Hélène ou le Règne végétal - Le Diable et son Train

Sommaire


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Titre

Je voudrais je ne pourrai pas
Je pense a cette petite chambre
Je me situe
Ides de mars (Les)
Interdit aux nomades
chiens qui rêvent (Les)
Aller simple
Merveilles de l'enfance
Femmes d'Ouessant
Avec la langue des muets
Si la neige du temps
Je te prendrai
Noël
homme (Un)
idiot (L')
A cette heure dans le monde
Symphonie de printemps
Trains de vie
temps n'est plus (Le)
En liaison avec Max
Mourir pour mourir
Antonin Artaud
Ecrire mais vivre
homme au képi de garde chasse (L')
diable et son train (Le)
Art poétique
cité d'Orphée (La)
nuit surtout (La)
envers du décor (L')
Ah je ne suis pas métaphysique moi
circonstances du drame (Les)
Pourquoi n'allez vous pas à paris?

 

 

 

 

 

 

 

Je voudrais je ne pourrais pas

 

Je voudrais je ne pourrai pas

M'habituer aux chevaux et aux fleurs du lilas

 

Le train qui passe à l'horizon est très ancien

Sa mécanique très moderne n'y fait rien

 

Il est graissé et sans défaut comme un poème

Mais ce sont les chants du Gaélique que j'aime

 

Je voudrais je ne pourrai pas

M'absenter des chevaux et des fleurs du lilas

 

L'aéroplane est vieux l'automobile est vieille

Seul le vrombissement mélodieux d'une abeille

 

Est jeune et jeune aussi ce vieillard attardé

Dans sa marche par la marche d'un scarabée

 

Je voudrais je ne pourrai pas

M'habituer aux chevaux et aux fleurs du lilas

 

Car j'ai peur de ne plus savoir mourir comme on s'aligne

Côte à côte pour un concours de pêche à la ligne

 

J'ai peur de n'être pas à la hauteur de mes voisins

Qui conduisent des automobiles et prennent le train

 

Et meurent dans leur lit sans souci des campagnes

Où l'amour tue comme un éclatement de châtaigne

 

Je mourrai mais ne pourrai pas

M'absenter des chevaux et des fleurs du lilas.

 


 

 

 

 

Je pense à cette petite chambre

 

Je pense à cette petite chambre de terre

Qui est mienne qui me convient exactement

Que j'ai louée sur la foi de bizarres affiches

Qui recouvrent partout les murs nus de ma vie

 

J'ai laissé le loisir à son propriétaire

D'y déposer l'hiver sa semence de blé

Tant que je n'y suis pas le blé n'y gagne guère

Mais qu'il espère un peu en mon coeur nourricier

 

Quand je serai remuant comme un ventre de femme

Que l'amour d'un enfant a neuf mois tenaillé

C'est bien le Diable ou le Bon Dieu si mes entrailles

Ne s'auréolent pas d'un miracle de blé

 

Ou peut-être après tout ce triste carton-pâte

Ne sera-t-il demain qu'un décor de faubourg

Un chardon maigre où vient brouter l'âne qui boite

Une roulotte avec des flammes tout autour

 

Je n'ai pas cet orgueil de croire que mon âme

Doit forcément passer dans la fleur du froment

Je puis laisser mes os tramer au ras du sol

Afin qu'un chien galeux s'y blanchisse les dents.

 


 

  

 

 

Je me situe

 

Je me situe toujours très mal dans cette vie

Les petits arbres de la voie ferrée ne poussent pas de fruits

 

Ils n'ont pas l'air de s'inquiéter mais ils regardent

Avec un long serrement de coeur par-dessus les rambardes

 

Le train bleu qui s'enfonce au loin dans des pays

Qui font peur et pourtant sont pleins d'allégories

 

Leur ciel ne connaît pas les oiseaux de passage

Mais leurs petits hôtels ont des gens de passage

 

Autrement tristes autrement seuls autrement voués

Dans leur vie même aux grandes nuits d'éternité

 

Ils écoutent distraitement les propos de leur hôte

Ils ont comme une lanterne sourde sous les côtes

 

Et c'est enfin l'allègement de l'escalier

Un corridor avec des portes extasiées

 

Mais dans la solitude à deux tours de la chambre

Le froid brutal et la tristesse de mes membres

 

II n'y a plus de petits arbres sur le remblai

II n'y a plus de signes sur la voie ferrée

 

Mais le mur nu la chaise en bois le pot d'émail

Ma vie et moi pour une revue de détail.

