Cahiers des poètes de l’École de Rochefort-sur-Loire N°15, Centenaire de la naissance de René Guy Cadou (1920-2020)
Numéro spécial centenaire...
JACQUEMIN Philippe. « De culture française et Breton par mes deux grand-mères, adhérent à l'Association des Bretons d'Anjou, auteur de 25 recueils malheureusement non publiés. La Bretagne est une obsession entre les mots et l'être. Après avoir lu des anciens, écouté de plus jeunes, après être né à leur écoute, à leur lecture, avoir écrit un recueil intitulé Il avait vu Kairouan, j'ai lu d'autres auteurs qui ont poursuivi l'œuvre des premiers, puis écrit un autre recueil En marchant sur la lande.» |
Chant II Par Philippe Jacquemin |
Il y aura toute une enfance et la maison,
Croisées d’amour et pomme rouge en la saison.
Il y aura des vacances et de la pluie,
Aussi un âtre avec l’hiver et de la suie.
Il y aura la mer et des châteaux de sable,
Une solitude, des panoplies minables.
Il y aura le printemps au clair d’une vie
Et des marchands forains faisant naître l’envie.
Il aura, plus loin, des visages défaits
Et des larmes, peut-être, dues à des méfaits.
Il y aura la sècheresse et les navires
Avec des champs de blé offerts aux vents qui virent.
Il y aura la haine, une vraie couverture
Et des portes d’écume au fond de la froidure.
Il y aura des mots, des mots durs, des mots doux,
Des trous noirs et les mots de René-Guy Cadou.
LE BOËL Jean. Animateur des Éditions Henry. A fondé et dirige Écrit(s) du Nord. Secrétaire du Pen Club français et de la Maison de Poésie de Paris. Une dizaine de romans ou récits, deux essais, sept livres de poésie. Bourse Poncetton 2009 de la SGDL pour Le paysage immobile. Quelques publications plus récentes : La Mère Patrie (Henry 2015), Et leurs bras frêles tordant le destin (Henry 2017), Jusqu'au jour (Henry 2020), Le Chiendents n°45 : Jean Le Boël ou la parole fraternelle lui est consacré. |
Cadou poète gauche… Par Jean Le Boel
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Cadou poète gauche
lampe obstinée dans des ténèbres
ta joie tes peurs me portent
ton enfance mon enfance
entre mer et terre
vivant splendide découvert dans un livre
où dansent les mots en pleine poitrine
j’avais trente ans
âge où tu mourus
ô mes amis mon présent d’alors
et le jeune homme pâle que nous étions
tôt dérobés si vite disparus
Cadou la boue de ton bocage buvait l’océan
chez toi respire ce qui s’est enfui
et ce qui sera peut-être
dans le regard des jeunes-filles
au creux de leur épaule
je suis en face de toi et la mort nous aime
Né le 10 août 1937 à Clermont-Ferrand, Jean-Pierre Gandebeuf a été journaliste en Rhône-Alpes avant de se consacrer à l’écriture poétique.
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Les Ombres chères poème de Jean-Pierre Gandebeuf
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« Nul n’est poète
« s’il ne connaît mille vers
faut-il marteler l’adage
avant d’accéder au jardin des roses
et remercier Saadi …
le bruit d’un livre
qui tombe à minuit sur la tranche
n’affectera pas le moral
de la bibliothèque
ni de son cavalier
empereur des moulins
journalier de la Manche
palefrenier à l’arrache …
Vous n’avez rien à déclarer René Guy Cadou ?
Si : une poésie de bêtes à rames et à plumes avec leur étoile prédestinée, une botte de jonquilles, deux brassées de chardons ardents, l’amitié de gens très bien, vous savez, ceux qu’on côtoie au coin d’une métairie, mêlés à la fraternité festive ou au cœur des villages et des cités urbaines car ce sont des âmes habitées…
A la bonne heure !
La complexité des autres
le poète habité de l’école de Rochefort
l’a perçue
dans une simple poignée de mains
conclue dans la prairie
à la volée
ou au bistro
au milieu de gesticulations désuètes
et si on tend l’oreille, il nous dit à peu près ceci …:
Camarade bâtisseur de phrases apaisées ou à l’emporte-pièce, sois sûr d’une chose :
L’originalité recherchée à tout prix n’est qu’un leurre dont on finit par se lasser.
Si tu veux capter le principe ultime, écoute l’oiseau, reste à distance. …
Observe les grenouilles. Elles fréquentent les collèges de roseaux en attendant l’ordinaire d’une chasse au plaisir. …
Et tout à coup
passe un modeste chariot sous un ciel nocturne
et la fermière si triste … si triste
non, ce n’est pas la grande ourse
elle a la gueule de bois
rentre des champs
et file aux cuisines
et la nuit dans l’histoire, que nous dit-elle, la nuit , sur René Guy Cadou ?
Bande d’ignorants
citez-moi un seul rêve
qui ne soit pas allé au bout de son désir
sans trembler
allez, je vous pardonne !
Alors , rassurez-moi, l’école de Rochefort ?
pas vraiment confrérie … plutôt « cour de récréation » ?
Juste Auguste !
Quand elles sont trop tendues
il arrive que les phrases se déplient
pour accueillir un rayon de soleil …
Ajoutons, pragmatiques :
Nos cheminements consternés dans l’amour
sont des douches froides
sur nos corps frottés avec des gants de crin
il faut savoir pactiser
avec tous les diables
Au bout du compte, le silence l’emporte toujours sur le logos.
Béatrice Machet est l’auteur de 14 recueils de poésie en Français et de trois en anglais ainsi que de nombreux livres d’artistes. Elle est aussi la traductrice de plus de trente auteurs contemporains Indiens d’Amérique du nord avec entre autres trois anthologies à son actif, et de nombreux dossiers sur la littérature des Indiens d’Amérique du nord (suivre le lien https://www.recoursaupoeme.fr/un-regard-sur-la-poesie-native-american- ). Elle est considérée comme une « spécialiste » de la littérature Amérindienne actuelle (donne des conférences à ce sujet). Fait partie du collectif de poésie sonore et performative Ecrits-studio (ecritsstudio.free.fr) D’autre part elle est réalisatrice et animatrice d’une émission de radio mensuelle consacrée à la poésie contemporaine (sur radio Agora à Grasse, Alpes-Maritimes, podcasts à télécharger : les mots d’azur). |
Des liens de par le monde Poème de Béatrice Machet poème hommage en forme de souvenir à l’occasion de l’anniversaire du centenaire de la naissance du poète René Guy Cadou
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un cadeau
à l’an neuf se voir offrir
René Guy
un cas doux en guise d’étrennes
l’impression reste forte mais le souvenir est fugace
au bout d’une table le parrain plein de tact
de l’autre une filleule
que la poésie enchantait
qui aurait pu le prédire
le livre et ses feuilles porteraient
des graines
dont une prendrait racine
un arbre intérieur sans cesse grandissant
la tiendrait
ni aulne ni chêne ni sorbier ni cèdre
ni acacia ni platane ni …
un peu d’eux tous
plus quelque chose du peuplier
répétant les rumeurs des vents
et le rire aubépine
ça parlerait ça parlait
ça parle
de vivre que l’amour prolonge
sous la forme du saule
ses pleurs en pluie pour rendre au sol
ce qu’il avait donné de vie
qui disaient il y a toujours
quelque chose
tu dois l’entendre
voler s’enfuir tomber
fruits légers tels akènes
ou bien noix ou châtaignes
toujours quelque chose
qui voyage immobile
doré comme un pollen
chaud comme un poème
Des poèmes de René Guy et Hélène Cadou traduits en espagnol, par Jeanne Marie Source : la revue Aurea 2019 de Miguel Losada Madrid.
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Bonjour Federico Federico je n'ai vu qu'une fois ton visage Dans le geste obstiné de l'homme qui regarde Dans l'éventail de fleurs qui cache dans ses rides Dans le ciel mesuré par un chant d'alouette Dans l'homme abandonné de l'homme par la crainte (Inédits)
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Hola Federico Federico he visto tu rostro solo una vez En el ademán obstinado del hombre que mira En el abanico de flores que esconde en sus arrugas En el cielo medido por un canto de alondra En el hombre abandonado del hombre por miedo |
Ô mes enfantsde tous les coins du monde Je voudrais vous prêter ma voix (dans Cantate des nuits intérieures)
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¡Oh! Mis niños de todos los confines del mundo Quisiera prestaros mi voz Hélène Cadou (1922-2014) extrait de Quince poetas franceses contemporaneos, anthologie bilingue de Jeanne Marie, publiée en décembre 2014 à Madrid, Editorial Libros del Aire. |
Un soir enfin Répondrez-vous à mon appel (dans Cantate des nuits intérieures) |
¿Contestarán a mi llamada |
Née à Paris en 1976. Poète et plasticienne, elle a créé les éditions de la Lune bleue (2010-2018) et organise à Port-Louis en Bretagne depuis 2015 le Festival Trouées poétiques. Prix Xavier Grall 2017. Ses dernières parutions : Entre l’herbe et son ombre (Henry, Prix Trouvères des Lycéens, 2014), Sur la trace du vent (Chiendents n°108, éditions du Petit Véhicule, 2016), Cicatrice de l’Avant-jour (Al Manar, 2018, Prix Saint Quentin-en-Yvelines des Collégiens lecteurs de poésie 2019), Sur les lèvres rouges des Saisons – Les métropolitains (unicité, 2019). |
Septembre, par Lydia Padellec
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Odeur des pluies de mon enfance
A chaque rentrée de classe
A chaque automne traversé
De ma vie d’adulte
Me revient ce poème
Comme un souvenir doux et sucré
Comme une rouge pomme à couteau.
Son école semble d’un autre temps
Et bien que je connusse
L’ardoise, la craie et le buvard,
Nous, les élèves des années 80,
Utilisions déjà le stylo bic
A quatre couleurs.
Hier la plume Sergent-Major
Aujourd’hui tablette et ordinateur,
Mais d’une génération à l’autre
Nos jeux se ressemblent
- Billes, marelle, épervier –
Le vent souffle sous le préau
Balaye toujours les feuilles mortes.
De la fenêtre entrouverte,
De sa voix claire et timide
Une fillette dit sa récitation
Sans savoir que
Trente ans plus tard
Elle écrira ce poème
En hommage
A René Guy Cadou.
Poète, nouvelliste et romancière. Elle a obtenu le grand Prix de Poésie de Béziers pour La dernière des Bédouines (2006), et le prix des Écrivains Méditerranéens pour Elle et moi, La Baleine (2004). Elle a bénéficié de bourses CNL et de la Région Languedoc-Roussillon, et a publié aux Éditions Souffles, Gros Textes, et Petit Pavé (Se battre est un acte de douceur, 2016), ainsi que dans une vingtaine de revues. En possession d’un Master 1 de rédacteur professionnel et d’un D.U. de formatrice en ateliers d’écriture (Université d’Aix-en-Provence), elle mène par ailleurs une activité de conférencière. |
Ta chambre, par Ghislaine Le Dizès
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Ta chambre ouverte aujourd’hui
À ceux qui passent
Aux mille livres
Ta chambre d’amour secrète avant
Avec Hélène
Velours cerise
Et l’écriture silence girafe au ciel
Ta chambre et sa fenêtre clarine
Pelage d’oiseaux
Reflet du dire
Verdeur de l’arbre avant la cendre
Alors insoupçonnable inatteignable.
