Cadou dessiné par Roger Toulouse.

Le Coeur définitif - L'Aventure n'attend pas le destin

Sommaire


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Titre

Dans la campagne dévorée
Destin du poète
Dans le train bleu
Comme un seul homme
maisons du destin (Les)
Derrière les enfants
bohémiens de la mer (Les)
Dans les hommes du soir
enfants de midi (Les)
Vers cinq heures du soir
vie et son oreille grise (La)
aventure n'attend pas le destin (L')
Rien ne se perd
Pour t'avoir pour deviner
Lettre a Jules Supervielle
Prière du convict
Que voulez vous ce ne sera jamais
Comme quelqu'un
Lettre en franchise
Rochefort sur Loire
Si ma raison
paroles de l'amour (Les)
Adieu à Gandhi
Encore l'enfance
Bürger
poètes du dimanche (Les)
fausse monnaie (La)
Traduit de l'amour
Je me souviens de voyages
enfant de la balle (L')
enfant prodige (L')
jardin du juge (Le)
enfance et autres lieux (L')
édredon rouge (L')
Comme un Christ de Gauguin
auberge (L')
Encore une lettre a Max
jeune homme à la médaille (Le)
Louisfert
Mon Dieu cela m'arrive
venue de Guillaume (La)
femme à l'enfant (La)
homme au tablier de boucher (L')
jeune homme de l'hospice (Le)
dernier homme (Le)
Comme un cri long de paysan
nuit protège les enfants (La)
homme de Jean Lurçat (L')
Quelque part et plus loin encore
Christ étendu (Le)
enfants ont tort chez les hommes (Les)
Venue d'un autre
Roger Toulouse
Noël
voyages forment la jeunesse (Les)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Destin du poète

 

Le soir qui bouge son oreille

Comme un vieil âne abandonné

Le dernier corset d'une abeille

Oublié sur la cheminée

La cloche triste de l'asile

Et le pas qui répond au pas

Dans la mesure où ce qui veille

Encourage ce qui n'est pas

L'oiseau qui tombe sur la pierre

Le sang qui tombe sur le coeur

La bonne pluie des réverbères

Qui donne à boire au malfaiteur

Le trou d'aiguille par où passe

Le fil ténu de la clarté

La bobine du temps qui roule

Sous les lauriers sous les sommiers

Mais se savoir parmi les hommes

En un présent aventureux

Une petite lampe à huile

Qui peut encor mettre le feu.

 


 

 

 

 

Dans la campagne dévorée comme une prune...

 

Dans la campagne dévorée comme une prune

Dans les corridors à la chaux de l'été

Le long des fermes qui respirent

L'aisselle fraîche des sentiers

Sous le chaudron renversé de l'orage

Sous l'aqueduc illuminé du paysage

Sous l'abat-jour de tuiles douces

Et plus loin encore de soi-même

Une lumière qui descend

Entre deux têtes hauturières

La nappe d'huile du couchant

Ce monde infime sous l'écorce

Qui se met soudain à peupler

Les mains tendues les bouches noires

Les yeux en peine de pleurer

Je ne vis que pour quelques feuilles

Quelques oiseaux qui seraient là

Sur la margelle de l'histoire

Témoins de nos tristes combats

Et siffleraient nos fausses gloires.

 


 

 

 

 

Comme un seul homme

 

Les grands pays qui n'ont plus cours

Le ciel plein des ressorts usés de la tempête

L'immeuble dévasté par les vagues du jour

Dans le moment soudain de la tristesse

Dans la confrontation décisive des mains

Un regard d'un bleu d'abîme qui me pénètre

Une poussée un peu à gauche du chemin

Mais toujours le retour serré du coude à coude

Cette marche à long terme où je ne puis doubler

Ce triste compagnon sans cesse à mes côtés

Il serait bon d'aller tout seul de porte en porte

Comme un courrier qui met longtemps à parvenir

On dormirait avec des chiens entre les jambes

Pour rien

Pour simplement s'empêcher de sourire

Et s'assurer qu'on est bien là

On oublierait de respirer

On laisserait monter la soupe de l'espoir

On serait fort comme un seul homme.

 


 

 

 

 

Dans le train bleu...

 

Dans le train bleu qui roule à vide

Quelque part dans le matin

Au petit hôtel de la plage

Abandonné de la Toussaint

 

Le long d'un fleuve large et triste

Sur les canaux de la banlieue

Dans la ruelle qui résiste

A l'air qui monte mélodieux

 

Au fond d'un entrepôt de rêves

Et plus loin encor sur les claies

D'un soleil rouge qui soulève

Un ménage de roitelets

 

Je me sens vivre je dépare

La pauvreté de cette vie

Je suis riche comme un avare

Qui n'est riche que d'autrui.

 

 


 

 

 

 

 

Les maisons du destin

 

Il y a des maisons dont je n'approche guère

Que par un mouvement timide de la main

Comme s'il s'agissait d'un cheval de barrière

Habitué à des caresses de forain

Des maisons qui n'ont rien pour elles que des portes

Toujours béantes sur la tartine d'un enfant

Et des étages aux lingeries désespérantes

Que ne parvient à regonfler un maigre vent

J'écoute avant d'entrer le bruissement de pierre

Que font au bord du ciel ces maisons du destin

La pluie d'avril ne chante pas dans les gouttières

Bouchées par un caillot de sang gros comme un poing

Une femme en cheveux qui n'a que sa tristesse

Au-dessus de la rue penche pour y tomber

Le ciel vacille avec des lueurs de lampe à graisse

Très loin parmi de hautes cheminées

Et je monte en tremblant une marche après l'autre

Ainsi qu'un affamé domestique sa faim

Ce soir j'ai du salpêtre sous les côtes

Eblouissant comme une étoile de chagrin

Et je veille avec vous cette ville dormeuse

Enroulée mollement dans la fumée des trains

Tandis que sous le front glacé d'une veilleuse

S'insinue un peu plus de désespoir humain.

 


 

 

 

 

Les bohémiens de la mer

 

Dans les petites ruelles de la mer

Au bord du terrain vague où naît le chardon bleu

Quand l'âne du couchant se met à braire

Quand le premier falot glisse son oeil de verre

Sous les cils du genêt vers un pays brumeux

Des enfants qui n'ont rien pour eux que leur visage

Et l'allégresse à peine humaine des pieds nus

Sur le pavé des mers brûlant de coquillages

Et lourd comme l'été d'une grande avenue

S'en vont porteurs à deux d'un trésor de voyance

Et debout sur le banc de la barque volée

Comme si le sommeil augmentait la distance

D'un long jet de salive accuse leur beauté

Mais très tôt fatigués par cet effort qui n'aime

Malgré tout son bonheur être renouvelé

Les deux enfants voleurs accusés par eux-mêmes

S'endorment dans la barque où nul n'a navigué.

 


 

 

 

 

Derrière les enfants...

 

Derrière les enfants qui ferment les villages

En revenant le soir par bandes de couleur

Derrière le chemin où le cheval s'engage

D'un pas qui fait fuser les éclairs de chaleur

 

Il est des rues jetées à tâtons dans les villes

Comme un tramail aux mains aveugles du pêcheur

Des ruelles abhorrées par les sergents de ville

Qui ne sauront jamais la grâce des flotteurs

 

Il suffit d'un front bas comme un devant d'auberge

D'un chien maigre étouffé dans le fond d'une cour

De l'estampe noircie qui plait à la concierge

Par toutes les journées qui sont gravées autour

 

Il suffit d'appuyer doucement son épaule

Contre ce mur de fer qui respire tout bas

Pour qu'au tressaillement mystérieux de ses côtes

On devine une vie terrible qui n'est pas

 

Seulement la palpitation de cinq étages

Le remugle de sang dans le trou d'un évier

Mais la complète indifférence des otages

Pour une inadmissible et proche liberté.

