Cahiers des poètes de l’École de Rochefort-sur-Loire N°15, Centenaire de la naissance de René Guy Cadou (1920-2020)

 

Numéro spécial centenaire...

 

 

 

 

Poète, né le 27 avril 1948 à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu en Loire-Inférieure. Il est moine à l'Abbaye de Landévennec. Après une enfance rurale, un premier cycle d’études au Grand Séminaire, puis son service militaire à Tübingen, il va travailler en usine et fréquente la communauté de Taizé. Après deux ans d’enseignement au Togo, il entre à l’Abbaye de Landévennec (Finistère) et y prononce ses vœux définitifs à la Pentecôte 1981. Gilles Baudry est un écrivain reconnu au-delà des frontières. Publiés depuis près de 40 ans, ses écrits ont été traduits en plusieurs langues. Il a notamment reçu le prix Antonin-Artaud pour son œuvre intitulée Il a neigé tant de silence. En 2005, il a reçu le prix de l’Académie de Bretagne et des Pays-de-la-Loire.

 

Une expérience germinale, par Gilles Baudry

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


« Cette présence impérissable »                                                                     
Michel Manoll

 

Essai ? Méditation ? Hommage ? Les mots de cet ouvrage (1) et leurs harmoniques ont une telle résonance en moi qu’ils m’inclinent à considérer ces pages comme autant de partitions. Et je suis gré à leur auteur de m’avoir laissé le soin de poser ce point d’orgue à ce chant de solitude fraternelle, à ce quatuor des saisons éternelles…

Seul requiert au poète d’élever plus pur, plus juste chaque jour le chant de sa partition d’homme sur la terre. Il y a une intonation singulière chez Cadou. Son chant profond est l’émanation de son être. Ce ton intime et universel je le perçus lors de ma lecture de l’essai remarquable – maintes fois réédité – que lui consacra Michel Manoll, son ami et son mentor. Ce fut une nuit blanche de lecteur ébloui. S’ouvrait en moi une fenêtre à la première page. Dehors, la nuit lapidée d’étoiles fourmillait de clins d’œil. Infini le sillage de celui dont la vie avait traversé la nôtre à la vitesse d’une comète…

Bien plus qu’une réminiscence, cela reste, quelques décennies après, l’expérience lumineuse et germinale à même de féconder ma démarche poétique et d’orienter dans le sens de la sève. Une osmose. Une parenté d’âme. Un catalyseur. Comme ce fut bien plus tard avec l’aimée, Hélène, et Michel rencontrés. Leur amitié chaleureuse scellée à jamais, et qui me furent tant…

Seul Jean Lavoué, pour avoir lui-même côtoyé l’abîme, était en mesure d’écrire dans la transparence poignante d’un adieu, sachant combien le grand ouvrage c’est notre vie… et notre mort ; qu’il faut survivre en dépit du pire, comme si chaque livre était l’ultime. L’on devine combien d’heures, de quête et de requêtes nécessaires pour que cet ensemble précieux puisse paraître en 2020. Le tout porté par une écriture somptueuse. En fin limier, il établit des correspondances jusqu’ici énigmatiques, fait une large place au couple « Renélène » : alliance unique dans l’histoire de la poésie française, Hélène, touchée elle aussi par la grâce, douée d’une humilité rayonnante, d’une sensibilité, d’une finesse rare a su trouver sa voix bien à elle.

En 1951, comment survivre à pareille disparition précoce de son « prince des lisières » ? Tout se passe alors comme si elle avait rempli son cœur de son absence ardente. Comment n’être pas bouleversé par ce « voix à voix » par-delà la mort ?

De livre en livre, Hélène a su assumer la nuit, apprivoiser l’absence et percer dans les murs une fenêtre vive. Par son écriture verticale faite de pudeur et de ferveur, chaque mot sous sa plume est vertigineux à force de clarté. Avec cette imperceptible fêlure dans la voix, cette lucidité tremblée, elle se souvient de « ce jour qui est encore à venir, où nous avions, où nous aurions, le visage de la rencontre  ».

Parce que le temps lui était mesuré, l’éternité s’est emparée de Cadou. Sur la trame du quotidien, il a su filer la poésie du monde. Par quelle alchimie avec le matériau des jours sans gloire, les mots, arrachés à l’inessentiel, ont-ils pu accéder à la parole première et nous rendre familier le mystère ?

La poésie, loin des systèmes, tropisme d’intériorité est le langage privilégié pour rendre le monde translucide au mystère, en effet. Tragiquement aux prises avec l’inexorable épreuve de la maladie et voyant sa vie le quitter, le poète de Louisfert, dans une calme urgence, ne pouvait que se tourner vers le Crucifié et se configurer à ses plaies. Difficile de nier ses « Ultima Verba » et leur consonance christique. De là à en faire un apôtre, certainement pas. Ni métaphysique, ni irréligiosité. Ni bénédiction, ni blasphème donc. Cadou ne supportait pas qu’on le tienne enfermé dans les pages d’un livre. Gageons qu’il eût encore moins admis qu’on se divise autour de ses convictions personnelles en jouant les hagiographes, les confesseurs, les psychologues. A l’opposé, outre les figures tutélaires de Reverdy et de Max Jacob, tout autre nous apparaît la noblesse d’âme du Père Agaësse de Solesmes et de Pierre Yvernaut, curé de campagne.

Au vrai, René ne disait-il pas habiter un pays où « le ciel était cousu à la terre » situé quelque part, à mi-chemin entre visible et invisible ?
Lui importait que chaque poème soit un acte d’amour, que grandisse l’humain dans l’homme.

L’expérience de cette esthétique de l’humilité et de la fraternité, loin de toutes les gloses vaines, offrirait déjà le lieu possible de la transcendance et de l’immanence… le reste est littérature.

Pour lui, comme pour Hélène, ce monde portait seulement en creux les mains qui l’avaient modelé.
« Devant Dieu et devant les hommes » : telle est la double et unique posture de Cadou fidèle à la vie, apprivoisant « visages et paysages ».
Il a écrit à la lumière de son cœur car il avait le talent de son cœur, le culte de l’amitié. Sa « profonde tendresse pour ce monde » avait opté pour le grand air, l’écriture végétale des chemins creux, et cet émerveillement, cette respiration de la sève et du sang se retrouvent aussi en fidèle écho dans « la grande écriture d’herbe qui penche » d’Hélène.

Comment ne pas entendre aussi, face à la prémonition de la mort, « le regret de la terre » du cher Supervielle et le lied de Schubert ayant quitté cette vie à son orée, à 31 ans également ?... Tous deux ont écrit « pour dépasser la crue noire du temps ». Que ferions-nous d’autre aujourd’hui à la perspective de la robotisation, de la froide hégémonie de la technique, de l’altération de la planète ? L’étonnement d’être n’occulte jamais le tragique. Mais peut-être faut-il prêter l’oreille à ce qui demeure dans ce qui passe, à la grande voix de Dostoïevski : « Quand vous aimerez effectivement chaque réalité, vous comprendrez aussi le mystère de Dieu dans les choses. »

 

Août 2019.

Note:

(1) Jean Lavoué, René Guy Cadou la fraternité au cœur, Éditions L’enfance des arbres, 2019.

 


 

 

 

 

 

CLOËT Jean Louis. Né en 1956, à Lille, reste ébloui par une amitié avec Pierre Seghers dès 1981, et avec Hélène Cadou dès 1993. Fondateur animateur du Groupe Lazuriste et de la revue Polaire, il est l'auteur de Visages de l'Absent, René Guy & Hélène Cadou, catalogue de l'exposition Cadou à la B.N. de Lille en 1996, et des Petites Suites pour voix seule, Trois kaddishs à la mémoire des Déportés Juifs ou Résistants, au Temps des Cerises, en 2010.

D’un maître verrier du langage (1)  : par Jean Louis Cloët

 


 

De la poésie considérée comme un art de lumière et de transparence, ou de l’esthétique du vitrail en poésie ? Faire fenêtre, faire ouverture et non béance, transformer du moins la béance — celle du deuil ou de l’enfance, voire celle aussi du désir — en chose utile, utile à tous, n’en pas faire égoïstement une « réjouissance solitaire, mais un moyen d’émouvoir […] le plus grand nombre (2) » : tel fut l’objet de Cadou, romantiquement, pansophiquement posté comme Hölderlin à une fenêtre intérieure donnant sur la nuit et le jour qu’on rêve, parce qu’il savait d’expérience qu’à la longue un œil intérieur — celui dont parlait Maître Eckhart (3) — invente le jour dans « La Nuit obscure (4) », ou le réinvente plutôt, tel qu’il n’a jamais été.

Pansophe convaincu comme le Souabe, rebelle comme le Rhénan (5), adepte de « divinités boiteuses (LLDS, 40, 402) », boiteuses (6) ou blessées, qui, de fait, sont à son image (7), René Guy Cadou a beau proclamer : « Ah ! je ne suis pas métaphysique, moi […] on a bien mérité/De croire dans la vie plus qu’en l’éternité (8) », il n’en demeure pas moins qu’il prétend « dispose[r] en lui de redoutables fantaisies et fai[re] état des privilèges de la grâce ! (9) » Il y a, quoiqu’il dise, bien qu’il se contredise, indéniablement chez René Guy Cadou un mystique au sens étymologique : celé, caché, et comme chez ce maître à se penser que fut pour lui Max Jacob, « un mystique en liberté (10) ». Lorsqu’il écrit dans Usage interne :

Je ne conçois d’autre poète que celui pour qui les choses n’ont de réalité que cette transparence qui sublimise l’objet aimé et le fait voir non pas tel qu’il est dans sa carapace d’os, de pulpe ou de silence, mais tel qu’il virevolte devant la bille irisée de l’âme, cet œil magique béant au fond de nous (UI, 31, 389)
Cadou se proclamant « surromantique » à l’instar de Tieck ou du Novalis du « réalisme magique », rejoint, pansophique, la pensée du Saxon Jacob Böhme qui proclame que L’âme est un œil [un œil] de feu, [œil] ou miroir de feu en quoi Dieu se révèle. […] Sachons donc que c’est l’œil de Dieu qui confère la vie à l’âme ; elle plonge ses racines dans le feu et sa vie est dans le feu (11) […] Ce monde, amalgame de lumière et de ténèbres, se situe, régi par le temps, entre ces deux aspects contraires comme le miroir qui les refléterait tous les deux (12) […]

En deçà de Böhme, c’est encore ici le Maître rhénan qui l’influença qu’on retrouve, lequel affirmait déjà : « L’œil dans lequel je vois Dieu est le même œil dans lequel Dieu me voit. Mon œil et l’œil de Dieu sont un seul et même œil, une seule et même vision, une seule et même connaissance, un seul et même amour. (13) » Cette idée teintée d’Héraclite, annonçant Spinoza, dont la résurgence à terme est à chercher chez Hegel dans sa pensée du néant, lorsqu’il pose comme postulat que : « le concept d’être […] équivaut, dans son absence de contenu, au néant [, qu’]inversement, comme pensée de ce vide, le néant est lui-même un être, et, en raison de sa pureté, le même que l’être », résume, et assez bien peut-être, le postulat spirituel naturel qui préside à la création cadoucéenne, puisque Cadou écrit que « la poésie est naissance et non pas connaissance (NI, II, 2, 429) » ; dans le même élan, comme assistant à l’accouchement de son être par le biais de son Œuvre portée mais qui le porte, il en déduit qu’« il ne s’agit pas ici d’un esprit de recherche, mais sans équivoque possible d’un esprit de création, d’auto-création (NI, II, 2, 429). » Pour Cadou, guère ici cependant à l’instar d’un Georges Bataille pourtant obsédé lui aussi par « l’expérience intérieure », la création est bel et bien une histoire d’œil et de regard : de regard qui s’invente dans un « grand élan » de tout l’être vers l’univers environnant, lequel s’invente, au regard du regard en quelque sorte : phénoménologiquement. Ainsi, ne s’étonnera-t-on pas si Cadou en conclut, pragmatiquement si l’on veut, qu’« il appartient au poète de choisir une marge où mots et idées cohabitent dans une profonde lumière (UI, 72,393). » Il ajoute, pour indiquer quelque méthode à suivre, que « la transparence n’existe que dans l’air (UI, 76, 396). » Pansophiquement, alchimiquement au sens rimbaldien du terme, pour lui voici nommément la méthode à suivre : « Plus le poète se rapprochera de la terre, plus il sera aérien (UI, 96, 396). » La terre est aérienne et cadre : « La poésie […] qu’elle soulève donc la terre jusqu’à ses ailes (UI, 95, 396). » Ce n’est qu’alors, sans doute, qu’il comprend que, dans la réalisation de son « Grand Œuvre », pas plus qu’il ne faudrait confondre « image » et ouverture, « il ne faut […] confondre les œuvres hermétiques (Mallarmé) et les œuvres fermées (Reverdy). Les premières ne nous donnent pas la possibilité d’y entrer, les secondes d’en sortir (UI, 10, 387). » Esthétique du vitrail, oui : en matière de libération, d’ouverture intérieure et du monde enfin, c’est sans doute — et Hélène Cadou le suggère à qui veut l’entendre — à Max Jacob qu’il doit le plus, au « sacristain » de Saint-Benoît ; c’est Saint-Benoît contre Solesmes, Solesmes où Reverdy s’est retiré pour, au terme d’une quête semble-t-il avortée, écrire les poèmes désabusés, désillusionnés de Ferraille (1937) : réclusion volontaire, réclusion non tant pour bâtir un monde à créer que pour en rejeter un autre, réclusion trop intelligente et qui n’a rien à voir avec celle de « Re-né (14)», plus tard, avec Hélène, à Louisfert, car le jeune Orphée breton en a tiré la leçon :

Pourquoi tant de poèmes, pourtant si admirablement construits, nous laissent-ils à ce point indifférents ? Sans doute y perçoit-on un peu trop l’intention, cette volonté préétablie d’agencer des matériaux dans l’apparence du chef-d’œuvre. Mais ces fenêtres si hautes, si claires, si ordonnées, sont murées de l’intérieur. L’obscurité est partout dans cette demeure ( UI, 92, 395).
Dès lors, Cadou, combattant pour revendiquer son royaume mais à la loyale, de préciser son attaque : il désigne effectivement, ici, la poésie de Reverdy, du reclus de Solesmes, du poète de Ferraille, vis à vis de laquelle certains l’accusèrent, avec l’injustice tranquille de la mauvaise foi de l’esprit de chapelle, en somme, de n’être qu’un suiveur (15) :

Max Jacob parlant de la poésie de R[everdy] m’écrivait : « Cadre pour la muraille en attendant mieux. » […] La poésie de R[everdy], [est] assez convaincante pour être vraie et douée d’une singulière vertu de contagion. Il n’en est pas moins vrai que ce cadre que nous prenions peut-être alors pour une fenêtre ne s’est jamais ouvert et que cette muraille de la même teinte grise que la matière me paraît aujourd’hui extraordinairement froide, le froid de l’intelligence (NI, 3, 417-418, passim ).

Pour Cadou, en effet, qui définit la poésie moins comme « une absence, un manque au cœur de l’homme (16) » que comme « une poussée [spontanée] contre la paroi abrupte du monde (LLDS, 81, 408) », spontanée et généreuse :

Il faut revenir à la fresque, à la muraille — et ceci vaut aussi bien pour nous autres poètes que pour les peintres. On nous attend tout en haut de l’échelle. Échelon par échelon tout en haut. Et qu’on me suive bien, je n’entends point dans cette grande œuvre murale comme obtenue par un procédé d’agrandissement, démesurément grossie à la loupe mais tout entière fondue dans cette matière incandescente de l’âme, creusée profondément comme les rides de la terre (NI, 33, 425).
Tout l’héritage pansophique de la littérature romantique allemande s’exprime là ; on croit entendre le Novalis des Disciples à Saïs ou d’Heinrich von Ofterdingen, lorsqu’il précise que pour lui :

La peinture de vitrail se situe en fonction de la cathédrale. Élevez en vous la cathédrale. Trouvez les éléments d’équilibre, assez nouveaux, assez jeunes pour supporter l’assaut direct d’une pensée (LLDS, 60, 405).
L’impression se confirme, lorsqu’il ajoute en codicille — en mystique böhmien, eckhartien au plus loin de sa profondeur — :
Donner à sa poésie de l’ouverture. Et pour cela ne pas craindre de sacrifier à l’esthétique des pans de murs entiers (UI, 93, 395). Il appartient au poète de choisir une marge où mots et idées cohabitent dans une profonde lumière (UI, 72, 393). Peindre une pensée ou la décrire, c’est toujours aller à rebours de la poésie (LLDS, 51, 404).

Car enfin, pour lui, avant tout, il faut la rendre transparente. Souvenons-nous que, positivement, pour lui, la poésie comme la peinture se doivent d’être : « un jet de lumière unique, une concentration de rayons avisés sur les étonnantes profondeurs de la réalité quotidienne (LLDS, 52, 404). » Cadou, au reste, se sent bien le redécouvreur ou l’inventeur — il ne sait trop et il s’en moque, visant seuls l’effet et l’effort qui libèrent — d’une esthétique : « J’appellerai surromantisme toute poésie qui ne faisant point fi de certaines qualités émotionnelles se situe dans un climat singulièrement allégé par le feu (LLDS, 64, 406). » Porteur comme Novalis d’une conception poétique relevant du « réalisme magique », il peut alors conclure :

L’amour qui sublimise toute chose nous aura porté. Dans cette solitude aérienne que nous nous sommes créée, non comme une tour d’ivoire, mais comme un royaume sans frontière, il aura été cette multitude vagabonde, cette parole du matin (UI, 40, 390).

 


 

Notes:

(1) Toutes les références à L’Œuvre cadoucéen reportent le lecteur à L’Œuvre poétique complet : Poésie la Vie entière, Paris, éd. Seghers, 1976. Les abréviations : PVE : Poésie la Vie entière, UI : Usage interne, LLDS : Les Liens du sang, N : Notes, NI : Notes inédites, DLP : « De la peinture », sont immédiatement suivies de la numérotation du poème ou de la note, puis de la référence de pagination.
(2) Pour paraphraser le Discours de Suède (1958) de l’auteur de L’Homme révolté (1951) par qui le scandale arriva.
( 3) Maître Eckhart : sermon douze.
(4) Pour reprendre le titre d’un ouvrage de Saint Jean de la Croix : La Nuit obscure, Paris, éd. du Seuil, coll. « Points. Sagesse », 1984.
( 5) « Pardon Seigneur ! Pardon pour vos églises (…)/Si j’ai jeté des pierres dans vos vitres/C’est pour que me parvienne mieux Votre Chant ! » écrit Cadou dans l’un des ultimes poèmes, le magistral « Nocturne », poème-testament, repris dans Les Biens de ce monde, 25, PVE, p. 345-346. C’est que la religion pour lui était une béance aussi, et qu’il s’agissait de refaire le vitrail enfin plus clair, selon le principe du « Tönt » holderlinien démonté par Pierre Bertaux (son rythmé + image), plus audible pour le passant.
( 6) « La beauté boite. » (LLDS, 84, 409).
(7) Car « (…) tel est le pouvoir sensible du poète./Qu’il peut vous apparaître ivre comme un cocher/Et dans le même temps tout au fond de soi-même/— Qu’importe si la bouche et les mains sont souillées —/ Élever un chant pur ainsi qu’un violoncelle/Humilité ! Pudeur ! Donnez un nom terrestre/Au tremblement d’un cœur qui ne sait où cacher/Sous quel masque d’ajoncs sa profonde tendresse/Pour ce monde où les doigts du Seigneur sont marqués. » in « La Foi du charbonnier, Tout amour, 5, PVE, p. 350.
( 8) « Ah je ne suis pas métaphysique (…) » in Le Diable et son train, 31, PVE, p. 300.
(9) « La Foi du charbonnier », in Tout amour, 5, PVE, p. 35O.
(10) Pour reprendre le mot de Claudel à propos d’Arthur Rimbaud.
(11) Jacob Böhme, in Theosophische Wercke, Amsterdam, 1682, cité par A. Roob, in « L’Opus Magnum : Aurora », in Le Musée hermétique, Alchime & Mystique, Köln, Benedikt Taschen Verlag, 1997, p. 244-245, passim.
(12) Jacob Böhme, in Dreyfaches Leben (De la triple vie), Amsterdam, 1682, cité par A. Roob, op. cit., p. 246.
(13) Cité par Bertrand Vergely, in Les Philosophes du Moyen Age et de la renaissance, Toulouse, éd. Milan, coll. « Les Essentiels », 1998, p. 41.
(14) René Guy Cadou porte en effet le prénom d’un frère aîné mort en bas âge ; son premier prénom s’avère être un jeu de mots, de fait.
(15) « Les repas de Reverdy comportaient d’excellents reliefs : je m’en suis vite rassasié./Il est à remarquer que ces miettes furent pour beaucoup dans le jugement qu’on porte sur mon œuvre. » (UI, 10, 387).
(16) Pierre Reverdy, « Circonstances de la poésie » (1946) repris in Cette émotion appelée poésie, Paris, éd. Flammarion, 1974, p. 42.

 


 

 

 

 

 

Né en 1943 en Anjou où il réside. Professeur de lettres, ex-coordonnateur lecture-écriture à la Mission d'Action Culturelle du Rectorat de Nantes, ...

Comment lire Cadou aujourd’hui ? par Paul Badin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Comment lire Cadou aujourd’hui ? demande Jean Le Boël. J’entends bien cet aujourd’hui qui interroge notre époque complexe et si vertigineusement évolutive. J’entends aussi tous les autres poètes, si méconnus d’un lectorat réduit à la portion congrue : on lit si peu la poésie dans notre pays, poètes exceptés lesquels, heureusement, se lisent entre eux et quelques aficionados. Enfin, il s‘agit bien de René-Guy Cadou ( Sainte-Reine-de-Bretagne, 15 février 1920 – Louisfert, 20 mars 1951), fils d’instituteurs et instituteur lui-même qui sillonna la Loire-Atlantique, notamment les marais de la rurale et envoûtante Brière et écrivit en une dizaine d’années, souvent à l’étage sous le ciel, le soir après la classe, une œuvre poétique d’importance exceptionnelle et qui mourut d’un long cancer à l’âge de trente et un ans.

Notre époque s’éloigne à grande vitesse de celle de la génération précédente. Cette accélération inquiétante est un phénomène parfois très déstabilisant :
Ah ! Comme en peu de temps notre monde a changé
J’avais vingt ans et je ne suis pas si âgé. (Le dernier homme, in L’aventure n’attend pas le destin, p. 232)*
Elle prône l’individualisme et exalte la mise en scène de soi-même. À l’opposé, René-Guy Cadou recherche et chante l’amitié et la camaraderie :
Je voudrais tant rester cet hiver parmi vous
Le visage dans la mousse de vos genoux (Les amis de Rochefort in La vie rêvée, p. 159).
Lire aussi l’admirable poème L’amitié (in Les sept péchés capitaux, p. 306)
Il se veut humble parmi les humbles :
Je ne conçois pas de poésie sans un miracle d’humilité à la base (Usage interne, p. 391) même si :
Les poètes sont les aristocrates du peuple (Usage interne, p. 391)
Il peut bien alors ajouter, sachant ses jours tragiquement comptés :
Loin de vous je serai plus présent que moi-même
Dans cet immense amour qui me fait chanceler (Personne au monde, in Les visages de solitude, p. 268).
Je vis pour mieux mourir (Fiançailles, in Bruits du cœur, p. 65)
À René-Guy Cadou, qui perdit sa mère à douze ans et son père à vingt (relire le magnifique poème Chambre de la douleur, in Hélène et le règne végétal, p. 254), la solitude s’est imposée et le poète, très vite, en comprit la nécessité, toujours vitale mais souvent masquée aujourd’hui par le délire communicationnel et tant de réseaux dits sociaux :
 Je cherche un homme en moi
A qui parler (La solitude, in Retour de flamme, p. 28)

 Je marche dans la rue où ne répond personne (Fin de saison, in Bruits du cœur, p. 60)

Il faut être seul pour être grand. Mais il faut déjà être grand pour être seul (Usage interne, p.388). Cela n’empêche nullement le poète d’aimer la fête dans la joie de la chaude camaraderie :

Je n’ai jamais reçu / Tant d’amis à ma table / Il en vient chaque jour / De nouvelles étables
L’un apporte sa faim / Un autre la douleur / Nous partageons le peu / Qui reste tous en chœur
(La fleur rouge, in Hélène ou le règne végétal, p. 253)

Allons dîner dans cette échoppe des poètes
Pleine d’enfants et de graillon qui perpétue
La tradition Amenez-moi les meilleurs crus (Rochefort-sur-Loire, in L’aventure n’        attend pas…, p. 215)
René-Guy Cadou se sentait proche des humbles, des malheureux, des réprouvés, de tous ceux qu’une société d’abondance et de jouissance a tendance à ignorer, voire à éloigner. Il vivait en fraternité (troisième versant de la devise nationale si facilement oubliée de nos jours) avec eux :
Une étoile s’ébat
Quelqu’un qui s’est manqué se suicide tout basVoyage, in Bruits du cœur, p. 58)

Sur le bord du chemin
Un homme pleure
On en voit de toutes les couleurs
Dans ce monde (Chanson populaire, in Le cœur définitif, p. 190)

Mais toujours on entend chanter
Les vagabonds partis le bâton sur l’épaule (Êve, id., p.66)
Le sort des enfants surtout préoccupe le poète ; il en traîne tant encore dans les rues :
Des enfants qui n’ont rien pour eux que leur visage
Et l’allégresse à peine humaine des pieds nus (Les Bohémiens de la mer, in L’aventure n’attend pas, p. 206)

Les gens qui vivent près de terrains d’équarrissage
Leurs enfants rêvent (Les enfants ont tort chez les hommes, in L’aventure n’attend pas le destin, p. 236
Dans Les fusillés de Châteaubriant (in Pleine poitrine, p. 169), le poète, qui vit passer le chariot qui menait au supplice ces vingt-sept otages-martyrs, est en pleine empathie avec eux :
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n’entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Les guerres, les massacres, les génocides… sont, hélas ! de toutes les époques et un cœur aimant ne peut jamais les accepter, les oublier ; à chaque époque ses horreurs et ses souffrances :
À toi aussi derrière les fils barbelés
Qui sont la couronne d’épines de la terre (Le 12 août au matin, in Pleine poitrine, p. 175)

L’époque est, trop souvent ressentie comme difficile, celle de Cadou, la nôtre :
Les hommes sont
masquésMais je n’y suis pour rien
Je veux vivre (L’âme en peine, in Bruits du cœur, p. 68)
C’est un monde trop lourd qui pèse sur ton front (Quand tout s’en est allé, in La vie rêvée, p. 163)
Malaise. Malaises dans la famille, au travail, dans une société de plus en plus éclatée, face à des menaces de moins en moins voilées, des catastrophes de plus en plus prévisibles :
On ne vit plus
On tourne en rond
Au fond du vide (Automne 40, in Morte saison, p. 49) 
On l’a compris, a contrario de tant d’écueils, d’empêchements à vivre, un amour intarissable irrigue la vie, l’œuvre du poète. Il n’a de cesse de le prodiguer autour de lui, d’en vivre. C’est son viatique essentiel, si loin des richesses matérielles, du pouvoir et de toutes les gloires factices si répandues aujourd’hui :
J’aime tous ceux qui font l’amour (Avec l’amour, in Le cœur définitif, p. 195)
La jeunesse surtout, toutes époques égales, est appelée au courage. C’est d’elle dont dépend l’avenir quelles que soient les difficultés qu’elle doive surmonter :
Nous n’avons que vingt ans mais pour avoir notre âge
Il faut avoir vécu des siècles dans l’hiver
Avec le cœur béant et les yeux grands ouverts (Le temps qui court, in Pleine poitrine, p. 173)

C’est principalement Hélène, jeune étudiante (et excellente poète entièrement dévouée à la poésie de René-Guy) qu’il rencontre en 1943 et épouse trois ans plus tard que le poète chante dans son célèbre Hélène ou le règne végétal (1951) qui exalte une rencontre bouleversante, définitive :
Tu es dans un jardin et tu es sur mes lèvres
Je ne sais quel oiseau t’imitera jamais (Hélène ou le règne végétal, in op. éponyme, p. 258)
L’amour en général, l’amour d’Hélène en particulier, ouvre en grand le cœur du poète, très proche de la nature, de sa beauté, fin connaisseur de sa vie propre, ce que notre époque redécouvre non sans une inquiétude fiévreuse et désordonnée car il est déjà très tard. Une profusion d’images magnifiques abonde dans l’œuvre de Cadou :
Le miel bleu descendu dans le cœur des vergers (Ciel de Pâques, in La vie rêvée, p. 98)
Un arbre cherche au fond des nuages
Sa caresse
[…] Et les étoiles font comme un vol de perdrix (Job, in La vie rêvée, p. 100)

La Loire dans les rouches
Aiguise sur ses grès des matinées farouches (Loires, in La vie rêvée, p. 140)
Et l’on comprend facilement que le poète, dise, comme tant d’entre nous aujourd’hui, méfiants des villes souvent trop artificielles :
J’ai choisi mon pays à des lieues de la ville
Pour ses nids sous le toit et ses volubilis (Louisfert, in L’aventure n’attend pas le destin, p. 229)
Les animaux abondent dans les poèmes de René-Guy Cadou ainsi qu’on peut l’entendre avec les oiseaux dans les poèmes à Hélène (cf. supra). Deux, surtout ont sa préférence, tellement proche des nôtres, en ces temps où le commerce avec nos semblables, parfois bien insuffisant, nous rapproche de nos amis les bêtes :
Les chevaux et les chiens
Parlent mieux que les hommes
Et savent de très loin
Reconnaître le ciel (Toi, in Hélène ou le règne végétal, p. 262)

Toute sa vie, le poète n’a cessé de dispenser ses chants d’amour intarissables, sa foi en l’humanité, malgré tout, qu’elle soit imprégnée, ou non, de couleurs chrétiennes encore bien ancrées en son temps dans la ruralité de sa terre d’accueil. Sous sa plume, tout devient, non pas transfiguré – cette distance trop éloignée du quotidien concret des êtres parmi lesquels il a choisi de vivre, mais pleinement habité.
Parce que la vie est belle et désirable
Comme un puits dans le ciel (Dernier communiqué, in Pleine poitrine, p. 174),
le poète écrit sa liberté de choix, son amour des mots justes, écrits pour lui-même et pour tous :
Il faut tout dire (Pétales de voix, in Morte saison, p. 48)  car le poète est :
Une petite lampe à huile
Qui peut encore mettre le feu (Destin du poète, in L’aventure n’attend pas le destin, op. 203)

Prenez un mot et revêtez-le de la matière brûlante de votre âme (Usage interne, p. 386)
Revenir aux sources, il en est de si merveilleuses, jaillies, portées, alimentées par notre sol  depuis des millénaires, comme ailleurs de toutes les terres habitées :
La poésie comme une graine dans le vent
Qui s’ouvre et se referme aux battements des ailes (La Haie Longue : 1 km, in Hélène… p. 265)
Comment lire Cadou aujourd’hui, lecteur, et tant d’autres poètes dignes d’être aimés ? Ce pourrait être ceci : glaner, comme je me suis permis de le faire, dans les livres de poésie – les magnifiques titres de René-Guy Cadou nous y invitent fortement -, habiter des mots choisis, leur redonner vie tout en s’y enrichissant prodigieusement le temps du partage.
Bonne lecture, donc, avec René-Guy Cadou :
Dans le temps de ma vie
Je vous ai tout donné (Testament, in La vie rêvée, p. 161)

7 octobre 2019.

*René-Guy Cadou, Poésie la vie entière, Œuvres poétiques complètes, Seghers 1977, rééd. 1991)

 


 

 

 

 

Né à Nevers le 8 octobre 1953. Adepte du Nord/Sud, de la voix écrite et des mots chantés, Dominique Sorrente vit à Marseille, « sœur du monde entier ». Il est l’auteur d’une vingtaine de titres, notamment chez Cheyne éditeur et MLD. Il a reçu de nombreuses récompenses dont le prix Luc Bérimont.  Son œuvre emprunte volontiers à l'art du kaléidoscope, mêlant tonalités graves et souriantes, plaisir narratif et ferveur mélodique. Une voix où la veine troubadour n'est jamais absente. Passeur de poésie, il collabore à la revue des Archers (Théâtre Toursky, Marseille) et anime depuis 1999 un lieu-dit de poésie Le Scriptorium.

 

"Il suffit qu'une lampe pose son cou de femme", par Dominique Sorrente

à René Guy CADOU, au pays de coïncidence

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

À chaque fois, il revient dans le passage des visages enjoués. Sourire de terre natale, odeur de nuit mouillée. Et la compagnie des amis qui prennent leurs cafés en suspendant le malheur dont on peine à dire le nom. C’est sa façon de me faire signe en mettant sur le bas-côté du poème les dépiauteurs, les ricaneurs, les désosseurs du verbe, ceux qui veulent emmurer le jour contre la vie dangereuse, les lettres d’adieu, les mots d’amour, l’errance des feuilles.

Il est sans âge, à cet instant, me fait traverser les bosquets pour que j’apprenne à me perdre un peu plus. Il me montre les miroirs gris pour me faire voir comment respire le monde par les interstices.  Quand nous croisons les corps pantelants des fusillés de Chateaubriant, il me dit qu’il ne faut pas détourner les yeux, mais œuvrer de quelques mots gagnés sur l’atrocité du moment. « Ils sont appuyés contre le ciel » et lui, crieur intime et désolé, qui d’un poème sauve ce qui radoube la vie.

À présent, dans l’intime d’un pas à pas buissonnier, il s’emploie à fendre le réel, à chanter dans la buée des apparences entre deux vents mauvais... Arlequins et descentes de croix, cabanes perdues, chambres de lauriers, le beau temps pour les pommes et le costume de velours, coups de gueule et caresse féline : il n’y a pas à choisir quand on longe le bief.

Dans l’atelier de patience où si bêtement je trépigne, il me montre que parfois, en frottant des mots les uns contre les autres, quelque chose s’obtient. Contre les soupçonneurs du langage, ceux qui bricolent leur pouvoir dérisoire en cubes sous vide, il a pris son parti et n'en démordra pas: choisir la carte de l’incantation.

Il y aura des pages navrantes, et alors ? Les instants, les vrais instants ne se calculent pas. Ils s’invitent sur le chemin cabossé, avec leur don de désarçonner. Ils se mettent à siffler sans condition; ils se font gare désaffectée ou rideau qui soudain dégringole du passé. Ils percent le plafond pour un rai de lumière.
« Fais vite/ ton ombre te précède ».

Parfois un accordéon passe sans nous saluer, c’est aussi comme cela que l’amour se fait et se défait. On se retire d’une prière en attrapant du regard un bruissement dans les branches.

Les mots qui volent sans jamais faire flèche : eux aussi, nous les accueillerons, nous les malaxerons, leur ferons l’étrange leçon d’appeler dans le noir, glisserons en eux le doute d’être un homme, et la coquille de tristesse et la métamorphose par la pluie pour qu’un jour, la poésie redevienne cette chose parfaitement inutile qui nous relie dans deux regards qui tremblent.

À présent, il est tard. Le pays de solitude revient souvent de si loin.
Il y a des bêtes oubliées au fond des yeux. Et un enfant sans bagage qui griffonne sur une page prédestinée. Il y a une coquille d’œuf posée sur un mur et un amour, à juste longueur d’onde, qui court dans les herbes.

C’est une fois encore sa voix qui en appelle aux moineaux de l’an 1920.
Un peu de frange incandescente, des fruits imprévus qui éclateront dans la nuit.
Un contact indocile avec le destin dans le précipité des mots.

Sur une pierre, il a posé ces mots que lui offrit Max Jacob :
« Trouvez votre cœur et changez-le en encrier ».

On en est toujours là.

 


 

 

 

 

Hippolyte Lalou est un poète né et mort à Saffré en Loire-Atlantique (1873-1953).
Il est l'inventeur du banc public et de la poésie urbaine. Né à Saffré (44) en 1873, prêtre iconoclaste, il a été précurseur de la poésie surréaliste et à l’origine du mouvement slam. Il a également influencé la loi de séparation des Églises et de l’État.

(C'est un canular !)

Hippolyte Lalou et l'influence de René-Guy Cadou

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

La seconde guerre mondiale pousse Hippolyte Lalou dans une crise profonde : quel effet la poésie peut-elle avoir sur le monde quand le monde permet à Hitler d'arriver au pouvoir ? Il perd confiance en la poésie pour rendre la société meilleure, comme en témoigne cet extrait d'un texte intitulé "Les anomalies barbares"

(…) Des questions comme des réponses mal faites / la poésie ne sert à rien / pas même à se serrer la ceinture / la guerre a raison de n'importe quelle audace littéraire / jeux de mots tronqués qui n'ont même pas le pouvoir de changer la face du monde / mots tordus, abîmés, jetés en pâture à des chiens qui les rongent / les ventres vides n'ont que leurs idéaux pour se nourrir / la vraie question est celle des armes / les audaces dorment au Pas-du-houx et tentent une paix inconfortable / les monstres gammés sommeillent à Berlin / les partis-pris se résument à deux camps qui exposeront leurs entrailles / la vraie réponse est celle des armes / une réponse que je refuse de toute la douleur de mes yeux qui ont vu / les réponses sont des solutions qui tranchent / la poésie ne sert à rien / elle est le refuge de ceux qui ont les paupières lourdes de sommeil / les étendards blessent et font se lever les morts / la poésie ne sert à rien / elle est l'espoir de ceux qui n'osent pas prendre les armes / faut-il dormir avec des fusils pour espérer la paix ? / à quoi sert d'écrire ? / le constat du monde est une redite : d'une guerre à l'autre, qui a appris quelque chose de la poésie ? / qui s'est noué à elle ? / qui l'a embrassée dans toute sa splendeur incendiaire ? / d'une guerre à l'autre la poésie n'a rien changé / elle a rendu poreuse les anomalies barbares / le sang répond au rouge et les chiens hurlent d'une cacophonie macabre / le poète n'est-il que l'illusion d'un monde qui rit de lui ? / la poésie ne sert à rien / pas même à répondre à des questions mal faites / où est l'espoir d'une riposte à tout ça ? / l'espoir n'est plus un enjeu, il est en joue / il fait face à des fusils qui le lorgnent en vue d'un suicide arrangé / l'espoir est une poésie morte / la poésie ne sert à rien / (...)

Le 30 juin 1944, après l'attaque du maquis de Saffré par les allemands, Hippolyte termine "les anomalies barbares", sorte de prose litanique et obsessionnelle longue de treize pages et décide de s’emmurer dans le silence.

Le poète René-Guy Cadou entend parler de ces "anomalies barbares" par le biais d'Eugénie, sa femme, qui désespère de pouvoir le sortir de son isolement. Il cherche à rencontrer Hippolyte. Il connaît sa poésie, bien sûr, car le chemin qu'il prend lui-même est tracé selon les mêmes idéaux que ceux du poète saffréen, mais à l'inverse d'Hippolyte, il reste persuadé qu'il ne faut jamais démérité de l'aventure humaine. Il croit donc pouvoir convaincre Hippolyte, sinon de retourner à une vie sociale, au moins de reprendre la plume. Et puis il souhaite lire ces "anomalies barbares" : une poésie qui clame la mort de la poésie… voilà qui le questionne.

Le jour où il frappe à sa demeure, Hippolyte refuse de le voir. Une brève entrevue a toutefois lieu à travers cette porte qu'il n'ouvrira pas : René-Guy Cadou lui parle d'espoir, des mots qu'il faut continuer à écrire, de sa femme Eugénie dont il décèle toujours l'amour, du recueil qu'il a lui-même commencé à écrie pour sa propre femme : "Hélène ou le règne végétal". Quand il le quitte, Hippolyte écrira ce qu'il pense être son dernier poème :

Pourquoi les oiseaux n'effraient-ils jamais les épouvantails ?
Parce qu'il manque aux épouvantails le courage d'avoir un cœur.
Pourquoi les tournesols ne rigolent-ils jamais de leur couleur jaune ?
Parce qu'ils sont occupés à se colorier le pied en vert.
Pourquoi la poésie s'est-elle blessée un soir de juin ?
Parce qu'il faut laisser reposer les souffrances quand elles s'énervent d'une envie de trop.
N° 40/2

11. La guerre d'un non-choix
(1939 – 1945)

Une guerre en forme d'urinoir

"Je suis comme le poireau : pas du tout exportable", cette célèbre citation - qui aurait pu être de Léo Ferré si elle n'était de Michel Sardou, résume très bien l'état d'esprit dans lequel se trouve Hippolyte Lalou pendant la seconde guerre mondiale. Il arrête son activité d'ouvrier agricole et restera chez lui, dans un état presque végétatif : on estime qu'il restera près de 4 ans sans s'occuper, ni écrire le moindre poème.