Semelles d’empreintes
De crêpe et de sillons
Elastique ocre beige
Humus au limpide hiéroglyphe
Toi qui écris dans la clarté
Ces pas sur la terre mouillée foulée
Ces pas sur le parquet de ta chambre
Aujourd’hui
Par tous ceux qui te foulent d’amour.
Raisin d’or raison d’or
Et le suc du texte et de la phrase
Toi qui ne laissas pas de traces
Dans l’ADN meurtri
À la base de ton génome
Ces petites aumônières scarifiées
Déniées te tirant peu à peu vers l’autre rive
Mais tous les germes toutes les graines
L’amande tendre de tes noyaux
Par ailleurs
Dans le flux tu nous délivres.
Né en 1977 à Saint-Malo où je vis, j'écris des textes poétiques depuis vingt ans. Si j'essaie de définir le sens de ma démarche, je dirai que c'est l'exploration de mes paysages intérieurs, en cherchant dans les mots cet accord fragile entre la voix qui m'habite et la parole dite et arrêtée, le fugitif du temps et l'utile des solitudes. Recueils déjà parus : Exil intérieur- Editions Encres Vives Poèmes publiés dans diverses revues comme Hopala, Décharge, |
Hommage à René Guy Cadou Comme l’heure vient, par Erwan Gourmelen
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Je regarde par la fenêtre
le soleil endormi.
Parfois un oiseau s'envole
dans les cimes.
Une touche bleue du ciel
mord la tôle de la grange.
Le ruisseau coule
entre les saules.
Derrière le mur,
des masses d'ombre
jouent seules.
L'heure passe,
quelques pas encore
et le soleil dans la pièce.
On entend mourir
la musique à l'étage,
la lumière s'échoue
jusqu'au fond de la cour.
Encore loin du village.
Un bois se cache
des talus ravagés
aux ombres qui composent
l'espace du soleil.
Le mouvement de l'eau
hante les herbes du marais.
D'autres visages dans l'été
Peut-être la nuit du décor.
De grands arbres dominent l'air,
tout semble brûler,
un goût de feuilles sèches,
la terre craque et se fend,
Le paysage s'anime.
L'horizon
comme une longue crête noire
aux limites du monde.
Là-bas le ciel tâché
des maisons s'étalent.
On passe dans la rue
L'ennui d'un enfant
derrière le volet clos.
J'entends le murmure
de l'eau qui s'écoule.
Les choses s'étonnent,
on abandonne l'horizon,
les portes vides.
Soleil avide des toits,
le silence alentour.
Un souffle d’air entre les pierres…
déjà la brise touche le cœur.
L'automne berce
les herbes folles
au milieu du parterre.
Au-dessus de moi
des grains de pluie.
J'ai gardé les mots
de mon enfance
au bord du chemin.
Les arbres broient le silence,
un âtre au creux
des villages scintille
les visages
du soir tranquilles.
En 1985, Pierre Perrin publie Manque à vivre, 256 pages, postfacé par Yves Martin. Après La Vie crépusculaire, Cheyne, prix Kowalski 1996, il publie des notes dans La Nouvelle Revue française. Le Cri retenu [Cherche Midi, 2001] explore l’existence d’une mère. Depuis 2015, Pierre Perrin publie de nouvelles notes critiques, ainsi que la revue Possibles, format mensuel en ligne désormais. Son roman, Le Modèle oublié, révèle les amours cachées de Courbet, chez Robert Laffont, 2019. Son site approche les mille pages : http://perrin.chassagne.free. | Un bruissement d’eau claire sur les cailloux A Jean Yves Debreuille |
À fixer les mimosas sous sa lampe, ses dons de Niagara lui avaient fait saisir l’amour de biais, le temps d’une seconde et d’une éternité.
Pour Hélène apparue sur le quai de la gare, il avait chanté la double pêche de ses seins. La passion à peu près seule mesure les précipices.
Pour atteindre à tâtons la margelle de soi-même et prolonger un peu le souvenir, chaque poème est un rapide qu’on remonte.
À franchir la barrière de l’octroi, un faisceau grandit le moindre de ses vers. Plus que jamais il lève la terre, où fleurit l’œuvre trémière.
Pierre Perrin, inédit de 2002, [Des jours de pleine terre, en préparation]
Patrick Arduen est un poète breton né en 1951 à Saint-Nicolas-de-Redon. Après avoir été formaté dans une école de commerce, il s’est révélé poète pour tenter de concilier une approche sensible du monde et les contraintes d’un métier de vendeur, puis d’enseignant d’économie et de gestion |
Le joueur de boitarêve, par Patrick Arduen source: « L’Humanitaire »
A René Guy CADOU
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Je rêve d'avoir été instituteur
Nommé dans un village au nom qui chante,
Sainte-Reine de Bretagne par exemple,
Adossé à la rumeur des matins
Nommé dans un village au nom qui chante,
Je rêve du brouhaha de ces enfants
Adossé à la rumeur des matins
Surexcités malgré le vague à l'âme
Je rêve du brouhaha de ces enfants
Surgis chacun d'une boîte à musique,
Surexcités malgré le vague à l’âme
D'un goût de pain d'épices abandonné
Surgis chacun d'une boîte à musique,
J'aurais aimé qu'ils sachent distinguer
D'un goût de pain d'épices abandonné
Des bien nourris l'effarant privilège ...
J'aurais aimé qu'ils sachent distinguer
Le cri du cœur et l'alphabet du sang
Des bien nourris l'effarant privilège,
Le ravage d'une caresse contre l'or
Le cri du cœur et l'alphabet du sang
Aux effrontés sans merci ni chaleur
Le ravage d'une caresse contre l'or,
Voici ma main, dansons la capucine
Aux effrontés sans merci ni chaleur,
J'aurais aimé dire un conte de fées :
Voici ma main, dansons la capucine
A l'abri des tilleuls d'un doux village
J'aurais aimé dire un conte de fées,
Je rêve d'avoir été instituteur
A l'abri des tilleuls d'un doux village,
Sainte-Reine de Bretagne par exemple ...
***
Je rêve d'avoir été instituteur
J'aurais aimé dire un conte de fées,
A l'abri des tilleuls d'un doux village
Voici ma main, dansons la capucine
J'aurais aimé dire un conte de fées :
Aux effrontés sans merci ni chaleur,
Voici ma main, dansons la capucine
Le ravage d'une caresse contre l'or
Aux effrontés sans merci ni chaleur
Le cri du cœur et l'alphabet du sang
Les ravages d'une caresse contre l'or
Des bien nourris l'effarant privilège
Le cri du cœur et l'alphabet du sang
J'aurais aimé qu'ils sachent distinguer
Des bien nourris l'effarant privilège
D'un goût de pain d'épices abandonné
J'aurais aimé qu'ils sachent distinguer
Surgis chacun d'une boîte à musique,
D'un goût de pain d'épices abandonné
Surexcités malgré le vague à l'âme
Surgis chacun d'une boîte à musique
Je rêve du brouhaha de ces enfants
Surexcités malgré le vague à l'âme
Adossé à la rumeur des matins
Je rêve du brouhaha de ces enfants
Nommé dans un village au nom qui chante
Adossé à la rumeur des matins
Sainte-Reine de Bretagne par exemple ...
Nommé dans un village au nom qui chante,
Je rêve d'avoir été instituteur
Sainte-Reine de Bretagne par exemple,
A l'abri des tilleuls d'un doux village.
NB : Ce chant est inspiré par le « Pantoum » : forme poétique importée (chant malais) par Hugo et Gautier, et comportant des strophes de quatre vers à rimes croisées (Universalis.fr)
Claire Raphaël est née en 1970 à Meudon d’un père arménien et d’une mère française. Passionnée de littérature, de poésie et de prose, elle écrit depuis l’âge de dix-huit ans mais choisit d’exercer un métier technique et scientifique : elle est ingénieur au sein de la Police Nationale.
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Pour René Guy Cadou, par Claire Raphaël
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L’aventure humaine
commence au terroir de la Grande Brière
où l’eau n’a pas cessé d’épouser la patience
d’un paysage ouvert aux gorges des oiseaux.
L’enfance a réuni
les sentiments et la beauté
pour que le soleil soit espoir de vérité
l’école est la maison
où les rituels sont paternels
afin que l’ordre impose sa loi symbolique
et la mort d’une mère est l’affront contre lequel on ne peut rien
pour que l’impuissance devienne la raison d’une douceur qui ne se départira pas de ses rêves lyriques.
La poésie redresse l’ambition
d’un jeune homme qui n’a pas renié
le temps simple d’une discipline bien apprise,
il ne faut pas attendre de vivre pour dire les mouvements d’une nature reliant le monde à sa source vive.
La guerre est une débâcle aussi cruelle que le râle des fusillés,
l’amour est la raison d’un dialogue où les mots sont choisis comme des bijoux calmes.
Le lyrisme nait de la simplicité d’un regard qui se pose avec légèreté
sur tout ce qu’on ne jugera pas
pour rendre à chaque chose son pouvoir de libérer des émotions vierges
les mots sont assez simples pour dire la vérité d’une liberté qu’on a choisie
les mots sont assez forts pour relier le verbe et l’adjectif
pour dire l’action d’un homme au cœur d’une nature surabondante
pour dire les sentiments qui feront des gestes tendres.
La simplicité ouvre ses accords lents à une voix plus réelle
que les plaintes et les cris d’un peuple confit d’orgueil
ne jamais s’expliquer
tout est dit et le mal est fait
ne jamais revendiquer
les mondes précieux ont tué la fraternité
il fallait s'isoler au lieu d’une solitude choisie pour la profondeur de son humanité
et regarder le monde en sachant ce qu’il en est
de la force d’une réalité écartelée entre l’amour et le remords
quand la violence a tout détruit sauf ce qui sera relevé.
Il faut savoir rester au plus près
des amitiés construites comme des promesses
dont on connaît la valeur et la fragilité
et la poésie se partage entre ces hommes qui restent
à la limite d’un monde oublié par les nantis
et dont l’œuvre a permis de vivre
dans le doute sans rien regretter
jusqu’à ce que la maladie vienne imposer son horloge
et le temps qui vient sera celui d’héritiers plus nombreux que des disciples
dont la fidélité est offerte à ceux qui n’ont pas peur de se noyer dans la blancheur d’un verbe expressif.
Les ateliers d'écriture du groupe Encre (photo Ouest France) |
Atelier d’écriture sur René Guy Cadou, par Revue Encre n°11, déc.1991, par André Martin
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Monsieur Vidal,
Je réponds à votre appel concernant le Centenaire de René-Guy Cadou.