 


 

 

 

 

Dans les hommes du soir...

 

Dans les hommes du soir qui traversent les fermes

Le pichet à la main comme un courant d'air frais

Dans la femme citée entre toutes les femmes

Qui pose sur la pierre une jatte de lait

 

Dans le ciel entouré d'un globe de faïence

Où s'avive le sang d'un coq peinturluré

Dans la tête du boeuf qui noie avec patience

Les poissons invisibles de sa destinée

 

Dans les noeuds de bois dur qui portent avec l'âge

L'amour des grands-parents et le bleu couvre-pieds

Dans tout ce qui fait battre à petits coups l'horloge

Et se mire dans l'œil majeur du balancier

 

Il est une raison éternelle de croire

Par-delà les moissons et les calendriers

A la grandeur des jours bornés et sans histoire

Qu'on dispose le soir comme un peu de fumier

 

En tas non loin du seuil et dont l'odeur tranquille

Sans souci d'éveiller des horizons marins

S'insinue lentement au travers des poitrines

Comme une certitude épaisse de bons grains.

 


 

 

 

 

Les enfants de midi

 

Le village à midi n'empêche pas les mômes

De tracer sur le sol de grands signes d'argent

La ferme l'écurie et l'avant du navire

Ni la cruelle application de l'indigent

Qui devancé par mille mains dans son délire

Edifie en ses yeux un monde transparent

Les capsules de fer qui rouillent dans les flaques

Où l'huile des moteurs met des soleils mouillés

Les déchets de cuir souple à l'entrée de la porte

Parmi les mégots bleus et froids du savetier

Mais les craies de couleur qui prolongent les fleuves

Et sur 1e tableau noir un instant surpeuplé

S'attachent des pays dont le nom de saveur

Agace un peu les dents comme un acidulé

L'enfant qui pense à tout se saisit dans son rêve

Comme s'il le savait pour toujours habité

De ces merveilles-là qui naissent du soleil

A midi sur le bord des villages d'été.

 


 

 

 

 

 

Vers cinq heures du soir...

 

Vers cinq heures du soir dans le chaud des villages

Quand la place ronronne autour des marronniers

Imperceptiblement on voit bouger des portes

Comme un paquet d'anguilles au milieu des osiers

 

Le moment d'un bras nu la salle haute et large

Aux murs cicatrisés comme un genou d'enfant

Respire à petits coups on dirait une bête

Poursuivie et brisée d'avoir couru longtemps

 

Mais l'homme s'enhardit à nommer la servante

Qui délaissant pour lui de criardes coutures

S'élève lentement dans les bassins de cuivre

Comme déshabillée de ses peines futures

 

Le verre à moitié plein l'homme aux bras nus se penche

Du pouce sur le bois épais du cerisier

Je connais la raison obscure de ces planches

Et le velours du temps sur le vieux mobilier

 

Il oublie qu'il a soif et que la fille est belle

Que le plafond jauni ajoute à sa grandeur

Comme quelqu'un ayant trop bu qui se rappelle

Il s'enfuit sans payer vers la grande chaleur.

 


 

 

 

 

La vie et son oreille grise

 

Dans cette vie qui montre son oreille grise

Comme un vieil âne au front toujours dissimulé

Le temps passé qui s'amenuise

Les fantômes d'une autre année

Mais malgré tout l'odeur fouillée de cette enfance

La Lucilline au nom d'épouse et de voyance

La morue sèche les gaufrettes et le riz

Il n'est rien de ce temps comme une source avare

Et mille fois comblé par les cailloux du temps

Que je veuille oublier qui ne me soit plus rare

Que le premier fruit mûr détaché du printemps

Ni la femme choisie entre toutes les femmes

Pour sa bonté pareille à un genou d'enfant

Ni l'inquiète raison de se savoir une âme

Ballottée sur les lambris vagues du couchant

Ni rien de plus têtu qu'une main qui émerge

Lentement du matin comme un bonheur des eaux

Rien ne peut m'éveiller chaque jour à moi-même

Plus sûrement qu'un jonc brisé de mon berceau.

 


 

 

 

  

L'aventure n'attend pas le destin

 

Peut-être bien

Que tout au bout de cette vie il n'y a rien

Que c'est comme le dos du mur de l'hospice

Des détritus

Ou trois cents mètres de précipice

Dans la glaise du temps difficile à manier

L'Ame fait un tout petit peu de fumée

Il y a l'herbe l'os blanchi et le vieux casque

La cinquième roue d'une destinée restée en panne

 

Dressé sur le hors-bord qui fourrage la nuit

Il reste malgré tout l'espoir d'une aventure

Le goût sur et salé d'un matin de printemps

Quand dans le soubresaut félin de la voilure

S'insinue la caresse immédiate du vent

 

On est porté plus loin que son épaule même

Immergé comme un boeuf au beau milieu des eaux

On a soudain du caractère et l'on s'élève

Miraculeusement à son propre niveau.

 


 

 

 

 

Rien ne se perd...

 

Rien ne se perd

Et quel secret

Dans le matin trop neuf de la mémoire

Sur la route à grands pas que rien n'encombre

A l'envers du fossé

Et peut-être couché comme bête promise

A la corde au couteau et au poing du boucher

Le même individu différent de lui-même

Inaugurant sans cesse une morne statue

 

Je me reconnais bien à force de mensonges

Et par le porche ouvert d'une grande avenue

Je m'accueille en pleurant comme un enfant qui ronge

Un ennui délicieux comme une pomme sure

 

Je sais que toute nuit enfonce sous mes tempes

De longs trains désolés insoucieux des gares

Que rien n'est merveilleux comme une pauvre lampe

Dans la boutique étroite et dorée du hasard

 

Mais je crois à des temps suffisamment faciles

Et légers à la main comme un vol de chevreau

Pour qu'un homme habitué aux plus simples miracles

S'étonne de se voir couronné à nouveau.

 


 

  

 

 

Pour t'avoir, pour deviner

 

Pour t'avoir là dans la maison

Comme une étoffe toujours blanche

Et sans souci des lunaisons

Te caresser le long des hanches

 

Pour deviner ta jambe nue

Comme un soleil d'été qui traîne

Dans le ruisseau d'une avenue

Un matin de tristesse humaine

 

Pour ne savoir te désirer

A chaque instant dans chaque femme

Pour t'aimer comme un beau cheval

Dans la rue pleine de passants

 

Pour soulever dans ton sourire

Un ciel d'automne ses pommiers

Pour balayer d'une main large

Les flocons noirs du souvenir

 

J'ai retrouvé tout mon courage.

 


 

 

 

 

Prière du convict

 

Derrière les murs et derrière la prison

Mon Dieu il y a peut-être des gens qui s'en vont

 

Parmi les rues tranquilles des gens tranquilles

Avec leur petite vie au bout d'une ficelle

 

Mon Dieu est-il possible de croire encore

Derrière ces murs à tout l'envers du décor

 

Je vis là je ne sais pas depuis combien d'années

Depuis le temps j'ai bien le droit de m'en aller

 

D'aller voir entre deux sanglots ce qui se passe

Dans la petite chambre à papier bleu qui est sûrement en face

 

Depuis le temps j'aurai fini par oublier

Pourquoi je suis un homme et pourquoi je suis né

 

Et je me traîne à quatre pattes dans ma cellule

Pour ne pas entendre au fond de moi cette bonté qui hurle

 

Et ce n'est pas ma faute si j'aime encore les enfants

Comme une pomme qui agace un peu les dents

 

O Vous ne soyez pas de l'autre côté des fenêtres

Approchez-vous de moi quand le gardien pénètre

 

Approchez-vous et parlez-moi comme un enfant

Qui parle seul à un enfant.