 


 

  

 

 

 

Les ides de mars

 

C’était le dix sept mars comme aujourd’hui

J’étais déjà à des kilomètres de Paris

 

Dans un petit bistro noirci comme un vieux pouce

Devant un café noir et une vieille femme très douce

 

Sur la table noircie un quotidien de la région

Plein de faux communiqués et de délations

 

Je n’ai pas envie de lire je regarde

Des affiches du temps de la marine à voile

 

Mais quelques grains d’un tabac rare tombent sur le journal

En quatre lignes la nouvelle incompréhensible et fatale

 

Max jamais plus ne répondra la messe à Saint Benoît

Le charpentier du village ne fera pas sa croix

 

On écrit qu’il est mort dans un Paris où il réside

Mais toujours l’assassin se choisit d’autres sites

 

Et c’est encore un dix sept mars en ce jour d’hui

Et je rentre chez moi parce qu’il est midi

 

Entre l’église et le charron quelqu’un m’arrête

Parce que la radio annonce la mort d’un poète

 

Un nom très grand un nom poignant comme l’Europe

Mémoire de Max O Jean Richard Bloch.

 


 

 

 

 

Les chiens qui rêvent...

 

Les chiens qui rêvent dans la nuit

Il y a toujours un poète qui leur répond par une petite lueur

Tirée comme un bas jaune sur une maigre lampe

Et l'on ne sait rien du poète

Et l'on se cache de ces chiens

Qui tirent sur leur chaîne comme s'ils remontaient

Du fond de la journée un seau lourd de ténèbres

Mais l'homme qui se tient penché sur sa jeunesse

Et la main répandue comme un trieur de grains

Reconnaît dans la voix confuse de ces bêtes

La diane doucement poignante du destin.

 


 

 

 

 

Interdit aux nomades

 

Le wagon rose orné d'un panier à salade

Qui tangue dans le soir comme un navire hanté

Ne s'avance aux à-coups d'une bête malade

Que par quelques enfants porteurs de brins d'osier

 

Mais la mère surveille en attendant son heure

Dans la craie du chemin la trace des enfants

Voici la ferme bienheureuse et cette odeur

De jacinthe mêlée à l'odeur du froment

 

Le cheval s'enhardit et la femme pénètre

Suivie des chenapans dans le chaud du pommier

J'étale tout sur le rebord de la fenêtre

Ma dentelle mon coeur et mes fleurs en papier

 

Comme si sur le tard d'une journée qui traîne

De toute la langueur insidieuse des champs

La fermière esseulée se faisait avec peine

A la nécessité d'un corsage voyant

 

Tandis que le nomade épris de solitude

Fier de l'autorité du maître et du mari

Dans un moment d'âpre grandeur que rien n'élude

Ecrase entre ses doigts des grains de tabac gris.

 


 

 

 

 

Merveilles de l'enfance

 

Le gamin assidu aux rossées de l'école

Qui craint le poing mauvais des valets d'écurie

Le débile et patient qui porte sur son col

Le lys d'encre infâmant des dernières furies

En revenant le soir sur les roues du village

S'avise en souriant d'une mythologie

Monde fermé ainsi qu'une tente de cirque

Quand sur le tapis d'or d'une piste sablée

Se distinguent une écuyère et un cosaque

Dont le veston est plein de cigares bagués

Debout sur un coursier dont le pelage évoque

Un matin d'Austerlitz et son soleil mouillé

Le vainqueur de huit ans salue ses camarades

D'un petit geste de la main apitoyé

Et souple comme on voit sur les cartes murales

La ligne bleue d'un fleuve entre les mont dormants

Il percute dans un tambour et se retrouve

Au milieu d'un tonnerre d'applaudissements

Tandis que tout au fond des métairies sans âge

Les garçons aux poings durs qui frappent au visage

S'apprêtent au sommeil mélancoliquement.

 


 

 

 

 

Aller simple

 

Ce sera comme un arrêt brutal du train

Au beau milieu de la campagne un jour d'été

Des jeunes filles dans le wagon crieront

Des femmes éveilleront en hâte les enfants

La carte jouée restera tournée sur le journal

Et puis le train repartira

Et le souvenir de cet arrêt s'effacera

Dans la mémoire de chacun

Mais ce soir là

Ce sera comme un arrêt brutal du train

Dans la petite chambre qui n'est pas encore située

Derrière la lampe qui est une colonne de fumée

Et peut-être aussi dans le parage de ces mains

Qui ne sont pas déshabituées de ma présence

Rien ne subsistera du voyageur

Dans le filet troué des ultimes voyages

Pas la moindre allusion

Pas le moindre bagage

Le vent de la déroute aura tout emporté.