Une petite explication sur les 2 poèmes que je vous envoie.
Le premier, intitulé Que sont nos amis devenus, fut écrit à partir des notes que je pris lors d'un colloque sur l'école de Rochefort qui eut lieu à Rochefort même
à l'automne 1987 ou 1988... Je ne sais plus très bien.
Participaient à cette rencontre Jean Bouhier et Serge Wellens, entre autres... J'eus l'occasion de dire ce poème en public à un Marché de la poésie de Rochefort,
quelques années après, et plus récemment à St Aubin de Luigné pour l'inauguration d'une médiathèque de la communauté de communes.
L'idée était de présenter notre poésie, en particulier celle de l'association Encre dont je suis le président, dans la lignée de ces "frères aînés".
Le second, issu d'un atelier d'écriture de notre association, est un poème d'imitation du célèbre écrit de René-Guy Cadou, Automne, dans une tonalité différente.
Vous en souhaitant bonne lecture, dans l'espoir qu'ils entrent dans ce que vous attendez,
je vous prie d'agréer l'expression de mes cordiales salutations.
D’un atelier d’écriture sur René-Guy Cadou
Avec le groupe ENCRE, 3 rue François Cevert – 49000 - Angers
Automne
Les feuilles du tilleul jaunissent
Dernier pique-nique ; il fait frais !
Nous cultivons le souvenir
Déjà, de l’été qui s’enfuit
Butine ses dernières fleurs…
Il faut retrouver le foyer
Après tout le temps dehors, las !
Regretter de baisser le store
Claquer sa porte au visiteur
Si tôt ! La nuit frappe au carreau
Ô temps, il est temps de rentrer
Et de se rassembler au chaud !
Laisse donc le grand vent souffler
Garde mon âme contre toi
Serrée. Attendons les gelées !
26.IX.2015
Martin-André
Aux poètes de l’école de Rochefort
Que sont nos amis devenus ?
A vingt ans
Ils prirent des poètes le chemin de l’école
Sans Dieu ni maître, que l’amitié, et…
La bouteille de Chaume couleur de paille
Leur porte ouverte sur le monde
Où l’orage gronde partout, mais loin de là
Les gens sont verts de peur – et certains, verts de gris –
Ou noirs de suie – ou rouge sang
Aux Amis Réunis
Les poètes écrivent à l’encre du temps
Des cahiers buissonniers
Et quand ils n’écrivent pas, facétieux,
Peignent au bleu de méthylène
Les yeux des demoiselles
Qu’ils s’entre lisent, bêtisent, s’enivrent
Au café à la pharmacie
Leur musique de vers
En robe des champs un brin troussée
Dans le foin de l'éteule
Avec Bouhier, Cadou, Manoll et Bérimont
Part pour Paris au train de Rochefort.
Aujourd’hui c’est l’automne
Le Chaume prend aux adieux la couleur des feuilles
Aux Amis Réunis
Comme à la pharmacie
Reste sur les verres l’empreinte de leurs doigts
Et le vent souffle aux amis clairsemés.
Martin-André
Poéte animé par l’instant présent et les belles valeurs qui élèvent le cœur et l’âme. Il aime à dire Que la poésie demeure. Sa poésie se retrouve dans ses dessins, ses photographies et ses chansons. Sa rencontre avec Yves Broussard est un tournant dans sa vie de poète… Publications : Ici et là farandole la vie (Préface d’Yves Broussard) - Quelle heure est-on (Préface de Téric Boucebci) – La Petite Édition, 2011 et 2013 - Le jour par la main (Préface de Marilyse Leroux) – Éditions Donner à Voir, 2018 - Le temps escorté – L’amour a ton visage – La terre d’ici – Ne me dis pas – Entre silence et solitude chez Book Edition, 2018 Contact : jcpaillet9@gmail.com |
A René Guy Cadou, par Jean Charles Paillet
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À René Guy Cadou
poète lucide
Derrière un visage
quelles vérités
pour un autre visage
De quelles lèvres les mots
de quelle oreille l’écoute
de quel regard l’approche
Comment distancier cet essaim
dans lequel nous sommes
si ce n’est de vivre les gestes
et de les éprouver
Dans l’effervescence du monde
***
À René Guy Cadou
poète engagé
Le vent emporte
ce qu’il reste de mots
Lèvres asséchées résignées
pour combien de temps
La parole doit se lever
encore et encore
Sa flamme monter au ciel
et dans le voyage
mesurer l’avancée
D’un pays à un autre
***
À René Guy Cadou
poète fraternel
Parce qu’un visage
parce qu’un sourire
la main d’un enfant
à tenir
Le souffle entre les branches
doit faire danser les feuilles
À René Guy Cadou
poète amoureux
Entre la nuit et le silence
paupières fermées
Je voisine avec les arbres
je parcours la terre
je traverse les mers
je saute d’étoile en étoile
je porte si près le rêve
Mes chemins sont d’amour
J’en connais les visages
***
À René Guy Cadou
poète combatif
La chair même
du silence et de la paix
est sans cesse martyrisée
par les cris de l’injustice
le tranchant du silex
à l’avant des fous
La lutte est inévitable
pour élargir un ciel bleu souverain
faire lever l’herbe sous les semelles
habiter un espace de lumière
La source pure plongée dans l’oubli
doit rejaillir et retrouver sa juste place
dans le fracas du monde
***
À René Guy Cadou
toujours présent
Naissance entre les branches
d’une lumière ambrée
un ange tel un phare
veille sur les pas à venir
Le chemin qui se fait
se défait sans cesse
nous donne visage
Et nos corps balancés
comme une tige fragile
soumise au vent
éprouvent la distance à franchir
d’une berge à une autre
pour habiter le rêve
Sous les arbustes, à la naissance des sources,
Sur les brunes ondes d’une rivière en crue brisant les peupliers
Ou l’impétuosité des torrents qui malmènent les bois flottés,
Dans les trop paisibles flots cachant des abîmes noirs,
Et sur lesquels attend la brindille solitaire,
Dans les eaux sombres des bras morts envahis de vie végétale,
Dans les estuaires où circulent les navires aux cordages de lyre,
Ils répondent à un souvenir de l’avenir
Et se cherchent au bord du ciel humide et ligneux.
La mémoire du seul possible
Se manifeste sous les feuilles d’automne
Au lent marcheur qui regarde au loin
La mer aux formes indécises...
Elle écoute les coquillages noirs
Qui lui prédisent un communiquant silence
De l’homme avec qui
Elle formera un arbre nécessaire et impossible,
Dont elle en sera les racines et les branches,
Et lui, la sève fulgurante,
Son âme en aubier et sa mort en écorce.
Avec les invisibles antennes des frondaisons
Ils capteront l’indicible fluide poétique.
Elle est celle qui espère celui qui l’attend
Plus que toute nourriture terrestre,
Qui créera celui qui l’inventera ;
Le visage du ciel au -dessus de la lumière
Des matins de neige ocellée de cristaux de glace
Près des feuillus et conifères d’un lieu du fer,
Celle qui restera en compagnie
Des poissons volants immatériels
Dans la bruine et le vent froid
Qui brûlent les herbes pourpres et bleues.
Ils deviendront deux êtres nichés
Dans deux différentes temporalités
Et pourtant dans l’espace d’une même vérité :
Deux vitesses différentes d’un unique élan vers la canopée.
Elle demeurera d’abord dans la durée du feuillage mnémonique,
Lui vivra dans l’instant du jaillissement fatal,
À travers les voiles de l’ombre xylophage et desséchante
Trop tôt arrivée, mais indéniablement en retard et perdante.
Elle habitera dans le rêve d’une parole ensoleillée
Sous la molle pluie de Bretagne,
Cette eau des étoiles,
L’odeur des lys et les russules ruisselants
Aux abords des sylves enchantées.
Elle le rejoindra dans le nid créatif qu’il aura quitté,
Et sa force s’écoulera pour deux.
Elle sera la voie de leur voix.
Lorsque lui, demeurera
Dans sa forêt d’enfants, de poètes et de chimères.
Ces deux barques errantes aux planches magiques
Doivent se trouver pour naître,
Vivre la fusion rapide et lente
D’une unique union,
Se séparer et se rejoindre
Derrière les murs d’une existence à demi-antérieure,
Puis renaître dans un lointain hors l’univers,
Duramen imputrescible,
Pour marcher vers d’autres écumes imaginaires,
S’aimer et se recréer ensemble.
Nul ne pourra jamais abattre leur chant,
Et les empêcher d’irriguer le monde.
PADIOLEAU Jean-Claude. Une carrière entière au sein d'une entreprise privée assurant un service public ne le destinait pas à faire œuvre de poésie voire de littérature. Mais... |
Pourquoi Cadou ? par JC Padioleau |
Cadou, je l’ai découvert par hasard. Dans mon domaine de prédilection, la littérature, je vais à la rencontre des écrivains originaires de ma région proche, je fais du local. En termes de romancier, de poète, d’essayiste… Le besoin de découvrir ce que des gens près de moi écrivent.
C’est ainsi que j’ai découvert le nom de Cadou, puis de Gracq, puis de Rouaud. Ce qui n’est pas rien. Et il y en a d’autres.
Cela m’a conduit, bien évidemment, sur la piste des ouvrages de Cadou disponibles en librairie. Je me suis de la sorte procuré « Hélène ou le règne végétal », paru chez Seghers. Cela fait longtemps, maintenant, l’ouvrage en question a été imprimé en 1966. Il ne m’a jamais quitté, je le tiens en main en écrivant cela.
La magie opère toujours.
Je l’ai lu, relu, je me suis récité des poèmes pour en savourer le corps et l’esprit. Comme un bon vin.
Puis, j’ai élargi le champ de la découverte, et ce fut, là, l’œuvre entière : « Poésie, la vie entière ». Les œuvres complètes.
J’ai découvert le poète et ses éclairs poétiques. Les vibrations de l’âme et du cœur. J’ai parcouru avec lui les avenues de la vie, la sienne et celles des autres, j’ai chanté (en sourdine) les chansons que les compagnons de l’Ecole avaient appris autour des couleurs de Rochefort. J’ai découvert une nouvelle géographie de la poésie.
J’ai appris, moi aussi, des mots qui frappent au cœur, avec le sang de l’amitié, le sang de l’amour. Des mots qui chantent dans les vers sans rimes mais avec une folle raison.
Je m’appuie à l’épaule immense qui traverse l’œuvre, celle qui soutient, qui soulage, qui console, qui appelle, qui repousse, qui ouvre…
Je serre la main qui passe le sang de l’une à l’autre, amie, transfusion poétique de haut bord.
De ce haut bord qui longe les marées océaniques, des algues à la paille, des mouettes aux pigeons, de la vague marine au sillon paysan. Sans accroc entre deux mondes qui lui ont façonné le poème de la vie.
Sans cesse, d’une rive à l’autre, de la classe en chambre d’écriture qui regarde la ruée des saisons sur les blés de la terre. Fruits d’or.