La guerre, Hippolyte l'a connue une première fois et l’a honnie. Il l'observe de loin, se questionnant à nouveau sur les desseins de Dieu et sur la Foi qui l'a quittée. Il regarde la guerre arriver comme un poisson rouge regarderait l'urinoir de Deschamp au Centre Pompidou : avec distance et sans doute une totale incompréhension. Il ne veut pas en entendre parler mais la guerre le rattrape, elle est là, elle prend la place, beaucoup de place : les allemands s'installent à Saffré et en mai 1944 la résistance se forme, certains sont des convaincus, d'autres ont fuit les bombardements de Nantes et St Nazaire et viennent se réfugier ici, certains ont refusé le travail obligatoire en Allemagne (STO), il se trouvera aussi quelques aviateurs anglo-américains, comme Eddy Warmington ou Paul Cyr.
La vie commune s'organise dans et autour des fermes des Brées et au Pas-du-Houx, puis plus tard en forêt, il faut aussi défricher le lieu-dit "Les Gouvallous" dans la perspective d'un parachutage d'armes... qui arrivera trop tard.
Certains maquisards ont côtoyé Hippolyte, ils savent qu'il n'est plus prêtre mais connaissent ses valeurs humanistes et lui demandent de célébrer une messe. Celui-ci refuse, il ne veut pas y participer sous quelque forme que ce soit. Ce sera très certainement l'abbé Ploquin, vicaire à Bouvron qui officiera auprès des maquisards, l'abbé ayant été très engagé dans la résistance.

(...)

Il y a des choix à faire : dénoncer ou résister... Hippolyte ferme les yeux. Eugénie et Constance tentent de lui faire prendre position. Constance le fera en rejoignant le maquis, elle transmettra des messages qu'elle cache dans ses sous-vêtements, apportera des ravitaillements aux hommes qui dorment dans la forêt... et y rencontrera un ami de Paul Cyr, un américain engagé dans le maquis. Il semblerait que Constance l'ai suivi d'abord en Normandie puis aux États-Unis. On la retrouve en effet sous le nom de Constance Bouch à bord du navire Selma Thordon ; ce qui nous fait dire qu'elle se serait mariée là-bas (et non pas en France) comme en témoigne le registre d'embarquement, reproduit ci-dessous. (1)
(photo carte embarquement)

Eugénie, elle, lui vante le courage des maquisards et lui parle d'un certain Émile Mouette, féru d'oralité qui les aide en transmettant des messages codés par le biais d'un réseau acoustique souterrain qu'il a remis en service – messages qui ont notamment servi aux Américains à prendre possession d’une partie de la forêt du Gâvre pour y installer leurs canons (la Batterie A du 908th Field Artillery Battalion)(2). Sa femme le pousse à prendre le même chemin ; les deux hommes vont donc se croiser mais ne semblent pas s'apprécier plus que ça : l'anti-cléricalisme prononcé d’Émile Mouette a probablement eu raison d'une amitié possible : "un curé, même défroqué, reste un curé !"

Ce n'est pas tant l'engagement à tenir qui perturbe Hippolyte, il sait très bien où sont ses valeurs morales et, malgré la solitude dans laquelle il s’enferme, est très au fait de l’actualité - comme on le verra dans l'extrait de texte qui suit, mais c'est plutôt l'impossibilité d'énoncer la poésie comme bouleversement possible du monde qui le dérange.

Après la crise de Foi, la crise des vers

Cette guerre est l'événement qui pousse Hippolyte dans une crise profonde. Il a œuvré toute sa vie pour faire de la poésie et faire reconnaître cet art mais force est de constater que la situation n'évolue guère... ni à Saffré, ni dans le monde.
Depuis l'invention du banc public (dont il ne se sert même plus pour déclamer ses vers), quelle transformation la poésie a-t-elle réussie dans la vie du bourg ? Mieux vaudrait ne pas répondre pour ne pas sombrer dans le pessimisme.... pourtant Hippolyte y répond et se pose même cette autre question : quel effet la poésie peut-elle avoir sur le monde quand le monde permet à un Hitler d'arriver au pouvoir ?
Non seulement Hippolyte a perdu sa foi en Dieu et mais il perd confiance en la poésie pour rendre la société meilleure, comme en témoigne cet extrait d'un texte intitulé "Les anomalies barbares"

(…) Des questions comme des réponses mal faites / la poésie ne sert à rien / pas même à se serrer la ceinture / la guerre a raison de n'importe quelle audace littéraire / jeux de mots tronqués qui n'ont même pas le pouvoir de changer la face du monde / mots tordus, abîmés, jetés en pâture à des chiens qui les rongent / les ventres vides n'ont que leurs idéaux pour se nourrir / la vraie question est celle des armes / les audaces dorment au Pas-du-houx et tentent une paix inconfortable / les monstres gammés sommeillent à Berlin / les partis-pris se résument à deux camps qui exposeront leurs entrailles / la vraie réponse est celle des armes / une réponse que je refuse de toute la douleur de mes yeux qui ont vu / les réponses sont des solutions qui tranchent / la poésie ne sert à rien / elle est le refuge de ceux qui ont les paupières lourdes de sommeil / les étendards blessent et font se lever les morts / la poésie ne sert à rien / elle est l'espoir de ceux qui n'osent pas prendre les armes / faut-il dormir avec des fusils pour espérer la paix ? / à quoi sert d'écrire ? / le constat du monde est une redite : d'une guerre à l'autre, qui a appris quelque chose de la poésie ? / qui s'est noué à elle ? / qui l'a embrassée dans toute sa splendeur incendiaire ? / d'une guerre à l'autre la poésie n'a rien changé / elle a rendu poreuse les anomalies barbares / le sang répond au rouge et les chiens hurlent d'une cacophonie macabre / le poète n'est-il que l'illusion d'un monde qui rit de lui ? / la poésie ne sert à rien / pas même à répondre à des questions mal faites / où est l'espoir d'une riposte à tout ça ? / l'espoir n'est plus un enjeu il est en joue / il fait face à des fusils qui le lorgnent en vue d'un suicide arrangé / l'espoir est une poésie morte / (...)

Le 28 juin 1944 aura lieu l'attaque du maquis de Saffré.
Près de 1500 Allemands et environ 500 miliciens et collabos vont encercler la forêt et tirer sur les maquisards, 13 sont tués, d'autres seront fait prisonniers et 27 d'entre eux seront fusillés le lendemain à la Bouvardière à Saint-Herblain, d’autres encore seront déportés.
Le parachutage de cargaisons d'armes sur le terrain des Gauvallous arrivera le 29, le lendemain du massacre.
Le 30 juin 1944 Hippolyte termine "les anomalies barbares", sorte de prose litanique et obsessionnelle longue de treize pages et décide de s’emmurer dans le silence.

L'espoir d'une porte entrouverte ?

Le poète René Guy Cadou (3) entend parler de ces "anomalies barbares" par le biais d'Eugénie qui désespère de pouvoir le sortir de son isolement. Il cherche à rencontrer Hippolyte. Il connaît sa poésie, bien sûr, car le chemin qu'il prend lui-même est tracé selon les mêmes idéaux que ceux du poète saffréen : comme lui, il a admiré un temps l'extrême liberté des surréalistes mais comme lui, il en rejette l’automatisme et le procédé systématique. Comme lui, il cherche l'émotion poétique et s'attache à une poésie qui reste ancrée dans le lyrisme de la nature et comme lui, il prône l'amour, la fraternité et la liberté dans une approche parfois mystique. Comme lui, il rejette la guerre et la barbarie nazie – ses poèmes Pleine poitrine en témoignent, mais à l'inverse de lui il reste persuadé qu'il ne faut jamais démériter de l'aventure humaine. Il croit donc pouvoir convaincre Hippolyte, sinon de retourner à une vie sociale, au moins de reprendre la plume. Et puis il souhaite lire ces "anomalies barbares" : une poésie qui clame la mort de la poésie ? … voilà qui le questionne.
Le jour où il tape à sa porte, Hippolyte refuse de le voir. Une brève entrevue a toutefois lieu à travers cette porte qu'il n'ouvrira pas, René-Guy Cadou lui parle d'espoir, des mots qu'il faut continuer à écrire, de sa femme Eugénie dont il décèle toujours l'amour, du recueil qu'il a lui-même commencé à écrie pour sa propre femme : "Hélène ou le règne végétal". Quand il le quitte, Hippolyte écrira ce qu'il pense être son dernier poème.

 

12. Poésie d'une soustraction végétale
(1945 – 1949)

 

Pourquoi... Parce que... le poème de la fin.

Pourquoi les oiseaux n'effraient-ils jamais les épouvantails ?
Parce qu'il manque aux épouvantails le courage d'avoir un cœur.
Pourquoi les tournesols ne rigolent-ils jamais de leur couleur jaune ?
Parce qu'ils sont occupés à se colorier le pied en vert.
Pourquoi la poésie s'est-elle blessée un soir de juin ?
Parce qu'il faut laisser reposer les souffrances quand elles s'énervent d'une envie de trop.

Sans nul doute inspiré de l'échange avec Cadou, Hippolyte écrit donc ce qu'il pense être son dernier poème - on verra que l'avenir lui donnera tort. Nous-mêmes nous nous y sommes trompés quand nous avons examiné ses cahiers car tout va dans ce sens : le fait de citer le mois de Juin comme un arrêt brutal, de parler des doutes qu'ils l'ont assaillis jusqu'à la fin de la guerre, d'entrevoir l'après de cette guerre abominable et une possible renaissance sans le concours des mots.

L'épouvantail est sans doute le symbole d'une France meurtrie. Peut-être aussi qu'Hippolyte se voit lui-même à l'image de cet épouvantail qui manque de cœur, dans ce cas on peut voir dans le tournesol la figure d'Eugénie et deviner en filigrane, ce qui va devenir sa passion pour les végétaux - dont il nous faut parler maintenant.

 


 

Notes:

 

(1)http://www.genenet.org. On remarquera que le nom de Bouchin est devenue Bouch, comme le faisait parfois ceux qui s'étaient engagés dans la résistance et modifiait leur nom. Elle n'est d'ailleurs pas la seule à à s'être mariée à un américain : beaucoup d'américains ont combattu dans ce qu'on a appelé la poche de St Nazaire, qui s'étendait jusqu'à St Omer de Blain.

(2)Pour plus de renseignements sur ce réseau acoustique souterrain, lire Émile Mouette, seul et unique chuchoteur public au monde, de Pierre Ménard et Denise Moreau, Éditions Le petit véhicule.

(3)René-Guy Cadou (1920-1951) est un poète installé dans les années 40 à St Aubin des Châteaux (non loin de Saffré). Il a été témoin de la capture des maquisards par les allemands. Son œuvre a beaucoup été mis en musique. La description qui suit est tiré d'un portrait fait par Luc Vidal, un des spécialistes de Cadou.

 


 

 

 

 

Professeur de lettres.Enseigne à l'université Paris-Est. Fondatrice de l'association Le Lire et Le Dire, avec laquelle elle a réalisé divers montages de lectures: Parcours de Robert Bréchon, Voies de femmes, L'Entrevue d'après le roman La Nuit La Neige de Claude Pujade-Renaud...

 

Et la lampe est au fond comme un blanc peuplier …, par Mireille Diaz-Florian

 

 

 

 

 

 

 


 

Professeur de lettres.Enseigne à l'université Paris-Est. Dans le cadre de l'association Le lire et Le Dire, elle a réalisé divers montages de lectures: Parcours de Robert Bréchon, Voies de femmes, L'Entrevue d'après le roman La Nuit La Neige de Claude Pujade-Renaud. Fondatrice de l'association Le Lire et Le Dire

 
Evoquer René Guy Cadou suppose immédiatement pour moi d’entrer dans un lieu de lecture qui s’inscrit dans un entre-deux. Celui du temps et de l’espace. Celui du dedans et du dehors. Celui qui relie mystérieusement l’écrivain à son lecteur. En ce sens, le vers cité en titre condense à lui seul ce qui caractérise pour moi une manière d’aborder ce poète et peut-être plus largement la poésie.

Il y va d’une certaine façon de m’asseoir à la table, plutôt que dans un fauteuil. Il se pourrait bien qu’une lampe délimite un cercle intime. Celui de la lecture silencieuse où soudainement surgissent le chant et l’émotion. Je retrouve dans cette posture, la manière dont j’ai lu, enfant, les textes que l’école me faisait découvrir. La poésie fut très tôt la révélation du texte mémorisé pour être dit. Et c’est précisément dans l’injonction faite d’apprendre des poèmes, que j’ai mesuré au cœur de mes lectures, le lien fondamental de la poésie avec la sonorité et le rythme.

Le fait d’avoir découvert René Guy Cadou lorsque je débutais des études de lettres a conforté cette approche. Ainsi à travers le temps, ses textes laissent-ils résonner les harmoniques qui rendent vibrantes sa poésie. La loi de la synesthésie, définie par Baudelaire, s’applique particulièrement à la lecture de Cadou. L’image devient son, le son soutient l’image. Sa partition poétique compose des paysages intérieurs et extérieurs, ordonne le souffle pour avancer dans son univers.  

Je vais donc entrer dans la chambre, cette chambre qui « est comme l’avant d’un navire qui fend les hautes vagues de la campagne ». Cette chambre à soi, endroit privilégié où l’écriture le relie à l’essentiel. Il s’est installé à sa table. Il porte en lui le monde du dehors et le passage du temps. A ses côtés, glissent dans l’ombre, les fantômes qui l’accompagneront toute sa courte vie. On peut à cet instant regarder la lampe s’enfoncer dans la table / Ecouter le silence broyer ses doigts.

L’homme est à la tâche. Ce n’est pas la présence d’Hélène qui pourrait le déranger, puisqu’elle nourrit l’œuvre de sa présence même. Puisqu’elle incarne la matière poétique qui est sienne. Puisqu’en suivant, plus tard, sa propre route, elle restera porteuse de toute mémoire. Il peut déposer dans le cercle de lumière, les géographies tremblantes du chemin. Ecrire devient alors pour le poète qui saisit la liberté surréaliste des analogies, la possibilité de faire surgir les images visuelles et sonores où s’associent la nature, les objets et les êtres.

L’espace poétique de René Guy Cadou se déploie entre des pans de nature familière et transfigurée, inscrite dans les saisons, ouverte sur l’horizon. Le poète est l’homme des bords étincelants du large. Il prend sa force dans l’eau qui tremble sous la pierre/ Dans le vent qui secoue des sierras de lumière/ dans la glaise dorée où grince l’aviron. Je l’aperçois penché sur son cahier. La lumière de la lampe resserre et amplifie la portée des mots. Il soulève les branches / Tous les oiseaux descendent sur la page blanche. L’écriture rend compte pleinement de l’instant qui s’ouvre dans l’étendue d’un paysage en même temps qu’il révèle l’intériorité du poète. Dans ce même recueil Grand Elan, une strophe en  restitue magnifiquement la puissance évocatrice.

Table où sont nées mes mains
Falaises de la lampe
Fleuves qui soulevez le couchant
Et la rampe
Griffes du  chèvrefeuille
Tendres joues du rosier
Ecoutez c’est mon pas tremblant
Dans l’escalier

Peut-on affirmer que lire, silencieusement ou à haute voix, René Guy Cadou, suscite une sorte de tremblement ? Ainsi en est-il pour moi. J’y pressens tout ce que je sais de lui, de sa vie à la croisée de la violence de l’Histoire et des blessures personnelles, celles du deuil, de la maladie. J’en partage les moments tendus ou magnifiés. Je suis entrée par lui, avec lui dans la maison. J’écoute ses pas qui le conduisent à la fenêtre. Il guide mon regard. Il revient à la table. Il écrit cette strophe qui le place  dans mon anthologie intime. 

Je suis là enchaîné à la fenêtre ouverte
Au bord du monde bleu qui borde ma maison
Le soir n’allume plus les campagnes désertes
Rien ne peut plus fixer le toit de l’horizon

L’histoire littéraire aurait pu circonscrire l’œuvre et le poète dans ses terres de la Grande Brière et dans le temps si bref d’une vie. Ses échanges de profonde amitié avec Reverdy et Max Jacob, la fraternité créatrice avec les poètes de l’école de Rochefort auront parfois renforcé une image tantôt de compagnon de route du surréalisme, tantôt de poète régionaliste. Ce qui est sûr, c’est qu’aux côtés d’autres poètes, il a « choisi de témoigner du passage de l'homme et de son éternité. Comme tous les grands auteurs, il place son lecteur au cœur des questions fondamentales d’une vie, que la poésie assume pleinement dès son origine.

Orphée aura réussi, à défaut de ramener Eurydice à la lumière, à faire entendre dans l’ombre froide des terres infernales, la puissance du chant poétique. Il reste alors l’humble certitude que le poème est rédemption, terme qui peut doublement résonner dans l’œuvre de René Guy Cadou, dont la quête de sens interroge Dieu tout autant que les hommes. Il s’engage à restituer par l’écriture, l’éclat d’une vie où il s’est avancé, manœuvrier de la langue, à saisir la moindre parcelle de beauté, qui seule ordonne le monde. J’écris pour me sauver/Pour saluer ce qui reste/Un bourgeon de soleil oublié sur ma veste/Une main reconnue qui se fond dans ma main.

Lorsque se referme la fenêtre de la chambre d’écriture, puis la porte de la maison, perdurent, sur la page que la lampe longtemps éclaire dans « l’épaisseur du temps », les vers qui scellent la voix du poète dans nos mémoires.

Si ce poème enfin
N’était rien qu’un poème
Et non le cri d’un homme
En face de sa nuit

René Guy Cadou nous a légué une œuvre puissante et sonore, arrimée fermement à tous les débarcadères, à tous les trains, à tous les chemins poétiques. Il accorde à chaque lecteur le franchissement du seuil, le passage lyrique qui permet de dépasser la crue noire du temps.

 

Décembre 2019

 


 

 

 

 

ROSE Georges. Né en 1955, à Paris., À côté de la poésie imprimée (une trentaine de recueils), s'est souvent tourné vers d'autres formes de rencontres : lectures, créations poétique à l'école, ateliers de banderoles, poèmes-affiches, spectacles et expositions avec des peintres, des musiciens, interventions au cours de réunions... Il écrit aussi des récits et pour le théâtre. Docteur en ethnologie. Recueil récent : Ultrableu (Henry)

Le rendez-vous de René-Guy Cadou, par Georges Rose

 


 

« Ô poésie ! /Rimbaud ! Rimbaud ! », s'exclame Cadou, à la fin d'un poème. Rimbaud avait écrit au « Maître » Théodore de Banville : « J'ai dix-sept ans, l'âge des espérances et des chimères et je me suis mis, enfant touché par la Muse... » Cette entrée en poésie n'a pas survécu à ses vingt ans. Il ne lui a plus jamais donné d'importance, après ce jaillissement précoce. Peut-être a-t-il considéré qu'il s'agissait de chimères, d'espérances désuètes.

Cadou est entré en poésie à dix-sept ans, lui aussi, avec ses « Brancardiers de l'aube ». L'écriture est déjà en place. Il s'y est tenu, jusqu'à sa mort. Chaque soir, il se mettait à sa table, à cinq heures, après l'école, près de sa femme, souvent présente dans la pièce, avec le chien et le chat.

Ce rapport obligé, quotidien, ne situe pas seulement un rapport à l'écriture - peut-être aussi une condition- mais une présence qui se retrouve dans sa poésie, une écoute, un regard. Ce côtoiement régulier de la part d'un homme qui a écrit, « Et l'idée d'être un homme/me donne envie de rire », avec la conscience que ce n'est pas exactement celui-là qui écrit, révèle une voie pour vivre, c'est à dire faire ce que la vie veut faire. Mystère des parcours. Cadou commençait à vivre à cinq heures, selon ses propres mots. Rimbaud s'est complètement détourné de cette part de lui-même.

Qu'est-ce que la poésie ? Pourquoi écrire et qui le fait vraiment ? Rimbaud a répondu en claquant la porte. Mais on ne peut pas faire de la poésie. Il faut que la poésie se fasse d'elle-même. Matisse disait, pour la peinture : « Je commence et cela m'échappe complètement. Je suis spectateur. » Cadou le savait sans doute à sa façon. « Ah ! croyez-moi je ne suis pour rien dans ce qui m'arrive. », « Je n'ai pas écrit ce livre. Il m'a été dicté par une voix souveraine...Je ne cèle pas que ces poèmes m'arrivent de bien plus loin que moi-même… », Et, d'ailleurs, « Ma vie ne commence qu'au-delà de moi-même » avec « Le courage de ne ressembler à personne ».

Matisse, encore, parlant de la Chapelle de Vence : « Si je crois en Dieu ? Oui, quand je travaille. Quand je suis soumis et modeste, je me sens comme aidé par quelqu'un qui me fait faire des choses bien au-dessus de moi. » Ce mot Dieu apparaît souvent dans la poésie de Cadou, peut-être dans cet ordre d’idées, je ne sais pas. (Dieu est chez lui chez tous les vrais poètes, pensait Supervielle.) Dieu, à côté de cœur, sang, épaule, mains, ciel et arbres, de cloches qui ont aussi des épaules, et de bien d'autres choses de la vie et de la terre.

I

Ainsi : « La montagne/myrtilles dérobées aux prunelles/ des bœufs », « Voyelles renversées sur le ciel/ô cigales », « Grands arbres qui me chauffent comme une femme », « Le ciel fait boire au fond des yeux son attelage ». Il ne sait rien, Cadou, mais il écrit. « Je ne sais rien de ce village...de l'homme qui s'abrite un instant sous mon front » Il l'écrit, penché sur la terre mais les yeux au ciel, côtoyant les autres en lui-même, laissant les jours le quitter et l'accueillir, épaule contre épaule. Ne se distinguant pas, au fond, de ces choses, relié. « Je n'ai plus rien à moi que ma vie sur les bras/Un cœur qui n'a pas son pareil ».
Qu'est-ce que Rimbaud aurait écrit après vingt ans ? On ne le sait pas, car il ne l'a pas fait. Cadou a toujours écrit pendant cette courte vie, « Mais la vie la plus courte est souvent la meilleure ». « Je pars sans haine et sans défense », « Je suis seul sur la route/ mon passé sur le dos/ je serai le premier sur les pas du matin » Peut-être, parce qu'il était seul et sans défense, c'est à dire qu'il ne se défendait pas de la vie, pouvait-il être le premier. « Ô mort, ô seul matin » a dit Bernanos.

Cadou : « Je vais et je ne sais rien de ma vie mais je vais ». Il faut, dit-on, cent ans pour apprendre le Tai chi chuan (une discipline qu'on ne peut pas faire, justement, si on le fait soi), autrement dit, on ne sait jamais, on reste toujours un débutant, neuf à chaque fois. Ainsi, « Je vais loin dans le ciel et dans la nuit des temps ». Ne sachant rien, simplement attentif, présent à ce qui est.

Je n'avais pas lu Cadou depuis longtemps. Ouvrant un livre, c'est cette présence qui retient. Cadou n'est jamais allé en Abyssinie (ni ailleurs). Pour y faire quoi ? Des trafics ? Au lieu d'écrire. La poésie n'est pas une sorte de jaillissement temporaire (elle l'est aussi, bien sûr), mais un travail accompli avec la persévérance des montagnes, des mers, des arbres qui ne s'absentent jamais. Cadou a beaucoup écrit. Katerina Angelaki Rouk disait, dans un poème : « Nous écrirons des poèmes jusqu'au bout de la vieillesse/jusqu'à l'extrémité de la souffrance ». Cadou n'a pas connu la vieillesse, mais peut-être, malade, je crois, la souffrance.
Il n'est allé, paraît-il, qu'une fois à Paris. Il n'avait pas besoin. Il avait son école, celle de Rochefort qui, si on la compare à celle des Surréalistes était, comme il le dit lui-même, une « cour de récréation », probablement plus fraternelle -sans exclusions ni diktats- sans prétention en tout cas. « Laissez -moi la lumière/Ce visage étonné où je baigne mes mains », « Pour moi se lève encore la poitrine des herbes. Une place est gardée au milieu des brebis/Et les étoiles font comme un vol de perdrix ».

Cette proximité avec les gens et les choses, c'est à dire avec ce plus que lui-même - c'est d'ailleurs la même chose - lui permet de garder cette fraîcheur - c'est le premier mot qui m'est venu à l'esprit en évoquant Cadou - cet émerveillement. Avec le temps, on ne voit plus. La poésie nous voit, voit ce qui est.  « Et quand j'arrive la mer est déjà là » (je me sens proche de ces mots) « Terres plantées en hommes/Miracle des chevaux/Palissades des blés »
Cette simplicité est celle du temps quotidien : le vrai. Non pas les temps forts, les événements, les accidents dont raffolent les journalistes, mais ce qui est là, devant chacun. Tout ce qui est perdu, car la plupart du temps nous avons la tête ailleurs. Pour la mort aussi.

II

« Ô mort parle plus bas on pourrait nous entendre », « Nous nous aimons de loin/Belle mort inconnue/ Et ma tête est promise/A tes mains fraternelles », « Je t’ouvrirai la porte mais nous irons dormir ailleurs que dans les prés ».

Il y a quelque chose de Péguy chez Cadou, dans la répétition qui est, en fait, attention. Un regard d’enfant, insistant, qui ne se détourne pas. On sait l’importance de l’enfance, qui revient toujours dans ses poèmes. La petite enfance chère à Péguy. « Te souviens-tu encore de ton enfance/ Comme d’un chemin de sable où l’on s’enfonce », « Je baigne dans tes yeux mieux que dans l’eau du jour/ La neige coulera comme un beau marbre antique »

« Très tard les grands chemins passent sous la fenêtre » De cette fenêtre, donnant sur les champs et les bois, où Cadou se retrouvait après l’école pour son rendez-vous quotidien avec la poésie. Une fidélité à lui-même qui lui permettait d’écrire : « Déjà je suis trop loin pour manquer l’avenir » et, ajoutons, pour n’être pas présent au jour du centenaire de sa naissance.

 


 

 

 

 

Alexandra Ibanès est professeur des écoles. 48 ans, vit à Narbonne.           Publications :Un été à l’Iris de Suse  (Éditions l’art d’en face, 2015) ; Passion Tolstoï (collectif) (les éditions du jais, 2016) ; Le Soleil est nouveau chaque jour (Éditions Le Serpolet, 2016) . A publié également aux éditions du jais trois livres écrits par des enfants. Articles pour les revues l’École des Lettres et Diotime.

Le baiser Cadou, par Alexandra Ibanez



  

Un baiser Cadou n’est pas un baiser comme les autres, c’est le baiser royal de l’imaginaire venant d’un règne végétal. L’ingérence du poète de Rochefort donne à la sensualité de cette caresse un goût de figue, la douceur du muscat et l’or du tournesol.

Le baiser Cadou est impressionniste, léger, heureux. Il se fond dans un rêve aussi bleu qu’un champ de lin. Quand elle embrasse son bel ami, elle tend son cou comme un butor assoiffé, ses lèvres deviennent soie, sa bouche devient une fleur de géranium.

Cadou, l’assonance est douce, ce nom a la couleur des prés, l’odeur d’une terre mouillée, la beauté d’une barrière fleurie, l’immensité du ciel. Le doux baiser Cadou est le cercle lumineux du soleil qui rayonne, il s’ouvre comme tous les capitules semblables aux désirs qui assaillent. Ce baiser aux mille brins de blé, au breuvage d’hypocras où se mêlent miel, poivre, cannelle, coriandre s’offre de différentes manières.

Il est souvent surromantique se mêlant à la vie.

L’hiver quand le froid glace les corps, il est impétueux.

Au printemps, quand les amandiers couvrent leurs branches de robes de mariées, il est véhément et divin.

L’été ? Il est prairie ou verger.

L’automne lui donne une saveur de coing, de châtaigne et de poire.

Quel que soit le jour, le baiser Cadou est une impression de soleil levant, il est lumière.
Onirique, il est aussi innocent.
Permis, il est renouveau et pureté.
Mystérieux, il est pastoral et bucolique.

Le poète à lui seul est un baiser Cadou.

 


 

 

 

 

 

Né en 1953 à Guérande. C’est au coeur de la commune d’Orvault, à la Bugallière, que Christian Bulting a déposé ses valises pour vivre de sa passion : l’écriture. Auteur de poésie et de romans.

Cadou et Apollinaire, par Christian Bulting

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

D'emblée on voit ce qui rapproche les deux poètes. Ce sont des lyriques. Leur poésie chante la vie, l'amour, la nature, la condition de l'homme, la souffrance, la mort. Ce sont deux hommes qui veulent vivre pleinement leurs vies, et la vivre avec la poésie, avec l'écriture. Si l'on retient, avec raison, en premier leur œuvre poétique, ils sont tous deux auteurs d'une vaste œuvre en prose, parfois ignorée. Les deux hommes avaient un ami commun. Et quel ami ! Max Jacob s'il fut au Bateau-Lavoir avec Apollinaire fut avec Cadou à Saint-Benoît-sur-Loire en 1940. Max Jacob adressa, à partir de 1937 et jusqu'en 1944, pas moins de 200 lettres à René Guy Cadou. Si pour Apollinaire Max Jacob était un pair, il était pour Cadou un père spirituel – qu'il rencontre pour la première et dernière fois très peu de temps après la mort de son propre père.

En octobre 1943 René Guy Cadou commence la rédaction du livre « Le testament d'Apollinaire ». Il est alors « bonne d'enfants dans un château à tourelles des bords de Loire » comme il le dit plaisamment au début de son second livre sur l'auteur du « Pont Mirabeau » : « Guillaume Apollinaire ou l'artilleur de Metz ». En fait, il est instituteur remplaçant à Basse-Goulaine, près de Nantes, à la Chesnaie, qui accueillait des enfants de Saint-Nazaire, évacués à cause des bombardements sur la ville. Les conditions de travail du jeune enseignant sont idéales : pas de cours, quatre heures de surveillance, quatre jours par semaine. Sans doute Cadou méditait-il un ouvrage sur Apollinaire depuis un moment. Il trouve là l'occasion de l'écrire.

Le livre se veut un « témoignage » et non un essai, un « témoignage de reconnaissance passionnée », un « témoignage d'amour » comme l'écrit Georges-Emmanuel Clancier dans la préface de la réédition du livre en 1985 chez Rougerie. Dans son avertissement Cadou définit son projet : « Il s'agit pour moi de concrétiser un élan, une flamme, d'élever dans vos yeux la claire statue de mon amour ».  Plus que des analyses littéraires fouillées, il a à cœur de faire sentir l'homme, ce grand vivant, et des aperçus sur l'œuvre afin de la faire aimer, que le lecteur ait le désir de la lire ou la relire. Pour peindre l'homme il emprunte des anecdotes à ses amis, qu'il tient de ses lectures ou en ce qui concerne celles de Max Jacob, de sa correspondance ou de sa bouche même. On voit un Apollinaire démonstratif, blagueur, mystificateur avec ses amis dans les cafés. Il évoque Annie Playden, rend un bel hommage à Marie Laurencin, voit Madeleine Pages plus comme un rêve que comme un être de chair, citant Apollinaire « Je t'adore ô ma déesse même si tu n'es que dans mon imagination », très peu de références à Lou, dont ni les poèmes que lui a consacrés le poète, ni les lettres de celui-ci n'ont, en 1943, été publiés, et Jacqueline Kolb, l'épouse des derniers mois est mentionnée rapidement. Notons que pour son livre Cadou avait contacté cette dernière ainsi que Marie Laurencin. Jacqueline dans sa réponse constate que « tant de jeunes sont en peine de ne trouver aucune œuvre poétique en librairie » de Guillaume Apollinaire. Et elle ajoute qu'elle vient « d’en discuter sérieusement avec la NRF » et qu'elle a « bon espoir ». Quant à Marie Laurencin elle écrit : « Ce grand poète préférait l'invention à la réalité ». Et ajoute « Que vous ne l'ayez pas connu c'est certainement une grâce de plus auprès de lui » ( les deux lettres sont publiés en fac-similé à la fin du volume Rougerie).      

Cadou parle avec justesse de Guillaume amoureux. Sans doute le fait d’être lui-même amoureux au moment de l'écriture du livre – la rencontre avec Hélène ayant eu lieu le 17 juin 1943 à Clisson – favorise-t-il son approche des sentiments d'Apollinaire. Il se sent probablement en résonance avec celui dont il écrit : « Il use de son amour sans mesure ». Au-delà du portrait de l'homme, la grande qualité du livre de Cadou sur Apollinaire est qu'il connaît très bien l'œuvre poétique, qu'il l'a « Mâchonnée », assimilée, les citations qu'il en donne sont excellentes. Cadou déclare qu'il lit Apollinaire « pas longtemps mais souvent ». Ce qui « nous a redonné foi dans la beauté... Aussi sa poésie est-elle avant tout une poésie de bonne nouvelle, une montée verticale vers la joie. »

Au fil des pages Cadou parvient à plonger au cœur de la poésie d'Apollinaire : « Il est certain qu'Apollinaire a voulu retrouver la naïveté des grands primitifs... » Ou encore : « Rien de plus difficile à centrer en effet qu'un poème d'Apollinaire : il part en toutes directions pour se regrouper mystérieusement et jaillir finalement sur l'âme qui l'éblouit. On est d'abord saisi d'étonnement comme devant les premières machines volantes, on doute que cet oiseau humainement disproportionné parvienne un jour à s'envoler ». Pour ma part je n'ai jamais lu quelque chose d'aussi juste sur la singularité des poèmes d'Apollinaire et leur effet sur le lecteur. Cadou arrive à fixer en quelques mots un peu de la magie du poème Apollinarien, à définir l'effet qu'il produit sur le lecteur. Il insiste encore sur « la beauté nouvelle (qui) vient de naître en effet des rapprochements les plus inattendus ». Et il conclut : « Mais nous devons surtout à Apollinaire cette liberté de langage, ce ton volontairement dégagé qui donnent au poème une apparence facile ». On a du mal en lisant « Le testament d'Apollinaire » à saisir l'enchaînement dans les analyses. Cadou procède plus par intuitions que par développements logiques. L'intérieur des chapitres s'éloigne vite de leurs titres et un même thème (les amours, la vie au front, les amis) est repris dans plusieurs chapitres. Ce qui a pour conséquence un manque d'approfondissement dû non à une méconnaissance du sujet mais à une question de méthode.

Cette insatisfaction que le lecteur peut avoir après avoir achevé la lecture du livre – plein de sympathie pour Guillaume et amoureux de sa poésie, ce qui était le but initial de Cadou, but atteint - cette insatisfaction Cadou l'avait lui aussi. D'où le projet d'un second livre, à la première page duquel il pointe les insuffisances du premier « Je ne m'attachais en effet, dans cet ouvrage, qu'aux grandes vagues de surface... je n'apportais rien de nouveau quant au personnage ». Le second livre sur l'auteur de « La chanson du mal-aimé » s'intitulera : « Guillaume Apollinaire ou l'artilleur de Metz » et sera écrit à Louisfert où Cadou occupe maintenant un poste fixe, du 1er octobre au 11 novembre 1946, selon la mention de l'auteur lui-même à la fin de son ouvrage. C'est le seul livre de Cadou non réédité depuis sa parution. Hélène ne le voulait pas. Je lui ai personnellement posé la question à plusieurs reprises. Sa réponse avait été que René n'avait pas été satisfait de ce livre, c'est pour cela qu'il en avait rédigé un second. Cette confusion était volontaire de la part d'Hélène, afin d'éluder les raisons de sa volonté délibérée de ne pas rééditer « L’artilleur de Metz ».  Je crois que les motifs en sont simples. Ce livre sur l'érotisme d'Apollinaire aurait pu faire passer René pour un obsédé sexuel, ce qu'il n'était pas, même s'il aimait l'amour, et que toute sa vie Hélène a lutté contre la réduction de la figure de Cadou à une image toute faite : poète instituteur, poète rural poète alcoolique...

Le nouveau livre de Cadou sur Apollinaire sera ciblé. Ce sera un livre sur l'érotisme d'Apollinaire. Les anecdotes en seront écartées ainsi que l'amour sentimental. Cadou souhaite s'attacher à l'œuvre. Pourquoi ce titre : « L’artilleur de Metz » ? Si Apollinaire était bien dans d'artillerie – il déclarait avec humour : « J'ai tant aimé les arts que je suis artilleur – il ne fut pas à Metz. » « L’artilleur de Metz » est une chanson gaillarde dont le titre personnifiait assez bien, d'après Cadou, le canonnier conducteur Guillaume Apollinaire. Ce dernier goûtait ce genre de chansons, Monseigneur Dupanloup en particulier. Dans sa correspondance il en démarquait parfois les paroles. On sait que Cadou avait aussi une inclination pour ces chansons. Le chapitre le plus instructif de l'ouvrage est celui qui porte sur la collaboration de Guillaume à la collection « Les maîtres de l'amour » (Bibliothèque des curieux) pour laquelle il écrit préfaces et notices sur les œuvres de l'Aretin, de Sade, de John Cleland, l'auteur de Fanny Hill. Sur ce dernier son introduction ne fait pas moins de 129 pages. Sur Baudelaire ce sera 5 pages Cette activité purement alimentaire – ses articles dans la presse ne suffisant pas à le faire vivre - « ont permis au poète de mener son œuvre à bien dans une précaire tranquillité matérielle » d'après Cadou. Cette collaboration amorcée en 1902 se poursuivra jusqu'en 1913. Et Guillaume lui-même commettra au moins trois ouvrages dans cette veine : « Les onze mille verges », « Les exploits du jeune Don Juan », et «  La négresse amoureuse ». D'autres titres qu'il signe sont en fait écrits par son ami René Dalize. On se doute bien que ces livres, ces préfaces rapportent plus que les poèmes qu'il fait paraître. Les livres érotiques écrits par Guillaume paraissent sous le manteau. Echaudé par l'affaire du vol de la Joconde qui lui valut quelques jours de prison « davantage encore que ses éditeurs (il) craignait les poursuites judiciaires ». Un auteur comme Sade influencera le Guillaume Apollinaire des contes de « L’hérésiarque et Cie », où dans certains passages la cruauté se mêle à l'érotisme. Il déclarait à propos de l'auteur de « Justine » qu’il était « l’esprit le plus libre qui ait encore existé ».

Dans la poésie de Guillaume Apollinaire l'érotisme est affirmation de la vie, de la joie. « Il le digère lentement, l'incorpore à sa propre substance, en fait un suc, une sève, un sang viril qui donne à sa poésie toute sa chaleur et son rayonnement écrit Cadou. Il cite quelques vers aujourd'hui célèbres : « Tes seins sont les seuls obus que j'aime » « Et moi j'ai le cœur aussi gros/ Qu'un cul de dame damascène ». Il fait sienne cette affirmation d'Hubert Fabureau : « Son priapisme verbal a toujours laissé intacte la pureté de son cœur ».

A la fin de la lecture de « L’artilleur de Metz » on reste sur sa faim, comme c'était le cas en achevant « Le testament d'Apollinaire ». Mis à part les quelques aperçus qui viennent d'être signalés, on n'en sait guère plus sur l'érotisme dans l'œuvre d'Apollinaire. Deux pages sont rajoutées après le dernier chapitre. Les « Poèmes à Lou » viennent de paraître et Cadou en rend compte. Ils constatent qu'ils « ne requièrent point toute notre admiration ». Et qu'ils n'apportent rien de plus aux poèmes déjà publiés. Jugement que nous ne partageons pas. Ces « Poèmes à Lou » sont de notre point de vue à hauteur de l'œuvre parue du vivant de l'auteur. Et ils auraient pu permettre à Cadou de réévaluer entièrement la question de l'érotisme chez Apollinaire. Mais pour cela peut-être aurait-il fallu réécrire « L’artilleur de Metz » en grande partie. Un autre regret : les citations du livre sont exactement les mêmes que dans « Le testament d'Apollinaire ». Ce qui n'est, somme toute, gênant que si on lit les deux ouvrages à la suite.

