chantent

Dans ces mains

Dans ces yeux tranquilles que je plante

Bien haut

Dans ceux de mon ami

 

Tu vivras

Soulevée de rayons et de lames

O chair

Et je dirai en caressant mes mains

« Que soient bénis mes lendemains

Puisque j'ai pu sauver mes larmes ».

 

 


 

 

 

 

Mehr Licht

 

Me reconnaîtrez-vous à ces mains ces prunelles

A ce coeur douloureux

Visages familiers

Plus de lumière encor sur mon front

Sur ma bouche

Et je vais gaspillant mon sang dans les rosiers

 

C'est pour toi que je vis

Terre coupée d'eaux vives

Pour vous

Amis si purs à l'abri des saisons

Et je vis allongeant mes jambes près des vôtres

Afin que nos réveils ne soient pas étrangers

 

Pour l'amour

Soyons là

Les fenêtres respirent

Le meilleur de la nuit brille sous l'abat-jour

Longtemps je garderai mes mains

Au fond des vôtres

Pour les donner au ciel

Chargées de vos ferments

 


 

 

 

 

31 janvier 1940

 

Je te regarde

Ma mémoire est pleine de lézardes

Et je confonds les jours

Ta main repousse au loin la fièvre

Et mon amour

 

Tout entier ton corps tremble

Je tremble moi aussi

Ah comme on se ressemble

Mon père

La douleur a coulé nos fronts

Dans le même air

 

Sur moi

Tes yeux se baissent

J'entends ton cœur qui tire encore sur sa laisse

Tes poumons s'envoler

Mon Dieu si tu allais tout à coup

T'en aller.

 


 

 

 

 

Couleur des esclaves

 

Il n'y a rien à dire sur cet homme

Sur ce front qui vacille au tournant des collines

Sur ce visage où glissent les derniers ramiers

Il va dans les couchants morfondus d'aquarelles

Le solfège d'un toit jette ses hirondelles

Plus haut que le tranchant fraternel des nuées

Sous son ombre écrasé

Il songe à des enfances

A des amis noyés dans la crue des vacances

Au cercle où s'agrandit l'étoile de ses yeux

 

Monte jusqu'à ses dents

Chair béante et qui saigne

O mer tachée de sel et d'étranges destins

C'est à toi qu'il revient dans les nuits sans sommeil

Bourdonnement des mains au fond de son oreille

 

Le coeur à peine ouvert

Et toujours maladroit

C'est ton sein qu'il déchire

En refermant ses doigts

 

Pas de tourbillons noirs ni de louches croisières

Mais dormir simplement sur ta bonne litière

Le désir de côté

Plus calme qu'un enfant

 

O villes enfumées

Cathédrales de laves

Guillotines des rues pour ces gorges d'esclaves

Ailleurs s'est accompli le geste quotidien

Et tandis que les fleurs se gonflent sur l'abîme

Il regarde en pleurant le ciel beau comme un crime.

 


 

 

 

 

Halte en campagne

 

Le coeur plus haut que l'oeil et la tête en arrière

Atteindrai-je le soir dans ma courbe de pierre

 

Quelles tempes de verre allez-vous fracasser

Sondes jamais rendues aux fosses du passé

Mais le sapin crevant le toit du paysage

Arpent de la clarté, bouquet de sauvetage

 

Mais la main douce au bord des hectares salés

Le pas du promeneur qui veille dans l'allée

 

Et puis tous les genoux retrouvés sous la table

Un Dieu toujours nouveau dans le fond de l'étable

 

Une dernière lame emportant l'encrier

Et la chair qu'on n'a pas fini de supplier.

 


 

 

 

 

L'inutile aurore

 

Tout est vain

La fenêtre et l'aurore me restent dans la main

Les fleuves se disloquent

Sur le seuil

C'est la mer qui défroisse ses loques

Ici

La bouche fait lentement son sillon

Et l'heure est suspendue aux lèvres du grillon

Des larmes

Les dernières

Mais les brusques tournants de la lumière

Les algues déroulées sur le front du couchant

La poitrine de l'homme qui tremble au bord du champ

Le cœur pris dans la roue

Le hurlement des herses

Et la douleur qui suit les chemins de traverse

Ah tout est décidé

Le ciel rentre sa lame

Ma chair sa mort dans l'âme

Mon sang son coup de dé.

