Les Cadou à la lumière du pays de Retz, par Dominique Pierrelée

Chancelier de l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire
Avec la participation de Michel Valmer et d’Annie Ollivier pour les lectures


 

Le littoral de Pornic

 

Les Cadou à la lumière du pays de Retz, ce titre nous amène à considérer les liens divers qui ont pu se créer entre les deux poètes et ce territoire particulier, liens suscités par les paysages, l’enracinement familial, le sentiment amoureux, le truchement des amis mais aussi la maladie. Les caractères et les attraits d’un pays sont de nature à influencer la représentation que peut s’en faire le poète. En retour, la terre et l’eau (comme c’est le cas pour Retz ou la Brière) résonne de poésie lorsqu’on évoque le passage d’Hélène et de René Guy le long des étiers du marais Breton ou du sentier littoral des douaniers, et avec eux nous reviennent les souvenirs de Paul Fort, de Marc Elder, d’Eloi Guitteny ou de Jean Yole. Le poète est inspiré par le pays quand ce dernier respire la poésie.

 

 

 

 

 

 


Hélène et René Guy, photo de leur mariage le 23 avril 1946.

On a coutume de mettre l’accent sur l’itinérance de René Guy et d’Hélène au fil de leurs pérégrinations familiales, professionnelles ou amicales. Jean Rouaud a écrit : c’est dans cette géographie de poche que [René Guy Cadou] inscrit sa poésie (1) . D’autres auteurs ont parlé de la géographie d’une œuvre sans frontières Et il est vrai que le parcours de René Guy Cadou, notamment en raison de ses remplacements ici ou là en tant qu’instituteur l’a amené en de nombreux endroits du département. Vous en connaissez sans doute le circuit. Mais citons Hélène Cadou : « L’œuvre de René Guy Cadou est entre toutes située entre la Loire et l’Atlantique, autour d’un estuaire, entre un pays d’ardoises et de bocages au nord du fleuve, et un pays de tuiles et de vignes au sud. Elle illustre ce Pays de Loire, dans sa terre, dans ses eaux, dans son ciel, dans son histoire, qu’elle chante avec ferveur… » (2)

 

 

 

 


Itinérance des Cadou en pays de Retz

Parlons donc du pays de Retz.

Le pays de Retz est ce territoire situé au sud de l’estuaire de la Loire et bordé par l’océan, sorte de presqu’île - Paul Fort la qualifiait de presqu’île du vin rose et des moulins à vent (3) – vascularisée par le lac de Grand Lieu et ses rivières. Pays de Retz, pays d’eau, pays de marais et de vieilles salines ourlées de schiste.

 

 

 

 

 

 

 


Jean Yole et les paysages de Milcendeau

Retz, jolie contrée capotée d’un ciel vaporeux et transparent qui a la grâce d’une coiffe. Devant cette lumière unique, il faut vous arrêter un moment, par une belle journée calme, pour en jouir. La Bretagne est là, sans doute, mais avec sa grisaille amincie, prête à se fondre, traversée en flèches par les reflets du miroir à facette de nos eaux maraîchines. Mais à n’en pas douter aussi, la Loire y a convoyé des lambeaux de cette splendeur lumineuse qu’elle apporte des ciels d’Anjou et de Touraine. La mer, cette grande riche, le lac de Grand Lieu, ce morceau admirable de création inachevée, font le reste. Le ciel de Retz n’est qu’à lui. Notre œil s’y repose et s’en grise (4) .

 

 

 

 


Le pays de Retz de Marc Elder

Aux côtés de Jean Yole, d’autres littérateurs ont aussi parlé de ce pays des Retz cher aux Cadou. Paul Fort, Henry Jacques ou encore Marc Elder : « Le pays de Retz complétait l’enseignement de la Bretagne mouillée, pierreuse, et si charmante dans ses bocages discrets disposés le long des rivières…
La maison de ma grand’mère, à la Bernerie, s’adossait à une ferme au sommet d’une falaise… Nous étions placés exactement au point ou la côte rocheuse de la Haute-Bretagne se perd par une transition schisteuse, dans les sables qui enveloppent le littoral, presque sans interruption, jusqu’aux marches du pays basque… » (5)