Cadou évoque, à la fin de son livre, la mort de Guillaume par cette description qui pour lui résume l'homme et son destin : « Il tenait un crucifix dans ses mains et une peinture galante était accrochée au chevet de son lit ».

 

Signalons que René Guy Cadou a aussi écrit un poème : « L’enterrement d'Apollinaire ».  

 

 


 

 

 

 

 

Nicole DRANO STAMBERG, de père occitan et de mère autrichienne, est née à Lodève .Vit à Arboras et à Frontignan (Hérault). Co-responsable de l’association Humanisme et Culture, elle organise et présente régulièrement les lectures publiques «A la Santé des Poètes», «Poètes qui êtes-vous ?» en invitant des poètes à Frontignan, Montpeyroux, Béziers, (plus de 200 poètes invités de 15 nationalités différentes depuis 12 ans) ainsi qu'à l'animation des «Rencontres des Suds» à Frontignan et à Grabels.

Mot, Femme, Amour, Hélène Cadou, par Nicole Drano Stamberg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Hélène Cadou a des mots plus forts que la mort. Elle les a relevés et conservés dans son pays d'enfance au coeur du Pays Blanc en Bretagne près de Guérande où l'on cueille le sel dans les marais salants. Hélène fut la compagne protectrice et attentive du poète René Guy Cadou.
Dans l'écriture d'Hélène les mots sont une source où elle puise leur fluidité, leur sobriété pour mieux exprimer l'essentiel. Hélène écrit dans "Demeures":

"Les mots /Viennent vers moi/ Comme des taches de couleur"..."Les mots/ Ne viennent pas de moi/Mais du cerisier neigeux/ Qui rêve à de futures cerises/ Alors je cueille les mots. Avec "le  Premier mot" elle ajoute: "Tu conjurais la mort / Avec des mots/ Et je semais des ailes" "Un mot clé/Pour ouvrir/ La porte/...Il n'y a pas de porte,"/"Un mot/ Mais/ Pas une porte"..."Tout est partout"*

Oui, tout est partout même avec "Les femmes des pays muets" titre d'un poème d'Hélène: un beau poème, long et droit sur la page. Les vers sont courts, généreux et forts. Ce poème dans sa simplicité, son engagement nous bouleverse. Hélène, vous répandez sur nous une riche frondaison, nous qui sommes souvent silencieuses et isolées tâtonnant dans d'incertaines ombres qui émeuvent et ravivent nos forces.
Elles sont toujours là :
"Les femmes des pays muets/ Femmes sans nom/ Toutes les femmes /Parole à vif/ La femme/La faille" "Ces femmes/ M'ont offert/ Un pan d'été/ Pour s'étoiler/ Dans leur bure"//
La femme/ Reviendra par la petite porte/ Celle de l'enfance sur le jardin" "La femme/ Découvre/ Le fruit de l'arbre.../ Amour dont je m'abreuve/ Dit-elle/ Posant la charge"// "Mais au village / Les femmes fières n'osent pas dire/ La chose qui leur noue le coeur"*

Hélène est une poète de l'harmonie, sa parole poétique est toute douceur, fermeté mais aussi une parole de partage où elle redonne confiance sur une terre apaisée "où s'éveille au creux de nos coeurs/ La petite soeur harmonie" cette harmonie qu'elle a su rendre vibrante dans le rayonnement de ses poèmes.
Le lien poétique qui unissait les forces vitales de ces Mots à la Femme nommée Hélène ne pouvait être qu'une porte qui s'ouvre grand sur l'Amour, cet Amour qui auréole chaque poème comme un courant qui vient de bien plus loin que nous pour nous envahir. La ferveur qui entoure l'oeuvre de cette poète tient avant tout de la profondeur humaine qui la constitue. Le langage est accessible à
à tous, il touche les points sensibles, et révèle que l'Amour qui lie ces deux êtres:  René Guy Cadou et Hélène dépasse cette passion pour atteindre une grande fraternité qui participe à la création.

"De ce jardin/ Fou de ses fleurs.../De tout cet Amour qui va naître" "Je cherche/ Une impossible demeure...Quand la terre/Tombera dans la fosse./Le Domaine/ Du trop d'Amour" " Le monde/ Tourne rond dans notre enclos/Mais ailleurs qu'en est -il/ Mais ailleurs/ Mon Amour?""Si jeune le ciel/ Que la vie afflue/ A pleine gorge/ Amour dont je m'abreuve/ Une eau toute simple/ La braise de l'Amour en son infinité/ Offerte/ A toute soif/" "Personne/ Jamais ne saura/ Dans quelle cache/ Elle avait enfoui son Amour..."*

Le jardin, la petite porte et le cerisier, avec la pureté de son écriture et la rêverie profonde qui est suggérée, Hélène rejoint la source de sa poésie
celle d'une Femme qui sait
nous révéler grâce à ses poèmes
l'Amour qui illumine
ses Mots.

(Décembre 2019)

Notes:

*Hélène CADOU, "Demeures", Ed. Rougerie
*Cahiers  Bleus (Voix de femmes) n° 27
*Hélène CADOU, "Retour à l'été", Maison de la poésie de Nancy
élène CADOU, "Le livre perdu", Ed. Rougerie 
 

 


 

 

 

 

 

Jean François Jacques est le neveu d'Hélène Cadou...

Retour à l’été, par Jean-François Jacques

 

 

 

 

 

 

 


 

L’achevé d’imprimer du recueil de poèmes d’Hélène Cadou intitulé « Retour à l’été » porte la date du « 15 mai 1993, sur les presses de Plein Chant à Bassac, Charente ». (Editions Serpenoise, Presses Universitaires de Nancy)
Le même jour exactement, suivant la convention signée en novembre 1992, Hélène a de nouveau la jouissance de la maison d’école de Louisfert, où sera créé un musée dans la salle de classe. Ainsi naît « la Demeure ».
Est-ce une coïncidence ? J’incline à penser que cette concomitance de dates est voulue – mais Hélène a toujours cru à l’ange qui organisait pour elle de telles petites épiphanies.
« Demeures », paru en 1989 chez Rougerie, est le recueil d’Hélène le plus ouvertement consacré au paradis que fut Louisfert de 1946 à 1951, perdu le 20 mars 1951 : au-delà, il n’y plus de lieu où habiter :

Assignée à résidence
Hors de ma vie

Je cherche un toit
A qui parler

Un toit d’ardoise
Avec une petite fumée pâle
Qui interroge

Le ciel si froid …/…

Mais dans les mois qui précèdent ce 15 mai 1993, tout change. Hélène sait qu’elle va revenir à Nantes, œuvrer à la création du Centre René Guy Cadou, et à Louisfert pour la Demeure.
Si le retour à Nantes est un véritable renouveau, la perspective du retour estival à Louisfert, exprimée pour les autres comme une grande joie, provoque chez elle un mélange de joie mêlée d’inquiétude, d’angoisse même : elle va l’exprimer dans « Retour à l’été ». L’ensemble du recueil est daté « Printemps 1991 – Printemps 1992 » : c’est la période de gestation du projet. L’association de gestion de la Demeure a été créée le 13 mars 1992. On peut considérer que l’expression de ces sentiments ambivalents débute avec la première des trois parties que je lirai ici, sur les dix qui composent ce recueil : « Les trois marches », puis « Pour apprivoiser l’ombre » et « Les sept fenêtres ».
« Retour au pays bleu » est le premier poème de cette série.

Retour au pays bleu
Promesse

Savent-ils bien
Ce qu’ils font ?

Quand l’âme
Déjà s’est rendue

Le corps
Appréhende la nuit

Liesse
Ou bien peur des barreaux

L’ardoise là-bas peut attendre
Qui la lira ?

Déjà les visages s’effacent
Et puis les mots. (p.31)

Hélène est poussée par les amis, par son entourage. Deux points d’interrogations ponctuent ce poème : il y en aura une dizaine tout au long de ces trois chapitres, signe de ponctuation très rare dans son œuvre. Tout est là : l’acceptation de la mort, au bout de ces 41 ans qui viennent de s’écouler, l’absence du corps et l’effacement du visage, qui plus loin va devenir « ombre », l’ardoise devenue muette, soit le tableau de la classe désertée, symbole de l’effacement des mots, la peur des « barreaux », de l’enfermement. Mais aussi, violemment contradictoire au milieu du poème, la liesse du retour. Dans tous ces poèmes, Hélène parle d’elle-même à la troisième personne.

Les deux poèmes qui suivent s’ouvrent sur l’acte concret du retour : ouvrir la petite porte. Mais derrière, où est la cache, où sont les trois clés de la maison aux trois portes, retrouvera-t-elle « le secret de leur alliance » ? Comment sa mémoire pourrait-elle meubler le vide de ces murs désertés ?

Quand la porte
S’ouvrira sur le vide des murs

Pour l’évidence la plus nue

Au pied de l’escalier
Sera-ce lui ?

Ou bien
L’ombre des grands oiseaux
Qui l’emportèrent à jamais
Cette autre année ? (p.33)

Ce thème de « l’ombre », de René dont le fantôme semble l’attendre au pied de l’escalier, va revenir à plusieurs reprises : la verra-t-elle, « le » verra-t-elle ? Ce poème s’ouvre d’ailleurs par ce qui est un symbole fort de Louisfert : le coq, le fameux coq dessiné par Max Jacob pour René, qui va reprendre sa place au-dessus de ce qui fut la cheminée :

 

Même si le coq
Annonce
Le plus beau jour
 « …/…
Même si l’escalier
Sent bon la cire
Comme autrefois

Seras-tu là pour me le dire
Seras-tu là ? (p.34)

Quelle place aura René dans ce retour à l’été ? Mais sera-ce-possible ? Une fois de plus, l’invisibilité impose son absolu :

Il faudra reprendre le fil
Retrouver l’odeur de ta joue
Pour que les fruits dans sa bouche
Évoquent le goût de l’été (p.37)

Tout sera bien
-              Mais aura-t-on gardé ta place ? –
Quand je reviendrai sur la route
Avec mon regard d’autrefois
Moi seule je te verrai
Là-haut derrière la vitre

Moi seule je te verrai
Ou ne te verrai pas. (p.46)

Ainsi, Hélène sait que tout sera en ordre, matériellement en tous cas. C’est à Louisfert, bien plus qu’à Nantes, qu’Hélène apporte ses meubles, la bibliothèque de René, sa vie personnelle : l’appartement de Nantes sera sommairement meublé de neuf… Mais elle a néanmoins peur de buter sur l’escalier, sur les trois marches d’entrée, et d’affronter le vide :

De nouveau
Le linge dans l’armoire
Les cris d’enfants

Et le fouillis du ciel
…/…
La femme parviendra
Devant la grille

Mais les trois marches
Quel ange les lui fera
Jamais franchir ?

C’est sa vie entière qu’Hélène apporte avec elle : est-ce pour revivre, ou pour trouver un coin d’ombre où se perdre ? Est-ce pour un but très concret, le musée (« pour que l’histoire y soit lisible »), ou pour se replier sur son amour ?

On s’activait dans la demeure

Murs rechampis
Parquets cirés

Vitres bien nettes
Pour que l’histoire y soit lisible

Mais sur la route elle arrivait
Portant sa vie sur ses épaules

Rien qu’un coin d’ombre
Laissez-moi implorait-elle

Pour m’y perdre à jamais
Dans le silence de mon amour. (P.45).

Il me semble que les poèmes du troisième chapitre de cette série, « Les Sept fenêtres », apportent un apaisement, et comme un éblouissement d’évidence.

Sept, c’est effectivement le nombre de fenêtres de Louisfert, comme il y a trois portes, trois clés : la cour, la rue, le jardin. Louisfert comme un petit théâtre, un microcosme : 7 est un nombre sacré, c’est le nombre qui unit la terre (3) et le ciel (4), c’est le nombre mystique par excellence.

Notre demeure
A sept fenêtres
Le savais-tu ?

Sept fenêtres
Pour boire le ciel

Et nous y perdre

Sept fenêtres
Pour nous aimer
Comme des fruits

Dans le feuillage de l’été. (p.51)

Cet apaisement, Hélène va le trouver dans ce retour aux étés de Louisfert :
…/…
On regarde sa vie
Avec l’indulgence des sages

Quand c’est la folie
Des anges

L’innombrable amour
Du gouffre

Qui vous tient. (p.52)

…/…
Et puis attendre sagement
L’ange qui passe

Un doigt sur les lèvres
Pour l’adieu. (p.57)

L’ange a aidé Hélène à franchir les trois marches, à voir de manière apaisée l’ombre de René au pied des marches, à ouvrir les barreaux de la mémoire, à tenir les 7 fenêtres grandes ouvertes, à accompagner les amis écouter le coq, en silence …

 


 

 

 

 

Luc Vidal est né à Nantes un 6 juin 1950. Scolarité primaire à l’école des Batignolles, cité ouvrière dans cette même ville. Études lycéennes au lycée Clémenceau tout près du Jardin des Plantes et de la gare d’Orléans. La Cité d’Orphée des années soixante avait encore le parfum du poème de René Guy Cadou. Les chansons de Léo Ferré, Jean Ferrat et Jacques Brel lui donnent le goût des poètes et de leurs poèmes. Il apprend le métier d’instituteur à l’école normale de Savenay. Fait une licence d’histoire à l’université de Nantes. Premiers débats avec quelques amis sur la poésie et l’esprit de révolte. Villon, Rabelais, Baudelaire, Gérard de Nerval, Balzac, Rimbaud, Verlaine, Zola, Marcel Proust, Romain Rolland, Aragon, Martin du Gard, Robert Desnos sont ses compagnons de route et de lecture. La mort d’un camarade, Jean Yves Tralli dans un accident de voiture, en 1970 lors d’un même voyage sur la côte Atlantique lui fait écrire un premier poème de la souvenance.

Il crée une petite maison d’édition associative dans les années quatre-vingt, les Éditions du Petit Véhicule, histoire de penser l’éducation populaire pour toutes et tous vers le haut du pavé. Il a animé en particulier la revue Signes, remplacée par la revue Incognita , Les Cahiers d’études Léo Ferré, Les Cahiers Jules Paressant et la revue Chiendents créée avec Roger Wallet et Stéphane Beau. Les rencontres avec Pierre Seghers, Norge, Marie-Claire Dumas et Georges Fargeas le fortifient dans sa ligne éditoriale. Il crée avec Xavier Tournet la Maison de poésie de Nantes et région. Il a dirigé la revue 303 consacrée à René Guy Cadou, Luc Bérimont et les poètes de l’école de Rochefort

Aujourd’hui, en 2013, vogue la galère avec les vents des révoltes pacifiques et des tendresses efficaces avec quelques ami(e)s, rameurs infatigables.

Texte du site de France Culture: https://www.franceculture.fr/personne-luc-vidal

Cadou, Orphée de la mémoire, par Luc Vidal

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Dans le poème « La saison de Sainte Reine » Cadou évoque ces « pistes de lumière ». Dans son œuvre – et je n’ai pas compté le nombre de fois où les mots « soleil » et « lumière » apparaissent – ces mots-images, ces mots-flammes, ces mots-lampes ont cette capacité à formuler des pays orphiques, des pays où la respiration d’être est là, vivante et chaude, simple et profonde. Cadou est le poète des biens de ce monde. Ses rêveries pénètrent l’intimité des choses. La grande ruée des terres le happe. Il serait le contraire de Nietzsche, celui de Ainsi parlait Zarathoustra , le poète aérien des hautes cimes. Et pourtant, il y a l’énergie des étoiles dans ses métaphores. Les images caducéennes, terrestres, végétales permettent l’envol, l’allumage du grand désir d’être au monde, de pénétrer la forêt des songes et le ciel de l’amour. Les mots de Cadou pèsent et rendent légers, inventant, créant la galaxie des rencontres et du dialogue vrai avec soi-même. Cadou est Orphée de la mémoire, des temps retrouvés, des nuits qui ne s’enténèbrent jamais, poète solaire de la fleur inverse des troubadours. Ces pistes de lumière rejoignent les visages de solitude. Il y a une solidarité mystérieuse et profonde entre ces pistes et ces visages. Dans le livre Hélène ou le règne végétal , livre dont l’architecture a été pensée par le poète, au-delà du chant d’amour, c’est l’homme tout entier qui se dévoile. La fidélité inaltérable donnée à René Guy par Hélène, a trouvé ses racines dans la poésie de l’homme-poète.

L’œuvre de Cadou peut être soumise à de multiples interprétations parce qu’elle est une grande œuvre lyrique. Sa présence aux yeux et aux oreilles des lecteurs de l’an 2020 est toujours neuve et intense. L’amour sans la mort n’est pas tout à fait l’amour. La grande liberté de la poésie de Cadou est qu’elle ne s’enferme pas dans ses propres mots. Ses dialogues de poète avec l’esprit du trobar, du romantisme allemand (Schubert, Hölderlin), Whitman, de ses frères en poésie (ceux de l’école de Rochefort : Jean Bouhier, Michel Manoll, Marcel Béalu, Luc Bérimont, Jean Rousselot, Roger Toulouse) de Pierre Reverdy, de l’immense Guillaume Apollinaire, de Max Jacob, toujours, ont permis une grande œuvre. Dans le poème singulier de René Guy Cadou, un réseau aéré de métaphores s’est développé pour confondre poésie et mémoire dans l’enracinement des Biens de ce monde et de l’enfance. La poésie de René Guy Cadou, fille de la mémoire, décline les grands thèmes qui traversent la poésie française : la solitude, l’amitié, la fraternité, la liberté, la beauté, la poésie, l’amour, la joie et la tristesse. Cette poésie fait émerger les jeux de patience du haut langage, les prises de risque que le poète a vécues jour après jour pendant sa courte vie selon les exigences de l’amour et du poème. Inlassablement, il parcourt les terres inconnues, affrontant le vide et le plein de son âme
« Le temps qui m’est donné que l’amour le prolonge » écrivait-il.
Cadou est Orphée de la mémoire

« D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? », le dialogue avec les peintres

René Guy Cadou a toujours eu un regard attentif à la vue des peintres, à leurs œuvres, à leurs signes d’effusion. Autant aux peintres connus qui marquaient leur époque. Ainsi un Picasso ouvrant « Le paradis d’un temps fasciné par l’enfer », Greco qui lui rappelait l’aride et sobre Espagne, Toulouse-Lautrec le peuple des cafés et des bordels, Ingres la voie lactée de la couleur, Paul Gauguin parcourant «  les mers comme un pauvre pêcheur » l’aidant à répondre avec franchise et haute poésie aux belles questions du fameux tableau de Paul Gauguin « D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? »  pour un paradis qui était peut-être le jardin de Grignon, Jean Lurçat qui « s’enveloppe de planète/de raisins noirs d’oiseaux maudits ». Autant que ces amis peintres de son présent d’homme. Ainsi Jean Jégoudez dont « les dessins...sont comme les clés de Barbe bleue », Guy Bigot qui dessine « derrière le gros verre à vitres des journées », Max Jacob l’aquarelliste qui lui offrit un coq flamboyant que nous publiâmes dans le revue Signes, Boré Mahé qui réalisa une petite toile du christ à l’origine du grave et sublime poème Nocturne, Roger Toulouse, le frère orléanais dont Cadou apprivoisa quatre portraits baroques et étranges par quatre poèmes écrits de mains de maître confortés par quatre réponses-dessins sanguine de Roger Toulouse comme si les deux artistes avaient saisi la beauté tragique du monde. L’œuvre poétique de Cadou questionne les tableaux des peintres comme il interroge les poèmes des autres. Leur monde de couleurs et de formes à imprégner ses visions, son écriture.

Le poème Comme un Christ de Gauguin a probablement et définitivement ouvert à Cadou la chanson inexplorée du divin. La découverte du Christ Jaune de Gauguin lui fut d’une approche sereine, poétique. Le Christ de Trémalo de l’artiste anonyme du XVIIème siècle qui inspira celui de Gauguin fit naître un christ différent. Chez Gauguin, la couronne d’épines disparaît, les coulées de sang n’apparaissent pas. Les yeux ouverts de la sculpture en bois polychromés semblent absorbés par la douleur. Les paupières du christ de Gauguin sont fermées et révèlent une quiétude comme un sommeil réparateur. Paul Gauguin, catholique non pratiquant fut sensible à la vie religieuse des bretons et dans ce tableau sa vision singulière d’un Golgotha breton est tout à fait personnelle. Cadou, lui l’instituteur laïc fait de même  dans son sublime et immense poème Nocturne questionne celui qui mourut sur le Golgotha. Peut-être a-t-il aimé les pommiers roux de la toile qui lui rappelaient les étranges pommiers à cidre de son pays louisfertien comme ces trois femmes bretonnes en oraison. Il aima ce Christ jaune à figure paisible. En intégrant Gauguin dans son poème, Cadou rejoint Octave Mirbeau qui le premier rendit hommage au peintre comme Xavier Graal rallie René Guy en écrivant sa « plainte du Christ Jaune »

 René Guy Cadou en homme vertical

Sa soif et sa faim de poémer le monde fait de Cadou un poète-homme de la sensualité et du divin. Cadou s’offre le mérite «  De croire en la vie plus qu’en l’éternité » dans son poème « Ah je ne suis pas métaphysique, moi ». Etrange paradoxe de penser que croire en la vie serait plus fort que croire en l’éternité qui serait moins fort pour autant. Bien sûr que non ! Le corps-âme de Cadou est le lieu de ce paradoxe. Toute son œuvre le dessine, le fait vivre et vibrer. De l’ « Alphabet de la mort » à « Nocturne » en passant par « Chercher Dieu » jusqu’à « Comme un enfant perdu » ( second titre pour Brière de poésie) Cadou n’a de cesse de chercher le fils de l’homme et de « l’hôtelier sublime » avec dans la chambre de douleur la possibilité du corps en trop. En poète, comme une pervenche René Guy Cadou se penche vers le divin. Cette quête est intimement liée à l’amoureuse recherche de l’amour dont Hélène fut le brasier et l’étincelle. Son grand livre, livre lumineux, Hélène ou le règne végétal n’est-il pas une cathédrale végétale qui accueille tous les réseaux cosmiques de la vie rêvée ?

Il a su plus que quiconque pénétrer les dialogues secrets avec Orphée, ce grand initié aux pouvoirs impressionnants. Le geste et le mot orphiques chez Cadou sont du pays de la mémoire vivante qui alimente les sources de la terre et du ciel. Orphée-Cadou  est un poète, voleur d’étincelle, Prométhée oublié par les hommes mais retrouvé aux carrefours des nuits et des forêts. Cadou connut les évangiles du chagrin et des joies de vivre. Les deux derniers quatrains de Brière de poésie sont tissés avec la légèreté du vent sur les papiers violets d’une machine à écrire et la gravité de songes.

Il reste la fumée épaisse du chagrin
O monde sans rayons monde à jeter des pierres
Je t’aime pour tes plaies chantantes tes Brières
Tes granges dévorées d’ivraies et bons grains

Avec toi j’ai rejoint le printemps sur ses cales
Tes nuits m’ont tenu lieu de tremplins et d’escales
Tes guêpes ont ravi le pire de mon sang
Et seul sans garde-fou sans âme je descends
Tranquille dans le ciel en homme vertical

Cadou est comme cet enfant perdu qu’il a été. Sur la barque du temps il a trouvé le repos et le calme. La passagère qui vint à sa rencontre se nommait Hélène. N’oublions pas que cet homme vertical est l’homme de Brière qui avec sa barque noire trace les fils de l’eau et fait avancer avec sa perche l’embarcation en crevant le plafond du ciel et touchant le plancher de la terre. Le poète peut alors descendre tranquille dans le ciel en homme vertical.

Nantes le 17 mars 2020 , Luc Vidal

 


 

 

 

 

 

Jeannine Burny, poète et veuve du poète Maurice Carême

Présentation du livre de J.B. "Le jour s'en va toujours trop tôt" sur les pas de Maurice Carême...

"C'est aux sources mêmes de l'inspiration de Maurice Carême que nous convie l'auteure. Jeannine Burny a seize ans lorsqu'elle rencontre en 1941, lors d'un concours de diction, le grand poète belge. Il est membre du jury, elle présente sa première audition en public. Lorsqu'ils se lient deux ans plus tard, en 1943, ils n'imaginent pas ce que deviendra à partir de 1948 leur collaboration. Par-delà cet amour partagé qui les unit, la poésie devient la raison quotidienne de leur vie. Dès les premiers beaux jours, Maurice Carême part écrire dans la nature. L'été, il profite des mois de juillet et d'août pour réaliser de longues retraites poétiques d'abord à Orval de 1954 à 1970, puis à travers la France de 1972 à 1976. Celle qu'il nomme, dans le secret de son cœur, la "bien-aimée" est présente à ses côtés. Jeannine Burny nous révèle ce long parcours d'une œuvre sans fin jaillissante et sans fin remise en question. Elle nous raconte par la voix même de Maurice Carême l'enfance de celui-ci à Wavre, ses études à l'école normale de Tirlemont, ses relations privilégiées avec les poètes de Flandre. Elle nous ouvre sa bibliothèque, projette pour nous sa culture universelle de la poésie, son attrait pour l'astronomie, la philosophie. Au gré des recueils, elle nous emmène chez les plus grands noms de l'art pictural belge contemporain, sans oublier les compositeurs qui ne cesseront de mettre en musique une œuvre qui ne demande qu'à l'être. La mort du poète ? Mais les vrais poètes meurent-ils jamais ?"

Cadou René-Guy , par Jeannine Burny

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Sainte-Reine-de-Bretagne 1920 – Louisfert 1951

Liée au grand poète belge, Maurice Carême, et passionnée comme lui de poésie, je fréquentais depuis des années les antiquariats du livre de Bruxelles, ces librairies vendaient des livres anciens ou épuisés.
C’est ainsi que je découvris en 1950 un recueil de poèmes de René-Guy Cadou Les brancardiers de l’aube (1936). Émerveillée, je le donnai à Maurice Carême. Il m’avoua qu’il ne connaissait pas ce poète. Il ouvrit le recueil et s’écria : Jeannine, un grand poète.
Il interrogea ses amis poètes. Eux non plus ne connaissaient pas René-Guy Cadou. Sa recherche dura des mois, lorsque tout à coup en 1951, il apprit – ce fut comme un glas – Cadou vient de mourir à 31 ans de leucémie.
On se trouvait devant l’œuvre d’un « authentique » poète. Sa poésie avait cette magie du langage sans laquelle il n’y a pas, il n’y aura jamais de poésie. Il y avait aussi cette profondeur, cette richesse des images poétiques.
Indéniablement, il était un des trois grands poètes français du 20ème siècle avec Paul Éluard et Louis Aragon.

Mais revenons à cette magie du langage, c’est elle qui fait de Verlaine et de Mallarmé deux éminents poètes. Alors que l’on pourrait imaginer qu’ils se situent aux antipodes l’un de l’autre. Ce qui n’est absolument pas le cas. Il suffit de lire Il pleure dans mon cœur et Le cygne pour en être persuadé. L’un est d’une clarté, d’une simplicité, l’autre ressort d’une poésie qui peut paraître difficile d’accès à certains.

Maurice Carême, grand lecteur, avait une connaissance universelle de la poésie. Sa bibliothèque avait la réputation d’être la plus importante bibliothèque privée de poésie de Belgique.
Dans celle-ci figure toute l’œuvre de René-Guy Cadou qu’il avait acquise au fur et à mesure des publications.

Il disait de mémoire certains poèmes qui l’enchantaient. En poésie, Maurice Carême ne cessait de le répéter, ce n’est pas ce que l’on dit qui importe, mais une certaine manière de dire qui s’avère unique chez tout poète authentique.

Les poèmes préférés de Maurice Carême ?

Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète
Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui
Que chaque nœud du bois renferme davantage
De cris d'oiseaux que tout le cœur de la forêt
Il suffit qu'une lampe pose son cou de femme
À la tombée du soir contre un angle verni
Pour délivrer soudain mille peuples d'abeilles
Et 1'odeur de pain frais des cerisiers fleuris
Car tel est le bonheur de cette solitude
Qu'une caresse toute plate de la main
Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes
La légèreté d'un arbre dans le matin.(1)

Pourquoi n’allez-vous pas à Paris ?
- Mais l’odeur des lys ! Mais l’odeur des lys !

- Les rives de la Seine ont aussi leurs fleuristes
- Mais pas assez tristes oh ! pas assez tristes !

Je suis malade du vert des feuilles et des chevaux
Des servantes bousculées dans les remises du château

- Mais les rues de Paris ont aussi leurs servantes
- Que le diable tente ! que le diable tente !

Mais moi seul dans la grande nuit mouillée
L’odeur des lys et la campagne agenouillée

Cette amère montée du sol qui m’environne
Le désespoir et le bonheur de ne plaire à personne

- Tu périras d’oubli et dévoré d’orgueil
- Oui mais l’odeur des lys la liberté des feuilles ! (2)

Odeur des pluies de mon enfance
Derniers soleils de la saison !
À sept ans comme il faisait bon,
Après d'ennuyeuses vacances,
Se retrouver dans sa maison !

La vieille classe de mon père,
Pleine de guêpes écrasées,
Sentait l'encre, le bois, la craie
Et ces merveilleuses poussières
Amassées par tout un été.

O temps charmant des brumes douces,
Des gibiers, des longs vols d'oiseaux,
Le vent souffle sous le préau,
Mais je tiens entre paume et pouce
Une rouge pomme à couteau.(3)

Poète ! René Guy Cadou ?
Mais montrez-moi trace des clous !

Montrez l’eau vive où il s’abreuve
Montrez rabots et planches neuves !

Montrez-le-moi sur le sentier
Larron avec le fer aux pieds !

Le toucherais l’écouterais
D’un doigt posé dedans la plaie

Reconnaîtrais qu’il s’agit bien
D’un Dieu déchu ou d’un vaurien

Montrez-le-moi de but en blanc
Agenouillé comme un enfant

Dans la maison couleur de pomme
Devant la femme ou devant l’Homme

Bègue à moitié navré transi
Montrez-le-moi quand il écrit

Ces mots à tort et à travers
Pareils aux vagues de la mer.(4)

Qu'est-ce que je suis moi Pacifique Liotrot
Depuis qu'on a enterré les personnes du château

Un rien une clé perdue dans un massif
Un survivant des derniers feux d'artifice

Et le vieux garde-chasse en rond s'assied
Dans le soleil avec sa tristesse à ses pieds

Ce n'est pas d'avoir arrosé les glaïeuls
Qui le rendra ce soir un peu moins seul

Voilà vingt ans qu'il n'a pas bu de bon café
Mais de l'eau rouge sur des glands éclatés

Et qu'il dort comme un enfant d'asile dans un lit-cage
Entouré de vieilles photographies de mariage

Mais ce soir c'est plus fort que lui si l'air est doux
Si la sueur colle à la jointure de ses genoux

Il est debout dans sa jeunesse et il s'habille
De velours vert avec des boutons qui brillent

Entendez-moi je suis Pacifique Liotrot
Je suis le garde-chasse du château

Qu'est-ce qu'il porte là dans ses deux mains brisées
Un cor de cuivre noir comme un poulet vidé.(5)

Hélène Cadou de son nom de jeune-fille Hélène Laurent (1922-2014)

Elle va consacrer sa vie à l’œuvre de son époux, à l’édition de celle-ci en majeure partie posthume en 1951.

Elle sera très liée aux poètes français de l’École de Rochefort (6)  que René-Guy Cadou appellera une cour de récréation. Citons parmi les poètes du départ en 1941 : Jean Bouhier (7) , Michel Manoll (8) , Luc Bérimont (9) , Jean Rousselot (10) , Marcel Béalu (11) , Jean Follain (12) , Yanette Delétang-Tardif (13) …

Hélène Cadou écrira aussi de nombreux recueils de poésie. Mais y trouve-t-on cette magie du langage ?

Comment, pour terminer, ne pas revenir à ce grand poète que fut et demeure René-Guy Cadou et à cette inspiration qui n’a cessé de fuser du plus profond de lui-même.

Je n’ai pas écrit ce livre. Il m’a été dicté au long des mois par une voix souveraine et je n’ai fait qu’enregistrer, comme un muet, l’écho durable qui frappait à coups redoublés l’obscur tympan du monde. La parole m’a été accordée par surcroît, afin de retransmettre quelques-unes de ces mystérieuses palabres qu’il nous est donné d’intercepter, parfois, dans les couloirs de la détresse. (…) Je ne vous cèle point que ces poèmes m’arrivent de bien plus loin que moi-même (…) (14)

Pour le texte : © copyright Fondation Maurice Carême

 


 

Notes:

(1)à (5) Poèmes, Paris, Seghers, (1952) © copyright Seghers
(6)L’École de Rochefort est un groupe de jeunes poètes, créée en 1941 par Jean Bouhier et René-Guy Cadou à Rochefort-sur-Loire
(7)Poète, fondateur de l’École de Rochefort (1912-1999)
(8)Poète et écrivain, il occupe une place de tout premier plan dans l’univers des lettres. C’est en esthète qu’il a accompli son œuvre (1911-1984)
(9)Poète et animateur de radio (1915-1983)
(10)Poète, romancier et critique (1913-2004)
(11)Poète, écrivain, libraire (1908-1993)
(12)Poète, écrivain (1903-1971)
(13)Poétesse (1902-1976)
(14)Extrait de la préface in Hélène ou le Règne végétal, Paris, Seghers, (1952) © copyright Seghers

 


 

 

 

 

Yves Maurice est né à Guérande.
Instituteur pendant 25 ans dans différentes écoles de la presqu’île guérandaise. Nourri de tradition orale, chantée et contée, passionné d’histoire et d’art, ses écrits s’orientent tout naturellement vers le patrimoine local et la transmission de cet héritage aux enfants.

La Nuit d’Hélène et de René Guy , par Yves Maurice

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Si l’on me demandait de parler d’Hélène et de René Guy Cadou, le voyage serait à la fois sublime et douloureux, empli de nostalgie. Je devrais d’abord recomposer en moi-même l’atelier du sculpteur Jean Fréour. Un écrin de lumière drapant le fond de ma mémoire de belles statues silencieuses. Un lieu hors du temps, à l’envers du temps, englouti par le soleil de ce mois de novembre.
J’avais appelé la veille. Le matin. C’était le seul moment de la semaine où Jean répondait au téléphone. On convenait alors d’une date pour que je puisse lui rendre visite sans l’importuner.

Ce lundi, le vent tempétueux a soufflé sur la presqu’île toute la journée. J’attendrai donc l’accalmie prévue pour le lendemain, nous serons le 11 novembre. Un jour de paix.

A défaut du Saint Yves qui attend toujours dans sa bure de glaise, je verrai donc le moulage d’une jeune fille. Entre la pose hiératique de mon saint patron et la grâce voluptueuse d’un corps féminin, je ne perds pas au change.
Quelques tintements de cloche, un claquement de porte, le glissement léger de pas sur les dalles de schiste, on m’attend aujourd’hui au château des belles endormies.

Habituellement, en de telles circonstances, même en ayant pris rendez-vous, je me fais tout petit et je m’éclipse par courtoisie, pour ne pas déranger. Mais cette fois-ci, on ne me laisse pas le temps de réagir. Le portillon se referme dans mon dos, la chevillette bloque le loquet et, déjà, la maîtresse des lieux me précède vers l’atelier de son époux. Elle m’annonce simplement en poussant la porte :

Je ne réponds pas. Je sais que le voyage auquel on m’invite sera unique. Il me faudra capter de belles images. Apprivoiser les sourires, les regards, les yeux verts d’Hélène où se perdait jadis le grand poète.
Hélène est assise dans un de ces fauteuils de camping dont je crains toujours la présence dans l’atelier. Les motifs floraux aux couleurs criardes, un peu kitch, font parfois des taches surprenantes sur mes photos. Mais pour le moment, il n’est pas question de sortir mon appareil. Je suis en présence de deux grands maîtres, chacun dans leur art. Jean, le sculpteur, le libérateur des statues et Hélène, la poétesse, la libératrice des mots. Tant d’émotions naissent de leurs créations.
Que dire en de telles circonstances ? Eviter toute banalité du style : « J’apprécie votre œuvre et celle de votre mari. »
Je balbutie un simple « Bonjour Madame » sans rien ajouter de peur de troubler la magie de cette rencontre. Puis on m’installe sur une chaise. Que dois-je faire maintenant face à mes hôtes si prestigieux ?
Il me faut trouver une stratégie adaptée à la situation. Par timidité, je préfère me taire. Me laisser porter avec confiance et bienveillance vers ce monde qui m’a été si longtemps interdit. Un monde lointain, inaccessible, celui de l’art et de la poésie. Écouter sans prendre part à la conversation. Une conversation pour moi irréaliste. Que puis-je ajouter sur Max Jacob, Reverdy ou Picasso, Braque et bien d’autres artistes dont certains noms mentionnés me sont totalement inconnus ?
Par contre, celui de Cadou sonne joliment à mes oreilles.
Combien de poèmes d’Hélène et de son mari ai-je lus ?
Des dizaines. Peut-être des centaines.
« Je me nourris de vos poèmes », aurais-je aimé lui dire. J’en ai même mémorisé un certain nombre pour mieux me les approprier.  Ils m’aident ainsi à combler mes moments de solitude.
Apprenant mes anciennes fonctions d’enseignant, elle m’interroge gentiment à propos de la poésie à l’école. Je me montre peu loquace. Je lui confirme que l’on étudie bien les poésies de son mari. Mais je devrais ajouter que bon nombre d’instituteurs s’emploient à détruire l’imaginaire des enfants. La poésie est toujours réduite au travail de mémorisation. Sans cœur ni tête. Sans émotions.
J’aurais pu lui dire aussi que j’avais obtenu mon certificat d’aptitude pédagogique avec beaucoup de facilité grâce à ma leçon de chant. J’avais pris le poème « Odeurs des pluies de mon enfance » mis en musique par Gilles Servat. Le tout accompagné d’un dulcimer. Les enfants avaient aimé. L’inspecteur avait beaucoup apprécié.

Les échanges s’interrompent le temps de partager de délicieux gâteaux à la crème et les chocolats offerts par les accompagnateurs d’Hélène, Nathalie et Michel Fréour, nièce et neveu du sculpteur.
La magie des mots s’estompe peu à peu pour laisser place à des paroles plus terre à terre sur la vie quotidienne. Celle d’aujourd’hui. Rien malheureusement sur le passé. Rien sur leur jeunesse en Pays de La Mée. Dommage.

L’esprit et l’estomac rassasiés, les visiteurs annoncent leur départ. Hélène veut revoir l’Océan. Les plages de Mesquer et de Pornichet. Le pays bleu de son enfance.
Je pense à mon appareil photo qui dort au fond de mon sac. Si je veux immortaliser cette rencontre, je dois le faire maintenant. Non. Il y a des instants de grâce qu’il faut savoir garder sans le soutien de la technologie. Il vaut mieux éviter de conjuguer le verbe photographier à l’imparfait de l’objectif, aurait dit Prévert en de telles circonstances.
Et puis, les sièges de camping sont toujours là, au milieu de l’atelier.
Je salue Nathalie et Michel Fréour ainsi que Madame Cadou. Je lui exprime mon bonheur de l’avoir rencontrée.
L’atelier se vide. Le soleil décline. Je me retrouve seul. Juste le temps de reprendre mes esprits  en compagnie de la jeune femme qui allaite son bébé. La dernière œuvre dont j’ai suivi la naissance avec beaucoup de joie. Elle attend sagement les ultimes finitions de son créateur.
Je range les fauteuils de camping dans un coin, hors de portée de mon objectif.
Dès son retour, Jean Fréour se remet à l’ouvrage. Cette visite imprévue a interrompu son travail. Il est temps de délivrer le moulage de son petit nu de sa gangue de plâtre.
J’ai sorti mon appareil photo. Chaque geste sera numérisé. L’opération est exécutée avec la célérité et la précision d’un chirurgien.
Les lambeaux de plâtre tombent un à un sur les journaux recouvrant le sol et la petite belle apparaît toute nue près de sa grande sœur « La Nuit ».