Je regarde la plume sur le papier en fusion, qui trace des heures de rêve et d’âme ardente.
Et les mains encore, qui ouvrent des portes aimantes, qui caressent des visages clairs, qui forment des sourires sur la face adoucie de la compagne éternelle.
Et le Christ dans tout cela, régulièrement appelé dans l’œuvre ? Est-il accroché au mur ? Est-il un élément du décor ? Peu importe, Cadou écrit des vers vertueux sans vertu, des vers christiques sans foi, des vers d’homme avec cœur et âme.
J’ouvre à nouveau « Hélène ou le règne végétal », à la page où fleurit la dédicace d’Hélène, et cela comble l’instant présent d’une vie lumineuse.
Cadou
Tu évoques le lierre
Pour fixer ton amour
Liane distendue accrochée
Dans la ligne des mots
Pose-toi la question
Poète circonspect
Quelle plante pour mesurer
La grandeur d’un regard
La rigueur d’un cœur
Et la chaleur du sang
Cadou
Dis
Ce lierre sur le corps de ton amour
Regarde alors les façades
Les demeures grises
Disparues sous la liane
Distordue
Cadou
Je veux croire encore
A l’amour
De ta sœur en poésie
***
Cadou
Enfant du fleuve
Jouit de l’osier des bras
De sa muse transparente
Dis-moi poète
Les flots qui te portent
Courent bien à l’horizon
Des mots que tu formes
Et dans ces vers
Qui blanchissent la feuille
Vois-tu bien l’ossature
De tes rêves extrêmes
Et dans le regard
Que tu portes sur l’onde
Des jours qui te sont comptés
Vois-tu la couleur
D’un autre monde
L’ancien avenir
***
Cadou
Ecoute bien la frêle litanie
Du sang dans les veines de l’aube
Regarde bien le parcours mince
De la sève dans le bois ligneux
Laisse les éclats de la pierre bleue
Que tu dis marquer le chemin inconnu
Caresse lentement la peau donnée
A la forme de tes rêves
Je dépouille alors avec toi les saisons
De leurs feuilles murmurantes
Pour poser une oreille éperdue
Sur le tambour de la vie
***
Cadou
Dis
L’éclat d’or que tu marques
Dans le bleu du soleil
Dis est-il la résurgence
De l’ombre de ton âme
Je vois l’écrin des mains
Pour une obole sereine
La source des vies anciennes
Dans la cascade des doigts amis
Cette ombre d’âme
En voyage dans la coutume
De ton être
Avance dans la pluie des doigts
Soleil posé sur l’épaule
Attentive
***
Cadou
Tu marches dans la lumière
Et le gel de ces matins
Trop bas sur l’horizon
Pour porter un prochain sourire
Regarde dans le lointain
De ta chambre
Les couleurs du monde
Dessinent un visage de vie
Tu rêves
Alors
Les marais blancs
S’illuminent au vent de l’Océan
Alors
L’oiseau de vingt ans
Sillonne la page blanche
Alors
La lumière ailée
S’invite au creux du poème
***
Cadou
Entre tes bras sauvages
La plus belle fleur
De ce règne
Qui te saigne le cœur
Rose éternelle sans éternité
Je foule avec toi
La steppe des morts
Où tu plantes les mots
Qui te donnent vie
Pour une âme neuve
Siècle infini
Instant fugace
Le sang nouveau
Coule dans le cercle de tes bras sauvages
Toujours ouverts pour
La flamme étoile
La femme sans voile qui te forme
L’univers dans une seconde
***
Cadou
Les trous noirs dans les ailes
Ouvrent bien l’espace
A l’ennui de la solitude
Il est tôt encore
Six heures trente et une
Cadou
L’heure noire ici
Cloue les ailes dans une retraite
De feu pâle
L’éclat d’une cloche lointaine
Pointe l’ordre du jour
C’était cela
L’appel qui te clouait
Au bord de ton attente
Les épaules amies
Les mains du silence
Et le rire toujours dans l’orbe
Du souvenir
Ici le trou noir laisse filer
La lueur d’une aile d’ange
Poète tu chantes
***
Cadou
Comme une odeur d’école
Dans la fleur des marais
Sur le dos du vent
Les pétales d’écume
Cadou
J’imagine tes regards bleus
Avec une flamme de nouvelle apparence
Tu viens me dire
Les mots du poème
Qui te griffent le cœur
Dans la brassée du vent
Ouvre tes mains
Les mouettes sauront reconnaître
La clarté
De ton cœur
***
Cadou
J’ai goûté le vin noir
Que tu as connu
Il avait une odeur étrange
Comme d’une cendre ancienne
Cadou
Le breuvage des jours
Coule dans les veines
De tes paysages d’eau
Et de soleil
Mélange fantastique
Et ce vin noir
Dit l’oubli dans l’ombre
Des portes anciennes
Sur des fantômes
De canaux dans les brières
Murmurantes
Jamais loin
Toujours là
Images et mots
Liqueur du poème
***
Cadou
J’habite avec toi
La toile bise de la Cité
Pendue aux rives du fleuve
A la courbe de Trentemoult
La couleur de l’Océan
Qui monte avec le vent
Et chante la vague blanche
Avec elle la houle des toits
Au bord de l’horizon
La ville fume
Et tu grattes la vitre
De ta chambre de veille
Là-bas des fantômes
Avancent dans les rues
Sombres encore
Des brancardiers sans doute
Porteurs de l’aube future
J’ouvre avec toi la fenêtre vive
Qui donnera l’air à vivre
Cadou
Ce sera un poème serein
Yves Maurice est né à Guérande. |
Mon école, par Yves Maurice
|
Je n’ai pas oublié cette école sans âge Une cloche au sommet de l’église rythmait Le poêle à fuel ronflait tout au bout de l’estrade Au mur le tableau vert de craie calligraphié Ces vieux murs salpêtrés reviennent chaque nuit Le poème des odeurs des pluies de l’automne |
2018 |
Née à Vannes en 1958, elle a construit sa vie autour de la poésie. Ses écrits ont été tôt remarqués par C. Le Quintrec, A. Lhéritier, H. Queffélec, P. Béarn, G. Baudry... Le recueil Un ange à la fenêtre reçoit le prix Charles Vildrac en 1988 (présentation faite à la S.G.D.L. par Jean Rousselot). |
J'allais à cloche-cœur..., par Christine Guénantes
|
J'allais à cloche-cœur
Vers ma prison d'école
J'étais comme un pantin
Et tout un tintamarre
Cognait à l'intérieur.
Enfant déjà perdue,
Rejetée, égarée,
René Guy était mort
Moi je n'étais pas née.
Où sont les pauvres corps
Qui nous ont enfantés ?
Donnez, donnez-moi de quoi lire,
De quoi ouvrir mes bras,
René, mon père en poésie.
Je n'ai que la lueur,
La lumière des pommes
Je ne sais pas apprendre
Et les autres se moquent
De mon jardin rêvé.
J'allais à cloche-cœur
Vers ma prison d'école,
Je sautais à la corde
Et de la terre au ciel,
J'imaginais un monde
De vergers et de fleurs,
Louisfert en féérie.
Extrait de Sel et ciel des mots aux marais salants
2009/2015, Des Sources et des Livres.
Né le 3 janvier 1955 à Saint-Michel-Chef-Chef (44) Poésie : |
René tu es toujours ce feu vivant, par Jean Noël Guéno
|
René,
tu es toujours ce feu vivant
qui donne au corps
la force d’avancer
vers l’horizon qui tremble
dans la lourdeur des terres
Tes mots
filtrent sous les portes
des cellules quotidiennes
quand tinte le verre fêlé
des détresses
Ils frappent
aux volets des villas vides
et ouvrent dans l’hiver
un refuge
aux oiseaux de passage
Tu serres Hélène
contre ton cœur
et ton rire
brise net
les cristaux du gel.
Ton rire
gagné sur ton enfance
trop tôt muette
nous est braise tremblante
dans la nuit d’ouest.
BARREAU Joël. A enseigné les lettres classiques au lycée Clémenceau, à Nantes. Il est membre du Comité d'histoire du lycée. Il préside le Centre de documentation René-Guy-Cadou. |
Les derniers moments de René Guy Cadou, par Joël Barreau |
L'été 1946, René Guy Cadou et Hélène, qui se sont mariés en avril, passent leurs vacances, leurs premières vacances, dans le Cantal. Lui a vingt-six ans, elle vingt-quatre, ils sont jeunes, ils ont mille projets en tête, ils sont heureux...C'est alors qu'apparut le premier symptôme du cancer qui, cinq ans plus tard, devait provoquer la mort de René Guy Cadou, symptôme dont ni lui, ni Hélène ne mesurèrent alors la gravité, comme en témoigne le récit qu'en fait Hélène, bien des années plus tard, dans son poignant livre de souvenirs C'était hier et c 'est demain.
« Vers la fin des vacances, quand ta hâte de rentrer se faisait plus grande, tu fus surpris par un singulier malaise.
Je te revois encore, si joyeux, si vivant, le long du torrent où tu t 'avances d'une démarche hésitante mais confiante. Soudain, c 'est le voile noir de la première alerte. Toi, repoussant déjà de toutes tes forces la pensée de la maladie.
Nous rentrons à Louisfert avec I ‘été finissant. Tout va bien de nouveau et je m'efforce de ne plus penser à cette fêlure en toi qui est possible, à cette singulière atteinte demeurée inexpliquée. »1
Une rechute, en automne, fait entrevoir à Hélène la gravité du mal. Mais les médecins n'y croient pas, sans jamais toutefois parvenir à la rassurer complètement. Plus tard, elle se reprochera de n'avoir pas su les convaincre à temps : « Je n 'en ai pas voulu aux médecins de n 'avoir pas osé m 'entendre, de ne pas avoir compris combien étaient lucides mes pressentiments. Je m 'en veux seulement à moi-même de n 'avoir pas su être plus convaincante, de n'avoir pas trouvé les mots qui eussent persuadé » Lorsque finalement, en janvier 1950, a lieu une intervention chirurgicale, à l'hôpital de Chateaubriant, la biopsie est sans appel : c'est bien d'un cancer qu'il s'agit :
« Comment oublier ce matin de janvier 1950, en ce Châteaubriant, où la vérité choisit de m 'apparaître comme d'une déchirure soudaine dans le temps ?
Par un matin humide et tiède, à travers le jardin de l'hôpital, je gagne le bâtiment trop neuf où tu te remets lentement d'une première intervention. La porte d'entrée vivement poussée, je vais m 'engager dans l'escalier lorsqu'une infirmière m 'interpelle. Le docteur veut me voir.
La salle d'attente vert pâle, l'odeur fade, les chaises aux pieds chromés, les pancartes, toute une atmosphère qui fait de I 'attente une peur mal contrôlée.
Je sais déjà. Je sais depuis longtemps. Mais je ne veux pas de la certitude, je ne veux pas du verdict. (...)