 


 

 

 

 

Lettre à Jules Supervielle

 

Je pense à vous ce soir Jules Supervielle

Je pense à vous et c'est l'automne en ce pays

C'est toujours à tort que l'on parle l'amour en tête

Mais je vous parle Jules Supervielle

Entre nous de longs enfants des filles de préférence

 

De grandes journées en Uruguay

Les flammes de la pampa

 

Je pense aussi à Oloron le gave lèche les pierres

J'y fus voici combien d'années

C'était à la Maison Pommé

Il y mourait des jeunes gens

 

J'aime ces pays dont vous parlez et qui ont l'allure des femmes

On dit que les chevaux s'emballent

Comme un foulard à la portière du wagon

 

Pardonnez-moi Jules Supervielle je devais écrire un article

Où j'aurais dit la grande la douce solitude de vos écrits

Et je me laisse soudain aller à quelque chose d'informe comme un poème

Simplement parce que j'ai vos livres sous les yeux et que je vous aime

 

Ah voyez-vous c'est difficile de s'interdire

Dans cette vie quelques minutes de loisir

Et de parler à cœur ouvert à un ami qui vous ignore

 

Comme on peut avec les ridicules moyens du bord

 

Je me suis dit ce soir après l'école ne tarde pas

Il y a un ami qui t'attend

Il est là-haut dans ta chambre avec toutes sortes d'animaux

J'entendais un grand pas partout dans la maison

Et vous marchiez peut-être à ce moment dans la rue Vital

Ou dans un chemin creux de Saint-Gervais-la-Forêt

Qui est sûrement un patelin merveilleux

 

J'ai dit parlant aux ombres qui voyagent

Voici la pomme et la statue

Et voici Jules Supervielle

Ah vous voici cher Supervielle dans le miroir à peine éclos de la fenêtre

Ecartelé avec ce monde qui bat en vous sur le côté

 

Voici Jules Supervielle dis-je et dans la certitude obscure de demain

Enfin voici un grand bonhomme sur le chemin

Une silhouette jeune comme le vent et la luzerne

Voici la haute lanterne là-bas dans le domaine du cheval

Voici l'auberge le rendez-vous de tous les jours et le festin le plus original

 

Ah Saisir Et rien n'échappe à ce grand corps qui se redresse

Aussi haut que la pomme et le sein des déesses

 

Dans l'étendue lunaire et sans spectacle

A vous seul comme vous en faites des miracles

 

Bien sûr vous n'attendiez rien de moi

Car l'on n'attend rien de personne

Je vous écris depuis longtemps

C'est un bonheur de vous écrire

 

Il semble un peu qu'on se rapproche de ces pays qui n'ont un sens qu'à travers vous

On marche aux pas des animaux faciles

Parmi tous les amis connus et inconnus

 

Il y a celui-là si grand qui nous rassemble

L'homme pareil à l'Homme

La troublante effigie

 

Et malgré tout je n'ai rien dit de mon amour Jules Supervielle.

 


 

 

 

 

Que voulez-vous...

 

Que voulez-vous ce ne sera jamais l'automne

Comme il est dit dans le vieux livre des marais

Avec de grands oiseaux barioleurs et des tonnes

De lettres mortes à la surface des guérets

 

Ce ne sera jamais amarrée en bordure

Du ponton silencieux et morne des forêts

La nef hautaine et ses cabines de dorure

Où gît dans les rayons un calme roitelet

 

Mais rien qu'un monde plat mené par l'attelage

De deux grands boeufs du ciel décidément noyés

Pour toujours dans la marne épaisse d'un feuillage

Ignorant la caresse étroite du bouvier

 

L'automne en ce pays ne sera pas l'automne

Malgré les longs enfants qui reviennent le soir

Tout en jonglant avec des livres ou des pommes

Dans le creux d'un chemin triste comme un trottoir

 

Il manque à la raison trop sûre d'être belle

La perle de banlieue qui tremble d'être là

Contre la vie ou bien la joue de demoiselle

La paupière baissée et mauve du lilas.

 


 

 

 

 

Comme quelqu'un...

 

Comme quelqu'un qui va tout seul sur la grand'route

Avec un souvenir atroce dans les bras

Pendulette à sujet ou glaneuse de bronze

Qu'il craint d'ensevelir en trébuchant trop bas

Comme quelqu'un et c'est le soir dans les fenêtres

Le dahlia envahit le jardin de banlieue

La femme se recoiffe et la beauté pénètre

Comme un peigne d'argent dans le bleu des cheveux

Je marche sans savoir vers des lunes soudaines

Qui ne connaîtront pas le repos du pécheur

Je serre dans mes bras ainsi qu'une ombre vaine

La pendulette ou la glaneuse de mon cœur

Et je presse le pas comme si de la ville

Accusée par des murs et par des poings d'enfant

De cette ville proche et dont je sens l'haleine

Toute chaude et pareille à un genou saignant

 

M'arrivait dans le dos une pierre mauvaise

Un coin de fer qui durement pénétrerait

Dans le clair de ma vie entre mes deux épaules

Puits de sagesse qui ne tarirait jamais.

 


 

 

 

 

Lettre en franchise

 

La nuit la solitude et le temps ont beau faire

 

Nous marcherons toujours sur le même chemin

Enlacés comme deux ivrognes ou deux frères

Parmi les marguerites les passants les réverbères

Parmi les menteurs et parmi les lilas

 

En ce moment je pense à toi

Hélène lit comme un berger

Sous le parapluie de la lampe

Du côté de Rosny-sous-Bois

Un noyau de clarté très tendre

 

Comme un vaisseau penché une oreille attentive

Je tends vers un pays qui ne peut supporter

De solitude que la nôtre

Je vis dans un matin égayé par ton pas

Dans le bruit de tes vers qui passent dans mes vitres

Comme une main d'enfant qui bat

Contre le ciel qui va trop vite

 

Et je n'ai pour te retrouver

Toujours pareil à ton image

Qu'à soulever un coin du vent

Et les tentures de l'orage.

 


 

 

 

Si ma raison vaut par les feuilles...

 

Si ma raison vaut par les feuilles

Qui parlent bien quand on les aime

Si j'appréhende les oiseaux

Dans les frimas de l'amour même

 

Si je suis sûr de mon galop

Comme un coursier qui voit paraître

Au bout du monde le sourire

Ou la tristesse de son maître

 

Si j'entends bien que l'on me rende

Au centuple ma liberté

Dans un matin de délivrance

Bouclé d'enfants aventurés

 

Si je suis nu comme une averse

Dans une salle blanche et bleue

Qui tremble de toutes ses portes

Lorsque le cœur s'agite un peu

 

Si je dérobe à mon histoire

Sa vérité sa pauvreté

C'est dans l'espoir de m'habituer

Jour après jour à mon espoir.