 

 

 

 

 

 

 

 


Le marais Breton

Ces diverses visions ou représentations correspondent sans doute aux attentes paysagères ainsi qu’à la géographie poétique de René Guy. Après avoir côtoyé la Brière (à Sainte-Reine-de-Bretagne), le poète se réapproprie une ambiance connue de longue date, grâce à son ami Sylvain Chiffoleau, ancien camarade du lycée, qui l’accueille à Bourgneuf-en-Retz et le conduit au cœur du marais Breton.

« Lorsque nous avions longuement marché dans la tiédeur des marais, franchissant les innombrables planches lancées de part et d’autre des fossés, nous débouchions sur un large chemin, parallèle au grand étier. Nous le suivions jusqu’à l’écluse dont nous montions les quelques marches pour mieux surplomber le port minuscule du Collet… Aussi loin que portaient nos regards, s’étendait la luisante marée des vases aux vagues figées.
Assis sur le granit de l’écluse, contemplatifs, nous faisions partie du silence. René aimait ces moments rares que nous disputions aux rythmes quotidiens et empochions comme des voleurs » (6) .

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le port du Collet

Nous sommes en 1941. René Guy est nommé à Bourgneuf pour assumer l’un de ces nombreux remplacements d’instituteur (du 10 janvier au 30 avril) :

« Je suis plein de cafard et romantique à souhait. J’ai quitté Bourgneuf en pleurant ou peu s’en est fallu et j’attends les grandes vacances avec plus d’impatience que mes élèves pour retourner là-bas.
Je suis ici perdu dans un pays de marais »(7) .

 

 

 

 


L’hôtel des Chiffoleau, La Boule d’Or à Bourgneuf-en-Retz.

 

René Guy a beaucoup aimé Bourgneuf, le marais et le site de Lyarne (qu’il nomme Lierne). Si bien reçu par le couple Chiffoleau dans l’hôtel qu’ils tiennent avec les parents au carrefour central, lieu si loin des apparences :

« Mais le soir, dans son triste hôtel
La Boule d’or si bien nommée
D’embruns et de ciel embrumé
Roulait au fond de nos prunelles. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Venons-en à Lyarne, cette ancienne saline désaffectée depuis plusieurs siècles, entre Bourgneuf et Les Moutiers. Cette ruine de paysage fait sans doute dire à Hélène qu’on ne se situe vraiment plus dans un « pays blanc ». Qu’en dit René Guy ?

« Assez de sangs mêlés au nectar des collines
De peaux mortes jetées sur le bord du chemin
Les membres sont épars dans la luzerne
Je pars aux premiers feux vers les dunes de Lierne
Et quand j’arrive enfin
La mer est déjà là.
Ses ailes se détachent
Des quartiers de soleil aussi qui se détachent
Le cœur fait un remous
L’écume et le matin se sont levés sur nous
Un peu de vent qui vole
Plus haut
Dans le grand air
Sont dressées les paroles
On marche en écrasant des mottes de ciel bleu

Tu peux fermer les yeux
Tous les arbres s’éloignent
Des monstres inconnus traversent les campagnes
Les blés sont sur le champ
C’est l’aube
Et l’on entend les fleuves du couchant
Maintenant je suis seul
Mon ombre s’est glissée à l’ombre du tilleul
Il fait nuit
La terre bouge
Les adieux sont tendus au bas du rideau rouge (8)

 


Le petit train du Morbihan

Mais René Guy n’a pas attendu cette nomination temporaire à Bourgneuf pour faire connaissance avec le pays de Retz. Enfant, il venait rendre visite à sa grand’mère qui avait loué une chambre dans la maison du jardinier au domaine de Monval, au Clion-sur-mer. Il avait emprunté avec sa famille le petit train du Morbihan qui reliait Paimboeuf à Pornic par la côte.