 


 

 

 

 

Parler du ciel

 

Voyelles renversées sur le ciel

O cigales

Bulles du souvenir éclatées sur les dalles

Eglantine du coq au feutre des clochers

Teint frais

Et la maison dans l'air va se pencher

 

L'herbe couvre les mots

La neige l'accompagne

C'est le coeur des bergers qui tinte

La montagne

Myrtilles dérobées aux prunelles des bœufs

 

La main s'offre au passant

Brise son champ de glace

On part

On se revient

Deux ombres qui s'enlacent

Et vers nous réunis

Le fleuve qui descend.

 


 

 

 

 

Bon teint

 

Il faut monter plus haut

Vers le ciel et l'étable

Vers la cellule d'or où Dieu cherche en tremblant

Une larme oubliée sur le coin de la table

 

C'est là

Parmi les ailes

Tout au fond

Quand les prunelles bleues creusent dans le plafond

Une aube d'où jaillissent des copeaux d'étoiles

 

Plus de poids

Plus de plomb glissant sous les paupières

Mais le sang

Orgueilleux comme un rameau d'avril

 

Mon visage est couvert par la voile qui passe

Les rougeurs du couchant sont celles de ma face

Les perles de mon front tintent dans la rosée

 

Confondu à jamais aux flammes des tempêtes

Aux mondes fracassés d'un signe de la tête

Je tourne lentement

Tout autour du soleil.

 

 


 

 

 

 

 

Comme un enfant perdu

 

1

 

Rouge écharpe de soie aux flammes maladroites

O sang du premier jour à ce ventre navré

Ton souffle aura cueilli la rose et ce visage

A peine éclos et plein de tranquilles beautés

 

Les joncs seront courbés sous le pommeau des nuages

L'aile noire d'un fouet coupera le village

Mais en voyant tes yeux je m'y reconnaîtrai

Déjà la maison rit de ses fenêtres blanches

La fumée a tressé le ciel avec les branches

Le pommier tend ses poings gonflés de sable d'or

Je croise des vieillards qui me berçaient naguère

Beaux vieillards attardés racines de bruyère

De quel nom appeler ce qui me berce encore

 

Ne serait-ce que toi roulant dans tes mâtures

Chair si faible qu'un fil a pu te diviser

Ou dans le vent léger un nuage de verdure

Que la main du Seigneur aura divinisé

Peut-être le soleil accordéon des plaines

L'ombre douce appuyée sur le cou des fontaines

Peut-être simplement quelques mots étrangers

Ah qu'importe le nom quand la lucarne ouverte

Agite dans le soir les prismes du passé

Quand la peau s'attendrit sur la poitrine offerte

 

Il comble l'horizon l'enfant de mon pays

J'entends son pas mordu par le fiel de la terre

Et ses graves chevaux dans les glaises fleuries

C'est le retour enfin l'inclinaison promise

Mon sang dessine un cœur au bord de ma chemise

Une larme perdue se glace dans ma main

Et je pousse en tremblant les verrous du chemin.

 

2

 

Ah c'est toi c'est dans l'air implacable et sans île

Arbre ton corps à pic voyageur immobile

Tes cordages mouillés dans un songe marin

Homme plus qu'arbre et bel en dépit de l'humain

Je rejoins tes saisons, avec toi je respire

Mes poumons pour ton miel ont des loges de cire

 

Au bord de tes ramiers se lance la maison

Le seuil n'a pas changé Sur la première page

Une syllabe éveille une aube d'un autre âge

Où bourgeonnent mes pas pleins de chancellements

Vais-je en entrant froisser le drap de son visage

 

Il n'est plus là celui qui bordait mon sommeil

Il n'est plus là Le vent déracine les portes

Et c'est peut-être lui dans l'ombre qu'on emporte

O toi le mieux aimé dont la chair m'habilla

Qui refera ma vie si tu ne reviens pas

 

Jardins qui soulevez les flocons de l'enfance

Eparses nuits tendues au tournant du revoir

Ah je vous mêle encore à mes sobres démences

Et la lune étonnée martyrise le soir

 

Plus de minutes d'or au guichet de l'horloge

Plus de larmes fondues dans les yeux de la forge

Plus rien que la raison sacrée du repentir

Ce soir il est déjà trop tard pour repartir

 

Je reste là penché vers la maison qui marche

Agneau dressant l'oreille aux grelots de son arche

Inquiet de son amour à genoux dans le vent

Et quand le jour nouveau recharge mes prunelles

Quand la faux du clocher éparpille les ailes

Tu n'es jamais partie bergère du levant.