 


 

 

 

 

Rochefort-sur-Loire

 

Juillet comme un beau soir dans un jardin sablé

L'auberge la fumée les quinquets de la gare

On n'a pas rétabli les deux ponts sur la Loire

Mais on a bien gardé celui de la mémoire

Et tu marches là-bas parmi les oseraies

Traînant derrière toi ton unique village

Ses faces de buveurs ses chevaux son clocher

L'ardoise du poète et l'absinthe sauvage

Qui nous attend sur le comptoir de l'amitié

Te souviens-tu de ta maison et du passeur

En cotte bleue et qui fumait des cigarettes

Mouillées Te souviens-tu de Béhuard cette cloche

Qui nous battait le cœur comme une aile brisée

Le bruit vague de l'eau la collégiale rose

D'un ciel qui se mourait de son immensité

Nous chantons sur la route et déjà se dessinent

Les bocaux jaune et vert de ta maison hantée

Emmène-moi dans la vallée vers la demeure

De Marie-Cécile en Saint-Aubin-de-Luigné

Que j'y retrouve et que j'y boive ma jeunesse

Fraîche et joyeuse dans un décor du Douanier

Allons dîner dans cette échoppe des poètes

Pleine d'enfants et de graillon qui perpétue

La tradition Amenez-moi les meilleurs crus

O mon ami je bois à une obscure fête

A nos vingt ans qui ne sont plus

Et qu'importe après tout Nous remontons la pente

Très tard en titubant derrière les cyprès

La lune est triste et basse et ne fait point exprès

D'éveiller sous les toits des ombres odorantes

A la Haie-Longue ils sont couchés depuis longtemps

Ceux qui font de la soif et des pensées des gens

Un vin blond qui mûrit comme gel les oreilles

O plaine immense sous nos pas errantes lueurs

Qui fulgurez en queue des trains qui n'êtes pas

Notre lumière et toi Garnier qui te lanças

Avec tes bras de toile de cette hauteur

La chambre du poète et la Bibliothèque

Les lilas du clocher qui ne sont pas éteints

Qui flambent si on attise nos cigarettes

Cette nuit-là vers les quatre heures du matin

 

Mon vieil Ami j'ignore tout de notre histoire

Et ne veux point savoir si tu as dans les mains

Autre chose qu'un peu de soleil illusoire

Mais je te tiens et me souviens.

 


 

 

 

 

Les paroles de l'amour

 

Toute ma vie et c'est bien peu si l'on regarde

Avec des yeux d'avant la Terre la lucarne

Où s'égosille un ciel de crin qui n'en peut plus

D'être beau de travers et de porter ombrage

Au plus dévoué au plus sincère des visages

Toute ma vie pour te comprendre et pour t'aimer

Comme on se couche à la renverse dans les blés

En essayant de retrouver dans le silence

L'alphabet maladroit d'un vieux livre d'enfance

Je m'entoure de toi comme un enfant frileux

Je pars je suis en route depuis des siècles je

T'arrive un matin beau comme un matin de chasse

Tu ne sais pas que je suis là et je me place

Tout contre toi comme une porte mal fermée

Qui boit son lait et qui respire doucement

Je te regarde et tu souris sans mouvement

D'un sourire venu de plus loin que toi-même

Qui fait que tu es belle et qui fait que je t'aime.

 


 

  

 

 

Encore l'enfance

 

Mon Dieu c'est peut-être parce que je suis toujours avec les enfants comme l'un des leurs

A leur disputer leurs secrets leurs sanglots et leurs craies de couleur

 

Je pense à un jardin profond et tout en demi-teintes

Avec des gueules-de-lion et du désespoir-du-peintre

 

Je marche en écoutant mes pas dans les allées

L'air sent le soufre de la treille et les fruits éclatés

 

Et très loin dans le fond parfumé des villages

Le ciel fait boire au fond des yeux son attelage

 

De bêtes lourdes et comme ensanglantées

Par les coquelicots et les griffes du blé

 

C'est un dimanche après-midi comme les autres

Avec des bonnes gens en habit sur la route

 

Et mon père qui lit tristement son journal

Enveloppé dans des fumées de caporal

 

Ordinaire C'est ici que je sens battre

Mon cœur comme un volant d'une machine à battre

 

Et c'est encore ici qu'en moi-même dressé

Je m'épouvante d'un moment d'éternité.

 


 

 

 

 

Mahatma Gandhi

 

Mahatma Gandhi

Un nom comme les marchands d'oranges en crient

La bouche maigre et de travers

Quelque part dans une banlieue sud

 

Tu as l'air d'un vieil explorateur retrouvé

Après cent ans dans un désert

Souriant le cheveu rare et le nez surmonté

D'une monture sans les verres

 

Tu es dans une case tout seul

Avec ton peuple Tu regardes

La terre nue et les moisissures de ta soupe

 

Vingt fois le soleil a passé

Comme une lettre sous la porte

Que tu n'as point décachetée

 

Le riz fait battre les rizières

Et la semence du coton

Gonfle le coeur de l'indigène

 

Un jour enfin l'aube se lève

Sur tes enfants réconciliés

Tu ne sens plus tes membres las

Tu es debout comme un jeune homme

 

Qu'on vient tantôt d'assassiner.

 


 

 

 

Bürger

 

Gottfried August Gottfried August le jardinier

Pressez on vous demande à la porte d'entrée

 

Déjà dit le jeune homme en tremblant le jeune homme

Relevant d'une main ses cheveux sur les tempes

 

A la porte d'entrée il n'y avait personne

Qu'un peu de vent léger qui balançait les branches

 

Mon Dieu mon cher patron vous m'avez bien berné

Je n'ai vu que le ciel et le bout de mon nez

 

Mais dès le lendemain et longtemps avant l'aube

Le jeune homme partait les deux mains dans ses poches

 

Et sans savoir pourquoi se mettait à siffler

Comme on taille un bâton noueux de noisetier

 

Avec au fond de lui quelque chose comme

Un neuf d'autruche un coeur d'enfant ou une pomme

 

Qui le menait du côté gauche et lui tirait

La jambe comme les lanières d'un harnais

 

Las ! ce ne sont point les bistrots de Göttingen

Qui jamais me feront la vie un peu moins triste

 

Je roulerai comme un torrent entre les tables

Pour m'affaler contre la porte d'un notable

 

Ah Gottfried ce n'est pas ça qui te rendra

La brume douce qui glissait entre tes bras

 

L'été de ta jeunesse où tu n'étais encore

Que le sage employé Gottfried August Bürger

 

Bourgeois vous ne voyez en moi que le scandale

Lorsque je suis à la recherche de Sa sandale

 

Aérienne, ivre et fou et pleurant tête nue

Comme on s'obstine à rechercher la clé perdue

 

O Leonore la clé de ta chambre secrète

Qui scintille à mon doigt comme un anneau parfait.

 


 

 

 

 

Les poètes du dimanche

 

Croyez-moi je vous aime bien mes doux poètes

Qui écrivez des vers comme on soigne les bêtes

Dans les faubourgs du ciel là-bas où ce n'est point

Une allumette dans une botte de foin

Mais à perte de vue mille et mille blessures

D'astres dans le côté gauche de la nature

Tu es dans la cuisine rouge de l'ennui

Avec des cuivres rouges et des panoplies

Des photos pâles des billets de bienfaisance

Entre des fleurs en cellulose et des faïences

Tu as près de soixante-dix ans et tu nais

A chaque battement nouveau de ton poignet

D'une rime sonore et guère originale

Comme tu en lisais à l'Ecole normale

Les soirs d'étude où le vent maigre se glissait

Sous la porte comme une lettre de cachet

Tu te souviens de bords de l'eau et tu t'amuses

A des allégories de l'Almanach des Muses

A des sonnets parfaits comme un arpent d'été

Qui font songer aussi à ce vin récolté

En cette année inoubliable du poème

Qui disait la folie de ta femme et le même 

Sursaut d'angoisse que tu éprouves ce soir 

En face de ce vers impossible à traduire.

 


 

 

 

 

Traduit de l'amour

 

Il est des souvenirs bavards qu'il faut noyer

Tout de suite dans un morceau de grosse toile

Au plus creux de la mare avec un gros caillou

Que ça touche le fond sans faire de remous

De tous mes souvenirs - que Dieu me le conserve –

Un seul flotte sur l'eau comme un blanc nénuphar

Au détour d'une rue coupée par les averses

Un soir d'automne ou de décembre quelque part

Dans une ville triste et lourde avec des femmes

Ensanglantées sous la lumière des trottoirs

La seule aux pieds d'enfant qui marche comme on danse

A dix ans dans les cours d'école d'autrefois

En jetant vers le ciel des écorces d'orange

Qui brillent si dangereusement sur le toit

La seule et retrouvée après tant de voyages

Quand on a descendu et promené ses malles

Cent fois dans le corridor mauve du chagrin

Mais tu m'arrives de plus loin que ma mémoire

Toute luisante comme un pêcheur de goémon

Qui fait signe d'un bout à l'autre de la plage

Et si j'approche m'appelle de tous les noms

Des noms d'avant la nuit qui sont au creux des vagues

Comme les chardons bleus le long des terrains vagues.