La locomotive était comme celle du chemin de fer qu’on m’avait acheté pour jouer le soir sous la lampe. Elle avait des hoquets et des bruits de freins terribles, il fallait lui donner à boire souvent. A une station, le train s’arrêtait dix minutes. Ma mère restait dans le compartiment ; mon père et moi allions jusqu’à la buvette de la gare. La bonne femme qui nous servait s’appelait la mère Rouget et cela me faisait rire. Je buvais quelques gouttes d’un vin blanc à goût de pierre. Au mur, il y avait un portrait de Gambetta (9).

 

 


Le grand escalier de Saint-Michel

C’est à Saint-Michel-Chef-Chef, en vacances en 1937 que René Guy écrit Brancardiers de l’aube, dans ce pays mené de biais par les averses. Un exemplaire de l’œuvre viendra bientôt échoir entre les mains d’Hélène et tout commencera dès lors entre eux deux.

« Oh ! Ces grands escaliers
Qui descendent jusqu’à la mer… »

« …La barrière qui ouvrait sur les prairies grasses de la mer a clos ton visage abyssal. Tes mains ne frotteront plus le dos tambourinant de la lune pour en faire jaillir les marées : les vagues ont ceint leur écume de courroies d’algues » (10)

 

 


« Messidor »

Au cœur de ce qui deviendra la Côte de Jade, René Guy a fréquenté également Pornic (une location estivale rue de la Source) et La Bernerie, car Marie Cadou, sa tante en même temps que sa marraine y demeurait. Elle y était maîtresse d’école dans les années 1920. Il se trouve que les parents d’Hélène y possédaient aussi une maison de famille, enracinée à cette terre marine depuis des lustres, voisine du moulin de la gare dont leurs ancêtres étaient les meuniers. Les Laurent habitèrent un temps une villa qu’ils dénommèrent « Messidor ». Sorte de maison de vacances, lieu de retrouvailles et lieu de cristallisation d’un sentiment mutuel entre les deux poètes. Après la rencontre de Clisson de 1943, ils viendront à plusieurs reprises sur cette côte pour édifier leur amour.

 

 

 

 


La plage de Crève-Cœur

Les balades océanes le long des falaises de Crève-Cœur ouvrent à Hélène les chemins de la grâce :

« Tu prends
Toute la place

Terre et ciel
Soir et matin

Tu grandis en moi
Depuis si longtemps

Que j’entends ton visage
A tous les carrefours » (11)

 
« Roulée par le soleil déroulée par la vague
Lissant son col mouillé aux fleurs des terrains vagues
Apaisant de son toit les tremblants horizons
Tandis que les rameaux se mêlent aux cordages
Que les fenêtres bleues guettent leur équipage
Appareille vers nous l’impossible maison » (12)


L'Allée du Bréviaire à Monval.

 

 

La propriété de Monval, gentilhommière construite à la fin du XIXème siècle par un certain curé Pétard qui se disait poète, nichée dans un vallon de verdure qui penche vers la mer, se prête à des promenades méditatives, au long de l’allée du Bréviaire, ou près de la petite chapelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


La chapelle de Monval

« Nous restâmes de longues minutes sans rien nous dire, sans souci de religiosité, simplement parce que, en dehors de tout romantisme, la solitude et le silence du lieu nous semblaient propres à une muette interrogation de deux âmes qui ne faisaient que pressentir leur communion »(13).

 

 

 

 

 

 

 

 


Le règne végétal

Comme l’écrit Christian Moncelet, « pour Hélène, le végétal indique la durée, l’écoulement à la fois linéaire et cyclique du temps. Il indique ouvertement ou secrètement l’enchaînement recommencé de la naissance, de la croissance, de la mort puis de la renaissance. Le dialogue, parfois tendu, parfois apaisé, de la vie et de la mort est au cœur de la poésie d’Hélène qui a perdu son cher René à une date symbolique, la naissance du printemps » (14) .