Pour moi, ce sera la Nuit d’Hélène et de René Guy.
Le silence et la pénombre grignotent peu à peu l’espace. Il est temps de plier les papiers de journaux épars et de balayer l’atelier.
Debout face à face sur leur piédestal, les deux statues entament un dialogue nocturne.  Elles s’éveilleront dès l’aube aux premiers coups de maillet.
Une cloche sonne. On vient me chercher.
La nuit de novembre étend son voile sur le pays blanc.
Il ne me reste plus qu’à ranger mes souvenirs au fond de mon sac.

Quelques années plus tard, j’eus la surprise de découvrir dans ma messagerie Internet un courriel de Nathalie Fréour. Une pièce jointe accompagnait le message. En un clic, des photographies des deux artistes apparurent sur mon écran. Des sourires à préserver avec soin au plus profond de ma mémoire avec la parole des poètes, la volupté des sculptures et les saveurs si délicates des chocolats.
Loin des laideurs du monde moderne et des fauteuils de camping.

 


 

 

 

 

 

 

Jean et Nathalie Freour en compagnie d'Hélène Cadou...

Artiste peintre et illustratrice nantaise est l’auteur d’albums publiés aux éditions Siloë, Desclée de Brouwer, Bruno Doucet…

Elle a illustré les François Mauriac, Paul Claudel, Bernard Clavel, Lisa Bresner, Hélène Cadou, François Cheng, Paul Éluard, Rainer Maria Rilke… et a exposé à Paris, Bordeaux, Milan, Lausanne, Toyoma…

Hélène Cadou, par Nathalie Fréour
« Blanc, c’est mon pays, c’est la phrase que je laisserais ! »

 

 

 

 

 

 

 

 


 


 

Octobre 2019

Automne « Odeur des pluies de mon enfance Derniers soleils de la saison ! »… Un samedi en ce début d’octobre 2019 je me balade butte sainte Anne. Le lieu romanesque du Musée Jules Verne, où Nantes domine à Chantenay son fleuve, ses eaux, une nouvelle cascade du jardin proche de celui des Oblates, l’ancienne carrière Misery. Nantes baignée de sa Loire emplie déjà de l’espace marin, la nôtre intemporelle, celle d’Hélène et René : « Le fleuve fut depuis toujours ce qui nous lie à la vie, aux amis, au temps qui nous conduit, dans une quotidienne présence, vers l’océan de l’au-delà. »

Hélène est là…à la fenêtre, ouverte sur les rivages Atlantiques les terres sud de la Bretagne, la Dame blanche…Elle habitait sur les quais, regards et cœur tournés vers l’estuaire, l’appel intime de son Pays blanc : « Blanc, c’est un pays » (notre livre*) « BLANC, C’EST MON PAYS »… Celui de la naissance à Mesquer dans la maison d’école, son enfance dans la presqu’ile, et René dont elle remplira de poésie, l’avenir. « Graine d’instant  Ce lieu natal  Hors des confins  Où l’être dessillé  Rejoint son cri. »*éditions Siloë 2010

Hélène, dans sa blancheur de Femme-Poète est Sainte Reine de Bretagne -lieu de naissance de René en 1920- Notre Dame des douleurs visionnaire comme Marie-Noël « Les yeux grands ouverts Je recommence la vie » renaît à partir de René à sa mort en 1951. Elle consigne son cœur déposé jour après jour, livre après livre, mot à mot, prêt à germer pour l’éternité « LA MISE A JOUR » « MEMOIRE A VIF » « POEMES DU TEMPS RETROUVE » et « EN CE VISAGE L’AVENIR » :

 « …Tes mains se souviennent  Tavelées  De  Tous les malheurs du monde Et pourtant  C’est toi qui feras signe  Qui devanceras les forêts. »...  « Les arbres  Perdent leurs feuilles   Dénudés   Je les regarde   Dans le froid   Si les mots  Si les milliers de mots  Abandonnaient la page Si les livres Qui m’emprisonnent  Perdaient leurs mots   Que resterait-il ?  Une blancheur   Et l’armature du sang  Qui ne sait pas mentir  Tout renaîtrait  De l’hiver  Dans l’air gelé   Qui résonne  La première parole. » (Oui,je pleure.) « Au cœur de la forêt.  Au-delà des ronces   En ce jardin   Surgie   Rose feu   Rose halte  Tout va s’éblouir  A partir de toi.   La forêt déferle Dans le pourpre Dernière rose Parmi Les branches mortelles de l’automne. »  « Dans les veines  Tremble déjà  Ce qui sera parole »   … « Neige-t-il ?  Pourquoi faire cette attente  Du poème  Qui conjure la mort » (Oui, je pleure.) « Entre silence et pluie  Ou bien  Quand le jour semble  Se défaire au pied des murs  Il m’arrive de reconnaître  Un visage…Un visage   ressemblant  A celui d’un prince né hors du temps   Ou d’un enfant perdu   Alors il n’est pas trop   De toute la vie   Pour expliquer   Pour comprendre   Et pour sourire  »

Le 25 juin 2014, Gilles Baudry « son frère en poésie l’intercesseur » le moine poète de Landévennec (Gilles le nom du fils qu’ils auraient eu) écrivait, conjurant sa mort, une vibrante Lettre à Hélène :

 « Chère Hélène, vous nous avez laissés sans vraiment nous quitter. A la mort rien ne s’achève…Hélène, vous êtes la part de nous qui nous échappe et nous réunit…Vous avez modulé le poème comme un chant de l’être… Vous avez voulu faire entendre l’inouï, une sorte de musique de paradis. Vous aviez comme tout poète, le pressentiment que vivre ne pouvait tenir en une seule vie, que toute mort était natale, tout abîme, un puits de lumière. Avec votre longue écriture d’herbe penchée Vous m’écriviez de Louisfert : Le monde pourrait être un si beau jardin et le ciel est si grand ! Nos mains se rejoignent contre la nuit… Par le miracle et par la grâce du poème, comme René vous avez su porter chacun au meilleur de lui-même, et vous croyez au port Car Dieu sur l’avenir allume l’espérance Mieux qu’un million de phares sur la mer. »

« Toi  Qui te nommes  Avenir  Tu éclates de tous tes feux  Cent mille volts  Dans la nuit   Pourquoi briller  Quand l’eau parfaite   Dans la jarre   Se contente  d’être elle-même »

Des retrouvailles tardives auront lieu à Batz-sur-mer entre Hélène et leur ami sculpteur Jean Fréour, l’auteur du médaillon de René au-dessus de la porte de l’école, du moulage des mains de René et du buste d’Hélène, l’oncle de Michel mon mari.   Nous sommes le 11 novembre 2008. Je me rappelle ce voyage de Nantes avec elle, l'émotion qu'elle avait de retrouver après tant d'années, l'ami qui venait chaque jeudi les visiter à l’école de Louisfert à pied depuis Issé, boire un chocolat chaud...Ils sont tombés dans les bras l'un de l'autre... Je revois l’atelier, sa poussière de marbre et la chaise de camping érigée en trône pour Hélène, en ce jour clair et froid de novembre. C'est drôle comme tout revient intact et pur, l'amitié qui renait instantanément entre ces deux vieillards, le cœur inchangé, sans ride...Ils échangeaient et le passé renaissait en regards entendus sourires autant que des paroles. Nous étions en lévitation, conscients de la chance de vivre auprès d'eux des moments exceptionnels, dans un climat de bienveillance chaleureuse qui nous enveloppait tous. Poème. Yves Maurice passait par là, l’ami intime de Jean, l’instituteur de Guérande, qui rencontrait émerveillé Hélène et Cadou ! (Il l’écrira). Le retour à Nantes sous le bleu du ciel la multitude de petits nuages blancs, moutons, s'élevant pour saluer la bergère. Je me souviens.
« La vie s’est retirée   De l’arbre   Du dernier cercle   La cicatrice   Qu’il faudra lire »

Nous reviendrons une autre fois à Batz avec Hélène, en février 2009. Michel retranscrira cette seconde visite à ses parents. Son père, Paul Freour, frère unique et l’aîné de Jean, professeur de médecine, membre de l’OMS et artiste poète, vit à Bordeaux.

« Bien chers parents,
Hélène Cadou est assise sur un canapé du séjour avec Anne, son assistante, regardant quelques ouvrages ramenés du Musée des Beaux-Arts où Nathalie les a conduit cet après-midi, sous un ciel gris comme celui qui nous accompagnait hier en fin de matinée en allant tous les quatre à la Baule…A 15h, le ciel enfin dégagé sur la baie même si il se baignait encore avec l’horizon, nous débarquerons à Batz où parrain jean était de nouveau très heureux de retrouver madame Cadou et nous voilà tous en arc de cercle au centre de l’atelier, confortablement assis sur des chaises pliantes de camping, à les écouter renouer avec leur passé et, les multiples anecdotes souvent fort drôles rapportées par P Jean avec une exactitude qui confond Hélène Cadou devant une mémoire si vivante. Elle nous rappelle souvent avoir passé l’année 1943 à Bordeaux place Paul Doumer chez sa sœur Jeanne, y avoir suivi les cours de philo à la faculté des lettres que j’imagine cours Pasteur, et avoir été emportée par René à Lormont parce que, après avoir rassemblé ses souvenirs, Hölderlin y fut précepteur et, ajoutant à mon adresse « le saviez-vous… »   René Guy Cadou, comme tous les poètes, admirait la poésie allemande dont il parlait si bien la langue ce qui lui permit d’éviter de rejoindre le pays de Goethe, alors qu’arrêté par une patrouille la gorge protégée par un foulard trop rouge offert par Hélène il eut juste à dire « Ich bin ein dichter » (« Je suis un poète » traduit par Hélène…) et put ainsi continuer sa route, comme PJean put rejoindre Issé après que votre père l’eut déclaré sculpteur auprès de l’officier allemand. En dehors de ces histoires si anciennes qui, racontées par PJean paraissent encore si présentes comme celle de l’abbé Moreau qui passait avec ses petits catéchistes devant l’école de Louisfert en stigmatisant « l’école de Satan » où PJean y déposera au fond du préau les chandeliers que ce dernier lui avait confiés, le contraignant sans doute par une nuit noire et ventée à traverser la cour de la petite école impie pour y récupérer ses reliques… »  Michel, un autre fils…né l’année de la mort de René en 1951.

Je me souviens qu’ils ont évoqué en riant leur ami peintre Trévédy « Le fils du juge » de Chateaubriant, qui peignait « Le bureau du juge, La maison du juge, Les vacances du juge… »        

Jean Fréour m’écrivait « …Il faut dire que nous formions un petit groupe que seuls l’amitié et un certain idéal réunissaient, car nous étions tous très différents. Lenormand qui avait 19 ans de plus que moi (né en 1919), à 25 ans ça compte, était si enthousiaste que nous ne pensions jamais à son âge. Trévédy se faisait assez rare évoluant entre La Villa Médicis, la Grèce et la Casa Velazquez. Guy Bigot dans son officine de photographe vivait au milieu de ses toiles, ses enfants, un désordre qui allait s’aggravant jusqu’à son divorce et une irrémédiable chute dans l’alcoolisme, tandis que moi je vivais comme vous savez dans  un idéalisme fervent assez maladroit et injustifié aux prises avec un métier que j’apprenais avec constance : car même à cette époque ce n’est pas aux B.A.(de Bordeaux) qu’on l’apprenait et je dois au travail dans l’atelier personnel de mon patron Malric d’avoir eu quelques notions de base indispensables certes mais insuffisantes. Et tout cela faisait, parce que nous étions jeunes, un groupe qui a marqué notre vie. »

C’est dans les années 70-80 que je fus initiée à la poésie et à celle de René Guy Cadou « Poésie la vie entière » par Paul Fréour, mon beau-père, pneumologue hygiéniste, poète, peintre et graveur. Sa vie entière tournait autour de sa famille, sept enfants, de sa profession de médecin préventif et des livres. La littérature, la poésie et l’art. Un climat dont je bénéficiai généreusement, qui m’ouvrit à la fréquentation des livres et des musées, chaque pièce de la maison était une bibliothèque-cimaises. Il m’offrit les premières révélations intimes, gratitude infinie ! à 19 ans, je quittais Angers, une famille pulvérisée, ma mère-ma fille, mon frère Antoine et ma petite sœur Nicole, notre aînée déjà partie… les cours à l’école des beaux-arts depuis l’enfance avec Jeanne Guilmet et Madame Rivoire-Vicat, j’avais tout juste le bac, j’étais enceinte et mariée avec Michel son fils (mariage à l’église de Béhuard le 4 décembre 1971, près de Rochefort). Curieuse et émerveillée, je découvre Mauriac, nous sommes à Bordeaux, il avait lui-même eut comme grand patron le frère de François Mauriac. J’illustre pour lui, ma première commande, « Spiritualités des landes ». Une expérience révélatrice et décisive. Suivront les lectures de Jean Forton son voisin talentueux et modeste, ses amis Marc Oraison, Michel Suffran prolixe et raffiné, en humanités sensibles. St Pol Roux, Per Jakez Helias, Paul-Jean Toulet, Rilke, Lou Andréas Salomé, Claudel un peu, Marcel Jouhandeau, René Char, Marcel Proust, Musil… Nous quittons Bordeaux avec Michel et Cédric en 1975 pour Rennes où, étudiants, moi prolongeant l’école des beaux-arts déjà pollué par l’art conceptuel destructeur…Puis, nous quittons Rennes pour Nantes définitivement en 1978, avec Cédric et Julie qui a un an. Je poursuis seule désormais, libérée de l’école, la peinture. Là, je lis le nantais Julien Gracq, il m’inspire une série de « Loires » d’après  « Les eaux étroites ». René Char des séries de peinture,  puis un beau jour René Guy Cadou.
Cadou, l’ami de son frère Jean à Issé.  « Hélène, ou le règne végétal ». Comme lui, je mettais les pas en terre familière, profondément touchée.  Paul écrit à Hélène : « J’ai connu dans mon ancienne jeunesse (il est né en 1917), j’ai lu au long de la vie, je lis encore René Guy Cadou qui est un ferment de vie. Dans notre enfance, mon frère le sculpteur et moi passions nos vacances à Issé : Louisfert, Saint-Vincent-des-landes, Moisdon, La Meilleray, Coëtreux…étaient notre monde. Permettez–moi de vous offrir cette petite aquarelle de rien du tout faite adossé au mur d’en face, un jour de plein été orageux, ému de vivre devant cette école si modeste, cette cour minuscule où s’est ouvert un cœur, se sont développées des images, et murie une poésie nécessaire et intraduisible… PS : L’une de nos belles-filles, Nathalie, peintre et mère de famille de son état, est aussi nourrie de René Guy Cadou. Il lui arrive dans ses œuvres inspirées du monde des fleurs, de mêler aux tiges et aux lianes, quelques mots images et le nom de Cadou, mariant ainsi deux arts dans une communion à la recherche de la beauté.» 

Hélène lui répond de Louisfert en juillet 1994 : « Votre aquarelle m’offre une vision très vraie et très rêvée de la demeure, un beau travail où l’émotion gagne les fenêtres. Si vous le voulez bien elle va éclairer les murs que René a aimés. J’aime savoir que votre frère Jean et vous avez pris inspiration dans le paysage même qui fut nourricier d’une poésie où Nathalie puise aussi. C’est la continuité de la vie et du talent… »
Le règne végétal de René et Hélène, un Eden que je visitais pour ne plus le quitter, porteur de toutes les germinations. La peinture s’encrera « vagabondage immobile » en résonnance des mots, mes couleurs se teintent de la parole des poètes. Je suis à la fois l’œil, la main près du cœur, médium, au centre d’une image faite de synesthésies, de correspondances spirituelles. En écho et « sororité » avec Hélène, une vraie rencontre. Dans leur beauté, Renélène, je me trouve. « Liberté couleur des feuilles Il y a tous ces mots qui reprennent un sensComme une liberté nouvelle et végétale …Regarde, les oiseaux font déborder le cielLettres ou fleurs je ne sais pas, l’encre est bleue comme les lilasLa vie est simple et nue au bord du paysage » : une révélation. « Tout est là dans cette tendresse de feuillesJe soulève les branches tous les oiseaux descendent sur la page blanche » : une invitation. Je me promène avec eux sur la toile au cœur du jardin du monde prolongeant l’enchantement, tentant d’en dévoiler ses secrets « JARDINS DE PAPIER ».

D’autres jardins naîtront, sur d’autres poèmes… « QU’IMPORTE QUE PASSE LE TEMPS » de Paul Fréour. « UN JARDIN DE MOTS L’ETE » et, «  LE CHEMIN D’AILES » de deux papillons bleus… sur des « POEMES DU TEMPS RETROUVE » d’Hélène : « Nous habitons même demeure Ouverte sur l’été du monde » JARDINS EN POESIE exposés Médiathèque de Pornic Printemps des Poètes 2012

« Mais au dernier tournant  Une porte éblouie   Le jour et les échelles de la mer  Le front libre du ciel   Enfin les plages maternelles de la vie »

Les plages maternelles. La Bernerie Août 2009 Maison Magrés Hélène est présente. J’expose pour « Itinérances, Hélène et René Guy Cadou » à l’initiative de Vianneyte Dupoué, Hélène ravie de renouer un moment avec sa petite enfance, le pays de ses grands-parents minotiers. La Bernerie  a été pour moi, un lieu infiniment tendre…Celui aussi avec René de Crève-Cœur, le lieu magique. Nous marchions du côté de Crève-Cœur.  Cela lui semblait être un lieu où régnait l’éternité. C’est un monde d’éternité qui a baigné nos rencontres. D’ailleurs, ce nom de Crève- Cœur le frappait, c’est un mot chargé de sens. »

Un sens. La vie a un sens. Un sens sacré. René dans sa « Demande d’audience » implorait pour lui et pour elle : « Mon Dieu  Apprenez-moi à prier  Comme l’enfant s’appuie à des châteaux de sable    Je reste là devant ma table   Ne sachant pas encore où s’en iront mes mains   Je puis parler   J’en ai lavé des plaies sur mon chemin   J’ai travaillé pour Vous sans jamais Vous le dire    Vous auriez pû Vous en douter à mon sourire    A mon regard toujours tourné vers le matin   Aujourd’hui je vous demande en grâce   De m’apprendre à lever les yeux vers Votre Face    De me rendre semblable aux bêtes de lumière   Je saurai bien   J’ai vu les oiseaux sur la mer   Mon Dieu écoutez-moi ce n’est pas pour me plaindre    C’est à travers la joie que je veux Vous atteindre    Pour tous ceux qui sont loin de Vous    Pour tous ceux qui n’ont pas su se mettre à genoux    Pour moi et pour Elle surtout    Je Vous demande de m’entendre   Nous voulons seulement par un peu de douleur   Rejoindre notre Amour et confondre en douceur Le dernier survivant de l’Ange sur la terre Seigneur dîtes-nous comment faire Donnez l’espoir à ceux qui n’ont Pour argument que Votre Nom  . » « Résurrection »

« L’avenir est là   Comme un enfant qui rit »

Hélène et les enfants, leurs enfants à René et à elle, les écoliers. « Mon enfance est à tout le monde… » Cette merveilleuse histoire l’illustre, qui me vient d’une amie rennaise Lydwine Lefebvre.  Sa fille Béatrice est élève à l’Ecole de Monsieur Félix Boulé rue de Suisse. Il invite Hélène en juin 1988 à parler de la poésie de René. « Oui, j’ai été une fois à Sainte-Reine de Bretagne avec René en 1947. Il écrivait alors ses souvenirs, le livre « MON ENFANCE EST A TOUT LE MONDE ». On voyageait très difficilement à  cette époque.   -L’allée du calvaire où j’ai rêvé ce jour-là, avec René est le lieu où la poésie est née dans son cœur d’enfant.   – Mes poèmes préférés dans l’œuvre de René : Les chiens qui rêvent. Anonyme châtelain. Devant cet arbre. Et, bien sûr, les poèmes écrits pour moi. Les connus et les secrets. Beaucoup.  René n’osait pas parler de ses poèmes aux enfants. René a écrit 700 ou 800 poèmes. Je l’ai rencontré à Clisson en juin 1943 mais je lisais sa poésie depuis 1937, j’’étais en seconde au lycée. Tout de suite j’ai aimé cette poésie. Quand nous nous sommes vus nous nous sommes reconnus. » 

« Seulement mon amour    Et mes mains   Pour y loger ta voix   Et lui servir   D’esquif     Jusqu’à ce jour    Hors du temps… Dans mes paumes   Ton visage   A jamais sauf !
« Je sauve une mémoire » ainsi dit-elle en janvier 1993 à Nantes Passion (Noèle B). Le centre René Guy Cadou ouvre ses portes à la Médiathèque Hélène est la conservatrice. Partie au lendemain de la mort de René, elle revient après 40 ans d’absence et d’exil à la bibliothèque d’Orléans, où elle secondera Georges Bataille sa famille,  dans la ville qu’elle aime « la ville aux magnolias ». « C’était un retour souhaité espéré, c’était sa ville vous savez ! » Créer un centre Cadou. Où « Je peux faire en sorte que tout soit retransmis, je sauve une mémoire ». Elle reçoit des universitaires de tous les pays « Un japonais a mis trente ans pour traduire un recueil trouvé chez un bouquiniste et le livre est paru… Un vétérinaire nancéen choisit comme thèse Les oiseaux et Cadou… » Evoque sa plus belle histoire, elle donnait une conférence dans une école du Pont du Cens. Elle voit un homme pleurer d’émotion. Un péruvien réfugié, ancien prisonnier politique dans une mine de cuivre. Il raconte qu’un indien avait sorti de sa poche et lui avait offert « la vie rêvée » pour tenir le coup… « Voilà dit-elle René Guy Cadou, une poésie qui peut aider, aller au plus vrai de chacun ! Elle a cette caractéristique d’être à la fois enracinée et universelle, comprise partout ».
Question : Porter toute sa vie un tel héritage, n’est-ce pas lourd quand on est soi-même poète ? « C’est tellement naturel, répond-elle avec le même enthousiasme lumineux. Après sa disparition, la vie a continué, grâce à cette source fraîche qu’est sa poésie. Je me suis remise à écrire. Mais c’est comme si j’avais toujours su que je reviendrais à Nantes… »
«  Boire à même le souvenir  Cet arbre prend racine   En moi    Depuis si longtemps »  

Transmettre la poésie de Cadou, la vie d’Hélène. Admirable passeur, s’effaçant humblement, pour mieux se retrouver au cœur de la poésie, tissant à partir de René, ses propres notes blanches toute neuves, les mots d’avant les mots « Un chemin creux comme un lit préparé pour les noces d’un éternel été …Eclats du cœur Myriades Années-poussières…»
Après la chair  elle dit ce que Rilke définit « Le chant de l’éternel amour en profondeur où tout est loi ». Grossesse grandiose, maternité de l’amour, elle se prépare et se dévoue à rassembler son cœur résolu, l’existence. Eternelle épouse, sans âge et sans date, sage-femme d’hier et de demain, de tous les temps, elle devient leur monde, lui rendant sa prière.

« S’il advient aux pèlerins chercheurs de trèfle  De remettre par jeu leurs pas  Dans la poussière de nos pas   Je voudrais que l’un d’eux près du pressoir usé    Se trouve pris au goût de vivre un jour encore »

Un soir d’hiver, Hélène referme les portes du centre-sanctuaire Cadou, sa demeure du jour-ouvrier, partant à la recherche du tramway chargé de la déposer chez elle un peu plus loin sur les quais, je lui tends un ticket, elle me dit espiègle Pourquoi faire ? Je n’en ai jamais …Ainsi s’est–elle donnée, mésange bleue, les ailes de liberté, sans ticket d’entrée ni rien demander, enroulée dans l’écharpe du ciel 

« Le ciel   Avait mis son écharpe   Semée d’oiseaux   Le vent d’est en ouest   Portait des nouvelles   De naissance   Et d’amour en mort   Dans sa poche   Il y avait    Un peu de neige    Trois grains de blé   Et du soleil à foison    De l’histoire    Il ne savait rien    Et mélangeait les pays   Les peuples et les saisons    L’amour la mort   Un peu de terre    Et l’eau des sources    Il aimait bien les vivants    Qui s’en viennent   Et puis s’en vont   Comme le vent. » Chansons de l’amour en mort 1-Mise à jour (1956-1986)

Elle est venue puis repartie « Les yeux grands ouverts Je recommence la vie »

Nathalie Fréour 19 octobre 2019

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

Francis Krembel est né en 1946 en Alsace. Vit aujourd’hui en Anjou, à Béhuard dans l’île. Responsable de l’association « Traumfabrik- la fabrique du rêve » et de « Rochefort en poésie »

Francis Krembel,  par Luc Vidal

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Voici en trois points ce qui m’est apparu pour rendre hommage à Françis Krembel afin de souligner qu’avec Michel Baglin nous avons deux héritiers des poètes de l’ école de Rochefort sur Loire. Nous leur rendons ainsi hommage.  Le témoignage que nous lirons a été écrit en 1991 par Francis  décédé 28 ans plus tard. Il avait quitté son Alsace natal à 40 ans pour s'installer près de Rochefort- sur-Loire pendant 15 ans. Il était heureux de vivre si près de cette "école de Rochefort".

 

 1-La découverte de René Guy Cadou de Francis Krembel

 

"Tu vivras innombrable pour d'autres que moi"
En ce visage l'avenir
Hélène Cadou

 

Le 21 mars 1951 mourait le poète René Guy Cadou. C'était il y a quarante ans (nous sommes en 1991).
Commémorer la mort n'est pas mon fort. Dans ce mot d'ailleurs, commémoration, j'entends mort et crémation. Les poètes n’ont que faire des cérémonies mortuaires ou autres. Ce qu'ils apprécient, c'est la vie, celle des mots et des langues qui se poursuit de manière inlassable.

Je veux parler de CADOU et de ses amis de Rochefort pour qu'on les fête et les fasse vivre, encore et encore. Aimer la poésie n'est pas ressusciter des fantômes, mais œuvrer, écrire, lire et relire, dire et porter les textes de ceux qui la pratiquent. En 1951, j'avais cinq ans, Cadou mourait, et attristait cet après-guerre de ses compagnons d'espoir.

Je le découvrais quinze ans plus tard dans la mouvance encore assez vive de ces "UTOVIES" et utopies de l'après Mai. J'étais allé faire un tour du côté des dadas et autres surréalistes, j'avais lu les grands, les fulgurants ; j'avais eu ma période africaine quand je fus attiré par ces deux syllabes sonores, elles résonnent toujours à mon oreille, comme cadeau et douceur. Je rencontrais quelqu'un de simple qui écrivait une poésie non simpliste, il était différent, c'est tout. Ce provincial providentiel était enraciné, cela ne le gênait pas d'être d'un village (c'était bien avant la vogue "des imbéciles heureux")
Je le plaçais sans hésitation dans la grande fratrie de ceux qui je fréquentais déjà. Depuis, je ne l'ai jamais quitté. C'est lui que je relis le plus souvent, sans doute parce qu'il me parle, que sa poésie signifie plus pour moi que celle de tous les autres. Je n'ai pas encore à ce jour, à cette heure totalement compris pourquoi, étonnant secret des poèmes ! Sans doute parce qu'il n'a pas l'hermétisme de certains. Il parle aussi bien des pommes, du Christ ou de la peinture, des merles, des geais ou des gens. Il a de l'opaque et du translucide, du mystère et de désespérantes lucidités.

Ce qui m'a attiré sans doute c'est l'indépendance du "Mouvement de Rochefort" par rapport aux grands prêtres du surréalisme. Ce côté convivial "amateur" sans se prendre trop la tête comme les pontifes parisiens.

Des gens qui avaient pour but de faire vivre la poésie, d'échanger des idées, se retrouvaient en toute amitié. Et que dire encore sinon les envoûtantes circonstances, la liberté confisquée, puis cette histoire de ligne de démarcation qu'ils franchissaient pour la rencontre, la chaleur autour des mots.
Beaucoup plus tard, je devins instituteur, cela augmenta encore ma fraternité avec le poète CADOU. M'arrivèrent un jour les mêmes rêves de blanche école ou s'ébattent des groupes d'enfants. Je vécus bientôt comme lui dans ces vieilles classes qui "sentaient l'encre, le bois, la craie" (il en restait quelques unes).

Un jour enfin je découvrais ce paradoxe d'un instituteur de la "laïque" qui ne se gênait pas de mettre les saints, le Christ et Dieu dans ses vers magnifiques. Je ne résiste pas à la tentation de citer :

"Mon Dieu cela m'arrive de penser à toi
Comme à un survivant de la marine à voiles".

Je compris alors qu'il est inutile de vouloir simplifier schématiser, j'ai grâce à lui, peut-être perdu des œillères. Il y a eu cette phrase aussi longtemps épinglée au-dessus de ma table de travail qui vaut son poids d'or et de syllabes :

« Je prétends à la vie
Et ne supporte pas
Qu’on me tienne enfermé
Dans les pages d'un livre. »

Je voudrais vous communiquer l'enthousiasme né de ces lectures. Année après année, je lis ces textes comme on bêche un jardin pour participer au rythme du temps.

Quand je lis CADOU, j'ai l'impression d'être dans les saisons de la poésie, d'y être dans le réel, parce que tous ces mots palpitent et viennent en moi comme s'ils venaient d'être écrits.

Je passerais ma vie à vous parler de la passion pour cet homme, ou à suivre ses traces. Parfois je comprends ceux qui s'enflamment pour un créateur, et creusent les sillons de cette poursuite toute une vie. Je pense à Borer le fou de Rimbaud qui a marché sur ses traces au Harar.

Je mêlerais bien mes errances à celles de Cadou et de ses poètes frères "par dessus les marais des hommes et la Loire" mais le temps est toujours compté, la vie trop courte, il est si difficile de choisir.
Je vous engage tous, je nous engage tous à lire les autres poètes de l'école de Rochefort.
Il faut lire Jean Bouhier, lui qui fut l'âme de ce groupe et qui a peut-être sacrifié par pure amitié son énergie aux autres poètes, lui le rassembleur le fraternel, le franc parleur.
Il y a Bérimont dont je n'ai qu'un souvenir vague, ses textes dits sur un vieux 45 tours perdu, par la voix rocailleuse et chaude de Robert Hossein ; Bérimont qui me semblait si végétal, si flamboyant, luxuriant et fauve.
Manoll aussi qui nous parle de ses amis, des grèves, "du lierre du vent et l'écume océane". Manoll que je connais si peu ; dont j'ai rencontré le nom la première fois dans une préface à l’œuvre de Cadou.
Il y a tous les autres sans doute car qui dit groupe, dit circonstances, la mort de l'un, la forte personnalité de l'autre, les aléas de la vie qui passe et disperse.

En cette année 1991 donc, il serait heureux que nous profitions de l'anniversaire de la création de cette École de Rochefort pour lire ses poètes, porter leurs textes vers les autres simplement, en toute amitié pour ce feu si chaud dont les braises couvent encore sous les cendres du temps.

2- Le festival de poésie de Behuard et le coup de gueule et de coeur du poète Krembel

               Francis adressait à la revue Décharge , belle revue de France le programme du marché des éditeurs qu’il organisait avec Janne et de des amis à Behard : Une Ile en poésie les samedi et dimanche 1er juillet 2018 où se réunissaient 24 éditeurs des quatre coins de la France, précédait ce festival l’opération les Estivales qui touchaient comme aujourd’hui les communes alentour. Francis Krembel, instituteur est un homme-poète à l’esprit et au cœur libre. Instituteur, il pratiquait la méthode Freinet. C’est dire l’esprit de famille qui l’animait au plus profond de lui-même : proposer aux enfants et aux hommes l’émancipation d’une certaine manière, Francis, l’alsacien a prolongé l’esprit Rochefort en venant habiter les bords de Loire et en créant La Traumfabrik-La Petite fabrique de rêve, cette revue délicieuse et fraternelle où se cotoyaient ceux et celles qu’il admirait et  aimait tels Jean Mougin, ce facteur de paix, Louis Dubost, Jean-Pierre Georges, Maria Salmon, Jean paul Sorg, Gilles Demamanrô, Dominique Forget,  Pierre Garnier, Serge Wellens et Christophe Jubien . La revue L’Etabli confortait cette démarche. Pardonnez si j’en oublie. Francis Krembel était l’animateur du marché de poésie de Rochefort-sur-Loire avec d’autre et le soutien de l’ancien Maire de Rochefort. La municipalité en 2017 avait décidé à une voix près de supprimer ce marché. Le poète Krembel était en colère car pour lui « commémorer est moins essentiel que lire et éditer des poètes » écrivait-il dans Décharge n°170 de juin 2016. C’est pour cela que fut créé Béhuard, Une Ile en poésie. Voici ce qu’écrivait Roland Nadaus à la Traumfabrik :

« Si vous êtes dans les parages d'Angers samedi et/ou dimanche prochains, je serai, avec quelques amis poètes en dédicace à Béhuard: classée au patrimoine mondial de l'UNESCO, Béhuard est l'unique commune à être une île sur la Loire. À une vingtaine de kilomètres au Sud-Ouest d'Angers, le village ligérien est ceinturé par deux bras de la Loire. Béhuard, la plus "Petite Cité de Caractère" d'Anjou et des Pays de la Loire ne compte qu'une centaine d'habitants à l'année. Labellisée en 2004, ce prestigieux label permet à cette petite cité, aux multiples charmes, d'accueillir de nombreux visiteurs. En effet, on vient se marier à Notre Dame de Béhuard, petite chapelle royale perchée sur un rocher et faisant corps avec lui. On vient à Béhuard en pèlerinage, au mois d'août. On vient pour le charme du village, pour faire le tour de l'île à pied, longer la Loire, pêcher tranquillement... On vient encore pour la guinguette, la crêperie et le bar, sur la place de l'église. ET POUR LE MARCHE DE LA POESIE, qui perpétue pour la première fois, grâce à Francis Krembel et ses amis bénévoles, le beau marché de Rochefort sur Loire, supprimé lui aussi... Je me trouverai en bonne compagnie au stand des Editions Henry pilotées »

         Pour Francis Krembel recréer ce marché est acte de résistance. Porter la parole poétique aux oreille et au public des hommes et des femmes est acte essentiel pour lutter contre la barbarie. Ouest-France et le courrier de l’ouest précisaient : « Dans la beauté et la douceur du cadre, c'est un homme révolté et en résistance qui s'exprime.  On coupe les moyens à tout ce qui est culturel. C'est la déconfiture générale sur le champ de la culture et de la poésie en particulier. » Il évoque le demi-contrat aidé dont bénéficiait l'association Rochefort en poésie qui n'a pas été renouvelé. En protestation, il en a alors quitté la présidence : « Il était pour moi hors de question d'accepter que l'on puisse ainsi faire taire la parole poétique. Cette décision que j'ai prise quasi immédiatement, d'organiser l'événement Une île en poésie à Béhuard, est un acte de résistance. Pas contre la municipalité de Rochefort, mais contre tout un système qui a clairement fait ses choix en abandonnant le champ culturel jugé comme superflu. »
       C’est très étonnant la décision majoritaire du conseil municipal de faire disparaître ce marché. Car il y a une richesse patrimoniale, poétique, culturel et touristique de cette École de Rochefort qui peut faire connaître au-delà de ses limites ce pays accueillant et vivant. Ne seront plus dits, lus ou entendus ces œuvres sur les bords du Louet pendant ce marché qui avait fait plus que ses preuves et accueillit des poètes en résidence. C’est ainsi. Cette décision a été prise démocratiquement. Certes. Mais que signifie-t-elle ?  Est-ce une méconnaissance des grandes œuvres de cette école de poètes que Francis aimait passionnément continuant une immense tradition littéraire et poétique qui font du fleuve Loire le complice de nos vies lié aux poètes de la Pléïade tel Ronsard, Du Bellay, Honoré de Balzac, François Villon, Madame de Sévigné, François René de Chateaubriand, Paul Fort, Max Jacob, Julien Gracq, Maurice Genevoix et René Guy Cadou sans les citer toutes et tous ? Est-ce impéritie ? Ou bien est-ce une volonté consciente de jeter des grandes œuvres à l’eau ? De les faire disparaître ? Sans crier gare ? Combray à Marcel Proust. Rochefort-sur-Loire à Cadou, Bérimont  et son école poétique. Dont acte ! Et cependant la poésie est inutile comme la pluie selon Cadou.Son volume Poésie la vie entière s’est vendu à plus de 120 000 (cent vingt mille) exemplaires (!) et il continue à toucher et contribue à faire connaître Rochefort-sur-Loire. L’anthologie des poètes de Rochefort de Jean Bouhiers’est diffusé à plus de 20 000 (vingt mille) exemplaires.

Behuard était pour les amis de Rochefort le lieu-port d’arrivée qui menait les Cadou, les Manoll, les Béalu, les Bérimont, les Jégoudez, les Rousselot... à la phamarcie des Bouhier près de l’église. Une barque les déposait sur un petit quai après être descendu à la petite gare sur la voie plus au nord. Leur pas, leurs œuvres sont une richesse. Francis Krembel avec la complicité de Janne sa femme et quelques copains ont heureusement repris le flambeau. On comprend alors pourquoi Francis Krembel a réagi et créé ce festival Behuard, une Ile en poésie. L’homme-poète qu’il est sait très bien que la parole poétique est toujours en phase avec le désir d’humanité et d’amour des hommes, aujourd’hui n’affirmerait-il pas : plus que jamais ?

Et c’est vrai que sa poésie discrète mais profonde est un carnet pour habiter le temps .

 3-Une poésie musicale et douce et pénétrante

      Jean- Paul Sorg* associe les deux mots géométrie et utopie pour qualifier l’homme poète Krembel. Il dit qu’il a les pieds sur terre de l’enfance et la tête dans l’utopie. Ce rêveur rebelle transforme sans cesse sa révolte en mots de récoltes. Behuard Ile en poésie en est un exemple concret. L’alsacien Krembel a toujours eu porte ouverte sur la littérature allemande mais ce poète français a toujours réfléchi et écrit sur la notion et le mot identité et sur la langue avec justesse. Rejoint-il ainsi un René Guy Cadou qui connaissait l’allemand et avait bu aux sources du romantisme allemand ? Simon Martin insiste sur l’humilité qui caractérise le tempérament du poète. Il accueillait en lui la parole souterraine du monde mais avec vivacité et une certaine charge émotionnelle et douloureuse à vivre. Si Simon Martin* fait du poète un Impaisible, Francis Krembel vivait et savait comme un poète taoïste se poser, Ne rien faire sinon regarde, écouter, respirer (in L’atelier du jour, éditions donner à voir) afin d’éclaircir le jour, Des années d’écriture avec au bout le doute absolu et pourtant continuer quand même, ne serait-ce que pour tenter précisément d’éclaircir le jour (in Comme un blues pour Blaise, éditions Henry). Christophe Jubien* constate l’homme désillusionné mais lucide qu’il devint. Christophe Jubien est heureux même de faire ce constat. Il écrit en s’adressant au poète dans la revue Chiendents n°125 : « Le monde tel qu’il est, c’est la matière première du poète, son pain quotidien, et sous la croûte noire il y a souvent de la mie blanche qu’il faut aller chercher avec les doigts nus, c’est d’ailleurs ce que tu fais, ta langue n’ayant jamais pris de gants pour dire ce que tes yeux ont vu ». Cette citation le saisit physiquement, on voit le poète marcheur, ce piéton de l’air franchissant les frontières et les offrant au monde. Simplement. Nous n’écrirons plus en rond pour la tribu, fini cela. Il fait casser le cercle ; rien à dire aux assis, aux frileux ou encore nos paysages seront sans clôture avec au-dessus / des étoiles nées du hasard. Ces quelques vers sont lumineux. Bien sûr il y a toujours des nostalgies de révoltes comme ici Rimbaud qui laissent des traces dans l’écriture-œuvre d’un authentique poète.

      Voici quelques poèmes parmi au fond une très belle collection de poésie de laquelle il n’ y a rien à jeter tant il est vrai que le temps d’écriture chez le poète était conjugué au travail ciselant du sculpteur et du jardinier qui savait entretenir avec les saisons des mots les fleurs et les fruits du langage.