 


 

 

 

 

Avec la langue des muets

 

Vers les années vingt-huit ou trente pour 18 sous

Le jeudi et parfois le dimanche après-midi

J'allais au cinéma

Dans un vieux couvent désaffecté

Quelque chose comme un café maure

J'allais m'asseoir sous le plafond

Tout à fait dans les plus hautes notes du violon

Et j'attendais

La jeune fille qui vendait des programmes m'attendrissait

Mais soudain le rideau rouge tombe à l'eau

Un grand voilier où il y a de drôles de numéros

On ne voit que le sabre aigu et le cou rouge

Et puis c'est une petite pagode qui bouge

Ou bien une fleur

Un personnage qui ne parie pas se tient au milieu de la rue

Une femme qui n'est belle que nue

Se déshabille

Et juste à ce moment

Lorsqu'à côté de moi les amoureux se taisent

Lorsque toute la salle est comme une petite lampe-pigeon à l'agonie

La pellicule claque

L'oiseau s'envole

Et le sommier du piano pousse un grand cri

La belle que nous n'allons pas voir s'est endormie.

 


 

 

 

 

 

Femmes d'Ouessant

 

Un soir de pauvreté comme il en est encore

Dans les rapports de mer et les hôtels meublés

Il arrive qu'on pense à des femmes capables

De vous grandir en un instant de vous lancer

Par-dessus le feston doré des balustrades

Vers un monde de rocs et de vaisseaux hantés

Les filles de la pluie sont douces si je hèle

A travers un brouillard infiniment glacé

Leur corps qui se refuse et la noire dentelle

Qui pend de leurs cheveux comme un oiseau blessé

Nous ne dormirons pas dans des chambres offertes

A la complicité nocturne des amants

Nous avons en commun dans les cryptes d'eau verte

Le hamac déchiré du même bâtiment

Et nous veillons sur nous comme on voit les pleureuses

Dans le temps d'un amour vêtu de cécité

A genoux dans la gloire obscure des veilleuses

Réchauffer de leurs mains le front prédestiné.

 


 

 

 

 

Si la neige du temps

 

Si la neige du temps demeurait sur la terre

Comme un garçon trop grand qui ne fait point exprès

D'être pâle et d'avoir dans le fond de ses poches

Une main que le vide des journées effraie

On aimerait au moins une fois dans sa vie

Retrouver sur la route à force de blancheur

La trace aventurée la démarche conquise

D'un printemps de soi-même étouffé dans son coeur

Je marcherais longtemps dans des rues de village

Dévorant à pas lents mes jours comme un viveur

Retrouve après vingt ans la soupe de famille

Dans un logis qui sent l'étable et la grandeur

Peut-être gravissant les paliers du chagrin

En un matin de bonne chance trouverais-je

La première étincelle blanche du destin

Mais le soleil qui brasse au-dessus des tonnerres

Le froment noir le sel amer et l'illusion

Eteint la neige à la surface de la terre

Qui meurt comme un été de ses constellations.

 


 

 

 

 

Je te prendrai

 

Veux-tu je te prendrai en travers de ma selle

Je te prendrai ou si tu veux te jetterai

Comme une bonne couverture de laine

Sur mon cheval Je te prendrai

 

Je te prendrai à ta famille

A la fenêtre où tu souris

 

Je te prendrai à ta coquille

Douce perle de la nuit

 

Je te prendrai comme un long bain qui se prolonge

Très tard dans les après-midi d'été

Dans un haut-lieu couvert de feuilles ma colombe

Je te prendrai je partirai

 

Je partirai sans rien savoir du paysage

Ni des forts d'automne traversées

La main posée sur l'encolure de ma bête

Comme un petit oiseau fâché

 

Je partirai pour mieux t'avoir à bout de course

Un matin dans la grande solitude des prés

Tu glisseras dans mes genoux comme une source

Je te prendrai je partirai.