 

3

 

Tu flottes sous le toit secouée par la lumière

Au bord de tes gazons l'épaule s'est calmée

Et c'est la même voix qui traîne dans l'allée

Jamais je n'aurais dû revenir en arrière

 

Maintenant trop de mains s'affrontent sur les cimes

Trop d'yeux se sont levés jaloux de tes abîmes

Trop de torses neigeux rivalisent d'éclat

Et l'envol des oiseaux te fait tomber plus bas

 

Ah roule sous mes pieds globe informe et terrestre

Un sang t'anoblira et qu'importe le temps

Si dans l'espace au fond des lointaines aurores

Tu trouves des cils blonds pour t'éventer encore

 

Mais vous gonflez mon cœur solfèges des marais

Sur l'écran c'est le front mural qui reparaît

Cadre baigné de feux de limons et de chaumes

Et la tourbe jaillit dans le creux de mes paumes

 

Il reste la fumée épaisse du chagrin

O monde sans rayons monde à jeter des pierres

Je t'aime pour tes plaies chantantes tes Brières

Tes granges dévorées d'ivraies et de bons grains

 

Avec toi j'ai rejoint le printemps sur ses cales

Tes nuits m'ont tenu lieu de tremplins et d'escales

Tes guêpes ont ravi le pire de mon sang

Et seul sans garde-fou sans âme je descends

Tranquille dans le ciel en homme vertical.

 


 

 

 

 

 

La chute des corps

 

A la pointe du soir

A la pointe des blés

Il offre sans un cri

Sa poitrine épargnée

 

Plus haut que ses poumons

S'assombrissent les feuilles

Et le dernier soleil

Envenime ses traits

 

Il ne sait plus son nom

Perché dans les mémoires

Quel souffle éveillera

Son oreille de grès

 

Heureux mais de t'avoir

Poil rude sous la paume

Barbe de la santé

Epaisse des bisons

 

Heureux de cette main

Si fraîche sur la sienne

O gant de la douleur

Ancienne et reconnue

 

Heureux Et dans la terre

Ouverte à ses caresses

Un pied germe déjà

Pour de fières statues.

 


 

 

 

 

 

Nativité

 

Paille de la saison

Fraîcheur des tiges nues

O nids de neige reconnus

A la fenêtre de l'étable

Passe l'étoile

Ouvre les mains

Amour presqu'île du matin

 

L'âne suspend son pas

Epaissies sous la langue

Le boeuf a retrouvé

Ses anciennes ciguës

 

Et Joseph attendri

Par ce bon voisinage

Ecarte de ses yeux

Les guêpes du sommeil

 

Un mage prie

Moulant ses lèvres de faïence

Sur les mots jamais dits

Et semblables au sel

 

Tandis que retenant

Son ventre avec tendresse

Marie ne comprend pas

Ce grand soleil éteint.

 


 

 

 

 

 

Partage des eaux

 

O sangs qui remontez les fleuves les siècles

Avares royautés perdues

Sangs de toutes les plaies retrouvés en un homme

Sangs félins

Sangs plus hauts que les cris

Plus hauts

Que les cachots dorés de la lumière

 

Aux quatre coins des vents

Sur la fresque des vignes

Et les étangs de blés

Sangs noirs sangs rouges sangs mêlés

On entend vos anneaux tinter

 

Visage ô ma Sologne aimée

Angle des durs soucis refermés sur ma bouche

Lourde épaule vernie écartée de sa souche

Un jour je n'aurai plus dans le nid de ma main

Que cet orvet de sang qui cherche son chemin.