Ce rouge-gorge

Ce rouge-gorge qui revient chaque fois que le paysan me livre du bois, il sautille     
sautille d’une bûche à l’autre
tandis que je monte des grosses brassées de bois vers la terrasse.
Il picore je ne sais quelles bestioles trouvées sous les bouts d’écorce.
Vie du rouge-gorge aussi valable et importante que celle de n’importe quel
humain, ministre médiatique, acteur bateleur, bonimenteur.
Il ne s’agite pas en vain, il fait son travail d’oiseau.
Il est chaque jour sur l’écran de ma télé clandestine, me distille sa météo, ses
actualités, sa vie fragile.
Ses sauts, ses passages fugaces me sont bien les plus importants signes de vie.

Laisser pénétrer la vie

Luisances des feuilles / le buisson ardent miroite !
Lumière indescriptible dans l’air vif du jour. J’ouvre les fenêtres
pour laisser pénétrer la vie. Un petit bateau passe, bruit régulier du moteur
Trois voitures traversent un pont métallique de l’autre temps.
Cliquetis quotidiens, chants d’oiseaux partout. Le ciel au-dessus,
simple douceur lumineuse.

Bonne nouvelles ce matin au courrier un ami m’envoie une carte,
des anges qui font un bœuf car dit-il au ciel on aime le jazz.
C’est bien vrai ici-bas aussi l’image dans la fenêtre est une balade de Miles
avec en plus du Messiaen pour les oiseaux.
Que demander de plus au jour ?

Vivant d’incertitude

On ne sait pas toujours où se nichent les mots-flammes
Où vivent nos quelques rares certitudes
Et soudain quatre ou cinq syllabes s’envolent au
dessus du nid de coucou. L’oiseau du poème
les attrape, les mâche et les digère pour en faire
quelque chose de pas toujours certain
dans la quadrature du dire
l’ornithologue se doit de rester modeste comme
simple vivant d’incertitude,
ne pas planter des
clous dans l’avenir.

Un authentique poète disais-je.  Oui, le bien nommé Francis Frembel*

* le petit véhicule a édité la revue Chiendents n°125 : Herbes consacrée à Francis Krembel.

 



LE BOËL Jean. Animateur des Éditions Henry. A fondé et dirige Écrit(s) du Nord. Secrétaire du Pen Club français et de la Maison de Poésie de Paris. Une dizaine de romans ou récits, deux essais, sept livres de poésie. Bourse Poncetton 2009 de la SGDL pour Le paysage immobile. Quelques publications plus récentes : La Mère Patrie (Henry 2015), Et leurs bras frêles tordant le destin (Henry 2017), Jusqu'au jour (Henry 2020), Le Chiendents n°45 : Jean Le Boël ou la parole fraternelle lui est consacré.

Poèmes, par Jean Le Boël

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Poème pour Francis Krembel

Ce n'était pas de toi que tu parlais ce jour d'oubli ce jour d'été
dans la cour de l'école
sous le ciel éclaboussé d'hirondelles tu n'en avais pas besoin
tout ton corps te disait déjà
ta voix essoufflée d'une autre terre ton front buté contre nos peurs
tes mains chantaient Cadou son Hélène
le Louet la poésie la fraternité et Janne te veillait


Poème pour Michel Baglin

 

Michel poète pérégrin tisseur de liens
ce sac sur les routes sur les marchés toujours tu le traînais
déjà riais-je il avait connu les trains de ta jeunesse
on ne savait s'il était de livres ou de pâtés de brouillons géniaux
tu ne le posais
que pour la table ouverte
aux frères à la poésie                                                                                    17
et ta voix tantôt clairon tantôt chant
loin des pisse-froid nous prenait la main sous le ciel de l'amitié

Michel Michel c'est trop tôt sans doute pour te dire
alors juste ton sac à l'épaule
ton épaule où il faisait bon s'appuyer

 


 

 

 

 

 

Michel Baglin est un écrivain et journaliste français né le 25 novembre 1950 à Nogent-sur-Marne (94) et mort le 8 juillet 20191.

Poètenouvellisteessayiste et romancier, il est l'auteur de plus d'une trentaine d'ouvrages publiés chez divers éditeurs

Michel Baglin ou un présent qui s’absente, par Luc Vidal

 

 

 

 

 

 

 


 

« Ce  n'est que la lumière  d'Avril où passent  les  gens,  rien que le  cœur qu'on démâte pour passer sous les ponts. » Fin du premier poème pour un vrai départ de lecture. La poésie de Michel Baglin est une poésie lyriquement présente au cœur du lecteur. S'anime alors en lui l'amplitude et la plénitude d'être vivant parmi les vivants. Malgré l'absence qui s'annonce dans le titre. Ce n'est peut-être qu'un jeu de miroirs nostalgiques et trompeurs que le poète s'invente pour tirer des plans de secours et laisser couler la musique de son poème. Il y a dans ce premier poème En terrasse, du Aragon, du meilleur, celui qui finissait dans son Voyage en Hollande par : « à vous jeunes gens de dire ce que je vois ». Pour le poème Payé de mots, en fin d'ouvrage, je ferais la même remarque. Chaque poème de ce livre est une histoire ou un récit. Il fixe le provisoire quasi définitivement. C'est là le drame d'une conscience. Au fond on ne laisse que des souvenirs... que la marque brève de ses pas de voyageur sur la carte fragile du monde. Les cartes de l'enfance quand elles ressurgissent dans le cœur du poète ravivent l'espoir de renaître à soi-même. La poésie de Michel Baglin (de ce livre en particulier*) ressemble à une poésie du désenchantement dont la mélancolie active ouvre toutes les fenêtres pour de nouveaux printemps.

Le chant des migrants qui ponctue ce livre renforce cette impression. Les mots en leur sein délivrent des clés pour des portes inconnues. « Ils ont conquis des mots qui aident à marcher... »

Un présent qui s'absente aurait pu se nommer À la recherche d'une âme perdue (lire Le paysage) ou La vague à l'âme (lire Nostalgie de l'avenir) ou Un homme  se penche sur son passé (lire Paris en musardant), La terre  promise  ou l'illusion  poétique (lire Géographie  du temps).  Ce qui est sûr malgré les doutes, les incertitudes c'est ce que le poète a toujours chevillé aux jambes de son cœur
« cet arpent d'émotions  vivaces ».

Michel Baglin est ainsi fait qu'il ne peut concevoir un poème sans les liens profonds avec les vivants du présent, ainsi le poète Francis Krembel, Michel Dunan,  le poète lyonnais Guy Gofette, le poète belge Philippe-Marie Bernadou, le poète-libraire de Montauban Jacques Ibanès, les Cathalo, etc. ou ceux qui ne sont plus, présents pourtant dans son cœur : ceux de Rochefort, Jean-François Lavaur de la revue Traces, Jean L'Anselme, Whitman, London, Chatwin, Léo Ferré avec son camarade Bakounine... Le poème Béhuard, village au bord de Loire à Rochefort, est le film de cette recherche en fraternité que le poète Baglin a pratiquée depuis toujours et comme jamais. Il y a une telle musique dans les vers libres de ce recueil qu'elle semble contredire le titre même. Elle est musicalement « l'obscure   rumeur du temps » qui donne sens et s'oppose aux ténèbres de la désillusion. Et cette part du diable où la places-tu, poète ? Dans la présence ou l’absence ?

Baglin me fait penser à ces magnifiques écrivains de l'âge classique de la poésie chinoise qu'éditent les éditions Moudarren. je pense en particulier à Wang Wei et Le plein du vide, à Ryokan et Le moine fou est de retour et enfin à Lao Tzu, et Le vieux  sage (le Classique du tao et ses vertus). Ce beau poème, La vague à l'âme, concis et fabriqué à l'aide de distiques aux belles sonorités-dialogues  (Ile, aile) taoïse la poésie de Michel. Il crée peut-être sans s'en rendre compte le véritable chemin-poème de la solitude promise comme un remède à sa désespérance. Car son lyrisme ample et fraternel, ça vibre, ça chante, ça musique. Car il se dégage de ce livre une douce mélancolie qui ne demande à l'esprit de révolte et à l'empan des songes qu'un dernier coup de pouce pour être dans la joie du monde. Michel Baglin y rejoint la fraternité et l'amitié de ceux de Rochefort.
Voici le poème consacré à Rochefort-sur-Loire

 

Salut à Rochefort

 

C'était une cour de récréation,
une table amie, un verre de blanc. L'école n'avait aucune leçon
grave ou sentencieuse à faire aux vivants.

Autour de Bouhier et de René Guy, Rousselot, Follain, Chaulot, Bérimont, quelques brancardiers de la poésie depuis Rochefort ont donné le ton.

On les reconnaît à ce qu'on les croit.
Et depuis ce temps, un peuple d'images

s'accorde à leurs chants, s'ajuste à leurs voix qui vers le prochain trouvaient un passage.

Ils parlent en nous, poètes présents
qui dirent ce que nous vivons tout bas, le bonheur inquiet, la peine des gens,
la rime espérée qu'on ne trouve pas.

Ceux-là pourtant, chaleureux et rebelles, à qui les entend font la courte-échelle
pour franchir les murs dressés en soi-même, fuir ce qui réduit l'homme au quotidien,
mériter la terre, aller aux fontaines abreuver de paix les nouveaux  matins.

Je pense à Cadou, René Guy, Hélène, au maître d'école aux yeux éblouis,
à l'amour qui par les mots se survit
et creuse une absence emplie de poèmes.

Si chacun dans leurs arrière-pays marche sur sa trace et se reconnaît,
c'est qu'ils ont nos clefs, boivent à nos puits, raniment nos feux de quelques mots vrais.

Et leurs chants sont à nos chants si fidèles, leurs pas à nos pas si bien accordés,
qu'on ne sait trop d'eux ou de nous lesquels inspirent et lesquels sont inspirés.

Leur poème au ventre et le cœur lesté de soleils anciens, de nuits pressenties, nous voici comme eux tout entiers livrés au vertige obscur de tout ce qui vit.

Compagnons secrets de l'exil intime,
dans ce temps présent si peu présentable, lequel d'entre nous n'aurait grise mine
si ne l'étayaient leurs voix secourables ?

Aussi nu qu'on soit et mendiant l'amour il nous reste encore à puiser en eux
et si nul ne peut prolonger le jour
qu'au moins leur parole éclaire nos yeux.

 

Michel Baglin y rejoint la fraternité et l'amitié de ceux de Rochefort et leur don de parole…

 


 

 

 

 

 

Pierre Tanguy est écrivain et journaliste. Il vit à Quimper et est l’auteur d’une vingtaine de recueils de poésie publiés pour la plupart aux éditions La Part Commune à Rennes, depuis « Haïku du chemin en Bretagne intérieure » (2002) jusqu’à « Un chant parmi les ombres » (2019). Il s’est vu attribuer en 2012, pour l’ensemble de ses livres, le prix de poésie délivré par l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire. Pierre Tanguy va publier en forme d’hommage à René Guy Cadou, un recueil intitulé « Comme un bouquet de fleurs mouillées », édité par l’association Des sources et des livres, implantée à Assérac dans le pays de Hélène et René Guy Cadou.

De Louisfert à Quimper, par Pierre Tanguy

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Je n’ai pas le souvenir précis de mes premières  lectures de Cadou. Son œuvre poétique a cheminé en moi de façon subreptice au moment où je découvrais qu’une poésie existait loin des « bruits de vaisselle du surréalisme ». J’avais une vingtaine d’années ; je découvrais Grall, Keineg, Guillevic, Le Gouic… Une poésie qui touchait mon cœur. Concrète, arc- boutée à un pays. Et je lisais Cadou. Déjà enthousiasmé de voir que des chanteurs bretons, comme Manu Lann Huel s’intéressaient à ses textes.  Je lisais Cadou parce qu’on était bien loin de cette « poésie blanche et anémié », dont parle Jean-Luc Maxence dans son livre Au tournant du siècle (Seghers, 2014).

Dans la poésie aux accents parfois lyriques de Cadou, je décelais, de ci de là,  une forme d’acquiescement à l’injonction de Novalis : « Le paradis est dispersé sur toute la terre et nous ne le reconnaissons plus. Il faut en réunir les traits épars ». Mission à laquelle s’était attelé Gustave Roud (et Philippe Jaccottet à sa suite). René Guy Cadou m’a toujours paru être de cette trempe-là d’auteur, à la fois dans la contemplation du monde et dans la conscience aiguë de notre précarité.

René Guy Cadou n’est donc pas rentré dans ma vie à une heure ou à un jour précis, comme ce fut le cas pour le moine poète Gilles Baudry qui doit largement sa vocation (de poète) à l’éblouissement qui fut le sien à la lecture des poèmes de René Guy. Ce dont je suis sûr, par contre, c’est que je lisais ou plutôt relisais Hélène ou le règne végétal dans la période précédant la naissance de ma deuxième fille.

« Je t’attendais ainsi qu’on attend les navires
Dans les années de sécheresse quand le blé
Ne monte pas plus haut qu’une oreille dans l’herbe
Qui écoute apeurée la grande voix du temps »

Quand le moment fut venu de choisir un prénom à notre fille, nous sommes tombés d’accord – mon épouse et moi – sur le choix d’Hélène. Sans doute pour des raisons différentes. La sonorité du mot, sa légèreté… sans aucun doute. Mais encore, en ce qui me concerne, la possibilité de me rattacher à Cadou par son Hélène à lui. Que ma fille puisse porter le prénom de l’amoureuse de René Guy m’a comblé de joie.

« Je t’attendais et tous les quais toutes les routes
Ont retenti du pas brûlant qui s’en allait
Vers toi que je portais déjà sur mes épaules
Comme une douce pluie qui ne sèche jamais »

Hélène est née à Quimper. Une ville où  je réside et dans laquelle un lieu me relie aussi, avec force, à René Guy. Il s’agit de la maison natale de Max Jacob, rue du Parc, que je longe si souvent dans mes promenades sur les quais de la ville et où se déroulent, une fois par mois, des rencontres autour de la poésie sous le label « Chez Max ».

J’ai pu évaluer au cours des années, en creusant la biographie des deux poètes, les liens forts qui les unissaient. Et mesuré les deux grands thèmes de leurs échanges : la nature et le rôle de la poésie d’une part, la religion et la foi chrétienne d’autre part. Il a fallu pour cela que je me plonge dans les lettres de Max à René Guy (Esthétique, Joca Seria, 2001)

La poésie ? « Le langage du poème est le langage ému de la mère à l’enfant, etc. Le reste est prose », écrit Mac Jacob. « Il ne faut pas chercher à écrire beaucoup mais au contraire chercher à se retenir (...) C’est ce qui a été porté en silence qui compte et non pas ce qui a été cherché en tant que prétexte à écrire ».

La religion et la foi chrétienne ? « Trouvez votre cœur et changez-le en encrier. Le cœur, c’est Dieu. Ceci n’est pas un mot littéraire mauvais, c’est une vérité ».

Max Jacob n’a pas conservé les lettres de René Guy préférant les détruire pour qu’elles ne tombent pas dans de mauvaises mains à cette époque troublée de montée des périls visant notamment les juifs.  Mais dans le courrier que Cadou avait reçu de Saint-Benoît-sur-Loire, on découvre des réponses précises à des interrogations ou des réflexions du poète-instituteur de Louisfert : « Je suis de ton avis !, lui dit Max, on faisait un roman comme une serrure et rares sont les œuvres où il y a une intelligence cosmique, une conception d’abord de l’humanité comme on la trouve dans certains Russes et dans Ibsen ».

Max avait sans doute aussi décelé cette « intelligence cosmique » et aussi cette particulière « conception de l’humanité » dans les écrits poétiques de son jeune ami. C’est ce à quoi je songe à nouveau, aujourd’hui, sur les quais de Quimper, longeant la maison natale de Max Jacob. En pensant à René Guy Cadou.


 

 

 

 

 

Spécialiste de René Guy Cadou, il a notamment écrit une biographie très fouillée Vie et Passion de RGC republiée en 2020 aux éditions du petit véhicule.

Éloge du surnuméraire, par Christian Moncelet

 

 

 

 

 

 

 


 

Dans mon enfance, les marchandes d'œufs pratiquaient le « treize à la douzaine ». C'est un cadeau semblable que nous fait Cadou avec sa « cinquième saison » qui manquait à nos calendriers prosaïques et se cachait sous le boisseau des habitudes et des bonheurs routiniers.
Rien d'anecdotique dans ce surnuméraire. C'est affaire de poétique et d'éthique. Claudel, que Cadou ne détestait pas, écrivait en substance que les artistes avaient vocation à créer ce qui faisait défaut à la beauté du monde. En démiurge, humble et merveilleux, l'Orphée de Louisfert pouvait dire « je recommence le monde » avec des ingrédients sans grandeur dont « le trop-plein d'un seau » (« Solitude »). Donner vie à ce qui est vain, c'est recycler l'insignifiance, vitaminer les déchets ou simplement gratifier chacun du don de double vue. Ainsi, le simple geste d'entourer de ses bras la tête de l'ami cher devient une bouée de sauvetage affectif (cf. Thérèse Hélène et moi / À ton cou la bouée de sauvetage de nos bras, « Lettre à Michel Manoll », dans Le Coeur définitif).
Toute métaphore judicieuse est une plus-value dont bénéficie le réel.

On peut rapprocher cette prise en compte du surnuméraire de la définition que Jacques Rivière donnait de la spiritualité : « le sentiment d'un plus là où l'on n'avait pas le sentiment d'un moins ».

Enfin, il n'est pas interdit de penser à la connotation évangélique du surnuméraire. Le Nouveau Testament ruine définitivement l'ancienne loi, implacablement mathématique, du talion. La riposte se fondait sur le strict principe d'égalité « oeil pour oeil, dent pour dent ». Et que lit-on dans le message christique ? « Si on te demande de courir un mile, cours-en deux ». Donner plus que demandé : la gratuité, la surabondance sont des valeurs qui lézardent l'épaisse certitude de la seule égalité du donnant-donnant. L'amour inconditionnel est de l'ordre du surnuméraire.

C'est celui qu'on devrait offrir, d'emblée, sans calcul, à ce marin saoul venu frapper à la porte de la maison de Louisfert (« Si c'était lui », Les Biens de ce monde):

Ce qu'il dit ? Ce ne sont pas propos bons à répandre Encore un qu'il faudrait aimer avant d'entendre.
Et dans « La fleur rouge » (Hélène ou le règne végétal), L'enfant est plus que comblé par l'intercession d'Hélène :

Qu'un enfant attardé
Passe la porte ouverte
Et devinant la joie
Demande à me parler

Pour le mener vers moi
Deux mains se sont offertes
Si bien qu'il a déjà
Plus qu'il ne désirait

« Au bout du compte », comme on dit... on découvre, grâce à la poésie, qu'il n'y a pas de bout.
Le compte n'est jamais bon ou, plutôt, il faut compter avec des soleils en embuscade salutaire. « La fleur rouge » nous confirme qu'il y a toujours des jardins qui « [reculent] sans cesse l'horizon »... Il faut compter aussi avec la fantaisie - ce grain de ciel que l'humour met dans le surréel - et accueillir joyeusement ce « treizième arrondissement et demi » dont le maire, grâce au pataphysicien Boris Vian, a prononcé un discours mémorable (cf. Noël Arnaud, Les Vies parallèles de Boris Vian).

Revenons à la « cinquième saison ». Elle n'est pas une simple anomalie monstrueuse, comme celle qui affecte dans l'imaginaire populaire « le mouton à cinq pattes » ou, semblablement, les taureaux ailés à têtes humaines, vigiles protecteurs, visibles au Louvre, au département de l'art assyrien. À chacun de trouver des noms pour les mois - en quel nombre ? - qui la composent.

Elle ne saurait être réduite à un printemps surnommé « la saison des amours », parce qu'elle est celle d'un unique Amour avec un grand Havre et une grande Âme unifiant les amants (cf. le poème « La cinquième saison », La Vie rêvée). Elle doit aussi avoir plus de couleurs et de gravité que la désirée « semaine des quatre jeudis » du temps jadis. Elle a un peu, si peu, à voir avec « le treizième mois » qui tombe dans les portefeuilles de certains travailleurs, parce qu'elle est affaire d'or plus que d'argent, affaire d'astres emplissant d'avides escarciels.

Cette « cinquième saison » existe, il faut y croire pour la voir et faire confiance à Cadou, mais aussi à Philippe Delerm qui intitula ainsi son premier roman placé sous la tendre obédience de notre cher poète (éditions du Rocher, 1983), mais encore à Jacques Prévert mettant en épigraphe d'un recueil cette citation du peintre néerlandais Cornélius Postma (1903-1977) : « Les quatre saisons passent et s'en vont, la cinquième reste toute la vie » (Gallimard, 1984).
Et Prévert d'enchaîner :

Quatre petits tours et puis s'en vont
Et un cinquième par-dessus le marché
pour les enfants qui n'ont pas demandé pourquoi le manège tournait

Le peintre est semblable à ces enfants il ne demande pas raison aux saisons
Un autre poète, Armand Monjo, est très prisé dans les classes pour un texte dans lequel, après avoir chanté le printemps, l'été, l'automne et l'hiver, il propose cette conclusion :

Pour ces quatre couplets d'amour Qu'on chante tour à tour,
Le seul refrain de toutes les saisons : La joie de vivre, cinquième saison.

Le surnuméraire connote le plus souvent l'utopie heureuse, qui vivifie en raison de son inaccessibilité même, de son tropisme vital. Pensons à Vialatte : « La plus belle des sept merveilles du monde est la huitième ».

L'expression « La cinquième saison » figure dans La Vie rêvée, publié par Robert Laffont à l'automne 1945. Cadou est-il le premier à l'avoir mise en circulation ? Je ne suis pas en mesure de l'affirmer. En revanche, plusieurs décennies après, il est aisé de mesurer son succès - mais par quels secrets cheminements ? - dans des domaines très divers.

L'exotisme temporel a la cote. Qu'on en juge par quelques titres :
Si on avait besoin d'une cinquième saison, deuxième album du groupe québécois « Harmonium » (1975).
La Cinquième saison, École des loisirs, 2006 (un recueil de nouvelles par cinq auteurs pour un lectorat d'adolescents).
N.K. Jemisin, La Cinquième Saison, éditions Nouveaux millénaires, 2017 (un roman de science fiction).
La Cinquième saison (2012), un film de Peter Brosens et Jessica Woodworth.

« L'ACCR - 5ème Saison » est le nom que s'est choisi l'Association de Coordination Culturelle du Royans (en Isère), créée en 1979. Un gîte touristique sur l'Île d'Orléans aux portes de

Québec, une hostellerie en Belgique et des restaurants (à Lyon, au Puy-en-Velay) en ont fait leur enseigne.

Enfin (provisoirement !), un institut de bien-être corporel comprenant un spa, à Gilley, dans le Doubs, invite à « goûter aux plaisirs de l'Ailleurs ». Il s'est baptisé La 5e Saison et légitime sa vocation « c'est une douce parenthèse, un instant précieux volé au quotidien par des hommes et des femmes en quête de plénitude. Prendre le temps, en perdre la notion jusqu'à l'oublier, pour mieux se retrouver ». J'imagine le sourire affligé de Cadou devant cette nouvelle saison-là, uniquement dédiée à un hédonisme individualiste, alors que la sienne ne tenait sa chaleur que d'un grand amour partagé entre deux êtres et le monde environnant...

P.S.

Certains lecteurs auront remarqué que d'autres exemples manquent à la liste précédente. Le P.S., le Post-Scriptum est en quelque sorte un Propos Surnuméraire qui s'impose in extremis. Il convient de profiter de cette opportunité.
En 1999, Véronique Vella, actrice de la Comédie Française, a conçu et joué tout un spectacle à partir des textes de Cadou dans le cadre de sa compagnie, la bien nommée... « Cinquième saison ».

Avec La Vingt-cinquième Heure, le romancier roumain Virgil Gheorghiu apporte une note très pessimiste. Cette heure, venue après la dernière du jour, est, selon l'auteur, celle où même la venue d'un Messie ne résoudrait rien parce qu'une société bureaucratisée à l'extrême, livrée aux monstres, ne peut créer de l'esprit.
Si la stricte orthodoxie oblige à dénombrer dix commandements divins, l'humour invite à prendre au sérieux l'existence d'un onzième. Le film de François Desagnat, Les Onze commandements (2004) précise qu'il s'agit de l'injonction vitale de rire, de faire des blagues à tout va pour subsister dans un monde qui va mal.

Enfin, il y aurait beaucoup à gloser sur « l'os surnuméraire » (Bossuet), la côte d'Adam que Dieu exploita pour créer la femme, selon une interprétation séculaire erronée de la Genèse qu'il faudrait remplacer par « Dieu créa Ève à côté d'Adam » et nom à partir d'une côte de celui-là.
On dit « surnuméraire », mais parfois on est tenté, selon les cas, d'écrire « surnumérare » ou « surnumérire », voire « surnumerreur »...

 


 

 

 

 

 

CAPLANNE Martine. Chanteuse-compositrice. Martine Caplanne chante René Guy Cadou depuis 1976.

 

Renélène, par Martine Caplanne

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Hélène mieux que moi a écrit ce que représente la poésie de René Guy Cadou dans ma vie. Voici ce qu'elle disait :

« Martine Caplanne chante René Guy Cadou depuis 1976. En le découvrant, elle a découvert un frère qu'elle n'aurait pas connu. Il lui apporte une parole qui dit la souffrance, l'écorchure, la brisure, la source. Elle lui apporte sa musique, sa voix qui entraîne le poème vers les autres, vers tous ceux qui partagent désormais un univers poétique au plus près du cœur, au plus près de l'âme. La souffrance mais aussi la joie nourrissent un chant que chacun reçoit avec émotion qui se propage comme un feu de forêt, bien au-delà du pin central, silhouette blonde et fragile de funambule ou de tragédienne qui semble tout droit surgie du mystère de « La Strada ».

Voilà deux textes pour dire simplement que ma relation avec cette poésie est Amour.

La main posée sur la main de plâtre, presque chaude comme autrefois celle de René...
Le regard clair comme celui du père et presque déjà absent de ce « côté-ci de la terre »
Le cœur grenade-fruit, battant à se rompre, à presque s'arrêter...
Moment d'éternité fragile, si vite oublié des hommes et presque évaporé...
Les mots gravés, chantés, murmurés, criés reviendront-ils sur des lèvres inconnues ?

RENÉLÈNE (Chanson)

Une vie dans mes mains
Une vie dans mes mots
Une vie dans ma gorge
Une vie dans mes doigts
Une vie, ma guitare
Une vie par ma voix

Ils étaient tous les deux nichés dans leur histoire
Ils rêvaient tous les deux au long des chemins creux
Quelque livre que j'ouvre ils marchent dans mes yeux
Ils étaient tous les eux au fond de ma mémoire

Il s'appelait René elle s'appelait Hélène
De la mare vers l'école ils se sont retrouvés
Le temps les a noués ensemble Renélène
Écoutez-les ce soir écoutez-les chanter

Ils ont dit l'aubépine, ils ont dit le bonheur
Et le bouquet d'enfants sur le seuil partagé
L'amour, la poésie, l'amitié, la chaleur
Écoutez-moi ce soir. Écoutez-moi chanter

Cette vie dans mes mains
Cette vie dans mes mots
Cette vie dans ma gorge
Cette vie dans mes doigts
Cette vie, ma guitare
Cette vie par ma voix

 


 

 

 

 

BENIN Morice. Né Moïse Ben-Haïm à Casablanca (Maroc) en 1947. Chanteur, auteur-compositeur interprète français.

 

Môrice Bénin chante Cadou

 

 

 

 

 

 

La rencontre de Morice Benin fut déterminante dans l'aventure Cadou. Nous organisions avec la complicité d'Hélène Cadou notre première exposition Cadou à La Manufacture des Tabacs à Nantes. Je fis visiter à Morice cette exposition. Un poème d'emblée lui parla et le remua au plus profond de lui-même : Les fusillés de Chateaubriant. Puis, naquit l'aventure de la mise en musique des poèmes de René Guy Cadou par Morice Benin et le LP Chants de solitude dont la pochette fut réalisée par Roger Toulouse et les musiques arrangées par Michel Goubin vit le jour en obtenant le prix de l'académie Charles Cros en 1985. Je signale que le nom de notre première revue fut proposée par Morice Benin. La chanson Sémaphore écrite et chanté par Morice date de ces années-là comme si elle portait dans les flancs de son texte les promesses de la mise en musique de la poésie de Cadou.

 


 

Sémaphore

J'vis au cœur d'un champ de bataille
parmi mes frères ennemis
moitié homme et moitié sauvage
moitié silence, moitié cri

Séparé par tant de malheur
réuni par tant de beauté
affolé par le fil des heures
apaisé par l'éternité

Ecartelé dans l'infini
ou fusionnant dans le cocon
d'un bonheur cent fois trop fragile
tant il se suspend dans le vide

et je continue de chanter
de marée haute, en marée basse
on a la tête comme une lame
pour se faire hara-kiri
quand on parle de vie sans la vivre

J'suis né dans un pays bizarre
en cette année de l'après-guerre
ou le français beau et superbe
se prenait pour l'père de la terre

notre splendide civilisation
avait érigé des décrets
pour empêcher les p’tits arabes
d'aller pisser dans leur quartier

Et l'on voyait des citadelles
où les chaouch et les fatmas
avaient la porte grande ouverte
pour torcher le cul colonial

des écoles ô combien françaises
pour apprendre l'atrocité
d'un matérialisme obèse
qu'on nous faisait miroiter
comme le paradis d'l'humanité

Maintenant je rêve d'une vie tangible
faite de paroles et de signes
loin des paradis celluloïd
d'l'assedic et des vitamines

j'aimerais qu'les hommes soient égaux
dans l'écrabouillement des mythes
dans la cassure de nos égos
pour laisser couler la musique

qui nous engendre et nous relie
dans nos îles désertes fétides
pour voir s’élever un continent
pour que du désert nous sortions

à contre-courant de ma vie
au bout du ruisseau de mon enfance
à la source des origines
éclate un mystère étonnant
qu'est-ce que je fous sur celle terre ?

Si j’vous ai parlé de ma personne
c'est pour vous parler du sens
que je trouve à notre passage
sur cette terre incandescente

que nous servions de sémaphore
aux générations à venir
que du tremplin de notre mort
elles s'élancent enfin pour vivre

que nous leur taillons un chemin
défrichant la jungle du monde
comme une piste comme une sonde
un don pour qu'ils vivent demain
un peu moins balourds que nous.

Nous ne sommes que des étoiles
clignotant dans l'infini
qui s'éteindront au matin blême
ne laissant que des souvenirs
à nos enfants qui se rappellent
et qui perpétuent la parole...

 


 

Chanter Cadou, par Môrice Bénin

Chanter Cadou, c'est un peu comme nous inviter à un voyage dans une contrée en apparence éloignée de notre temps d'effervescence...
Il nous faudra apprivoiser une certaine lenteur qui n'est autre que de la douceur. Sonder derrière l'écran du désespoir d'un homme perdu et solitaire en son temps de fureur et de haine.

Il nous faudra savourer la rondeur des mots simples, l'habileté suave d'une langue si riche, au service d'un amour absolu pour Hélène, sa muse... à qui l'on doit, pour beaucoup, la transmission de sa poésie.

En me désignant guide pour cet aller simple, j'ai mission de vous mener là où j'ai moi-même été conduit : je vous invite à pénétrer, les pieds nus et le cœur léger, dans cette chambre de Louisfert, où chaque jour, après la classe, Cadou venait déposer sur la feuille sa petite moisson poétique en artisan opiniâtre qu'il fut, sa courte vie durant...

« La poésie est inutile comme la pluie », aimait-il à proclamer... Alors, aujourd'hui, une toute petite bruine coule sur le visage d'un enfant joyeux, un soir de canicule...

Je vous invite à entrer dans la maison du poète.

« Aujourd'hui, en 2019, les oiseaux et leurs chants, s'éteignent peu à peu... Les insectes les ont précédés. »
On dirait que ce retrait sentencieux préfigure notre effondrement...

Chanter Cadou

Alors, le poème de Cadou « Refuge pour les oiseaux » semble prémonitoire.

Il revivifie en nous l'essentiel de leurs chants. C'est un hymne à la vie, au sursaut en nous invitant à célébrer le miracle bienfaiteur de nos frères volatiles...
Cadou est né le 15 février 1920 dans une école de Brière, à Sainte-Reine de Bretagne. Il mourut dans une autre école, près de Châteaubriant à 31 ans, le 21 mars 1951.

Sa poésie rame à contre-courant des lieux communs, s'efforçant de remonter le fleuve qui nous emporte vers l'insignifiant...

Sa poésie est intemporelle, inutile comme la pluie...

Gageons qu'elle survivra à notre époque de fureur futile...

 


 

Comme un fleuve... Morice Benin chante René Guy Cadou

 

En 2020, René Guy Cadou aurait eu cent ans...
Sa poésie est intemporelle, nous la célébrons comme on se rafraîchit l'âme. J'offre plus d'une heure au public l'œuvre sensible et intemporelle du petit instituteur de Louisfert (Loire-Atlantique) indifférent de son vivant aux fastes parisiens, et que l'on commence enfin à reconnaître comme l'un des plus grands poètes de sa génération aux côtés d'Aragon, Éluard, James, Jacob... Sa poésie visionnaire et limpide regorge d'enthousiasme, de foi en l'humain, d'absolu. Elle demeure « inutile comme la pluie » disait-il

« Une voix incomparable pour chanter la poésie d'un certain René Guy Cadou, cet instituteur de Loire-Atlantique mort en 1951 à l'âge de 31 ans, que Morice Benin a merveilleusement mis en musique, ce qui donne des chansons d'une beauté, d'une profondeur et d'une richesse rares. Les morts jeunes sont aimés des dieux... »

Morice Benin, lui, est aimé des hommes et des femmes de notre temps, particulièrement de ceux et de celles, tous âges confondus, qui pour l'entendre, le déguster, se sont retrouvés en grand nombre à l'auditorium. Sur les visages des spectateurs, une attention extrême, une admiration sans faille, une complicité de tous les instants. Morice Benin mérite la note maximum. Et l'admiration, finalement, va avec la même passion discrète et intimiste au poète mort « dans la fleur de son âge », et à son talentueux interprète. Ils sont indissociables pour le cœur et la raison.

Le Dauphiné libéré

 


 

René-Guy Cadou, poète charnel et lumineux, pétri des soucis et angoisses de son temps, être de rêves et de racines, violent dans ses infinies caresses, amoureux de l'amour, ne pouvait rencontrer que des frères. Pour ceux qui ignorent encore tout de lui, quelle merveilleuse rencontre que ce spectacle, fervent et savoureux comme son verbe. Morice Benin, tendre et fougueux, plus de trente disques, des livres, des essais, des milliers de kilomètres parcourus sur les routes de la Chanson... délaisse (momentanément) son oeuvre pour se mettre au service de l'autre. La tessiture de la voix, la personnalité de l'homme s'accordent étonnamment avec les mots, la musicalité d'une écriture. Ces textes, Benin les a habillés d'une musique qui porte le verbe sans prendre le pas sur lui, en retrouvant sa ligne mélodique profonde. Et de cette lente plongée poétique, l'on ressort comme harmonieux, avec l'étonnement d'avoir fait une rencontre essentielle...

Françoise Morvan

 


 

Dès les premières minutes, Morice Benin sait installer une émotion qui ne retombera pas. Rien de passéiste pourtant dans ce récital : mis en musique avec beaucoup de talent, les textes de l'auteur ressortent avec une urgence, une actualité, une véhémence toutes nouvelles... Installé devant un bureau, le chanteur allume une bougie et écrit dans la pénombre. Une bande diffuse des chants d'oiseaux, les cloches de l'église, et le grattement de la plume sur le papier. Cette brève mise en scène crée une ambiance complice. Et la voix sait parfaitement faire ressortir les phrases-chocs qui ponctuent les poèmes. « Je n'ai que les droits du plus faible... » Morice Benin sait pourtant préserver une part de mystère, susciter des interrogations chez les spectateurs. Il a ouvert de nouvelles pistes dans la compréhension de l'œuvre du poète, dont on n'a pas fini de faire le tour.

J.-P. B., « L'éclaireur »

 


 

Lettre d'Hélène Cadou à Morice Benin

« ... Quels mots trouver pour vous dire l'intense fraternité éprouvée l'autre soir avec un public dont l'enthousiasme et l'émotion étaient infiniment perceptibles pour moi qui, dans l'ombre, René à mes côtés comme parlant chaque vers, chaque murmure, vous écoutais offrir sa peine, sa joie, ses cris portés par votre voix, votre musique, comme si vous les ressentiez à chaque minute au présent... C'était cela, grâce à cette magie du talent et de la vocation profonde, tout était au présent : la table de Louisfert et la parole murmurée, grandissante, qui dépasse les murs et envahit les coeurs. Vous donnez, parce que vous le ressentez au plus vrai, la force de cette parole à tous et la musique si belle emporte loin le message... Merci au plus vrai... Comme à un frère de René, je vous dis ma fidèle amitié. »

(Après la « Première » au Forum des Halles de Paris)
* pour la sortie du volume 2 : La cinquième saison de Benin chante Cadou au Petit Véhicule. Le 17 janvier1991

 


 

Entretien avec Morice Benin, le lundi 23 septembre 2019 à Nantes, après le concert qu'il donna à Louisfert le samedi précédent, Comme un fleuve, pour René Guy Cadou*

En 1983, année de la rencontre de Morice Benin avec René Guy Cadou, Le Petit Véhicule commençait à peine son chemin éditorial. La première publication était des plus simples et consacrée à René Guy Cadou. Elle se nommait Peinture et poésie René Guy Cadou avec Guy Boulay, Bertrand Bracaval, Jean Luc Herman et Robert Pillard. Une simple jaquette format 21 cm x 29,7 cm avec deux rabats sur les côtés à droite et en bas pour que les feuilles A4 puissent se loger sans s'échapper de leur dossier. Cette plaquette accompagnait l'exposition René Guy Cadou avec des gravures originales « au noir » des peintres cités qui exposaient leurs oeuvres aussi à la Manufacture des tabacs, du lundi 7 au jeudi 24 mars 1983, à Nantes. Nous avions réalisé une vingtaine de grands panneaux de bois racontant l'oeuvre-vie de Cadou. Au fil du temps, nous fîmes quatre expositions Cadou dont l'une avec les oeuvres de Roger Toulouse. C'est avec la complicité d'Hélène Cadou et de Sylvain Chifolleau que nous pûmes publier quelques archives : un beau portrait d'Hélène par Trévédy, un portait de Cadou par André Lenormand, des dessins de Cadou lui-même, des illustrations de Guy Bigot et d'Yves Trévédy pour Le Diable et son train, une lettre aux amis annonçant son arrivée pour Rochefort-sur-Loire, des poèmes manuscrits du poète dont L'enfant précoce annonçant le travail que fit l'école Ange Guépin du quartier Malakoff à Nantes autour de la poésie de Cadou. C'est cette exposition-là que Morice a vue et qui détermina son travail futur autour des poèmes de René Guy Cadou.

Le Petit Véhicule, en produisant le premier « Benin chante Cadou » : Chants de Solitude (pochette de Roger Toulouse) a obtenu le prix de l'Académie Charles Cros en 1985, puis un second album, La cinquième saison, en 1991, enfin dans les années 2000 le troisième : enregistrement public à la Salle Vasse, Comme un fleuve**, en la présence d'Hélène Cadou. Le Petit Véhicule est une maison d'édition associative issue de la fédération des amicales laïques de Loire-Atlantique et de L'Éducation permanente de la Ligue de l'enseignement. Nous oeuvrons pour faire connaître le chant et la poésie des hommes et des femmes, de toutes et tous. Un travail ouvert et fraternel. C'est pour cela que nous éditons des revues et des cahiers. La première d'entre elles fut Signes avec ses 25 numéros. C'est d'ailleurs Morice Benin qui nous suggéra le nom de la revue. Le Petit Véhicule a toujours voulu associer le mot et la note, la couleur et le sentiment. Histoire de perpétuer la lumineuse oeuvre des Troubadours qui inventèrent l'amour courtois.