 


 

 

 

 

Noël

 

Douce étable de la terre

Pas plus grande qu'appentis

On y met pelles et pioches

On y rentre les brebis

 

Dans l'auberge haute et large

A l'enseigne des rieurs

On dispute on se goberge

De volaille et de liqueurs

 

« Des draps blancs de quoi en somme

T'en payer toute la nuit

Tu rigoles mon bonhomme

Pourquoi pas poulet au riz »

 

Le Joseph le malhabile

Sa casquette entre ses doigts

« Donnez-nous ce soir asile

Ma femme ne va pas bien »

 

Cependant la neige tombe

Et par l'huis entrebâillé

Des étoiles d'argent nimbent

Le front blanc de sa moitié

 

« Pour la nuit ou bien pour l'heure

Nous n'avons place pour toi

Couchez-vous si ça vous chante

Dans l'étable qui est là »

 

Et du doigt désignant l'ombre

Il referme à double tour

Le battant de son auberge

Et la porte de son coeur

 

Mais la nuit malgré les rires

On entend bien des clameurs

Nom de Dieu ! dit l'aubergiste

Y a le feu dans ma demeure

 

Il bouscule la servante

Et s'acharne sur la clef

Dans la nuit la neige bouge

Comme feuilles de lauriers

 

Rassuré il se rapproche

De l'étable des rôdeurs

II voit double il se raccroche

Aux piquets de la clôture

 

Un enfant sur de la paille

Tout autour illuminé

Et les gens du voisinage

Debout près du monde entier.

 


 

  

 

 

Un homme

 

Un homme

Un seul un homme

Et rien que lui

Sans pipe sans rien

Un homme

Dans la nuit un homme sans rien

Quelque chose comme une âme sans son chien

La pluie

La pluie et l'homme

La nuit un homme qui va

Et pas un chien

Pas une carriole

Une flaque

Une flaque de nuit

Un homme.

 


 

 

 

 

Art poétique

 

Quand ce sera la nuit

Et toi tout seul dans une limousine

Quelque part sur une route de forêt

Quand ce sera nuit noire

O mon poète aie garde d'allumer tes phares

Appuie de toutes tes forces sur le champignon de la beauté

Sans rien savoir

Et sans souci du flot battant ton pare-brise

Enfonce-toi comme un noyé dans la nuit rageuse qui grise

 

Tu as perdu la direction

Le Nord l'étoile les feux de position

Et tu sens soudain un grand choc

Tu es couché tout près de toi dans la verdure

Tu es comme mille petits trous de serrure

Qui regardent dans ta tête éclatée

Les éléments épars de la beauté

 

Et qui viendrait te chercher là

Quand tu disposes de toi-même

Secrètement pour un destin

Qui ne peut plus te laisser seul

N'appelle pas

Mais entends ce cortège innombrable de pas.

 


 

 

 

 

L'idiot

 

Dans les profonds jardins des vieilles abbayes

Un soir que le soleil dans sa mélancolie

Ruisselle tristement parmi les tournesols

Ainsi que dans les tristes toiles de Van Gogh

Un soir de raisins mûrs de cloches balancées

A bout de bras comme un seau vide dans l'allée

On voit le long d'un mur encor chaud un vieil homme

Au visage d'enfant et pressant sur son coeur

Deux ou trois touffes de plantain souriant comme

Une épousée de dix-huit ans ou un noceur

Si limpide est son oeil son sourire si grave

Qu'on l'aime d'un seul coup et qu'on oublie qu'il bave

II est là avec sa main tremblante qui fait mal

Et sa pauvre coiffure de papier journal

On y lit « Réunion du Conseil des Ministres »

Et ça ajoute quelque chose de plus triste

A ce fantôme d'après-vêpres qui n'entend

Que le grignotement de sa montre en argent

Tout près contre son coeur intact et indolore

Qui bat sous le boîtier vermoulu de son corps.

 


 

  

 

 

A cette heure dans le monde

 

A cette heure dans le monde

Il y a peut-être une petite fille qui cueille des fleurs

Sur le bord de la voie dans un pays meilleur

Et dans un port de mer quelqu'un agite son mouchoir

Longuement comme un télégramme chiffré

Je pense à des automobiles chic

A un petit ruisseau plein d'écrevisses à Chavigné

A la dernière page d'un roman populaire

Un soir où le vent souffle

Je pense à cette petite gare perdue dans les bois

Où je ne descendrai jamais

A cette heure il y a

Des villas vides sur la côte

Et l'hôtel de la plage est couvert de fumée

Qui est fumée d'ennui ou fin d'une marée

II y a un château étrange dans la nuit

Et le vieux jardinier lit du Montépin en fumant doucement sa pipe

Il y a sur l'océan un transatlantique

Qui est comme l'arche de Noé

Mais le garçon des troisièmes classes regrette

La métairie de ses parents et les jours de grand'féte

Et les compétitions cyclistes dans les bourgades du canton

A cette heure dans le monde

Une fleur s'entr'ouvre

Un poète retrouve soudain la raison

Et l'aviateur qui croyait tomber

Dans la bouteille du soleil comme un ludion

Ivre se met à rire et dégrafe son col

Ah dans cette minute où je ne vieillis pas

Comment penser à autre chose qu'à toi

A tes seins de colombe

A ta bouche

A tes mains

A ta beauté bien faite

A tes longues jambes qui m'emportent

A tes caresses qui fleurissent

Chaque soir comme un lilas.

