Photo Robert Duguet, campagne jurassienne en hiver (1980)
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Le jardin de Grignon
Pour atteindre le ciel
A travers ce feuillage
Il faut que tous les yeux
Se soient réunis là
Je dis les yeux d’enfants
Pareils à des pervenches
Ou à ces billes bleues
Qui roulent sur la mer
On va dans les allées
Comme au milieu d’un rêve
Tant la grand-mère a mis
De grâce dans les fleurs
Mais le chat noir et blanc
Qui veille sur les roses
Songe au petit oiseau
Qui viendrait jusqu’à lui
C’est un jardin de fées
Ouvert sur la mémoire
Avec des papillons
Epinglés sur son cœur
L'enfant précoce
Une lampe naquit sous la mer
Un oiseau chanta
Alors dans un village reculé
Une petite fille se mit à écrire
Pour elle seule
Le plus beau poème
Elle n’avait pas appris l’orthographe
Elle dessinait dans le sable
Des locomotives
Et des wagons pleins de soleil
Elle affrontait les arbres gauchement
Avec des majuscules enlacées et des cœurs
Elle ne disait rien de l’amour
Pour ne pas mentir
Et quand le soir descendait en elle
Par ses joues
Elle appelait son chien doucement
Et disait
« Et maintenant cherche ta vie ».
L'enfant
Tu as sept ans et tu vas à l’école
Tes vêtements sentent la colle
De menuisier
Tu as rempli de fleurs champêtres ton plumier
Tu marches lentement en évitant la fange
Tu as des étoiles dans tes cheveux qui te démangent
Tu regrettes un peu l’odeur des grands sapins
Tu voudrais t’arrêter et partager ton pain
Avec la petite fille qui passe
Tu n’es pas toujours le premier en classe
Tu es bavard
Tu dessines des chats sur ton papier buvard
Tu regardes souvent le ciel par la fenêtre
Tu rêves à de bons bergers qui t’ont vu naître
Mais tu sais lire aussi et déjà dans le vent
Tu découvres tout seul des tas de mots savants
Des mots qui prononcés font du bien à tes lèvres
Tu sais tresser le jonc et conduire les chèvres
D’un geste simple et doux apaiser les chevaux
Bruire comme un laurier pour consoler l’oiseau
Tu aimes caresser le front blanc de ta mère
Tu es l’Enfant que je vénère
Tu es bien le Fils de mon Dieu.
La blanche école
La blanche école où je vivrai
N’aura pas de roses rouges
Mais seulement devant le seuil
Un bouquet d’enfants qui bouge
On entendra sous les fenêtres
Le bruit du coq et du roulier
Un oiseau naîtra de la plume
Tremblante au bord de l’encrier
Tout sera joie ! les têtes blondes
Navigueront dans le soleil
Et les enfants feront des rondes
Pour tenter les gamins du ciel.
L'enfant du garde
L’enfant du garde dès sept ans
Faisait grand peur à ses parents
Si vous allez au fond du parc
Evitez de tirer de l’arc
La jeune fille du château
Y fait voler robe et chapeau
Elle a des bras des bras des bras
On dirait branches de lilas
Ses yeux d’eau vive son grand deuil
La font pareille à un chevreuil
L’enfant du garde dès sept ans
Faisait grand peur à ses parents
Mangez à deux la soupe chaude
Et permettez que je me sauve
Permettez que je la rejoigne
Voici le temps qu’elle se peigne
Agenouillé dans l’herbe haute
Aimer ainsi serait-ce faute ?
L’enfant du garde dès sept ans
Faisait grand peur à ses parents.
L'enfant voleur
Allongez-moi comme une treille sur la route
Venu le temps de me couvrir d’injures
Mais de grâce épargnez le mur
Son haussement d’épaules au soleil
J’ai volé je le confesse
Est-ce aux oiseaux de voler
L’enfant au sortir de la messe
Vole une burette au curé
Des biens qui ne sont à personne
J’en ai usé tout cet automne
Frottées de sang comme la clé
D’un mystérieux conte de fées
Les feuilles qui tombent des arbres
Réchauffent les statues de marbres
Et les couchants qui n’ont plus cours
Dans les Atlas remis à jour
Par de farceurs et faux prophètes
Troublent encore les poètes
Crucifiez-moi comme on a fait
De Jésus-Christ qui délivrait
Sur son réseau de faux billets
Nous savons tous qu’en ce bas monde
Où les négresses se font blondes
Les billets faux sont les seuls vrais.