La porte s 'ouvre. (...) Le docteur tremble en me tendant le résultat de la biopsie. Il voudrait parler, il sait que c'est inutile, mais ses yeux habituellement si froids se troublent. Surtout qu'il ne dise rien, q 'il n 'aille pas prononcer les mots tant redoutés2. »
Malgré les séances de rayons effectuées à Nantes dans la clinique de Notre-Dame de Lorette, en face du lycée Clemenceau, la maladie ne lâche pas prise et c'est alors, chez René Guy Cadou, une période de grande lassitude, de grand découragement, avec le sentiment d'être abandonné de tous, abandonné de ses plus proches amis, comme en témoigne, pathétiquement, le poème « Lettre d'avril » :
Quand on revient sur la fin de l'hiver d'une très longue et monacale maladie
Ah !.c 'en est trop de ce silence abrupt et de la défection finale des amis !
Et comment me traiterez-vous demain moi qui vous hèle d'une voix tendre
Si je n 'ai que I 'infime bégaiement de mes mains pour me faire comprendre ?
Le temps de poésie s 'achève et j 'ai beau rappeler
Au-dessus de ma vie comme un oiseau blessé
Nul ami ne viendra au secours de mes ailes3
C'est alors, comme pour mettre le comble à ce découragement, que René Guy Cadou apprend que les éditions Gallimard, dont, depuis 1946, il attend la publication du recueil « Hélène ou le règne végétal », prétendent n'avoir jamais signé de contrat de publication avec lui, contrat pourtant signé le 21 octobre 1946. Une lettre de protestation envoyée par lui à Claude Gallimard, le 11 avril, restera sans réponse.
C'est aussi en avril qu'il subit une deuxième intervention chirurgicale, suivie, à nouveau, de séances de rayons.
« De nouveau — écrit Hélène - ce furent les rayons, les pansements interminables, toute cette vie de convalescent mal remis qui te laissait navré, me regardant avec de pauvres sourires, comme pour t 'excuser...
Déjà chacun s 'étonnait de ce mal qui se prolongeait, je percevais des étonnements, des interrogations. Il fallait te préserver à tout prix, éloigner les indiscrets, te défendre contre la seule forme de douleur que je puisse t 'éviter. Il fallait détourner de toi, qui savais plus que tout autre le pouvoir des mots, ce mot que tu ne voulais pas connaître. »4
Miraculeusement, avec le retour à Louisfert, ce fut comme une résurrection, ou plutôt l'illusion d'une résurrection
« L 'été revint. Juin nous revit au logis. Tu reprenais maintenant très vite des forces. (...) Tu étais là sous le soleil, revenant à la vie, puisant de toutes tes racines la bonne chaleur de ce monde, de nouveau solide comme un arbre qui s'étire puissamment et mesure ses forces dans le jour. Tu étais plus que jamais fraternel, accueillant à tous, tu participais, tu étais des nôtres, et moi, je ne voulais pas voir, tout à coup, entre deux portes, entre deux silences, ton regard vague soudain, tes traits soudain las et défaits. »5
L'inspiration, stérilisée depuis des semaines par la souffrance physique et morale, renaît alors, comme en témoigne le poème « Nocturne », sublime dialogue avec Jésus du peu catholique René Guy Cadou, poème d'une intense émotion, dès les premiers vers
Maintenant que les seuls trains qui partent n 'assurent plus la correspondance
Pour toutes ces petites gares ombragées sur le réseau de la souffrance Oh ! je crois bien que ce sera à genoux
Mon Dieu ! que je me rapprocherai de Vous ! ...6
Illusion d'une résurrection ! En octobre, Cadou est obligé de s'aliter. Il est désespéré de ne pouvoir assister, le 22 octobre, comme chaque année, aux cérémonies en l'honneur des fusillés de Châteaubriant à la carrière de la Sablière, comme il l'écrit, le jour même, à son ami, le peintre Yves Boré
« Mon cher Yves,
Je t'écris toujours de mon lit, et cependant il faut que je reprenne ma classe demain : 10 jours à traitement, ça suffit. Tu penses si j 'ai regretté de ne pouvoir être à la carrière en ce jour du 22 octobre que j 'ai passé à essayer de faire tomber la fièvre — mais la douleur est toujours là. Est-ce une consolation ? On vient, pour mes Poèmes choisis, de m 'attribuer à I 'unanimité la bourse littéraire Max Jacob de 12.000 francs....
Nouvelles séances de rayons à Nantes, pendant plusieurs semaines puis installation avec Hélène à la Bernerie-en-Retz, dans la maison de famille d'Hélène, comme il l'écrit à son ami Jean Bouhier, le 11 décembre :
« Mon cher Jean,
Nous sommes à la Bernerie depuis plus de 6 semaines. La distance de Nantes y est plus courte que de Louisfert et je dois me rendre trois fois par semaine à Nantes pour suivre un nouveau traitement radiothérapique. A la suite de mes deux opérations en janvier et en avril derniers, j 'ai fait en septembre une poussée assez grave d'adénite, que je prenais pour une crise de rhumatisme.
Bien que le traitement par rayons me mette à plat, je me sens beaucoup mieux (plus de douleur ni de fièvre) et compte regagner Louisfert pour Noël. Mais j 'ai un congé de longue durée et ne reprendrai sans doute pas ma classe avant juin.
Voici huit jours, conduits par Roger Toulouse, Manoll, Rousselot et Béalu sont venus passer 24 heures ici et c 'était bien réconfortant. »
Après la fin des séances de rayons, René et Hélène reviennent à Louisfert et, à nouveau, ce fut, avec une nouvelle rémission, l'espoir d'une guérison
« Pour Noël, - écrit Hélène - nous sommes rentrés à la maison, comme promis.
Ce fut vraiment une belle nativité. Il semblait qu'en quelques jours tu aies retrouvé toute ta vigueur. Il faisait un blanc soleil de saison froide. De revoir Louisfert, ses vieux murs et ses toits, le jardin, la maison, les visages amis, tu rayonnais, tu t'épanouissais. (… )
Le jours de Noël se passa très calme. Tu décidas de consacrer I’après-midi au choix des poèmes qui devaient figurer dans Les Biens de ce monde, petit recueil à paraître au printemps. (...)
Tu retenais tel poème, tu écartais tel autre, et cela m'aidait à te mieux comprendre, à te mieux chérir. Tous ces poèmes, nés soir après soir, allaient s 'éloigner de toi, de cette table, de cette chambre, ainsi tu en décidais en ce Noël pour toi plein d'espoir.
Les jours qui suivirent furent une fête continuée. Tu semblais être redevenu le garçon solide et joyeux que tes amis connaissaient. (...) Tu jouais aux cartes avec entrain, descendais au jardin, visitais les voisins, et, surtout, la poésie, se faisant grâce pure, naissait de toi comme si, en cette fin décembre, en ce début janvier, une source jaillissait, ignorant tout gel, toutes menaces, voulant tout donner d'elle-même avant qu'il ne soit trop tard. »7
De cette renaissance de l'inspiration, d'une inspiration heureuse, témoigne un poème
écrit le 31 décembre qui chante l'éclosion du prochain printemps, poème d'une naïve
beauté, le plus gai, je pense, que René Guy Cadou ait jamais composé
Des Œufs dans la haie
Fleurit l'aubépin
Voici le retour des marchands forains
Et qu'un gai soleil
Pailleté d'or fin
Eveille les bois
Du pays voisin ! …8
Deux semaines plus tard, très exactement le 13 janvier 1951, c'est, cette fois, un poème au titre insolite « Possibilité d'un corps en trop » :
Rien dans la cave !
Rien dans le grenier !
Rien dans le placard ! Rien dans l'escalier ! Rien dans l'armoire !
Rien sous le lit !
Rien dans ma raison !
Rien dans ma folie !
Mais lorsque j’éteignis ma lampe
Jésus était là dans la chambre.9
Ce Jésus présent dans la chambre obscure, c'est, en écho à l'apparition qui avait illuminé Max Jacob, le « Christ étendu », don de son ami le peintre Yves Boré, comme le prouve la lettre qu'Il lui adresse trois jours plus tard : « Te voici présent dans ma chambre, représenté par le meilleur de toi-même. Le Christ ne serait-il qu'une figure allégorique de la douleur que ce serait une raison suffisante pour I 'aimer. Je sais combien tu tenais à cette peinture, mon cher Yves, et le don m 'en est d'autant plus précieux. »
C'est alors, à la mi-janvier, que le docteur Nédélec, à Nantes, après examen, fait comprendre à Hélène que René Guy Cadou n'a plus que quelques semaines à vivre et que désormais il est inutile de reprendre des séances de radiothérapie. Comme s'il en avait le pressentiment, René Guy Cadou adresse un émouvant adieu aux habitants de
Louisfert, où se manifeste, en quelques sublimes vers, l’ultime expression de sa spiritualité10 et, le 5 février, dans un poème adressé cette fois à son père, mort dix ans plus tôt, c'est l'ultime expression de sa poétique qu'il nous dévoile
Quel étonnement serait le tien si tu pouvais me voir maintenant
A genoux dans le lit boueux de la journée
Raclant le sol de mes deux mains
Comme les chercheurs de beauté11
Un mois plus tard, le 5 mars, René Guy Cadou qui, depuis le 10 février est resté alité, reçoit par la poste un colis d'exemplaires du recueil Les Biens de ce monde
« Début mars, - écrit Hélène - c 'était le 5, il me semble, par un bel après-midi ensoleillé, tu voulus te lever. Tu avais eu la joie, le matin même, de recevoir des mains du facteur, le colis qui contenait Les Biens de ce monde. Le petit recueil, fraîchement imprimé, te parvenait à temps grâce à la diligence de Pierre Seghers et de tes amis. Maintenant que tu tenais dans tes mains ces pages tant espérées, c 'était la vie soudain revenue.
C'est debout, et non dans ton lit de malade, que tu tins à signer les services de presse. Nous t 'installâmes au rez-de-chaussée, dans la salle à manger tranquille dont la porte vitrée donnait sur le jardin. (...)
Tout I 'après-midi, tu signas les exemplaires de cette plaquette, la dernière qu'il te serait donné de voir. »12
Le lendemain de ce jour, le 6 mars, il envoie à Michel Manoll, son ami de toujours, celui qu'il considérait comme son grand frère, une lettre déchirante.
« Mon vieux Michel,
Les forces ne veulent pas revenir parce que je n 'ai aucun appétit et surtout aucun sommeil. (....) J'ai passé hier une journée atroce à signer le service de presse des Biens de ce monde. A quoi bon tout cela ? Quelle vanité ! Je ne désire rien d'autre que la santé — et sans doute I 'amitié et I 'amour.
J'arrête. Ecrire me tire sur les muscles abdominaux et c 'est très douloureux. »
Quelques jours plus tard, les souffrances de René Guy Cadou devenant intolérables, des piqûres de morphine furent nécessaires pour calmer la douleur.
Le calvaire de René Guy Cadou ne devait se terminer que quinze jours plus tard, dans la nuit du 20 au 21 mars, au premier jour du printemps...