 


 

 

 

 

 

 

Trains de vie

 

Te souvient-il de la douceur des petits trains

Dans les pays de bords de mer entre les tamarins

 

Tu es en voyage avec ton père et tu regardes

Un collège de boeufs qui part en promenade

 

Tu es dans un bistrot près du mécanicien

A lui rafistoler les lignes de la main

 

Et tu songes tout bas à ta mère qui brode

Des jeux de lotos ou bien des pagodes

 

Mais Moulin-sous-Touvent et l'enfer de Verdun

Quand il y a des cassis-fleurs dans le jardin

 

Une lumière bleue aux agrafes de cuivre

Le Supplément du Petit Journal qui enivre

 

Et dans la chasse à courre de la tapisserie

Des yeux comme nous font les vieilles eaux-de-vie

 

Train circulaire des banlieues

Libère tes chauffeurs et renverse tes feux

 

Tu ne peux me mener plus loin que ton ancêtre

Qui paissait tristement le long de la banquette

 

Tandis que descendait entre les tamarins

Un enfant qui poussait les wagons d'une main.

 


 

 

 

 

Symphonie de printemps

 

O vieilles pluies souvenez-vous d'Augustin Meaulnes

Qui pénétrait en coup de vent

Et comme un prince dans l'école

A la limite des féeries et des marais

 

En un pays mené de biais par les averses

Et meurtri dans son coeur par le fouet des rouliers

 

Le lit défait du garde-chasse

Les chemins creux du monde entier

C'est là que je t'attends c'est là que je te veille

Printemps comme un chanteur des rues printemps pareil

A la petite lumière d'un vélo sur la route

Voici que le plus simple entre nous s'émerveille

D'avoir entre les mains un bouquet de jonquilles

Et l'oiseau qui dormait encore se souvient

D'une fenêtre au bout du monde

Peut-être que là-bas dans les terres perdues

Une jeune fille de famille toute nue

Se dresse à la croisée ouverte et se regarde

Dans un morceau de lune triste comme un parc

 

Peut-être bien que c'est ainsi dans les romans

Une grosse cloche avec le printemps dedans

Mon amour tu es là comme une herbe qui penche

Sa longue écriture douce sur la page

Et je lis dans tes yeux et tu peux bien baisser

Ta paupière pareille à du genêt mouillé

J'épelle à haute voix comme un enfant qui dort

La chaude et mesurée syllabe de ton corps

 


 

 

 

 

Le temps n'est plus

 

Derrière l'enfance il n'y a pas que des chemins

De sable où la roue d'un vieux break s'enfonce

Il n'y a pas que la maison du garde-chasse

Où le jeune homme du château s'arrête à boire

II n'y a pas que cette petite lumière qui clignote

Et Dieu sait si elle bat autrement que pour elle

Il n'y a pas que ces rendez-vous à jeun dans la mouillure

Un jour d'automne quand les vacances sont bien finies

Quand dans la demeure de l'employé vicinal

Dès six heures on entend la marmaille qui crie

Il y a maintenant derrière cette enfance

Qui n'a jamais besoin de savoir pour souffrir

De longs trains noirs vêtus de feu qui se pourchassent

Férocement dans les entrelacs de l'avenir

Et les enfants qui gardent en rêvant les vaches

Et tressent dans leur poing des nacelles de jonc

Ont peur soudain de cette machine qui passe

De tous ces gens alignés dans les couloirs du wagon

Avec ce teint doucement pâle du grand-père

Quand on l'a vu un jour de l'octobre dernier

Dans sa chemise au col à fleurs et les mains jointes

Sur un lit de pension descendu du grenier.