Les enfants rêvent près des hommes
Les enfants rêvent près des hommes
La nuit quand l’horloge arrêtée
Met un disque de lune atroce
Sous le pavillon du laurier
On entend des chiens qui traînent
Des pianos dans le hangar
Un train roule c’est peut être
Que le monde est en retard
Qu’on a retrouvé la trace
De la fille du planteur
Que là-bas dans une case
Avec le navigateur
On la marie Elle est blanche
Comme le carreau de l’évier
Cependant les vieilles planches
De la nuit dans le grenier
Crient trop fort L’enfant s’éveille
Il a peur On n’entend plus
Qu’un oiseau qui vole en rêve
Dans un ciel où il a plu.
On voit dans les vieilles écoles...
On voit dans les vieilles écoles de campagne
Un enfant au tablier noir
Et les doigts maculés
La nuit venue très tôt
Ce jour-là
Sur le tableau du fond
Les pieds dressés
Avec un mouvement appliqué de la langue
Ecrire ces mots
Qui lentement se gravent
Dans la tête du maître
« Follain est attendu
Pour Noël
A Louisfert. »
Les amis d'enfance
Je me souviens du grand cheval
Qui promenait tête et crinière
Comme une grappe de lumière
Dans la nuit du pays natal
Qui me dira mon chien inquiet
Ses coups de patte dans la porte
Lui qui prenait pour un gibier
Le tourbillon des feuilles mortes
Maintenant que j’habite en ville
Un paysage sans jardins
Je songe à ces anciens matins
Tout parfumés de marguerites.
Automne
Odeurs des pluies de mon enfance
Derniers soleils de la saison
A sept ans comme il faisait bon
Après d'ennuyeuses vacances
Se retrouver dans sa maison
La vieille classe de mon père
Pleine de guêpes écrasées
Sentait l'encre le bois la craie
Et ces merveilleuses poussières
Amassées par tout un été
O temps charmant des brumes douces
Des gibiers des longs vols d'oiseaux
Le vent souffle sous le préau
Mais je tiens entre paume et pouce
Une rouge pomme à couteau
Anodin valet de ferme
Anodin valet de ferme
Valet chez mon cousin
C’est connu reçoit sa soupe
Sa soupe soir et matin
Qu’il jette son pain noir aux poules
Et le bouillon au chien
Ce ne sont pas œufs de mes poules
Moi je m’en moque bien
Mais qu’Anodin me pourchasse
Me menace de son poing
C’est un mauvais valet de ferme
Je le dirai à mon cousin !
Sainte Reine de Bretagne
Sainte Reine de Bretagne
En Brière où je suis né
A se souvenir on gagne
Du bonheur pour des années
Est-ce toi qui me consoles
Lente odeur des soirs de juin
Le foin mûr des tournesols
Le chant d'un oiseau lointain
C'est la pluie ancienne et molle
Qui descend sur le jardin
Et ma mère en robe blanche
Un bouquet dans chaque main.
Oh! que tombe la neige
Oh ! que tombe la neige
Dans la cour du collège !
Que s’achève le temps
De pleurer sur un banc !
Pour un mauvais élève
Et pour un pauvre enfant
Les plaintes d’un solfège
Emporté par le vent !
Parmi toutes mes roses
Parmi toutes mes roses
La plus rouge sera pour le mendiant
Qui boite plus bas que la route
La jaune sera pour un jockey
C’est la couleur des champs de courses
J’en donnerai une aussi à Marie
Qui pleure en cachette le dimanche
Mais la plus belle oh ! la plus belle
Je la réserve pour ma mère
Ma mère aimait tant les roses