Peut-être qu'après le centième anniversaire de la naissance de René Guy Cadou, nous produirons avec Morice un quatrième volume autour des grands textes de Cadou comme Moineaux de l'an 1920Les GéorgiquesL'Alphabet de la mortBrière de poésie (Comme un enfant perdu), Ode à Serge EssénineD'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?Mon enfance est à tout le monde (extraits) etc. pour faire naître une sorte de poème symphonique en l'honneur de l'immense poète juste avant que le vent de la déroute ait tout emporté. Voyageur, tu peux déjà réserver tes billets pour l'ultime voyage. Destination prévue : un aller simple pour la cinquième saison.


Luc Vidal interviewe Môrice Bénin

Luc Vidal - Nous sommes avec Môrice Benin au 150 boulevard des Poilus, à Nantes, à l'école François Dallet. Cette école accueillit le poète René Guy Cadou en sa première nomination quand il commença l'itinérance dans la Loire-Inférieure de ses postes d'instituteur. Morice, cela fait déjà pas mal d'années que tu as rencontré la poésie de Cadou...

M.B. - Tu m'avais invité pour un spectacle de mes chansons et, en parallèle, tu avais organisé une expo de panneaux géants des poèmes de René Guy Cadou, en face de la salle. Et on faisait nos balances, on se préparait pour le concert. Tout allait bien et j'avais une petite heure devant moi avant le concert. J'ai pénétré dans la salle d'expo, à la Manufacture des tabacs, je crois.

Je me rappelle le premier poème qui nous accueillait à l'entrée. Et là, je rentrais d'une façon un peu distraite, je suis tombé sur ce poème que j'ai lu, relu quinze fois, et je suis dit « qu'est-ce qui m'arrive ? » C'était « Les fusillés de Chateaubriant ». J'ai parcouru l'itinéraire de l'expo et j'allais d'éblouissement en éblouissement, de révélation en révélation, à tel point que le soir-même, pour le concert de mes chansons, je lisais deux poèmes de René Guy Cadou en mentionnant que je venais de le découvrir. C'était en 1983. Voilà donc pour le déclic. Et je me demandais comment j'avais pu passer à côté d'un poète de cette ampleur. Et puis, après, j'ai lu tout le gros bouquin Poésie la vie entière dans sa version initiale. Et puis, au fur et à mesure de ma lecture, des oiseaux-musiques s'imposaient à moi. Le premier poème que j'ai mis en musique, c'est « Hélène », je me le rappelle bien parce que j'avais eu un trac monumental quand j'ai été le chanter un an plus tard, par ton entremise toujours, à Hélène à Orléans, d'abord à bibliothèque. Puis chez Roger Toulouse et sa femme Marguerite qui était là, aussi. Et donc, j'ai interprété « Hélène » avec Michel Goubin qui est le musicien-arrangeur du premier disque de René Guy Cadou. Il fallait que j'aie le sentiment d'Hélène, et j'avais un fort trac ce jour-là. Et je me suis senti approuvé par les larmes d'Hélène après avoir interprété cette chanson. Voilà pour la première genèse.

Tu as été touché probablement par ce chant d'amour.

M.B. - J'ai été d'abord impressionné par les poèmes d'amour. C'est une offrande amoureuse absolue, immanente de René Guy envers Hélène. Bien sûr, il y a « Les fusillés de Châteaubriant », le désespoir d'un homme dans ce temps de fureur et de haine, qui m'a captivé. Le versant solaire de René Guy Cadou m'a, en premier, subjugué.

Ce qui fait d'ailleurs du poète Cadou un poète orphique. Orphée, comme Apollon, est un dieu solaire.

M.B. - C'est ça. Je sors de visionner le film que tu as fait avec Émilien Awada sur Hélène avec qui tu t'entretiens. Son visage un peu inquiet distille surtout l'absence. Et j'en sors « enluminé » par ce qu'elle-même dit. Elle parle de cette ombre terrifiante qui était chez Cadou et qui appelait, qui secrétait la lumière. Elle, elle ne peut pas mieux en parler. On sent cette force terrifiante envers les ténèbres qui l'entourent, qui l'environnent et cette alchimie d'un être fragile comme un oiseau qui exalte... C'est cela qui m'a captivé chez Cadou.

... Exalte les chants d'amour. Dans ce premier disque que nous avons produit au Petit Véhicule, il y a d'autres thèmes que tu as abordés, notamment le thème de la solitude, je pense à ce poème que tu dis « Aller simple ». Et puis aussi, « La place de l'homme », « Chant de solitude » et chez Cadou la clé du mystère de la vie, du divin lié à cela.

M.B. - Le destin du poète... C'est vrai, on peut les énumérer, « Aller simple », « À cette heure dans le monde », « Le destin du poète », « Chant de solitude », « Lettre à des amis perdus », et dans ce monde d'effroi, le poète envoie sa flèche de façon à nous rassembler, à nous retrouver, à nous reconnaître. C'est le point fort chez Cadou qui fera perdurer sa poésie. Gageons que sa poésie nous survivra.

Cadou comparait Hélène à un arbre et, chez toi, y compris dans ton écriture, la nature, l'arbre est à la croisée de tes créations. Est-ce que tu as trouvé chez Cadou une résonance avec les thèmes que tu abordes toi-même ?

M.B. - Non, ce n'est pas cela, ma rencontre avec Cadou. Je ne peux pas dire que j'ai eu une résonance de thème avec lui. Je n'ai pas compris moi-même, et je ne comprends toujours pas comment j'ai pu être appelé, comment une sorte d'immanence s'est installée. C'est une évidence. Il fallait que je me mette au service vocal et musical de l'oeuvre de Cadou, et je l'ai vécu comme s'il continuait à vivre à travers moi. C'est prétentieux de dire ça. Est-ce une mystique ? ou je ne sais quoi... Mais c'est comme si mon véhicule-corps-esprit lui permettait de perdurer encore.

Je me souviens, je reste pour l'instant au niveau de ton premier disque. Tu voyages avec Cadou depuis quarante ans. Le premier disque se préparait pour l'enregistrement au mois d'août de la même année, et je me souviens de t'avoir demandé de mettre un peu de rock notamment sur le texte «

Anthologie ». C'est ce que tu avais fait d'ailleurs. Cadou lisait les poètes et leur rendait honneur dans cette chanson-là.

M.B. - C'est une chanson que je ne chante plus sur scène maintenant parce qu'il faut un orchestre et une bande-son. Maintenant que Dominique Dumont ne m'accompagne plus, j'utilise trois/quatre fois des bandes orchestre mais je n'aimerais pas que ça prenne trop le pas.

« Anthologie », c'est vrai, je me suis amusé à l'interpréter comme ça. Et puis c'était un petit clin d'oeil vis-à-vis de René Guy. Le côté malicieux chez lui me plaît.

Dans ce disque-là, musicalement, il y a plusieurs aspects, il y a le lyrisme - la douceur, « Hélène » et il y a aussi « La fleur rouge » que tu interprètes avec Michel Goubin à l'époque. Ce côté fraternel auquel tu es sensible. Les amis, voilà. Et puis le second disque La Cinquième saison dans lequel tu chantes « Comme un fleuve ».

M.B. - Oui j'ai construit avec ces deux disques le spectacle « Comme un fleuve », c'est presqu'une pièce de théâtre. Il ne va plus trop bouger, comme pour Ferré quand j'interprète « La mémoire et la mer ». Plus grand-chose ne se transformera, au contraire de mes spectacles où ça évolue en permanence avec de nouvelles chansons. J'ai un petit peu « sanctuarisé » le spectacle Cadou. Mais il y a une chanson, c'est la deuxième fois que je l'interprète dans ce spectacle, on l'a jouée en résidence la semaine dernière, c'est la chanson « 17 juin 43 », la rencontre de René Guy et d'Hélène, maintenant je la chante et ça prend tout son sens. Le poème ainsi a ressurgi dans sa flamme. Les fondamentaux figurent dans le premier disque. Je pense à « Chant de solitude », à « Aller simple », « Lettre à des amis perdus », « Lettre à l'enfant des neiges » que j'adore.

Mais le concert « Comme un fleuve » reprend ces fondamentaux.

Sur le second nous avions apporté une dimension qui n'existait pas dans « Chant de solitude », notamment la part de l'enfance. Cadou a écrit « Mon enfance est à tout le monde », une sorte de roman autobiographique, il a écrit ça à 25/26 ans. Il y a aussi la notion de jardin d'amour. L'amour naît quand le végétal s'empare du coeur de l'amour. Cette dimension-là, dans le volume 2 « La Cinquième saison », est infiniment présente.

M.B. - Il y a la patte Michel Goubin, il faut le reconnaître, c'était en pleine éclosion de notre relation musicale et vocale. Alors qu'au début, dans le premier disque il arrivait tranquillement, doucement, et le deuxième, c'est l'Homme Michel Goubin, alors, c'est beaucoup plus musical.

L'ouverture de la « Cinquième saison » a une dimension symphonique.

Et puis il y a la grande interrogation de Cadou, le sens de la vie, sur la sensualité, sur l'inconnu, sur le divin, notamment « À chaque vie d'être vécue », et puis aussi dans « Prière d'insérer ». Comment ressens-tu le Cadou, l'homme rieur et l'homme mélancolique ?

M.B. - Il secrétait une lumière qui venait des ténèbres qui l'entouraient. Là, j'ai appris par Hélène qu'il devait savoir depuis longtemps qu'il allait disparaître plus vite, il a été réformé pendant la guerre, on ne réformait pas comme ça. Ça devait être quelque chose qui le poursuivait depuis longtemps. Et Hélène l'a accompagné elle aussi jusqu'au bout. Alors, « À chaque vie d'être vécue », cette chanson-là est peut-être le texte le plus profond, le plus épuré et le plussimple qu'il ait écrit. J'ai essayé de trouver cette musique d'évidence pour moi. Beaucoup de gens m'en parlent de cette chanson. Ils se sont approchés de la poésie de Cadou grâce à cette chanson.

Je pense que c'est la chanson que tu as écrite la plus schubertienne. Cadou aimait Schubert.

M.B. - Schubert était dans l'immanence de choses qui transparaissent à travers lui. Mais j'espère que Cadou, on ne l'analysera pas d'une façon trop didactique, trop scolaire. Il gagne à aller directement dans le coeur.

On peut le commenter sans le dénaturer, au contraire. Et c'est important de repérer chez Cadou les influences de Whitman, le grand poète américain, par exemple, ou l'importance de Guillaume Apollinaire, comme pour Léo Ferré, d'ailleurs. C'est une question de lyrisme. Je pense que dans ton oeuvre poétique personnelle, il y a un lyrisme analogue. Chacun retrouve ainsi ses petits. Mais je voulais te parler de « Nocturne », la quête du divin chez Cadou, comme chez toi, ce divin-là est important. J'aimerais que tu affines ton propos.

M.B. - « Nocturne » pour moi, c'est la solitude extrême d'un homme face à quelque chose qui le dépasse totalement, et là « Nocturne » est une espèce d'héritage métaphysique d'un homme face au grand mystère de la Création. Pas à présenter d'emblée à toutes les oreilles parce qu'il y parle franchement, c'est un message envoyé vers un dieu qu'il appelle Dieu, et moi, le Grand Mystère. J'ai une fille croyante, chrétienne, qui m'émeut quand elle interprète « Nocturne ». Ce n'est même pas un poème, c'est comme « Préface », le texte que j'ai dit dans le spectacle. Et là, il va beaucoup plus loin. Il s'envolait, il s'envolait. Voilà « je me présente à toi, je ne suis qu'un petit trublion de rien du tout, un humble. J'ai craché parfois dans tes églises, je te connais par coeur... » Il porte bien son nom, « Nocturne », c'est quelque chose qui peut se faire dans l'obscurité de l'être qui va être en proie au Grand Passage qu'il va tenter. Le silence qui s'installe après qu'on l'a lu ou écouté montre bien qu'on est en face de quelque chose qu'on ne peut expliquer ni commenter.

Toutefois, on peut dire que « Nocturne » rappelle une dimension du romantisme chez Cadou. Il avait aussi les « Contes populaires », il parlait l'allemand. J'ai trouvé chez un bouquiniste ce bouquin : une anthologie des poètes romantiques qu'il lisait dans les années 1943. Cadou l'a lue et relue, d'après Hélène auprès de laquelle je m'en remettais pour comprendre les sources, la fabrique d'un poète.

M.B. - C'est très poétique, ça, la fabrique d'un poète.

Tu as mis en musique un certain nombre de titres, y compris deux textes bout à bout. Les titres, rien que les titres pourrais-tu dire s'ils sont des miroirs de poésie, si le titre engage à quelque chose ?

M.B. - J'ai réuni deux poèmes différents, écrits à des moments différents et je les ai mis bout à bout, comme si c'était le même poème. Je me suis permis cette liberté, ce n'est pas très orthodoxe, mais ils n'avaient pas de titres. C'était des poèmes d'amour comme ça. Oui, c'est engageant. « Présence de l'amour », c'est vraiment engageant. Ce qui m'a épaté, c'est la pertinence en 2018 - enregistré en 2018 - comme une espèce d'actualité brûlante alors que ça a été écrit dans les années 40. On est encore dans la « Permanence du fleuve ». Je suis peut-être encore très loin d'avoir extrait toutes les perles potentielles de Cadou.

Il y a encore une centaine de poèmes inédits. Pourquoi ont-ils été écartés ? C'est comme ça. Autre aspect, dans le cas du divin, Cadou, l'instituteur laïc, l'homme des contradictions, des opposés, était un fan de Saint François d'Assise, ce troubadour haut religieux du Moyen Âge qui appelait les hommes à faire la paix avec eux-mêmes et avec Dieu. C'est étonnant. Le « Refuge des oiseaux » que tu chantes est influencé par Saint François chez Cadou.

M.B. - il a imaginé un François d'Assise - et je pense qu'il devait être comme ça -, à la fois insolent et irrévérencieux par rapport à l'Église. On n'est pas très loin de Cadou. Quand Cadou est mort l'extrême onction lui a été refusée par le curé du village, un curé intégriste.

C'est un autre abbé qui, en se penchant sur la table de travail de Cadou, a dit « voici le prince des poètes » : il avait tout résumé.

M.B. - Là on est dans une fausse contradiction. François d'Assise, et même Jésus-Christ, de leur vivant n'étaient pas bien vus, ils gênaient beaucoup. À ce moment-là, c'était le juif de l'époque... Mais avant que ça devienne une religion, le christianisme était un éveil, un élan. Il faut revenir à la source. C'est ce qu'a tenté de faire Cadou, à mon avis. Il est revenu à la source.

Il a forcément perturbé, gêné et ne pouvait être reconnu par l'Église. C'est cette permanence de la foi qui n'appartient pas à la religion que Cadou symbolise.

Revenons à Hélène que tu as mise en musique. Comment ressens-tu la poésie à tous les deux, qui ont des points communs évidents, pas du point de vue du style, même du monde des images, et pourtant il y a cet amour fondamentalement de la poésie ?

M.B. - Hélène l'a dit, ce qu'elle avait apporté à Cadou : le grand large, l'immensité, comme un arbre dans le désert. J'ai mis en musique cette paix qui émane d'Hélène, ce qui m'intéresse.

C'était dans un travail précis, 8 volumes de cd sous des éclairages précis. Hélène figure dans ces thématiques.

Ces cd avaient un titre raccourci.

M.B. - C'était des verbes : Partir, Offrir, S'épanouir, Aimer, Éprouver, Atteindre...

Pour clore, à la fin du cd, il y a « il reste  il reste » est la fin d'un long poème consacré à la Brière, « Brière de poésie » nommé « Comme un enfant » dans « Poésie la vie entière ».

M.B. - Je l'ai appris hier, que c'était l'homme dressé, vertical.

C'était l'homme qui dirigeait la barque, l'homme poète avec sa perche, la perche comme le stylo avec lequel il écrivait, qui s'enracine dans la profondeur de la terre et tend vers le ciel. Si tu avais à qualifier le Cadou que tu aimes et tout ce que tu as ressenti entre Hélène et René, quels sont les mots qui te viendraient à l'esprit ?

M.B. - Tellement. Mais Il faudrait écrire un poème pour ça. Le seul mot serait « Cadou ». Je n'ai pas un mot qui me vient pour symboliser l'inespéré, la transmission, le passage, la permanence du fleuve, titre de la chanson de Bertin. Au concert d'hier, à Louisfert, j'ai beaucoup senti leurs présences, qui m'ont comme porté, habité, protégé dans l'apaisement d'Hélène et l'élan de René Guy.

* Cet entretien a été filmé par Alexandre Michon en la présence de Georges Fargeas.

** Cet album a pu se réaliser avec le soutien de la ville de Nantes et de l'adjoint à la culture de l'époque Yannick Guin.



 

 

 

 

 

BERTIN Jacques. Né en 1946 à Rennes, chanteur, poète et journaliste français. Chanteur « à texte », il s'est placé à contre-courant de la variété en plein développement à partir de la seconde moitié des années 1960 et des modes de promotion de cette variété.

 

Sur l’école de Rochefort, par Jacques Bertin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Les nouvelles ne vont ni vite ni loin.

A Rochefort sur Loire (49) se réunissait « l'école ». C'était la guerre. Mes parents vivaient à Chalonnes (10 km). Sur les photos, la campagne, les murettes sont les mêmes. La robe blanche et les socquettes d'Hélène sont celles de ma mère et de mes tantes. Mais à Chalonnes, personne n'a entendu parler de rien. A Rochefort il y avait des poètes ? Ah...

Ils en faisaient du bruit, pourtant : « Un soir nous sommes partis prendre la garde du pont sur le Louet, munis très officiellement de deux bâtons pour chasser les parachutistes et les saboteurs !... Les autorités nous avaient remis un carnet où nous devions consigner tout ce qui se passait : ... 23 h un poisson saute à droite. 1 h 25, lumière à gauche. 1 h 28, plus de lumière derrière la fenêtre. Vraisemblablement quelqu'un qui avait envie d'uriner... Au matin le carnet était rempli. »

Une bande de jeunes gens démobilisés et assoiffés de rêve. Et puis le bruit s'est étouffé dans l'eau de Loire. Les gens n'ont pas besoin de poésie. S'ils en avaient besoin, les Angevins feraient gloire aux livres de « l'école ». Mais Michel Manoll, mort il y a quelques semaines, a eu dix lignes dans Le Monde. Luc Bérimont, mort I' an passé, eu droit, à cause de son ancienne renommée de présentateur-vedette de la radio, à des papiers plus nombreux. Mais on cherche sans trop d'espoir un éditeur pour réunir ses œuvres poétiques. Il faudrait deux ou trois mille lecteurs.

A Rochefort, je passe fréquemment sur la place de l’église. Il n'y a pas sur la pharmacie de Jean Bouhier la plaque qui pourrait indiquer à la postérité qu'ici fut inventé l'équivalent littéraire du vin d'Anjou, vin blanc sucré amical.

J'ai retrouvé seul la ferme de Piedgüe où logeait Bérimont. Si l'on ne veut pas marcher dans les vignes il faut contourner le coteau , un détour de plusieurs kilomètres. Dans le pli du terrain, comme dans une carte postale, elle est toujours là, toujours vide, toujours aussi perdue dans les foins. On l'a conservée ? Non, on n'a pas jugé utile de la démolir. Les intempéries elles-mêmes l’ont épargnée et le fameux temps qui, à ce qu'on dit, s'attaque à tout. Il en sera de même pour vos œuvres !

Une Ecole ? Une école de campagne tout au plus, pas bien importante pour l'histoire littéraire qui a assez à faire avec la rue d'Ulm et Janson de Sailly. Bien plus insignifiante que les modern'styles, les nouvelles vagues et les surréalismes. Bien moins prétentieuse surtout : personne ne s'y donnait la peine de théoriser. En France, cela équivaut à un suicide. Pas d'exclusions, pas d'ukases, pas d'insultes. Rien que les cadavres des bouteilles bues. Le bruit des bouchons au lieu des coups de revolvers. Pas un mot dans le journal... Quel manque de souffle : une poésie de la nature qui se passe vraiment à la campagne ! Et un oubli total de « conception du monde », rien que les yeux avec le monde devant !...

Je lis les poètes de Rochefort. Le moins que je peux car cette lecture me fait mal. Je suis trop lié à cette bande par les paysages de ma jeunesse et Luc Bérimont était mon ami. Je fuis Cadou que j'aime tant et sa « tristesse émerveillée ». Jadis je ne fuyais pas Luc dont la passion, la vivacité, l'optimisme me gonflaient de vie.

Jusqu'à ce que ces derniers poèmes me ramènent comme un filet au sanglot essentiel :

« Vie !, ma vie, je sais à présent que tu partiras sans bagages comme une femme qui s'en va, laissant celui qu'elle a aimé tu partiras seule, en pleurant, par la porte sans paysage... »

Puis malgré moi je reviens à Cadou. Ces poèmes ont pour moi l'évidence des lettres d'un frère aîné (« je pense à toi qui me liras dans cette petite chambre de province/avec des stores tenus par des épingles à linge »). Et c'est le même, le même sanglot essentiel.

L'école est fermée pour cause d'éternelles grandes vacances. La bande des copains s'est évanouie. Sur les photos, personne ne reconnaîtra bientôt plus personne. Après la guerre, la poésie toute entière semble avoir mis la clé sous la porte. L'école de Rochefort ferma la dernière, dans ce crépuscule doux de coteaux, de jardins, de « lilas du soir ». L'odeur de l'eau, un bruit dans les ruelles. Puis le silence.

Faut-il supprimer 3 lignes :
(1) Voir interview, dossier « CHANSON » p. 53
(2) Jean Bouhier « l'école de Rochefort » Seghers. 1983
(3) Reprise du récit, Rougerie éditeur.

(Ajout)

Citation de Luc Bérimont :

« Cela se passait, aux rives de Loire, à Rochefort, dans un pays large et vert, bordé de collines, de châteaux et de sables. Dans cette contrée où les vignes et les roses ajoutent leurs parures à la couleur ardoise du ciel, un pharmacien : Jean Bouhier, et un instituteur : René Guy Cadou, avaient décidé d'ôter le bâillon que l'Occupant tentait d'imposer à la poésie. Souvenons-nous un instant du climat : chacun avançait à tâtons sur un parcours semé d'embûches, cherchant à reconnaître les amis sous le masque, à déceler l'adversaire sous la cordialité d'emprunt. 1941, c'est la guerre. Paris a faim. Paris a froid. L'Europe est un camp retranché. Les veilleurs de Londres et de Moscou chuchotent pendant que les bruits de bottes signalent l'approche d'une patrouille allemande dans la rue où les lampadaires sont éteints... Vichy prône une poésie « nationale et traditionnelle », pieusement enroulée autour d'un bâton de Maréchal. Aragon publie « Le Crève-Cœur ». Pierre Seghers lance les premiers numéros de Poésie41. Max-Pol Fouchet édite la revue Fontaine, à Alger. En zone occupée, la poésie, cette dignité de l'homme, a officiellement disparu... »

Sources : Colloque René Guy Cadou - Textes et Langages n° 6 - Université de Nantes - 1982

 


 

 

 

 

 

BERTIN Jacques. Né en 1946 à Rennes, chanteur, poète et journaliste français. Chanteur « à texte », il s'est placé à contre-courant de la variété en plein développement à partir de la seconde moitié des années 1960 et des modes de promotion de cette variété.

 

Entretien avec Jacques Bertin,

par Luc Vidal

 

 

 

 

 

 

 


 

Bonjour Jacques Bertin Tu es chanteur, écrivain, chanteur-écrivain ?

J.B. - Je ne me considère pas comme un écrivain, quoiqu'il m'arrive de temps en temps de le mettre sur des biographies. Il faut dire qu'écrivain, c'est connoté : prestige et compagnie. Chanteur ça fait plutôt balayeur des rues, éboueur de la culture. Je préfère m'appeler chanteur. Bizarre... C'est peut-être plus facile à porter, je ne sais pas ! Pourtant, j'ai un deuxième bouquin en préparation (une biographie). Je pourrais m'intituler écrivain. Mais je suis d'un milieu social dans lequel on ne s’annonce pas facilement sous ce titre. Que fait votre fils ? Il est écrivain... Il est vrai que pour une mère, dire que son fils est chanteur ça ne doit pas être plus facile. Mais les écrivains sont des gens qui vivent dans une société qui est supérieure à la nôtre. Il suffit de regarder à la télévision, la manière dont on parle des chanteurs, et la manière dont on parle des écrivains. Il y a une différence de ton. De même dans les journaux, on parle de la littérature avec sérieux, tandis qu'on réserve à la chanson un ton un peu gouailleur, moqueur, ironique.

Pourtant la chanson, c'est aussi un texte, et je ne vois aucune raison pour qu'elle soit un art inférieur. Beaucoup de textes de chansons sont de beaux poèmes, alors que beaucoup de poèmes sont nuls ! Mais cela fait plaisir à tout le monde de dire que la chanson est un art mineur. Tant mieux !

Il est vrai que la chanson joue un rôle que l'ethnologue appellerait un rôle de déversoir de nos pulsions, un exutoire scatologique de nos rognures d'ongles. C'est pipi-caca, trou des cabinets..., enfin c'est utile à l'être humain. Même si on est à l'académie française, on a besoin de fredonner dans sa salle de bain. On a besoin, même si on est prix Nobel de littérature de dire des grossièretés. Chaque être humain a en lui un jardin sauvage dans lequel il peut être quelqu'un de peu recommandable, qui dit des banalités, hurle des onomatopées et met les doigts dans son nez.

« Quand tu me disais Rosalie, que tu m'aimais Rosalie, moi je savais bien que c'était de la blague... ». S'il n'y avait pas un art populaire pour dire ça avec des chansons à gueuler dans la bagnole en rigolant, ou même sans rigoler, il faudrait l'inventer. La chanson est un art supérieur parce que du point de vue de ses composantes artistiques, elle a tout ce qu'il faut pour l'être. Mais la chanson est aussi un art minable, mineur, parce que les gens ont besoin d'un art inférieur qui les aide à vivre. Monsieur René Char, qui méprise la chanson (je le sais par un journaliste) pleure peut-être, non pas en écoutant un poème de Paul Eluard mais une chanson de Vincent Scotto. Mais il ne le dira jamais.

Dans ton livre : « Chante toujours tu m'intéresses » tu dis : « La chanson est un art populaire, une fille des faubourgs, une fleur des pavés »

J.B. - Nous venons tous des chanteurs des faubourgs, et plus loin encore, avec la littérature, le roman, la danse, la musique sérieuse, de cette même origine la poésie chantée, scandée, qui existait avant le moyen-âge. Avec la diversification des classes sociales, il y eut une séparation des genres. Les classes du haut voulaient avoir un art noble. Il fallait se distinguer, or on ne peut être distingué si on ne peut se distinguer de quelqu'un. Alors pour avoir l'air « distingué », pour avoir l'air plus fort, plus malin, pour avoir l'air de mériter ses privilèges, il fallait posséder un art supérieur à celui des autres. Pour pouvoir leur dire : « Vous êtes trop cons, vous ne pouvez pas faire ça, vous ne pouvez pas comprendre », on inventa des formes artistiques soi-disant plus élaborées. C'est un jeu puéril. L'humanité y joue depuis des siècles, cela me fait marrer.

Dans ton livre, il y a une critique acerbe du monde du show-business qui tue la création et qui falsifie les rapports entre les gens. Tu t'insurges contre ce système.

J.B. - Le star-system est fournisseur en pipi-caca. Il est là pour ça, très bien. Mais il joue un rôle, comment dire... ecclésial. Il met en place de la religion, du sacré. Quand vous allez « écouter » tel artiste avec 50 000 autres personnes, quand tout le monde a acheté 50 000 disques de ce même artiste en une semaine, quand dans tous les repas en ville, le même jour, on se met à parler de lui, à ce moment-là, il ne s'agit plus d'art. Pour moi le contact entre un artiste et un auditeur se fait en dehors de ces grands boulevards. Je n'ai plus d'authenticité si en allant bouffer dans tel endroit, on me demande ce que je pense du dernier disque de machin, alors que la veille au soir on me l'avait demandé dans tel autre endroit, et l'avant-veille aussi... ce n'est plus moi qui vais répondre, c'est une sorte de moi social qui a intérêt à dire telle chose à tel moment pour être bien introduit dans tel groupe social. Par conséquent, il ne s'agit plus là d'un contact entre un artiste et un spectateur, il s'agit plutôt d'une espèce de carte d'identité ou de talisman que je présente réduits à quelques mots, quelques valeurs. Ce matraquage finit par détruire le sens. Le jour où j'ai entendu Joan Baez chanter « Sacco et Vanzetti », j'étais terriblement ému. Quelque temps après, je tombe sur une conne de la radio qui dit : « Sacco et Vanzetti sont cinquième au hit-parade ». J'étais furieux. Tout le contenu s'évaporait... Disons que l'œuvre d'art requiert les mêmes précautions que le vin.

Tu te rebelles contre la banalisation ?

J.B. - Je me rebelle contre le fait que tout le monde s'imagine (c'est une idée très actuelle) que, pour avoir l'air malin, il faut être conforme, avoir un look commun à tous les autres. Il y a 10 ans au contraire, il fallait montrer une singularité, une personnalité. Maintenant il faut ressembler à tout le monde pour avoir l'air d'être quelqu'un. Je trouve cela abominable. Voilà tout le contraire de ce que des centaines de philosophes, de moralistes, d'écrivains ont enseigné, fait de la civilisation occidentale depuis des siècles : « Connais-toi toi-même, aies le courage d'avoir tes propres opinions, fais une rencontre personnelle avec l'œuvre d'art, évite le conformisme, etc... » Aujourd'hui on vous dit que si l'on est peu à avoir les mêmes goûts, c'est que ces goûts sont nuls. Ce raisonnement idiot est basé sur une foi naïve dans les vertus de la société moderne et de ses modes de communication.

Tu as eu beaucoup de préoccupations politiques et sociales. Faut-il en parler au passé ?

J.B. - Un peu. Je ne saurais dire pourquoi. Peut-être que j'ai vieilli, que je suis un peu fatigué. J'ai beaucoup donné. En vieillissant je suis plus révolté encore, mais il y a comme un déplacement du point d'application de ma révolte. Elle se dirige davantage (on va trouver l'expression un peu vague) contre la connerie. C'est-à-dire contre le conformisme, le puritanisme, l'arrivisme, la mesquinerie, la grossièreté intellectuelle.

(...) Le côté « ne laissons rien paraître à côté des gravissimes propos que nous tenons dans nos œuvres » des écrivains et des musiciens me choque. Les grands écrivains, les grands poètes, les grands musiciens sont aussi des types qui se marrent bien à dire ces conneries avec leurs copains. Etre grave parfois n'oblige pas à se gratouiller tout le temps le cerveau avec des larmes aux yeux.

Les biographies sont une escroquerie du même genre. Elles parlent de gens qui n'ont aucune profession, pas de femme, pas d'enfants, pas de maîtresse, ou bien alors tout cela est soigneusement canalisé par l'étude de l'œuvre. Et pourtant le mec se payait le bordel tous les samedis... On rend la moindre chose importante, même la plus banale.

De même pour la correspondance littéraire qui fait partie de toutes ces conventions, ces « m'as-tu-vuismes » du monde artistique. Lorsque Claudel écrit à Gide, ce n'est pas à lui qu'il écrit. Il prend Gide pour le réceptacle, la pute qui va lui servir à s'adresser à la postérité. Je trouve ça dégueulasse. J'espère qu'il n'y aura pas un salopard pour ressortir dans 50 ans les lettres que j'ai écrites à ma femme. Elles étaient faites pour elle, seulement pour elle. Il y a des fautes de français, des cochoncetés qu'on se dit entre amoureux, et qui ne regardent pas les petits-enfants. Il faut respecter ce « petits tas de secrets » qu'ont tous les hommes. Ceux qui font ce travail d'exhumer les lettres des morts sont des charognards. Ce sont les renseignements généraux de la littérature. Les artistes sont des êtres banals, ils méritent qu'on les considère et non qu'on les mette sur un piédestal.

Pour toi, la chanson semble être avant tout un travail sur le vers, la musique du langage. Pourquoi ?

J.B. - Il y a des sonorités, des consonances, des césures dans la langue française. Faire une chanson c'est d'abord écrire un texte musical avant qu'il soit mis en musique. La plupart des chansons m'emmerdent parce que ce travail n'a pas été fait précédemment. Dans le meilleur des cas on écrit une chanson en prose. Dernièrement, j'ai écrit un texte en vers plus que libres. Lorsque j'ai essayé de le mettre en chanson, ça ne collait pas. Alors je l'ai retravaillé, j'ai tout réécrit en vers de 16 pieds, avec une césure 8/ 8. J'ai dû faire un bricolage précis, un véritable travail de menuisier, d'horloger, de plombier. Ça ne fait pas très inspiré, mais c'est cela la réalité.

C'est le même problème pour l'adaptation. Lorsque Ferré met Aragon en musique, il commence par prendre une paire de ciseaux, il taille dans le tas. La poésie est souvent trop bavarde, et pour l'adapter en chanson il faut ôter les scories. Le papier ne coûte pas cher, et souvent le poète se laisse aller... Dans « Plupart du temps » de Reverdy, par exemple, c'est le même poème qui se répète tout au long du recueil : rien que des variations sur le même thème. Il pouvait se le permettre, mais le chanteur ne le peut pas. Dès la 3e chanson sur le même thème, on lui dit « Dis donc, tu ne pourrais pas parler d'autre chose, bouger un peu, changer de style ? » Reverdy aurait pu répondre « Je vais à l'essentiel ! ». Mais le chanteur qui répond « Je vais à l'essentiel » risque d'aller à la porte. (...)

Il est rarissime que je lise un recueil de poèmes d'un bout à l'autre. Cela m'est arrivé une fois, avec Cadou. Je m'en souviens très bien, c'était «  Hélène ou le règne végétal ». J'étais dans le train. On s'est arrêté ensemble, le train et moi. Sensationnel. Je viens de lire aussi un très beau poème de Michel Manoll. Mais je vais attendre un peu avant de me taper le recueil.

« J'ai pris l'écriture par le bas de l'échelle », dis-tu.

J.B. - C'est tout à fait vrai. Quand j'avais vingt ans, je ne songeais pas à être écrivain... J'étais étudiant à l'école de journalisme de Lille et j'étais probablement le seul de toute ma promotion à ne pas vouloir être écrivain. Tout le monde disait : « Moi, j'espère publier mon premier roman très bientôt » ; ou bien « Je serai prix Goncourt. » Moi, c'était pas du tout mon truc... Il se trouvait que j'avais beaucoup chanté quand j'étais gosse et tout ce que je pouvais avoir d'émotivité, de créativité, de sensibilité se déversait par le chant... C'était une manière d'être. Cela paraît singulier, mais à l'époque, dans les années 50-65, on chantait, c'était naturel. Aujourd'hui ça paraît absolument extravagant, mais c'était comme ça ! La créativité s'évacuait par là. Quand les cordes vocales vibrent, pas besoin de faire du zen.

Cela produit à la fois une émotion, un plaisir et un soulagement. Ça vous exprime dans tout ce que vous avez de plus profond. Alors petit à petit je me suis mis à écrire des textes, des chansons d'abord. J'ai mis très longtemps. Je faisais ça dans une semi-inconscience... je n'étais pas très lucide. Je n'ai commencé à faire des poèmes que vers les années 72-73. Pis encore : j'ai le sentiment de m'intéresser à l'écriture depuis très peu de temps seulement, 2 ou 3 ans peut-être.

Il y a dans tes poèmes une large place donnée à l'amitié, « Je vais à l'amitié comme à des auberges » ; ou encore : « Que mes chansons restent après moi pour mes amis ». Les femmes aussi sont importantes ? Comme source d'une création peut-être... ?

J.B. - Une source d'emmerdement aussi... Mais il est vrai que je suis assez sentimental. Je crois que je tiens ça de mon père. Dans mon adolescence, j'ai vécu deux grandes périodes d'amitié. Entre 14 et 20 ans à Rennes et ensuite à l'école de journalisme de Lille. Cela m'a beaucoup marqué, je suis assez fidèle en amitié et je suis toujours surpris par l'inconstance des gens sur le plan sentimental. En amitié, en tous cas. Je ne parle pas de l'amour qui est... autre chose.

Moi j'ai les mêmes amis qu'il y a vingt ans. Quand j'ai un copain, je ne peux pas supporter l'idée de rompre, de ne plus le voir ou de l'avoir oublié. Il me semble que l'oubli c'est une espèce de preuve donnée a postériori ; que mon amitié n'était pas sérieuse.

C'est une parole ?

J.B. - Oui, même s'il n'y a pas eu de parole. Peut-être est-ce pour me sécuriser, pour me prouver à moi-même que l'amitié a un sens, qu'elle existe, que c'est un absolu. Quant aux nanas, alors ça...

 « Je suis né dans cette chanson ! Le pleur des femmes est mon domaine » c'est quand même étonnant...

J.B. - Je pourrais même dire l'inverse : le domaine des femmes est mon pleur ! Qu'on ne m'en veuille pas : je peux parler de l'amitié (on peut en parler avec pudeur), mais sur les filles, j'aimerais autant être discret. Je préfère n'en rien dire. Ça en dit long... Pourtant je pourrais beaucoup en dire, dans une conversation amicale, dans un article, dans une chanson, ou dans un bouquin, mais pas dans une interview. Disons que ces dernières décennies elles m'ont un peu agacé...

Tu fais très peu d'allusions au Christ ou à Dieu dans ton œuvre, pourtant il y a cette phrase qui est très belle : « Dans les phares j'ai cloué la peine d'un Christ inconnu. »

J.B. - Dieu ou le Christ, ce n'est pas vraiment un grave problème pour moi. Voyez Cadou ou Aragon... Il y a peut-être quelques inquiétudes métaphysiques chez le premier, je n'en suis même pas sûr. Mais chez Aragon, en tous cas, ce qui a rapport à Dieu est là comme un décor littéraire, une manière de placer des mots qui sonnent, des mots colorés, des mots du vocabulaire chrétien, de la mythologie chrétienne. Chez moi aussi, si vous voyez le bon Dieu ici et là c'est pour le décor...

Y a-t-il des poètes ou des chanteurs qui ont influencé ta manière d'écrire?

J.B. - J'ai découvert les poètes très tard, après vingt ans. Ils m'enthousiasment peu, il faut bien le dire. Pourtant quelques-uns m'intéressent. Cadou, bien sûr, Bérimont, dont on s'apercevra avec le temps qu'il était un grand, et qui va survivre, Aragon, Eluard, Pavese et Nazim Hikmet, Reverdy... Déjà je commence à peiner pour en dire d'autres, j'en oublie peut-être... Ritsos, Jacottet, Reda... j'ai à peu près fait le tour des poètes qui m'intéressent. Quant aux chanteurs c'est encore pire. Vasca fait les plus belles chansons et il y a deux ou trois copains comme Elbaz, Brua et Sommer qui savent écrire des textes chouettes. Parmi l'ancienne génération évidemment Leclerc, Vigneault, Ferré sont des gens qui m'intéressent. A part cela il y a de belles chansons dont l'auteur ne m'intéresse pas, mais dont je suis bien obligé de reconnaître qu'il a fait une, deux, trois, quatre belles chansons. J'aurais du mal à trouver dix chanteurs, mais je peux trouver 500 chansons extraordinaires.

Cette écoute des autres nourrit-elle ton œuvre ?

J.B. -. Bien sûr. Mais je ne suis pas quelqu'un qui se fatigue à tout lire et tout écouter afin d'être « au carrefour des arts de son temps ». Dans les carrefours, il y a des flics et des feux rouges ! Par ailleurs, je ne suis pas le gars qui branche sa radio dès qu'il monte dans sa voiture. Je suis un amateur de silence. Le silence est propice à vivre. Ne serait-ce que pour chanter pour moi, pour le plaisir. Je chante dans ma bagnole, pour garder à ma voix une bonne tenue entre autre.

Tu as écrit : « Et que le temps nous traqué qui est bien l'ennemi principal ». La vie qui passe, la perte de la jeunesse, c'est un souci important ?