 


 

 

 

 

En liaison avec Max

 

Un car illuminé et personne dedans

Où est Monsieur Jacob criait le débitant

 

Et cependant là-haut dans la chambre de bonne

La lampe nuit et jour continuait de brûler

 

Si j'étais vous disait l'épicier du village

J'appellerais curé commissaire et gendarmes

 

On appela curé commissaire et gendarmes

Et la lampe toujours continua de briller

 

C'est l'heure où tu rentrais 105 rue Gabrielle

Non sans avoir salué ton honnête concierge

 

Il fait un peu plus noir et tu montes sans bruit

Comme un boiteux du Ciel les marches de la nuit

 

Tu es assis devant ton portrait par Toulouse

Au bord du Ciel qui est une grande pelouse

 

Sans écriteaux Tu oublies tout le Sacré-Coeur

Filibuth tes amis et Madame Lafleur

 

Et ne songes qu'à Dieu en toi-même invisible

Vingt fois plus invisible qu'aiguillée de fil

 

Tellement merveilleux et tellement présent

Que sans cesse tu nais de ce rapprochement

 

Et la lampe qui fait bouger ta maison rose

Nous accueille et nous ouvre à ta métempsycose.

 


 

 

 

 

Mourir pour mourir

 

Ce serait beau de s’en aller un soir de mai

Parmi les chevaux blancs et les joueurs de palets

 

Comme une photographie très ancienne qui glisse

De l’album sur un tapis de haute lice

 

Agé ou peu s’en faut de nonante dix ans

On aurait pour finir un de ces mots d’enfants

 

Qui meuble joliment maintes anthologies

« A vous de jouer » ou bien « finie la comédie »

 

Qu’en dites-vous Isodore Ducasse et toi Rimbaud

Dont le nom est un lys de sans sur un couteau

 

Et toi Laforgue et toi Corbière et toi Verlaine

Ah qu’en dis-tu Apollinaire en ce jour blême

 

De novembre dix huit quand sonne l’armistice

Bien sûr tu te tapes encore sur les cuisses

 

Tu ris tu as raison de rire tu sais bien

Que tu n’a s rien perdu en ne refusant rien

 

De cette joie unique et qui fait que l’on parte

Un soir au beau milieu de la partie de cartes.

 


 

 

 

 

Antonin Artaud

 

Avec tes yeux comme une sonnerie bloquée Antonin

Comme un printemps foutu

Avec tes mains

Tes mains sur les barreaux de l'asile Antonin

Tes mains sur les fils électriques

Sur l'espagnolette sur la poésie partout

Antonin partout

Tes mains sur ton front pressées

Sur tous les corps de jeunes filles

Sur la campagne de Rodez

Antonin la campagne

Tu pécherais dans la rivière

Avec une arbalète Antonin

Avec toutes les femmes

A même le bocal Docteur

A même

A même la poésie Antonin

Et pas de camisole

Pas de frontière

Pas de répit surtout

 


 

 

 

 

 

L'homme au képi de garde-chasse

 

La toile de Roger Toulouse qui inspira ce poème

 

Qu’est ce que je suis moi Pacifique Liotrot

Depuis qu'on a enterré les personnes du château

 

Un rien une clé perdue dans un massif

Un survivant des derniers feux d'artifice

 

Et le vieux garde-chasse en rond s'assied

Dans le soleil avec sa tristesse à ses pieds

 

Ce n'est pas d'avoir arrosé les glaïeuls

Qui le rendra ce soir un peu moins seul

 

Voilà vingt ans qu'il n'a pas bu de bon café

Mais de l'eau rouge sur des glands éclatés

 

Et qu'il dort comme un enfant d'asile dans un lit-cage

Entouré de vieilles photographies de mariage

 

Mais ce soir c'est plus fort que lui si l'air est doux

Si la sueur colle à la jointure de ses genoux

 

II est debout dans sa jeunesse et il s'habille

De velours vert avec des boutons qui brillent

 

Entendez-moi je suis Pacifique Liotrot

Je suis le garde-chasse du château

 

Qu'est-ce qu'il porte là dans ses deux mains brisées

Un cor de cuivre noir comme un poulet vidé.

 


 

 

 

 

Ecrire mais vivre

 

Est-ce que je sais seulement que j'écris? mais je vais

Au bout de ma vie comme d'une route mal percée

Toujours au bout crevant l'opaque pour mieux voir

Quoi ? Le dernier wagon du train du soir

Une fleur sur le bord du talus un enfant

Maigre qui recherche ses parents

Sans indice sans rien et qui croit au miracle

D'une maison rose avec des portraits de Jeanne d'Arc

Ah je suis bien toujours le même malgré l'âge

Et l'on peut soupeser à deux mains mon visage

Et l'on peut ausculter La cloison de mon coeur et son vieux papier peint

Rien ne répond à rien

Et je puis bien partir

Pour l'éternité avec un vieux sac de cuir

Comme en trimballent les bons curés et les saints

Les soirs de gel lorsqu'ils changent de patelin

Rien ne subsistera de moi dans votre Histoire

Pas même un invendu dans un kiosque de gare

Mais mon amour et moi nous avons notre histoire.