Notes:
1 – C’était hier et c’est demain, p. 115
2 – Ibid, P35-36
3 – Poésie La Vie entière, p. 342
4 – C’était hier et c’est demain, p. 48-49
5 – C’était hier et c’est demain, p. 49-50
6 – Poésie La Vie entière, p. 345
7 – C’était hier et c’est demain, p. 178-179-180
8 – Poésie la Vie entière, p. 348
9 – Ibid, p. 349
10 – La foi du charbonnier in Poésie La Vie entière
11 – Poésie La Vie entière, p. 350
12 – C’était hier et c’est demain, p. 187
FORCIOLI Philippe. Né à Oran en 1953, Philippe Forcioli a choisi la Provence comme terre d'adoption en 1968. Depuis 1977, il « chante et dit » aux accords de guitare. Ce barbu à l'accent du sud n'est pas tout à fait ordinaire puisqu'en poète des temps modernes, il déclame Delteil, Brassens, Cadou ou St François au gré du vent. |
Je suis monté dans la chambre..., par Philippe Forcioli
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Je suis monté dans la chambre. Jean François J. m'avait dit : « Profitez-en, il n'y a personne avant quinze heures. Vous y serez seul. » J'ai franchi la porte et tout de suite j'ai vu accroché à gauche de la fenêtre, le célèbre cliché le montrant avec Max Jacob. Premier coup à l'estomac, comme si ces deux-là m'attendaient à cet endroit de mon âge. Ces deux-là qui m'accompagnaient depuis plus de trente ans avec quelques autres. Max le pieux qui lui écrivait le lendemain de leur rencontre : « J'ai prié pour toi au Chemin de Croix : Mon Dieu, ayez pitié de René Guy Cadou qui ne sait pas que ses vers sont le meilleur de vous ». Car ce même printemps j'avais donné une conférence-lecture sur Max, après avoir passé trois jours à Saint-Benoît-sur-Loire pour m'imprégner de l'esprit et du coeur de ce martyr poète inclassable du siècle passé.
Je m'avançai vers le petit bureau au centre où on pouvait lire sous verre le manuscrit agrandi du poème « Possibilité du corps en trop ».
Je tournai les yeux légèrement sur ma gauche et là, sur une étagère basse, le visage du Christ tel qu'il apparaît à Turin dans la chapelle du Saint-Suaire, reproduit sur la première page du même exemplaire, exactement le même, qui est posé sur une étagère basse de ma chambre.
Deuxième coup, au foie cette fois-ci. Devant le petit bureau, sans bouger, je tournai la tête à 45° et le premier titre qui m'apparut sur une des tranches de la centaine de livres de la bibliothèque, comme s'il clignotait dans la nuit, « Jeanne d'Arc » de Joseph Delteil, dans la même édition, exactement la même que celle qui m'a servi pour mon adaptation en 2007 de cette œuvre un peu folle. Troisième coup, de cœur cette fois-là.
Je n'étais pas fou, je ne rêvais pas, j'étais de plain-pied dans la vie rêvée. J'avais rendez-vous, dans la chambre de Cadou, avec lui, avec eux, les Apollinaire, Jammes, Fort, Jacob, Cendrars, Reverdy, Delteil, Manoll, Bouhier, Bérimont et mille autres, Lui et moi-même. Étais-je le jouet d'un joli piège tendu par la pieuse Hélène, ordonnatrice du lieu ? Hélène, partie le jour de l'été 2014, quand René partit le jour du printemps 1951. Je me retrouvais comme une pièce d'un puzzle dont j'avais espéré le plan visible et qui se révélait à mes yeux.
Je dus m'asseoir, mon coeur battait fort.Sur le rebord du lit, une grande paix m'est descendue par les épaules jusqu'aux godasses. Je restai là longtemps. Je pensais à ce vers de lui :« Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète/ ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui... » En
« ... Étonnez-vous braves gens ! Car celui qui compose ainsi la Fable N'est pas loin de trouver place près du Divin dans certaine étable... »
fin d'après-midi, mon récital Cadou, qui est, à quelques poèmes près, le contenu de ce disque, fut apprécié. Il y avait l'ami Jacques Bertin. Le soir même dans une chambre d'hôtel d'Angers, je décidai de me lancer dans cette aventure.
Tant d'ouvrages magnifiques, livres, articles, films, enregistrements ont été réalisés sur ce petit prince, témoins lumineux du grand mystère de poésie, compagnon de tous. Alors y aller moi aussi de mon petit hommage ? Moi qui me suis toujours tenu à l'écart de la galaxie des spécialisés de Cadou, qui n'ai jamais osé rencontrer jusqu'à cette invitation de son neveu. Peut-être cette raison, inspirée d'A. Adamov à propos de R.M. Rilke : « Faire connaître un poète qu'on aime est une nécessité intérieure », peut-être aussi le souhait d'être pour Cadou, un parmi « (ses) copains qui bourlinguent encore et toute (sa) kyrielle de copines... », peut-être pour souligner plus que d'autres son lien d'avec la Face du Crucifié-Ressuscité ? N'ose-t-il pas écrire dans « Le chant de sollicitude » :
Peut-être simplement, humblement, orgueilleusement, pour témoigner de mon amour pour cette « langue bleue » à nulle autre pareille et marcher dans les traces de ce « cortège innombrable de pas... » qui sont venus s'abreuver à elle.
PS : J'aime ce poète qui m'appelle à la beauté : « ... appuie de toutes tes forces sur le champignon de la beauté... » J'aime sa force extraordinaire, sa rébellion : « ... la poésie sera toujours l'éloge de la vie dangereuse... » J'aime sa poésie de « ... pleine poitrine, forte et balancée comme une pierre de fronde... » J'aime sa tendresse ineffable, bouleversante. Poésie de l'amour et de l'amitié pour les êtres et les choses, dans l'acception la plus haute de ce mot.
J'aime ce poète qui m'appelle à la beauté.
J'aime ce poète qui m'appelle à la beauté, par Jacques Bonnadier
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J'ouvre mon cadou le soir. J'y trouve « les mots qui portent immédiatement » comme aurait dit René Char. Cadou, c'est le grand consolateur. Mon grand consolateur avec Schubert, Nicolas de Staël et d'autres, parmi lesquels poètes-chansonniers négligeables aux yeux des médias dominants, mais précieux pour moi dans les moments d'urgence.
J'ouvre Cadou à n'importe quelle page. Je lis. Des larmes souvent me viennent aux yeux, inexplicablement, miraculeusement. Je rends grâce avec les mots mêmes de Cadou « ... O mon Dieu, se peut-il que ce poète me mette des douleurs de ventre dans la tête... ? »
Et j'ajoute, merci seigneur pour René Guy Cadou.
VIDAL Luc. Anime les éditions du Petit véhicule, auteur de la Mémoire des braises, édition bilingue franco-espagnole (entornogràfico). Fut instituteur |
Le poète, le chanteur et la grande voix du temps, Luc Vidal
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Henri Pichette, le poète des Odes à chacun et des Épiphanies parle du poète dans Les ditelis du rouge-gorge :
- Il gazouille des airs très doux
au fil desquels revient en litanie
Le nom du régent René Guy Cadou
Des cloches qui tintent, des voix d'écoliers dans une cour de récréation ouvrent sobrement et sonorement le chant de cet album. Nous sommes à Louisfert, ce village perdu au nord du département de Loire-Atlantique. Cadou poète, homme de cœur, est restitué totalement dans cette mise en voix, en musique et en chansons dans son art poétique. Un Cadou magnifique est traduit ici dans la pluralité des approches littéraires et quotidiennes de sa vie et de ses pages.
La voix-miroir légère et fertile de Philippe Forcioli porte le verbe du poète très haut dans la clarté et la douleur et la joie du jour. C’est un récit qui nous et proposé de l'œuvre-vie du poète.
Sur le calvaire de Louisfert S'est posé une soliste ailée,
Sa gorge est couleur capucine, Sa voix est infiniment fine, Son oraison est cristalline,
Nos oreilles lisent les confidences, les murmures d'une immense poésie au naturel.
Des mots vont et viennent : soleil, joie, gorge du vent, lampe, présence de la mort, enfance, amour filial, Brière, visage éclairé par des milliers d'oiseaux, végétal, les bêtes, mémoire, auberge, saison, flamme, nuit, gare, oraison, la parole, étoile, épaule, la beauté, Hélène, arbre, forêt, sang, l'amitié comme une lettre à des amis perdus, solitude enfin.
Puis la musique de Jean-Sébastien Bach s'impose et introduit un Cadou chrétien méconnu. Le Christ et Arthur Rimbaud sont magnifiés paradoxalement. Un chrétien ? Lui, l'instituteur laïc ? Oui, mais à sa manière dans une cathédrale végétale. Cadou était tout à la fois du côté du dieu Pan dans l'amour sensuel de la Nature et de l'amour de Jésus-Christ dont il sentait la présence réelle dans sa chambre à Louisfert.
Le labeur poétique impeccable de Forcioli a saisi magnifiquement la dimension intime et profonde du chant que Cadou a porté dans la toile de l'histoire et sa tragédie.
Cadou est un poète à l'âme blessée par les chaos de sa vie personnelle : disparition de sa mère quand il a douze ans ; à vingt ans, il perd son père, puis son grand frère tutélaire Max Jacob qui, avec Pierre Reverdy, fut, pour tous ceux de l'École de Rochefort-sur-Loire, un guide poétique et spirituel. La guerre, la maladie... le poète avait la prescience de sa propre mort. Il déclinait avec vérité son alphabet mais, jusqu'à la dernière goutte, l'homme tint à la grande vie qu'offraient les biens de ce monde. Sa vie, c'est aussi question de fleur rouge entre les hommes, entre la femme aimée et le poète amoureux d'Hélène, « la belle écolière au pied du paysage ».
Une voix douce, lumineuse, voix ferme et colère, voix murmure à la douce mélodie populaire ou savante, aux accompagnements et arrangements délicats et sobres fait vibrer et lever une brise légère, océane et terrienne sur la poésie de René Guy Cadou.
Forcioli, dans la discographie consacrée depuis plus de soixante ans à la poésie de René Guy Cadou, signe pour la première fois une large et vaste approche de son œuvre comme un récit musical et orphique, inédit auquel est associé Jean-Sébastien Bach joué par Clara Saussac. Son chanter, son parler, la conception de ce triple album d'un seul tenant donne à lire et entendre un vaste poème.
Celui de La Poésie la vie entière comme une écriture bouclée et achevée.
Le Régent Cadou sur l'autre rive ne retient pas sa joie puisque « le Prince des lisières » a retrouvé Hélène, la bien nommée et aimée aux sources du temps d'amour.
« Le Prince des lisières », chez Rougerie, est le dernier livre d'Hélène Cadou.
ROBARD Olivier. Musicien vivant à Sainte-Reine-de-Bretagne... |
Une lettre d’Olivier Robard, musicien vivant à Sainte Reine de Bretagne… |
Je n'aurai probablement jamais entendu parler de René Guy Cadou si je n'avais pas vécu à Sainte Reine de Bretagne.