J.B. - Le temps, le passage du temps, l'effacement du passé, les souvenirs, la mélancolie, la nostalgie, tout cela me travaille beaucoup. C'est pour cela que j'essaye d'être fidèle en amitié, pour ne pas vieillir, pour ne pas me détruire, pour me créer des absolus, pour dire que la mort n'existe pas.

Mais je n'essaye pas de pousser l'analyse. Je ne prends pas la création artistique et la création poétique comme une science. Pour moi, la poésie, ce n'est pas de la psychologie ni de la philosophie. Je n'aime pas le poète qui arrive armé avant toute chose d'une « conception de la poésie ». Je n'ai pas de conception de la poésie et je ne crois pas qu'on en ait besoin pour en faire. Je ne suis pas le poète qui arrive en disant : « attention messieurs-dames, maintenant je vais me plonger à l'intérieur de moi-même dans le cadre de la recherche appliquée en psychologie. » La poésie ou la chanson c'est un lyrisme, c'est-à-dire une exaltation ou une exhalaison et non pas une science. C'est moins une manière de pénétrer en soi-même que de s'extérioriser. C'est un acte magique qui consiste à nommer une chose pour se soulager, pour déplacer cette chose, la transformer, et non pour la connaître. C'est un exorcisme.

Dans tes premières œuvres, tes premiers disques, il y avait une gravité pesante, comme si tu portais le poids du monde d'une certaine manière. Puis l'humour est venu avec « Voyage au bout du monde ». Comment s'est faite cette évolution ?

J.B. - Cela va peut-être paraître paradoxal mais on peut se permettre de faire de l'humour quand on est davantage sûr de soi. Dans un premier temps, j'écrivais au premier degré, je ne me sentais pas assez fort pour me remettre en cause par l'humour. En vieillissant, il me semble que j'ai un peu plus de technique et que je peux me permettre davantage. Mais là je me heurte à un problème : j'ai une image telle, que le public n'est pas prêt à se marrer avec moi sans réticence. Il met un moment pour savoir si c'est « du lard ou du cochon ».

Les artistes qui font des chansons marrantes, ne font que des chansons marrantes, ils sont précédés par un physique marrant, par une légende marrante, par une manière de parler, par une voix, etc. Je n'ai pas ces atouts et il faudrait que j'aie la possibilité d'être tragique et, dans la seconde d'après, de devenir un autre homme. J'y arriverai peut-être mais pour l'instant c'est difficile. Par ailleurs, il y a un petit mystère. Jusqu'à ces derniers temps, j'avais beaucoup de mal à écrire en vers de la poésie ou des chansons marrantes. Mais quand je prenais la plume pour écrire de la prose, je n'arrivais pas à écrire des choses sérieuses. J'ai dans mes tiroirs des centaines de pages de pur délire.

Il y a une évolution musicale très nette dans tes disques. L'orchestration devient de plus en plus importante. A quelle évolution cela correspond-il ?

J.B. - Il y a deux choses : Avant tout l'aspect financier. Actuellement, je serais ravi de me faire accompagner par un orchestre symphonique, mais je ne peux pas car c'est trop cher. Malgré cela, j'investis de plus en plus de pognon dans la musique. Il y a dix ans, je n'aurais pas pu le faire, mais aujourd'hui, modestement, j'y arrive.

Le deuxième aspect, c'est que, lorsque j'étais plus jeune, je n'avais pas une assez grande technique de l'écriture des chansons ni une assez grande maîtrise pour pouvoir penser sérieusement à me faire accompagner. Il m'a fallu du temps pour acquérir tout cela. Il m'a fallu apprendre, me domestiquer petit à petit, avant d'être capable de prendre du recul et de dire : « là, tu enlèves un temps parce qu'il n'a pas de raison d'être et que cette mesure doit faire quatre temps ». Quand j'apprends les chansons des autres, je n'ai pas du tout cette difficulté. Même si elles sont plus difficiles que les miennes, j'y arrive aisément. Avec les miennes c'est un problème, chacun de mes mots est beaucoup plus que ce qu'il est. Je dis la syllabe et elle continue à résonner dans ma tête, dans tout mon corps. Mais il faut déjà que cela s'arrête et que je continue. Quand ce sont les syllabes des autres : pas grave. Mais quand ce sont les miennes, ça me secoue. Il m'a fallu des années pour arriver à faire ce travail et regarder mon œuvre de l'extérieur.

J'ai voulu évoluer à ma vitesse. Je n'ai pas voulu travailler avec les gens de ce métier parce que je les méprisais totalement (pas les musiciens, les gens du métier). J'aurais pu entrer dans une maison de disque et, le premier jour, on m'aurait dit : tu vois cette phrase, on va la changer ! Du jour au lendemain, le jeune chanteur se trouvait ainsi accompagné par une formation qui ne correspondait pas à sa personnalité réelle, mais à ce que le producteur se faisait comme idée de ce qui pouvait se vendre. En refusant cette solution, j'ai eu beaucoup plus de mal. Il m'a fallu attendre beaucoup plus longtemps, mûrir, trouver les copains, réunir l'argent.

Pour conclure, mais provisoirement, j'aimerais te citer une dernière fois : « J'inviterai quelques poètes pour faire un bel enterrement ». Comment concilies-tu cet appel à la poésie et ce que tu viens d'en dire ?

J.B. - Oui, effectivement, je suis un amateur de poésie. Un amateur seulement, pas un prof de fac ! Un, amateur de poésie, c'est-à-dire quelqu’un qui aime bien en lire de temps en temps et qui connaît les poètes. Chez moi je dois avoir trois ou quatre cent bouquins de poésie, et je connais à peu près les poètes français. Leur nom résonne familièrement dans ma tête pour la plupart.

Les titres de tes disques ressemblent à des titres de recueils de poèmes. « Chansons plantées entre les épaules » par exemple...

J.B. - Je trouve que « la chanson plantée entre les épaules » est une assez belle image de la conception que j'ai du métier et de la chanson. C'est quelque chose d'exigeant qui force à se redresser, comme un coup entre les deux épaules.

Propos recueillis par Luc Vidal Septembre 1984.

 


 

 

 

 

BERTIN Jacques. Né en 1946 à Rennes, chanteur, poète et journaliste français. Chanteur « à texte », il s'est placé à contre-courant de la variété en plein développement à partir de la seconde moitié des années 1960 et des modes de promotion de cette variété.

 

Les Noyés, Jacques Bertin

 

 

 

 

 

 

 


 

Qu'avons nous fait ? Qu'avons nous pu ?
le monde est passé devant nous
comme allant à la mer le fleuve
qu'avons nous fait ? Qu'aurions nous pu ?
ô fais-moi subir l'épreuve
au destin la passion j'oppose
et mes 20 ans au cours des choses
20 ans déjà... je n'ai rien pu

C'est vrai, pourtant je vous ai vu
dans l'eau jusqu'aux genoux pourtant
avançant contre le courant
tandis qu'on criait de la rive :
- prends garde le sable est mouvant
Toute foi est une dérive
Des milliers de poissons d'argent
vous faisaient une cour naïve

Le fleuve meurt. Le fleuve va
il a ses mouvements profonds
Lèvre molle au vent des chansons
on croit s'y baigner. On s'y noie
Le noyé pense, allant dans l'onde
gouverner le courant, le monde
entraîne l'homme et l'homme apprend
à être l'épave du temps

Le long séjour dans l'eau lui a
mangé les yeux, fait un visage
vous n'êtes déjà plus si beaux
vous êtes vieux. Sommes-nous vieux ?
Nous avons cru à l'espérance
nous allions dans le fleuve immense
comme à la belle destinée
où brillaient d'impensés soleils

Soleils adieu ! Nous sommes vieux
nous sommes pareils à nos vieux
fourbes, défaits, nous sommes faits
qu'aurions-nous pu ! Qu'avons-nous fait ?
Souvenons-nous allant dans l'onde
avec nos visages mangés
que nous gouvernerons le monde
indulgents comme des noyés

Soleils et vous mes espérances
merci pour ce cortège lent
du plus lointain de mon enfance
qui m'emmène vers l'océan
Ceux qui sont restés sur les rives
arbres morts au vent immobile
grinçant dans les éternités
voient-ils le ciel bleu des noyés ?

coda : cette folie qui nous délivre...

 


 

 

 

 

 

PRIN Rémy. « Le hasard des publications en revue poétique me fait rencontrer Luc Bérimont, qui devient un ami. Sans son appui et sa confiance, peut-être n'aurais-je pas continué d'écrire, et de creuser, au-delà des poèmes eux-mêmes, ce que le chant des mots peut apporter aux diverses facettes du regard. »

Cadou, Bérimont, par Rémy Prin

Extraits du Livre L’empan des années, Parole & Patrimoine, 2019

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Tous les soirs, je lis un peu de poésie, en ce moment R.G. Cadou. Cadou que j’ai découvert au Furet aussi, avec ce drôle de titre Hélène ou le règne végétal. Au dos du livre : Les ciels de son pays d’enfance, proche de l’Atlantique, les amitiés et surtout la présence et l’amour d’Hélène, telle est la poésie de Cadou . Je n’ai pas hésité, j’ai lu, submergé par l’écriture de cet homme, mort dans son village de Louisfert à trente et un ans et dont l’incandescence des poèmes est sans pareille. Mots simples, d’une extrême puissance, imbibés de la nature, où le tragique du monde effleure à chaque phrase :

Si la neige du temps demeurait sur la terre
Comme un garçon trop grand qui ne fait point exprès
D’être pâle et d’avoir dans le fond de ses poches
Une main que le vide des journées effraie ” (1)

Je lis, je relis, je découvre l’ajustement des mots, ce qui dans l’écriture vole derrière eux, comme les chants d’oiseaux invisibles derrière les paysages. Et ces paysages sont les nôtres, ceux du Pays de Retz, de la Brière. Avec Cadou, je découvre à rebours là d’où je viens, ces horizons que nous partageons toi et moi.
En un pays mené de biais par les averses
Et meurtri dans son cœur par le fouet des rouliers
Le lit défait du garde-chasse
Les chemins creux du monde entier
C’est là que je t’attends, c’est là que je te veille. ” (2)

De ma chambre – le soleil se couche. J’en vois un dernier reflet sur le pont à côté. Devant moi, il y a un arbre, dernier reste de nature dans une vision de béton et de pierre, de ma chambre je plonge dans nos ciels d’averses, nos chemins creux, les poèmes disent leur vertige, bien plus loin qu’eux-mêmes. Quelque temps plus tard, nous irons tous deux sur ses traces, à La Bernerie, puis plus tard encore nous recueillir – c’est cela, cueillir encore, cueillir la mémoire – dans son école de Louisfert. Et quand j’aurai écrit quelques textes qui m’auront semblé décents, nous rencontrerons Sylvain Chiffoleau, l’ami de Cadou, encore imprimeur, qui nous accueillera bras ouverts. Et puis enfin, quand Luc Bérimont m’aura préfacé un recueil de poèmes, Hélène Cadou m’écrira d’Orléans vos poèmes m’accompagnent, je les relis, évoquant l’amitié, celle de Luc Bérimont, celle des poètes, et de grands pays qui auront toujours cours dans la mémoire . Nous sommes alors dix ans plus tard, ai-je gagné en certitude ? C’est toi qui m’as donné l’écriture, j’ai plongé en elle naïvement, pour me sauver de l’absence, pour qu’entre nous les mots se tissent plus intensément. Au-delà, cela n’avait guère d’importance, j’avais appris la nécessité d’écrire mais je faisais peu de cas de construire une œuvre, tant ces mots ne me semblaient pas si considérables, même si je compris plus tard qu’ils touchaient aussi vraiment d’autres que nous-mêmes.

***

Du fond de ma chambre, l’enthousiasme naïf – les jam-sessions d’ici sur les antennes de France ! – la certitude d’une émergence, d’une autre parole, d’un autre monde peut-être. La ferveur de l’écoute, le mardi, quand de sa voix si entraînante, Luc Bérimont présentait ses chanteurs.
Avant d’être l’animateur chaleureux, Luc était poète lui-même, à l’écriture pétrie d’ardeur, dans l’exubérance du vivant :
Peut-être, quand viendra la nuit
Vais-je poser mes mains autour de ton visage ?
Une lampe assourdie balancera le vent
Qui monte des ravins d’Octobre avec la pluie ;
Tu t’approcheras, nue, entre les murs bâtis
Mais je ne connaîtrai de toi que ton visage.
Je retiendrai l’instant comme une écluse haute
Capable d’emporter deux corps dans un courant ... ” (3)

J’apprendrai cela quelques années plus tard quand, ayant lu quelques-uns de mes textes dans une revue de poésie nantaise, il m’écrivit pour m’en dire le plus grand bien et que je devins son ami. Je lui dois d’avoir continué à écrire, cette conscience de la nécessité des mots malgré tout, malgré la futilité de tous les tintamarres. Quelques années et les temps changent. Nous sommes invités chez lui dans cette maison isolée de la forêt de Rambouillet où il vit. La Fine Fleur est reléguée aux oubliettes, il anime encore des émissions poétiques sur Culture ”. Nous marchons parmi les grands arbres, il me parle de Cadou, de Rochefort sur Loire, de ce temps de la guerre… Il me dit la densité fraternelle des hommes. Au repas le soir, quelques invités venus de Paris - C’est si loin ! Comment fais-tu, Luc, pour vivre ici ? ” - ils s’occupent du Panorama sur Culture. Au cœur des échanges, l’avenir des médias, les jeux à la télé, les intérêts privés, la production… La culture, celle qui ne fait pas d’argent, pas assez, qui lutte pied à pied, comme en sursis. Les temps changent.

***


Quand je suis venu, je t'ai laissé les poèmes de Cadou. J'ai lu René-Guy Cadou, le texte de Manoll et une dizaine de poèmes […] Tout est clair dans ses poèmes, simple comme la terre qu'il chante, mais tu vois cela me paraît trop simple. Tu compares avec Apollinaire, avec dans ta besace tout l'attirail du Certificat de Littérature que tu viens d'obtenir. Quelques jours plus tard : Cadou, j'aime, parce que c'est un peu notre pays, la Brière, c'est le lac de l'autre côté, et puis j'aime le personnage. Tu vois, il était poète mais avait un autre métier. Rien que des poèmes, c'est bien, c'est fulgurant, immaculé, pur, mais ça ne justifie pas toute une vie. C'est pourquoi j'aime bien Cadou, il était intègre, pas mêlé au milieu qui semble infernal des “ littérateurs ” et il faisait son métier, comme un paysan, et en plus il donnait son cœur aux autres, comme ça, sans éclat. J'aime bien.

Au fur et à mesure des années qui couleront, quand de temps en temps j'irai quêter dans ses textes, ce sera comme une fidélité jamais épuisée, l'admiration d'un immense talent resté modeste, dans ce territoire de l'enfance qui est à tout le monde. Une place pour l'écriture la vie entière, le soir à l'étage de la maison d'école de Louisfert, une autre pour le jour en bas dans la classe, quand il préparait l'aventure des enfants vers le monde. J'ai toujours eu besoin d'échos entre les paysages de la terre et l'amour vécu, de cette liaison dense entre les corps, leurs lumières et l'espace qu'ils habitent, et même de la mémoire des générations qui ont façonné cet espace. Et Cadou rassemble tout cela dans une écriture simple, oui, mais dont l'humanité et le tragique débordent, gonflés ensemble devant l'inéluctable.

* * *

Sans doute, si l’on puisait jusqu’au fond de la langue, on s’arrêterait d’écrire, voire de parler. L’humain tient dans cette quête constante des mots envers soi-même et les autres. Des années plus tard, la poésie me semble constituer toujours l’ultime densité de la langue, qui interpelle la totalité d’un instant ou la totalité du monde. Mais cela me reste, à moi comme à bien d’autres, inexplicable. Comment dire que les mots portent en eux un au-delà d’eux-mêmes ? Et que cet au-delà peut naître de bien des formes d’écriture, de celle de la réalité décrite au noyau compact et scintillant du poème ? Sans doute ainsi le philosophe ou l’historien, sans parler du romancier, peuvent charger leur langue de cette dimension-là, sans pour autant s’éloigner de leur propos même. Le poète, lui, dispose de toute liberté, son objet n’est que cet au-delà des mots. À chaque fois, comme disait Cadou, il"appareille vers la face rayonnante de Dieu"

Notes:

(1) Hélène ou le Règne végétal, Seghers

(2) Ibidem

(3) Luc Bérimont, Un feu vivant, Flammarion, 1968.

 



 

 

 

 

 

LOMÉ Bernard. Amoureux des mots et des lettres, il chante depuis longtemps, seul avec sa guitare ou avec quelques amis musiciens, les grands noms de la chanson française (Trenet, Ferré, Tachan, Béranger, Brassens, Corringe, Brel, Ferrat, Servat...) mais aussi son propre répertoire - et René Guy Cadou : « Il est mon poète de proximité, né à Ste-Reine-de-Bretagne, à trois kilomètres de mon village natal. »

Bernard Lomé chante Cadou

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Bonjour Luc,

Je salue tout d'abord ton initiative de rendre hommage à cet immense poète et serais heureux de venir chanter, si un concert hommage lui était dédié, les quelques poésies que j'ai mis en musique.

Pour répondre à ta sollicitation, je te propose le commentaire suivant :

« René-Guy Cadou enraciné entre la Loire et la Vilaine, qui ne pouvait détacher son regard de ces paysages, se demandait il si la poésie est aussi inutile que la pluie, quand « la brume de la Loire couvre la vallée » ?

Il est mon poète de proximité, né à Ste Reine de Bretagne, à trois kilomètres de mon village natal. Ce sont ses poésies qui m'ont initié au lyrisme de l'écriture, quand je commençais à chanter en anglais, dans les bals populaires.

J'avais mis en musique quelques « poèmes d'amour à Hélène  » et ai eu le plaisir d'être invité, en première partie de Gilles Servat, le 17 novembre 1984, à la cinquième édition des « journées poétiques  », en Brière, dans sa ville natale .

Je te transmets, à suivre, quelques photos de l'époque que tu possèdes sans nul doute (dépliant, photo du disque de Servat).

Au plaisir d'en discuter avec toi.

Bonne journée mon cher Luc.

Poésies chantées par Bernard Lomé :

4 poèmes d'amour à Hélène
Un seul jour suffirait
Prière d'insérer
L'amour




 

 

 

 


Cadou et la musique, un bruissement d’eau claire sur les cailloux, par Robert Duguet

 

 

 

 

 

 


 

Les textes de Cadou n’ont pas été interprétés ou chantés du vivant de l’auteur. Pourtant quelques indices existent dans ses réflexions en prose ou dans les témoignages de ceux qui l’ont connu. Ainsi le texte publié en 1950 dans Les Cahiers du Nord intitulé l’œuvre de Max Jacob, où il cite une chanson de Max :
 La petite servante

Préservez-nous du feu et du tonnerre
Le tonnerre court comme un oiseau,
Si c'est le seigneur qui le conduit
Bénis soient les dégâts.
Si c'est le diable qui le conduit
Faites-le partir au trot d'ici.

Préservez-nous des dartres et des boutons
De la peste et de la lèpre
Si c'est pour ma pénitence que vous l'envoyez,
Seigneur, laissez-là moi merci.
Si c'est le diable qui le conduit
Faites-le partir au trot d'ici.

Goitre, goitre, sors de ton sac
Sors de mon cou et de ma tête !
Feu de sainte Elne, danse de Saint-Guy,
Si c'est le diable qui vous conduit
Mon Dieu fête le sortir d'ici.

Faites que je grandisse vite
Et donnez-moi un bon mari
Qui ne soit pas trop ivrogne
Et qui ne me battent pas tous les soirs.

Ce texte est écrit dans les formes de la chanson populaire, avec couplets et refrain et des assonances à la fin des vers du refrain. Cadou va la commenter de la manière suivante :

 Je ne sais rien qui m'émeuve davantage que ces chansons maladroites qui font songer à ces assiettes en grosse terre où la beauté mange sa soupe. 

Pierre Seghers aimait à déclarer que la chanson était la petite sœur de la poésie : en quelque sorte c’est la poésie qui descend au peuple. Chez Cadou, c’est plutôt l’inverse qui est vrai : la poésie va chercher ses racines profondes dans la chanson populaire, ces airs qui se transmettent oralement de génération en génération dans les repas de famille, à la taverne lors des repas copieusement arrosés ou aux armées. D’emblée, Cadou a été passionné par les nouveaux moyens de communication, au-delà du support écrit : ainsi, il accepte avec enthousiasme d’écrire des textes sur différents poètes et thème littéraires pour une émission radiophonique de Radio Bretagne à Nantes, qui seront interprétés à partir de 1946 par des comédiens professionnels. Hélas ! nous ne connaîtrons pas les vibrations de sa propre voix. Quand il sera question de l’enregistrer en studio, la maladie l’en empêchera. Si nous avons un seul enregistrement de la voix de Guillaume Apollinaire, psalmodiant  Le Pont Mirabeau , nous n’avons aucun enregistrement de René : à l’issue de la guerre, les instituteurs de campagne vivent pauvrement et les moyens de reproduire la voix ne sont pas encore courants dans leur milieu social.  Dans cet ensemble de textes qui n’ont été publiés par Rougerie qu’en 1976 (1), il donne bien des clés de son esthétique et de l’importance qu’il accorde à la chanson populaire.

Le 27 janvier 1948, il écrit une communication intitulée  Du temps que les routes chantaient l'Allemagne des Volkslieder , où on lira ces trois extraits :
Pour retrouver les origines du Volkslied, il faut sans doute remonter jusqu'aux Minnesinger et aux chansons des Vagants. La tradition orale fait des miracles et tel Lied qu'on croyait oublié tremble soudain sur les lèvres d'une servante d'auberge ; ceux des Vagants célébraient, dans un méchant latin mêlé d'allemand, les vertus des trois W, ainsi disait-on : Wein, Weib, Wiirfel, c'est-à-dire : le vin, les femmes et les dés. Il ne semble pas toutefois que les poèmes d'inspiration gaillarde ou plus ou moins équivoque aient retenu l'attention des nouveaux clercs… 

Ces Chants du peuple allemand, transmis de bouche en bouche, à peine déformés par le temps et tels que les recueilleront à la fin du XVIème siècle des esprits comme Herder, Arnim, Brentano, Uhland, l’immortel auteur de Der Güte Kamerad, nous apparaissent comme une des richesses essentielles de ce pays.

Nous autres, Français, avons le  Il pleut bergère  du malheureux Fabre d'Eglantine,  La Bonne Aventure , sans compter toutes  Les Filles de Camaret  et les  Père Dupanloup  qui sont notre folklore érotique. Le Volkslied allemand, c'est cela, vieux de quatre siècles. Ces poèmes, étroitement liés au chant, étaient composés tantôt sur une mélodie nouvelle, tantôt portés par un rythme ancien…
Tels sont les Volkslieder de la vieille Allemagne, tels qu’on les chante sûrement encore de l'autre côté du Rhin, et tels qu'ils nous fournissent sans cesse de nouvelles raisons de nous enthousiasmer et de nous faire réfléchir sur les vertus essentielles de la poésie qui sont toutes d'innocence, de spontanéité et de fraîcheur.  (2)

Ce texte a une importance double : d’une part il situe la poésie par rapport au chant et non le chant comme un sous-produit du texte consigné sur la page blanche et d’autre part l’influence de la culture celte chez Cadou puise sa sève dans le romantisme allemand et ses chants, qui parfois sont des chants de beuverie ou érotiques…

Les Volkslieder ont été publiés par Johann Gottfried von Herder, né le 25 août 1744 à Mohrungen et mort le 18 décembre 1803 à Weimar, qui fut poète, théologien et philosophe en Allemagne. Cet intellectuel s’inscrivait dans le mouvement de contestation de la philosophie des Lumières du 18ème siècle français, notamment en ce qui concerne le sens de l’histoire. Il a notamment remis en cause l’idée de supériorité de nature de la civilisation européenne et sera considéré ultérieurement comme un père fondateur du relativisme culturel. Mais il fait aussi du peuple une communauté mystique déterminée par le terroir, le climat et la situation historique. Il fut un initiateur du courant littéraire romantique  Sturm und Drang  (Orage et Tempête). Il exercera une influence sur le jeune Goethe au moment où ce grand poète de langue allemande écrira son roman  Die Leiden des jungen Werther  (Les Souffrances du jeune Werther), publié en 1774. Dans cet esprit, Jean Jacques Rousseau l’avait précédé avec La nouvelle Héloïse en 1761. Herder recueillera ces chants populaires, expression de la sensibilité spontanée d’un peuple, source du préromantisme allemand. On ne peut que relever ici chez René Guy Cadou une connivence évidente. Le cher Guillaume Apollinaire, habité par les paysages et les légendes du Rhin, puisera à la même source d’inspiration. Cadou va souligner à plusieurs reprises cette tradition de chants bacchiques, qu'il compare avec notre folklore carabin ou de salle de garde. Sur un ton enjoué, Cadou parlera du   Père Dupanloup  qui, dans son cercueil, comme l’affirme présomptueusement un des couplets de la chanson, tentait encore avec   :

sa pine en arc de cercle
d'en soulever le couvercle

Et même, ajoutera t’il, qu’on le retrouvera au passage de la Bérésina,  par un charmant anachronisme 
Il mit sa pine sur la rivière,
Pour faire passer l'armée entière.

Gageons qu’à Rochefort-sur-Loire, lorsque les soirées littéraires étaient copieusement arrosées par le Coteau du Layon, vin de dessert liquoreux, on y chantait aussi Le Père Dupanloup…

Ce dignitaire catholique, évêque d’Orléans, fut un des chefs du parti religieux et se singularisera par sa haine du mouvement républicain et social ; en 1848, par exemple, il fait partie de la commission extra-parlementaire présidée par Adolphe Thiers, le futur bourreau de la Commune de Paris en 1871, qui élaborera le projet devenu la loi Falloux du 15 mars 1850, combattu par Victor Hugo. Ce texte de loi faisait passer l’enseignement primaire sous la houlette du clergé et placera l’instituteur sous la surveillance des conseils paroissiaux. Elu à l’Académie Française en 1854, il s’opposera véhémentement à la cooptation d’Emile Littré à qui il reprochera son agnosticisme. Les anticléricaux du début de la 3ème république s'inspirèrent de ce personnage pour créer la chanson  Le Père Dupanloup , auquel ils attribuèrent des capacités érotiques pour le moins étonnantes. Visiblement l’anticléricalisme décapant de la chanson de corps de garde était loin de choquer Cadou, bien au contraire. Toutefois, s’il en parle dans son œuvre en prose, et contrairement à Apollinaire, cet aspect n’interviendra jamais dans sa poésie.

Chez Apollinaire le romantisme musical de  la Chanson du mal –aimé  fait curieux ménage avec l’esprit de corps de garde :

Mon beau navire O ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir

Et plus loin dans l’épisode des Cosaques Zaporogues :

Ta mère fit un pet foireux et tu naquis de sa colique .

Après l’échec des révolutions de 1848, le Volkslied sera promu par l’Armée, les églises et la pédagogie officielle de la droite allemande. L’exaltation du retour à la terre servira de base de justification au nationalisme en casque à pointe. L’inverse de la position du républicain rationaliste Ernest Renan, qui, dans une conférence célèbre de 1882, au lendemain de l’annexion de l’Alsace-Lorraine, définira la nation comme procédant de la volonté affirmée d’un peuple de vivre ensemble,  une communauté de destin . Il écrira :

L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation.

Plus tard les nationaux-socialistes utiliseront l’exaltation païenne de la jeunesse et de la force, contenue dans le Volkslied.

Le romantisme allemand, mais on aura la même chose en France, est un mouvement littéraire complexe : d’un côté son retour au terroir sera utilisé dans de très mauvaises directions, en revanche le grand poète Heinrich Heine, l’auteur de la Lorelei et ami de Karl Marx, en fut aussi un enfant légitime. Si Chateaubriand a initié un romantisme antijacobin, catholique et légitimiste, Victor Hugo, face à la vague prolétarienne montante –  les barbares de la civilisation  - a évolué très loin sur la gauche de la classe sociale dont il était issu. Il s’arrête aux confins de la pensée socialiste, au sens générique du terme.

Le vendredi 17 juillet 1942, un train déposait à Clermont-sur-Loire les élèves des écoles primaires de Saint Nazaire, l’administration de l’Education Nationale avait décidé de les sortir de l’enfer de l’occupation militaire, la ville ayant une position militaire stratégique pour la Wehrmacht. René fit partie de l’expédition et c’est l’instituteur Fernand Guériff, un collègue de travail musicien à ses heures qui deviendra vite son ami et qui apporte ce témoignage précieux : (4)

René aimait la musique, mais ne la pratiquait pas. A cette époque, aucun musicien n'avait encore été tenté par ses poèmes.
En lisant  Fil à fil  je notai un air qui me parut valable. Avec quelque appréhension, je lui jouai. Son visage s'éclaira. Il précisa l'intention de quelques vers et me demanda de modifier le mouvement d’un passage.
La mélodie, ainsi terminée, lui plut beaucoup, et il me demanda plusieurs fois de la lui chanter.
A quelque temps de là, il m’apporta à  musiquer  un poème de Max Jacob :  chanson du mendiant breton .
Puis encouragé par ces premiers contacts de sa jeune poésie avec la musique, il sortit un soir d’un carton un manuscrit plus épais : une sorte de pièce radiophonique au titre inattendu :  Bethléem ou le café de l’avenir , véritable mystère médiéval, avec de ci de là, des accents drus et caustiques. Je me mis au travail sur un  chant des bergers  et une  apparition des anges . La musique est restée inachevée, mais je suis sûr qu’Hélène conserve précieusement l’original du poème… 

La réaction de Cadou en écoutant un de ses poèmes mis en musique est très intéressante, parce qu’elle se situe à l’opposé des préjugés littéraires classiques contre la chanson art mineur, la poésie étant l’art majeur par excellence. Même les poètes, et les plus grands, peuvent raconter des sottises. Ainsi on se souvient de Victor Hugo déclarant :  Ne venez pas déposer de la musique au pied de mes vers !  Cela a été fait et avec talent par de nombreux musiciens. On peut dire que le cher Georges Brassens a écrit deux musiques sur des textes de Hugo,  Gastibelza  et  La Légende de la Nonne  , qui sont deux petits bijoux de la mise en musique des poèmes, embellissant ces derniers et leur conférant la dimension  magique  que la musique leur apporte. Notre grand Georges a fait un beau pied de nez bien mérité à celui qu’il appelait dans un dialogue avec Luc Bérimont  le Père Hugo . Même Pierre Seghers, qui pourtant a fait entrer dans la collection Poésie et Chansons Georges Brassens, Jacques Brel, Léo Ferré, Félix Leclerc, Gilles Servat… avait de solides préjugés sur l’art  mineur  de la chanson. Pourtant il écrira pour la mise en musique et Léo Ferré fera de  Merde à Vauban  une vraie réussite mélodique. Le breton Serge Kerval (5) consacre en 1973 un album complet aux chansons de Pierre Seghers, avec lequel il travaillera.

Dans cet épisode de vie en 1942 à la forêt Cellier, on note que Cadou s’est intéressé d’emblée, au-delà du support écrit, à tout ce qui peut amplifier et embellir le  Lied  par la musique ou par d’autres supports ; l’enregistrement des émissions radiophoniques de 1946 à 1950 s’inscrira de même dans cette volonté d’utiliser les nouveaux moyens que la technologie moderne met à la disposition du poète.

Hélas ! notre cher René qui fut fauché par la Camarde à 31 ans, ne connaitra pas le plaisir de cette  magie  que ses interprètes vont susciter. Gageons qu’il aurait certainement accepté de travailler avec ses interprètes et qu’il les aurait assistés de ses précieux conseils.

Le dernier mot sur ce point peut revenir à Louis Aragon, car si nous avons mis des guillemets au mot  magie  c’est en référence à cet auteur : c’est certainement le seul grand poète du XXème siècle, qui ait saisi l’importance de ce que Cadou avait pressenti lors de l’épisode de vie de la forêt Cellier avec son collègue et ami Fernand Guériff.

Sous la plume du  Fou d’Elsa , on trouve ces deux points de vue :

La mise en chanson d’un poème est à mes yeux une forme supérieure de la critique poétique […] C’est ici une critique créatrice, elle récrée le poème, elle y choisit, elle donne à un vers une importance, une valeur qu’il n’avait pas, le répète, en fait un refrain […] Elle saute des strophes, va avec audace de ce point du poème à sa conclusion. Ne me dites pas qu’elle le déforme : elle lui donne une autre vitesse, un poids différent, et voilà que  cela chante . Même si ce n’est pas tout ce que j’ai voulu dire, c’en est une ombre dansante, un reflet fantastique, et j’aime ce théâtre qui est fait de moi… (6)

Il ajoutait à propos de Léo Ferré, mais le sens pourrait être élargi à la composition musicale sur des poèmes dans son ensemble :

[Léo Ferré] rend à la poésie un service dont on calcule mal encore la portée, en mettant à la disposition du nouveau lecteur, un lecteur d’oreille, la poésie doublée de la magie musicale… (7)

Dans un enregistrement d‘Yves Boré-Mahé (8)  de 1984, recueilli par Luc Vidal, le peintre parle des soirées amicales qui se tenaient dans la période de la guerre, soit à Châteaubriant, soit dans les différentes affectations de l’instituteur-suppléant Cadou. On y parlait de tous les sujets qui interpellaient ces jeunes hommes s’adonnant à l’art ou à la littérature. Le cérémonial chez Cadou était toujours à peu près le même : après un repas toujours bien arrosé, la discussion roulait jusque vers 23 h ou minuit sur tous les sujets. René s’esquivait quelques instants : il montait dans sa chambre chercher les manuscrits de ses derniers poèmes qu’il lisait, non comme un acteur qui interprète un texte, mais plutôt en les psalmodiant. Puis la rencontre amicale pouvait trainer en longueur jusqu’à trois heures ou quatre heures du matin. Hélène portera témoignage sur l’emploi du temps de Louisfert, par contre qui était là plus rigoureux. Après les promenades dans la Forêt Pavée (9) avec les amis ou les visiteurs, la cueillette des champignons à l’automne par exemple, on rentrait dans la maison d’école pour prendre quelques collations ou manger : immanquablement le poète allait chercher ses textes et les récitait à ses hôtes. La psalmodie, c’est un rapport à la musique, le rapport du mot au son : les comédiens ont l’habitude de dire que les poètes ne savent pas interpréter leurs textes. René reviendra sur cette question dans une interview donnée à Pierre Béarn le 26 septembre 1950 où il déclare ceci :

Les poèmes ne devraient jamais être lus que par leurs auteurs ou par d’autres poètes, d’une voix monocorde, un peu comme une liturgie. Les acteurs ont le tort de trop déclamer. Leurs effets de voix visent d’ailleurs davantage à leur assurer le succès qu’à servir la gloire ou la mémoire du poète. (10)
Au-delà du respect de l’œuvre du poète, c’est bien la question du rapport de la parole poétique à la musique qui est posée. Léo ferré en 1961, subjugué par la lecture du  Roman inachevé  qu’il découvre en 1958, écrira sur la pochette de l’album consacré à Aragon :  derrière les mots des poèmes d’Aragon, il y avait une musique que j’ai tout de suite découverte . Voilà tout est dit ! Une certaine écriture poétique est porteuse d’une musique, d’autres non.

Gilles Servat est né le 1er février 1945, à Tarbes. Les parents de Gilles, André Servat et Renée Litou sont originaires de Nantes. Durant son enfance à Sainte Reine de Bretagne, Renée sa mère eut pour instituteur Georges, le père de René-Guy Cadou. Elle connut donc René dans sa première enfance, quand il faisait ses premiers pas dans l’Allée du Calvaire et qu’il y  boulait comme un lapin, plus rieur que maussade. (11)
Gilles enregistrera avec un chœur d’enfants en 1979 :

Sainte Reine de Bretagne
En Brière où je suis né
A se souvenir on gagne
Du bonheur pour des années…  (12)

Servat appartient à cette génération d’artistes ou d’écrivains venus à la révolte sociale, voire à la révolution après la grève générale de 1968. Globalement ses premières chansons sont marquées par cet engagement. Dans cette séquence historique qui commence en 1968 et se termine par la victoire du PS à la présidentielle de 1981, le régionalisme breton qui avait été entaché par certaines positions, il est vrai minoritaires, prises durant la seconde guerre mondiale, rebondit autour de revendications sociales. On revendique la décentralisation et la défense de l’identité bretonne contre l’Etat central. Apparait alors cette notion d’Europe des régions – rappelons qu’elles sont des entités d’ancien régime - débarrassée de la tutelle de l’Etat national. Ceci n’est pas particulièrement progressiste, puisque contrairement à des idées reçues le gaullisme, forme de bonapartisme anti-jacobin, a joué son vatout au referendum de 1969 là-dessus. Au-delà de l’aspect culture celtique – Servat chantera aussi en breton dès 1973 – la revendication est téléguidée par des forces qui ne sont pas spécifiquement bretonnes, c’est la CFDT d’Edmond Maire d’une part, et les courants organisés de l’Eglise catholique très présents dans les fédérations du parti de François Mitterrand.  Servat va démarrer sa carrière sur  la blanche Hermine (13), chanson qui connaîtra dans l’ambiance d’avant 1981 certes un grand succès, mais qui aujourd’hui pose bien des interrogations.

On y lit ceci :

Où allez-vous camarades avec vos fusils chargés
Nous tendrons des embuscades viens rejoindre notre armée
Ma mie dit que c'est folie d'aller faire la guerre aux Francs
Mais je dis que c'est folie d'être enchaîné plus longtemps

La voilà la Blanche Hermine vive la mouette et l'ajonc
La voilà la Blanche Hermine vive Fougères et Clisson !

Rappelons que pour le groupe des poètes de Rochefort et René Guy Cadou particulièrement, il n’a jamais été question d’entrer dans quelque démarche régionaliste que ce soit : les amis de Rochefort ont fait clairement le choix, pour des raisons aussi bien littéraires, artistiques que politiques de rompre avec le conformisme du régime de Pétain et sa  révolution nationale . Et puis il y a eu à proximité le drame de Châteaubriant qui a profondément heurté ce groupe de jeunes artistes et poètes.  Dans le groupe de Rochefort il n’a jamais été question de soutenir ou de se rendre – comme l’a fait le jeune chanteur Jacques Douai et les fondateurs de la revue Esprit – à Uriage : cette école de formation, sous l’autorité d’un homme d’extrême droite, le capitaine Pierre Dunoyer de Segonzac, visait à regrouper l’élite intellectuelle du régime de Vichy pour former les cadres de la  Révolution Nationale . Avec le retour de Laval au pouvoir et le début d’une répression féroce contre le mouvement ouvrier et les démocrates, les chrétiens sociaux présents à Uriage quitteront le navire pour rejoindre la résistance… Contrairement à quelques articles publiés lors du dixième anniversaire de la mort de Cadou, qui n’honorent pas la mémoire du poète, il n’a jamais été bretonnant. Pour les poètes de la guerre et de la résistance cette question n’affleure pas dans leurs prises de position. René Guy Cadou, Jean Rousselot, Marcel Béalu, Jean Bouhier, Michel Manoll et encore moins René Lacôte, et ce malgré les divergences politiques qu’il y avait entre eux, n’auraient sans doute pas approuvé ce couplet de  la blanche Hermine . Servat est un chanteur-poète de talent mais il a souscrit aux illusions de la décennie 1970-1981 : on peut se demander d’ailleurs, après ce que le mitterrandisme nous a servi en matière de décentralisation et de ralliement à cette Europe néo-libérale des régions, s’il écrirait encore ce texte de la même manière.

Lorsque Gilles Servat fait paraître en 1979 un album entièrement consacré aux poèmes de René Guy Cadou, c’est une date importante, puisque c’est la première fois qu’un chanteur connu prend le risque d’un tel hommage auprès d’un public plus large que celui des amateurs de poésie. Il y a une volonté de sa part de faire connaitre Cadou, mais c’est aussi une reconnaissance de dette. La première partie de la carrière du chanteur est conduite par la nécessité de faire converger des revendications sociales avec un certain régionalisme culturel. Ce cycle s’achève avec la victoire de la gauche en 1981. Lorsque qu’il fait paraître l’album  L’Or et le Cuivre  en 1979, l’année même de l’  Hommage à René Guy Cadou , son écriture littéraire et les thèmes abordés se sont beaucoup modifiés.