 


 

 

 

 

La fausse monnaie

 

Pourquoi m'avoir appris à ne plus me passer

De la vie comme d'une pipe bien tassée

Qu'on fume dans la nuit tout seul sur une plage

En écrasant sous son talon des coquillages

Roses et les ressorts du goémon

 

Ce n'est pas d'avoir vécu dans les grands halls

Parmi de pauvres gens et des têtes de guignol

O mon Dieu et ce n'est point d'avoir perdu

Toutes les courses avec quelques autres en plus

Qui fasse que je sois ce soir à la fenêtre

Généreusement abandonné comme la main d'un prêtre

 

Je pense à ces années d'avril et c'est navrant

Tout ce feuillage avec si peu d'oiseaux dedans

 

Et si je jette un oeil par-dessus mon épaule

O mon Dieu qu'est-ce que je vois dans la rigole

 

Ah pourquoi pourquoi

Quand c'est été si simple

Pour éviter toute émotion

De me retirer tout de suite de la circulation

Comme une fausse monnaie.

 


 

 

 

 

Je me souviens de voyages

 

Je me souviens de voyages

Comme un wagon abandonné

 

Après faillite et compagnie

Dans la campagne abandonné

 

Avenir lui chantent les seigles

Et les tremblantes graminées

Lui font couronne de folie

 

Mais je me souviens de voyages

Et de peuplades rencontrées

Sur de bien sinistres rivages

Dans les banlieues le long des quais

 

J'ai connu des fenêtres mornes

Où séchaient des combinaisons

Pâles ainsi que les personnes

De mauvaise constitution

 

Je revenais dans les six heures

Avec des femmes qui n'avaient

Pour satisfaire à leur bonheur

Que les paupières du regret

 

Nous prolongions dans les mansardes

L'inhabitude d'exister

Et les tiédeurs du mois de mai

Nous faisaient pleurer par mégarde

 

On parlait de ces paysages

Qui ne s'inscrivent qu'à des lieues

Tout en haut des pages de garde

Chez les auteurs licencieux

 

On n'avait point d'enfant pour cause

On aurait voulu en avoir

Beaux comme on voit les mufles roses

Penchés sur l'eau des abreuvoirs

 

Mais je repartais pour des villes

Qui devaient me conduire là

Dans une campagne inutile

Entre deux touffes de lilas

 

Ce ne sont point tes écolières

Tes chevaux ton printemps frileux

Mon passé de l'année dernière

Qui me rendront mes réverbères

Ni les ruisseaux de ma banlieue.

 


 

 

 

 

L'enfant de la balle

 

Ce soir

Ce soir ou un autre

La corde

Pour rire cinq cents personnes

Et la corde

Qu'est-ce qu'on fera d'un mort

Qu'est-ce qu'on fera de cet idiot qui s'est tué

Comme ça avec toutes les lampes allumées

La corde et la fausse note

Mais dans la roulotte arrêtée

 

Un soir

Pas d'allumette sous le réchaud

Pas de visage dans la cuvette

Le pied qui manque

Les chaussettes vertes

Cinq cents personnes

La corde.

 


 

 

 

 

L'enfant prodige

 

Nous le ferons curé diplomate ou savant

Disait l'aïeule un jour de pardon à Plélan

 

Passe encore savant dit le père en colère

Chez moi n'entrera point homme de presbytère

 

Nous Gendoiseau Abel depuis les temps anciens

Par Saint-Just et Marat sommes républicains

 

Cependant au piano la femme du notaire

Appuyait ses deux bras comme deux jets de pierre

 

Et l'on cherche l'enfant pour le circonvenir

D'aimer Danton au ciel et de lui obéir

 

Point d'enfant au grenier et non plus dans la serre

Comme il se garde bien de qui peut le distraire

 

Et la mère reprend une a une ses gammes

Qui disent comme lys sa douleur d'être femme

 

A l'heure du dîner on retrouva l'enfant

Pendu comme un grand homme et le bout des doigts

 

Sur le ciel de la nuit est écrit à la craie

" Je suis mort pour mieux voir je n'ai point fait exprès ".

 


 

 

 

 

Le jardin du juge

 

Montez la guillotine il y tombe une tête

Pavots ou tournesols il en tombe une tête

Amenez-moi la veuve et le plus jeune enfant

De mes derniers six mois je leur ferai présent

Enfer et roses rouges

Dans le jardin du juge

 

La femme qui entra portait entre ses mains

La tête du galant sur un lourd plat d'étain

 

Malheur dit le vieux juge et tristesse Madame

Vous n'avez point saisi la nature du drame

 

O Dieu qui m'entendez quérissez-moi la mère

La mère dit l'écho est morte au cimetière

 

Il n'est de cimetière plus profond que pensée

Une vieille arriva à petits pas pressés

 

Monsieur bien le pardon dit à la forme assise

Ne vous ai-je point vu déjà en Cour d'Assises

 

Ainsi pauvre de moi vous m'avez reconnu

Ni larmes ni remords n'ont pu me mettre à nu

 

Enfer et roses rouges

Dans le jardin du juge.

 


 

 

 

 

L'enfance et autres lieux

 

Te souviens-tu encore de ton enfance

Comme d'un chemin de sable où l'on enfonce

Tu es toujours sur le perchoir tu tends la main

A des fantômes qui sont là-bas dans le lointain

Pareils à des épouvantails à merles qui s'effilochent

Tristement dans les après-midi d'automne

La saison est passée qu'ils demeurent dans l'arbre

Rêveurs d'un temps obscur à se peigner la barbe

D'une main sans poignet et qui revient au corps

Ainsi qu'un oiseau froid regagne le décor

De champs maudits de buissons creux de routes sombres

Pour ne point échapper aux dures lois du Nombre

Ah certes ils te font signe et tu as beau pétrir

Une à une les mottes noires de l'avenir

Pour en faire poitrine et visage de glaise

C'est vers eux que tu vas et tu sembles bien aise

Au soir d'un jour nouveau et sans miracle aucun

De retrouver un peu d'eau fraîche sous la main

Tu songes à des amis qui écrivent des livres

Sans avoir seulement cette passion de vivre

Qui te jette en travers de ta vie qui te tient

Durement à la gorge comme les crocs d'un chien

Ce n'est pas parce que j'aurai chanté les pylônes

Les tubulaires les atomes ni l'ozone

 

Que je serai vainqueur et que tout sera dit

Sur les nerfs sur notre Histoire d'aujourd'hui

C'est au cœur de l'enfant qu'on reconnaît l'enfance

Et n'ayant pas changé c'est pourquoi je m'enfonce

Dans les salles du temps et les chambres de ronces.