 


 

 

 

 

 

Le diable et son train

 

Clovis mon bel enfant qu’as-tu disait la mère ?

- Mère j’ai vu Satan Satan sorti de terre

 

- Diable en cette saison est ma foi fort troublant

Aurais-tu bu du cidre plus que ton content ?

 

- Je vous jure maman sur vous qui m'êtes chère

Je n'ai bu que sirop et gobelet d'eau claire

 

- Je te crois mon enfant tu auras trop couru

Et c'est ton coeur à vif au loin que tu as vu

 

- Je n'ai pas vu mon coeur mais des bassines rouges

Des flammes des serpents et un visage rouge

 

- Serais-tu point passé par les bords de l'étang

Sous l'aulne où le brûleur tient guérite au printemps ?

 

- O mère je connais l'odeur de l'eau de vie

Toute chaude et qui est comme un bouquet d'orties

 

Je ne suis point passé par le bord de l'étang

C'est venu d'un seul coup en travers de mon sang

 

Comme un fouet de ficelle et un tour de toupie

Satan c'était Satan mère je vous le dis

 

- Très bien ! dit le parrain qu'on m'apporte ma hache

Mais l'enfant s'envola dans des vêtements riches.

 


 

 

 

 

La cité d'Orphée

 

Ce n'est pas du côté des quais ni de la gare

Dis mon âme que tu vas prendre le départ

Et tu n'as nul besoin d'agent pour parcourir

Avant terme le réseau serré du souvenir

Tu arrives ce soir comme un cousin très éloigné

Sans prévenir avec su fond de ton panier

Sous l'odorante toile bise de ton âme

Des tas de bonnes choses comme une petite flamme

Qui brille là au milieu de la rue

La rue qui est semblable à une grande avenue

Ah certes tu ne vas point former cortège

Pour t'en aller de nuit vers ton ancien collège

Et si tu jettes un oeil sur les toits du Quai Hoche

Comment calmeras-tu ce sanglot dans ta gorge

Tu vas comme un naïf sans choisir tes quartiers

Tu trembles un peu tu es certain de réveiller

Dans la nuit des maisons et celle de ton âge

Le prisonnier de la rue du Bocage

- « Toc-toc Pardon Monsieur l'Infirmier

Je désire parler au soldat Jacques Vaché »

- « Un militaire de ce nom c'est bien bizarre

Attendez je demande à la garde malade...

De ce nom cher Monsieur il n'en fut jamais qu'un

Qu'on trouva mort en un hôtel place Graslin »

Alors j'interrogeai le fleuve et les pontons

Comme si j'espérais trouver André Breton

Ailleurs qu'en ma mémoire et ailleurs qu'en l'Histoire

Penché sur le flot noir comme sur un miroir

Allons me dis-je il faut passer le Pont-Rousseau

Et dormir dans les pierres dormir s'il le faut

Mais retrouver au moins et longtemps avant l'aube

Benjamin Péret ou bien son fantôme

Au chaud tenu le long du mur des abattoirs

Mais tout est terriblement quotidien ce soir

Rien ne répond lorsque j'adresse la parole

Et si tu me reviens mon cher Michel Manoll

Ce n'est plus comme nous l'espérions

Place Bretagne dans un décor d'illusions

De pigeons envolés et de marché aux puces

Nous descendons la vie dans un vieil autobus

Et c'est bien par hasard que nous nous rencontrons

Malgré l'ennui l'amour les cas de rébellion.

 


 

 

 

 

 

La nuit surtout

 

La nuit ! La nuit surtout je ne rêve pas je vois

J'entends je marche au bord du trou

J'entends gronder

Ce sont les pierres qui se détachent des années

La nuit nul ne prend garde

C'est tout un pan de l'avenir qui se lézarde

Et rien ne vivra plus en moi

Comme un moulin qui tourne à vide

L'éternité

De grandes belles filles qui ne sont pas nées

Se donneront pour rien dans les bois

Des hommes que je ne connaîtrai jamais

Battront les cartes sous la lampe un soir de gel

Qu'est-ce que j'aurai gagné à être éternel?

Les lunes et les siècles passeront

Un million d'années ce n'est rien

Mais ne plus avoir ce tremblement de la main

Qui se dispose à cueillir des oeufs dans la haie

Plus d'envie plus d'orgueil tout l'être satisfait

Et toujours la même heure imbécile à la montre

Plus de départs à jeun pour d'obscures rencontres

Je me dresse comme un ressort tout neuf dans mon lit

Je suis debout dans la nuit noire et je m'agrippe

A des lampions à des fantômes pas solides

Où la lucarne ? Je veux fuir ! Où l'écoutille ?