Cadou résonne comme Le patrimoine de la ville ; le poète est éponyme d'une des deux écoles ainsi que d'une rue.
Depuis toujours les élèves de ces écoles apprennent et récitent les poèmes de l’auteur, c'est d'ailleurs comme cela que j'ai été amené à mettre en musique des textes entendu quelques années plus tôt.
Pour commémorer le cinquantenaire de la mort de Cadou, l’école saint Louis m'avait demandé d'accompagner à la guitare les élèves lors d'un après-midi spectacle.
Ce fut pour moi un réel challenge, créer une musique sur des textes dont on ne pouvait ni changer un mot ni une virgule.
En général le musicien travaille en collaboration avec l'auteur et s'arrangent ensemble sur les détails de la couleur voulue, de la sonorité et du sens recherché.
Mais c'était aussi une grande liberté et fierté que de choisir seul la musique qui vous parle le plus, à un moment de votre vie, sur un bel éventail de textes dont l'auteur décédé porte son nom sur différents établissements de France.
Ayant pris gout aux textes et à l'exercice, je décide donc dix ans plus tard d'en faire un album « Les gens de la ville »…
PAULIN Étienne. Né à Angers en 1977. Les revues Le Nouveau Recueil, Comme en poésie, N4728, Contre-Allées, Arpa, Poésie Première, Le Moulin de Poésie, Traction-Brabant, Incertain regard, Diérèse, Verso, Écrit(s) du Nord, entre autres, ont accueilli de ses textes. Prix Thyde Monnier pour Le Voyage du rien (Henry). Dernières publications : Le derrière du ciel (Henry), 30 Poèmes (Henry), Là (Gallimard). |
Le mystère qui vit dans ces mots, par Etienne Paulin
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Je ne savais pas qu'il me serait si difficile d'écrire quelques mots au sujet de Cadou. Mais il en va ainsi des poètes que l'on aime. J'ai relu quelques pièces de son fameux recueil Hélène ou le règne végétal. J'ai l'impression de ne rien pouvoir en dire, sinon que je les aime toujours autant.
Le mystère qui vit dans ces mots est d'une telle simplicité qu'il rend le commentaire, l'analyse véritablement impossibles. Je ne comprends pas comment ces « guêpes écrasées », « l'encre, le bois, la craie », un vers aussi désarmé que « Le vent souffle sous le préau », et ces derniers mots : « Une rouge pomme à couteau » - je ne comprends pas ce qui se passe, pourquoi ces mots m'enchantent, pourquoi il me fut impossible de les oublier. Je les garderai toujours, leur simplicité m'aura pris au dépourvu.
J'admire profondément cet art qui ne s'encombre de rien. Cadou murmure comme savent murmurer Larbaud, Supervielle, Fombeure, Claude Roy. J'aime ces poètes.
SAUDAN Victor. Animateur du Réseau Francophonie de la Haute-École pédagogique de Lucerne, il est un fervent promoteur de la culture francophone. |
Triptyque pour René Guy Cadou, par Victor Saudan
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I
Grand beau, le printemps revient, tout est en fleurs
moment où aubépines et faux-acacias reprennent le relais
le train s'arrête, on sort du train, on attend, on a enfin compris comme d'habitude, disent-ils, comme d'habitude
toujours entre Zofingen et Dagmarsellen
c'est là où ils se jettent sous le train
avait-il (ou avait-elle) regardé les fleurs
avant de se jeter sous le train
on est là, longtemps, on attend, quelle mauvaise organisation disent-ils
j'attends avec eux
tout le monde communique avec son portable
un bus arrive pour nous remettre sur les rails
de nos vies parallèles.
II
Assis au Café des Foudres
dans l'angle
je regarde passer les gens du quartier
ils sortent de la bouche du métro
traversent la terrasse du café
continuent leur chemin droit vers la rue Sorbier ou bien tournent à droite
pour monter la rue Orfila
à ce moment-là ils passent à l'angle du bâtiment
devant la grande baie vitrée
baie vitrée derrière laquelle je suis assis à une petite table
face à ces visages qui passent
les regards se croisent et se multiplient dans la profusion de miroirs placés profondeur des murs, des fenêtres
moment magique de la rencontre anonyme d'une intimité épatante moment épatant d'une intimité magique
comment ne pas penser au poème de Baudelaire À une passante
ici ce n'est pas une passante mais des centaines de passantes
et de passants
rares sont celles et ceux que j'arrive à reconnaître.
III
Quand j'ouvre la fenêtre le matin l'air froid qui rentre me surprend
de la forêt sur la colline
un vrombissement continue arrive
tel qu'une terrible plainte d'un être malheureux
c'est le son de la scie sur un tronc d'arbre résonnant à travers le corps entier des bois
brame sans fin des arbres malades et desséchés
qui colorent la voûte des forêts bien avant l'automne déjà.
CHARTIER Bernard Victor. À proximité de son Anjou tutélaire, le poète vit dans le bocage sarthois. Verger, jardin, fleurs, arbres et oiseaux l'invitent à la méditation et lui soufflent son inspiration. Amateur de longue date de collages et de textes courts - poèmes, haïkus et kôans - gourmand des mots, écrivain à ses heures de soleil, il traque sans cesse dans ses textes ce qu'il appelle « la juste note ». |
Les deux jardins, par Bernard Victor Chartier
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Depuis l'aurore de notre temps
Deux jardins
Voisins proches accolés
Inséparables dissemblables m'a-t-on dit
Je veux les savoir
Une brume maquillée d'orange
J'approche des deux jardins
À pas de passeur potentiel
Avide haletant d'attente
La brume se dissipe de suite
Sur le jardin de gauche
Uniquement sur ce jardin
Celui où fleurissent les hellébores
Et les perce-neige et les premières jonquilles
Je vois des personnes
J'imagine des amis
Il ne peut en être autrement
Leurs sourires le disent
En connivences transparentes
En fumées de cigarettes partagées
Je ne distingue pas les oiseaux
Qui tourbillonnent
Dans les ronds de fumée des cigarettes
Je souhaite tant que ce soit des rouges-gorges
L'homme en blouse grise
Est sûrement le maître de maison
Avec ses amis dans son jardin
Une femme l'accompagne
Depuis toujours on dirait
Il ne peut en être autrement
Leurs regards se croisent se croisent souvent
Lumière incandescente
L'homme en blouse grise
Parle aux amis que je viens d'imaginer
Je tends l'oreille mais n'entends pas
On dirait seulement que ses mots prennent leur envol
Et les amis semblent heureux d'être là
J'attends que la brume se dissipe aussi
Sur le jardin de droite
Je supplie je prie que cette brume s'éclaircisse
Et la brume veut bien répondre à mon appel
Juste le temps d'une fugace apparition
Deux tuniques blanches
Se déplaçant lentement irréellement même
Dans cette brume perdurable éternelle
Deux tuniques blanches
Suivies de halos peut-être des ailes
S'accrochant à la brume
Et la brume s'accroche au silence
Dans le jardin de gauche
L'homme en blouse grise
Se dirige vers la haie de séparation
Avec le jardin de droite
L'homme en blouse grise
Écarte les thuyas de la haie
Il semble savoir qui chemine dans le jardin voisin
Je sens je pressens qu'il appelle
Quelqu'un dans le jardin de droite
Je tends l'oreille mais je n'entends pas
On dirait toujours que ses mots prennent leur envol
Les amis de l'homme en blouse grise
Le rejoignent à la haie de séparation
Ils écoutent les mots de l'homme en blouse grise
Des mots de bienvenue on dirait ou des mots d'amitié
Peut-être des mots d'invitation à boire un café
Dans le jardin de droite
Celui des tuniques et des halos
On ne craint apparemment pas d'être vu
Toute haie paraît inimaginable Impression étrangère au quotidien
Mais personne dans le jardin de droite
Ne répond à l'homme en blouse grise
La brume reste accrochée au silence
Les appels de l'homme en blouse grise sont-ils trop timides
Je me surprends à souhaiter que non
L'homme en blouse grise et ses amis
S'écartent de la haie de séparation
Allument des cigarettes
Font quelques pas incertains
Se retournent par instants vers la haie
L'homme en blouse grise
Parle de nouveau à ses amis
Je tends l'oreille mais je n'entends pas
Je suis sûr maintenant que ses mots prennent leur envol
Et les amis hochent la tête
Le temps de deux cigarettes
Le temps d'un aparté avec la femme
L'homme en blouse grise
Retourne d'abord seul à la haie
Pourquoi cette fois-ci semble-t-il hésitant
Ou moins serein dirais-je
Il appelle un ami plus âgé que lui
Quelques mots quelques gestes
L'ami plus âgé montre du doigt
Le jardin de droite
Il écarte un thuya et semble décrire
À l'homme en blouse grise
Les tuniques et les halos
Et je reste là
Tel un cumulus au-dessus des deux jardins
Je reste là vêtu d'un manteau de questions
Doublé à l'évidence de brume
Les mains dans les poches de mon cœur
Étonné bouleversé ému
J'ai vu mais je veux savoir qui
Le vent d'ouest annonce la pluie
Je m'approche des boîtes à lettres
Fixées sur la barrière en bois de chaque jardin
Et je lis
Sur celle de gauche René Guy Cadou
Sur celle de droite Dieu
BERTRAND Claudine. Poétesse canadienne née en 1948 à Montréal, au Québec. A fondé et dirigé la revue Arcade (1981-2006). Les éditions Henry ont publié : Fleurs d'orage et Émoi Afriques, dans la collection Les Écrits du Nord. Elles lui ont également confié la direction de l'anthologie L'eau entre nos doigts. |
Cadou sous le manteau, par Claudine Bertrand
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Pensionnaire je voyais un copain
à la sauvette en travers de la clôture
y circulaient clopes et lettres
à l' abri des regards des religieuses
Vite dissimulées dans le blouson
je découvrais recopiés à la main
des poèmes de Cadou
au parfum de liberté
Ses mots en bouffées de printemps dans la période d'isolement m'insufflaient une respiration nouvelle « comme un oiseau dans la tête »
En ces temps de confinement
faire jaillir « ces algues de lumière »
avec en première ligne
Cadou aux allures de magicien
Pieds nus dans l'aube « sur le pays plat ».
LEBEAU Alain. « Je suis né le 6 mai 1938 à Saint-Nazaire (Bretagne) d'un père chauffeur de locomotive et d'une mère femme de ménage, reçue première du canton au certificat d'études à douze ans. J'ai vécu mon enfance à Nantes. J'ai été éveillé à la poésie par Yves Cosson, professeur de français au collège moderne de Nantes qui m'a fait découvrir Max Jacob, Francis Jammes et René-Guy Cadou. » |
René Guy Cadou ou le luxe d'être simple, Alain Lebeau
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« Je ne conçois pas de poésie sans un miracle d'humilité à la base » (Usage interne).