 


 

 

 

 

 L'édredon rouge

 

Cocassier de malheur tu as brisé tes oeufs

Ta femme te maudit tu as bu du vin vieux

 

Et fouette la jument l'équipage s'envole

La brume des étangs efface les paroles

 

Transi l'homme frappa aux vitres du château

Holà les marmitons il me faut godiveau

 

Et poularde ou brochet que ce soir on me fête

Si fort était le vent que légère est ma tête

 

Mais rien ne répondit et l'ivrogne aux cent coups

S'acharne sur la porte qui s'ouvre d'un seul coup

 

Comme fou il divague au pied de l'escalier

Il flageole il va choir il est sur le palier

 

Lorsqu'ouvrant une à une les paupières des chambres

Ah Dieu soit loué dit-il je vais pouvoir m'étendre

 

Et dormir jusqu'au jour le plancher est fort bon

Une voix de l'enfer cria " Qui es-tu donc

 

Toi qui oses en sabots et le nez de travers

M'éveiller quand m'éveille à peine le tonnerre "

 

Tout d'abord interdit il décline ses titres

Cocassier de village et grand buveur de litres

 

Puis les yeux dessillés il regarde et ne voit

Que la lune accroupie dans la barque d'un toit

 

Qui parle de ce ton n'est point pour me déplaire

Montre-toi que je voie ta face de colère

 

Ah tu tiens à me voir glapit l'édredon rouge

Seul survivant ici de très anciens déluges

 

La femme s'évanouit pleura fit publier

Personne ne revit jamais le Cocassier.

 


 

 

 

 

Comme un Christ de Gauguin

 

Mon Dieu tu es quelque part sur une petite plage bretonne

Dans une crique à l'abri du vent

Tu as la bouche comme empêtrée de consonnes

Et tu as soif de limonade éperdument

Qui me rendra la palme fraîche du village

Mes figuiers et la voix des maréchaux-ferrants

Un soleil d'huile rance est l'unique breuvage

Et les gouttes de feu qui perlent à mon flanc

La fièvre le poignant il s'évanouit encore

Ses bras en se fermant semblaient un sémaphore

Lors on vit sur la mer mille et mille vaisseaux

S'approcher du rivage et lancer des canots

Du premier sur le bord il en sortit un ange

Porteur de vin doré d'olives et d'oranges

Mon Dieu éveille-toi je suis ton serviteur

J'ai parcouru les mers comme un pauvre pêcheur

Défiant nuits et marées corsaires et cyclones

Pour atteindre à jamais cette plage bretonne

 

Merci de tes présents dit tout bas le Seigneur

Mais laisse-moi puiser à deux mains dans ton coeur

 


 

 

 

 

Encore une lettre à Max

 

Mon cher Max j'ai vu ce soir Julien Lanoë

Traversant notre bourg tout exprès en auto

- Le bourg monté au ciel un soir de communion -

Pour me voir ah ! tu te doutes de l'émotion 

Lanoë dit au curé : Pour René Guy Cadou ?

- Quelques mètres, au fond de l'enfer tout au bout !

Je sortais de ma classe et soit dit déclassé

Le col ouvert et l'uniforme rapiécé

A peine libéré je largue la fenêtre

Afin que le poème ou le printemps pénètre

Lanoë est là ma main bafouille et j'entretiens

Notre ami de ses fantômes quotidiens 

Qui font que tu reviens toujours et nous rassemble

O Max dans l'infortune de ma chambre 

- Un Noël de Cadou ça sent le Gaëlique !

La poésie tombée en domaine public !

Je t'aime et je fais bien et c'est un réconfort

O Max de te savoir au-delà de la mort

En moi présent intact et toujours secourable

Tu ne sortiras point à jeun de cette table

Où ton portrait figure et sans cesse grandi

N'est-ce pas cher Lanoë que notre ange maudit

Pèse comme un oiseau sur ma feuille et me donne

Le courage de ne ressembler à personne.

 


 

 

 

 

L'auberge

 

Caporal Lys Caporal Lys qu'est-ce que t'en dis

Si nous montions ce soir encore au Paradis !

 

Paradis en ce lieu a visage d'auberge

Et joyeux compagnons n'ont besoin de lanterne

 

Le sentier sent la pluie et les fonds de liqueurs

Et les ondées de juin assassinent les cœurs

 

- Qu'on me tue porcelet et vite à coups de pierre

Nous le ferons rôtir sur un feu de bruyère !

 

Tant nous avons dormi dans la paille des granges

Que les nuits d'insomnie ont des douceurs d'oronge

 

Une lampe d'avare éclaire notre vie

Comme un matin d'amour ou comme une eau-de-vie

 

Du lard et des neufs frais voilà qui renouvelle

L'enfance aux battements d'ailes de tourterelles !

 

Nul ne sait parmi nous au loin ce qui se passe

Mais le vieil homme assis tire sa jambe lasse

 

Et sous la poutre vermoulue comme un missel

Qu'est-ce qu'il tient dans sa main molle ? Un peu de sel

 

Une neige ocellée qui tente et revigore

La chèvre ou l'homme dans l'automne du décor

 

Maison grise oubliée tout en haut de la côte

Comme une aiguille ou une étoile sous les côtes

 

Maison surnaturelle ô maison de chagrin

Il pleut ce soir encore et c'est le mois de juin.

 


 

 

 

 

Le jeune homme à la médaille

 

La toile de Roger Toulouse qui inspira ce poème

 

- Jeune homme beau jeune homme ne vois-tu rien venir

Au loin sur les longues routes fraîches de l'avenir ?

 

- Je ne vois que tempête et que grands vents de sable

Des bêtes en folie échappées de l'étable

 

- Jeune homme beau jeune homme en la fin fond des temps

Ne vois-tu point venir un cortège d'enfants ?

 

- D'enfants pour les nommer je n'en vois qu'à des cordes

Pendus comme gibiers à des poignées de portes

 

- Jeune homme beau jeune homme cesse de t'alarmer

Ce blanc bouquet qui va n'est-ce là ta fiancée ?

 

- De fiancée aujourd'hui n'en ai d'aucune sorte

Les unes sont violées et les autres sont mortes

 

- Jeune homme beau jeune homme il faut que tu te trompes

Dieu ne permettrait point à nouveau cette honte !

 

- Dieu a permis qu'on soit et qu'on vive maudit

Le dimanche de Pâques est né du vendredi

 

- Jeune homme beau jeune homme ainsi donc tu espères

La douleur et la vie ne sont qu'intermédiaires !

 

- Le sais-je seulement quand celui que je fus

S'ignore et porte en lui le deuil de son refus.

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Mon Dieu cela m'arrive...

 

Mon Dieu cela m'arrive de penser à toi

Comme à un survivant de la marine à voiles

 

Je me mets sous la lampe et je te dis Raconte

Le riz le poisson sec et le trafic des montres

 

Tu serais tout à fait comme l'oncle Isidore

Qui était roux de poil et qui peut-être est mort

 

Et qui laissait traîner dans le fond de ses malles

Un chapelet en bois de son pays natal

 

Ah ! Tu as tant et tant vécu et bourlingué

Que ton amour remonte en moi comme un noyé

 

Ce que je prends ce soir pour ton triste sourire

C'est la vague du sort qui berce le navire

 

Et celui que je vois et que je crois tout près

Est quelque part sur un rivage crucifié

 

Mais pas si loin mon Dieu que je ne puisse joindre

Mes deux mains sur ton front comme des térébinthes.

 


 

 

 

 

 

Louisfert

 

Pieds nus dans la campagne bleue comme un Bon Père 

Qui tient sa mule par le cou et qui dit des prières

 

Je vais je ne sais rien de ma vie mais je vais

Au bout de tout sans me soucier du temps qu’il fait

 

Les gens d'aujourd'hui sont comme des orchidées

Drôle de tête et les deux mains cadenassées

 

Je marche dans le jour épais d'avant midi

Pauvre fils de garce qui n'en a pas fini

 

De mener ses chevaux sur la route sans ombre

Qui a grand'hâte et soif et ne salue personne

 

Car j'aime ce village emmuré de forêts

Et ses très vieilles gens comme des pots de grès

 

Qui tendent leur oreille aux carrefours des routes

Avec des mouvements qui font croire qu'ils doutent

 

J'ai choisi mon pays à des lieues de la ville

Pour ses nids sous le toit et ses volubilis

 

Je vais loin dans le ciel et dans la nuit des temps

Je marche les pieds nus comme un petit enfant.