On trouvera par exemple une chanson intitulée  mon Amour de fin d’Eté . Donnons-en quelques extraits :

 Mon amour de vin nouveau
Mon amour de cidre et de pommes
Mon amour de miel et d’eau
Mon bel amour des boissons des hommes

Mon amour des jours plus courts
Mon amour de marée folle
Mon amour assis dans la cour
Mon bel amour de préau d’école

Mon amour d’encre et de craie
Mon amour de rentrée des classes
Mon amour d’odeur des prés… 

Et plus tard en 1991 dans  Le Moulin de Guérande  (14)

 Le bourg de Batz debout sur les marais
Le Croisic tout au bout du grand trait
Sous les veilleurs, les souvenirs m'attendent
Et l'enfance en moi comme un matin…

…Chemin de mer pour talus de rochers
Entonnoir de granit écorché
Passaient nos jeux, passaient nos vies gourmandes
Sur le clair sablier de Port-Lin

La mer a fui l'auge de Saint-Goustan
A l'orée des lents oiseaux distants
Mon père, penché, ramassait des amandes
Des fruits de nacre et des couteaux marins… 

Loin de moi l’idée de contester l’originalité de Gilles Servat ; ses textes traduisent un tempérament propre ; il n’est pas un imitateur. Lorsqu’il écrit  mon amour d’encre et de craie  ou encore  mon amour de cidre et de pommes  il exprime une fidélité profonde à un pays d’une grande beauté qui vit en lui ainsi qu’à la mémoire de son enfance ; après les cris de révolte du chanteur-militant, ces thèmes reviennent à lui comme le ressac de la marée. Mais le sillon tracé par René Guy Cadou est là, l’ombre portée du maître. Et ce n’est pas plagier que d’être un enfant naturel de René.

Le disque de 1979 comprend des poèmes qui portent naturellement en eux une mélodie ; je cite  Automne ,  La Fleur rouge ,  Les Amis d’Enfance ,  Testament ,  Des Œufs dans la Haie . Il faudra y ajouter en plus du 33 tours le poème de  Pleine Poitrine , (15)  Liberté Couleur des Feuilles . Ce dernier d’ailleurs en récital public, sera souvent repris en chœurs par le public, ce qui est pour moi le sommet de la consécration d’un poème chanté. Ces mêmes textes seront d’ailleurs repris par les interprètes de Cadou, en particulier ceux qui consacreront un album complet d’hommage.

La majorité des interprètes de Cadou appartiennent à la génération née après la guerre, sauf exception notable d’Olivier Robard, né en 1979, vivant aujourd’hui à Sainte Reine de Bretagne. Les années 1950 connaitront l’émergence d’une chanson à texte, une embellie où la poésie fera bon ménage avec la chanson. Dans cette séquence historique il faut souligner le rôle central joué par Luc Bérimont pour débusquer de jeunes chanteurs-poètes et interprètes de textes chantés dans cette ambiance cabarets rive gauche, ses émissions radiophoniques  La Fine Fleur de la chanson française ,  Jam-sessions chanson-poésie . Ainsi l’esprit de Rochefort continuait. Une génération de jeunes écrivains, d’artistes et aussi de chanteurs est en fait portée par une vague historique ; le bonheur redevient  une idée neuve en Europe , pour reprendre le mot du révolutionnaire Saint Just. De grandes conquêtes sociales voient le jour, qui sont par ailleurs aujourd’hui singulièrement mises en pièce par les gouvernements actuels. L’art exprime ce mouvement social qui veut, dirait Rimbaud  changer la vie . Dans les périodes de profondes régression sociale, idéologique, culturelle, comme aujourd’hui, la poésie est frappée de plein fouet. Elle n’a plus droit de cité : nous vivons ce retour de balancier aujourd’hui.

Dès 1965, dans l’ambiance radiophonique de  Salut les copains  qui oriente déjà les goûts de la jeunesse d’avant 1968 vers une culture musicale anglo-américaine, il y a eu néanmoins la percée de Georges Brassens, Léo Ferré, Jacques Brel, Jean Ferrat, Felix Leclerc et bien d’autres moins connus. Au bout de sa vie Brassens avait l’habitude de dire, avec une grande lucidité, que s’il devait commencer sa carrière en 1970, il devrait sans soute rentrer à Sète avec sa guitare… Cadou a eu une grande influence sur toute une série de chanteurs-poètes, qu’ils soient connus par le système ou inconnus, mais dans une période où il n’y avait plus guère de place pour que ce type de chansons gagne un public large. Déjà Léo Ferré avait négocié avec Barclay un accord au terme duquel, en échange de chansons signées de son nom, le producteur s’engageait à publier ses Baudelaire, Verlaine et Rimbaud. Aragon a bénéficié de cette embellie avec les musiques de Léo Ferré, en ajoutant néanmoins que l’influence du PCF dans la vie politique et culturelle française de l’époque, le sillon tracé par  les Lettres Françaises , permettaient cette percée vers le grand public. Hormis Gilles Servat qui a une place particulière, porté qu’il est par une culture musicale celtique que les bretons savent encore défendre, les interprètes de Cadou sont restés largement sur les marges. Le système ne leur a donné aucun moyen de gagner un public plus large que le cercle des amateurs de poésie chantée. Aujourd’hui nous ramons contre le courant, nous défendons cette petite lumière qui finira un jour peut-être par s’imposer.

(Voir le tableau des musiciens et interprètes de Cadou qui se trouve en fin d'article)

Une première constatation s’impose : si Louis Aragon, dont la poésie à partir des  Yeux d’Elsa  porte naturellement une mélodie, est singulièrement aidé par la place qu’il occupe dans la vie politique, Cadou n’a pas bénéficié de ce qu’il appelait à propos du CNE(16) de  la firme Aragon-Triolet . Je peux affirmer qu’il est vraisemblablement et dans l’état actuel de nos investigations le poète le plus mis en musique. Il n’y a eu pour le faire connaitre après sa disparition en 1951 que la force tranquille des compagnons de Rochefort et de l’amour d’Hélène. Ceux qui ont mis en musique et chanté Cadou sont venus à lui par ces mêmes chemins creux à l’écart des  journaux  et des  grands éditeurs (17).

Je ne sais pas quelle est la conception qu’ont les autres interprètes de Cadou : pour moi à la base de la mise en musique des poèmes il y a un processus initiatique que j’ai décrit brièvement dans mon prologue. J’aime le texte et je sais d’emblée – comme un coup de foudre amoureux – qu’une rencontre dans un autre registre et qu’une mise en musique est possible. Secondement il faut en face des textes un effort d’humilité sur soi-même. Je suis en face d’un grand poète et je ne suis pas là pour me faire reluire en me servant du poème. Cadou, comme nous l’avons souligné plus haut dans l’interview donnée à Pierre Béarn, n’aimait pas la façon dont les comédiens interprétaient les poèmes. Par contre il aurait sans doute apprécié la manière simple et émouvante de la diction de Daniel Gélin.(18) Il y a quelques mois Michel Drücker a réalisé une émission d’hommage à Jean Ferrat parfaitement détestable : les chansons ont été interprétées par des professionnels qui étaient là pour ajouter leur propre grain de sel. Mépris du tempo, de la diction du texte chanté et autres gesticulations scéniques qui n’ajoutent rien, mise du texte finalement en arrière fond de l’orchestration… Le type de travail du business actuel de l’industrie de la chanson. Est-ce que le poème chante en moi ? Dans ce cas la musique est contenue dans le poème et le travail consistera à lui donner la ligne mélodique qui ajoute au support écrit le caractère  magique  de l’union du mot et du son. Je ne sais pas si c’est réussi bien sûr : c’est à celui qui écoute la chanson de dire si cette union est réalisée. Il y a des textes que j’ai mis en musique il y a 30 ou 40 ans et sur lesquels je ne suis pas revenu. Je les chante toujours. D’autres dont j’ai remis en cause la ligne mélodique ou le tempo au bout de quelques mois : il faut laisser le temps travailler. La chanson poétique se patine ainsi que le vin se bonifie dans la fraicheur du cellier. Une ligne mélodique s’impose ou non : souvenons-nous que Brassens a écrit sur le texte des Copains d’abord, sept lignes mélodiques différentes, et qu’il a opté pour celle que nous connaissons après quelques mois de réflexion et d’échange avec ses amis. Ou encore je me suis rendu compte à partir de l’expérience du récital public qu’une chanson reçoit un assentiment, une adhésion ou peu ou pas du tout. A partir de là s’impose la nécessité de retravailler. Encore s’agit-il sur ce point de ne pas céder aux détestables modes qu’on veut nous imposer. Brassens encore disait dans une interview donnée à Luc Bérimont qu’il s’était choisi un public :  J’ai un vieux professeur de lettres qui s’appelle Alphonse Bonnafé, chaque fois que j’écris une chanson, je me demande toujours si cette chanson plairait à Bonnafé. Je me suis choisi un public sur ce critère-là.  On peut se poser aussi la question : est-ce que cette chanson plairait à René ?

A partir de là est-il possible, sans dénaturer le contenu poétique, de faire subir des modifications aux textes pour l’adapter aux exigences propres de la chanson : sans établir un art poétique à la Boileau dans le domaine de la chanson, celle-ci aime le vers régulier, les jeux de rimes ou tout au moins d’assonances, peut-être pour certains textes un équilibre entre couplets et refrain, un tempo qui soit adapté au rythme propre du poème. Certains textes de René en vers libres supporteraient difficilement la mise en musique alors que d’autres écrits en quatrains ou en distiques élégiaques s’y prêtent d’emblée. Mais il faut que l’intention poétique de l’auteur soit respectée. Ainsi Pierre Ménoret(19) a fait une chanson sur le poème Hélène :

Les 7 vers suivants ont été choisis comme refrain :

 Je t’atteindrai Hélène
A travers les prairies
A travers les matins
De gel et de lumière
Sous la peau des vergers
Dans la cage de pierre
Où ton épaule fait son nid 

Curieusement l’interprète est allé chercher deux quatrains de la Fleur rouge dont il a fait un couplet supplémentaire pour sa chanson et qui à priori n’a rien à voir avec cet autre poème :

 Tous les fruits merveilleux
Tintent sur ton épaule
Ton sang est sur ma bouche
Une flute enchantée

Je te donne le nom
De ma première enfance
De la première fleur
Et du premier été. 

En fait là l’interprète a modifié le texte : La Fleur rouge est le premier poème d’Hélène ou le règne végétal. Il donne d’emblée l’intention de Cadou ; la beauté du monde dans toutes ses manifestations et celle de la femme ne sont que les éléments divers d’une même unité. Les deux strophes modifiées sont celles de la fin du poème. Cadou écrit :  Tous les fruits merveilleux / Tintent sur son épaule…  Le chanteur écrit lui : sur ton épaule. Là je trouve que la modification n’est pas choquante car elle respecte le sens même du recueil. Pierre Ménoret, à mon sens, a écrit une belle chanson d’amour et a enrichi par le chant la parole de Cadou.

Je prends d’autres exemples dans mon travail personnel :

Le poème Sainte Reine de Bretagne (20) contient trois quatrains. Voici le premier :

 Sainte Reine de Bretagne
En Brière où je suis né
A se souvenir on gagne
Du bonheur pour des années 

Il peut parfaitement être utilisé comme refrain : j’ai souvent fait des récitals pour des élèves de niveau lycée ; spontanément ils peuvent le reprendre en chœurs si on les sollicite pour le faire.

Quand Cadou écrit un poème, très souvent les deux ou quatre premiers vers donnent la clé, la légitimité de l’intention poétique.
Ainsi les quatre premiers vers de  La Saison de Sainte Reine (21) :

 Je n’ai pas oublié cette maison d’école
Où je naquis en février 1920
Les vieux murs à la chaux ni l’odeur du pétrole
Dans la classe étouffée par le poids du jardin… 

Ces vers peuvent être utilisés comme refrain ou encore chanté au début puis repris en fin de texte : ils ouvrent et clôturent de manière heureuse l’intention du poète.

Sur l’utilisation du mode majeur ou mineur, là encore tout dépend de l’argument du poète. Les premiers vers d’Alphabet de la Mort (22) disent ceci :

 O mort parle plus bas on pourrait nous entendre
Approche-toi encore et parle avec les doigts
Le geste que tu fais dénoue les liens de cendres
Et ces larmes qui font la force de ma voix… 

C’est un jeune homme de 21 ans qui écrit ce texte et qui a la prémonition qu’il ne fera que quelques pas sur cette terre : la tonalité mineure, en l’occurrence un Si mineur, conviendra mieux à un sentiment de tristesse ou d’angoisse face à cette brièveté de vie pressentie.

Par contre, pour prendre l’exemple de la musique écrite par Eric Hollande sur L’étrange douceur, le poèmeexprime l’émerveillement du poète face à la beauté du monde et à celle de la femme aimée, et il se conclut par le quatrain suivant :

 C'est le toit qui se soulève
Semant d'astres la maison
Je me penche sur tes lèvres
Premier fruit de la saison. 

La tonalité majeure, en l’occurrence un La majeur, conviendra à ce sentiment de plénitude.

Prenons trois exemples sur la question du tempo :

Louisfert (23) est un poème qui a en quelque sorte rendu célèbre un village de 511 habitants à la fin de la guerre avec ses quatre bistrots, son église occupée du vivant de Cadou par un curé intégriste dont l’histoire littéraire ne gardera pas le nom. On sait que, lors du décès du poète en mars 1951, c’est le révérend dominicain Agaïsse qui viendra honorer sa mémoire. En contre-bas du village un calvaire édifié au 19ème siècle sur des pierres de menhirs et de dolmens récupérés sur des sites du mégalithique. L’auteur, un certain abbé Jacques Cotteux, se fixait pour but de supprimer les vestiges des cultes sanguinaires d'autrefois. Aujourd’hui Louisfert est devenu une banlieue de Châteaubriant avec ses zones pavillonnaires. La fenêtre de la chambre donnait sur la  campagne bleue  et le poète écrivait devant  la grande ruée des terres . Face à toutes les manifestations de l’univers le poète est pareil à ce paysan qui chemine sous le soleil de midi et qui ne  sait rien de sa vie . Il va  loin dans le ciel et dans la nuit des temps , il est pareil à un petit enfant qui marche pieds nus. A cause de l’écriture en distique élégiaque et du trottinement de la bête et de l’homme marchant à ses côtés, le tempo de la chanson ne pouvait être qu’un 2/4.

De même le poème Pour un cheval(24) : l’animal habite la poétique de Cadou depuis l’enfance et certainement pas pour ses qualités de cheval de trait : c’est l’animal noble qui nous fait penser au Pégase de la mythologie.

Cheval pour avoir dit l’amour tu as une âme
Lève haut tes belles jambes comme les femmes…

Il ajoute :

Pour te dompter il n’est que la riche héritière
Marie Reine du ciel fille de la lumière

Qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas la vierge en pierre des calvaires bretons, c’est Marie Reine, sa grand-mère bien aimée et son jardin de Grignon, où les yeux des enfants sont  pareils à des pervenches…  (25) Ainsi le galop du cheval nécessitera un 2/4.

La façon dont le souffle poétique est encadré par la rigueur du quatrain, pour faire allusion à la  Lettre à des Amis perdus ,  Les chevaux de l’amour me parlent de rencontres…  ou  Place Bretagne  conduit naturellement vers un quatre temps : l’écriture de Cadou est très rigoureuse, très exacte dans l’expression. Le poète aimait beaucoup citer Max Jacob qui disait : la poésie est un cri, certes, mais un cri habillé. Et on sait que Cadou travaillait beaucoup même si sa poésie semble couler comme un  bruissement de l’eau claire sur les cailloux (26)

J’ai rédigé ces quelques éléments d’analyse sur la façon dont je conçois la mise en musique de Cadou.

Je n’établirai pas ici un Hit-parade des interprètes de Cadou : tous ceux qui l’ont fait ou qui le font encore peuvent être définis comme des chanteurs-poètes : ils utilisent un média différent et font sortir le texte des limites de l’invention certes précieuse de Gutenberg, mais aujourd’hui dépassée par des médias beaucoup plus puissants, même s’ils sont très mal utilisés et contrôlés par les  marchands du temple , le business où la poésie n’a plus aujourd’hui de place.  Mais Cadou nous a appris à se moquer des modes.

On sait par le témoignage d’Hélène que durant les derniers mois de la vie du poète (27), les soirées de Louisfert ont été embellies par les retranscriptions radiophoniques de la musique de Franz Schubert. Né le 31 janvier 1797 à Lichtental, dans la banlieue de Vienne, il meurt précocement (lui aussi) à l’âge de 31 ans à Vienne le 19 novembre 1828. Cadou est un lyrique intérieur ; Schubert est le maître incontesté de la musique romantique allemande : son cadre favori est celui de la musique de chambre, un espace intime qui convient au lyrisme. Joël Barreau écrit :

 Bien des années plus tard, en souvenir de ces soirées émerveillées de Louisfert, qui précédèrent de bien peu la mort du poète, Hélène publia, dans une revue d’art, un bel hommage à Schubert, sous le titre  Schubert, le lied et la destinée . Hommage dans lequel, implicitement est suggéré une intime parenté entre le musicien viennois et René Guy Cadou. 

Hélène souligne ces troublants points de convergence :

 Chaque jour, à la même heure Schubert se met au travail et c’est comme si son inspiration lui obéissait avec une étonnante précision, comme si se cristallisait en lui, le brulant, le déchirant, ce qui va naître sur la page… 

 A cette profusion, à cette fièvre de l’écriture, répond une profusion de l’amitié. L’amitié est la bonne chaleur, la sève, l’espoir qui alimente la vie et sans laquelle Franz ne pourrait continuer à écrire … 

 … Frantz est le plus joyeux compagnon qui soit, l’âme des heures d’auberge, de loisir et de vagabondage… 

Puis vient l’homme face à la maladie :

 La maladie affirme son emprise. En apparence, la vie continue, mais de plus en plus Schubert se sait un passant, un exilé sur cette terre… Il faut lutter avec le temps, avec la souffrance, s’acharner pour accomplir ce qui est la raison d’être de toute vie. Il faut tout donner à l’œuvre, tout lui sacrifier… 

Là où s’affirme à mon avis la complicité la plus déchirante entre Cadou et le musicien viennois c’est le rapport à établir entre le poème Nocturne et le Notturno (D 897), pièce pour trio (Violon, violoncelle et piano) que le musicien finit de composer à l’automne de 1827 : il décédera très exactement un an après. On peut rêver d’un spectacle ou d’un film sur Cadou qui se conclurait de la manière suivante : faire écouter le début du Notturno de Schubert et enchainer avec la lecture du Nocturne :

 Maintenant que les seuls trains qui partent n’assurent plus la correspondance
Pour toutes ces petites gares ombragées sur le réseau de la souffrance
Oh ! je crois bien que ce sera à genoux
Mon Dieu que je me rapprocherai de vous… 

Vous pouvez le faire, sans spectacle et sans film, dans la solitude de votre maison.
Vous ressentirez la correspondance, Goethe appellerait cela  les affinités électives , c’est magique !

 


 

Notes:

(1)Le Miroir d’Orphée, Edition Rougerie, 1976

(2) ibidem, pages 73-78

(3)René Guy Cadou et la Sylve , article publié dans la revue  Deux degrés Ouest , Nantes, d’Octobre Novembre 1975 .

(4)Kerval, Serge (1939-1998) : dans le sillage de Jacques Douai (1920-204) reprend et  interprète à partir des années 1960 des chansons populaires du folklore. Il fait partie de ce courant  rive gauche , qui a singulièrement enrichi la chanson francophone. A partir de 1946 plus de 200 lieux à Paris même s’ouvriront, où se produiront au seuil de leur carrière les voix les plus connues de la chanson à texte. L’embellie durera 25 ans avant que nous soyons asphyxiés par la sous-culture du busines actuel. A partir de 1960, Serge Kerval bénéficiera de ce cadre de liberté de création et fera beaucoup de tournées dans l’hexagone, grâce à la fédération nationale des Maisons de Jeunes et de la Culture. Celle-ci sera d’ailleurs démantelée par un baron du gaullisme Joseph Comiti. Kerval fera d’ailleurs plus connaître la chanson folklorique à l’international : il chantera dans les instituts français à l’étranger  ainsi que sur les campus des universités américaines (en particulier en Louisiane) au début des années 1980. A la fin de sa vie, à laquelle d’ailleurs il mettra un terme en 1998, il s’oriente vers la mise en musique des grands poètes, notamment Victor Hugo et Alfred de Musset.

(6)Cité par Robert Bolleret dans  Jean Ferrat, le Chant d’un Révolté , page 313-314)

(7)Sainte Reine de Bretagne , Les Amis d’Enfance, Œuvres poétiques complètes, page 359.

(8)Sainte Reine de Bretagne , Les Amis d’Enfance, Œuvres poétiques complètes, page 359.

(9)Servat chante pour la première fois  La blanche Hermine  en 1970 à Montparnasse. En 1971 il enregistre un disque à Dublin qui fera disque d’or. L'hermine devient au 13ème siècle un emblème que l'on retrouve dans les armes de plusieurs familles de la noblesse féodale bretonne.

(10)Tiré du CD L'Albatros fou enregistré à Brest au studio Amadeus, 1991.

(11) Interview de Pierre Béarn, tiré du  Miroir d’Orphée , Rougerie, 1976, page 171.

(12)La Forêt Pavée, site boisé aux alentours de Louisfert.

(13)Ce peintre décédé en 1998 a vécu à Saint-Gildas-de-Rhuys dans le Morbihan. L’interview a été publié dans le CD de Mörice Bénin consacré à Cadou, intitulé Chants de Solitude (Editions du Petit Véhicule, Nantes)

(14)Pochette de l’album Ferré, les chansons d’Aragon 1964.

(15)Recueil écrit après la Libération sur la période de la guerre et qui commence par l’hommage aux fusillés de Chateaubriant.

(16)Le Conseil National des Ecrivains, émanation du Front National des Ecrivains, a été créé en 1941 en particulier par Louis Aragon, et sur délégation du PCF.

(17)Allusion au vers de Cadou extrait de  Moineaux de l’an 1920  :  Je connais vos journaux et vos grands éditeurs/ Cela ne vaut pas une nichée de larmes dans le cœur… , page 318, Poésie la Vie entière, Seghers,1980.

(18)La comédien Daniel Gélin publie en 1957 un disque vinyle où il interprète 12 poèmes de Cadou.

(19)Pierre Ménoret : Réalisateur de radio-télévision de 1964 à 1978. Se consacre au métier de chanteur depuis 1979. La chanson Hélène est tirée de l’album : Mon Bonheur c’est de la musique (1997)

(20)Les Amis d’Enfance, page 359, Poésie la vie entière, Seghers, 1980

(21)Hélène ou le règne végétal, page 277, Poésie la vie entière, Seghers, 1980

(22)Bruits du Cœur, page 63, Poésie la vie entière, Seghers, 1980

(23-24)Pour un cheval, Hélène ou le Règne végétal, page 258, Poésie la vie entière, Seghers, 1980

(25)Le Jardin de Grignan, Les Amis d’Enfance,

(26)Tout amour, page 350, Poésie la vie entière, Seghers, 1980

(27)Voir article de Joël Barreau dans la revue 303, publiée en 2011 par Luc Vidal (Les éditions du petit véhicule), page 133.

 


 

 

 

 

 

Tableau des musiciens et interprètes de Cadou

Eric Hollande, à l’occasion du 60ème anniversaire de la disparition du poète en 2011, avait établi un premier tableau à partir de ses investigations d’alors ; depuis plusieurs albums ont été produits et des enregistrements autoproduits ont été publiés sur Youtube. J’ai donc complété le travail d’Eric. Comme la poésie chantée ne fait l’objet d’aucune publicité côté busines, il est possible qu’il existe d’autres musiciens chanteurs dans nos provinces reculées qui se passionnent pour René Guy Cadou. 
Les chanteurs interprètes sont classés par ordre alphabétique.

 


 


1)Môrice Bénin (né en 1947) : après un 33 tour en 1988 où il chante trois poèmes de Cadou (A chaque vie, Dernier Communiqué et Louisfert), il consacrera deux albums au poète. Chants de solitude en 1985 qui obtiendra le prix de l’Académie Charles Cros, contient les titres suivants :


Chants de solitude

17 juin 1943

A cette heure dans le monde

Aller simple

Anthologie

Chant de solitude (Le)

Destin du poète

Fleur rouge (La)

Fusillés de Chateaubriant (Les)

Hélène

Homme (Un)

Je t'attendais ainsi qu'on attend

Lettre à des amis perdus

Lettre à l'enfant des neiges

Préface

Voyageuse (La)

 

Il poursuit ce travail en 1990 avec La cinquième Saison: Les poèmes sont soit chantés soit interprétés.

La Cinquième Saison

A chaque vie

Aventure marine (L')

Aventure n'attend pas le destin (L')

Bête humaine (La)

Cinquième saison (La)

Comme un fleuve

Enfant (L')

Enfant précoce (L')

Etrange douceur (L')

Il reste

Jardin de Grignon (Le)

Nocturne

Oiseau (L')

Pour plus tard

Prière d'insérer

Toi

Toujours

 

 

2)Martine Caplanne : originaire du Pays Basque, chante depuis les années 1970 les poètes et particulièrement René Guy Cadou : un 33 tour autoproduit en 1981 :

Chante René Guy Cadou

Alphabet de la mort

Amis sauvages

Chant du coq (Le)

Etrange douceur (L')

Fleur rouge (La)

Fortunes

Je t'attendais ainsi qu'on attend

Je te prendrai

Toujours

Voyageuse (La)

 

 

 

 

 

 

 

Un CD chez MSI en 2000 : Aller simple : les poèmes sont chantés le plus souvent ou interprétés sur une musique de l’auteur.

Chante Cadou, Aller simple

17 juin 1943

Aller simple

Alphabet de la Mort

Amis sauvages

Blues du mangeur de citron (Le)

Certains jours

Enfant du garde (L')

Etrange Douceur (L')

Femmes d'Ouessant

Fleur rouge (La)

Fortunes

Grand voyage (Le)

Il faisait froid comme aujourd'hui

Je te prendrai

Moineaux de l'an 1920

Nuit surtout (La)

Qui parle?

Solitude (La)

Temps perdu (Le)

Toi

Toujours

Vida soñada (La)

 

 

 

3)Paul Dirmeikis est un poète, chanteur, compositeur et peintre né en 1954 à Chicago. Il vit en Bretagne. Il produit 2 CD chez L’Eveilleur en 2008.

Entre parenthèses

17 juin 1943

Amour (L')

Automne

Aventure de nuit (L')

Aventure marine (L')

Barrière de l'octroi (La)

Belle étoile (La)

Chambre de la douleur

Cinquième saison (La)

Destin du poète

Etrange douceur (L')

Fleur rouge (La)

Hélène

Je t'attendais ainsi qu'on attend

Je te prendrai

Je voudrais, je ne pourrai pas…

Lettre à des amis perdus

Maison d'Hélène (La)

Maisons du destin (Les)

Mourir pour mourir

Paysage de mon amour

Personne au monde

Pour t'avoir, pour deviner

Refuge pour les oiseaux

Saison de Sainte-Reine (La)

seul jour suffirait (Un)

Si la neige du temps

Soirée de décembre (La)

Solitude (La)

Temps des villas vides (Le)

Toujours

 

4)Duguet, Robert (né en 1947), chante Cadou depuis 1967. 1 CD autoproduit en 2004 :

Chante René Guy Cadou

Alphabet de la mort

Amis d'enfance (Les)

Automne

Blanche école (La)

Celui qui entre par hasard

Chambre de la douleur

Chambre de veille

Chambre d'hiver

Chevaux de l'amour (Les)

Des œufs dans la haie (Avant-printemps)

Destin du poète

Femmes d'Ouessant

Ides de mars (Les)

Jardin de Grignon (Le)

Jeune homme à la médaille (Le)

Joie qui brille dans tes yeux (La)

Lettre à des amis perdus

Liberté couleur des feuilles

Louisfert

Mourir pour mourir

Pour un cheval

Sainte Reine de Bretagne

Saison de Sainte Reine (La)

 

 

 

 

 

 

Deux CD à l’occasion du 60ème anniversaire de la mort du poète en 2008 :

La cinquième saison

Alphabet de la mort

Amis d'enfance (Les)

Auberge des quatre routes (L')

Automne

Aventure marine (L')

Blanche école (La)

Celui qui entre par hasard

Chambre de la douleur

Chambre de veille

Chambre d'hiver

Chanson de la mort violente

Cinquième saison (La)

Des œufs dans la haie (Avant-printemps)

Destin du poète

Etrange douceur (L)

Femmes d'Ouessant

Fleur rouge (La)

Hélène

Ides de mars (Les)

Jardin de Grignon (Le)

Jeune homme à la médaille (Le)

Joie qui brille dans tes yeux (La)

Lettre à des amis perdus

Liberté couleur des feuilles

Louisfert

Mourir pour mourir

Pour un cheval

Printemps mène l'aventure (Le)

Sainte Reine de Bretagne

Saison de Sainte Reine (La)

Soirée de décembre (La)

 

5)Né à Oran en 1953, Philippe Forcioli a choisi la Provence comme terre d'adoption en 1968. Il consacre 2 CD à Cadou en 2016 (L'Estive). Les poèmes sont soit chantés, soit interprétés sur une musique de l’auteur.

Poète! René Guy Cadou

8 mai cette année (Le)

Adresse à Dieu

Air triste et connu

Air triste et connu

Après Dieu le déluge

Après Dieu le déluge

Art poétique

Auberge des quatre route (L')

Auberge des quatre routes (L')

Avec l'amour

Aventure n'attend pas le destin ( L')

Celui qui entre

C'est bien toi

Chant du coq (Le)

Compte d'auteur

Confession générale

Cornet d'adieu

Dernier communiqué

Destin du Poète

Dur à vivre

Ecrire mais vivre

Enfant du silence (L')

Etrange Douceur (L')

Fleur de l'Age (La)

Fleur de l'âge (La)

Fleur rouge ( La )

Fond de ciel

Je prétends à la Vie

Lettre à des amis perdus

Lettre à Hélène

Louisfert

Maison d'Hélène (La)

 

 

Suite Forcioli:

Moineaux de l'an 1920

Mon enfance est à tout le monde (extrait)

Nuit lorsque les femmes très pieuses (La)

Nuit surtout (La)

Poésie la Vie entière

Poésie la vie entière

Portrait fidèle (Le )

Portrait fidèle (Le)

Pour ma défense

Pour plus tard

Pourquoi n'allez vous pas à Paris

Prière d'insérer

Qui marche sur la mer

Refuge pour les oiseaux

Saint Antoine

Saint François

Saint Thomas

Saison de Sainte Reine

Saison du Cœur

Si mes yeux

Usage interne (extrait)

Vision distincte

 

6)Le Comédien Daniel Gélin (1921-2002) est le premier à produire un vinyle en 1957 : il y interprète de manière très sobre et émouvante les textes

Titre ou Incipit

Chant de solitude (Le)

Derrière les rideaux

Devant cet arbre immense

Homme au képi de garde-chasse (L')

Homme au képide garde-chasse (L')

Je t'attendais ainsi qu'on attend

Lettre à Pierre Yvernault

Pourquoi n'allez-vous pas à Paris?

Sans savoir que la nuit

Soirée de décembre (La)

Symphonie de printemps

 

 

 

 

 

 

7)Eric Hollande chante Cadou depuis 1970 : il produit un 33 tour en 1978 chez Oxygène

Chante René Guy cadou

Alphabet de la mort

Aventure marine (L')

Chambre de veille

Chevaux de l'amour (Les)

Comme un fleuve

Enfant du garde (L')

Etrange douceur (L')

Fleur rouge (La)

La Saison de Sainte Reine

Lettre à des amis perdus

Liberté couleur des feuilles

Sainte Reine de Bretagne

Terre natale

 

 

 

 

1 CD autoproduit en 1992

L’étrange Douceur

Amis d'enfance (Les)

Au pied du mur (extrait)

Automne

Bergère

Blanche école (La)

Blues du mangeur de citron (Le)

Chambre d'hiver

Enfant prodige (L')

Etrange douceur (L')

Fil à fil

Jardin de Grignon (Le)

Je voudrais, je ne pourrais pas

Lettre à des amis perdus

Liberté couleur des feuilles

Oh! Que tombe la neige

Paysage

Place Bretagne

Sainte Reine de Bretagne

Saison de Sainte Reine (La)

 

 

8)Manu Lann Huel, né en 1949, est un auteur-compositeur-interprète et poète breton, de langues bretonnes et françaises. Il met ses propres textes en musique, mais aussi ceux de René-Guy Cadou.

Chante René Guy Cadou

Aventure marine (L')

Bonjour Federico

Enfant prodige (L')

Envers du décor (L')

Femmes d'Ouessant

Fiançailles

Fleur rouge (La)

Idiot (L')

Je te prendrai

Je voudrais, je ne pourrais pas

Liberté couleur des feuilles

Mon Dieu cela m'arrive

Mourir pour mourir

Nuit surtout (La)

Pour t'avoir, pour deviner

Prière d'insérer

Visage ou paysage

 

9)Olivier Robard (né en 1978), musicien, vit à Sainte Reine de Bretagne, produit un album autoproduit en 2011

Les Gens de la Ville

Alphabet de la mort

Aventure n'attend pas le destin (L')

Blues du mangeur de citron (Le)

Bord sur bord

Chanson de la mort violente

Cinquième saison (La)

Homme mort

Jardin du juge

Liberté couleur des feuilles

Neige rouge (La)

Origine des saisons

Rideau

Toujours lui

Vie et son oreille grise (La)

 

 

 

 

10)Marc Robine est un journaliste, chanteur et musicien né en 1950 et décédé en 2003.

Robine chante Cadou

Aller simple

Alphabet de la mort

Chevaux de l'amour (Les)

Fleur rouge (La)

Maisons du destin (Les)

Temps des villas vides (Le)

Testament

 

 

 

 

 

11)Gilles Servat, né en 1945, produit un 33 tour d’Hommage chez Kalondour en 1981 sauf Liberté couleur des feuilles, Coop Breizh, en 2006.

Hommage à René Guy Cadou

Amis d'enfance (Les)

Amis sauvages

Automne

Aventure marine (L')

De leur vareuse de coton

Des œufs dans la haie (Avant-printemps)

Enfant du garde (L')

Fleur rouge (La)

Interdit aux nomades

Jeune homme à la médaille (Le)

Liberté couleur des feuilles

Neige rouge (La)

Oiseaux, balles perdues

Testament

 

 

12)Véronique Vella, comédienne née en 1964, chante et interprète Cadou en 1997 :

Chante René Guy Cadou

Aventure marine (L')

Bergère

Chanson de la mort violente

Chant de solitude (Le)

Cœur à flot (Le)

Dans les hommes du soir

Des œufs dans la haie (Avant-printemps)

Fleur rouge (La)

Lettre à des amis perdus

Liberté couleur des feuilles

Moineaux de l'an 1920

Mouvements respiratoires

Oiseaux, balles perdues

Refuge pour des oiseaux


Outre ces différents albums produits de 1957 à 2019, nous avons recensé 64 interprétations ou chansons dans d’autres albums de chanteurs ou interprétations dans des manifestations publiques sur René Guy Cadou.

Interprète

Titre ou Incipit

Support

Producteur

Date

Alvarez-Pereyre, Claude

Mime

33 T

RCA

1979

-

Chanson de la mort violente

33 T

RCA

1979

-

Saint François

33 T

RCA

1979

Arbatz, Michel

J'ai toujours habité

Youtube

-

2019

Aufaure, Claude

Hélène ou le règne végétal

CD

Sous la lime

2008

Baronnet, Brigitte

Jardin de Grignon (Le)

CD

Ass. Héol

1995

Beaucarne, Julos

Lettre à des amis perdus

CD

Socadisc

2003

Bernard, Michèle

Je t'attendais ainsi qu'on attend

Youtube

-

1997

-

Chambre d'hiver

CD

EPM

2004

-

Etrange douceur (L')

CD

EPM

1997

-

Automne

CD

EPM

2004

Bertin, Jacques

Je t'attendais ainsi qu'on attend

Youtube

-

2019

Bouzouki, Serge

Maison d'Hélène (La)

CD

EPM

2004

Cazala, Eve

Maison d'Hélène (La)

CD

Ed. de l'Epinette

2004

Cazala, Eve

Maison d'Hélène (La)

CD

Ed. de l'Epinette

2006

Chevrier, Jean

Beau voyage (Le)

33 T

Pacific

1957

Chœur à 3 voix

Des œufs dans la haie

Partition

A cœur joie

1988

-

Blues du mangeur de citron

Partition

A cœur joie

1988

Chorale de Lormont

Saisons du cœur

33 T

SG / Courant d'Art

?

-

Nuit de l'autre

33 T

SG / Courant d'Art

?

Daniel, Etienne

Si mes yeux si mes mains

partition

Caillard

1997

Derain, Catherine

Comme un fleuve

 

ORTF

1971

-

Chevaux de l'amour (Les)

 

ORTF

1971

-

Je t'attendais ainsi qu'on attend

 

ORTF

1971

-

Derrière les rideaux

 

ORTF

1971

Douai, Jacques

Fleur rouge (La)

33 T

BAM

1979

-

Trains de vie

33 T

BAM

1979

Ducos, Gérard

Auberge des quatre routes (L')

CD

Jolie môme

2003

Gambassi, Audrey / Mazari,  Lionel

Lettre à des amis perdus

Youtube

-

2019

Guétat, Roland

Hélène

Youtube

-

2019

Interprète féminin

Fusillés de Chateaubriant (Les)

K 7

Radio-France

1985

Lahaye, Roger

Toujours lui

CD

Autoproduit

1995

-

Place Bretagne

Youtube

-

2019

-

Coquelicot (Le)

CD

Autoproduit

2001

-

Voyageuse (La)

CD

Autoproduit

1995

-

Je t'attendais ainsi qu'on attend

CD

Autoproduit

1995

Lazaris, Jean

Fusillés de Chateaubriant (Les)

Youtube

-

2019

-

Chevaux de l'amour (Les)

Youtube

-

2019

-

Hélène ou le règne végétal

Youtube

-

2019

-

Chant de Solitude (Le)

Youtube

-

2019

Leuthereau, Bernard

Automne

CD

Académie Caen

?

Macho, Gaël

Champ libre

CD

EPM

2004

-

Chambre de la douleur

CD

EPM

2004

-

Comme un fleuve

CD

EPM

2004

-

Voyageuse (La)

CD

EPM

2004

Maîtrise de la Perverie

Feuillages

CD

Codaex

2009

-

Je prétends à la vie

CD

Codaex

2009

-

Hélène ou le règne végétal

CD

Codaex

2009

-

Printemps mène l'aventure (Le)

CD

Codaex

2009

Martin, Hélène

Anthologie

33 T

BAM

1961

Ménoret, Pierre

Hélène

CD

Savica

1997

Ogeret, Marc

Chanson de la mort violente

CD

Scalen

1990

Ollivier, James

Des œufs dans la haie (Avant-printemps)

33 T

Arc-en-ciel

1989

-

Automne

33 T

Arc-en-ciel

1985

-

Pourquoi n'allez-vous pas à Paris?

33 T

Arc-en-ciel

1979

Oudenot, Guy

Alphabet de la Mort

Youtube

-

2019

Petits chanteurs de Lyon

Automne

CD

A cœur joie

2005

Pradelles, Jean & Pierre

Qui marche sur la mer

 

Arc-en -ciel

1985

Reggiani, Serge

Je t'attendais ainsi qu'on attend

33 T

BAM

1960

Rongier, Max

Je t'attendais ainsi qu'on attend

CD

A.C.P.A.

1997

Rosaz, Jean

Liberté couleur des feuilles

Partition

 

2009

Rouquette, Alain

seul jour suffirait (Un)

CD

Eog prod.

1994

Salmon, Jean-François & Hélène

Rochefort-sur-Loire

Youtube

-

2019

Siva, Gilles

Fleur rouge (La)

Youtube

-

2019