 

 

 

 

 

 


Sur la plage de la Bernerie en 1950

La villa Messidor est réquisitionnée durant l’année 1950 comme base de repli en vue de l’accueil d’Hélène et de René Guy. Pour se rendre aux séances de rayons, il est plus facile de rejoindre Nantes à partir du pays de Retz. A la fin de l’année, René Guy reçoit quelques-uns de ses amis fidèles et immortalisa ce moment par le poème La soirée de décembre :

« …Qu’ai-je fait pour vous retenir quand vous étiez
Dans les mornes eaux de ma tristesse, ensablés
Dans ce bief de douceur où rien ne compte plus
Que quelques gouttes d’une pluie très pure
Comme les larmes ?... » (15)

 

 

 


Le pays d’Hélène

« Il y avait la terre
Une terre
Que j’appelais mon pays

Une demeure
Ouverte aux quatre temps

La vie y passait
Entre deux soleils

Des mortes
Des morts
Y dormaient souvent

Quand le jour sortait du vieux puits
Il n’y avait que des vivants

C’était une terre
Sous le vent
Qui a basculé hors du temps

La clef
Rouille au fond du vieux puits
Que viendra desceller la porte ?

La dernière vague de la mer
Ou bien
La graine amoureuse du printemps » (16)


Eloi Guitteny le poète-forgeron

 

 

 

Eloi Guitteny se présente ici à gauche en compagnie des parents d’Hélène. Il fut le chantre du pays de Retz, lui le poète forgeron de Saint-Hilaire, qui fut l’ami de Duhamel, Mauriac et Claudel. La famille Guitteny a été très liée à la famille Laurent. Eloi Guitteny considérait son pays, sa petite patrie, à la manière des Cadou, pays blanc ou pays bleu (17) . Il savait bien lui-aussi, comme l’écrit Mathilde Labbé que le poète n’est pas le seul à chanter : la nature, la sève, les hommes, les objets et jusqu’aux machines, tout chante et accompagne le poète (18) . Proche d’Hélène, il regretta toute sa vie de n’avoir pas connu de son vivant René Guy Cadou à qui il vouait un véritable culte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Crédits photographiques

Photos 1 6 7 9 13 14 15 16 in V.Chiron, D.Fétiveau, E.Fréour, D.Pierrelée, Pays de Retz, Ciel d’eau et terres marines, Siloë, 1998
Photos 3,5 10 13  Dominique Pierrelée
Photos 2 8 12 17 18 19 Itinérances, Éditions du Conseil général de Loire-Atlantique, 2003.
Photo 10, Bulletin de la Société des historiens du Pays de Retz, mobilités et transports, 2021


 

Notes:

 

(1) Rouaud Jean, Cadou Loire-Intérieure, Joca Seria, 1999.

(2) Tiré de l’ouvrage Itinérances, Éditions du Conseil général de Loire-Atlantique, 2003.

(3) Fort Paul, Complaintes du pays de Retz.

(4) Yole Jean, La Vendée, 1936.

(5) Elder Marc, Pays de Retz, Paris,1928.

(6) Chiffoleau Sylvain, cité dans Itinérance, op.cit.

(7) Lettre de René Guy Cadou à Marcel Béalu, citée dans Itinérance, op.cit.

(8) Cadou René Guy, Bourgneuf-en-Retz Bruits du cœur 1941.

(9) Cadou René Guy, La Maison d’été, Castor Astral, 2021.

(10) Cadou René Guy, Brancardiers de l’aube, Œuvres poétiques complètes, éd. Seghers.

(11) Cadou Hélène, De la poussière et de la grâce, Rougerie, 2000.

(12) Cadou René Guy, La maison du Crève-cœur, La Vie rêvée, 1944.

(13) Cadou, René Guy, tiré de l’ouvrage Itinérances, Éditions du Conseil général de Loire-Atlantique, 2003.

(14) Moncelet Christian, Je demeure ta voix retenue. Hélène et René Guy Cadou. Dir. Mathilde Labbé. Nantes, Joca Seria, 2022.

(15) Cadou René Guy, La soirée de décembre, Œuvres poétiques complètes, éd. Seghers.

(16) Cadou Hélène, Poèmes du temps retrouvé, Rougerie, 1985.

(17) Guitteny Éloi, La cavalerie de mon père, 1976.

(18) Labbé Mathilde, Je demeure ta voix retenue op.cit.