 


 

  

 

 

La venue de Guillaume

 

Qu'est-ce qu'il y a donc dans l'air ce matin

Qu'on entend corner les autocars et siffler les trains

 

Ambassadeurs et rois ne roulent qu'en carrosse

Qu'est-ce que c'est que cette formidable noce

 

A des lieues de Paris la terre en est secouée

J'étais au lit et me voici soudain tout habillé

 

Et marchant d'un bon pas sur la route sans ombre

Vers une impossible et merveilleuse rencontre

 

Tu es vêtu de ta tenue bleu horizon

Avec un peu de plâtre de la tombe sur les galons

 

Et tu t'en viens d'un bord sur l'autre comme un homme ivre

A cause de tes poches qui sont bourrées de livres

 

Ah! Guillaume est-ce possible que tu sois

Seulement un fantôme de nuées quand je te vois

 

Les bras ouverts et me disant : Mon fils

J'arrive pour le dernier feu d'artifice

 

Je suis un peu en retard sur la saison

A cause de l'Histoire et à cause des gens

 

Mais dans la liberté complète de tes membres

Accueille-moi du moins comme un Onze Novembre.

 


 

 

 

 

La femme à l'enfant

 

Ma mère aux longs cheveux tu figures la Vierge

La Vierge un soir d'hiver en une salle d'auberge

 

Il est des gens nombreux et comme au Moyen Age

On touche la servante et l'on brise les tasses

 

Ce tableau d'autrefois n'est dans aucun musée 

Mais tu as les yeux bleus des riches épousées 

 

Dans les faïences du vaisselier de noces tu te mires

Parmi les coqs tu mets les fleurs de ton sourire

 

Tu es toute tristesse pour les buveurs qui battent

Leurs chiens maigres à grands coups de savate

 

Et tu me montres à tous en t'excusant un peu

De promener cette lumière au-dessus d'eux

 

Les nuits d'hiver sont comme lampes a pétrole 

Fumeuses et chargées d'un détestable alcool

 

Si bien qu'on ne voit plus les poils ni les rousseurs 

D'un braconnier qui joue dans l'ombre au Donateur

 

Et qui mêle des doigts les valets et les reines

En balançant l'atout comme on lance la graine 

 

Un soir de lents corbeaux dans un ciel plein de vent

Qu'elle vive à jamais dans le coeur de l'enfant!

 


 

 

 

 

Le jeune homme de l'hospice

 

La toile de Roger Toulouse qui inspira ce poème

 

Quel est-il ? Quel revers terrible de médaille

Le figure debout dans l'angle d'un portail

De pierre pour le corps et d'océan les yeux

Très beau, de la beauté spéciale des apôtres

Dont la joue se ressent de la maigreur des côtes

Il rêve et dans l'absence on dirait qu'il sourit

Dans un trouble et parfait mouvement de niaiserie

Est-ce toi que j'attends comme on attend l'annonce

De quelque chose de grand pareil à la naissance

Tu me viens en paletot de serge qui sent l'herbe

Le lait cuit les harnais et les devants de ferme

Et dans ta poche près du menton tu as glissé

D'inutiles lunettes à verres fumés

Ah ! c'est bien toi visiteur bigle d'un autre âge

Racoleur innocent de secrets paysages

Je reconnais ta toque noire que portaient

Jadis Pasteur et les juges dans les procès

Que viens-tu me conter ? que comptes-tu m'apprendre

Que je ne sache point qui me fasse descendre

Un peu plus dans la nuit et l'abandon de soi

Jeune homme de l'hospice au visage de roi ?

 


 

 

 

 

L'homme au tablier de boucher

 

La toile de Roger Toulouse qui inspira ce poème

 

Derrière son oeil il y a de grandes places

Rouges avec des flaques sous les arbres verts

Pareilles à de lourdes campagnes qui tanguent

De tous leurs chevaux saouls et peignés de travers

Car l'innocence voit quand le cœur recompose

Dans la pupille étroite et figée de l'instant

Un pluriel univers dont la métempsycose

Redonne au vol d'oiseau les colères du sang

Tristesse dit l'œil bleu mais la narine ouverte

Epouse dans l'odeur les secrets de la chair

Je ne vois que le ciel qui poudroie et les bêtes

Menées de biais vers les étables de l'enfer

L'homme au tablier blanc marqué de cachets rouges

S'apprête du regard à un songe sans fin

Qui le malmène comme un vil mais le délasse

De cette crispation féroce de la main

Le couteau en suspens comme un graveur qui n'ose

Dans un doute suprême achever le détail

L'hypocrite boucher s'imagine des roses

Illuminant la nuit subite du bétail.

 


 

 

 

 

Comme un cri long de paysan...

 

Comme un cri long de paysan qu'on assassine

Au détour d'un chemin pour une montre en or

Et qui porte ses grosses mains à sa poitrine

Pour nouer le fil du sang qui le faufile encor

Une dernière fois le soleil de septembre

L'oeil vague avec au fond un reste de sourire

Se délasse du ciel et allonge ses membres

Sur les grands bois royaux où il fait bon mourir

Automne tu me viens dans ces vols d'hirondelles

Plus chargés de secrets que les isolateurs

Où battait l'inquiétude étroite de leurs ailes

Et qui dérangent les espaces de mon coeur

Tu peux crier puisqu'il le faut tu peux réduire

A rien tous les espoirs d'un été dévorant

Les feuilles et les glands qui tombent sur la lyre

Font résonner les cordes indéfiniment

Et je te vois toujours pareil à ma jeunesse

Au profil accusé par des meubles vernis

Beau miroir dont les eaux étales de tristesse

Se couvrent d'une brume de mélancolie.

 


 

 

 

 

Le dernier homme

 

Quand le lilas aura grandi sous la fenêtre

Quand toutes les essences d'arbres auront recouvert la planète

Un homme qu'on avait cru mort se lèvera

Et repoussant les feuilles rouges

Comme un drap

Se mettra à marcher tout nu dans la forêt

Très lentement d'abord sur la pointe des pieds

Il fera des centaines de kilomètres

Sans s'éveiller et sans s'y reconnaître

Puis un beau jour il se trouvera dans le grand hall d'une gare

Devant des banquettes moussues et des lanternes bizarres

Sans comprendre il suivra une petite voie

Qui le mènera un peu plus loin dans la profondeur des bois

Jusqu'à ce carrefour abandonné des sergents de ville

Où il y a parmi les fleurs une vieille automobile

Avec sa trompe en cuivre d'or près du moteur

Dont le son est celui d'un cor triste ou d'un cœur

Ah! Comme en peu de temps notre monde a changé

J'avais vingt ans et je ne suis pas si âgé.

Il découvre en allant les villes de la terre

Toutes fleuries comme un jardin de presbytère

Pareilles aux zinnias et aux roses penchées

Que j'ai vus en septembre à Germigny-des-Prés

Derrière cette église admirable de France

La plus vieille et la plus gardienne du silence

Mais il est mort depuis vingt siècles et ne sait pas

Que les pâquerettes sont aujourd'hui comme les lilas

Que les lys par-dessus les cheminées d'usine

Balancent leur odeur et leur grâce orpheline

Il voudrait s'arrêter ce soir d'automne en un hôtel

Où il y a des filles lourdes et des vaisselles

A filet vert portant un chiffre

Il est nu et il a les poches bourrées de livres

Il a soif de visages mais l'eau bleue des étangs

Est couverte de masques et de flocons d'argent

Si bien qu'il ne se voit lui-même et s'imagine

Aveugle avec un oeil mauvais dans la poitrine

Et cependant qu'il marche et qu'il espère encore

L'herbe de la forêt lui enseigne à mi-corps

Qu'il est vain de vouloir poursuivre et lui démontre

Qu'elle tient à son cœur comme chaîne de montre

Grandis-toi si tu veux monte sur tes épaules

Tu seras immergé dans l'eau noire des saules.