Je n'étais pas sérieux à dix-sept ans et j'avais envie de tout aimer, de tout dévorer de tout brûler. Je n'étais pas passionné par l'école et je m'y ennuyais ferme sauf en cours de français où un professeur avait su enfin donner vie à la poésie et nous la faire partager dans une anthologie « à la Cadou ».
Max Jacob, Éluard, Francis James, Supervielle, Lorca... Yves Cosson les a amenés dans notre classe !
Blaise Cendrars Apollinaire
Le bateau qui prend feu en mer
Aragon la ruelle à chansons
Et les yeux d'Elsa tout au fond
René-Guy Cadou, justement, que nous ne connaissions pas encore... Yves Cosson nous accueillit un jour avec ces mots :
Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète
Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui.
Ce n'était pas un coup de poing, une sucrerie, un brûlot, un slogan, un sermon, c'était une entrée en poésie, avec la délicatesse, la profondeur, la pudeur propres à toucher nos cœurs d'adolescents. Et la lampe devint cou de femme. Magie des choses, du poète, des mots... René Guy Cadou nous fit aimer La femme, une femme, mais vivante en chair et en poésie, comme Elsa mais plus proche de nous en son règne végétal.
« tu es de tous les jours l'inquiète la dormante ».
Sans t'avoir jamais vue, Hélène, nous appelions en toi, l'amour fou pour chacun d'entre nous.
Nous l'avons redit à celles que nous aimions :
tout seul, je n'aurais pas trouvé mon chemin…
…Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires
Dans les années de sécheresse quand le blé
Ne monte pas plus haut qu'une oreille dans l'herbe
Qui écoute apeurée la grande voix du temps
Cette simplicité touchait juste, au plus profond, à l'évidence. Avec Cadou, les mots étaient un paysage où les objets avaient une voix, une odeur, les hommes des veines apparentes.
Une autre fois, Yves Cosson nous fit tous poètes par ces simples vers de Cadou :
Les chiens qui rêvent dans la nuit
il y a toujours un poète qui leur répond par une petite lueur
Tirée comme un bas jaune sur une maigre lampe
Nous étions à fleur de peau, tous chercheurs d'or du quotidien, avec « la Diane doucement poignante du destin ». Cadou allumait des vers luisants dans la nuit. Nous rêvions sur nos cahiers avec des bouts de rimes, des rimes à rien, des vers cassés et cette verroterie étincelante illuminait notre vie. Cadou nous apprenait l'humilité (ma poésie travaille pour moi. Soyons assez délicat pour ne pas nous en apercevoir) ou encore (Seigneur... la croix que vous m'offrez n'est pas à ma hauteur), la simplicité, la justesse sidérante pour dire la vie, la mort, la terre, l'amour, l'amitié...
Luc Vidal a su parler de Cadou au chanteur Morice Benin dont le disque « Chants de solitude » a obtenu le grand prix de l'Académie Charles Cros en 1984. J'ai passé mon 33 tours en boucle pendant des années, le « Poète d'aujourd'hui » de Michel Manoll en main. Aujourd'hui encore, comme à chaque fois, je ressens une envie très forte de pleurer de joie, d'amour, de tristesse, d'espoir. C'est la poésie de Cadou, avec des mots qui sortent de l'amère montée du sol (ah ! l'odeur des lys ! la liberté des feuilles...) ! Les mots qui célèbrent les fusillés de Châteaubriant, ces hommes « appuyés contre le ciel... pour qui la mort est une chose simple puisque toute liberté se survit ». Les mots qui chantent « la symphonie du printemps »
Mon amour tu es là comme une herbe qui penche
Sa longue écriture douce sur la page
Et je lis dans tes yeux et tu peux bien baisser
Ta paupière pareille à du genêt mouillé
J'épelle à haute voix comme un enfant qui dort
La chaude et mesurée syllabe de ton corps
Je relis souvent ces réflexions de Cadou dans « Usage interne ». Elles me servent de garde-fou ou me consolent d'être trop dépensier en vers !
« Offrez-vous donc le luxe d'être simple. C'est un luxe extrêmement coûteux qui vous coûtera bien des larmes, bien des reniements, mais qui vous offrira en échange des satisfactions qui ne sont pas celles du vulgaire. »
Si évident, chez lui, si vrai ; souvent imité, affecté chez d'autres. À bon entendeur, chers poètes !
N'ayez pas peur, venez, René Guy Cadou demeure parmi nous « comme Orphée dans le chant des sources et des sèves ».
GUILBAUD Luce. Agrégée d'arts plastiques, plasticienne, enseignante, vit en Vendée. Prix Yves Cosson 2018. Revues, anthologies, livres scolaires. Éditée depuis 1975 : Le Dé bleu, Tarabuste, Dumerchez, V. Rougier, Henry, Le petit pois, Lanskine, Les carnets du dessert de lune, La Renarde rouge, Soc et Foc, Corps puce... Livres d'artiste : Les cahiers du Museur, Entre deux, Yves Piquet... 2018-2019 : jeunesse Couleurs par ci Couleurs par là Henry Grandir plus loin, La Renarde rouge, Qui va avec ailes, Les carnets du dessert de lune, L.A. Histoire sorcière Yves Piquet. |
René Guy Cadou, la nuit un homme qui va, Luce Guilbaud
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Je suis entrée « par hasard dans la demeure d'un poète », dans le bocage tendre et vert autour de Châteaubriant. Je l'ai rencontré « dans une école de campagne » où jouait, non pas « un enfant mais des milliers d'enfants », René Guy Cadou, un poète, des poèmes, des mots simples, des échanges de ciels, des mots pour dire la liberté, l'espoir, l'amour, « le doute d'être un homme » mais qui savait se retrouver dans « les cordages d'un poème »...
« La poésie de Cadou n'est ni une poésie du passé ni celle d'un rêve utopique. C'est une poésie nourrie d'enfance qui tend vers le projet essentiel de rejoindre sa propre destinée », dit Hélène Cadou dans la préface à « Un oiseau dans la tête » (Enfance heureuse, Jacques Charpentreau. Éd. Ouvrières 1987) « parce qu'elle est devenue simple à force d'incarner l'humanité au plus profond ».
« Je ne sais rien de plus que vous » disait modestement cet homme au grand cœur, mais il était attentif au moindre détail de la nature autant qu'aux événements du monde : la politique, la guerre d'Espagne, les otages de Châteaubriant.
Ce poète est-il vraiment entré en poésie « Par un trou méchant de serrure » ? Pas plus qu'un autre ! La poésie en général reste discrète, volontaire et tenace, mais dans cette affirmation tranquille René Guy Cadou exprime son destin de poète à l'écart des milieux littéraires (ce qui ne l'empêchait pas de bien connaître les poètes de son époque, voir le poème « anthologie »).
Poète d'un mysticisme assumé au quotidien, René Guy Cadou est avant tout curieux des mystères de la nature et de la vie qu'il exalte avec simplicité et ferveur.
Cette poésie en vers libre ou non assume aussi un classicisme naturel quand s'imposent les alexandrins de « J'ai toujours habité de grandes maisons tristes » par exemple. C'est une poésie sans artifice, essentielle, d'un lyrisme qui peut sembler naïf mais qui parle à tous.
René Guy Cadou est aussi le poète de l'amour et l'ombre d'Hélène (qui a tant fait pour que sa poésie continue à vivre) nous assure de l'intérêt toujours actuel de ce poète. L'amour n'est-il pas pour chacun la vibration la plus exaltante qui fait naître les mots chez tous les poètes et apprentis poètes ? Pour René Guy
Cadou c'est une inspiration centrale dans son œuvre. L'amour, Hélène : « Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays », Hélène : « Il a suffi de ton amour pour tout changer »... Après l'Hélène de Ronsard, Hélène Cadou a incarné la muse indispensable, mais n'oublions pas qu'elle fut elle-même excellente poète.
Cher René Guy Cadou, vous êtes attendu pour demain, pour toujours avec Hélène, à Louisfert, à Rochefort-sur-Loire, par les prairies, par les marais de Brière, depuis la Loire jusqu'à la mer.
« Le vent qui va plus loin achève ton murmure » et le conduit plus loin dans le temps des amoureux d'une parole libre et sincère...
BERTIN Jacques. Né en 1946 à Rennes, chanteur, poète et journaliste français. Chanteur « à texte », il s'est placé à contre-courant de la variété en plein développement à partir de la seconde moitié des années 1960 et des modes de promotion de cette variété. |
Hélène, par Jacques Bertin
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Le lourd secret de vivre ensemble
Hélène veuve souviens-t'en
Et votre grand amour ouvert
Avec des craintes d'impossible
L'amour délicat et amer
Comme l'eau et le vin ensemble
Hélène veuve en ta maison
Et qui ne rira plus jamais
Et ta longue chanson patiente
Tes mains sur son âme de houx
Votre peau brûlait sur vos lèvres
Votre âme au croisement de vous
La force qui vous faisait mal
Il parlait de douleur d'aimer
Tu lui faisais un mal atroce
Comme s'il eût trahi pour toi
Lui-même ses fourrés ses rêves
En demi-teintes, loin de tout
La vie est la vaine aventure
Le doute aux suintements si doux
Alors il portait sur les choses
Sa trop grande folie d'aimer
Tu ne faisais plus qu'un alors
Hélène avec l'odeur des lys
Hélène assise en ta maison
Et qui n'aimera plus jamais
Hélène qui sait tout de l'homme
Et qu'il te trompait pour des lys
Il ne saurait y avoir plus bel hommage que la voix retenue de Jacques Bertin pour chanter, en 1968, l'amour d'Hélène. Et voyez : cinquante ans plus tard, la même émotion nous saisit, qui nous dessine sur les lèvres l'ombre d'un sourire attendri et émerveillé. Heureux, ceux qui s'aiment d'un tel amour...
Lettre à Hélène Cadou, par Robert Duguet
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Dans ce soleil d’arrière saison
Hélène Cadou aujourd’hui je pense à vous
Aimez-vous ces jours de septembre
Où la lumière doucement blanchit
Et nous entraîne sur l’autre versant ?
Bientôt la grappe mûre de l’été
Va rouler dans le panier d’osier
Comme la vie au seuil de son matin d’automne
Les feuilles de marronniers dans le soir frissonnent
Avenue de la Grande Armée à Paris
Et les terrasses ensoleillées des cafés
Egrènent leur chapelet de jolies femmes
Je marche sous une vaste marquise de lycée
Aux poutres rivetées d’un métal séculaire
Moi qui ai passé ma vie dans les cours de récréation
L’heure de la rentrée des classes pourtant sonne
Sous le toit des ardoises bleues de ma mémoire
Je pense à une autre maison d’école
Frêle esquif maintenant solidement ancré
Sur l’océan de la beauté
A celle qui veille dans la demeure de Louisfert
Et qui a toujours ses deux mains offertes
Pour les ouvriers de la première heure
Comme pour les voyageurs de passage
A celle qui obstinément
Assemble les éléments épars
Pour qu’un jour quelque enfant des hommes
Porte encore plus haut cette lumière
Hélène comment ne pas penser à vous ?