Et je m'attache à cette étoile qui scintille

Comme un silex en pointe dans le flanc

Ivrogne de la vie qui conjugue au présent

Le liseron du jour et le fer de la grille

 


 

 

 

 

L'envers du décor

 

Derrière le paravent du ciel n'est-ce

Pas qu'il y a des orangers en caisse

Et sur le sol un grand chapeau de jardinier

En grosse paille avec le fond troué

C'est tout à fait comme un soleil de fin d'hiver

Quelque part dans un vieux domaine désert

On pense à des cuisines fraîches comme la vie

La vie dans les quatre heures de l'après-midi

Et l'on voudrait monter dans la tiédeur des chambres

Lire auprès d'une jeune fille très tendre

Peut-être bien que ce serait le paradis

Les vieilles odeurs de terre de l'orangerie

On n'aurait jamais plus besoin de la mémoire

Les souvenirs viendraient comme une pluie du soir

Qui mouille à peine On resterait à regarder

Des mouches mortes et des poteries éclatées

Et tout su fond de soi mais maintenant très proche

On entendrait le bruit d'étoffe d'une cloche

Qui aurait mis des siècles et des siècles avant

D'animer les myosotis du paravent.

 


 

 

 

 

Les circonstances du drame

 

Je n'ai pas oublié

L'herbe qui tremble ni les russules mouillées

Les cycles démodés dans les soirs de lumière

Le givre sur les croix du petit cimetière

La chambre est haute et noire et la lampe Pigeon

Becquette tristement les graines du plafond

La nuit fait peur aux chiens

Tout au fond des campagnes

On entend comme un corps qui tombe une châtaigne

Et c'est l'éveil les coqs sanglants et les pandores

La guimbarde d'azur dans le même décor

Et l'effroi du matin dans le long corridor

Je me terre à genoux sous des tentures fraîches

Où c'est encor la nuit pluvieuse et me dépêche

De pleurer longuement avant de succomber

A l'appel odorant et trouble du grenier

Ah que faire du temps quand le temps s'accompagne

De toute l'insomnie jaseuse des campagnes

Et que faire de soi quand on n'a pas sept ans

Et que riche au milieu de ce rayonnement

On rêve à des puits d'ombre et des perles d'argent.

 


 

 

 

 

Ah! je ne suis pas métaphysique, moi...

 

Ah je ne suis pas métaphysique, moi

Je n'ai pas l'habitude de plonger les doigts

Dans les bocaux de l'éternité mauve et sale

Comme un bistrot de petite ville provinciale

Et que m'importe qu'en les siècles l'on dispose

De mon âme comme d'une petite chose

Sans importance ainsi qu'au plus chaud de l'été

Dans la poussière le corset d'un scarabée

Je prodigue à plaisir et même quand je dors

Il y a cette flamme en moi qui donne tort

A tout ce qui n'est pas cette montée sévère

Vers l'admirable accidenté visage de la terre

Je plonge dans ma vie une main de chiendent

Et c'est trop de bonheur lorsque de temps en temps

L'heure venue d'agir j'en tire la semence

Qui d'année en année prolonge ma patience

Ah tu verrais faner les ciels et les chevaux

O mon coeur sans que rien ne te semblât nouveau

Même dût-on mourir dans le frais de son âge

Rien que d'avoir posé son front sur un corsage

Et fût-il d'une mère on a bien mérité

De croire dans la vie plus qu'en l'éternité.

 


 

 

 

 

Pourquoi n'allez-vous pas à Paris

 

Pourquoi n'allez-vous pas à Paris?

– Mais l'odeur des lys! Mais l'odeur des lys !

 

- Les rives de la Seine ont aussi leurs fleuristes

- Mais pas assez tristes oh ! pas assez tristes !

 

Je suis malade du vert des feuilles et des chevaux

Des servantes bousculées dans les remises du château

 

-Mais les rues de Paris ont aussi leurs servantes

- Que le diable tente ! que le diable tente !

 

Mais moi seul dans la grande nuit mouillée

L'odeur des lys et la campagne agenouillée

 

Cette amère montée du sol qui m'environne

Le désespoir et le bonheur de ne plaire à personne

 

- Tu périras d'oubli et dévoré d'orgueil

- Oui mais l'odeur des lys la liberté des feuilles !