 


 

 

 

 

La nuit protège les enfants

 

Dans la chambre qui est à l'avant du navire

Où le chien dort

Où l'herbe pousse un peu partout

Sous la tirelire de la lampe

Je suis là

 

J'habite une maison douce

Et c'est l'hiver

On entend une locomotive

On entend une clé qui tombe

Au loin

Dans le sable

 

Soudain quelqu'un se met à remuer doucement

Ses mains

Une terre légère

 

Et du fond de la nuit voilà

Qu'une silhouette se détache

Et que celui qu'on croyait mort

Traverse en souriant les murs

 

Il est debout devant le feu

Il porte des souliers de chasse

Père réchauffe si tu le peux

Près de toi la petite place

Où nous dormirons tous les deux.

 


 

 

 

 

Quelque part et plus loin encore

 

Quelque part dans une maison pavée de carreaux rouges

Derrière un bois très loin à la limite de la neige

Après le rail

Et plus loin encore si tu peux

Au-dessus de la vieille photographie sans cadre

Très loin

Il y a une lampe

Comme autrefois une lampe

Avec de l'huile

Avec de gros doigts marqués sur le verre

Depuis mille ans l'horloge est arrêtée

Parmi des linges noirs et des poissons séchés

Mais la nuit

On entend distinctement la lampe

Comme un insecte dans le drap

Comme une très ancienne langue

Et la femme occupée à vivre se souvient

D'un enfant de son sang paré

De son mari dans la forêt

Qui tarde bien

Qui peut manquer

Et qui lui fait mal aux épaules.

 


 

 

 

 

L'homme de Jean Lurçat

 

En la forêt où sont les feuilles

La nuit quelqu'un de barbe enduit

Pressé pas plus d'un pas nomade

Dans le silence mal ourdi

 

De face atteint d'une blessure

Horizontale à bords ligneux

Le bleu maussade d'un azur

Jeté en poivre dans les yeux

 

Un homme beau comme un écueil

Sur la mer aux ventres flottants

Avec du sang dans les nervures

Pareil aux arbres du couchant

 

Il s'enveloppe de planètes

De raisins noirs d'oiseaux maudits

Donne du pied et de la tête

Contre la cloche de la nuit

 

Et la balance de l'orage

A son épaule suspendue

Accuse le vagabondage

D'une âme en quête de son but

 

Tandis qu'un soleil de fournaise

Mûri parmi les tournesols

Réchauffe l'ombre silencieuse

De l'homme élu parmi les fols.

 


 

 

 

 

Le Christ étendu

 

Comme une écharpe abandonnée

Comme un mouchoir de jeune fille

Il y a un homme étendu dans la prairie

Il y a un homme

Il y a quelqu'un derrière l'oseraie

Derrière la pluie là-bas

Derrière

 

Nul vêtement ne le protège

Et la terre

La terre par tous les temps

Est froide comme la neige

 

- Nous allumerons un grand feu

Avec des bûches de chêne

- Nous le mettrons dans la chambre des vieux

Sous des couvertures de laine

 

- Mon mal n'est mal que d'un moment

O bonnes gens - mes bonnes gens !

N'en ayez nul souci ni peine !

 

Mais cependant qu'on le soulève

Et qu'on entend au loin la pluie

Comme un oiseau frapper du bec

Contre les vitres de la nuit

Son cœur s'échappe en pierreries

Dans le ciel noir de la prairie.

 


 

 

 

 

Venue d'un autre

 

Le sommet de la côte et le pas du cheval

La nuit

Une cigarette qui brûle est un signal

Et soudain la route et les cailloux s'éclairent

On voit au fond

Le ciel est comme une rivière

Sur les toits et dans les branches d'arbres

Des enfants

L'air qui souffle d'en bas

Est un applaudissement

Serait-ce lui

Dans une carriole de mareyeur ?

Lui ou pas lui

Mais quelqu'un de meilleur ?

On vient voir de l'hôtel

Avec des vivres

De graves messieurs

Et des gens ivres

Chacun lui parle et lui demande remède

Il est pâle

Il est ficelé avec des cordes de piano

A une fenêtre encor toute rouge Dans son dos.

 


 

  

 

 

Les enfants ont tort chez les hommes

 

Les gens qui vivent près des terrains d'équarrissage

Leurs enfants rêvent

Et dans la peau d'un vieux cheval se glissent

Dès quatre heures

 

On voit une cheminée qui fume

Une maison maigre

Et des tabacs en fleurs dans un jardin

 

Ecoute-moi !

Tu passeras entre la cinquième

Et la sixième planche

A gauche

 

Sous les côtes de la bête

Un journal brûle

Et dans le ventre deux enfants

Habitués de longue date aux accroupissements

Disposent des craies

Des cartes

Et des poignées de porte

 

Le monde peut bruire

Le soir glisser comme une échelle

La mère fatiguée d'attendre

En cheveux courir les rues

Son fils à l'autre parle

A coups de poings

De pieds

Au seul qui sache.

 


 

  

 

 

Roger Toulouse

 

Trompe d'automobile

Ou vieux bugle de chasse

Par le chas d'un aiguille

La beauté passe

 

Et l'on entend parler la toile

Avec des mots

Comme les boutons de porte

Ou les coquelicots

 

On voit de ces bizarres ustensiles

En usage dans les lingeries

Et les asiles

 

Le jeune homme a beaucoup de peine

A cause des potences

Et à cause du ciel

 

Le jour se noie

Dans des vitres de plomb

A revers de médaille

 

Un boucher triste

Un képi rouge

Un lourd paquet d'entrailles.

 


 

 

 

 

Les voyages forment la jeunesse

 

Comme un homme qui va sur la route gelée

Une valise à bout de bras

Vers une gare approximative dans la forêt

Où ne s'arrête qu'un train sur trois

Je marche ce matin avec ma vie qui pèse

Le poids de la douleur et des justes denrées

Sans rien voir que ce commencement de soleil

Pareil à un fond de nid écrasé

Je prends mon temps comme un vaincu Arriverai-je

A cette minute douce entre deux années

Avec un peu de silence autour ?

En ai-je même le désir ? et que m'importe

Le paysage inhabituel où je vivrai

Ce ciel maigre avec des fientes sous la porte

Trop jaune sur un blanc mauvais!

Et c'est pourquoi tu tiens à ta triste valise

Qui te fait mal et qui te tire de côté

Où flotte la fumée d'une seule chemise

Très sale avec le bas des manches usé.

 


 

 

 

 

Noël

 

En évitant les grand-routes

Et les agglomérations

On se moque des gendarmes

Des menées de la nation

 

Et l'on injurie Hérode

Le vénal le malappris

Qui confond c'est bien commode

Les parias et les brebis

 

Mais on marche dans la neige

Et soudain l'on aperçoit

Un brin de fumée qui trempe

Dans le vase bleu d'un toit

 

On pourrait qu'en dis-tu femme

S'arrêter là cette nuit

Une fois n'est pas coutume

De dormir dans un bon lit

 

L'âne rit l'âne respecte

La parole du patron

Cependant Marie inspecte

D'un coup d'oeil les environs

 

Les voici devant l'auberge

L'aubergiste a beaucoup bu

Il sent le rhum et l'absinthe

L'estomac les oignons crus

 

Quand ils furent dans l'étable

Que Joseph eut bien pleuré

A la plus grosse des poutres

Une étoile s'alluma

 

Et le ciel comme une terre

Qui longtemps a manqué d'eau

Aspira jusqu'à son centre

L'enfant-roi dans son maillot.